Chapitre 5 : Sacrifice
Partie 4
Louise était étalée sur le lit, sa poitrine se soulevant et s’abaissant lentement. Alors que je m’asseyais à côté, Luxon était sorti de l’ombre et s’était mis à rôder près de moi.
« Maître, j’ai utilisé le sédatif. Elle devrait pouvoir dormir sans faire de rêves. »
« Tu es vraiment adroit, tu sais ça ? » J’avais fait une pause. « Alors, comment ça se présente ? Qu’est-ce que notre ami IA a en réserve pour nous ? »
Pendant que j’avais écouté Mlle Louise raconter ses différents souvenirs avec son Léon, Luxon s’était occupé de fouiller l’intérieur du château.
« Les défenses d’Ideal rendront difficile l’extraction de Louise sans rencontrer un certain nombre de problèmes. »
« Oh ? Es-tu en train de me dire qu’Ideal est plus capable que toi ? »
« Il est supérieur dans son domaine d’expertise respectif, mais dans l’ensemble, j’ai des raisons de croire que je suis plus fort, » dit Luxon. « Il serait erroné de déterminer la suprématie en se basant sur un seul aspect. »
On dirait que ma question l’avait énervé. Non pas que les robots ressentent de telles choses, mais quand même.
Quoi qu’il en soit, nous sommes dans une véritable impasse ici.
Même si Luxon était dans l’ensemble plus fort, Ideal pouvait le surpasser dans ses spécialités, et nous n’avions aucune idée du classement de ses capacités de combat. Il était encore parfaitement possible que Luxon perde.
« Mais pourquoi diable Ideal se donnerait-il la peine de mettre en place ces défenses en premier lieu ? »
La question ne s’adressait à personne en particulier, mais Luxon se risqua tout de même à une supposition. « Peut-être que Lelia lui a ordonné de le faire ? Il y a aussi la possibilité qu’il ait un lien avec ce qui est arrivé à Louise. »
« Nous devrons nous pencher sur la question. Très bien alors, je pense qu’on ferait mieux d’y aller. Il fait déjà nuit noire dehors. »
Dans le court laps de temps que j’avais passé à discuter avec Louise, le soleil s’était couché. D’un autre côté, j’avais appris un certain nombre de choses pendant mon séjour ici.
« Maître, » dit Luxon, « Es-tu certain de cela ? Louise t’en voudra. »
Je n’en doutais pas. « Vas-y. Tant qu’elle survit, je m’en fiche. »
« Maître, tu manques vraiment de tact. »
La dernière personne dont je voulais entendre parler de ça était une IA sans tact.
☆☆☆
Peu de temps après que Léon ait quitté le château, Serge était dans sa chambre, allongé sur son lit.
« Tch. Et maintenant ? »
À ce stade, il était pratiquement acquis que Louise serait sacrifiée à l’arbre. Serge n’avait personnellement aucun intérêt pour ces bêtises, mais le sort de Louise pesait sur son esprit. Il fixa son plafond, repensant au jour où il l’avait vue pour la première fois. Il s’en souvenait très bien.
« Je me demande si elle me verrait enfin comme de la famille si je la sauvais. »
Au moment où il s’était surpris à se poser cette question, il s’était levé et s’était passé les mains dans les cheveux.
« Pourquoi suis-je toujours accroché à ça ? Je sais déjà qu’elle ne veut qu’un remplaçant pour Léon. C’est tout ce dont elle parle toujours — Léon, Léon, Léon. »
Quand ils étaient plus jeunes, elle avait toujours l’air si heureuse quand elle parlait de son frère mort. Elle était si déchirée à propos de lui que tout le château était sombre et lugubre. Serge avait l’impression d’avoir été traîné jusqu’ici simplement pour remplacer le garçon mort. Et dans un sens, c’était vrai. Les Rault voulaient un héritier, c’est pourquoi ils l’avaient adopté dans leur famille élargie — pour être une doublure.
« C’est bien trop tard… Nous ne pourrons jamais être une famille. Pas après toutes ces années. »
Une partie de Serge aspirait toujours à être acceptée, et il ne pouvait pas complètement supprimer ce désir.
Alors qu’il était perdu dans ses pensées, Ideal était soudainement entré dans sa chambre. « Bonsoir. »
Serge s’était redressé d’un coup sec. « Toi ? Qu’est-ce que tu veux ? »
« Oh, j’ai simplement une information amusante, alors je suis venu te la transmettre. »
« Amusante ? Désolé, mais je ne suis pas vraiment d’humeur pour ce genre de conneries en ce moment. » Serge s’est installé sur le lit.
Ideal avait dérivé vers lui. « Vraiment ? Es-tu si déchiré par le fait que ton premier amour ait été choisi comme sacrifice ? »
En un instant, la main de Serge s’était élancée pour attraper le petit robot. Le métal d’Ideal avait craqué sous la pression de sa main. Les yeux de Serge étaient injectés de sang et meurtriers, des veines apparaissaient sur son front. À tout moment, il semblait prêt à mettre Ideal en pièces.
« Qu’est-ce que tu viens de dire ? » demanda-t-il.
« Il est inutile de détruire mon terminal distant. Même si tu le fais, je peux immédiatement en activer un autre. Maintenant, regarde ça, s’il te plaît. » De la lumière jaillit de l’œil d’Ideal, projetant une image sur le mur. Serge pouvait y voir Léon et Albergue en train de discuter. Ils avaient l’air de s’amuser.
