Chapitre 2 : Les visiteurs
Table des matières
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Chapitre 2 : Les visiteurs
Partie 1
« Hey, Claudius. Sais-tu pour Soljest ? »
Cette question venait de la petite sœur de Wein, la princesse de Natra — Falanya Elk Arbalest.
Son manuel à portée de main, elle s’était tournée vers un homme âgé qui se tenait à proximité — Claudius. Son tuteur.
« Bien sûr, » répondit-il en hochant poliment la tête. « C’est une nation puissante avec une armée militante et une culture riche. Vous auriez du mal à trouver quelqu’un de l’Ouest qui ne connaisse pas Soljest. »
« Il est dirigé par l’une des élites saintes, le roi Gruyère. À quoi ressemble-t-il ? »
« Je ne l’ai pas vu moi-même, mais il est connu comme le plus grand glouton du continent. Les rumeurs sur la nourriture ne manquent pas autour de sa personne. “Le Roi Cochon vit de porc.” “Capable de dévorer la moitié de la nation”. Les seules choses infinies chez lui sont l’amour de Dieu et son appétit. »
« La moitié de la nation… »
« Vous vous souvenez de la cérémonie de l’autre jour ? C’était un rituel pour remercier la nation de sa générosité. Cela a changé quand le roi Gruyère est monté sur le trône. J’ai entendu dire que la capitale royale passe ce temps à se gaver et à se délecter de tous les délices culinaires du continent. »
« Oh mon Dieu… » Falanya avait affiché un sourire douloureux.
Elle imaginait un géant, enivré par l’esprit de fête, serrant la ville entière, prêt à la faire entrer dans sa gueule béante.
« Bien sûr, son appétit n’est pas son seul trait de caractère. Il est roi depuis plus de vingt ans. Un simple coup d’œil à leur richesse suffit à prouver ses prouesses politiques. »
Claudius avait feuilleté le manuel qu’il tenait dans sa main, regardant une carte de la région autour de Natra. Elle comprenait Marden et Soljest à l’ouest.
« Leur royaume a toujours eu un port d’eau chaude, lui permettant de bâtir sa fortune grâce au commerce avec les nations étrangères. Depuis le début de son règne, ce port s’est agrandi, augmentant ainsi leurs importations. Et quand il s’agit de la guerre, il a remporté la victoire en menant personnellement ses hommes au combat. »
Claudius poursuit. « Bien qu’il soit particulier dans sa façon de manger, il est généreux et admiré par ses sujets. Tout le monde s’accorde à dire que c’est un souverain sage. »
« C’est impressionnant…, » s’émerveilla Falanya en soupirant d’étonnement.
Il était facile de mener un royaume à la ruine, mais difficile de le faire prospérer.
Même si elle était jeune, elle comprenait que le roi Gruyère devait être vraiment quelqu’un s’il pouvait maintenir un âge d’or pendant vingt ans après son ascension au trône.
« C’est donc là que Wein va aller…, » Falanya avait réfléchi un moment. « Pensez-vous qu’ils veulent être nos alliés ? »
« C’est possible, » répondit Claudius en hochant la tête. « Même si ce n’est pas pour une alliance, leur royaume pourrait vouloir montrer un intérêt à développer des relations amicales avec les nations environnantes. Après tout, ils se sont battus contre Delunio depuis que le roi Gruyère a pris le pouvoir. »
Le royaume de Delunio était une autre nation de l’Ouest, située à côté de Marden. Situé au sud-ouest de Marden et au sud de Soljest, Delunio entretenait des relations difficiles avec Soljest depuis des décennies.
« J’ai entendu dire que Marden avait été appelé à faciliter les relations entre les deux nations lorsqu’elle était encore indépendante. Maintenant qu’elle fait partie de Natra, Soljest espère peut-être que nous reprendrons ce rôle. L’étape logique serait de tendre la main en premier et de s’attirer nos faveurs. »
« … C’est logique. Si Natra et Delunio se retrouvaient en termes amicaux et formaient une alliance, cela poserait des problèmes à Soljest. » Falanya avait hoché la tête.
Claudius s’était mis à sourire.
« Hmm ? Qu’est-ce qu’il y a, Claudius ? »
« Oh. Ne faites pas attention à moi… Il semble que l’incident à Mealtars vous ait beaucoup apporté. Vous avez grandi, princesse Falanya. »
« Vraiment ? » Elle baissa les yeux sur son propre corps. « Je suppose que je suis devenue un peu plus grande… » Elle fronça son visage pour examiner ce changement.
Il l’avait regardée avec des yeux doux. Bien qu’elle ne puisse pas le voir elle-même, les membres de son cercle intime avaient remarqué cette évolution. Autrefois enfantine et peu fiable, Falanya s’était forgé une volonté depuis son retour de Mealtars.
« Vous n’avez jamais eu l’habitude de vous intéresser aux affaires étrangères, princesse. Mais vous avez pris vos études très au sérieux pour soutenir le prince Wein. C’est la preuve de votre maturité physique et mentale. C’est très impressionnant. »
« V-Vraiment ? » Falanya avait rougi en recevant les éloges de son tuteur strict.
