Wortenia Senki – Tome 1 – Chapitre 4

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Chapitre 4 : Le chasseur et le chassé

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Chapitre 4 : Le chasseur et le chassé

Partie 1

Le bruit du feuillage écrasé sous les bottes remplissait la forêt. Cela faisait un jour et demi que Ryoma était entré dans la forêt au nord de la ville d’Alue. Les jumelles n’étaient pas en vue. Après qu’ils eurent terminé leurs préparatifs pour le voyage, Ryoma partit tout seul pour la forêt hors de la route.

La forêt était gouvernée par l’obscurité. Le scintillement des étoiles ne pénétrait pas dans le voile des arbres, et sans feu pour éclairer le chemin, il serait impossible de voir quoi que ce soit.

« Jusqu’ici, tout va bien… » chuchota Ryoma à lui-même, illuminant les grandes racines des arbres à ses pieds.

Il n’était avec les jumelles que depuis deux jours, mais il sentait déjà leur absence. Personne ne le jugerait pour être devenu sentimental après avoir été jeté dans un monde qui ne lui est pas familier.

Ryoma regarda prudemment autour de lui, mâchant le bœuf séché qu’il avait acheté en ville. Une journée et demie à l’écart de la route principale avait bien assez appris à Ryoma à quel point cela pouvait être dangereux, même s’il n’y avait naturellement pas d’ennemis que Ryoma ne pouvait pas affronter. Il avait quitté la route, mais ce n’était pas un grand détour.

Cependant, leur nombre était écrasant. Chaque fois qu’il battait un monstre, l’odeur de son sang en attirait un autre, entraînant un cercle vicieux. Il ne s’en était pas rendu compte l’autre jour, alors qu’il chassait les chiens sauvages, mais le fait de pouvoir se retirer de la route sécurisée et se reposer les nerfs était une bénédiction majeure. Cependant, maintenant qu’il avait été forcé de combattre des monstres à une telle cadence sans avoir le temps de s’arrêter pour respirer, la tension retombait sur lui.

Sont-ils enfin là ?

Tandis que Ryoma reposait son corps près du feu, il sentit un mouvement dans l’air et un regard fixé sur lui dans l’obscurité, et cela ne ressemblait pas à un monstre. Le regard perçant des ombres semblait presque adhésif.

Ryoma doutait que ce soit un autre aventurier qui ait décidé de traverser la forêt. S’ils voulaient se reposer près du feu, ils l’appelleraient. Et s’ils remarquaient qu’il s’était rendu compte de leur présence, ils le prendraient pour un bandit et lanceraient une attaque préventive.

De plus, ce n’était pas le regard d’un bandit. Il n’y avait pas d’avidité dedans. Il y avait certainement une sorte d’adhésivité désagréable, mais ce n’était pas basé sur le désir de prendre l’argent d’un autre.

Ryoma posa une main sur le manche de son épée. Qui que ce soit, s’ils avaient l’intention d’attaquer, Ryoma était prêt à les abattre. C’est alors que la voix d’un homme parla des ténèbres.

« Je vous ai fait sursauter. Mes excuses. »

Ryoma serra son épée contre lui.

« Pas besoin d’être aussi prudent. J’aimerais juste prendre un peu de votre temps. »

Sa façon de parler était résolument vexante. Ses paroles étaient polies, mais, d’une manière ou d’une autre, elles avaient un tel poids qui ne laissait aucune place à l’argumentation.

« Très bien. Mais sortez lentement. », dit Ryoma.

Un instant plus tard, il entendit le bruit des branches qui se séparaient. Quand Ryoma vit le visage de l’homme qui s’approchait en face de lui illuminé par le feu, un certain doute remplit son cœur. Ses cheveux étaient soigneusement peignés, et il avait un visage ovale et allongé. Il mesurait environ 175 centimètres, et il regarda Ryoma avec des yeux sereins cachés derrière une paire de lunettes à monture argentée.

Il ressemblait à un salarié, comme on en trouve d’innombrables exemples dans un quartier d’affaires japonais. Sauf, bien sûr, que vous auriez du mal à trouver un salarié japonais blindé et armé d’une épée.

« Hmm, quelque chose ne va pas ? » demanda l’homme, ayant apparemment remarqué la confusion de Ryoma.

« Ce n’est rien… J’ai juste pensé que vous ne ressembliez pas vraiment à un bandit. »

« Mon Dieu. Vous dites des choses troublantes. Puis-je m’asseoir ici ? », dit l’homme en souriant.

Sans attendre la réponse de Ryoma, l’homme s’assit en face de Ryoma.

« Je ne me souviens pas avoir dit que vous pouviez. »

Malgré l’avertissement de Ryoma, l’homme ne semblait pas s’excuser. Au contraire, il en avait profité pour commencer à parler.

« Très bien. J’ai juste besoin de vous poser deux ou trois questions, et ensuite je m’en vais. »

Ryoma semblait s’être résigné au fait que rien de ce qu’il pouvait dire ne changerait cela, et il fit signe à l’homme de continuer.

« J’imagine que vous êtes un aventurier, mais j’aimerais savoir ce que vous faites dans une forêt près de la route. Travaillez-vous ? »

« J’ai entendu à Alue que le poste frontière était bloqué. Et apparemment personne ne sait quand elle sera levée, alors j’ai décidé de couper à travers la forêt. J’ai confiance en mes compétences et je me suis préparé à camper. »

Ryoma répondit honnêtement à la question de l’homme.

« Oh… C’est vrai ? Mais je ne peux pas dire que je trouve ça très louable. Aussi confiant que vous pouvez être dans votre bras armé, traverser la forêt tout seul… Êtes-vous pressé ? Peut-être êtes-vous poursuivi par quelqu’un ? »

Les yeux de l’homme se rétrécirent, son regard devenant plus vif. Il y avait une lueur dans ses yeux, comme s’il essayait de voir à travers un mensonge.

