Wortenia Senki – Tome 9 – Chapitre 5

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Chapitre 5 : Deux face d’une même pièce

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Chapitre 5 : Deux face d’une même pièce

Partie 1

« Êtes-vous le messager d’O’ltormea ? Je ne vous ai jamais vu auparavant. Vous avez dit que votre nom était… Sudou ? »

Un silence étouffant planait sur la salle d’audience. Julianus Ier, assis sur son trône, regardait l’homme d’âge moyen agenouillé devant lui avec un mélange de pitié et de mépris. C’était le moment le plus doux qu’un pays qui avait dû tolérer l’infériorité et la faiblesse pendant si longtemps pouvait désirer.

Un renversement des rôles. Le sentiment de supériorité, d’être en position dominante, d’être fort, remplissait le cœur de Julianus Ier comme un doux hydromel.

« Oui, Votre Majesté. C’est un honneur d’être en votre présence. »

« Alors que venez-vous faire ici ? Êtes-vous venu exiger que nous nous rendions une fois de plus ? », demanda Julianus I, l’ironie amère dans sa voix étant évidente.

Il y a seulement quelques jours, Xarooda avait été informé que Fort Notis était tombé aux mains de Ryoma Mikoshiba. Leur base ayant été rasée, les forces d’invasion d’O’ltormea s’étaient retrouvées sans base d’approvisionnement. En conséquence, leur ligne de ravitaillement avait été coupée au milieu de leur assaut sur Fort Ushas, les laissant isolés dans le territoire de Xaroodia. Des dizaines de milliers de soldats et d’officiers d’O’ltormea s’étaient retrouvés piégés.

Toute armée, quelle que soit sa taille, ne pouvait pas fonctionner si elle était isolée de sa patrie. Des officiers entraînés pouvaient sans doute bien gérer, mais des conscrits sans instruction et des mercenaires opportunistes se démoraliseraient naturellement.

Dans cette situation, un appel à la reddition était la dernière chose qu’O'lormea demanderait à Julianus I. Le fait qu’il l’ait mentionné à Sudou n’était rien d’autre que du sarcasme vitriolique.

Sudou, bien sûr, avait bien senti les émotions du roi. Cela ne susciterait aucune colère chez lui. Il avait simplement relevé la tête calmement et avait parlé au bouffon pathétique assis en face de lui.

« Bien sûr que non, Votre Majesté. Une demande de reddition ? Non… »

Sudou secoua la tête, comme si la perspective était absurde.

« Alors pourquoi êtes-vous venu ici ? Sûrement pas pour discuter autour d’un thé, j’imagine. Votre camp n’a pas le temps pour les plaisanteries en ce moment. »

L’arrogance semblait dégouliner de temps à autre du ton de la voix du roi. Sudou avait simplement considéré ses paroles avec un sourire sardonique. Il n’avait gagné qu’une bataille à Fort Notis. Mais la signification de cette victoire était claire pour tous.

Jusqu’à présent, O’ltormea avait pris le dessus dans cette guerre. Ils décidaient où et quand attaquer. Ce droit de choisir leur donnait un contrôle total sur la direction que prendrait ce conflit. Mais maintenant que Fort Notis était tombé, O’ltormea avait effectivement changé de position avec Helnesgoula, le leader de l’union des quatre royaumes.

La guerre n’avait pourtant pas encore été complètement résolue, mais Xarooda avait été momentanément sauvé de cette position difficile. En voyant Julianus Ier s’efforcer de retenir son exaltation devant ce développement, Sudou étouffa désespérément un petit rire.

Quel homme stupide… ! C’est le plus grand bouffon qu’il n’ait jamais existé. Tu n’as même pas gagné cette victoire par toi-même…

C’est vrai, Xarooda avait reçu un mince d’espoir auquel s’accrocher. Étant donné que l’Empire avait empiété librement sur leurs terres jusqu’à présent, couper l’armée d’invasion de sa ligne de ravitaillement était en fait un retournement de situation.

Mais cela n’avait pas résolu tous leurs problèmes pour le moment. En fait, malgré la résolution de quelques-uns de leurs problèmes, il leur restait encore un grand nombre de problèmes à résoudre. Et le problème le plus handicapant de tous était que Xarooda ne se sortait pas tout seul de cette impasse.

Faisons-lui comprendre dans quelle position se trouve vraiment Xarooda.

Il est vrai qu’ils avaient renversé la situation avec O’ltormea, et que l’armée d’invasion était actuellement en grande difficulté. Mais ce n’était qu’une situation temporaire.

« Je suis venu devant vous aujourd’hui dans l’espoir de mettre fin à cette malheureuse guerre », dit Sudou en ponctuant chaque mot, comme s’il essayait d’expliquer quelque chose à un enfant ignorant.

« Quoi ? »

Julianus I fronça les sourcils, ne comprenant pas bien où Sudou voulait en venir.

« En résumé, l’Empire d’O’ltormea veut faire la paix avec Xarooda. »

Au moment où le mot « paix » quitta les lèvres de Sudou, Grahalt, qui se tenait aux côtés de Julianus I, fit exploser une grosse soif de sang. Un blizzard de haine souffla sur la peau de Sudou. Cependant, il s’agissait d’une réaction essentiellement inconsciente. Si Grahalt avait vraiment été enragé, il aurait plutôt tiré son épée. Julianus Ier, assis sur son trône, ne montra aussi aucun signe de colère.

Je suppose qu’il n’est pas assez stupide pour me presser rageusement ici…

Contrairement aux informations que Sudou avait recueillies avant de venir ici, il avait trouvé que Grahalt et Julianus Ier étaient plutôt calmes.

