Chapitre 1 : Mère et fils
Partie 3
Dans l’entrepôt derrière le domaine se trouvait une armure avec un genou à terre. Cette combinaison motorisée était une arme à forme humaine qui pouvait voler dans le ciel. Ce n’était pas la seule, toutes les armes que Julius et les autres avaient utilisées auparavant étaient rangées là-dedans avec Arroganz. Depuis son arrivée dans la République d’Alzer, le groupe avait été impliqué dans un certain nombre de conflits. Pour être plus précis, Léon avait provoqué un certain nombre de conflits. C’est pourquoi, dans un but d’autodéfense, ils avaient choisi de garder ces Armures à proximité. C’était la preuve de la précarité de leur situation actuelle.
Un garçon se tenait devant l’une de ces Armures — un demi-elfe du nom de Kyle. Il avait des cheveux blonds courts et légèrement bouclés et les mêmes longues oreilles d’elfe que sa mère, Yumeria. Superficiellement, il ressemblait à un beau jeune garçon avec les mêmes caractéristiques que n’importe quel elfe. Si Marie l’avait employé malgré son jeune âge, c’est en partie parce qu’en tant que demi-elfe, il n’avait nulle part où aller.
Kyle avait posé sa main sur l’Arroganz à genoux, comme s’il avait l’intention de grimper jusqu’au cockpit.
« C’est inutile », déclara une voix derrière lui depuis la porte ouverte de l’entrepôt.
« Gwah !? » Paniqué, il se retourna. Un masque de sueur froide se forma sur son visage lorsqu’il reconnut Luxon, qui était littéralement apparu de nulle part. Il réalisa qu’il ressemblait à un enfant qui aurait été pris la main dans le sac. « Je n’ai rien fait ! »
« C’est un mensonge. Vous essayiez de grimper dans Arroganz, » dit le robot.
Léon et Marie se tenaient derrière Luxon, avec la mère de Kyle, Yumeria, et Cordélia. Léon avait jeté un coup d’œil au garçon et avait gloussé. « Hmm, donc je suppose que tu es comme n’importe quel autre garçon après tout. Tu veux faire un tour à Arroganz, hein ? » Kyle pouvait voir au sourire de Léon qu’il le taquinait.
Marie, quant à elle, semblait totalement perplexe face à ce qu’elle voyait. « Les garçons sont tellement stupides. Est-ce que se balader dans un gros robot est vraiment si amusant ? »
Kyle avait été déstabilisé par l’apparition de sa maîtresse. Il avait frénétiquement corrigé sa posture. « Bienvenue à la maison, Maîtresse. »
« Oui, bien sûr. Tu sais, si tu veux le monter à ce point, tu devrais juste dire quelque chose à mon frère — je veux dire à Léon. » Elle n’avait montré aucun signe de réprimande, donc c’était bien. Léon non plus, même s’il était plus qu’heureux de se moquer de Kyle pour cette nouvelle découverte.
« Tu as de bons instincts, tu veux monter Arroganz. Veux-tu essayer de faire un tour ? »
Kyle ne doutait pas que Léon l’autoriserait s’il le demandait, mais il n’arrivait pas à trouver le courage de le demander sérieusement. « Je ne suis pas particulièrement intéressé à le monter ou quoi que ce soit. »
L’un d’entre eux ne pouvait pas rester sans rien faire, l’expression de Cordélia se durcit et elle déclara : « Les armures sont des armes extrêmement précieuses pour les chevaliers et les nobles. Il est impensable qu’un serviteur mette la main sur quelque chose d’aussi précieux sans raison ni égard. Je suppose que vous êtes prêt à assumer les conséquences de vos actes ? »
Des conséquences ? Non, Kyle était loin d’être prêt à faire face à quelque chose de ce genre. Il était assez sage pour savoir que Marie et Léon ne s’énerveraient pas contre lui pour une petite chose comme toucher l’Armure. Léon ne semblait pas du tout en colère, il souriait.
