Le Monde dans un Jeu Vidéo Otome est difficile pour la Populace – Tome 7 – Chapitre 1

+++

Chapitre 1 : Mère et fils

+++

Chapitre 1 : Mère et fils

Partie 1

L’académie d’Alzer entrait dans son troisième trimestre. Il faisait encore froid dehors, et à la fin des cours, il faisait déjà assez sombre. Les étudiants qui n’avaient pas d’activités en club rentraient immédiatement chez eux une fois les cours terminés, laissant seulement le personnel de l’école et quelques étudiants sélectionnés. Je faisais partie de ce dernier groupe, entraînant Marie derrière moi alors que nous arrivions dans ce qui ressemblait à une salle d’orientation pour étudiants.

Le professeur Clément attendait à l’intérieur. Une silhouette imposante aux muscles saillants, c’était le type même du gentil garçon masculin. Ha ha, je plaisante ! En fait, il parlait de façon efféminée et portait une chemise super serrée qui épousait chaque courbe de son corps. Son ombre noire laissait entendre qu’il pourrait se laisser pousser une barbe impressionnante s’il le voulait. C’était un professeur gentil, cependant, toutes les apparences mises à part.

« Salut, » je l’avais salué nonchalamment en me glissant dans la pièce. « Hm ? Vous êtes le seul ici, professeur ? »

Marie était visiblement irritée par l’absence de la personne qu’elle espérait trouver ici. Le professeur Clément avait croisé ses bras épais et musclés et s’était assis sur sa chaise. « Oh, chérie, Lady Lelia n’a pas encore pu venir ». Le fait qu’il ait l’air si sévère et qu’il ait l’air si féminin laissait une impression inoubliable.

Marie et moi nous étions regardées, puis avions haussé les épaules et nous avions pris place sur les chaises mises à notre disposition. Nous avions décidé de tuer le temps pendant que nous attendions en discutant avec lui.

« Je ne savais pas que tu avais été chevalier de la maison Lespinasse », avais-je dit.

Son expression était devenue nostalgique. « Mon Dieu, Lady Noëlle ne se souvenait pas non plus de moi. C’est dommage, je dois l’admettre, mais les filles n’avaient que cinq ans quand nous nous sommes séparés. Je ne peux pas leur en vouloir. »

Marie avait langoureusement affalé son corps sur le bureau en face d’elle. « Je ne sais pas pour quelqu’un qui se démarque autant que toi ? Ce serait plus étrange si elles oubliaient. Bref, qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ? »

Sans perdre un instant, il déclara : « Je resterai aux côtés de Lady Lelia et la protégerai. Quant à Lady Noëlle, je ne pense pas avoir à m’inquiéter tant que vous êtes avec elle, Monsieur Léon. Vous êtes le Gardien de l’arbre sacré, après tout. »

Le Gardien était un titre accordé à une personne qui avait reçu la plus grande bénédiction divine que l’Arbre Sacré avait à offrir. L’arbre donnait cette bénédiction à la personne qu’il jugeait la plus apte à le protéger. À l’origine, dans le deuxième épisode de cette série de jeu vidéo otome, l’un des amoureux avait été choisi pour être gardien. Ce même homme devait également finir avec Noëlle. Depuis que c’était tombé à l’eau, tout notre plan avait été brisé.

J’avais regardé l’horloge. Il était bien plus tard que l’heure à laquelle nous avions convenu de nous rencontrer. Lelia Beltre — ou Lelia Zel Lespinasse, comme on l’appelait maintenant — était censée nous rejoindre pour que nous puissions discuter de nos projets. Comme nous, elle était une Japonaise qui s’était réincarnée dans ce jeu vidéo otome, plus précisément dans la République d’Alzer.

« Lelia est vraiment en retard, n’est-ce pas ? »

Voyant que je commençais à m’agiter, le professeur Clément avait froncé les sourcils en s’excusant. « Je suis désolé, chérie, mais Lady Lelia est une fille occupée. La République jongle avec un tas de problèmes en ce moment, et avec le fait qu’elle soit officiellement reconnue comme une survivante orpheline des Lespinasses… vous devez comprendre qu’il est difficile pour elle de trouver le temps de vous rencontrer comme cela. »

C’est vrai. Lelia ne s’était pas réincarnée en un citoyen ordinaire de la République d’Alzer — elle était née de nouveau dans la famille Lespinasse, autrefois haut placée, en tant que petite sœur jumelle de Noëlle. Elle et Noëlle étaient les seules survivantes après la disparition de la maison, et elle était de plus en plus préoccupée depuis que cela avait été rendu public.