« Non, il n’y a pas d’urgence, mais je préfère aller de l’avant et accumuler de l’expérience que de rester assis en ville en attendant que le blocus soit levé. En plus, la chasse aux monstres me rapportera de l’argent. »

« Je vois, je vois… »

C’était au tour de Ryoma de regarder l’homme en face.

« Et qui êtes-vous pour me demander ce genre d’informations ? »

Ryoma avait déjà une idée assez claire de ce qui se passait, mais il avait quand même demandé, feignant l’ignorance. L’important était de ne pas éveiller les soupçons de l’autre personne. Du moins, pour le moment.

« Oh, mes excuses. Je m’appelle Hideaki Saitou. Je suis le vice-commandant des Chevaliers Succubes de l’Empire d’O’ltormea. »

« Oooh. Impressionnant… »

Ryoma continuait de jouer son rôle, supprimant silencieusement ses doutes.

Alors c’est vraiment un de mes poursuivants, hein… Mais, Saitou ? Il a l’air japonais, mais…

Comme il ne connaissait pas encore qui était la personne en face de lui, il avait décidé qu’il serait plus sage de faire semblant d’être un simple aventurier.

« Et que faites-vous au milieu d’une forêt, capitaine adjoint ? » demanda Ryoma avec un soupçon de politesse, puisqu’il connaissait maintenant la position de l’autre personne.

« Vous voyez, je suis à la poursuite d’une certaine personne. Nous soupçonnons qu’il essaie de traverser la frontière à travers cette forêt. »

« Une certaine personne ? Qu’est-ce qu’il a fait ? »

« Oh, je m’excuse. C’est une affaire confidentielle, et je ne peux pas divulguer les détails à un étranger… », Saitou répondit à l’intérêt de Ryoma avec un ton tout à fait imperturbable.

C’était ce que Ryoma pensait pouvoir dire. Il ne s’attendait pas à ce que Saitou dise la vérité facilement à ce moment-là, ce serait pire s’il le faisait. Ce serait une chose s’il n’avait qu’une bouche lâche, mais Ryoma savait à quoi pouvaient bien faire face ceux qui apprenaient des choses qu’ils ne devraient pas entendre.

Mais s’il n’interrogeait pas Saitou ici, cela paraîtrait suspect. S’il ne demandait pas, cela signifiait qu’il savait déjà quelque chose.

« Oh, désolé. En quoi cela vous intéresse-t-il, alors ? Vous ne me suspectez pas, n’est-ce pas ? »

Tandis que Ryoma parlait d’un ton presque offensé, Saitou haussa les épaules d’un air agité.

« Non, non. Je ne vous soupçonne pas du tout, mais on ne connaît pas le visage de cet homme. »

« Quoi, vous pourchassez quelqu’un et vous ne savez pas à quoi il ressemble ? »

Ryoma éleva la voix avec surprise.

Donc, ils ne savent vraiment pas… Ce n’est cependant pas surprenant. J’ai tué tous ceux qui ont vu mon visage.

Ryoma confirma mentalement l’exactitude de son jugement. Le bon sens et la morale ne signifiaient rien dans ce monde, la survie était tout.

« Oui, en fait, c’est bien ce qui nous pose problème… Mon supérieur me presse de l’attraper rapidement et d’en finir… Et c’est là que vous intervenez. J’aimerais vous demander votre coopération pour quelque chose. », dit Saitou de manière polie

« Ma coopération ? »

« Oui. J’aimerais que vous me donniez un peu de votre temps pour que je puisse confirmer qui vous êtes. C’est juste une formalité, OK ? Nous confirmerons vos antécédents et vous pourrez partir. On ne peut vraiment pas faire grand-chose d’autre. Étant donné que nous ne savons pas à quoi ressemble la personne que nous recherchons… Nous devons rassembler tous les hommes bien construits qui traversent la forêt. Vraiment, je m’en excuse. »

Et bien que ses paroles aient été le summum des excuses polies et qu’elles aient été prononcées avec un sourire doux, il n’y avait même pas un soupçon de rire dans les yeux derrière les lentilles aux bords argentés.

« Et si je refusais de coopérer ? »

« Dans ce cas, je n’aurais pas le choix. »

Saitou leva le bras droit sur les mots de Ryoma.

« Je n’aimerais pas le faire, mais j’aurais vraiment besoin que vous m’accompagniez. »

Une flèche avait été tirée de la forêt, transperçant l’air près du flanc de Ryoma.

« Je vois… Alors c’est comme ça. »

Ryoma murmura à lui-même, regardant la flèche logée dans le sol.

« Oui. Maintenant que vous comprenez, j’aimerais solliciter votre coopération une dernière fois. Voulez-vous venir avec moi, s’il vous plaît ? »

La courtoisie hypocrite à son paroxysme. Personne ne pourrait dire non dans une telle situation, alors que cela entraînerait une grêle de flèches en provenance de la forêt.

« Si vous insistez. Très bien, je viendrai avec vous. », répondit Ryoma avec une expression réticente.

« Oh, je suis content que vous compreniez. Je vous escorterai jusqu’à mon campement. Ne vous inquiétez pas, c’est tout près, » déclara Saitou tout en sortant une paire de menottes de son sac.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Je pêche juste par excès de prudence », répondit Saitou en s’excusant.

« Ce ne sont que des formalités, mon ami, rien que des formalités. Je les enlèverai après que vous ayez rencontré mon commandant. Soyez juste patient. »

Il n’avait pas laissé de place à la discussion. N’ayant pas le choix, Ryoma présenta ses mains sans dire un mot.

