Chapitre 13 : Rémunération
Partie 1
Je me sentais épuisé quand j’étais revenu sur le vaisseau principal de Luxon. C’était en partie dû aux stéroïdes que j’avais pris, mais ce qui me faisait vraiment souffrir, c’était la fatigue mentale que j’avais accumulée.
« Affreux. Argh… Je ne veux plus jamais me retrouver en tête à tête avec un vaisseau de guerre, un objet de triche, tant que je vivrai. »
« Oui, tu t’es encore une fois blessé avec tes propres mots vicieux, comme cela semble être une habitude pour toi à ce stade. Mais plus important encore, je suis surpris de voir qu’un jeune arbre tout neuf a pris racine à l’endroit où l’Arbre sacré est tombé, » dit Luxon.
« Oh, ça. »
Lelia s’était réveillée et avait trouvé un jeune arbre à proximité qui ressemblait beaucoup à l’Arbre sacré. Enfin, je dis « ressemblait » — il était surtout similaire en ce sens qu’il s’était manifesté à partir de rien, tout comme le premier Arbre sacré. Nous avions trouvé Lelia le serrant dans ses bras et criant le nom d’Émile.
« Il me semble que Lelia ait obtenu tout ce qu’elle avait toujours voulu et qu’elle l’ait perdu d’un seul coup. »
D’après Lelia, Émile avait appris sa réincarnation ici, quand ils avaient fusionné. Il l’avait acceptée, elle et son passé, dans son intégralité. Elle avait enfin rencontré un homme qui connaissait tous ses secrets, un homme qui l’avait acceptée, mais à peine avait-elle rendu son amour réciproque qu’il était temps de se dire au revoir. J’avais compati à sa douleur.
« Émile l’a maudite, » avais-je dit.
« Ne confonds-tu pas le mot “malédiction” avec le mot “bénédiction” ? »
« Non, c’est une malédiction. Vois ça du point de vue de Lelia. On lui a arraché son bonheur. Elle va devoir passer le reste de sa vie à penser à Émile, qui est déjà mort depuis longtemps. »
Une bien meilleure fin pour elle aurait été qu’il la snobe à la place. Peut-être qu’Émile était un bien meilleur tacticien que je ne le croyais : Dans la mort, il avait lié Lelia à lui de manière irrévocable. S’il avait agi par pure bonté d’âme, alors c’était encore pire. Lelia avait perdu un homme qui connaissait tous ses défauts et les avait acceptés. Elle allait passer le reste de sa vie à comparer tous les autres hommes avec lesquels elle sera sortie avec Émile. Laisser passer le bonheur qu’elle aurait pu avoir autrement était un terrain fertile pour le regret.
« Maître, je te conseille également d’être prudent. »
« Je suppose que tu as raison. »
« Tu te comportes de façon exemplaire aujourd’hui, » commenta Luxon. « Dois-je te faire subir une évaluation détaillée ? »
« Pourquoi ? Je me sens toujours comme une ordure, ce n’est pas une nouvelle. Écoute, même moi j’ai des moments où je reconnais mes erreurs et où j’essaie de grandir. »
« Bien sûr. Mais les actions sont bien plus éloquentes que les mots. »
Je lui avais lancé un regard noir. « Tu es le plus insupportable, le plus suffisant des petits monstres ! »
Au lieu de me lancer une réplique intelligente, Luxon m’avait informé : « Maître, j’ai reçu une transmission d’Albergue. Il semblerait qu’il souhaite discuter de quelque chose. »
« Monsieur Albergue veut me parler ? »
☆☆☆
Quand nous étions retournés à l’Einhorn, le chevalier masqué n’était plus là. Julian avait assisté à notre réunion à la place, l’air pas très content que Greg et les autres se moquent de son alter ego.
« Ce bâtard. Il agit comme un imbécile, mais il donne de bons ordres. »
« Ne dis plus rien de plus. » Julian avait du mal à cacher sa joie. Ils avaient beau détester l’homme masqué, ils reconnaissaient son talent.
Vous êtes sérieusement encore en train de jouer le jeu, bande d’idiots ? J’étais plus préoccupé à m’inquiéter de la demande de Monsieur Albergue. Elle concernait spécifiquement le Saint Royaume de Rachel. Hilarant, vraiment, qu’ils s’appellent eux-mêmes un royaume saint alors que leur comportement était sournois et trompeur à un tel degré absurde. Rachel était hostile envers le pays d’origine de Miss Mylène, donc ils étaient aussi contre moi. Ses ennemis étaient mes ennemis. Ils finiraient par payer pour toutes leurs erreurs.
« L’armada du Saint Royaume a-t-elle pris possession de la République ? » j’avais demandé à Albergue de préciser.