« Oui, mais moi aussi je suis occupée, vous savez ! » Marie se fâcha. « Je veux me dépêcher de rentrer et de commencer à préparer le dîner. À ce rythme, Julius va se remettre à cuisiner des brochettes à la place. On vient littéralement d’en manger ! J’ai besoin d’autre chose avant de devenir folle ! »

Julius était toujours à l’affût d’une occasion de « préparer le dîner », ce qui n’était en fait que son excuse pour faire des brochettes. Et ce n’était pas le cas une ou deux fois par mois. Il était tellement obsédé par le fait de les manger qu’il en voulait pratiquement tous les jours. Marie et moi en étions malades. Bien sûr, c’était gentil de sa part de faire un repas pour tout le monde. Et à sa décharge, il nettoyait après son passage… ou plutôt, il se fâchait avec quiconque essayait de toucher à ses ustensiles de cuisine, alors nous n’avions pas d’autre choix que de le laisser s’en occuper. C’était un énorme progrès par rapport à sa conduite précédente, qui se résumait à n’aider à aucune des corvées. Même s’il aidait à toutes les tâches sous le soleil, cela ne rendrait pas Marie et moi plus désireux de manger des brochettes tous les jours.

Déconcerté par l’emportement soudain de Marie, le professeur Clément réitéra ses excuses. « Je suis vraiment désolé, mes chéris. Monsieur Émile a dû s’occuper d’affaires plus fréquemment ces derniers temps, et Lady Lelia doit aussi quitter la maison pour cela. »

Marie soupira. « Encore Émile ? Bon, je crois qu’il ne faut pas trop s’en faire. Ils sont fiancés. »

Émile Laz Pleven était en effet le fiancé de Lelia, et l’un des amoureux du jeu. Le joueur pouvait se retrouver avec lui, même s’il avait raté un certain nombre de choses, ce qui lui permettait d’arriver à une fin sans un brusque « Game Over ». C’est pourquoi les joueurs l’ont surnommé la « Cueillette facile, Émile ». Une épithète plutôt malheureuse.

Nous avions continué notre conversation avec le professeur Clément en attendant. Après un moment, des pas avaient résonné dans le couloir — et puis la porte s’était ouverte assez violemment. Lelia se tenait sur le seuil, haletant pour reprendre sa respiration. Ses cheveux étaient coiffés de la même queue de cheval que ceux de Noëlle, mais les cheveux de Lelia étaient droits et lisses. Contrairement à ceux de sa sœur, ils étaient uniformément roses, sans ombrage blond. Les différences ne s’arrêtaient pas là, son regard était vif et scrutateur, il n’avait rien du comportement doux de Noëlle. Les deux filles étaient jumelles, donc naturellement elles se ressemblaient beaucoup, mais la poitrine de Lelia était (pour autant que je puisse dire) légèrement moins bien dotée. Je suppose que sa stature plus mince et plus petite y est pour quelque chose.

Un robot rond flottait à côté de Lelia : Ideal. Il ressemblait visiblement à Luxon, bien que ses couleurs soient diffèrents. Il avait un corps bleu et un seul œil rouge. Il l’utilisait pour nous observer, le déplaçant de haut en bas en guise de salutation.

Lelia ne nous avait accordé qu’un bref regard avant de se tourner vers le professeur Clément. « Désolée, mais je vais devoir annuler cette petite réunion. Émile est devant avec une voiture qui attend. Clément, tu viens aussi. »

« Lady Lelia ? Si je ne me trompe pas, ma chérie, j’étais sûr que vous n’aviez rien d’autre de prévu aujourd’hui ? » Il parlait comme s’il faisait office de secrétaire et gérait son emploi du temps. Il était certainement étrange qu’elle ait des plans dont il n’était pas au courant.

Marie avait bondi de sa chaise et avait pointé un doigt dans la direction de Lelia. Quand elle avait parlé, sa voix avait claqué dans l’air comme un fouet. « Ne t’avise pas de nous ignorer ! Nous avons beaucoup de choses à te dire, tu sais ! »

Oui, nous avions beaucoup de choses à discuter : notamment de l’avenir de la République d’Alzer, où se déroule l’intégralité du deuxième volet de la série de jeu vidéo otome. Nous devions également parler de Noëlle et des autres intérêts amoureux, notamment du fait que l’un d’entre eux — Serge — avait disparu. Il était membre de la maison Rault, l’une des six grandes maisons, et son futur héritier. Malheureusement, on ne savait pas où il se trouvait actuellement.

Il y avait une véritable montagne de sujets que nous devions aborder, mais Lelia semblait trop préoccupée par d’autres choses pour s’asseoir avec nous. Elle semblait également mécontente que ses plans originaux aient été perturbés, pour ce que cela vaut.

« Oui, et bien j’ai mes propres problèmes à régler en ce moment ! Et Émile m’a supplié de l’accompagner, alors… » Lelia avait jeté un coup d’œil à Ideal.