Claudius n’avait pas fini. « C’est pourquoi je dois vous dire quelque chose. »
Son regard s’était aiguisé. Falanya avait redressé son dos.
Il lui fit face et parla lentement. « Depuis l’incident de Mealtars, beaucoup de gens sur ce continent ont pris connaissance de votre nom. Les citoyens portent un toast à votre santé. Les vassaux sont émus par votre croissance. Cela a montré au monde qu’il y a quelqu’un sur un pied d’égalité avec le prince Wein à Natra. »
« Quoi… ? Je ne peux pas me comparer à mon frère. »
« Veuillez pardonner mon impolitesse. Je dois en convenir. Vos capacités et vos réalisations sont loin de celles du prince Wein. Les citoyens le savent. Mais leur point de vue changera au fur et à mesure de vos progrès. »
« … »
Elle avait compris ce qu’il voulait dire. Si elle continuait à faire de grands progrès, ils pourraient insister pour qu’elle soit au même niveau que Wein.
Et alors ?
Est-ce nécessairement une mauvaise chose d’être félicité pour être au même niveau que mon frère ? Si je peux faire mes preuves, je peux lui enlever un poids sur le dos. S’il s’effondre à nouveau comme à Mealtars, alors je…
Elle avait soudainement réalisé quelque chose — comprendre ce que cela signifiait de remplacer le prince.
Le sang s’était vidé de son visage.
« Vous avez raison, Princesse Falanya, » dit Claudius. « Le prince Wein est pressenti pour être le futur roi… Mais à mesure que vous deviendrez plus célèbre, j’imagine que certains diront que vous êtes plus apte à hériter du trône. »
« C’est ridicule ! » cria Falanya. « Wein sera le prochain roi. Quiconque pense que je lui enlèverai cela… ! »
« Je comprends. Je connais vos sentiments et votre lien avec votre frère. Ne voyez là qu’une plaisanterie de mauvais goût. Mais, » poursuit-il, « le fondateur, Salema, et son frère aîné, Galea, n’ont pu échapper à la lutte pour l’héritage, alors qu’ils étaient connus pour être proches. »
« … Ngh. »
Salema et Galea étaient des princes de l’ancienne nation de Naliavene. Les factions des deux camps avaient pris une ampleur incontrôlable. Finalement, Salema avait abandonné sa patrie pour fonder Natra.
« … Ai-je dépassé les limites ? Aurais-je dû m’abstenir même si Wein avait des problèmes ? »
Falanya avait trébuché sur son chemin pour l’aider, se maudissant de son impuissance. Cela n’avait rien à voir avec l’époque où elle était une princesse choyée. C’était un travail éreintant, mais elle pensait que cela lui avait donné un aperçu du monde politique.
Cependant, si cela devait se faire au détriment de Wein et Natra, elle avait joué le rôle d’une idiote.
Claudius avait essayé d’apaiser ses inquiétudes. « Jamais de la vie. Comme le continent a commencé à connaître des troubles, votre soutien était critique… Indispensable, même. »
« Mais… »
« Considérez cela comme le bien de la nation, princesse Falanya, » avait-il poursuivi. « À partir de maintenant, je suis sûr que des gens seront attirés par votre renommée et tenteront de gagner vos faveurs. Ne vous laissez pas émouvoir par leurs paroles. Suivez votre propre jugement et soutenez le prince Wein. C’est votre prochaine épreuve. »
« Mon épreuve… »
Le souvenir de son discours à Mealtars lui revient en mémoire. Elle n’avait jamais été aussi nerveuse. « Épreuve » semblait être un mot approprié — et elle avait réussi à la surmonter.
… D’autres barrages sont à venir, même si cela est fait…
Et ils continueraient pour le reste de sa vie.
Son estimé frère avait réussi à surmonter son lot de défis. Elle ne pouvait pas laisser une seule épreuve réussie lui monter à la tête en tant que petite sœur.
« Je vais le faire, » avait-elle dit après une longue pause. « Je ne peux pas rester assise et ne rien faire. Je vais soutenir mon frère et cette nation. »
Elle s’était tournée vers Claudius.
« Pour te venger, de m’avoir fait m’inquiéter, je vais te demander de m’aider. »
Claudius lui jeta un regard choqué, mais il ne tarde pas à sourire et à s’incliner.
« Et je ferai de mon mieux pour servir Vos Altesses et Natra. »
Elle déplaça son regard vers la fenêtre. Le ciel de l’ouest se reflétait dans ses yeux.
Quelque part sous le même ciel se trouvait son frère. Elle se demandait comment il allait.
***
Partie 2
« Ngh… »
Sur la route principale de Tholituke à Marden.
Protégé de tous côtés par des gardes et sa suite, le carrosse avançait en vacillant. À l’intérieur, Wein laissa échapper un gémissement troublé.
La source de sa consternation était les cartes dans sa main. En face de lui, Ninym s’accrochait à son jeu. Ils passaient le temps avec des jeux jusqu’à ce qu’ils atteignent leur destination.
D’après leurs expressions, Wein était désavantagé. Après tout, son esprit était ailleurs. Quant à savoir pourquoi — .
