Chapitre 5 : Sacrifice
Partie 2
Quand j’étais retourné au domaine de Marie, je l’avais informée de ce qui s’était passé au festival. À savoir que l’Arbre sacré avait choisi Louise comme sacrifice humain, et qu’elle avait entendu la voix de son petit frère décédé et avait donc décidé de se plier à ses exigences.
Marie était sidérée. « Pourquoi voudrait-elle être un sacrifice humain juste parce que son petit frère mort souffre ? Je ne comprends pas du tout. »
Oui, ça semblait un peu bizarre.
« Comment diable le saurais-je ? Tout ce que je peux te dire, c’est qu’elle a sauté sur l’occasion de devenir un sacrifice, et elle a dit que c’était à cause de son frère mort. »
Nous étions réunis dans une pièce vide avec Creare et Luxon qui écoutaient. Je ne pouvais pas en parler à la brigade des idiots, c’est pourquoi nous nous réunissions en secret.
« Euh… OK, attends. Je suis presque sûre qu’il n’était pas question d’un sacrifice humain dans le deuxième jeu, » dit Marie. « De plus, le festival du Nouvel An est censé permettre à la protagoniste de montrer qu’elle sort avec son amoureux. C’est là tout l’intérêt. »
« Et quel était le rôle de Louise dans tout ça ? Comment était-elle impliquée dans l’histoire à ce moment-là ? Et qu’est-ce qui est censé se passer ensuite ? » avais-je demandé dans une succession rapide.
Sentant mon impatience, Marie avait promptement répondu. « Euh, voyons voir… Elle demande à l’amoureux qu’elle a choisi s’il est vraiment sûr de vouloir être avec une femme comme elle. Je ne me souviens pas des lignes exactes, mais il n’y avait absolument rien sur le fait que quelqu’un soit choisi comme sacrifice humain. Et si c’était le cas, ça ne pouvait pas être Louise, à la fin, elle est condamnée pour tous les crimes qu’elle a perpétrés au cours de l’histoire. »
En laissant de côté la question de la condamnation, si Louise avait vraiment un rôle à jouer jusqu’à la toute fin du jeu, il n’était pas logique qu’elle soit sacrifiée à quoi que ce soit en cours de partie. C’était une preuve évidente que nous vivions une anomalie.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? » J’avais fait une pause et je m’étais corrigé. « Ou plutôt, que va-t-il se passer maintenant ? » J’avais mis une main sur ma bouche et m’étais creusé la tête.
« Vous connaissant, vous allez probablement faire un gros gâchis en vous impliquant, non ? » dit Creare. « De toute façon, si vous tenez tant à sauver la demoiselle en détresse, nous ferions mieux de nous y mettre. Vous allez la sauver, n’est-ce pas ? »
C’était une évidence, bien sûr que j’allais la sauver. Comment pouvais-je rester là et laisser Louise se faire sacrifier ? Mon problème était qu’elle était déterminée à s’offrir en tant que victime consentante. Ce serait difficile de l’en dissuader. L’emmener au loin était-il ma seule option ?
« Je suppose qu’on peut se faufiler là-bas et l’attraper, pour voir ce qui se passe. Luxon, allons-y. » Comme il ne répondait pas immédiatement, je m’étais tourné vers lui. « Luxon ? »
Luxon était encore plus insensible que d’habitude, et quelque chose en lui semblait aussi différent. Comme s’il était plus sur ses gardes. Il avait été si blasé jusqu’à présent, offrant d’anéantir tous les nouveaux humains quand je le souhaitais, mais pas cette fois.
« Maître, j’ai de mauvaises nouvelles, » déclara-t-il.
« Mauvaises ? Dans quel sens ? »
« Je pense qu’il sera presque impossible de réussir à sauver Louise. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? Que même toi tu ne peux pas le faire ? » Comment une chose si simple peut-elle être si difficile que même Luxon n’y croit pas ?
« Nous ne pourrons pas nous faufiler sans nous faire remarquer, » précisa Luxon. « Le problème, c’est Ideal. »
« Ideal, hein ? Et lui, alors ? »
« Il a déployé des dispositifs de sécurité spéciaux qu’il a fabriqués lui-même. J’ai également confirmé qu’il a mis en place des mesures défensives. »
« Attends. Tu n’es pas en train de me dire que Lelia s’est retournée contre nous, n’est-ce pas ? »
Allait-elle vraiment me poignarder dans le dos maintenant ? Non, étant donné sa position, il était plus probable qu’elle considère Louise comme une plus grande menace que moi. Mais serait-elle vraiment prête à aller aussi loin pour l’éliminer ? Elle ne semblait pas si impitoyable. Pour le meilleur ou pour le pire, elle était comme moi dans la mesure où elle portait encore les idées culturelles et la morale qui lui avaient été inculquées au cours de sa vie précédente.
En entendant le nom d’Ideal, Marie s’était penchée en avant, voulant en savoir plus. Elle n’avait pas utilisé le cash shop dans le deuxième jeu, donc elle savait très peu de choses sur lui.