Ideal tourna son regard vers moi… non, il regardait en fait Luxon, qui s’était caché non loin. « Nous vous présentons nos plus sincères excuses. Lady Lelia n’a d’autre choix que de s’excuser de ce rendez-vous afin de protéger son statut social. »

Son statut social, hein ? Nous ne pourrions pas discuter beaucoup si sa position sociale était en jeu. Chaque personne a sa propre vie et ses propres circonstances, et peu de gens sont prêts à tout risquer, même pour une cause aussi noble que la paix dans le monde. Marie et moi ne prendrions pas ce risque, nous n’avions donc pas le droit de critiquer Lelia. Nous avions dû accepter sa décision d’annuler.

« Tu ferais mieux de te réserver du temps pour nous plus tard », avais-je insisté.

« Oui, nous ne manquerons pas de le faire, » dit Ideal. « Maintenant, Lady Lelia, Lord Émile vous attend. »

Lelia l’avait écouté à contrecœur et s’était tournée vers la porte. Elle ne semblait pas non plus très satisfaite de cet arrangement. Elle nous avait jeté un bref coup d’œil et avait dit : « Je pars maintenant, mais continuez à chercher Serge, d’accord ? »

Marie avait mis une main sur sa hanche et avait poussé Lelia vers la porte avec l’autre. « Nous avons déjà compris. Dépêche-toi d’aller voir Émile. »

Le professeur Clément nous avait présenté de nouvelles excuses après que Lelia ait disparu par la porte, se sentant clairement mal d’avoir fait perdre de notre temps. Ce n’était pas la première fois qu’elle nous posait un lapin, et ce ne serait certainement pas la dernière, nous étions atrocement conscients de la difficulté de nous consulter comme nous en avions besoin.

+++

Partie 2

Marie et moi étions les seuls passagers du tramway qui nous ramenait chez nous. L’intérieur du tram était assez bien éclairé, mais il faisait de plus en plus sombre dehors. La nuit tombait déjà sur nous.

Marie était toujours grincheuse parce que Lelia n’avait pas assisté à notre réunion. Elle avait compris que les circonstances étaient indépendantes de la volonté de Lelia, mais cela ne l’empêchait pas d’être ouvertement mécontente. « Comment se fait-il que nous devions recevoir des ordres d’elle, hein !? Ce n’est pas elle qui a fait copain-copain avec Serge au départ ? Nous ne sommes pas ses petits serviteurs ! »

J’avais haussé les épaules. « C’est comme ça que ça se passe. Elle a son image à défendre. Tu comprends ça, hein ? »

« Je veux dire, je le comprends, mais… »

Le statut social n’était pas quelque chose à sous-estimer. Bien sûr, la fiction s’en moquait souvent, mais c’était un élément essentiel de la réalité. Peut-être pas tant pour la star de la série, mais pour les personnages de second plan comme nous ? Nous ne pouvions pas vivre nos vies sans tenir compte de la hiérarchie. Le Japon n’était pas différent avec ses classes sociales, mais ce monde était à des lieues derrière le Japon dans un sens culturel. Le statut était encore plus important ici.

« Alors ça ne te fait pas chier ? » demanda Marie.

« Bien sûr que oui, mais je suis plus mature que toi, alors je ne le laisse pas paraître. Bref, Luxon, c’est un peu bizarre que tu cherches Serge depuis tout ce temps et que tu ne l’aies pas trouvé. C’est quoi le problème ? »

Luxon et Ideal étaient censés le rechercher, mais le temps avait passé depuis le début du troisième trimestre, et ils n’avaient trouvé aucune trace de Serge. Luxon se camoufla en répondant : « Soit il a déjà fui le pays, soit il se cache quelque part sans qu’on le remarque. »

Ce serait très embêtant si Serge avait quitté les frontières de la République, mais même si ce n’était pas le cas, il était troublant qu’il ait échappé à la vigilance d’Ideal et de Luxon. Serge était un peu un enfant sauvage dans le jeu. Il admirait les aventuriers et rêvait d’en être un lui-même. Peut-être que le décrire comme un « enfant sauvage » le rendait attachant, mais ne vous méprenez pas. De la façon dont je l’avais vu, il était une personnalité violente et déséquilibrée.