« Votre Altesse, nous l’avons maîtrisé. »

Entendant les paroles de Saitou alors qu’il entrait dans sa tente, Shardina s’arrêta au milieu de la rédaction d’un décret et se retourna pour le regarder.

***

Partie 2

« Maîtrisé ? Maîtrisé qui… ? L’homme de l’autre monde ? »

« Oui, je pense qu’il ne fait aucun doute qu’il est de l’autre monde. Pour être exact, c’est un Japonais de la Terre. »

De retour au camp, Saitou laissa Ryoma dans une tente et, après avoir affecté quelques gardes, alla se présenter à Shardina. Son expression était pleine de fierté dans l’accomplissement de sa tâche, mêlée d’un soupçon d’anxiété.

« … Comment peux-tu dire qu’il est celui qu’on cherche ? On ne sait pas à quoi il ressemble. »

« Il vient du même pays que moi. Et il n’y a pas longtemps qu’il est venu au monde. Je l’ai vu à l’odeur. »

Saitou rencontra calmement l’expression suspecte de Shardina.

La réponse de Saitou fit naître un sourire sur le visage de Shardina.

« Je vois… Je n’oserais certainement pas douter de ta parole. Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? »

« Sa Grâce avait ordonné de l’arrêter ou de le tuer, mais… » dit Saitou avec hésitation tandis que Shardina hochait la tête.

« Oui, l’ordre était de le tuer si nous ne pouvions pas l’arrêter. »

« Maintenant qu’on l’a, on devrait l’emmener à la capitale… »

Entendant les paroles de Saitou, Shardina regarda son visage avec surprise.

« Il y a un problème ? »

Shardina était sensible aux changements dans l’expression de Saitou.

« Oui… je suis d’avis qu’on devrait renoncer à le ramener à la capitale et s’en débarrasser ici. »

Saitou avait exprimé ses pensées après une pointe d’hésitation.

Il venait de proposer d’aller à l’encontre des ordres de l’Empereur. La pression qu’il avait dû ressentir était probablement au-delà de l’imagination.

Et en entendant ses paroles, Shardina s’effondra aussi, parce que Saitou l’avait toujours soutenue dans l’ombre. Son conseil avait toujours été sage et pertinent, et il n’avait jamais eu tort auparavant. Shardina ne pouvait pas l’ignorer totalement, mais elle ne pouvait pas non plus défier les ordres explicites de l’Empereur.

« Expose ton raisonnement… »

« Mon raisonnement… On pourrait considérer ceci comme mon intuition. »

Saitou considéra sa question avec beaucoup d’attention.

Cette fois, c’était au tour de Shardina de froncer les sourcils. Bien qu’elle ait placé une grande confiance dans les paroles de son aide, elle ne pouvait pas défier un décret impérial en se basant uniquement sur l’intuition.

« Ton intuition, hum… Même venant de toi, je ne peux pas agir uniquement sur cette base. »

« Mes excuses. Mais en lui parlant, je n’arrivais pas à me défaire du sentiment qu’il était dangereux. Il souriait en me parlant, mais je ne savais pas à quoi il pensait dans son cœur. Et puis il m’a accompagné sans aucune résistance. Même quand je l’ai menotté, en disant que c’était simplement une formalité, il n’a pas beaucoup résisté. C’était comme s’il était certain que si on l’interrogeait, il serait libéré… »

Entendre les paroles de Saitou fit frémir le cœur de Shardina.

Cela semble inquiétant. Surtout le fait qu’il n’a pas résisté… À en juger par la façon dont il a tué Gaius et allumé un feu pour échapper au palais, il devrait être un homme calme et impitoyable. Même s’il s’est résigné au fait qu’il ne peut pas s’enfuir, je ne le vois pas se rendre facilement.

« Es-tu sûr que c’est la personne que l’on cherche ? »

Shardina suggéra qu’ils avaient peut-être trouvé la mauvaise personne, mais Saitou secoua la tête.

« Il ne fait aucun doute dans mon esprit que c’est l’homme qui vient d’un autre monde. La seule question est de savoir si c’est l’assassin de Sire Gaius, mais à en juger par la situation, je suppose qu’il y a neuf chances sur dix que ce soit le cas. Je pense que nous pouvons nous débarrasser de la possibilité qu’un homme venant d’un autre monde traverse cette forêt par pure coïncidence. »

Shardina acquiesça à l’affirmation de Saitou. Il n’y avait aucune preuve, mais d’après les circonstances, il n’y avait pas beaucoup de place pour le doute.

« Alors, ça nous laisse une option. »

« Et laquelle est-ce ? »

Shardina se leva de sa chaise et marcha jusqu’au bout de la tente.

« Conduis-moi à lui. Il est clair qu’il n’y a pas d’autre choix que de lui parler directement, non ? »

Deux visiteurs entrèrent dans la tente attribuée à Ryoma.

« Mes excuses pour vous avoir fait attendre. Mon officier supérieur a demandé à vous rencontrer directement. »

Shardina fit un pas en arrière par derrière Saitou, face à Ryoma.

« Je vois. Je rencontre donc le capitaine. »

Tandis qu’ils écoutaient Ryoma parler, assis sur une chaise, le regard tourné vers eux, les deux semblaient surpris.

« Oh, qu’est-ce qui vous a fait croire que j’étais le capitaine ? Je pourrais être un autre genre d’officier supérieur. »

« Eh bien, je ne peux pas dire que je suis sûr de savoir. Mais j’ai entendu dire que la princesse Shardina avait bloqué le poste de contrôle à Adelpho. Et quiconque sait que la même princesse Shardina est la capitaine des chevaliers de la Succube en arriverait à cette conclusion. »

« Hmm, je vois. Oui, je suppose que l’on arriverait probablement à cette conclusion… », dit Saitou.