« Ce n’est pas la première fois. Pourquoi y tiens-tu tant ? » Ninym passa ses doigts dans ses cheveux, l’air exaspéré.
Les mèches étaient noires. Elle les avait teints à nouveau, puisqu’ils voyageaient dans l’Ouest.
« S’il te plaît, laisse-moi les touchers. »
« J’ai dit non. La couleur va s’effacer. »
« S’il te plaît ? N’ai-je pas de privilèges princiers ? »
« Non. »
« Aie. Allez. » Wein avait boudé, tirant une autre carte du jeu.
Ses yeux s’étaient un peu agrandis.
« … Et si je gagne ? »
« Ça devait être une bonne carte. » Elle se fendit d’un sourire sarcastique.
Il était presque trop évident. Ninym savait que les choses pouvaient mal tourner si elle lui faisait la tête.
« Bien… Mais si je gagne, je pourrai teindre tes cheveux. »
« Mes cheveux ? En quoi serait-ce amusant ? » Wein tripota sa frange et pencha la tête sur le côté.
Ninym avait l’air de penser que c’était sa meilleure idée.
« Tout. J’ai le sentiment que ça va être bon. Personne ne te force, mais si tu dis non, mes cheveux sont aussi hors limites. »
« Hmm… » Il jeta un coup d’œil à sa main avant de la regarder à nouveau. « Es-tu sûre ? »
« Alors, nous avons un accord. OK. Montrons-nous mutuellement nos mains à trois. Un… Deux… Trois… Go. »
Wein gloussait mentalement pour lui-même.
— Heh, je t’ai eu, Ninym !
Pendant qu’il la distrayait avec sa frange, il avait utilisé son autre main pour échanger ses cartes avec celles dont il avait besoin dans la pile de défausse.
Je tiens les deuxièmes meilleures mains ! Je n’avais pas les cartes pour faire la main avec la valeur la plus élevée possible, mais je viens de me débarrasser de la carte dont elle a besoin pour gagner ! En d’autres termes, cette bataille est — .
« Je gagne. »
« QUOIIIIIIIII !? » Wein avait poussé un cri en voyant la main parfaite devant ses yeux.
« A -Attends, Miss Ninym ! Comment as-tu fait ça !? »
« En tirant des cartes, évidemment. Mais je ne te dirai pas d’où. »
« Gweh. »
En d’autres termes, Ninym avait échangé sa carte contre celle qu’il venait d’échanger.
« Je crois me souvenir avoir vu tes cartes dans la défausse, Wein. »
« O-Oui ? Es-tu sûre que ta mémoire ne te joue pas des tours, Mlle Ninym ? »
« Peu importe. Je gagne quand même. »
« AAAAAAH ! »
Wein avait le goût amer de la défaite. À côté de lui, Ninym semblait jubiler en sortant des teintures d’une source inconnue.
« La qualité pourrait être meilleure, mais nous avons toute une gamme de couleurs. Hmm… Noir… Blanc… Blond… As-tu une préférence ? »
« Tout ce que tu veux… Oh, peut-être pas blond. Cela me ferait ressortir comme un pouce endolori. »
« Alors, blond. »
« Ne m’as-tu pas entendu !? »
« Je pense que ça t’ira bien. »
C’était la demande d’un tyran victorieux. En tant que perdant, Wein n’avait pas d’autre choix que de la laisser faire ce qu’elle voulait.
« S’il te plaît, change-le avant que nous atteignions Tholituke… »
« Évidemment. Je suis sûre que le cœur de Zenovia s’arrêterait si elle te voyait blond, » ricana Ninym en se peignant les cheveux.
« En parlant de Zenovia. Penses-tu qu’elle est au courant ? »
« Savoir quoi ? » demanda Wein.
« Quoi d’autre ? La raison pour laquelle nous assistons à la cérémonie. »
+
« — Pour faire du commerce avec Soljest, hein, » murmura Zenovia.
Jiva acquiesça. « Je crois que c’est la raison pour laquelle le prince Wein assistera à la cérémonie. »
Ils étaient dans son bureau au palais. D’autres vassaux étaient présents, c’est pourquoi elle avait une expression et un ton plus sévères que d’habitude.
Il poursuit son explication. « À ce rythme, ce n’est qu’une question de temps avant que Marden ne devienne leur plus grand atout. En faisant affaire avec Soljest, qui a accès au commerce maritime, j’imagine qu’ils cherchent d’autres moyens de faire du profit en dehors de ce territoire. »
« Je vois… Mais s’ils essaient de combler le fossé économique entre Natra et Marden… Cela ne signifie-t-il pas que nous serons perçus comme une moindre menace ? »
« Oui. C’est bien ça. »
Pour les hauts gradés de Marden, la priorité absolue était de stabiliser leur territoire et de s’assimiler au grand royaume. Avec la vague de prospérité, ils attiraient l’attention sur eux, tandis que Natra restait à la traîne. Si Natra pouvait s’assurer une autre source de revenus, Marden pourrait s’intégrer au royaume sans rancune.
