Chapitre 13 : Rémunération
Partie 2
Le palais de Hohlfahrt recevait quotidiennement des rapports sur la situation de la République pendant cette escarmouche politique. À peine avaient-ils appris qu’une révolution était en cours que le lendemain, ils étaient informés que Léon l’avait réprimée. L’Arbre sacré avait été détruit, disait un rapport… pour que le rapport suivant annonce qu’un nouvel arbre avait pris sa place. Puis il y a eu une petite échauffourée entre les forces Hohlfahrtiennes et Rachel, Léon les avait chassées et avait revendiqué une partie de la République comme territoire occupé au nom du Royaume.
Il n’était guère surprenant qu’un homme à l’intérieur du palais de Hohlfahrt — le roi Roland — soit très mécontent des actions de Léon.
« Ce satané morveuuuux ! » rugit-il en déchiquetant le dernier rapport qu’il avait entre les mains. Chaque missive défaisait tout ce pour quoi il avait peiné lors des réunions avec le reste des administrateurs de son gouvernement. Il était furieux. La participation de Léon au conflit avait privé Roland de sommeil pendant des jours et occupé toutes ses heures de veille. « Il ne s’en tirera pas comme ça. Je jure que je vais lui faire payer. Je ferai tout ce qu’il faut pour me venger de lui, même si c’est la dernière chose que je fais ! »
Il avait imaginé Léon en train de se moquer de lui, et cela lui avait fait bouillir le sang. Sa seule source de soulagement émotionnel était de contempler comment il allait se venger du garçon.
Un énorme sourire se dessina sur le visage de Roland alors qu’une idée lui vint à l’esprit. « C’est ça ! Je vais envoyer cette sale petite ordure directement en enfer ! » Il ne perdit pas de temps, prit un morceau de papier et adressa la lettre à Albergue de la République. « Considère ceci comme un cadeau de ma part, petite nuisance. J’espère que tu l’apprécieras. »
Les manœuvres secrètes de Roland, toutes destinées à se venger, s’étaient mises en branle.
☆☆☆
Près d’un mois s’était écoulé depuis la tentative de coup d’État de Serge. Dans l’intervalle, la République avait retrouvé un semblant de calme. L’ancien territoire des Lespinasses avait subi d’énormes pertes, tandis que les six autres territoires — anciennes propriétés des Six Grandes Maisons — étaient restés indemnes.
Le plus gros problème concernait la perte des blasons des nobles. Sans eux, les nobles ne pouvaient plus utiliser leurs armements. La seule grâce qui les avait sauvés était que le nouvel arbre sacré leur avait fourni juste assez d’énergie pour survivre.
La République était en train de développer un nouveau système de gouvernement avec Monsieur Albergue au centre de tout. Pour notre part, des ordres étaient arrivés exigeant notre retour au Royaume de Hohlfahrt. Nous avions fait toutes sortes de petits boulots pour aider à l’effort de reconstruction, mais notre travail là-bas devait prendre fin avec notre départ.
Alors que nous préparions l’Einhorn pour le vol de retour, une foule était venue nous saluer. Julian et le vieil homme chez qui il avait travaillé dans l’étalage avaient échangé des poignées de main fermes, tandis que Brad avait eu une conversation animée avec les gérants du théâtre où il s’était produit. Chris était entouré d’un cercle d’hommes criant en manteaux et pagnes, bien que je ne puisse pas comprendre un mot de ce qu’ils criaient. Greg était heureux de se lier d’amitié avec une foule de compagnons musclés.
Pas une femme en vue… mais les gars ont l’air de s’amuser.
Quant à Jilk, un groupe de personnes riches s’était réuni pour s’occuper de lui. En essayant de les escroquer tous, il avait eu la chance de trouver un trésor d’œuvres d’art anciennes authentiques et rares et avait gagné leur respect pour cela. Le comble de l’ironie, vraiment, vu sa vraie nature d’escroc.
Et puis il y avait moi. Jean, un ami que je m’étais fait après être venu ici, avait apporté un charme à me donner. « S’il te plaît, prends ça, Comte. Je l’ai apporté de ma ville natale. »
Il ressemblait à un bracelet d’amitié, des cordes enfilées ensemble dans un motif. Je l’avais fixé autour de mon poignet gauche. « Merci », avais-je dit.