Marie s’était réveillée, intriguée par notre échange. « De quoi parlez-vous ? »

« À propos de Serge. Tu sais, je pourrais comprendre si Monsieur Albergue était un être humain terrible et que cela avait rendu Serge si tordu, mais je connais cette personne. Il a l’air d’être un type bien. »

« Aussi discutables que soient tes critères, je suis d’accord. C’est bizarre. Serge me semble bien trop hostile. Et autre chose ! Il était si fort en combat dans le jeu, mais quelqu’un comme toi arrive et le met à terre d’un seul coup de poing ? C’est très désagréable. »

« Hé, attends. Quelle piètre opinion as-tu de moi, hein ? J’aimerais te rappeler que j’étais le fils d’une pauvre maison noble. Sais-tu à quel point j’ai dû me battre pour arriver là où je suis ? »

Ça n’en avait peut-être pas l’air, mais j’avais versé mon sang, ma sueur et mes larmes pour rester à flot à l’académie. Il y avait des événements pratiquement tous les jours, et les gars comme moi devaient envoyer aux filles un flot constant de cadeaux. Nous, pauvres garçons nobles, étions obligés de faire des explorations dans les donjons pour trouver assez d’argent pour nous les offrir : Plus on s’aventurait loin dans un donjon, plus il était dangereux et plus on pouvait se remplir les poches de pièces. Nous devions faire équipe pour pouvoir nous y rendre en toute sécurité et encaisser l’argent. Et tout ça pour quoi ? Le mariage ! Ce n’était pas une blague de dire que j’avais littéralement versé du sang pour accomplir mon devoir. J’avais envie de pleurer rien qu’en y pensant.

« Mais les filles ont vendu tous ces cadeaux à des prêteurs sur gage », avait déclaré Marie.

« Oui, je suis bien conscient. J’ai versé beaucoup de larmes avec mes amis sur le fait. Ce que je veux dire, c’est que contrairement à Serge, je ne suis pas parti à l’aventure pour m’amuser ! » C’était tout le contraire, en fait. Je l’avais fait pour maintenir mon statut et me marier ! C’est une raison assez pathétique, maintenant que j’y pense.

Marie semblait ennuyée par mon petit discours. Elle était plus préoccupée par la pitié qu’elle éprouvait pour Serge. « C’était un peu cruel de ta part de l’assommer d’un seul coup comme ça, tu ne trouves pas ? Les hommes sont si pénibles quand leur fierté est brisée. Parce que c’est tout ce qu’ils ont — leur fierté. »

« Tu n’as pas à parler des hommes comme ça », avais-je grommelé.

« Oh ? Je pense que j’en sais beaucoup plus sur eux que toi. La plupart des hommes mettent toute leur fierté dans des choses stupides. Cela les rend faciles à manipuler. »

Tu as oublié la partie où tu t’es fait avoir par un de ces hommes, n’est-ce pas ? Je n’avais pas pu m’empêcher de rire en pensant à l’ironie de tout ça.

Mon humour avait semblé irriter Marie, qui m’avait lancé un regard noir. « As-tu quelque chose à dire ? »

« Pas vraiment. C’était incroyablement instructif, c’est tout — se faire instruire par une femme si sûre de sa connaissance des hommes. Une femme qui s’est mise dans une situation désastreuse à cause d’un homme, rien que ça. »

« Tu sais exactement comment me contrarier, espèce de gros lâche sans envergure ! »

« Continue et je te coupe les vivres », avais-je menacé. C’était mon dernier recours pour m’esquiver de ce qui aurait pu être une querelle ennuyeuse.

Marie s’effondra sur le sol, se prosternant. « Oh, sage et courageux frère aîné ! Je t’en prie, je t’en supplie, ne me coupe pas les vivres ! Je ne peux pas sérieusement vivre sans ton aide. Les cinq crétins mis à part, je ne pouvais pas supporter de laisser Kyle et Carla en plan. Je t’en supplie, Grand Frère ! Aide-moi ! »

J’avais la fâcheuse habitude d’ignorer les appels à l’aide. La souffrance de Marie ne m’empêcherait guère de dormir la nuit, mais je voulais éviter de causer des ennuis à Kyle et Carla. Et pour les cinq crétins ? Ils étaient comme des cafards. Ils trouveraient un moyen de s’en sortir même si je les laissais mourir.

« Content de voir que tu comprends ta place », avais-je dit avec un petit rire noir.

Marie grogna dans son souffle. Ce retournement de situation l’avait laissée vexée.

Après avoir assisté à notre échange, Luxon avait fait une de ses blagues habituelles. « Je vois que ton faible pour Marie n’a pas changé du tout, Maître. »

« J’essaie d’être gentil avec tout le monde, à peu près. »

« Je ne suis pas sûr que ce soit considéré comme “gentil” de continuer à frapper un ennemi vaincu jusqu’à ce que sa fierté soit en lambeaux. Serge t’en veut pour cela, sans doute, » dit Luxon.