Et bien que Shardina semblait convaincue à la surface, son cœur se raidit étrangement. Certes, ce n’était pas une conclusion inhabituelle, mais est-ce que l’on penserait aussi clairement quand on était liés et confinés ?

Je crois comprendre pourquoi Saitou est ambivalent à propos de lui. Je ne me sens pas très bien à ce sujet…

Une angoisse envahit le cœur de Shardina. Saitou se tourna vers elle.

Qu’est-ce que vous en pensez ? Le regard de Saitou semblait le demander.

Shardina le regarda avec un léger signe de tête et écarta les lèvres pour parler à nouveau.

« Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps. Je vous remercie au nom de l’Empire. »

Ces mots étaient incroyablement polis, étant donné qu’une personne de la famille royale s’adressait à un citoyen.

« Non, inutile d’insister là-dessus. Traverser la forêt et non la route faisait de moi une personne suspecte. »

En entendant la réponse naturelle et décontractée de Ryoma, un sourire apparu sur les lèvres des deux personnes

« Comme nous le pensions, Votre Majesté. »

« Oui. Je dirais que c’est bien lui. »

Les deux échangèrent un signe de tête. Cela avait éclairci leurs doutes.

« Nous vous avons enfin trouvé, chère personne de l’autre monde ! »

« Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’autre monde ? »

Ryoma écoutait les paroles de Shardina avec calme.

« N’essaie pas de le nier. Aucun roturier au monde ne réagirait aussi calmement si une personne de la famille royale lui parlait poliment. »

En entendant Saitou dire cela, l’expression de Ryoma changea pour la première fois. C’était… logique. Dans ce monde où la monarchie était la loi, la royauté était comme un dieu pour les roturiers. Si Ryoma avait l’intention de faire semblant d’être un citoyen de ce monde, il aurait dû tenir sa langue et garder les yeux sur le sol.

L’attitude de Ryoma était polie, mais seulement selon les normes japonaises. Même si ce n’était pas considéré comme impoli dans ce monde, Ryoma ne connaissait certainement pas sa place.

« Hmm… Je vois. Je suppose que j’ai merdé sur ce point. »

Ryoma avait rapidement conclu qu’il serait vain d’essayer de s’en sortir en essayant de parler.

« Je vois que nous comprenons enfin qui parle à qui ici, » déclara Saitou.

Shardina hocha la tête, elle se tourna ensuite vers Ryoma.

« Je crois que c’est la première fois qu’on se retrouve face à face. Comme vous le savez déjà, je suis la première princesse de l’Empire d’O’ltormea, Shardina Eisenheit. Quel est votre nom, cher ami venant d’un autre monde ? »

« Moi ? C’est Mikoshiba. Ryoma Mikoshiba. »

Ryoma répondit calmement à ses paroles.

« Je vois. Donc vous êtes japonais, comme je le pensais. », dit Saitou.

« On dirait que vous aussi, Saitou. »

« Oui. Je suis dans la même position que toi. J’ai été convoqué dans ce monde il y a dix ans. », acquiesça Saitou

« Oh ? Et vous êtes devenu vice-capitaine en seulement dix ans ? »

« Eh bien, disons que la chance était de mon côté. Être un homme de l’autre monde a ses mérites. », dit Saitou en souriant amèrement.

« Est-ce dû à cette chose nommée “taux d’absorption d’énergie” ? »

« Oh, je suis surpris que vous en sachiez autant. »

Les yeux de Saitou s’élargirent de surprise.

« J’ai juste arraché quelques faits au vieil homme qui m’a convoqué. J’ai beaucoup appris de lui, » dit Ryoma, un sourire cruel sur ses lèvres.

« Vraiment ? J’ai entendu dire que le cadavre était terriblement mutilé. Avez-vous torturé Gaius ? »

Il y avait un soupçon de colère dans la voix de Shardina.

« Gaius ? Si c’est comme ça que vous appelle le type qui m’a convoqué, alors oui. Je l’ai fait parler. »

Ryoma avait tout de suite avoué la torture. Il pensait peut-être qu’il n’y avait pas de raison de le cacher.

« Dans ce cas, aussi regrettable que cela puisse être, nous devrons vous passer à l’épée. Nous ne pouvons permettre à quiconque levant la main contre notre Empire de vivre. »

« Regrettable ? Qu’est-ce que vous devez regretter ? » Ryoma écouta les paroles de Shardina avec appréhension.

« Je tiens les gens comme vous en haute estime. Même si vous avez été poussé dans la situation inhabituelle après avoir été jeté dans un autre monde, vous vous êtes échappé de la capitale, malgré le fait qu’elle ne vous était pas familière, et vous êtes arrivé jusqu’à la frontière nationale. Cela montre bien la force inhabituelle que vous possédez. Si votre intelligence et votre force étaient mises à profit par notre Empire, nous ferions un pas décisif vers la conquête du continent occidental. »

Quand Shardina finit de parler, Ryoma la regarda avec mépris.

« Vous devez sûrement plaisanter. Moi, vous servir ? Je suppose que ce serait en tant qu’esclave, non ? Épargnez-moi vos blagues stupides. »

Il avait la physionomie d’un démon enragé, se contorsionnant de colère, de haine et une envie irrépressible de tuer.

« Stupide, dites-vous ? »

« Oui, vous m’avez bien entendu. Vous me prenez pour qui, le héros d’une histoire ? Pourquoi diable vous servirais-je un jour ? »

C’était les pensées sincères et honnêtes de Ryoma. L’idée de faire docilement ce qu’on lui demandait après que quelqu’un l’ait convoquée dans un autre monde était insensée. Shardina, d’un autre côté, se moquait des paroles de Ryoma.