Cette situation était bienvenue. Il n’y avait aucune raison d’interférer. Tout comme les vassaux, Zenovia poussa un soupir de soulagement.
Jiva poursuit. « En diminuant le risque, nous diminuons notre valeur. Regardez-nous maintenant. Marden a beaucoup de valeur. Disons que nous promettons de ralentir notre progression pour soutenir Natra. Peut-être pouvons-nous aussi négocier pour obtenir quelque chose d’eux. »
Tout le monde avait commencé à s’agiter.
« Nous venons de leur prêter serment d’allégeance. Ralentir notre progression ne ferait que diviser notre peuple. »
« Lady Zenovia est une membre de la famille royale. Et si on s’alliait avec Natra ? Pourquoi devrions-nous danser à leur rythme ? »
« Marden ne pourra pas maintenir cette prospérité à elle seule. Nous ne pouvons pas arrêter le commerce avec l’Est. »
Alors qu’ils discutaient entre eux, Zenovia avait pris la parole.
« Pour réaliser ce plan… Nous avons une chance. Nous devons régler ça avant qu’il ne se rende à Soljest. N’est-ce pas ? »
« En effet. »
« Dans ce cas, nous n’avons pas beaucoup de temps pour nous préparer… Que penses-tu que nous devrions demander en retour, Jiva ? »
Il s’était arrêté un moment pour y réfléchir.
« — Une union maritale avec le prince Wein, Lady Zenovia. »
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« Alors, tu comptes épouser Zenovia, Wein ? »
« Non, » dit Wein avec indifférence. « J’imagine qu’ils vont essayer d’en parler. Mais je suis un homme de parole : quand les choses se gâteront, je finirai par abandonner le royaume ! … Yow ! Arrête de me tirer les cheveux ! »
« Désolé. Ma main a juste glissé. »
Très pratique, s’était dit Wein. Lui faire remarquer ne ferait que l’inviter à lui arracher les cheveux à la racine.
Il soupira de résignation. « Cela mis à part, je veux rester célibataire pour le moment. »
« Et ton arrière-pensée ? »
« Pour passer plus de temps à se mêler aux dames, évidemment ! Je veux en profiter le plus longtemps possible ! … Stop ! Ninym ! Je ne faisais que plaisanter… ! Pose les ciseaux ! Arrête d’essayer de me couper les cheveux ! »
« Désolé. La main a encore glissé. »
« Je plaisante ! Je plaisante ! La vraie raison est que… Je ne pourrai pas faire miroiter le mariage comme outil de négociation pour obtenir des alliances étrangères. C’est pourquoi je dois être célibataire ! »
« Hmph… Tu as raison. »
« Je te l’avais dit. Eh bien, je suppose que je vais devoir reconsidérer si nos négociations avec Soljest échouent. J’ai deux options : ouvrir une nouvelle route commerciale ou choisir la voie du mariage. Des deux, je voudrais éviter la dernière, évidemment. Après tout, je peux réutiliser cette dernière avec d’autres nations ! »
Wein l’avait fait paraître logique.
Ninym hésita. « … Pourquoi ne pas prendre Zenovia comme maîtresse ? »
« Ce serait difficile à réaliser, » avait-il répondu sans hésiter. « Je veux dire, elle était une princesse. Et j’ai entendu dire qu’elle est la colle qui maintient le territoire. Ce serait une chose si j’étais déjà marié, mais si je lui demandais d’être ma maîtresse dès le départ, ce serait comme supplier Marden de se battre contre moi. »
S’ils se marient, les seigneurs féodaux objecteront qu’il prend trop d’aise sur leur nouveau territoire. Il serait difficile de faire face à la résistance du peuple de Marden en plus de cela.
« En gros, on veut juste voir s’ils vont coopérer avec nous ! S’ils sont prêts à nous prêter main-forte, j’imagine qu’ils feront pression pour notre union conjugale. Mais mon plan est d’esquiver la question… ! »
Huh. Ça craint, pensa Ninym.
+
« J’imagine que le Prince Wein va essayer d’éviter le sujet du mariage, » dit Jiva.
Tous les yeux étaient sur lui.
« Au minimum, il essaiera de rester neutre jusqu’à ce qu’il puisse arranger les choses avec Soljest. Notre ligne de conduite est de recevoir une réponse solide pendant son séjour. »
« Alors nous ne serons plus traités comme des étrangers. Il serait plus facile de dire ce que nous avons à dire dans le domaine politique, » avait observé Zenovia.
« J’imagine que les autres seigneurs ne seront pas contents, mais si Marden et les Arbalest unissent leurs forces, personne ne pourra s’y opposer. »
Jiva avait dit la vérité. La famille royale et ce territoire étaient un pas au-dessus du reste. Si leurs représentants pouvaient nouer le nœud, ils seraient solides comme le roc.
« Qu’en pensez-vous, Lady Zenovia ? Si je peux avoir votre approbation, je vais commencer les préparatifs immédiatement. »
« … »
Il n’y avait aucune raison d’hésiter. Se marier avec Wein était la meilleure chose pour leur avenir. Il était logique de profiter de leur richesse pour faire leurs demandes. Après tout, ce serait mutuellement bénéfique.
