Wortenia Senki – Tome 9 – Épilogue

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Épilogue

Le rideau de la nuit était descendu sur la ville de Lentencia. Assis dans une pièce d’un manoir situé à la périphérie de la ville, deux hommes firent tinter leurs tasses. Il était un peu plus de minuit. Dans la logique de cette Terre, cela faisait longtemps que la plupart des gens s’étaient couchés pour la nuit. Mais pour ces deux-là, qui ravivaient leur vieille amitié, la nuit ne venait que de commencer.

« Je n’aurais jamais imaginé que ton retour entraînerait tout ça… »

Liu poussa un soupir après avoir entendu tout ce qui était arrivé à Koichiro depuis.

En vérité, être réuni avec un vieil ami qu’il avait cru mort pendant des années remplissait le cœur de Liu Daijin de joie. Mais l’histoire que son ami lui avait racontée atténua son allégresse.

« Ton petit-fils et ta petite-nièce… »

Koichiro hocha la tête d’un air sombre en entendant les mots de Liu.

« Quand c’est arrivé à mon fils et à sa femme, je pensais encore qu’il pouvait s’agir d’une coïncidence. Mais vu que tous les membres de ma famille ont été appelés l’un après l’autre, il est difficile de faire passer cela pour un accident », dit Koichiro d’un ton morose, avant de boire une autre tasse en silence.

Oui… Je comprends pourquoi il ressent cela, se dit Liu.

Les invocations qui avaient lieu dans ce monde étaient différentes de la magie d’invocation que l’on pouvait connaître dans un jeu, elles ne pouvaient pas être faites souvent. Les mages suffisamment compétents pour utiliser le rituel d’invocation étaient peu nombreux et très éloignés les uns des autres. Le sort imposait un lourd fardeau au lanceur, et les catalyseurs nécessaires à son exécution étaient précieux et rares.

Il était également difficile pour un seul individu de réunir toutes les conditions nécessaires pour effectuer une invocation dans un autre monde. Seuls les plus riches marchands ou nobles pouvaient y parvenir, et même dans ce cas, cela demandait beaucoup d’efforts et de ressources. On pouvait supposer sans risque que ce genre d’entreprise était généralement gérée par des pays entiers.

En gardant cela à l’esprit, tous les pays des continents occidental, oriental, central, méridional et septentrional ne pouvaient invoquer que quelques centaines de Rearth par jour. Et les personnes qu’ils invoquaient étaient essentiellement choisies au hasard. Plusieurs centaines sur les sept milliards d’êtres humains qui vivent sur Rearth.

Et malgré ces probabilités astronomiques, les personnes ayant un lien de parenté avec Koichiro Mikoshiba étaient convoquées non pas une, ni deux, mais trois fois. Il avait dû commencer à soupçonner qu’il devait y avoir une sorte de causalité en jeu. Et s’il y avait une cause, ce devait être son retour à Rearth.

« C’est vraiment… une malédiction. »

Quand il avait entendu pour la première fois que Koichiro était rentré chez lui, Liu avait été ravi. Il y avait une chance qu’il puisse voir les curiosités de sa patrie qu’il pensait ne jamais revoir. Et même s’il n’avait pas cette chance, cette porte était ouverte pour ses camarades de l’organisation. Ils avaient de l’espoir. Et avec ça, leur haine pour ce monde pourrait être quelque peu atténuée.

Mais que se passerait-il si, à leur retour, ils découvraient que leurs familles et leurs proches seraient les prochains à être appelés dans ce monde ? Non. Ils devraient abandonner l’idée de rentrer chez eux de cette façon, à moins que les circonstances ne soient terriblement pressantes. La tristesse et le désespoir de tout cela étaient indescriptibles.

La description de Liu Daijin était exacte. C’était, en effet, une malédiction.

« C’est ça… », marmonna Koichiro tout en prenant une autre gorgée.

Parler de ça pesait sur son cœur, et à un point tel qu’il avait l’impression qu’il ne serait pas capable d’en parler sans avoir de l’alcool dans le sang. La culpabilité de forcer non seulement son fils et sa femme, mais aussi son petit-fils et sa petite-nièce à vivre cet enfer lui pesait constamment.

« Et qu’as-tu l’intention de faire maintenant, mon ami ? », lui demanda gentiment Liu.