Julianus I et ce Grahalt Henschel sont tous deux étonnamment calmes. Il devrait y avoir de la place pour des négociations si c’est le cas.

L’offre de paix était apparue de manière assez soudaine étant donné que l’Empire d’O’ltormea était l’agresseur dans cette guerre. Il était naturel que Grahalt soit en colère, puisque c’était son royaume qui avait été empiété et constamment piétiné jusqu’à présent.

Le fait qu’il ait pu garder une façade calme était la preuve de son impressionnante maîtrise de soi. Il s’était rendu compte qu’aussi furieux qu’il fût, s’emporter ne servirait à rien. Et quelqu’un qui savait cela pouvait permettre des négociations.

S’il avait dégainé son sabre et m’avait chargé, les négociations n’auraient pas eu lieu.

Sudou était convaincu que sa victoire était assurée tant qu’il pouvait raisonner l’autre partie.

« Mes excuses, mais je ne comprends pas bien où vous voulez en venir. Quel est le sens de tout ceci ? », demanda Julianus I.

« C’est exactement comme je l’ai dit, Votre Majesté. L’Empire d’O’ltormea cherche à faire une paix temporaire avec votre royaume. »

Une lumière inébranlable persista dans ses yeux.

« Vous êtes… sérieux. »

Sentant que Sudou ne mentait pas, Julianus I poussa un lourd soupir.

Il était submergé par l’exaspération. Le fait d’envahir un pays sans aucun scrupule pour ensuite venir chercher la paix une fois que la situation s’était dégradée fit en sorte que la colère de Julianus dépassa les limites et s’était transformée en choc.

« Avez-vous oublié comment cette guerre a commencé ? », demanda Julianus I lui en levant un sourcil.

« Bien sûr, Votre Majesté. Elle a commencé par l’invasion de votre pays par le mien », répondit Sudou sans ambages.

Sudou avait prédit que Julianus en dirait autant. Si ses nerfs étaient assez fragiles pour vaciller à cause de cela, il ne serait pas capable de mener des négociations diplomatiques. L’important était de maintenir une confiance qui frisait l’arrogance.

« Et sachant cela, votre pays vient à moi, demandant la paix… ? »

Une lumière de volonté ferme et inébranlable persistait dans le regard de Sudou. Julianus, en revanche, était envahi par une étrange sensation qui avait assombri son cœur. Quelque chose dans l’attitude de Sudou le rendait anxieux.

« Espèces d’idiots effrontés… »

Sudou entendit les mots glisser des lèvres de Grahalt avant qu’il ne puisse les arrêter.

« Et vous pensez sérieusement que nous allons prêter attention à votre offre ? », demanda Julianus I.

Si cela s’était passé il y a quelques mois, Julianus se serait jeté sur cette opportunité. Mais maintenant, la balance de la guerre penchait en faveur de Xarooda. Il n’avait aucune raison d’accepter cette offre. Sudou ne semblait cependant pas gêné par sa réponse, et répondit avec un sourire.

« Oui. Je comprends la situation difficile de votre pays, Votre Majesté, et c’est pourquoi je suis convaincu que vous accepterez notre offre. »

« Que voulez-vous dire ? »

« Exactement ce que j’ai dit. J’aimerais beaucoup tendre une main secourable à votre pays. »

L’attitude de Sudou était ridiculement hautaine, au point de paraître scandaleuse. Cela avait atteint un tel niveau que Julianus avait carrément oublié de lui crier dessus et s’était tu. L’idée que quelqu’un puisse agir avec autant de condescendance envers le roi d’un pays était tout à fait inimaginable.

Mais malgré cela, Julianus ne pouvait pas se résoudre à ordonner à ses soldats de décapiter cet insolent. Peut-être l’instinct de survie d’un fou lâche l’avait-il alerté, lui accordant un sentiment de sinistre prémonition.

« Pour commencer, ne seriez-vous pas en train de vous tromper, Votre Majesté… ? »

Les lèvres de Sudou s’étaient retroussées en un rictus méchant.

« Vous semblez croire que vous êtes en position dominante. »

Un rictus se dessina sur son visage, prenant en pitié un imbécile qui ne savait pas où était sa place.

« Vous insinuez que je ne le suis pas ? Votre armée est isolée de votre territoire, piégée et coincée sur nos terres. Considérant que l’attaque-surprise de mes forces a coupé votre ligne d’approvisionnement, je suppose que votre armée devrait être en train de rationner le peu de nourriture qui lui reste en ce moment même. »

Julianus essaya de garder son calme, même si l’anxiété induite par Sudou lui rongeait le cœur.

« Ils n’ont pas de nourriture, pas d’armes de rechange. Peu importe la taille de votre armée, elle est impuissante en pratique. »

« C’est un fait, je vous l’accorde. Comme vous le dites, notre armée va s’affaiblir d’ici peu. Mais si vous pensez que cela vous place dans une position de supériorité, Votre Majesté, je crains que vous ne vous trompiez. », acquiesça Sudou.

C’est le moment décisif…

Toutes négociations avaient un déroulement, et l’expérience de Sudou lui disait que c’était le moment décisif.

« Pour commencer, Votre Majesté, comment comptez-vous mettre fin à cette guerre ? Croyez-vous vraiment que vous serez capable de détruire l’Empire ? »

« Quoi ? »

Julianus fronça les sourcils en signe de confusion.

« Ma question est simple, Votre Altesse. Il y a trois façons de mettre fin à une guerre. Soit vous battez votre ennemi au sol et l’éradiquez, soit vous perdez contre votre ennemi et périssez, soit vous négociez la paix avant la fin de la guerre. Maintenant, parmi ces trois options, comment comptez-vous terminer cette guerre ? »

Soit il gagnait, soit il perdait, soit il admettait un match nul. En vérité, il y avait plus de façons de mettre fin à une guerre, mais de façon concise, cela se résumait à ces trois options.