« Hé, en ce qui me concerne, c’est sa faute s’il a perdu. »

« Des mots impressionnants pour quelqu’un qui a emprunté mon pouvoir pour gagner. Ne trouves-tu pas ça sournois ? »

J’avais secoué la tête. « Pas le moins du monde. D’ailleurs, je crois me souvenir que quelqu’un m’a déjà dit quelque chose… comme quoi être sournois est un compliment. »

« Je suis sûr que d’autres personnes seraient révoltées d’entendre ça, surtout si c’est toi qui le dis. »

« Haha ! Même si je suis une personne si gentille !? »

Marie avait fait une grimace, comme pour dire : « Quel genre d’absurdités débites-tu en ce moment ? ». J’avais choisi de l’ignorer.

Le tram s’était finalement arrêté à la station proche du domaine, et nous étions descendus.

 

☆☆☆

 

Marie vivait dans une somptueuse propriété, ici en République. J’avais dormi là-bas avec elle, principalement parce qu’il ne restait plus beaucoup de temps avant la fin de notre séjour, mais aussi parce que garder une résidence séparée était un peu difficile de nos jours.

Au moment où nous étions entrés dans le manoir, Mlle Yumeria s’était précipitée vers moi en toute hâte. « Bienvenue à la maison, Monsieur Léon — aaah ! » Elle était tellement pressée qu’elle avait trébuché et s’était écrasée sur le sol, envoyant ses deux jambes en l’air. Cela avait l’air plutôt douloureux.

« Vas-tu bien ? » avais-je demandé, inquiet.

Ses joues avaient rougi. Elle avait baissé la tête, les yeux embués, et avait lâché : « Je vais bi… en. »

Mlle Yumeria, qui avait faussé son énonciation avec toute la grâce adorable de sa chute, était une petite femme elfe à la poitrine généreuse. Elle avait l’air assez jeune de l’extérieur, pratiquement le même âge que nous, mais elle avait déjà un enfant à elle. Ses yeux étaient d’une douce couleur ambrée, et ses longues oreilles pointues perçaient le rideau de cheveux verts raides qui encadrait son visage. Malgré sa maladresse, c’était une fille… euh, une femme attachante et belle.

« Il n’y a pas besoin de se précipiter comme ça », l’avais-je rassurée.

Elle avait souri avec reconnaissance. À côté de moi, Marie s’était moquée : « Hmph ! Tu es bien trop gentil et chaleureux avec elle, hein ? » Elle n’avait pas cherché à cacher son mécontentement.

Qu’est-ce qu’il y a de mal à être agréable et chaleureux ?

Le vacarme à l’entrée avait attiré l’attention de notre autre femme de chambre, une qu’Angie avait spécialement envoyée ici depuis le domaine de son père : Miss Cordelia. Ses yeux étaient perpétuellement en train de tout juger derrière ses lunettes, mais c’était aussi une beauté.

« Bienvenue, Comte, » salua Miss Cordelia.

« C’est bon d’être de retour. »

Elle était très professionnelle, contrairement à Mlle Yumeria, et aussi plutôt froide. Elle n’avait pas la meilleure opinion de moi, j’avais donc supposé que sa froideur était liée à cela.

Marie avait glissé de son manteau et avait redressé son cou, balayant la zone. « Hein ? Où est Kyle ? » Le beau garçon demi-elfe devait normalement nous accueillir avec les autres, son absence était donc curieuse.

Mlle Yumeria avait pressé ses mains sur le bout de son nez meurtri en répondant : « Si vous le cherchez, je crois qu’il est dans l’entrepôt derrière. »

+++

Partie 3

Dans l’entrepôt derrière le domaine se trouvait une armure avec un genou à terre. Cette combinaison motorisée était une arme à forme humaine qui pouvait voler dans le ciel. Ce n’était pas la seule, toutes les armes que Julius et les autres avaient utilisées auparavant étaient rangées là-dedans avec Arroganz. Depuis son arrivée dans la République d’Alzer, le groupe avait été impliqué dans un certain nombre de conflits. Pour être plus précis, Léon avait provoqué un certain nombre de conflits. C’est pourquoi, dans un but d’autodéfense, ils avaient choisi de garder ces Armures à proximité. C’était la preuve de la précarité de leur situation actuelle.

Un garçon se tenait devant l’une de ces Armures — un demi-elfe du nom de Kyle. Il avait des cheveux blonds courts et légèrement bouclés et les mêmes longues oreilles d’elfe que sa mère, Yumeria. Superficiellement, il ressemblait à un beau jeune garçon avec les mêmes caractéristiques que n’importe quel elfe. Si Marie l’avait employé malgré son jeune âge, c’est en partie parce qu’en tant que demi-elfe, il n’avait nulle part où aller.

Kyle avait posé sa main sur l’Arroganz à genoux, comme s’il avait l’intention de grimper jusqu’au cockpit.

« C’est inutile », déclara une voix derrière lui depuis la porte ouverte de l’entrepôt.