« D’abord, je dois ramener Asuka… » répondit Koichiro, ce à quoi Liu haussa un sourcil.

« Oh… Pas ton fils ou petit-fils ? »

Koichiro secoua la tête en silence.

« Mon fils et sa femme sont hors d’atteinte à présent. Je n’ai pas assez d’indices pour les rechercher. Et mon petit-fils devrait s’en sortir. Je lui ai appris tout ce que je pouvais. »

Ces mots pouvaient sembler froids, mais c’étaient ses véritables sentiments. Son fils et sa femme avaient été appelés dans ce monde il y a près de 20 ans. Il avait enseigné à son fils les traditions familiales et l’avait formé aux arts martiaux, il aurait donc dû être capable de se battre. Mais il n’avait appris que les rudiments de ces arts.

Koichiro mentionnait son petit-fils, Ryoma, de temps en temps. Mais il lui avait transmis son savoir et lui avait transmis ses techniques. Même dans ce monde impitoyable, il devrait être capable de survivre. À l’inverse, ces compétences étaient totalement inutiles dans le Japon moderne, tant que l’on ne s’embrouillait pas avec les yakuzas.

C’était un monde où il fallait être impitoyable, être capable de tuer sans hésitation quand c’était nécessaire. Même si son fils parvenait à survivre, cela signifiait qu’il avait vécu un enfer si terrible que sa nature aurait été complètement déformée, tout comme l’avait été le cœur de Koichiro.

Oui, Koichiro ne voulait rien de plus que de sauver son fils de cet enfer s’il le pouvait. Mais il savait qu’il était bien trop tard pour cela maintenant, et qu’il y avait quelqu’un d’autre qui avait bien plus besoin d’aide.

Puis, quelques coups légers furent frappés à la porte.

« Qui est là ? », demanda Liu.

« C’est Zheng. J’ai un rapport. »

Liu hocha doucement la tête.

« La porte est ouverte. Entre. »

« Veuillez donc m’excuser », Zheng entra dans la pièce vêtu de sa parfaite queue de pie et s’inclina.

« J’ai les résultats de l’enquête. »

Il tenait quelques documents dans sa main.

« Ce sont les résultats ? », demanda Liu, ce à quoi Zheng acquiesça et remis les documents.

« Hm. »

Liu sortit une paire de lunettes de sa poche de poitrine et commença à lire le rapport. Une page, deux, trois… Après avoir lu la première phrase, il poussa un léger soupir.

« Tu as dit que le nom de ta petite-nièce est Asuka Kiryuu ? »

« C’est exact », répondit Koichiro, ce à quoi Liu acquiesça.

« Je vois… Apparemment, elle a été aperçue dans la ville sainte il y a quelques mois. Mais… »

Liu s’interrompit.

Koichiro dirigea un regard triste vers Liu, comprenant que quelque chose n’allait pas à cause de son expression.

« Ne peux-tu pas l’aider ? », demanda-t-il.

Cette option était toujours présente dans l’esprit de Koichiro. Même s’il avait été un leader de l’Organisation, c’était il y a un demi-siècle. Il s’était accroché à cette vieille amitié par manque d’une autre option, mais il se rendait bien compte qu’il pouvait très bien être rejeté.

Mais Liu secoua lentement la tête à la question de Koichiro.

« Ne sois pas stupide, mon vieil ami. Si c’est pour un de tes proches, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir. Et ma volonté est celle de l’Organisation, je ne laisserai personne interférer. »

Liu ponctua ces mots en prenant une vigoureuse gorgée de sa boisson. En voyant cela, Koichiro comprit ce que Liu voulait vraiment dire.

L’assistance de l’Organisation m’est donc garantie. Mais même dans ce cas, ils ne peuvent pas sauver Asuka…

C’était la seule conclusion possible.

« Tu veux dire que même ton pouvoir n’est pas suffisant pour la ramener ? »

Liu hocha lentement la tête.

« J’en ai bien peur. Pour l’instant, c’est assez difficile… Elle a été prise sous l’aile de certaines personnes gênantes. Et pour aggraver les choses, elle réside dans la première citadelle de la ville sainte. »

Sur ces mots, Liu tendit l’un des documents à Koichiro.