« Eh bien… »

Julianus I était désemparé.

Sudou venait de souligner son manque de prévoyance. L’autre jour, Helena et ses forces avaient reçu la nouvelle de la chute de Fort Notis et avaient attaqué les soldats d’O’ltormea qui battaient en retraite, infligeant des pertes considérables à l’ennemi. La guerre avait certainement basculé en faveur de Xarooda.

Mais cela n’était vrai que pour cette bataille particulière.

Des nobles opportunistes sévissaient encore dans le pays et entravaient la collecte de conscrits. La Garde Royale et la Garde du Monarque avaient subi de lourdes pertes, diminuant considérablement leur force en tant qu’armée.

Et la bouée de sauvetage de Xarooda, les renforts qu’ils avaient obtenus de leurs voisins, n’accepteraient jamais d’envahir le territoire d’O’ltormea pour eux. Leur intérêt était d’aider Xarooda et de mettre fin rapidement à la guerre pour pouvoir rentrer chez eux le plus vite possible.

Une inversion de l’invasion du territoire d’O’ltormea était impossible dans ces conditions. Dans ce cas, il ne pouvait y avoir que deux conclusions à cela. Xarooda devrait soit mener une guerre inutile et stérile qu’il ne pourrait jamais gagner jusqu’à son dernier jour, soit abandonner à un moment donné et négocier la paix.

À cet égard, le fait que le messager qu’ils avaient reçu cette fois soit venu leur proposer un armistice au lieu de leur demander de se rendre était un grand pas en avant.

« Maintenant que vous comprenez votre position, permettez-moi de vous demander une fois de plus, Votre Altesse. Allez-vous continuer à mener une guerre que vous n’avez aucun espoir de gagner ? »

La question de Sudou était comme le murmure tentateur du diable. Face à son sourire en coin, Julianus Ier ne pouvait qu’acquiescer aux paroles de Sudou.

***

Partie 2

Ce jour-là, un air de ferveur maniaque planait sur Peripheria, la capitale de Xarooda. Et ce n’était pas vrai seulement pour Peripheria, mais en fait, dans tout le royaume. C’était la preuve que les nuages sombres qui planaient sur la capitale s’étaient dissipés. Les rues principales du centre de la capitale étaient pleines de gens. Hommes et femmes de tous âges, mères portant des enfants et citoyens âgés, tous saluaient et acclamaient avec enthousiasme les soldats en marche.

« Gloire à Xarooda ! Gloire à notre royaume ! »

« La bénédiction des dieux sur Sa Majesté ! Gloire à notre royaume ! »

Les citoyens s’étaient alignés dans les rues, rayonnant de joie en parlant de la victoire. L’autre jour, la guerre d’un an avec l’Empire d’O’ltormea s’était terminée par un traité de paix. Cela avait marqué la fin de nombreuses taxes qui avaient été imposées au peuple à cause de la guerre, ainsi que le retour de nombreux maris et fils conscrits.

L’espoir se profilait à l’horizon. Un retour à la vie ordinaire semblait probable. Mais certaines personnes se sentaient complètement détachées de l’ambiance joyeuse qui régnait dans la ville du château. L’une de ces personnes était le roi de ce pays, l’homme même qui avait décidé d’accepter le traité de paix.

Il était maintenant assis dans une chaise longue installée dans son bureau, regardant le plafond avec découragement.

« Pensez-vous que mon choix était le bon ? », demanda-t-il d’une voix grave et enfoncée.

C’était la preuve qu’il doutait de la validité de sa décision.

« Je ne sais pas, Votre Majesté… », face au regard accrocheur de Julianus Ier, Grahalt secoua la tête.

« Mais cela nous a fait gagner du temps. C’est un fait. »

« Du temps, vous dites… »

L’armée O'ltormean commençait à évacuer les terres de Xarooda. Et même s’il ne s’agissait que d’un repli temporaire, en fonction des négociations, ce traité de paix était en passe de finir par leur faire gagner plusieurs années. Cela leur laisserait le temps de réorganiser leurs ordres de chevaliers endommagés.

« Nous ne pouvons pas perdre le peu de temps que nous avons… » dit Julianus I de façon morose.

« En effet », acquiesça Grahalt.

*****

Dans une chambre du château royal situé au cœur de Peripheria. Après que Ryoma Mikoshiba et sa force d’attaque aient renversé le fort Notis, ils furent informés de l’arrivée à Peripheria d’un messager proposant un traité de paix. En apprenant la nouvelle, Ryoma ramena immédiatement ses troupes à la capitale.

Regardez-les s’acclamer. Des idiots inconscients.

Ryoma avait dirigé un regard narquois vers la fenêtre, observant la ville. À cet instant, il comprit pleinement la signification de l’expression « L’ignorance est une bénédiction. »

C’est pathétique.

Les gens n’avaient probablement aucune idée de la dangerosité de leur situation. Ils ne pouvaient que voir ce qui se déroulait devant leurs yeux. Comme des enfants jouant sur de la glace fine, à un moment donné, leur pied allait faire craquer la glace et les envoyer dans une tombe glacée.

Mais être capable de voir l’avenir n’est pas si simple, hein ?

L’image de Julianus Ier, roi de Xarooda, défila dans l’esprit de Ryoma. Être capable de prévoir l’avenir n’était pas nécessairement une chose à qualifier de bonne ou de réconfortante. Et seule une poignée de personnes pouvait prédire comment les phénomènes s’assemblent pour former un futur.