« Les autres membres de l’académie voulaient aussi venir te dire au revoir, mais ils sont tellement occupés en ce moment… Je suis venu ici à la place en tant que leur représentant. »
J’avais hoché la tête. « C’est logique. Je suis sûr qu’ils ont leurs propres problèmes à régler. »
« Hum… Comte, je réalise que tu auras probablement tes propres problèmes à affronter maintenant que tout cela est terminé. J’espère que tu resteras fort ! »
C’était un soulagement de s’être fait un si bon ami ici dans la République. Nous avions bavardé un moment avant que Lelia ne s’approche, Clement la suivant de près. Des murmures avaient résonné dans la foule, et un chemin s’était dégagé pour qu’elle puisse marcher jusqu’à moi. Jean s’était poliment écarté pour nous laisser de l’espace.
Mes épaules s’étaient affaissées. « La prêtresse peut-elle se présenter à une réunion aussi agitée ? »
Lelia était désormais la prêtresse de la République, avec le blason qu’elle portait sur le dos de sa main droite. Elle était leur nouveau symbole d’espoir.
« Je suis ici précisément pour cette raison. Je suis venue exprimer ma gratitude à mon sauveur. » Elle hésita avant de dire : « En fait, ça te dérange si on parle un peu ? J’aimerais aussi rencontrer Marie. »
« Alors je suppose que nous devrions aller à l’intérieur du vaisseau, hein ? » Je l’avais guidée à bord.
☆☆☆
Nous étions tous les quatre assis dans une pièce : Luxon, Marie, Lelia et moi. Nous n’avions aucun moyen de savoir quand nous trois, ceux qui s’étaient réincarnés du Japon, aurions l’occasion de parler ensemble comme ça. Nous avions chacun nos propres positions à considérer, ce qui compliquerait nos chances de rencontres futures.
Lelia avait forcé un sourire. « C’est vraiment une situation méprisable. J’ai été le plus gros poids mort de tous dans cette histoire. Les blessures de ma grande sœur sont si graves qu’il faudra du temps avant qu’elle ne puisse même bouger, et pendant ce temps, la République est en lambeaux et peine à se reconstruire. »
Marie enfonça ses mains dans ses poches et détourna la tête. Cette fois-ci, son attitude méchante ne provenait pas de son mépris pour Lelia mais plutôt de son mécontentement face à la voie qu’elle avait choisie.
« Quoi ? Est-ce une raison suffisante pour que tu deviennes Prêtresse ? Tu savais à quel point cette position serait difficile. Pourquoi l’as-tu accepté ? » grommela Marie.
Pour ceux qui essayaient de reconstruire leur monde après qu’il ait volé en éclats autour d’eux, la Prêtresse était un symbole d’espoir. Elle était le visage de leur pays tout entier. La position apportait beaucoup de bagages avec elle, il était donc étonnant pour Lelia de l’avoir choisi de son plein gré. Je n’aurais jamais envisagé de faire la même chose si j’étais à sa place.
« J’ai tout volé à ma sœur. Le moins que je puisse faire est de devenir la prêtresse à sa place. C’est le seul moyen pour moi d’équilibrer les choses. »
Marie secoua la tête. « Crois-tu que tu seras libre d’aimer qui tu veux en tant que prêtresse ? Non, tu t’es choisi une bien mauvaise main. Il n’y a pas d’autre façon de le dire. »
La tentative de coup d’État et tout ce qui l’avait entourée avaient mis la République à genoux. La reconstruction serait une tâche ardue, et en tant que prêtresse, Lelia devrait assumer une énorme quantité de responsabilités. Elle devra travailler pour son pays, se marier pour son pays et renoncer à la plupart de ses libertés.
« Tu es une idiote », avais-je déclaré. « Tu aurais dû fuir le pays quand tu en avais l’occasion. »
« Tout le monde ne peut pas fuir les responsabilités avec autant d’habileté que toi, Maître », déclara Luxon avec franchise.
« Oh, la ferme. Quand ai-je fui mes responsabilités ? »
« Je t’invite à te souvenir de ta cérémonie de fiançailles — . »
« Cette conversation est terminée, merci beaucoup ! »
J’avais décidé de l’arrêter là. Il me désavantageait beaucoup trop.
Lelia m’avait fixé d’un regard égal. « Tu ferais mieux de bien t’occuper de ma sœur. Je veux qu’elle vive comme elle l’entend à partir de maintenant. Je sais que la route sera difficile, mais je peux être tranquille tant qu’elle est avec toi. »
« En es-tu sûre ? »
La voie qu’elle avait choisie était loin d’être aussi enviable que son entourage pourrait le penser.