Je vois… Si ce qui est écrit ici est vrai, même l’Organisation aura du mal à faire sortir Asuka de cette ville.

Le pouvoir de l’Organisation était certainement vaste. Elle avait assez de pouvoir pour vaincre facilement n’importe quel pays du continent, même l’Empire d’O’ltormea avec ses ambitions hégémoniques. Mais hélas, il existait sur le continent occidental un autre groupe capable de l’égaler.

L’Église de Meneos existait depuis de nombreuses années, et était devenue une faction assez puissante. Mais même ainsi, dans le passé, l’Organisation aurait été assez puissante pour extraire une personne ou deux de la ville sainte de Menestia.

Parce que Koichiro connaissait la force de l’Organisation, il avait auparavant pris le risque d’utiliser un vieux cryptogramme Chawanjin pour attirer son attention. Cependant, il n’avait pas prévu que l’influence de l’Église de Meneos était bien plus grande qu’il y a 50 ans. L’Organisation avait également gagné en puissance, et les deux équipes étaient donc à égalité.

Mais ce qui rendait vraiment la situation difficile, c’était qu’Asuka était sous la protection de Rodney Mackenna, capitaine de l’un des dix ordres de chevaliers sous le commandement de l’Église de Meneos.

« Rodney Mackenna et sa demi-sœur, Menea Norberg, ont de mauvaises relations avec nous. Ils ont donné du fil à retordre à l’Organisation. »

« Sont-ils compétents ? », demanda Koichiro.

« Ils sont tous deux les égaux de Zheng, si ce n’est plus forts », acquiesça Liu.

Koichiro s’était surpris à lever les yeux au ciel. Il avait déjà entendu dire que Zheng était l’assistant de Liu. Et si ces deux-là se trouvaient face à face avec un homme suffisamment fort pour diriger les Chiens de Chasse, la force d’élite de l’Organisation, c’était une information suffisante pour décrire leur puissance. Koichiro lui-même ne serait pas en mesure de ménager Zheng. Tout combat entre eux devrait être un combat à mort.

Et ce duo, qui avait pris Asuka sous leur protection, égalait Zheng, voir même le dépassait. Pire encore, Asuka était dans la première citadelle hautement gardée. Seules les personnes les plus habiles seraient capables de s’y faufiler. Liu avait raison, la ramener serait difficile.

« Bien sûr, nous pourrions le faire en supposant que nous soyons prêts à entrer dans une guerre totale avec l’Église, mais… », dit Liu.

Koichiro le coupa en secouant la tête. Même si c’était au nom du sauvetage de sa petite-nièce adorée, Koichiro ne pouvait pas demander à son ami de déclencher une guerre. Si l’Organisation et l’Église de Meneos devaient s’affronter ouvertement, le continent brûlerait véritablement.

Et si cela devait arriver, la ville sainte de Menestia serait prise dans les hostilités. En fait, c’était le bastion de l’ennemi. Supposer qu’elle ne serait pas impliquée dans la guerre serait insensé. Et comme Asuka y vit, cela mettrait sa vie en danger.

« En tout cas, nous ne pouvons pas faire grand-chose à moins qu’elle ne quitte Menestia. »

Koichiro baissa la tête, impuissant. Mais les mots que Liu prononça ensuite lui firent lever vigoureusement les yeux.

« Cependant… Cette chance pourrait se présenter bien assez tôt. »

Voir Koichiro réagir de la sorte, fit glousser Liu.

« Tu es comme un père qui s’inquiète du bien-être de sa fille », dit-il.

« Ne te moque pas de moi ! », lui répondit Koichiro en claquant des doigts.

Liu éclata de rire devant l’expression boudeuse de Koichiro, mais après avoir ri un instant, son expression s’assombrit.

« Permets-moi cependant de te demander une chose. Quel est donc le nom de ton petit-fils ? »

C’était un changement soudain de sujet, et en voyant le sérieux dans les yeux de Liu, Koichiro répondit avec méfiance.

« C’est Ryoma… Ryoma Mikoshiba. »

À cette réponse, Liu s’enfonça davantage dans son siège et leva les yeux au plafond, profondément pensif.

« Alors… Le rapport de Sudou était correct », murmura-t-il dans l’air.