D’un point de vue politique, il n’y avait aucune raison de se retenir.
Alors Zenovia avait donné sa réponse.
+
« Au fait, Wein. »
« Hmm ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
Il n’avait pas bougé un muscle en la regardant.
Ninym semblait timide. « Hum, eh bien, c’est une situation hypothétique, mais… »
« … Uh-huh. Totalement hypothétique. Je t’ai eu. Quoi ? »
Il n’aurait jamais imaginé la voir de cette façon.
Bien que sa petite sœur aimait ajouter cette préface à leurs conversations, Wein essayait de comprendre la raison pour laquelle Ninym était si méfiante maintenant.
« Tu ne te fâcheras pas contre moi si je t’ai décoiffé, n’est-ce pas ? »
« Si tu me le demandes maintenant, c’est déjà fait, n’est-ce pas ? »
Ninym détourna son regard. « Hum… Non ? … Sans aucun rapport, mais je pense que tu devrais éviter les miroirs pendant un moment. »
« A -Attends. Quoi !? Qu’est-ce que tu veux dire ? Qu’as-tu fait à mes cheveux !? »
« Je ne pensais pas que ça se passerait comme ça… »
« Pourquoi as-tu l’air de renoncer à moi, Mlle Ninym !? »
Le chariot se rapprochait de Tholituke tandis que Wein se tordait d’agonie, sortant une fois de plus perdant de cette situation.
***
Partie 3
« Je vous remercie d’être venu jusqu’ici, Prince Wein. »
Le groupe de Wein avait franchi les portes du château de Tholituke. Zenovia les accueillait dans le palais rénové d’Elythro, vêtue de ses plus beaux atours.
« Vous n’aviez pas besoin de venir nous accueillir à la porte, marquise de Marden. »
Elle lui avait offert un petit sourire. « Pas besoin d’être si formel, Votre Altesse. “Zenovia” est très bien. »
« Mais vous êtes une marquise et l’ancienne princesse de Marden. Je ne devrais pas être trop désinvolte, même si je suis un prince. »
« C’est absurde. J’ai juré de ma vassalité à Natra. Sans compter que nous nous sommes tenus côte à côte sur un champ de bataille. Ce n’est pas déplacé. C’est un signe de notre amitié. »
« Hm… »
Après avoir fait mine d’y réfléchir pendant quelques instants, il avait souri.
« Eh bien, je suppose que je vais vous prendre au mot, Lady Zenovia. »
« Nous avons préparé une modeste célébration pour vous. Veuillez me suivre par ici. »
Menés par Zenovia, ils avaient parcouru les couloirs du palais.
« Vous avez fait de grandes choses avec le palais. »
« Merci. Je dois reconnaître le mérite de nos sujets. Ils ont insisté pour qu’on ne laisse pas notre symbole réduit en cendres. »
« J’ai jeté un rapide coup d’œil à la ville en venant ici. J’ai été surpris de ne trouver presque aucune trace de la guerre contre Cavarin. J’imaginais que le peuple de Marden serait dans le chaos, mais je suis toujours impressionné par vos compétences, Lady Zenovia. »
Il y avait une pointe sous-jacente dans son attaque-surprise pour jurer sa vassalité…
« C’est seulement parce que Natra nous a accueillis. Si vous ne l’aviez pas fait, le drapeau de Cavarin flotterait sur ces terres à l’heure où nous parlons, » répondit-elle en esquissant un sourire inattendu. « Notre banquet est l’expression de notre gratitude… Hm ? »
Ses yeux étaient allés jusqu’à ses cheveux.
« Y a-t-il un problème ? »
« Ce doit être mon imagination. Je trouvais que vos cheveux étaient plus brillants que d’habitude. »
« … Ha-ha-ha. Le soleil de l’âge d’or a dû les éclairer ! »
Wein jeta un coup d’œil derrière lui. Ninym avait évité son regard.
« Hee-hee. C’est ça ? Un petit soleil malicieux. »
« Une franche insolence, vraiment… »
Ils étaient arrivés à la salle de réception.
Hmm, intéressant.
Un regard lui avait dit tout ce qu’il avait besoin de savoir. Le décor et la cuisine étaient tous de Natra.
Cela signifie qu’ils veulent être « l’un des nôtres ».
Après tout, ils avaient intentionnellement abandonné leur propre culture pour s’aligner sur Natra.
Lorsque la délégation impériale était venue dans son royaume, Wein avait également préparé leur cuisine. Cependant, Marden était allé encore plus loin en garnissant leurs salles de nouveaux meubles.
« J’imagine que vous êtes fatigués de votre voyage. Nous voulions vous préparer quelque chose de familier. »
Wein et Zenovia étaient assis sur les sièges d’honneur tandis que sa suite était accueillie par les vassaux de Marden. Ninym était au garde-à-vous derrière le prince, prête à tout.