« Qu’est-ce... Qu’est-ce que c’est ? »
« Un flux vidéo d’il y a quelques heures, » déclara Ideal.
« Quoi ? Je n’ai rien entendu à ce sujet ! »
« Parce que les gens de ce château n’ont pas jugé bon de t’informer, et parce que cet homme ressemble tant au fils décédé du seigneur Albergue. Ils savent en outre que tu t’es battu avec lui tout à l’heure. »
À l’insu de Serge, Léon s’était rendu au château et avait parlé à Albergue. Sa simple vue a fait bouillir de colère l’estomac de Serge.
Je n’ai jamais vu Père sourire comme ça avant. Pas à moi.
Les seules expressions qu’il avait jamais vues sur son père étaient la colère ou l’exaspération. Il y avait toujours quelque chose de distant et de froid dans son visage. Mais qu’en est-il de la façon dont il regardait Léon ? Albergue avait complètement baissé sa garde.
Serge avait serré les dents alors que l’image sur l’écran changeait.
« Ce flux provient de la chambre de Mlle Louise. Ils ont l’air de s’amuser. »
Le sourire sur son visage était exactement comme celui que Serge avait vu ce jour-là, lorsqu’ils étaient enfants — celui qui avait volé son cœur. Mais il ne l’avait plus jamais vu, du moins pas dirigé vers lui.
La lumière disparut des yeux de Serge, qui fixait l’écran d’un air absent, privé de toute vie. « Tu l’aimes bien parce qu’il ressemble à ton frère mort, hein ? »
« Ici, tu peux écouter leur conversation », dit Ideal, en lançant une relecture de leur échange verbal.
« En te parlant, j’ai presque l’impression de parler à nouveau à mon petit frère. Je me suis tellement amusée, Léon. »
« Je me suis également amusé. »
« Si seulement… tu avais été… mon frère à la place… »
La voix de Louise s’était soudainement coupée.
« Oh là là. Il semble qu’il y ait de l’électricité statique, » dit Ideal. « Je vais devoir réparer ça. »
Serge relâcha soudainement son emprise sur Ideal et rejeta sa tête en arrière, en riant tel un maniaque. « Ah ha ha ! »
« Seigneur Serge ? »
« Désolé pour ça. Bon travail de me montrer ça. Ouais, c’est une info plutôt amusante. Je le savais. Tout le monde ici ne me voit que comme un remplaçant. Merde ! » Serge avait sauté de son lit et avait frappé du pied le meuble le plus proche. Il était devenu fou furieux, brisant tout jusqu’à ce que sa chambre soit en désordre.
Sous le regard d’Ideal, il déclara : « En fait, ce n’était pas encore la partie la plus amusante. Tu vois, Léon a un objet perdu similaire au mien. Tu vois ? Juste ici. Regarde. »
« Qu’est-ce que ça veut dire ? »
« Cet objet est la raison pour laquelle Léon a fait tant de ravages ici dans la république. Cet autre robot est un de mes camarades, tu vois, et j’aimerais être en bons termes avec lui. Mais Léon l’utilise pour semer la pagaille ici. C’est impressionnant, je dois le reconnaître. »
Serge ne savait pas grand-chose de Léon, si ce n’est qu’il s’agissait d’un étudiant en échange qui ne cessait de s’attirer des ennuis. Il est vrai qu’il était en partie dans l’ignorance parce que tout le monde au château avait évité de partager avec lui des informations relatives à Léon.
« Alors, quoi ? Il cherche à se battre avec Alzer ? »
« Ne le savais-tu vraiment pas ? Depuis son arrivée, il a détruit deux nobles importants : Pierre de la maison Feivel et Loïc de la maison Barielle. Et il a fait tout cela en utilisant cet objet perdu. Il ne connaît certainement pas le sens de la modération. »
Ce n’est que maintenant que Serge avait réalisé à quel point il avait été ignorant. « Pourquoi personne ne m’a-t-il parlé de ça ? »
« Eh bien, je n’aurais jamais imaginé que tu étais si mal informé, » dit Ideal. « Je suppose que Lady Lelia n’a rien dit pour les mêmes raisons. C’est de notoriété publique dans tout le pays à ce stade. Tout le monde parle du chevalier ordurier de Hohlfahrt. »
« Salaud ? Donc tu dis que Père… Je veux dire, Albergue avait une gentille petite conversation avec ce type ? Il est pratiquement l’ennemi public numéro un. »
« Oui. Je suppose que la ressemblance de ce Léon avec son fils mort est la raison pour laquelle il ne peut pas se résoudre à haïr le garçon, peu importe la dévastation qu’il apporte à Alzer. »
Toute cette situation rendait Serge absolument livide. « C’est quoi ce bordel… ? »
Donc, même s’il est notre ennemi, Albergue est prêt à donner à ce Léon un accueil plus chaleureux qu’à moi — son propre fils — juste parce qu’il ressemble à son enfant mort ?
Serge avait serré les poings avec détermination. « Hé, Ideal. Donne-moi un coup de main. »
« Certainement. »
Serge fixa du regard l’image projetée de Léon. « Si ce type essaie de jouer les gros bras avec son objet perdu, ne crois-tu pas qu’il a besoin d’une bonne correction ? »
Serge avait battu Léon pendant le festival du Nouvel An avec facilité. Il était convaincu que s’ils s’affrontaient sans armure ni arme, il ferait plus que jeu égal avec lui.