« Correct. Ils ont envoyé leur propre flotte pour prendre le contrôle du territoire de la Maison Feivel, vraisemblablement parce qu’ils savaient que nous n’étions pas en état de nous défendre. Je prévois des renforts supplémentaires à partir de maintenant pour renforcer leur contrôle de la zone. »
Rachel était déterminée à revendiquer toutes les terres de la République.
Brad secoua la tête avec consternation de l’endroit où il était assis à côté de moi. « Rachel et Hohlfahrt sont des ennemis, donc s’ils renforcent leurs territoires, ce n’est pas de bon augure pour nous. Ils seraient une épine encore plus grosse dans notre pied si nous les laissions prendre l’Arbre sacré. »
« Alors quoi ? On les chasse ? » avais-je demandé.
« Le problème réside dans le fait que c’est à la République de s’en occuper. Cela n’a rien à voir avec Hohlfahrt. Nous n’avons aucune raison valable d’organiser une intervention, et plus important encore, nous n’avons pas la force militaire pour le faire. »
J’avais soupiré. « N’y a-t-il vraiment rien que l’on puisse faire ? »
« Eh bien, il y en a quelque chose, mais… » Brad avait détourné son regard de moi, les lèvres pincées comme s’il hésitait à suggérer ce que c’était.
« Dis-le, » avais-je craché.
« Eh bien, pour être parfaitement honnête, même si nous les chassions, ils reviendraient aussitôt. Notre implication ne ferait que retarder l’inévitable. »
Il n’y avait aucun moyen de protéger la République indéfiniment, quel que soit le temps que son peuple mettrait à reconstruire son pays. Comme Brad l’avait admis, toute assistance de notre part serait un gaspillage garanti. Il prétendait que nous n’avions qu’un seul plan d’action à notre disposition.
« Notre seul choix est d’occuper nous-mêmes la République. »
Je l’avais regardé fixement. « Tu es plus bête que tu n’en as l’air, hein ? » Notre but était de garder la République en sécurité assez longtemps pour rétablir leur propre gouvernement. Comment le fait de les occuper pourrait-il résoudre tout ça ?
« Tu es la dernière personne de qui j’ai envie d’entendre ça », s’emporta Brad.
Albergue se caressa le menton et acquiesça. « Ce n’est pas une mauvaise idée. »
« Hein ? »
Jilk, qui était également assis à côté de moi, se lança dans une explication — tout en me regardant de haut. « Permets-moi d’élaborer en termes plus simples que tu sois en mesure de comprendre, Comte Bartfort. C’est un concept assez simple. S’ils pensent que la République n’est pas de taille pour eux, alors tu n’as qu’à la revendiquer à leur place et dire : “Cette terre est désormais la propriété du Royaume !”. Rachel ne pourra plus y mettre la patte aussi facilement après ça. »
Maintenant que la République avait perdu sa réputation autrefois redoutable, utiliser le nom du Royaume pour le revendiquer serait une méthode bien plus efficace pour repousser nos adversaires potentiels. Certes, il était pathétique de devoir compter à ce point sur l’aide d’Hohlfahrt, mais faire autrement dans l’état actuel des choses entraînerait la chute de la République. Il faudrait du temps pour la reconstruire. Nous étions leur seul espoir.
« Vous voulez dire que nous allons emprunter le nom de Hohlfahrt et revendiquer ces terres jusqu’à ce que la République se remette sur pied, » avais-je supposé.
« Correct. »
J’avais jeté un coup d’oeil à Monsieur Albergue, qui avait hoché la tête. Il semblait prêt à accepter notre plan. Il n’y avait qu’un seul problème, et l’homme à côté de moi avait déjà la bouche ouverte pour l’expliquer.
« Je crains cependant que le temps ne soit un facteur essentiel dans la résolution de ce problème, » dit Jilk avec une expression troublée. « Nous n’avons pas le temps d’attendre que notre gouvernement prenne la décision. Pourtant, cela ne fera que causer des problèmes à Sa Majesté si nous allons de l’avant sans permission… »
Je m’étais agité à l’idée de causer des problèmes à Roland, et mes lèvres s’étaient mises à grimacer. Tout le monde autour de moi avait l’air exaspéré par ma réaction, et alors ? C’était le dernier coup de pouce dont j’avais besoin pour mettre ce plan à exécution.
« Parfait ! »
Je serais plus qu’heureux de prêter main-forte à la République si ça donnait au vieux Roland un ou deux ulcères d’estomac supplémentaires. D’une pierre, deux coups, on doit aider les gens et rendre ce bâtard malheureux, tout en même temps.