« Merci pour votre considération… Entre nous deux, je suis soulagé que vous ayez préparé cela. Je crois que je peux m’empêcher de déraper devant vous, Zenovia. »
« C’est très aimable à vous, Votre Altesse. »
Il n’avait pas seulement lu leur concession. Pendant les phases de planification de la fête, il devait y avoir une bonne part de vassaux qui poussaient à montrer leur propre culture, s’accrochant obstinément à leur patriotisme. Cependant, le fait que Zenovia ait maîtrisé leurs opinions témoigne de ses compétences.
Je suis honnêtement impressionné. Même si elle fait partie de la royauté, j’imagine que certaines personnes la mépriseront en tant que femme.
Sur tout le continent, il existait une croyance profondément ancrée selon laquelle la politique est un jeu d’hommes.
En réalité, la plupart des dirigeants politiques étaient des hommes, ce qui signifie que les lois étaient faites par des hommes, pour des hommes et défendus par des hommes… un club de garçons, pour ainsi dire.
Si une femme essayait de se faire une place, ils prenaient un air mitigé. « Oh, hum… Ça ne marchera pas…, » bafouillent-ils.
Cela avait été le cas lorsque Zenovia avait obtenu un titre de noblesse à Natra.
En tant qu’ancienne royauté étrangère, elle possédait assez de pouvoir pour rivaliser avec les Arbalest. Il était naturel de lui accorder le titre de marquise.
Cela n’avait pas empêché les nobles d’en prendre ombrage.
« Donner à une femme le titre de marquise est un mauvais jugement. »
C’était leur argument de base, même s’ils avaient fait une certaine gymnastique mentale pour trouver d’autres excuses.
Bien que les choses varient d’un pays à l’autre, le système de la noblesse n’était fondamentalement que de la poudre aux yeux — ce qui était souvent symptomatique de ces soi-disant « Club de garçons. »
Il y avait eu des cas où des femmes avaient obtenu la pairie dans l’histoire de Natra, mais ils étaient considérés comme de rares exceptions à la règle arbitraire selon laquelle « le rang de noblesse est le privilège des hommes ».
Eh bien, je l’ai quand même fait.
Ils avaient essayé de plaider pour un rang inférieur et la création d’un nouveau titre féminin, mais un mot de Wein avait suffi pour en faire une marquise, comme il l’avait prévu.
En tout cas, il n’était pas facile pour une femme d’être sur la scène politique. Malgré cela, Zenovia avait conquis le cœur de son peuple en tant que seigneur de Marden. C’était honnêtement louable.
« J’ai entendu dire que le territoire est devenu stable. Je suis content que les affaires soient en plein essor. »
« Avoir des industries viables, c’est comme une bouffée d’air frais. » Zenovia avait hoché la tête pour elle-même. « Je n’aurais jamais imaginé que les marchandises de l’empire récolteraient de tels bénéfices. »
« Nous sommes tous attirés par les choses hors de portée. »
« Cela semble être le cas. Mais je ne pense pas que ce soit la seule explication. Nous avons été endoctrinés par les enseignements de Levetia selon lesquels l’Orient est composé de groupes barbares qui ignorent tout de la religion et ils ne sont pas capables de fabriquer que les objets les plus grossiers. »
Pour les adeptes dévots, les biens provenant de l’empire étaient presque blasphématoires. Malgré leur curiosité, beaucoup refusaient d’avoir affaire à eux.
Alors comment ont-ils développé un marché pour eux ?
« J’ai été surprise. Je ne m’attendais pas à ce que vous les commercialisiez comme des produits de Natra. »
Wein avait ronronné. « C’était un petit stratagème destiné à soulager le cœur des pieux et des dévots. J’imagine qu’ils connaissent la vérité. »
« Vous parlez comme un diable qui attire les humains en enfer. »
« Oh, je vous en prie. Le diable se contente d’une simple âme humaine. Il ne pourrait jamais faire affaire avec de l’or comme moi. »
Ils avaient poursuivi une conversation agréable.
Cependant, Wein n’avait pas baissé sa garde un seul instant, observant Zenovia.
Cela a été suffisant pour que je comprenne ses intentions.
Tout indiquait que Marden voulait coopérer avec Natra, mais ça ne pouvait pas être tout ce qu’ils avaient dans leur manche. Si Wein était sur la bonne voie, ils finiraient par parler de mariage.
Mais ce serait ennuyeux pour moi de m’asseoir et d’attendre.
Wein avait attendu une accalmie dans la conversation avant d’insister davantage.
« Au fait, Lady Zenovia, vous semblez bien gérer les affaires de Marden. Mais un développement rapide pourrait poser des problèmes. Si vous avez des inquiétudes, je serais heureux d’en parler. »
Des paroles de combat. Les vassaux de Marden s’agitèrent.
« Voyons voir… »
Cependant, Zenovia ne serait pas émue. Pas en apparence, du moins. Alors que Wein l’observait attentivement, elle semblait réfléchir.