Et ce n’était pas comme si on pouvait toujours empêcher une catastrophe que l’on voyait venir. Un grand nombre de facteurs imprévisibles pourraient faire échouer leurs préparatifs. Pire encore, vu l’état actuel de Xarooda, le royaume n’avait pas la force de se préparer parfaitement à ce qui allait arriver.

Je suppose que ça dépend des compétences du vieil homme en tant que dirigeant, mais… oui, je ne vois pas les choses bien se terminer.

Julianus I avait accepté le traité de paix, y voyant une lueur d’espoir, mais O’ltormea avait déjà commencé à agir et l’avait devancé. Tout ce que Julianus faisait maintenant n’aurait probablement pas d’influence sur le long terme. D’un point de vue réaliste, la puissance et la position nationale de Xarooda étaient bien trop faibles, et y remédier leur prendrait bien plus de temps que celui dont ils disposaient raisonnablement.

Le pire, c’est qu’O’ltormea n’avait probablement proposé le traité de paix que parce qu’ils savaient qu’ils allaient finir par gagner. D’après l’estimation de Ryoma, des traîtres et des renégats se cachaient parmi les nobles de Xarooda, des personnes occupant des positions influentes. Sinon, les actions d’O’ltormea ne pourraient pas être expliquées.

Les négociations étaient encore devant nous, mais il ne faudra que quelques années tout au plus avant que les hostilités ne reprennent.

Il était probable qu’O’ltormea fasse sournoisement traîner les négociations jusqu’à la fin de leurs préparatifs et qu’il les interrompe une fois qu’ils seraient prêts à reprendre le combat. Et ensuite, ils envahiraient simplement Xarooda à nouveau, avec leurs forces réorganisées.

Pour O’ltormea, ce traité de paix était simplement un moyen d’éviter que leur armée d’invasion ne soit anéantie. Ils n’avaient pas de réelle intention de faire la paix avec Xarooda. Et lorsque cela deviendrait clair, les citoyens en liesse se transformeraient trop facilement en une foule en colère, qui tournerait son indignation contre Julianus Ier. Il serait considéré comme le roi stupide qui était trop aveugle et inconscient des intentions du pays rival.

Telles étaient les masses. Elles avaient des attentes irréalistes, et quand les choses ne se passaient pas comme prévu, elles changeaient rapidement d’avis et lançaient des insultes. Et parce que Ryoma ne détestait pas personnellement Julianus I, la pensée de son destin final remplissait les yeux de Ryoma de tristesse.

Ce n’est plus de mon ressort maintenant. J’ai fait tout ce que j’ai pu, et j’ai atteint tous mes objectifs. Je ne devrais plus être impliqué dans ce pays…

Les gens se réjouissaient de la fin de la guerre, mais les choses n’étaient pas si simples. Ryoma pouvait imaginer le sort final de ce pays. Mais l’instant d’après, le son d’une conversation décontractée derrière lui dispersa cette image.

***

Partie 3

« Je n’ai pas encore goûté à ce genre d’arôme, mais ce sont de belles feuilles de thé. Où ont-elles été produites ? »

« En effet, je crois qu’elles viennent de Risnorth. »

« Oh, du continent central ? »

Sara hocha discrètement la tête à la question d’Helena et présenta la théière en porcelaine dans ses mains.

« Je l’ai apporté de Sirius, car c’est l’un des mélanges préférés de Maître Ryoma. Voulez-vous une autre tasse ? »

Helena regarda sa tasse de thé vide en silence pendant un moment, puis releva les lèvres pour sourire.

« La légère douceur des feuilles de thé se marie si bien avec l’arôme… Oui, j’en prendrais bien une autre. »

Alors qu’Helena parlait, Laura s’était approchée d’elle et lui avait tendu une assiette.

« Oh ? Est-ce que c’est… ? »

« Ce sont des sucreries que j’ai faites en me basant sur les histoires et les instructions de Maître Ryoma. On les appelle des macarons. Ils sont délicieux. »

« Ah bon, vraiment ? Leur forme est assez intéressante », dit Helena en prenant un macaron et en l’examinant fixement.

Elle prit ensuite une bouchée, la mâcha et l’avala.

« Oh… Vous avez mis un peu de sucre dedans sciemment ? »

« Oui. Apparemment, c’est ainsi qu’on le prépare habituellement dans le pays de Ryoma. »

En vérité, ils ne limitaient pas la quantité de sucre dans les macarons en soi, car c’était fait pour maintenir l’équilibre de la douceur.

« Hmm. C’est très bien, Ryoma », dit Helena.

« Oui, j’admets que la collecte des ingrédients a été un peu difficile », Ryoma la regarda avec un sourire amer.

Lorsqu’il s’agissait de sucreries, les fruits secs étaient l’exemple le plus courant dans ce monde. Les confiseries fabriquées par un chef cuisinier à partir de sucre étaient un luxe réservé aux personnes appartenant aux échelons supérieurs de la société. Et bien sûr, ces nobles faisaient étalage de leur richesse en ordonnant à leurs chefs d’utiliser des quantités incroyables de sucre.

On pouvait dire la même chose de la cuisine normale, ces nobles se souciaient peu de la saveur ou de l’équilibre, et ils considéraient simplement la cuisine comme une extension de leur richesse et de leur position politique. Les confections de ce monde ressemblaient donc à des morceaux de sucre ternes et criards. À chaque fois que Ryoma en goûtait une, il s’en lassait après la troisième bouchée.

Ryoma aimait boire et n’avait rien contre les sucreries, mais en mangeant ces confiseries, Ryoma pouvait pratiquement sentir les caries se former dans ses dents.

Je dois remercier Asuka…

Elle l’avait forcé à l’aider à cuisiner, ce qu’il trouvait plutôt irritant à l’époque. Maintenant, il avait une nouvelle appréciation pour sa cousine. Ryoma accepta une tasse de thé de Sara et s’enfonça dans le canapé en face d’Helena.