« N’est-il pas naturel que celui qui a été convoqué obéisse à celui qui l’a convoqué ? »

L’expression de Shardina donnait l’impression qu’elle ne faisait que souligner le bon sens. Pour les gens de ce monde, les humains qu’ils avaient convoqués n’étaient rien d’autre que des outils pratiques, et personne ne penserait à leur demander la permission avant de les utiliser.

« Ouais, je m’attendais à ce que les gens dans ce monde disent ça. »

La déclaration de Ryoma fit en sorte que Shardina plissa son front.

***

Partie 3

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »

« Rien en particulier. De toute façon, parler à vous est une perte de temps. Mais je vais dire une chose. Je n’obéis qu’à une personne, et c’est moi-même. Je n’obéis à personne d’autre. Je pense et décide moi-même. C’est tout. »

Ryoma avait déjà jugé qu’il était inutile de parler à Shardina. Leurs idéologies et leur éducation étaient bien trop différentes. Il ne pouvait y avoir d’accord entre eux. C’était comme le jour et la nuit, il n’y avait dès le début aucune chance de réconciliation.

« Alors, c’est ce que vous pensez… Cependant, mon cher homme de l’autre monde, ce monde n’est pas assez aimable pour accueillir votre libre arbitre. C’est vrai, vous êtes resté fidèle à vos désirs. Vous avez tué Gaius. Mais où cela vous a-t-il mené, finalement ? Vous êtes assis ici, menotté, devant moi. », Shardina se moqua de lui.

Ryoma pouvait se vanter autant de fois qu’il le souhaitait, mais cela n’était rien d’autre que les lamentations d’un perdant endolori. Après tout, Saitou avait menotté ses mains.

« Votre fierté est admirable. Mais cela représente-t-il quelque chose dans ce monde où les impuissants sont piétinés et déposséder ? Ce monde n’est pas aussi gentil que le vôtre. Votre libre arbitre, dites-vous ? Qu’est-ce que cela vous donnerait ? Si vous aviez simplement obéi à l’empire, vous auriez pu être promu comme Saitou. »

« Désolé, mais être votre chien et aboyer sur commande ne semble pas séduisant. »

Ryoma se moqua des mots de Shardina.

« Je vois. Vous êtes un homme stupide. Vous avez le culot de parler ainsi même dans cette situation, n’est-ce pas ? J’aurais pu vous épargner si vous m’aviez supplié de sauver votre vie. »

Alors que Saitou écoutait la conversation de Shardina avec Ryoma, l’anxiété dans son cœur ne fit que grandir.

Elle a raison… Pourquoi est-il si confiant, même maintenant ? N’importe qui serait à quatre pattes, suppliant pour leur vie.

La prémonition de quelque chose de mauvais approchant traversa l’esprit de Saitou alors que Shardina parlait. Il savait qu’elle mentait, bien sûr. Même si Ryoma Mikoshiba devait demander grâce, son destin avait déjà été scellé. Il devait être mis à mort. Il n’y avait pas d’autres options pour l’homme qui avait tué Gaius et souillé la dignité de l’empire.

Mais il était humain de s’accrocher au moindre lambeau d’espoir, même face à la mort. Et malgré cela, Ryoma Mikoshiba resta imperturbable.

Est-il prêt à mourir ?

Mais Saitou ne voyait pas l’acceptation de la mort sur le visage de Ryoma.

Qu’est-ce que c’est, alors ? Croit-il qu’il peut s’en sortir vivant ?

Shardina était accompagnée d’une trentaine de soldats. Vingt-six d’entre eux avaient été déployés pour fouiller la forêt par groupes de deux. Il ne restait que quatre autres soldats pour défendre le camp de Shardina. Depuis que Saitou avait découvert et ramené Ryoma seul, il y en avait six au total.

Ce nombre était plus que suffisant pour retenir un seul homme de l’autre monde. Mais malgré tous les avantages qu’ils avaient, il n’arrivait pas à se débarrasser de son anxiété. À ce moment-là, l’esprit de Saitou entrevit une possibilité.

Attendez… S’est-il retrouvé dans cette situation parce qu’il voulait être ici ?

C’était une pensée folle, complètement infondée. Mais cela n’avait fait que rendre les choses d’autant plus crédibles pour Saitou.

C’est vrai… Si c’est le cas, tout se met en place. Mais pourquoi ? Quel genre de mérite cet homme tire-t-il de cette situation… ? Non, quel que soit le mérite qu’il obtient, peu importe. Nous devons tuer cet homme, ici et maintenant. Quoi qu’il puisse faire dans cette situation, ce ne doit pas être grand-chose.

Les mains de Saitou bougèrent, elles enlevèrent ses lunettes à monture argentée et, en leur absence, les yeux froids et sanguinaires d’un meurtrier étaient révélés. Il n’y avait même plus un soupçon du calme qu’il avait avant en lui. Ses yeux brillaient d’une lumière vive, comme une épée non gainée.

« Saitou… ? »

Shardina remarqua son changement d’attitude. Une soif de sang émanait de son corps, comme s’il se tenait sur un champ de bataille.

« Votre Altesse, je m’excuse, mais nous devrions tuer cet homme, ici et maintenant. »

« Qu’est-ce que tu dis !? »

Shardina ne pouvait cacher sa surprise devant ce qu’avait dit son aide après un silence contemplatif si prolongé.

« Nous devons le livrer à l’empereur ! »

« Non, Votre Altesse. Cet homme est dangereux. Si nous le laissons continuer à respirer, qui sait ce qu’il pourrait faire... »

« As-tu l’intention d’aller à l’encontre des ordres de Sa Majesté !? »

« Je suis désolé. Réprimandez-moi comme vous le voudrez après ça… » dit Saitou, tout en détachant son épée alors qu’il s’approchait de Ryoma.