« Tant de personnes ont connu la douleur et la misère à cause de moi. Si je ne faisais rien pour me repentir de ce que j’ai fait, alors je serais vraiment un déchet humain. Transmets mes salutations à ma sœur, d’accord ? Dis-lui de ne pas s’inquiéter pour la République et de se concentrer sur son propre bonheur. » Lelia avait l’air hantée tout le temps qu’elle avait parlé.
Marie avait froncé les sourcils. Elle ne comprenait pas pourquoi quelqu’un pouvait faire ce choix. « Pourquoi porter un si lourd fardeau au nom de Noëlle ? »
« C’est ma malédiction. »
« Malédiction ? Quelle malédiction ? »
« Je vous en parlerai une autre fois, » dit Lelia. « De toute façon, vous êtes tous prêts à partir ? »
« Comme si j’avais besoin que tu me dises de faire mes bagages et de partir d’ici ! Hmph. » Marie avait fait une pause et m’avait regardé. « Hey, Grand Frère ? »
« Hein ? »
« Es-tu sûr que c’est bon ? »
Je pouvais sentir sa réelle inquiétude : elle se demandait si c’était une bonne idée pour nous de venir en République. Je n’avais pas répondu, alors Luxon avait offert une réponse complète à ma place.
« Les problèmes auraient été résolus sans ta présence et celle du Maître. J’irais même jusqu’à penser que c’est mieux que l’alternative, certainement pour vous tous. Ce n’est peut-être pas une fin heureuse, mais c’est préférable à une mauvaise fin. » C’étaient des mots de réconfort de la part d’une IA qui, d’habitude, n’émettait que des sarcasmes acerbes.
« Ce n’est pas si facile pour moi de hausser les épaules et d’accepter cela, mais d’accord. » Marie n’était pas entièrement satisfaite, mais elle ravala son mécontentement et reporta son attention sur les autres sujets qui pesaient sur son esprit : avant tout, ma relation glaciale avec Luxon avant le coup d’État. « D’ailleurs, je dois te demander… est-ce que Luxon et toi soupçonniez vraiment Ideal depuis le début ? »
« Il était bien trop louche. Ne sous-estime pas mon intuition. »
« Uh-huh, et si ton intuition avait été à côté de la plaque ? Que se passerait-il alors ? »
J’avais haussé les épaules. « Alors rien. »
« Alors tu as continué à faire croire que vous étiez à couteaux tirés ? Juste sur la base d’une intuition ? »
« Il y avait une chance qu’Ideal nous surveille, » ajouta Luxon.
Marie avait répondu avec indignation, « Alors vous auriez dû me dire quelque chose plus tôt ! Je croyais que vous vous battiez pour de vrai ! »
Honnêtement, tout n’était pas de la comédie. « Eh bien, j’ai prévu d’être plus subtil à ce sujet. Cet abruti n’arrête pas de m’énerver avec toutes les conneries qu’il dit », avais-je grommelé.
« Mon irritation envers le Maître était réelle. Cette fois, j’ai choisi de ne pas me taire et d’exprimer une partie de mes critiques… oh, environ trente pour cent d’entre elles, peut-être ? »
Je lui avais lancé un regard furieux. « Excuse-moi, qu’est-ce que ça veut dire ? “Trente pour cent” ? Tu me détestres vraiment, c’est ça ? »
« Je me suis trompé. As-tu déjà eu l’impression que je t’appréciais vraiment ? Ton ego démesuré est en effet troublant. »
« C’est toi qui me harcèles toujours. Pourquoi ne pas te mettre à ma place pour une fois, hein ? Ou au moins, faire semblant d’avoir un minimum de courtoisie, comme Ideal ? »
L’œil de Luxon bougeait d’un côté à l’autre, comme s’il secouait la tête. « Je suis trop sérieux pour m’abaisser à une telle tromperie. »
« Une IA sérieuse ne pleurnicherait pas tout le temps comme un bébé auprès de son maître ! »
Nous nous chamaillons tous les deux tandis que les épaules de Marie s’affaissent d’exaspération. « Vous êtes exactement comme deux pois dans une cosse. »
« Qu’as-tu dit là ? »
« Marie semble se tromper lourdement à notre sujet. Je dois lui recommander de réviser son opinion en toute hâte. »
merci pour le chapitre