☆☆☆
La flotte du Saint Royaume qui survolait la région de la Maison Feivel était composée de six vaisseaux. C’était leur unité d’avant-garde, ils avaient plus de plusieurs centaines de navires en réserve. À l’origine, le but de cette flotte était de fournir un soutien à l’armée rebelle de Serge, mais après la chute de l’armée rebelle, la République était restée enfermée dans un état de confusion sans véritable gouvernement.
L’officier commandant l’armée du Saint Royaume n’était pas prêt à laisser passer cette opportunité. Il ordonna à ses unités de sécuriser le territoire de la Maison Feivel dans l’espoir de s’emparer des terres de la République. À sa grande surprise, la flotte s’aperçut rapidement qu’elle avait des visiteurs. « Que fait la flotte de Hohlfahrt ici !? »
Léon avait avec lui l’ensemble de la flotte de Hohlfahrt : les trente vaisseaux, tous fabriqués avec la technologie de pointe qui avait permis de vaincre l’armée rebelle. Le nombre écrasant du Saint Royaume ne signifiait rien ici. Ils ne pouvaient pas lancer une attaque. Léon lui-même était leur plus grande menace.
L’Einhorn, le vaisseau amiral de la flotte, avait glissé vers l’avant, et une voix avait proclamé : « Cette terre appartient désormais au Royaume. Si vous avez l’intention de l’envahir, je dois supposer que vous êtes prêts à en subir les conséquences. »
L’Arroganz se tenait fermement sur le pont d’Einhorn, les regardant fixement. Il tenait le drapeau du Royaume de Hohlfahrt dans une main, la bannière ondulant au gré du vent.
Le commandant de la flotte du Saint Royaume avait regardé les effectifs inférieurs de son adversaire et avait dit à ses subordonnés : « Ils sont deux fois moins nombreux que nous, et nous pouvons appeler des alliés en renfort. C’est notre chance de nous faire un nom et d’écraser le héros du Royaume une fois pour toutes. À toutes les unités, commencez l’assaut ! »
À son commandement, leurs navires avaient pivoté pour pouvoir pointer leurs canons. L’Einhorn était une autre histoire. Il pouvait pointer ses canons sans se retourner, et a donc instantanément lancé ses projectiles sur le vaisseau abritant le commandant du Saint Royaume. Le vaisseau entier s’était mis à trembler sous le feu de l’ennemi.
« Ils peuvent nous frapper à cette distance !? »
Ses forces étaient aussi secouées que lui, les tirs du vaisseau ennemi venaient de bien plus loin et pourtant ils étaient bien plus puissants que leurs propres armes. Pendant qu’ils essayaient de se remettre de l’assaut, Arroganz avait volé vers le vaisseau principal du Saint Royaume, drapeau en main, et avait atterri.
« C’est… parti ! » Arroganz avait enfoncé le drapeau dans le blindage, où il avait transpercé le plafond du pont.
Furieux de cette humiliation, le commandant cracha : « Tu oses planter ton drapeau sur notre vaisseau amiral ? Quel héros tu es, ordure ! On va te remettre à ta place. Attention à toutes les unités : Quiconque abattra cette armure aura ce qu’il souhaite comme récompense ! »
Les soldats avaient répondu en envoyant des Armures les unes après les autres pour inonder Arroganz en masse, mais l’Armure les avait facilement écartées de son chemin et les avait renvoyées voler plus loin. Les tirs de fusils avaient été déviés par son blindage extérieur, et toute tentative d’attaque à l’épée n’avait laissé aucune égratignure. Les autres dirigeables ne pouvaient pas lancer une attaque directe puisque l’Arroganz était située au sommet de leur vaisseau amiral.
« Merde ! » Le commandant avait hésité, ne sachant pas comment procéder. Viser Arroganz était presque impossible avec lui juste au-dessus de sa tête. La situation semblait sombre, leur défaite inévitable, mais alors Léon bougea.
L’Arroganz décolla du pont et se glissa sous le vaisseau, le poussant vers la flotte Hohlfahrtienne et l’éloignant de ses alliés.
« Qu-Qu’est-ce que tu fais !? » demanda le commandant.
« Qu’est-ce que je fais ? » Léon gloussa et répondit : « Je vous invite, bien sûr ! Bienvenue sur le nouveau territoire de Hohlfahrt. Nous sommes plus qu’heureux de vous accueillir, hommes de Rachel ! Vous serez nos honorables invités… en tant que prisonniers de guerre ! »
Il était parti avec leur vaisseau amiral en main. Le Saint Royaume de Rachel avait été témoin de cette scène finale et avait décidé qu’il était prudent de se retirer.
merci pour le chapitre