« La guerre est donc terminée. Du moins, pour l’instant », dit lentement Helena en baissant la tête.

« Oui. Ce qui est en fin de compte une conclusion satisfaisante », répondit Ryoma.

« Oui… », dit Helena en se taisant.

Pour l’instant, les forces d’O’ltormea avaient été repoussées à la frontière. En tant que généraux en charge de l’armée de renfort, ils avaient obtenu beaucoup, même si la fin de cette guerre n’était qu’un répit temporaire.

« Après que le messager ait expliqué les détails de l’armistice, j’ai eu une petite discussion avec Ecclesia. »

« A-t-elle quelque chose à dire ? »

« Elle a dit qu’elle allait sonder la situation tout en restant en contact avec sa patrie. Je suis sûre qu’elle a aussi vu les intentions d’O’ltormea… Mais honnêtement, il n’y a rien que nous puissions faire. »

« Peut-elle appeler des renforts ? », demanda Ryoma.

Helena secoua la tête.

« Myest n’a pas la marge de manœuvre pour faire ça… Honnêtement, attendre d’autres renforts de leur part est probablement trop demander. »

Xarooda, Rhoadseria, et Myest : des trois royaumes de l’est, Myest était considéré comme le plus fort et le plus stable, avec son économie et son commerce affluents. Mais sa richesse lui valait de nombreux ennemis. Ses frontières sud étaient constamment en état de tension. Étant donné que la principale force militaire de Myest était sa marine, le nombre de fantassins qu’ils pouvaient envoyer à Xarooda était limité.

Et qui plus est, cette guerre était loin du territoire de Myest. Ils se battaient effectivement sur un sol lointain et étranger. Ils avaient envoyé leur armée, car ils avaient réalisé l’importance de ces renforts, mais ils n’aimaient certainement pas la perspective de se battre dans cette guerre. Et de ce point de vue, le traité de paix n’était en aucun cas un développement défavorable pour eux.

« Dans ce cas… »

« Oui, je vais devoir aussi retourner à Rhoadseria en toute hâte… Je dois rassembler plus de soldats et me préparer pour la prochaine guerre à venir. La question est de savoir où en sont les réformes de la reine Lupis… »

Cela faisait plus de six mois que leurs renforts étaient partis pour Xarooda. Le fait que les efforts de Lupis aient eu un certain effet dans ce laps de temps était donc logique.

« Je doute que quelque chose de bien se soit produit pendant notre absence », dit sèchement Ryoma, ce à quoi Helena ne put répondre que par le silence et un sourire sardonique.

Elle avait ses propres doutes sur le fait que Lupis ait fait des progrès avec ses réformes.

« Je suppose que la durée de cette période de grâce dépend de l’habileté de Julianus I… », dit-elle finalement.

« Je vais devoir laisser le reste aux autres. J’ai fait ma part, et c’était plus que suffisant. Je ne peux pas me permettre de laisser Wortenia sans surveillance plus longtemps. »

Ne m’impliquez pas plus longtemps dans cette affaire. Sentant clairement l’insinuation dans les mots de Ryoma, Helena dirigea un regard inquisiteur vers lui.

« Si tu veux mon avis, tu as eu beaucoup de marge de manœuvre dans cette affaire. Plus que je ne l’imaginais. »

« Quoi ? Non. Ce n’est pas assez. Honnêtement, nous commençons à peine. »

Alors même qu’il disait cela, un léger sourire se dessina sur les lèvres de Ryoma. Ce n’est pas suffisant. Les mots de Ryoma n’étaient pas faux, mais ils n’étaient pas complètement vrais non plus; ils étaient simplement le reflet de la situation.

Si tout s’était déroulé comme Ryoma l’avait prévu, sa forteresse, Sirius, aurait déjà terminé son développement initial. Et une fois celui-ci achevé, il ne lui resterait plus qu’à prendre son temps pour étendre son influence à l’ensemble de la péninsule.

Et à cet égard, Ryoma avait bien une certaine marge de manœuvre, mais s’il avait pu, il aurait préféré utiliser ce temps pour développer davantage la péninsule.

Et puis… Rester impliqué dans cette guerre plus longtemps ne me rapportera rien.

Ryoma en était convaincu. Il avait réussi à se forger une réputation de général compatissant parmi les soldats qui avaient participé à cette expédition, et s’était fait un nom en tant que stratège habile parmi les pays environnants. Et surtout, il avait noué des liens avec Helnesgoula et Myest, deux pays assez puissants.

Réputation, connexions, gains…

Cela ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas viser plus haut. S’il le devait vraiment, Ryoma aurait pu trouver un moyen de donner de Xarooda une véritable victoire dans cette guerre. Mais Ryoma ne voulait pas le faire. C’était une question de quantité de travail qu’il devrait fournir, et non de gain qu’il pourrait en retirer. Et même s’il pensait pouvoir y arriver, le futur était plein de facteurs imprévisibles, et il ne pouvait pas être sûr d’y arriver. Ryoma n’était pas omniscient, et des pièges pouvaient le guetter s’il essayait d’aller de l’avant avec une telle idée.

Viser plus haut que ça serait de l’avidité.

Avoir gagné plus que ce qu’il avait initialement prévu signifiait que gagner encore plus pourrait être nuisible. Avoir trop de succès ne fait qu’attirer l’envie des autres, et afin d’éviter cela, choisir de s’arrêter là lui semblait raisonnable.

Pourtant, en termes d’émotions personnelles, Ryoma se sentait plus proche de Julianus I que de Lupis. Si possible, il aurait aimé faire plus pour l’aider, mais offrir une aide supplémentaire maintenant serait difficile.