« Gwah !? » Paniqué, il se retourna. Un masque de sueur froide se forma sur son visage lorsqu’il reconnut Luxon, qui était littéralement apparu de nulle part. Il réalisa qu’il ressemblait à un enfant qui aurait été pris la main dans le sac. « Je n’ai rien fait ! »

« C’est un mensonge. Vous essayiez de grimper dans Arroganz, » dit le robot.

Léon et Marie se tenaient derrière Luxon, avec la mère de Kyle, Yumeria, et Cordélia. Léon avait jeté un coup d’œil au garçon et avait gloussé. « Hmm, donc je suppose que tu es comme n’importe quel autre garçon après tout. Tu veux faire un tour à Arroganz, hein ? » Kyle pouvait voir au sourire de Léon qu’il le taquinait.

Marie, quant à elle, semblait totalement perplexe face à ce qu’elle voyait. « Les garçons sont tellement stupides. Est-ce que se balader dans un gros robot est vraiment si amusant ? »

Kyle avait été déstabilisé par l’apparition de sa maîtresse. Il avait frénétiquement corrigé sa posture. « Bienvenue à la maison, Maîtresse. »

« Oui, bien sûr. Tu sais, si tu veux le monter à ce point, tu devrais juste dire quelque chose à mon frère — je veux dire à Léon. » Elle n’avait montré aucun signe de réprimande, donc c’était bien. Léon non plus, même s’il était plus qu’heureux de se moquer de Kyle pour cette nouvelle découverte.

« Tu as de bons instincts, tu veux monter Arroganz. Veux-tu essayer de faire un tour ? »

Kyle ne doutait pas que Léon l’autoriserait s’il le demandait, mais il n’arrivait pas à trouver le courage de le demander sérieusement. « Je ne suis pas particulièrement intéressé à le monter ou quoi que ce soit. »

L’un d’entre eux ne pouvait pas rester sans rien faire, l’expression de Cordélia se durcit et elle déclara : « Les armures sont des armes extrêmement précieuses pour les chevaliers et les nobles. Il est impensable qu’un serviteur mette la main sur quelque chose d’aussi précieux sans raison ni égard. Je suppose que vous êtes prêt à assumer les conséquences de vos actes ? »

Des conséquences ? Non, Kyle était loin d’être prêt à faire face à quelque chose de ce genre. Il était assez sage pour savoir que Marie et Léon ne s’énerveraient pas contre lui pour une petite chose comme toucher l’Armure. Léon ne semblait pas du tout en colère, il souriait.

« Je ne vais pas dégainer mon épée et le frapper pour quelque chose d’aussi trivial que ça, » dit Léon. « Je parie que ça lui ferait plaisir d’aller faire un tour. Hé, Luxon, ouvre le cockpit. »

Cordélia n’avait pas eu l’air très satisfaite de l’empressement de Léon à pardonner l’offense, mais elle s’était tue. Elle avait dû comprendre qu’il était inutile de pousser le problème plus loin.

Kyle était sincèrement heureux qu’on lui propose cela, mais il ne pouvait pas le laisser paraître sur son visage — cela blesserait trop sa fierté. Sa personnalité était un peu tumultueuse dans ce domaine, et sa réaction instinctive était l’hostilité. « Je n’ai jamais dit que je voulais aller dedans », s’emporta-t-il.

Marie se tourna vers Léon, sentant les vrais sentiments de Kyle. « Laisse-le monter, d’accord ? »

Luxon avait tout arrêté lorsqu’il avait soudainement déclaré : « Je refuse. »

« … Hein ? » s’exclama Kyle. Il regrettait instantanément d’avoir laissé passer cette chance, mais il faisait de son mieux pour garder un visage vide afin de ne pas laisser transparaître sa déception. « Pourquoi refusez-vous ? » Sa voix l’avait trahi, craquant au fur et à mesure qu’il posait la question.

« Un elfe est incapable de piloter une armure. La façon dont les elfes manipulent la magie est complètement différente de celle des humains, pour commencer. Arroganz — ainsi que les autres Armures ici — ont toutes été conçues pour des pilotes humains. »

Cela avait donné à Kyle une petite étincelle d’espoir. « Mais je ne suis qu’à moitié », avait-il dit.

« Cela ne change rien. Non, en fait, ça ne fait qu’empirer les choses. La magie circule différemment chez les humains et les elfes. Même en supposant que je crée une armure spécialement pour les elfes, les chances qu’ils soient capables de la piloter sont très faibles. »

Kyle était comme tous les autres garçons, il voulait lui aussi piloter une armure au combat. Cela lui brisait le cœur de voir ce rêve brisé. Il avait baissé la tête, les larmes coulèrent.