« Attends, Saitou ! »

Ignorant les appels de Shardina, Saitou leva son épée.

« Un dernier mot ? Puisque nous sommes nés au même endroit, je vais au moins vous écouter. »

« Non, rien de particulier. », dit Ryoma avec un léger sourire, ne reculant pas devant la lame dressée qui brillait sur lui.

« Je vois. Vous avez du cran, je vous l’accorde. »

« Non, pas tant que ça… Si on considère en fait que c’est toi qui vas mourir ! »

Les cris de Ryoma résonnaient dans la nuit, disparaissant dans la forêt sombre.

« Qu’est-ce qui lui prend… !? »

Shardina n’avait pas pu retenir sa surprise devant le rugissement de Ryoma qui secouait la tente.

« Qu’est-ce que… Ah ! Votre Altesse ! »

À ce moment-là, l’intuition de Saitou s’était mise à sonner d’alarme.

Dès que le corps de Saitou avait recouvert celui de Shardina, un coup de vent balaya la tente. Le coup de vent secoua le camp, déchirant les tentes en morceaux comme si une épée géante avait couru à travers la place.

Quelques secondes plus tard, Saitou s’était levé après avoir confirmé que le vent s’était calmé.

« Votre Altesse ! Votre Altesse ! »

« Je vais bien… Que s’est-il passé ? »

Shardina, qui était cachée sous le corps de Saitou, s’était levée et avait tenu sa tête avec ses bras.

« Vous allez bien, Votre Altesse ! Putain… Ce salaud ! »

Saitou, cependant, avait ignoré les paroles de Shardina et s’était mis à la recherche de Ryoma.

Son regard tomba sur une fille aux cheveux argentés inconnue.

« Es-tu indemne, Maître ? » dit la jeune fille, brandissant son épée pour couper les chaînes de Ryoma.

« Ouais. Tu arrives à point nommé. Tu m’as sauvée, Sara. Et Laura ? » demanda Ryoma tout se frottant les poignets maintenant libérés.

« Laura se débarrasse des autres soldats. Comme tu l’as dit, elle est capable de s’occuper d’eux sans problème. »

Tandis que ces mots étaient prononcés, une deuxième voix se fit entendre derrière Saitou.

« J’ai déjà fini, Maître. »

C’était la voix d’une jeune fille.

« Votre Altesse ! »

Au cri de Saitou, Shardina fit un pas en arrière derrière lui, ils se sont alors tenus dos à dos.

« Tu n’es pas blessée, n’est-ce pas, Laura ? » demanda-t-il avec une voix de gratitude et de préoccupation.

« Oui, je vais bien. J’avais simplement besoin de leur lancer des sorts. Ces gens se méfiaient de l’attaque d’un animal, mais ne s’attendaient pas à une magicienne. »

« Ça ne peut pas être… de la magie !? »

Saitou cria furieusement à la suite des paroles de Laura.

Ni Saitou ni Shardina ne l’avaient prévu. Le fait que Ryoma avait même des alliés dans ce monde était imprévisible, mais il était particulièrement choquant qu’elles puissent même utiliser la magie. Peu de gens pouvaient l’employer dans ce monde, et ceux qui servaient l’empire étaient au moins au rang de chevalier, et seuls les plus habiles des aventuriers ou mercenaires en étaient capables.

C’était la raison pour laquelle cette pénurie était à la base de la structure du pouvoir dans le monde. Rien qu’en étant capable d’employer la magie, on était deux fois plus fort que ceux qui ne l’étaient pas, et ses compétences pouvaient rendre ce pouvoir encore plus dangereux.

Avec les bonnes préparations, Gaius, l’homme que Ryoma avait tué, était capable de gérer des armées entières. Mais avoir un grand pouvoir destructeur ne signifiait pas que l’on gagnerait toujours. Le fait qu’il soit mort des mains de Ryoma en était la preuve flagrante.

Pourtant, cela n’avait pas changé le sens de la possession du pouvoir de la magie. Et quoi qu’il en soit, il n’y avait aucune chance qu’un homme qui venait d’être convoqué d’un autre monde soit capable de l’utiliser, et il était extrêmement improbable qu’il ait la compagnie de quelqu’un d’autre qui le pourrait. Du moins, c’était le cas jusqu’à présent.

« Qui diable êtes-vous… !? »

« Nous sommes les serviteurs de notre Maître. Les ennemis de notre Maître sont nos ennemis, » déclara Laura, répondant à la question de Shardina en pointant son épée dans sa direction.

Cette fille est douée ! Et…

En voyant la position de Laura, l’intuition de Shardina s’était mise à lancer un signal d’avertissement. Les deux filles se tenaient devant elles, leur soif de sang et leur agressivité étaient palpables. Seule une poignée des milliers de soldats sous les ordres de Shardina étaient à ce niveau.

Pourtant, en termes de compétences, Shardina elle-même était plus élevée qu’elles. Pourtant, les yeux de la jeune fille qui se tenait devant elle brûlèrent d’une envie meurtrière. Elle tuerait Shardina, même si elle devait mourir en essayant. Saitou sentait une égale mesure de détermination de la part de Sara.

Qu’est-ce qui se passe ici… ? Pourquoi des magiciennes aussi compétentes sont-elles de son côté ? Il n’est dans ce monde que depuis quelques jours…

La capture de Ryoma était un ordre absolu donné par l’empereur à Shardina et à ses subordonnés, mais cela ne s’appliquait que si leur vie n’était pas en danger. Ils n’étaient pas obligés de le prendre vivant si cela signifiait que Saitou ou Shardina seraient tués ou blessés au cours du processus.