« Eh bien, c’est bon… Ce ne serait pas bien de t’accabler davantage », soupira Helena, captant ses émotions.

Personnellement, Helena aurait aimé avoir des personnes fiables à ses côtés avant la reprise des hostilités. Mais compte tenu du fait que le développement de la péninsule de Wortenia était encore incomplet, sans parler de la pression qu’une telle chose ferait peser sur Ryoma, elle ne pouvait se résoudre à lui en demander plus.

Si celui-là comprenait la politique comme Ryoma, il ferait un excellent général…

L’image du garçon blond qu’elle avait pris sous son aile traversa l’esprit d’Helena.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? », demanda Ryoma.

« Oh… Je pensais juste un peu à Chris, c’est tout… »

Un sourire amer se répandit sur les lèvres de Ryoma. Il avait probablement compris pourquoi son expression s’était assombrie.

« Quoi, il a perdu son sang-froid quand il a entendu parler du traité de paix ? », demanda Ryoma en plaisantant tout en haussant les épaules.

« Oui, il m’a en fait beaucoup crié dessus », Helena hocha légèrement la tête.

« Wow. Il… a dû être vraiment bouleversé. »

Chris était un jeune homme avec un joli visage. La pensée de son beau visage se contorsionnant avec colère et criant sur Helena fit sourire Ryoma.

« Eh bien, je ne peux pas lui en vouloir en tant que commandant sur le terrain, il a raison de se sentir comme ça. Tu as cependant l’air mécontent de la façon dont il a agi. »

Le plan d’annihilation du siège de Ryoma était un plan mortel qui demandait beaucoup de préparation, mais sa mise en place coûterait de nombreuses vies. C’était un plan qu’ils ne pouvaient réaliser qu’une seule fois, il n’y avait pas de seconde chance.

Mais voilà, le roi de Xarooda, le pays impliqué dans cette guerre, avait choisi d’accepter le traité de paix sans consulter les autres pays qu’il avait appelés en renfort. Et au moment où ils étaient sur le point de resserrer l’étau autour de l’armée d’invasion d’O’ltormea et de l’anéantir…

À cet égard, la colère de Chris était prévisible. Mais elle était basée sur son point de vue de commandant sur le terrain. Le bon choix pouvait changer en fonction de la position de chacun. Un peu comme la vue était différente du pied d’une montagne par rapport à son sommet…

« Bien sûr que je le suis. Il n’agit pas différemment de ces deux-là… »

C’était la preuve qu’Helena avait placé ses espoirs en Chris. Elle cherchait un futur successeur, et espérait le mettre en charge des affaires militaires de Rhoadseria. La fille d’Helena avait été tuée, et elle considérait Chris, le petit-fils de l’un de ses plus proches assistants, comme un fils de substitution. À cette fin, elle voulait le voir arriver à la bonne réponse par lui-même.

« Eh bien, à quoi t’attendais-tu ? Chris a été maltraité pendant longtemps, d’après ce que j’ai entendu. Tu comprends bien ce que cela signifie ? »

Le général Albrecht, le défunt général de Rhoadseria et chef de la faction des chevaliers, avait détesté et tourmenté Chris pendant longtemps. Le jeune chevalier avait dû supporter l’obscurité et le mépris pendant trop longtemps, bien qu’il soit plus talentueux et plus sage que la plupart de ses pairs. Si l’on ajoutait à cela sa beauté féminine, Chris avait développé une sorte de complexe.

Il ne détestait rien de plus que d’être regardé de haut. Il voulait être reconnu. Ces émotions tourbillonnaient constamment dans le cœur de Chris. Après tout, tout le monde voulait être accepté par ses pairs…

« Oui… Tu as raison. »

Helena savait parfaitement qu’il n’y avait aucune comparaison possible entre Chris et Ryoma. L’habileté de Chris avec une épée était de première classe parmi les chevaliers, et il était certainement assez intelligent. En termes de talent et de réussite, Chris était, sans aucun doute, une élite digne de porter la prochaine génération de Rhoadseria.

Mais sa jeunesse faisait ressortir ses défauts. Il était exceptionnellement mauvais pour lire les intentions des gens, et il avait une faible compréhension du fonctionnement des pays…

Et je ne peux pas m’empêcher de le comparer à Ryoma. Même si je sais que cela ne fait que mettre Chris encore plus dans le pétrin…

Mais vu la situation de Rhoadseria, cette comparaison était naturelle. Si seulement ce garçon, avec son visage moyen et son faible sourire, pouvait simplement rester à ses côtés…

Prenant une profonde inspiration, Helena prit une gorgée de la tasse de thé qu’elle tenait dans ses mains.

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Partie 4

Dans les régions méridionales du continent occidental existait un certain pays : c’était une cité-État formée autour d’un temple fait de marbre solennel. Et alors que les royaumes du sud et le Saint Empire Qwiltantia, l’une des trois grandes puissances du continent, se disputaient leurs frontières au fil des ans, ce pays s’accrochait à la vie. Peu importe la façon dont les frontières des pays environnants s’étaient déplacées, ce pays n’avait jamais changé. L’hégémonie au cœur du continent, l’Empire d’O’ltormea, avait attaqué les royaumes du sud dans son désir de prendre le contrôle des villes portuaires, mais même lui n’avait jamais pensé à attaquer ce pays.

Et donc, cette bête avait sommeillé sans être dérangée. Mais dès qu’elle se réveillait, cette bête montrait ses crocs contre le reste du continent, déchirant les autres royaumes en lambeaux.

Le nom de cette cité-État était Menestia, la ville sainte. La forteresse où le dieu de la lumière Meneos était vénéré, et la forteresse de l’Église de Meneos, la puissance religieuse qui s’était répandue sur tout le continent.