« Je ne vais pas dégainer mon épée et le frapper pour quelque chose d’aussi trivial que ça, » dit Léon. « Je parie que ça lui ferait plaisir d’aller faire un tour. Hé, Luxon, ouvre le cockpit. »
Cordélia n’avait pas eu l’air très satisfaite de l’empressement de Léon à pardonner l’offense, mais elle s’était tue. Elle avait dû comprendre qu’il était inutile de pousser le problème plus loin.
Kyle était sincèrement heureux qu’on lui propose cela, mais il ne pouvait pas le laisser paraître sur son visage — cela blesserait trop sa fierté. Sa personnalité était un peu tumultueuse dans ce domaine, et sa réaction instinctive était l’hostilité. « Je n’ai jamais dit que je voulais aller dedans », s’emporta-t-il.
Marie se tourna vers Léon, sentant les vrais sentiments de Kyle. « Laisse-le monter, d’accord ? »
Luxon avait tout arrêté lorsqu’il avait soudainement déclaré : « Je refuse. »
« … Hein ? » s’exclama Kyle. Il regrettait instantanément d’avoir laissé passer cette chance, mais il faisait de son mieux pour garder un visage vide afin de ne pas laisser transparaître sa déception. « Pourquoi refusez-vous ? » Sa voix l’avait trahi, craquant au fur et à mesure qu’il posait la question.
« Un elfe est incapable de piloter une armure. La façon dont les elfes manipulent la magie est complètement différente de celle des humains, pour commencer. Arroganz — ainsi que les autres Armures ici — ont toutes été conçues pour des pilotes humains. »
Cela avait donné à Kyle une petite étincelle d’espoir. « Mais je ne suis qu’à moitié », avait-il dit.
« Cela ne change rien. Non, en fait, ça ne fait qu’empirer les choses. La magie circule différemment chez les humains et les elfes. Même en supposant que je crée une armure spécialement pour les elfes, les chances qu’ils soient capables de la piloter sont très faibles. »
Kyle était comme tous les autres garçons, il voulait lui aussi piloter une armure au combat. Cela lui brisait le cœur de voir ce rêve brisé. Il avait baissé la tête, les larmes coulèrent.
Agacé, Léon se retourna contre Luxon. « Hey ! Tu aurais pu être plus gentil avec ça ! »
« Arroganz a été conçu spécialement pour toi. Je te serais reconnaissant de ne pas offrir le siège de pilote aux autres si facilement. » Les rôles étaient inversés. Maintenant, Luxon était celui qui grondait Léon.
Cordélia marmonna dans son souffle : « Je suis d’accord avec l’objet rond. »
Yumeria s’était aventurée plus près, inquiète de son fils découragé. « Kyle… Je pense que tu devrais t’excuser. Le Seigneur Léon a été assez gentil pour te pardonner cette erreur, mais n’importe quel autre noble aurait eu ta tête pour ça. »
D’habitude, Yumeria était celle qui se trompait tout le temps, mais elle avait soulevé un point raisonnable ici. Kyle l’avait toujours trouvée trop naïve et peu fiable, ce qui rendait sa remontrance à son égard d’autant plus embarrassante. Il se détourna d’elle et lui déclara : « C’est toi qui fais toujours des erreurs. »
« Kyle ? » Le sourcil de Yumeria s’était froncé.
« Tu ne peux même pas prendre soin de toi correctement. Tu n’as pas à me faire la morale ! »
Les yeux de Yumeria s’étaient rétrécis. « Kyle, il ne s’agit pas de moi pour le moment. Tu dois t’excuser. Tu as fait ça uniquement parce que tu pensais qu’ils laisseraient passer, n’est-ce pas ? Tu te plains toujours du fait que je prends leur gentillesse pour acquise, alors tu n’as pas le droit d’adopter cette attitude. »
Léon et Marie s’étaient tus pendant que Yumeria grondait son fils. Cordélia semblait prendre Kyle pour un enfant pleurnichard. Ses lèvres étaient restées pincées alors qu’elle surveillait la situation, tandis que ses yeux semblaient plus froids que d’habitude.