Ils occupaient tous les deux des positions extrêmement importantes pour l’empire. Ce serait peut-être différent s’il s’agissait d’un champ de bataille où le sort de l’empire était en jeu, mais ils ne pouvaient pas se permettre de mourir aux mains d’un inconnu venant d’un autre monde.

« Saitou… Nous devons battre en retraite… »

C’était la conclusion de Shardina après de nombreuses délibérations, qu’elle chuchota à Saitou pour que Ryoma et son groupe ne l’entendent pas.

« Oui, avec tant de facteurs imprévisibles en jeu, nous devons prendre du recul et réévaluer la situation… En supposant qu’ils nous laissent partir… »

« Oui… Mais nous ne pouvons pas nous permettre de mourir ici. Avec la mort de Sire Gaius, la mort de l’un d’entre nous porterait un coup au potentiel de guerre de l’empire. Et si cela arrive… »

« Les pays voisins et les territoires occupés y verraient une occasion de se rebeller. »

C’était le prix que l’empire avait dû payer pour conquérir ses voisins par la force brute. Il était évident que si l’empire perdait sa force supérieure, les citoyens opprimés et les nobles sous leur contrôle se révolteraient. Plusieurs pensées traversèrent l’esprit de Shardina et de Saitou.

« Si vous voulez battre en retraite, n’hésitez pas. Ça ne me dérange pas. »

Les mots de Ryoma avaient fait basculer l’impasse.

« Idiot… Nous n’avons aucune raison de nous retirer ici ! Nous allons vous emmener, vous et ces femmes, à la capitale ! »

Saitou répondit rapidement aux paroles de Ryoma.

« Oh ? Vas-tu risquer ta vie pour nous capturer ? »

Ryoma sourit froidement au cri de Saitou.

***

Partie 4

Ryoma pouvait déjà voir que Shardina et Saitou avaient perdu la volonté de se battre. 

« Je peux dire rien que par vos regards que vous n’avez pas l’intention de perdre la vie ici. » 

Les yeux étaient plus honnêtes que les mots. Le regard et les gestes, l’éclat dans les yeux, étaient des ouvertures sur le cœur et l’intention d’une personne. Tout comme Saitou pouvait dire de Sara qu’elle était résolue à se battre jusqu’à la mort grâce à son regard, Ryoma pouvait lire dans les intentions de Saitou. 

« Alors où voulez-vous en venir ? Votre objectif n’est-il pas de nous tuer ? » 

« Oui, c’est mon intention, mais… regardez cette situation. »

Ryoma répondit à la question de Shardina avec un haussement d’épaules.

Je le savais… Il s’est fait prendre pour pouvoir nous tuer. Pas étonnant qu’il était si docile…

Un frisson parcourut la colonne vertébrale de Shardina. C’était l’anxiété que Shardina ressentait depuis un certain temps déjà, la crainte que ressent un animal quand l’intention meurtrière d’un prédateur était fixée sur lui.

C’est certainement une méthode viable. Nous supposions qu’il ne faisait que fuir, on ne s’attendait sûrement pas à ce qu’il essaie de riposter contre nous.

Et c’était le résultat final. La majorité de ses soldats étaient dispersés dans la forêt, et tous ceux qui étaient stationnés dans le camp avaient été tués par les sorts. Et si Saitou n’avait pas réagi rapidement, Shardina serait morte aussi dans l’attaque-surprise.

Mais cette situation… C’est un trois contre deux en leur faveur. Il pourrait nous tuer s’il se servait de ces filles comme pions jetables. Pourquoi nous dit-il de courir... Est-ce un piège ?

Shardina savait très bien quel genre de personne était le garçon qui souriait froidement devant elle. Il ferait toujours passer sa propre survie en premier, et il n’hésiterait pas à prendre toutes les mesures, aussi viles soient-elles, pour assurer cette survie. Ce garçon avait peut-être dit qu’il les épargnerait, mais elle n’y croirait pas.

« Je vois… Tu ne veux pas les tuer, » chuchota Saitou, alors que les yeux de Shardina, en état de choc, s’ouvrirent en grand.

Il ne voulait pas les tuer. Mais qui était ce « les ? » Ça ne pouvait pas être Saitou et Shardina, donc il ne restait que les filles.

« Oui. Ces deux-là sont prêtes à sacrifier leur vie pour moi. »

Ryoma tourna son regard vers Sara et Laura.

« Alors peu importe combien vous tuer ici augmenterait mes chances de survie à long terme, je ne peux pas sacrifier ces filles si facilement pour le faire. »

Intérêt personnel. Affection. Ces mots étaient un mélange de beaucoup d’émotions mêlées ensemble.

Je vois, donc s’il s’en servait comme bouclier… Non, c’est impossible dans cette situation. Et je ne peux pas voir cet homme mettre leur vie avant la sienne.

Cela signifiait simplement qu’il accordait plus de valeur à la vie de ces sœurs fidèles qu’au meurtre de Saitou et Shardina. Cela ne devait sûrement pas signifier qu’il leur donnait la priorité sur sa propre survie.

« Je ne pense pas que nous ayons vraiment le choix, Votre Altesse… »

Les paroles de Saitou correspondaient à celles de Shardina à ce sujet. Elle avait beau y réfléchir, il n’y avait pas d’autre issue que celle-ci.

« Bien… On va battre en retraite. Saitou, range ton épée. »

Entendant les paroles de Shardina, Ryoma donna un ordre aux sœurs.

« Laura, Sara, reculez. »

Sur l’ordre de Ryoma, les deux femmes rangèrent leurs épées, puis se précipitèrent à ses côtés. Elles avaient l’intention de servir de bouclier à Ryoma à l’improviste, si Shardina essayait d’attaquer.