Dans un monde aussi déchiré par la guerre, l’autorité religieuse et le droit divin abstrait ne suffiraient pas à permettre à une organisation religieuse de se défendre. Ainsi, ce château de marbre blanc se dressait, protégé par de hauts remparts et de profonds fossés. Plus que tout, le regard vigilant de ses sentinelles et de ses gardes qualifiés assurait sa stabilité. Ils se tenaient debout, vêtus d’une épaisse armure et avec des lances acérées à la main.

Et alors qu’ils patrouillaient dans la ville entourant le temple, leurs yeux brillaient de désir. Ces soldats ne ressemblaient pas à l’image de l’homme pieux et miséricordieux au service d’un dieu. Et cela ne concernait pas que les soldats. Tous les habitants de ce pays étaient comme une meute de loups affamés. Se croyant graciés par leur dieu, c’étaient des imbéciles qui croyaient que toute action qu’ils entreprenaient était pardonnée et permise par la providence divine.

Ils invoquaient le nom de leur dieu, l’utilisant comme un outil pour réaliser leurs désirs.

Et assis au centre de la ville, dans les profondeurs du temple, se trouvait la personne la plus exaltée de cette cité, reposant sur un siège aussi luxueux que le trône d’un roi. Faisant tournoyer un verre dans sa main, il écoutait le rapport de son subordonné avec une expression amusée.

Il était vêtu d’un manteau blanc en soie lustrée, orné de fils d’or. Associée au bâton de fonction incrusté de pierres précieuses qu’il tenait à la main, la tenue de l’homme rendait son statut clair aux yeux de tous.

« Oh. Donc O’ltormea a retiré ses hommes de Xarooda ? »

« Oui, Votre Sainteté… Apparemment, Fort Notis a été renversé, et le chef de sa garnison, Moore, a été tué. », répondit le vieil homme en s’inclinant devant lui.

« Et leurs pertes ? »

« Selon nos espions, O’ltormea a offert le traité de paix au même temps que leurs troupes furent isolées. Ils ont évité d’être encerclés et éradiqués. Cependant, Helena Steiner et Ecclesia Marinelle ont mené un assaut contre eux, coûtant à l’Empire la vie de 10 000 soldats. »

À ces mots, les lèvres de l’homme s’étaient retroussées vers le haut. Son sourire n’était rien de moins que le rictus du diable. La plupart des hommes se figeraient de terreur à la simple vue de ce sourire. Cependant, l’expression vide du vieil homme n’avait pas bougé malgré ce rictus malicieux.

« Je vois, je vois… Dix mille. Ce n’est pas un coup fatal, étant donné la puissance nationale d’O’ltormea, mais… »

« Ils ont perdu Fort Notis et toutes leurs réserves sont réduites en cendres. »

« Quoi qu’il en soit, le retrait de leurs armées était un choix judicieux… Pour les deux pays. »

« Oui. »

« Le roi de Xarooda apparaît comme un homme obstiné. »

« Les rumeurs le présentaient comme un roi faible d’esprit, mais je ne m’attendais pas à ça. »

Aux mots du vieil homme, l’homme émit un sourire satisfait. C’était la preuve que l’homme agenouillé devant lui était à son service.

Alors que leur armée était sur le point d’être encerclée et anéantie, O’ltormea avait demandé un traité de paix. Et avant que les négociations ne commencent, O’ltormea avait réussi à retirer son armée au-delà de ses frontières.

Ce seul fait fit de Julianus Ier un roi stupide. En apparence, son territoire avait été ravagé de façon unilatérale par O’ltormea, et il les avait simplement laissés rentrer chez eux sans que Xarooda n’ait rien gagné. La plupart des souverains auraient au moins exigé des réparations de la part de l’Empire pour couvrir les pertes qu’ils avaient subies.

Mais c’était là que se trouvait le piège, le piège qu’O’ltormea avait tendu.

Peu de gens avaient réalisé qu’étant donné l’écart entre la puissance nationale d’O’ltormea et celle de Xarooda, les négociations n’avaient aucun sens. Toute promesse qu’O’ltormea pourrait être forcé de faire n’aurait aucun sens. Les pactes n’avaient un pouvoir contraignant que si leur rupture entraînait une sorte de sanction.

À titre de comparaison, la loi d’un pays pouvait être vue de la même manière. Les lois n’avaient de sens que lorsqu’elles avaient une extension physique capable de punir ceux qui les enfreignaient, par exemple la police. Ce n’était que lorsqu’il y avait une présence qui recherchait activement et jugeait les contrevenants que les gens commençaient vraiment à faire respecter la loi.

Les lois, en elles-mêmes, n’avaient pas beaucoup de sens, et on pouvait dire la même chose des accords verbaux et des négociations. Les négociations reposaient sur le respect par les deux parties de leur part de l’accord, mais que se passait-il si l’une des parties avait un avantage écrasant sur l’autre ?

Des parents et leurs enfants, des enseignants et des étudiants, un employeur et ses employés, une superpuissance par rapport à un pays plus faible. Ces exemples différaient par leur échelle, mais au fond, c’était la même chose. Et dans ce cas, O’ltormea dominait Xarooda en termes de puissance nationale.

O’ltormea pourrait conclure une sorte d’accord avec Xarooda dans ces négociations. Mais Xarooda avait-il la force d’obliger O’ltormea à l’honorer ? Les forts n’avaient aucune obligation de faire des promesses aux faibles. Si O’ltormea avait jugé la présence de Xarooda nécessaire pour une raison quelconque, ils auraient pu facilement négocier avec eux. Mais l’Empire ne se souciait pas de l’opinion de Xarooda à son sujet.