Kyle était trop embarrassé et avait trop de fierté dans son travail pour accepter les mots de sa mère avec contrition. Il s’en était pris à elle en disant : « Peut-être que j’écouterai ce que tu as à dire quand tu seras plus compétente que moi dans ton travail. De toute façon, pourrais-tu arrêter de traîner notre relation personnelle sur le lieu de travail ? C’est agaçant. »
« Kyle ! » Yumeria cria en tendant la main pour attraper son fils par le bras. Kyle l’avait rapidement secouée.
« C’est un peu tard pour que tu agisses comme une mère et que tu me grondes maintenant ! Surtout que tu es complètement démunie sans moi ! »
Yumeria avait retenu son souffle, incapable d’argumenter. Kyle connaissait le point sensible parfait à atteindre. Il savait à quel point elle se sentait mal à cause de son incapacité à les soutenir tous les deux et qu’elle lui causait tant d’angoisse en conséquence. C’était un garçon intelligent. Elle n’avait pas besoin de dire un mot pour qu’il le comprenne.
Yumeria s’était tue et avait baissé la tête, mais Kyle n’était pas prêt à la laisser s’en tirer à bon compte. « Veux-tu me faire la morale à ce point ? Alors, essaie d’agir comme une vraie mère pour changer. Vu comment tu es maintenant, j’ai trop honte de te considérer comme une mère ! »
Ses mots étaient comme des couteaux qui s’enfonçaient dans son cœur. Son visage s’était progressivement vidé de ses couleurs tandis que le désespoir s’installait. La culpabilité avait frappé Kyle comme un rocher sur la poitrine, un poids écrasant, mais il n’avait toujours pas la maturité nécessaire pour s’excuser.
« Excusez-moi, je retourne à mes occupations », dit-il en sortant de l’entrepôt aussi vite que ses pieds le lui permettaient.
☆☆☆
Après avoir regardé cette épreuve, je m’étais gratté la tête. Les disputes entre parents et enfants faisaient remonter à la surface des souvenirs de ma vie antérieure, que j’aurais préféré garder pour moi — Marie et moi étions morts avant nos parents, et aucun de nous n’avait été un bon enfant pour eux. Je voulais autant que quiconque que Mlle Yumeria et Kyle prennent un chemin différent et fassent la paix… mais ils n’étaient pas le seul problème.
« Luxon, c’est ta faute si la situation a empiré. Tout ce que tu avais à faire était de le laisser s’asseoir dans le siège du pilote. Et je parie qu’il aurait été satisfait. » Si nous l’avions fait entrer dans le cockpit plus tôt, rien de tout cela ne serait arrivé.
Non seulement Luxon avait refusé d’accepter la faute, mais il l’avait retournée contre moi. « Es-tu vraiment certain que ce serait une bonne idée ? »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » avais-je demandé.
« Kyle est un enfant selon les vues de ce monde, ce qui signifie qu’il est quelqu’un que tu es censé protéger. Penses-tu vraiment qu’il serait sage de laisser un enfant piloter Arroganz ? De plus, il semble que tu aies oublié qu’Arroganz est une Armure que j’ai créée. »
J’avais finalement réalisé à quel point j’avais été négligent. En regardant Arroganz, je m’étais rappelé pourquoi Luxon avait créé cette armure pour moi en premier lieu. Non, ce n’était même pas seulement Arroganz. Toutes les Armures étaient faites dans un seul but : la bataille. C’était des armes. Ce n’était pas des jouets pour les enfants.
« Kyle considère Arroganz avec la fascination d’un enfant. Il ne possède pas le statut de noble, ni la mentalité qu’une telle position exige. Il n’a pas besoin de se battre, » poursuit Luxon.