Il prit une feuille de papier et la tendit à Koichiro.

« Qu’est-ce que c’est ? », demanda Koichiro en regardant le document.

Mais après avoir lu quelques lignes, son expression s’était transformée en choc.

« C’est un rapport livré par l’un de nos gens travaillant au centre du continent », dit Liu tout en poussant un autre profond soupir.

Le rapport entre les mains de Koichiro détaillait les événements du retrait de l’armée d’invasion d’O’ltormea de Xarooda, et le nom de Ryoma Mikoshiba y était clairement écrit, comme l’un des renforts envoyés par le Royaume de Rhoadseria. Une autre page détaillait toutes les informations qu’Akitake Sudou avait déterrées sur Ryoma.

Alors que les yeux de Koichiro parcouraient la page avec avidité, Liu secoua la tête. Ryoma Mikoshiba n’avait été qu’une source d’agonie pour l’Organisation qu’il dirigeait. Depuis qu’il avait assassiné l’ancien mage de la cour de l’Empire d’O’ltormea, Gaius Valkland, Ryoma n’avait cessé d’entraver les plans de l’Organisation.

Heureusement, Sudou était en charge de la situation, et ses manœuvres astucieuses leur avaient permis d’aller de l’avant sans que leurs plans ne nécessitent de révisions majeures. Si cela n’avait pas été le cas, l’interférence constante de Ryoma aurait déjà fait de lui une cible à assassiner.

Et en même temps, sa propension à se mettre en travers de leur chemin était une preuve éclatante de ses capacités inhabituelles. Liu devait respecter Ryoma, à la fois en tant qu’enfant de leur monde d’origine et en tant qu’homme. Mais aussi parce qu’il était parvenu à se hisser aussi haut, alors qu’il n’avait rien au départ.

« Ton petit-fils est… un sacré monstre, en effet. »

En disant cela, Liu attrapa une boîte de tabac posée sur la table. Il en avait apparemment besoin pour se calmer les nerfs. Il sortit sa pipe préférée du tiroir de la boîte, remplit le fourreau de feuilles de tabac et l’enflamma en utilisant la magie du feu.

Un certain temps s’était écoulé, et Koichiro avait fini par lever les yeux après avoir lu le rapport. Son expression était pleine de fierté. Son éducation n’avait pas été vaine. Il avait retrouvé le petit-fils adoré qu’il avait élevé avec soin et dévotion, et cela le remplissait d’une joie qu’il n’avait jamais ressentie auparavant.

Mais d’un autre côté, il avait donné à Ryoma tout son savoir et son entraînement, le transformant en un guerrier moderne. Dans un sens, il fallait s’attendre à ce qu’il réussisse autant. Et alors qu’il avait tous les outils pour se frayer un chemin à travers tout ce qui pouvait se présenter à lui, on ne pouvait pas en dire autant d’Asuka. Pour le meilleur et pour le pire, ce n’était qu’une lycéenne ordinaire.

« Alors, qu’est-ce que ça a à voir avec le sauvetage d’Asuka ? », demanda Koichiro, utilisant toute la volonté dont il disposait pour réprimer son envie de se précipiter aux côtés de son petit-fils.

Liu laissa échapper la fumée de sa pipe, se délectant de son arrière-goût.

« Bientôt, l’Église de Meneos enverra un messager à Rhoadseria. »

Koichiro inclina la tête d’un air perplexe. Il ne comprenait pas immédiatement le sens de ces mots.

« Pour dire les choses plus simplement, le penchant de ton petit-fils à mettre le bazar dans les plans de l’Empire O’ltormea lui a valu d’attirer l’attention des dirigeants de l’Église. »

Ce n’était pas entièrement surprenant. Le but déclaré de l’Église de Meneos était d’assurer la stabilité du continent occidental. Ryoma s’étant fait un nom si rapidement, il était naturel qu’ils s’intéressent à lui.

« Celui qui a été envoyé pour le rencontrer est l’un des proches collaborateurs du Pape, le Cardinal Roland. Et les escortes envoyées pour protéger sa personne sont… »

Lorsque Liu termina sa phrase, les lèvres de Koichiro s’étaient retroussées en un sourire en coin. Après avoir entendu tout cela, la conclusion à laquelle il était arrivé était évidente.

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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