Agacé, Léon se retourna contre Luxon. « Hey ! Tu aurais pu être plus gentil avec ça ! »

« Arroganz a été conçu spécialement pour toi. Je te serais reconnaissant de ne pas offrir le siège de pilote aux autres si facilement. » Les rôles étaient inversés. Maintenant, Luxon était celui qui grondait Léon.

Cordélia marmonna dans son souffle : « Je suis d’accord avec l’objet rond. »

Yumeria s’était aventurée plus près, inquiète de son fils découragé. « Kyle… Je pense que tu devrais t’excuser. Le Seigneur Léon a été assez gentil pour te pardonner cette erreur, mais n’importe quel autre noble aurait eu ta tête pour ça. »

D’habitude, Yumeria était celle qui se trompait tout le temps, mais elle avait soulevé un point raisonnable ici. Kyle l’avait toujours trouvée trop naïve et peu fiable, ce qui rendait sa remontrance à son égard d’autant plus embarrassante. Il se détourna d’elle et lui déclara : « C’est toi qui fais toujours des erreurs. »

« Kyle ? » Le sourcil de Yumeria s’était froncé.

« Tu ne peux même pas prendre soin de toi correctement. Tu n’as pas à me faire la morale ! »

Les yeux de Yumeria s’étaient rétrécis. « Kyle, il ne s’agit pas de moi pour le moment. Tu dois t’excuser. Tu as fait ça uniquement parce que tu pensais qu’ils laisseraient passer, n’est-ce pas ? Tu te plains toujours du fait que je prends leur gentillesse pour acquise, alors tu n’as pas le droit d’adopter cette attitude. »

Léon et Marie s’étaient tus pendant que Yumeria grondait son fils. Cordélia semblait prendre Kyle pour un enfant pleurnichard. Ses lèvres étaient restées pincées alors qu’elle surveillait la situation, tandis que ses yeux semblaient plus froids que d’habitude.

Kyle était trop embarrassé et avait trop de fierté dans son travail pour accepter les mots de sa mère avec contrition. Il s’en était pris à elle en disant : « Peut-être que j’écouterai ce que tu as à dire quand tu seras plus compétente que moi dans ton travail. De toute façon, pourrais-tu arrêter de traîner notre relation personnelle sur le lieu de travail ? C’est agaçant. »

« Kyle ! » Yumeria cria en tendant la main pour attraper son fils par le bras. Kyle l’avait rapidement secouée.

« C’est un peu tard pour que tu agisses comme une mère et que tu me grondes maintenant ! Surtout que tu es complètement démunie sans moi ! »

Yumeria avait retenu son souffle, incapable d’argumenter. Kyle connaissait le point sensible parfait à atteindre. Il savait à quel point elle se sentait mal à cause de son incapacité à les soutenir tous les deux et qu’elle lui causait tant d’angoisse en conséquence. C’était un garçon intelligent. Elle n’avait pas besoin de dire un mot pour qu’il le comprenne.

Yumeria s’était tue et avait baissé la tête, mais Kyle n’était pas prêt à la laisser s’en tirer à bon compte. « Veux-tu me faire la morale à ce point ? Alors, essaie d’agir comme une vraie mère pour changer. Vu comment tu es maintenant, j’ai trop honte de te considérer comme une mère ! »

Ses mots étaient comme des couteaux qui s’enfonçaient dans son cœur. Son visage s’était progressivement vidé de ses couleurs tandis que le désespoir s’installait. La culpabilité avait frappé Kyle comme un rocher sur la poitrine, un poids écrasant, mais il n’avait toujours pas la maturité nécessaire pour s’excuser.

« Excusez-moi, je retourne à mes occupations », dit-il en sortant de l’entrepôt aussi vite que ses pieds le lui permettaient.

 

☆☆☆

 

Après avoir regardé cette épreuve, je m’étais gratté la tête. Les disputes entre parents et enfants faisaient remonter à la surface des souvenirs de ma vie antérieure, que j’aurais préféré garder pour moi — Marie et moi étions morts avant nos parents, et aucun de nous n’avait été un bon enfant pour eux. Je voulais autant que quiconque que Mlle Yumeria et Kyle prennent un chemin différent et fassent la paix… mais ils n’étaient pas le seul problème.

« Luxon, c’est ta faute si la situation a empiré. Tout ce que tu avais à faire était de le laisser s’asseoir dans le siège du pilote. Et je parie qu’il aurait été satisfait. » Si nous l’avions fait entrer dans le cockpit plus tôt, rien de tout cela ne serait arrivé.

Non seulement Luxon avait refusé d’accepter la faute, mais il l’avait retournée contre moi. « Es-tu vraiment certain que ce serait une bonne idée ? »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » avais-je demandé.