Marie acquiesça. « S’il peut vivre sa vie sans voir de bataille, tant mieux. Je comprends ce que tu veux dire… Je vais lui parler et le convaincre de renoncer à son rêve de devenir pilote. Ne t’en veux pas, Mlle Yumeria. »
J’avais suivi le regard de Marie jusqu’à Mlle Yumeria, dont les yeux restaient rivés sur le sol. Les larmes qui roulaient sur ses joues m’indiquaient que le choc des paroles de Kyle n’était toujours pas amorti. Miss Cordélia s’était mise à ses côtés et essayait de la consoler.
« Vous n’avez pas à vous inquiéter. Il est simplement entré dans la phase de rébellion, comme le font souvent les garçons de son âge. Il essaie de jouer les durs et les matures, mais c’est encore un enfant. » Elle était bien plus gentille avec Mlle Yumeria que je ne l’avais jamais vue. J’aimerais qu’elle puisse avoir un peu de cette compassion pour moi.
Mlle Yumeria avait secoué la tête. « C’est ma faute, je n’ai pas été une bonne mère pour lui. » Le reste d’entre nous s’était tu tandis que ses larmes coulaient encore plus vite. « Je suis tellement empotée et crédule en plus. Je suis sûre que Kyle pense que je ne suis pas du tout fiable et que je lui cause toujours des problèmes. Je suis sûre qu’il se débrouillerait très bien sans moi. Non, peut-être qu’il serait mieux sans moi. »
Kyle avait ses problèmes, mais Mlle Yumeria aussi : elle semblait se considérer comme un échec en tant que parent.
« Ce n’est pas vrai du tout. Il est juste inquiet pour toi », avais-je dit.
« Alors, raison de plus. Je n’aurais jamais dû venir ici. Je n’ai fait que me mettre en danger. » Miss Yumeria était venue ici parce qu’elle s’inquiétait pour Kyle, mais maintenant qu’elle pense qu’il n’avait pas du tout besoin d’elle, elle était complètement découragée.
J’étais moi-même un enfant assez normal, au Japon, et j’avais causé à mes parents pas mal de problèmes. Je n’étais pas aussi mauvais que Kyle, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me voir en lui. Honnêtement, je voulais aider à arranger les choses entre eux, mais il semblait que d’autres problèmes se présentaient constamment à moi avant que j’en aie l’occasion.
☆☆☆
Ce soir-là, une fois son travail terminé, Yumeria enfila ses vêtements de nuit. Elle récupère la jeune pousse de l’arbre sacré, bien calée dans son étui transparent, avant de se rendre dans le jardin. Elle se trouva un siège sur un banc et elle se mit à réfléchir à ce qui s’était passé plus tôt : depuis que Kyle l’avait pratiquement repoussée dans l’entrepôt, elle n’avait pas réussi à se racheter.
« Je dois vraiment être une personne horrible. » Elle avait forcé un sourire troublé alors que des larmes coulaient dans ses yeux.
Kyle était le seul parent de Yumeria dans le monde. Tous les autres qui avaient été associés à elle l’évitaient ou l’excluaient complètement à cause de ses caractéristiques particulières. Bien qu’imperceptible pour les humains, les elfes pouvaient sentir la couleur du mana d’une personne, et le mana de Yumeria laissait une impression diluée et impure. Les elfes l’évitaient et la traitaient de dégoûtante à cause de cela. Kyle était la chose la plus importante dans son univers, car il était pareil, le seul comme elle. Ce fut un choc énorme d’apprendre qu’il avait trop honte pour la considérer comme sa mère.
Yumeria s’était recroquevillée sur elle-même, les bras se resserrant autour de l’étui de la jeune pousse.
« Bonsoir, » dit une voix.
« Hein ? »
Lorsqu’elle releva la tête, elle aperçut Luxon — non, Ideal, celui qui tournait toujours autour de Lelia.
merci pour le chapitre