« C’est un objet de triche — un navire de guerre — du deuxième jeu, non ? À quoi ressemblait-il ? » avait-elle demandé.
Luxon expliqua : « C’est un vaisseau de transport créé par les anciens humains. Cependant, il est fort possible que ses capacités de collecte d’informations dépassent les miennes. Cependant, les circonstances sont également très peu naturelles. »
Creare partagea ses soupçons. « Un vaisseau de transport aurait-il vraiment besoin de telles capacités ? Aucune de mes données ne le suggère. »
« C’est précisément la raison pour laquelle je suis perdu, » avoua Luxon. « Il n’a quitté le mode veille que récemment, mais il a néanmoins été capable de se cacher de moi pendant tout le temps qui a précédé son réveil. Cela montre qu’il est une réelle menace. »
Maintenant qu’Ideal était dans le coup, nous ne pouvions plus nous déplacer aussi librement qu’avant. Il s’est avéré être un vrai problème.
« Alors qu’est-ce que tu vas faire, Grand Frère ? » demanda Marie. « Ce sera difficile de la récupérer, non ? Et si nous ne faisons pas attention, nous pourrions provoquer un scandale international suffisamment important pour que nous ne puissions pas nous en sortir. »
« Oui, les choses se sont compliquées. »
Le plus gros problème était que, pour la République d’Alzer, tout ce qui était lié à l’Arbre sacré était considéré comme sacré. Ils feraient tout pour apaiser l’arbre, même si cela signifiait offrir la vie de quelqu’un sur un plateau. Ils se mettraient absolument en travers du chemin si j’essayais de sauver Louise.
« Oh, je sais ! » Marie avait claqué des doigts. « Et si on demandait à Luxon de brûler la fleur de l’arbre ? Si on fait ça, alors toute cette histoire de sacrifice devrait disparaître. »
« J’adorerais faire ça, mais… » J’avais jeté un coup d’œil à Luxon, qui bougeait son regard d’un côté à l’autre.
« Ideal a mis en place des mesures défensives contre cela aussi. Si nous essayons de faire quoi que ce soit, surtout quelque chose d’aussi grave que d’attaquer l’Arbre sacré, cela provoquera une rupture entre la république et le royaume. »
« Alors, qu’est-ce qu’on est censés faire !? » demanda Marie en se prenant la tête dans les mains.
C’était le problème, aucun de nous ne le savait.
Luxon m’avait lancé un regard. « Maître, que proposes-tu ? Si nous choisissons d’affronter Ideal, je jure que je ne perdrai pas, mais nous subirons des pertes. De plus… Je ne connais toujours pas l’étendue des capacités d’Ideal. »
Donc en fait, même avec Luxon en ma possession, je n’étais pas à l’abri du danger. Il était temps d’imaginer le pire scénario, qui consistait à affronter Ideal. Je n’avais aucun problème à affronter Lelia, mais Ideal était une autre histoire. Avant de l’affronter, je devais mettre toutes les chances de mon côté.
« D’abord, obtenons des informations », avais-je dit. « Si nous ne pouvons pas le frapper là où ça fait mal, nous devrons le prendre de front. Marie, si tu te souviens de quelque chose, fais-le-moi savoir immédiatement. Luxon, tu viens avec moi. Et quant à toi, Creare… »
« Oui ? »
« Rentre chez toi. »
« Quoi ? »
« Tu ne me sers pas vraiment pour l’instant. Tu pourras revenir quand il sera temps d’emmener Anjie et Livia à Hohlfahrt. Eh bien, ce sont tes ordres. À bientôt. »
Dans une rare démonstration, Luxon était d’accord avec moi. « En effet. Tant que je suis là, tu n’as besoin de personne d’autre. Nous devrions demander à Creare de retourner à Hohlfahrt et de travailler sur ce qui doit être fait là-bas. »
« Attendez une minute ! Je n’aime pas être la seule à être exclu, » dit Creare.
« Ferme-la et rentre chez toi ! »
« Maître, espèce de gros con ! » Elle avait sangloté et s’était envolée hors de la pièce.
Marie avait tendu une main après elle. « Hé, attendez ! Grand Frère, fallait-il vraiment que tu la chasses ? Je pense qu’elle est très utile. »
« Non, c’est mieux comme ça. Luxon, allons-y. »
« Compris, Maître. »
☆☆☆
Les Six Grandes Maisons avaient convoqué une réunion d’urgence. Le sujet central était Louise et la question de son sacrifice. À l’exception d’Albergue, les cinq autres chefs de maison étaient d’accord.
« Avez-vous vraiment l’intention de sacrifier ma fille ? » demanda Albergue.
Ils avaient décidé que si l’Arbre sacré le désirait, ils étaient prêts à offrir Louise. Aucun d’entre eux n’avait montré la moindre hésitation. Pour les Six Grandes Maisons — non, pour tout le peuple de la république —, l’Arbre sacré était un être divin.