« Vous savez, nous avons reçu une lettre de protestation de Delunio. »
« Delunio ? … Je vois. Alors Marden en a aussi eu une ? »
« Ah, je savais que vous en aviez aussi reçu une. »
Wein avait hoché la tête. « Que pensez-vous d’eux, Lady Zenovia ? Nous ne sommes pas en bons termes, donc nous n’avons pas beaucoup d’informations sur eux. »
« Oui, eh bien… » Zenovia avait réfléchi un moment. « Je sais que leurs citoyens ont longtemps été des adeptes de Levetia. Ils tiennent leur culture en haute estime. Ils sont connus pour être une nation conservatrice. Un jeune roi est récemment monté sur le trône, mais le Premier ministre, Sirgis, s’occupe de la plupart des questions politiques. »
Zenovia poursuit. « Sirgis est très patriote et un fervent adepte de Levetia. Depuis qu’il a obtenu une véritable autorité, il s’est donné pour mission de protéger leur culture et de diffuser leurs enseignements. »
« Ça a l’air d’être un endroit difficile à vivre. »
« Oui. Pour préserver leurs propres idéologies, il a critiqué d’autres nations. Les jeunes ne sont pas ses plus grands fans, et même les conservateurs pensent qu’il va trop loin. Il semble que sa politique ait joué un rôle dans la détérioration de leurs relations avec Soljest. »
Je le savais, pensait Wein.
Soljest avait commercé avec d’autres nations, ce qui avait permis la diffusion de biens et d’idées. Cela avait dû agacer quelqu’un comme Sirgis, qui semblait être un puriste culturel.
« Dans ce contexte, la lettre a du sens. Soljest n’est pas le seul à commettre ce “délit”. Marden importe des biens et des coutumes à travers l’empire. »
« Ce n’était qu’une lettre cette fois, mais j’imagine qu’ils enverront un diplomate avant de recourir à la force militaire. La correspondance incluait une demande de rencontre. J’ai refusé, car cela coïncidait avec la visite de Votre Altesse. » Zenovia avait cherché de l’aide auprès de lui.
Wein avait souri. « Ignorez-le et continuez à faire des affaires. »
« Êtes-vous sûr ? »
« S’ils ont seulement envoyé une lettre, ils ne peuvent pas être si bouleversés. Commencez à les prendre au sérieux quand il y aura une file de messagers qui protestent à votre porte. »
« Je vois. Alors c’est comme ça que je vais procéder. »
Wein avait fait un signe de tête satisfait avant de réaliser quelque chose.
… Hm ? La conversation est terminée.
Lorsqu’il lui avait demandé si elle avait des inquiétudes, il pensait qu’elle ferait allusion à la disparité domestique ou à une union maritale — mais il semble qu’il était à côté de la plaque.
Je suppose qu’elle ne peut pas supporter l’idée de danser sur mon air. Est-ce que ça veut dire qu’elle est sur le point de faire son mouvement ?
Wein était resté sur ses gardes tout en continuant à parler à Zenovia.
Hm ?
Ni elle ni ses vassaux n’avaient abordé le sujet du mariage.
Quoi ?
Plus leur conversation avançait, plus il devenait confus — .
Huuuuh — !?
Finalement, le banquet s’était terminé…
… Tout cela sans que Zenovia prononce un mot sur le mariage.
***
Partie 4
« … C’était bizarre. »
Wein était retourné dans la pièce préparée pour lui. Il avait croisé les bras.
« Même si j’ai essayé de l’appâter, elle n’a jamais parlé de mariage… »
« J’étais moi-même surprise. » Ninym avait observé leur échange. « Il me semble qu’elle a en fait essayé activement de l’éviter. »
« Mais il n’y a pas de meilleur moment pour évoquer cette proposition…, » gémit Wein. « Nghhh. »
À côté de lui, Ninym avait fait un petit sourire. « Et tu étais si confiant quand tu disais qu’ils exigeraient le mariage. »
« Ack. »
« Pourtant, au lieu d’agir comme tu l’espérais, ils ont complètement évité le sujet. »
« Ngh. »
« Serait-ce ce qu’on appelle “un ego démesuré” ? »
« AAAAAAAH !? »
Le barrage de couteaux verbaux avait mis Wein à genoux.
« Ça ne peut pas arriver… J’étais censé refuser sa proposition avec élégance… »
« À la fin du banquet, c’était comme si tu suppliais pour en avoir un. C’était honnêtement pathétique. »
« GAAAAAAAAH !? » Il s’était effondré sur le sol.
Quelqu’un frappa à la porte.
« Je n’ai pas d’ego…, » Wein avait jeté un regard à Ninym alors qu’elle allait répondre.
À l’extérieur de la pièce se tenait Jiva, qui servait Zenovia.
« Je m’excuse de vous interrompre à cette heure. J’aimerais discuter brièvement de votre emploi du temps pour demain. »
Ninym regarda rapidement derrière elle. L’instant d’avant, Wein était un homme mort sur le sol, mais il avait réussi à se redresser sur une chaise, tenant un livre dans une main et affichant un air parfaitement royal.
« Cela ne me dérange pas. Fais-le entrer, Ninym. »
« Par ici, Sire Jiva. »
Jiva était entré dans la pièce comme on le lui avait demandé.