« Pas besoin d’être si tendu. Je jure sur mon nom de première princesse de l’empire d’O’ltormea que nous nous retirerons de cet endroit. »

Les paroles de Shardina étaient peut-être honnêtes, mais les sœurs n’avaient pas vraiment bougé. Elles l’avaient simplement regardée d’un air aiguisé.

« Désolé. »

Ryoma s’excusa auprès de Shardina pour l’attitude des sœurs.

Cela ne veut pas dire que Ryoma n’était pas méfiant et vigilant, même maintenant. Il n’était pas assez stupide ou crédule pour croire aveuglément les paroles de l’ennemi à ce stade du jeu.

« Eh bien, peu importe. Nous nous retirerons d’ici, mais notre poursuite ne s’arrêtera pas là. Vous vous en rendez bien compte, hein ? »

C’était évident. Shardina renonçait à capturer Ryoma ici parce que la situation actuelle la désavantageait. Inversement, si les dizaines de soldats de Shardina étaient présents, ils ne feraient pas le choix de battre en retraite.

« Évidemment. Après tout, pour tout ce qui vous concerne je suis un criminel. », dit Ryoma calmement.

Il n’y avait aucune trace de regret ou de peur dans ses yeux.

« Mais je ne vais pas me retourner et vous laisser m’attraper. Je ne pense pas non plus que tuer ce type ou essayer de vous tuer n’était pas la bonne chose à faire. Alors si vous avez l’intention de me poursuivre, soyez prêts à risquer votre vie. »

« Avez-vous aussi commis des crimes au Japon ? », demanda Saitou, honnêtement curieux.

Les gens qui venaient d’être convoqués de la Terre à ce monde ne s’acclimataient pas si facilement à ses règles. C’était un monde où seuls les plus forts survivent, où les plus forts pouvaient faire ce qu’il fallait, et il n’y avait pas d’idée aussi indulgente que les « droits de l’homme » pour protéger les gens de cette nature. Il fallait être fort pour ne pas être piétiné, même s’il fallait écraser les autres pour le faire.

Saitou ne s’en était rendu compte que des années après avoir été convoqué par Gaius et jeté sur un champ de bataille où il n’avait jamais voulu être, forcé de se battre à travers la boue et le sang. La vie sur Terre et ce monde n’avaient vraiment rien en commun. C’était pour cette raison qu’il se méfiait en voyant la ligne de pensée de Ryoma, puisqu’il n’avait même pas été dans ce monde depuis une semaine entière.

« Hein ? Des crimes ? Je crois que j’ai pissé dehors une ou deux fois, mais c’est à peu près tout. »

« Crime » était un mot qui pouvait signifier beaucoup de choses dans différents contextes. Si l’on devait être assez extrême à ce sujet, traverser la rue à un feu rouge était certainement un crime. Mais ce n’était pas ce que Saitou voulait dire.

« Non, je voulais dire des crimes plus graves. Comme… un meurtre. »

Ces mots avaient fait s’exclamer Ryoma. Il ne s’était jamais considéré comme un lycéen normal, c’était donc une réaction naturelle.

« Vous dites des trucs foireux, savez-vous ça… ? Je ne suis qu’un lycéen moyen. J’ai de l’expérience dans les arts martiaux, oui, mais ça ne veut pas dire que j’ai un casier judiciaire ! »

« Alors pourquoi ? Comment avez-vous pu tuer des gens si facilement ? N’avez-vous pas peur ? »

« … Dans ce cas, laissez-moi vous demander. Dois-je m’inquiéter pour quelqu’un qui a tenté de violer mes droits au point de s’exposer à des risques à cause de cela ? », dit Ryoma après s’être arrêté pour réfléchir.

Après la surprise au visage de Saitou, Ryoma continua.

« C’est ce que je pense : vous êtes libre d’essayer de profiter de moi, et je suis libre de me défendre. Je ne suis pas assez bête pour penser que si je frappe quelqu’un, il n’essaiera pas de riposter. Et c’est exactement parce que je sais qu’ils riposteront que j’essaie de ne frapper personne, sauf si je suis prêt à ce qu’ils ripostent… Et je suis résolu à tuer quiconque osera se battre contre moi. »

Pendant que Ryoma parlait, ses yeux brillaient d’une forte lumière. La seule chose qui avait permis à un lycéen normal comme Ryoma de tuer Gaius était la force de ses convictions. Il croyait ardemment en sa justice du fond du cœur. Et à bien des égards, c’était l’idéologie la plus hautaine de toutes… Mais c’était en même temps la plus belle de toutes.

« Mais, quoi qu’il en soit… On n’a vraiment pas le temps de discuter de ma philosophie de vie. Laura. »

Il se secoua le menton en direction de l’entrée de la tente.

« Si nous continuons à parler, les autres soldats pourraient retourner au camp. Je vais traverser la frontière. »

Laura était restée à l’entrée de la tente, surveillant Shardina et Saitou. Ils n’avaient pas entièrement confiance en ses paroles.

« Très bien. Alors, allez-y. Mais rappelez-vous ceci : maintenant que nous savons à quoi vous ressemblez, vous ne remettrez plus jamais les pieds dans les frontières de l’empire. Et vous ferez bien de courir aussi loin que vous le pouvez. Le continent occidental appartiendra bientôt à l’empire. Et quand ça arrivera, vous n’aurez plus nulle part où vivre en paix, » déclara Shardina, son regard devenant vif.

Les paroles de Shardina étaient comme un poignard jeté dans la direction de Ryoma, qui sortait de la tente, accompagné de Sara.

« C’est vrai… Je suppose que je vais devoir trouver mon chemin pour retourner dans mon monde avant que ça n’arrive. »

Et avec cela, Ryoma disparut dans la forêt sans un mot, ne prenant pas la peine de la regarder en réponse…

***

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