« Kyle est un enfant selon les vues de ce monde, ce qui signifie qu’il est quelqu’un que tu es censé protéger. Penses-tu vraiment qu’il serait sage de laisser un enfant piloter Arroganz ? De plus, il semble que tu aies oublié qu’Arroganz est une Armure que j’ai créée. »

J’avais finalement réalisé à quel point j’avais été négligent. En regardant Arroganz, je m’étais rappelé pourquoi Luxon avait créé cette armure pour moi en premier lieu. Non, ce n’était même pas seulement Arroganz. Toutes les Armures étaient faites dans un seul but : la bataille. C’était des armes. Ce n’était pas des jouets pour les enfants.

« Kyle considère Arroganz avec la fascination d’un enfant. Il ne possède pas le statut de noble, ni la mentalité qu’une telle position exige. Il n’a pas besoin de se battre, » poursuit Luxon.

Marie acquiesça. « S’il peut vivre sa vie sans voir de bataille, tant mieux. Je comprends ce que tu veux dire… Je vais lui parler et le convaincre de renoncer à son rêve de devenir pilote. Ne t’en veux pas, Mlle Yumeria. »

J’avais suivi le regard de Marie jusqu’à Mlle Yumeria, dont les yeux restaient rivés sur le sol. Les larmes qui roulaient sur ses joues m’indiquaient que le choc des paroles de Kyle n’était toujours pas amorti. Miss Cordélia s’était mise à ses côtés et essayait de la consoler.

« Vous n’avez pas à vous inquiéter. Il est simplement entré dans la phase de rébellion, comme le font souvent les garçons de son âge. Il essaie de jouer les durs et les matures, mais c’est encore un enfant. » Elle était bien plus gentille avec Mlle Yumeria que je ne l’avais jamais vue. J’aimerais qu’elle puisse avoir un peu de cette compassion pour moi.

Mlle Yumeria avait secoué la tête. « C’est ma faute, je n’ai pas été une bonne mère pour lui. » Le reste d’entre nous s’était tu tandis que ses larmes coulaient encore plus vite. « Je suis tellement empotée et crédule en plus. Je suis sûre que Kyle pense que je ne suis pas du tout fiable et que je lui cause toujours des problèmes. Je suis sûre qu’il se débrouillerait très bien sans moi. Non, peut-être qu’il serait mieux sans moi. »

Kyle avait ses problèmes, mais Mlle Yumeria aussi : elle semblait se considérer comme un échec en tant que parent.

« Ce n’est pas vrai du tout. Il est juste inquiet pour toi », avais-je dit.

« Alors, raison de plus. Je n’aurais jamais dû venir ici. Je n’ai fait que me mettre en danger. » Miss Yumeria était venue ici parce qu’elle s’inquiétait pour Kyle, mais maintenant qu’elle pense qu’il n’avait pas du tout besoin d’elle, elle était complètement découragée.

J’étais moi-même un enfant assez normal, au Japon, et j’avais causé à mes parents pas mal de problèmes. Je n’étais pas aussi mauvais que Kyle, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me voir en lui. Honnêtement, je voulais aider à arranger les choses entre eux, mais il semblait que d’autres problèmes se présentaient constamment à moi avant que j’en aie l’occasion.

 

☆☆☆

 

Ce soir-là, une fois son travail terminé, Yumeria enfila ses vêtements de nuit. Elle récupère la jeune pousse de l’arbre sacré, bien calée dans son étui transparent, avant de se rendre dans le jardin. Elle se trouva un siège sur un banc et elle se mit à réfléchir à ce qui s’était passé plus tôt : depuis que Kyle l’avait pratiquement repoussée dans l’entrepôt, elle n’avait pas réussi à se racheter.

« Je dois vraiment être une personne horrible. » Elle avait forcé un sourire troublé alors que des larmes coulaient dans ses yeux.

Kyle était le seul parent de Yumeria dans le monde. Tous les autres qui avaient été associés à elle l’évitaient ou l’excluaient complètement à cause de ses caractéristiques particulières. Bien qu’imperceptible pour les humains, les elfes pouvaient sentir la couleur du mana d’une personne, et le mana de Yumeria laissait une impression diluée et impure. Les elfes l’évitaient et la traitaient de dégoûtante à cause de cela. Kyle était la chose la plus importante dans son univers, car il était pareil, le seul comme elle. Ce fut un choc énorme d’apprendre qu’il avait trop honte pour la considérer comme sa mère.

Yumeria s’était recroquevillée sur elle-même, les bras se resserrant autour de l’étui de la jeune pousse.

« Bonsoir, » dit une voix.

« Hein ? »

Lorsqu’elle releva la tête, elle aperçut Luxon — non, Ideal, celui qui tournait toujours autour de Lelia.

+++

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Claramiel

Bonjour, Alors que dire sur moi, Je suis Clarisse.

Laisser un commentaire