Alors que l’homme assis sur le trône faisait tourner son verre dans sa main, il réfléchissait à la situation.

C’est impossible, et Julianus le sait. Peu importe l’accord qu’ils concluront, Xarooda finira par être écrasé par la force pure.

Même s’ils pouvaient exiger de l’Empire qu’il leur verse une grosse somme en réparations sur une longue période, on pouvait se demander si O’ltormea paierait vraiment. Et la plupart des gens n’avaient pas compris cela. Ils avaient tendance à supposer naïvement qu’une promesse faite serait toujours respectée.

« Ils ont donc forcé O’ltormea à retirer son armée de Xarooda avant le début des négociations ? Bien vu. »

« Oui, Xarooda aurait du mal à tenir des conseils de guerre et à réorganiser ses forces avec cette armée toujours entre leurs mains, et le fait de retirer cette armée sera également perçu favorablement au sein du pays. »

« Vous dites qu’inspirer de l’espoir aux nobles pourrait les inciter à aider ? »

« Tant qu’à faire, c’est toujours mieux que d’avoir cette armée toujours sur leur territoire. »

Il était évidemment difficile de dire à quel point cela aiderait étant donné que de nombreux nobles étaient déjà dans la poche d’O’ltormea. Cependant, le fait qu’ils aient obtenu la retraite d’O’ltormea en premier lieu était un fait solide que Julianus pouvait utiliser comme une arme pour persuader la noblesse.

« Je suppose que du point de vue de Xarooda, ce développement est une lueur d’espoir. »

« Oui, si cette guerre avait continué comme prévu, la défaite ne leur aurait pas été épargnée. S’ils avaient réussi à encercler et à anéantir l’armée d’invasion, O’ltormea ne l’aurait pas accepté tranquillement. D’autant plus qu’il y avait une chance que cette attaque coûte la vie au commandant suprême de l’armée, Shardina. »

« Hm. Cela aurait été normalement une issue souhaitable pour Xarooda. »

Dans la plupart des cas, réclamer la tête d’un général mettrait fin à une guerre. Mais dans ce cas, cela ne ferait que servir de catalyseur à la prochaine guerre à venir.

« Étant donné la position de Xarooda, cela n’aurait pas été sage. Bien sûr, s’ils ne faisaient rien, le résultat aurait été le même, ils devaient donc essayer d’encercler l’armée d’invasion… »

« S’ils devaient réclamer la vie de sa fille bien-aimée, l’Empereur écarterait toutes les affaires internes pour faire de la conquête de Xarooda la priorité. »

« Oui. Il organiserait probablement un second front en quelques mois. Et Xarooda ne serait pas en mesure de s’y préparer à temps. Ils auraient pu penser à une sorte de contre-mesure pour cela, mais comme c’est l’Empire qui a proposé l’armistice, ils ont probablement estimé que leurs chances de victoire étaient plus grandes en acceptant plutôt qu’en s’en tenant à ce plan. »

« Donc ils ont choisi de gagner du temps afin d’obtenir une éventuelle victoire plutôt que d’insister sur la victoire immédiate… Pas mal. »

« Oui. Ce n’était pas une mauvaise idée, mais… »

« Plus le roi de Xarooda essaie désespérément de s’accrocher à la vie, plus cette guerre durera. Et c’est exactement ce que veut O’ltormea. »

« Oui. Depuis que cette guerre a commencé, les prix à travers le continent occidental sont montés en flèche. Mes espions rapportent que de nombreuses compagnies avec lesquelles ils sont impliqués ont fait des profits. Il est probable que cet armistice a été orchestré par quelqu’un agissant dans les coulisses. »

« Comme des vautours se rapprochant de la chair en décomposition. »

L’ironie dans le sourire de l’homme était frappante. Mais cette description était un moyen approprié de décrire ceux qui complotaient pour utiliser la guerre afin d’en tirer un profit pour eux-mêmes.

« Tout à fait exact, Votre Sainteté. »

Bien sûr, ils ne pouvaient pas envoyer un messager à Xarooda leur disant de ne plus résister, et même s’ils le faisaient, cela ne changerait rien. L’existence continue de Xarooda n’était pas si importante pour eux. Mais pour Julianus Ier, rien ne comptait plus que la survie de son royaume.

Après quelques instants d’un long silence, l’homme prit soudainement la parole.

« Avez-vous donc une sorte de plan ? »

« J’en ai un, Votre Sainteté. »

« Hoh. »

« Avez-vous entendu parler d’une certaine entreprise située dans la ville-citadelle d’Épire, la Compagnie Christof ? » demanda le vieil homme, ce à quoi l’homme secoua silencieusement la tête.

Bien sûr, le pape de l’Église de Meneos n’aurait pas entendu parler d’une petite entreprise située dans une province lointaine.

« Non. Qu’en est-il de cette société Christof ? »

« Nous pouvons utiliser la même méthode qu’eux pour tirer profit de cette guerre. »

Le sourcil du Pape tressaillit à l’explication du vieil homme.

« Sont-ils impliqués avec eux ? »

« Nous ne le savons pas encore, mais nous pensons qu’il y a un noble qui collabore avec eux. »

En entendant cela, le Pape comprit vite où le vieil homme voulait en venir.

« Je vois. Donc vous voulez secouer ce noble et voir ce qui se passe… »

« Oui. Nous allons faire des repérages pour voir s’il est de mèche avec eux, et s’il ne l’est pas… »

« Il devrait faire un bon pion. »

« Oui, Votre Sainteté. »

« Bien, bien. Allons-y et faisons-le », dit le Pape en frappant dans ses mains avec un sourire.

La seule chose que l’on pouvait alors entendre de cette salle du trône était le rire dément de son maître.

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