Lambert avait souri, appréciant clairement la frustration d’Albergue. « L’Arbre sacré a choisi ta fille. Tu devrais être ravi de la remettre. Honnêtement, j’envie ta chance. » Ses mots étaient empreints de sarcasme, clairement motivés par la rancune.
Albergue avait serré les poings si fort que ses jointures étaient devenues blanches. Pendant ce temps, les autres chefs continuaient leur discussion.
« Digressions mises à part, c’est la première fois qu’une telle chose se produit. Nous devrions faire un rapport clair des événements. »
« Nous devons envoyer quelqu’un de l’une de nos maisons pour l’accompagner. Lady Louise a besoin d’un garde du corps. Elle semble parfaitement disposée à se proposer, mais si elle changeait d’avis le moment venu, nous serions dans une situation délicate. »
« Eh bien, alors envoyons tous des gens de nos maisons. »
La façon dont ils se comportaient tous en ignorant Albergue l’avait rendu furieux. Même Fernand, qu’il avait pourtant favorisé par le passé, se joignait activement à la conversation sans se soucier de lui. Fernand cherchait désespérément à établir de nouveaux liens avec les autres après qu’Albergue l’ait abandonné pour sa trahison. Dans le même temps, il préparait joyeusement le terrain pour sacrifier Louise.
« Messieurs, » dit Fernand, « Il y a un autre sujet important dont nous devons parler. À savoir, le héros de Hohlfahrt. »
Les dirigeants avaient hoché la tête à l’évocation soudaine de Léon.
« Qu’est-ce qu’il a à voir avec ça ? C’est une affaire d’Alzerian. »
« Oui, cette ordure n’a pas sa place dans ces arrangements. »
Comme Léon lui avait déjà infligé une fois une défaite, Fernand le considérait avec la plus grande prudence. « Il a une relation personnelle avec Louise », expliqua-t-il.
« Et ? Qu’en est-il ? »
Les autres hommes le regardent avec une expression perplexe. Ils étaient sceptiques quant au fait que Léon s’implique pour une raison aussi insignifiante. S’il était assez stupide pour intervenir, il provoquerait un énorme scandale. Aucun noble ordinaire ne prendrait un tel risque pour sauver une simple connaissance.
Mais Fernand n’était pas le seul seigneur à se méfier, Bellange avait également été piqué par Léon.
« Fernand a raison », avait convenu Bellange.
Albergue était resté silencieux jusqu’à présent. Intérieurement, il ne pouvait s’empêcher de sourire avec amertume. Il se doutait que ce que les autres craignaient allait effectivement se réaliser : que Léon serait prêt à sauver Louise. C’est précisément pour cela qu’il ne voulait pas les mettre plus en garde qu’ils ne l’étaient déjà.
« Je doute qu’il vienne ici », déclara Albergue.
Bellange lui lança un regard noir. « Baisser notre garde est exactement ce qui nous a mis dans la merde à chaque fois ! »
Hélas, les autres seigneurs présents n’avaient pas personnellement ressenti la colère de Léon, et ils restaient peu convaincus du danger.
« Vous parlez du biais de l’expérience. »
« D’accord. Il ne pouvait pas être aussi stupide cette fois. »
La tournure que prenait la conversation ne pouvait que profiter à Albergue, surtout si Léon intervenait pour l’aider. Sans contrôle, Albergue était certain qu’il serait capable de ramener Louise.
Parfait. Si nous pouvons juste continuer sur cette lancée — .
Malheureusement, Lambert, Fernand et Bellange n’avaient jamais cessé de se méfier de Léon et ne l’avaient jamais caché.
« Ce garçon est anormal ! On ne peut pas savoir ce qu’il va faire ! » protesta Lambert.
Les autres avaient semblé avoir momentanément de la peine pour Léon, vu que quelqu’un comme Lambert le qualifie d’anormal.
Cependant, Fernand partageait ces sentiments. « Il sera trop tard pour agir si nous restons les bras croisés. Nous devons nous préparer. »
Bellange lança un regard à l’Albergue. « D’accord. Et nous ne pouvons pas être sûrs que le père de Louise ne s’interposera pas non plus. J’aime à penser que notre président ne ferait jamais une chose aussi stupide, mais mieux vaut prévenir que guérir. »
Albergue voulait faire claquer sa langue, mais il garda ses pensées pour lui. Ça doit être difficile à comprendre pour un homme comme toi, vu la facilité avec laquelle tu as abandonné ton propre fils.
Il savait qu’aucun des nobles ici ne comprendrait sa relation avec Louise. En tant que noble, son affection pour elle faisait de lui un intrus. Heureusement, les autres dirigeants n’étaient pas convaincus que Léon interviendrait, si bien que les mesures militaires qu’ils avaient adoptées étaient au mieux bancales. Fernand et Bellange étaient aigris, même si c’était une petite victoire, et Albergue restait préoccupé par ce qui allait suivre.
Louise, quoiqu’il arrive, je jure sur ma vie…
merci pour le chapitre