Wein l’avait regardé. « Que puis-je faire pour vous ? »
« Je suis terriblement désolé de vous rendre visite à cette heure-ci. Vous aviez prévu de déjeuner avec Lady Zenovia, mais un imprévu a nécessité son attention. Je suis venu vous informer qu’elle n’aura peut-être pas le temps. »
Wein et Ninym avaient échangé un regard.
Un changement soudain de programme n’avait rien d’étrange. Wein connaissait lui-même ce sentiment.
Cependant, son séjour était leur chance de mettre leurs plans en action. Après tout, Wein était en route pour Soljest, quittant Marden dans deux ou trois jours. Il était plus logique de laisser les affaires gouvernementales en suspens jusqu’après.
Ça doit être un gros problème si elle reporte notre déjeuner de travail…
Il ne lui avait pas fallu longtemps pour annuler cette possibilité. Bien qu’il s’agisse d’une « urgence », Jiva n’avait pas l’air d’être particulièrement paniqué.
Dans ce cas, elle essaie peut-être de prendre ses distances avec moi. Alors pourquoi aurait-elle organisé une fête de bienvenue chic ? J’ai eu l’impression qu’elle voulait qu’on travaille ensemble.
Ses mouvements ne s’additionnaient pas. Wein avait pensé à un certain nombre d’hypothèses, mais aucune n’avait de poids ou ne reliait les points.
Penser ne le menait nulle part. Wein avait pris la parole.
« Dans ce cas, je suppose qu’il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire. C’est malheureux que les choses n’aient pas fonctionné, mais la stabilité de Marden est cruciale pour Natra. Veuillez dire à Lady Zenovia que je lui donne le feu vert pour s’occuper de ses fonctions officielles. »
« Je le ferai. Merci de votre compréhension, Votre Altesse. » Jiva s’était incliné.
Ninym avait pris la parole à côté de lui. « Cela signifie que notre programme sera vide dans l’après-midi. »
« Tu as raison. Il y a beaucoup de façons de tuer le temps, mais…, » Wein avait réfléchi.
Jiva avait levé la tête. « À propos de ça. Je serais ravi de vous guider dans la ville. »
« Oh. La ville, hein ? »
Il hocha la tête. « Lorsque nous avons été libérés, nos rues ont été ravagées par la guerre, et je crois me souvenir que des choses vous ont empêché de voir notre ville pour ce qu’elle est, Votre Altesse. Je serais ravi que vous puissiez observer nos efforts pour revitaliser le territoire. »
« Hmm… »
De toute évidence, il ne s’agissait pas d’une simple promenade en ville. Wein pouvait dire que l’homme préparait quelque chose — mais il était difficile de dire quoi exactement.
Eh bien, je suppose que nous n’avons pas d’autre choix que de faire avec.
Wein avait hoché la tête. « Ça me paraît bien. J’ai hâte de faire un peu de tourisme demain. Ninym, je te laisse t’occuper des détails. »
« Compris. »
« Merci beaucoup. Je vais préparer un guide. » Jiva s’inclina à nouveau. « Eh bien, je vais prendre congé. Je suis reconnaissant pour votre volonté de parler avec moi. »
Il avait tourné le talon et était sorti discrètement de la pièce.
Ninym inclina la tête, l’air troublé. « Je me demande ce que cela signifie. »
« Aucune idée, mais il va forcément se passer quelque chose demain. Je pense… que je vais enfin savoir pourquoi il n’a pas encore été question de mariage ! »
« J’espère que ce n’est pas juste ton ego qui parle. Pour ton bien. »
« Tout sauf ça… ! C’est ma fierté qui est en jeu… ! »
Wein priait secrètement dans l’attente du jour suivant.
+++
Le lendemain après-midi.
« Je m’excuse pour l’attente, Prince Wein. »
Le guide qui se trouvait devant eux était un ancien membre de la suite qui les avait accompagnés à la capitale Cavarin. Elle s’était déguisée en jeune homme.
Zeno.
Ah, je comprends maintenant… conclut Wein.
Je vois, pensa Ninym.
Ils avaient immédiatement compris la situation.
Zeno était Zenovia déguisée. Elle avait eu des raisons de cacher son identité auparavant, mais Wein avait été surpris par sa réapparition.
« Je suis honoré de vous rencontrer à nouveau, Votre Altesse. »
« Uh-huh. Bien sûr… Au fait, Zeno, qu’est-ce que tu fais maintenant ? »
« Je suis l’un des assistants de Lady Zenovia. Comme elle est très occupée, je surveille la ville à sa place. »
C’était le scénario fictif. En tant que « Zeno », Zenovia pouvait faire une petite pause dans ses fonctions officielles. Wein ne le faisait pas pour des raisons de sécurité, mais il pouvait comprendre le sentiment de vouloir s’éloigner et se promener en ville de temps en temps.
« J’ai un message de Lady Zenovia. »
Zeno s’était éclairci la gorge.
« “S’il vous plaît, considérez votre guide comme moi et profitez de la vue. N’hésitez pas à poser toutes vos questions. Se promener dans la ville est une bonne occasion de discuter.” »
« … Je vois. »
Au lieu d’une réunion typique, elle avait prévu d’avoir une discussion ouverte pendant qu’ils se promenaient dans la ville. Elle devait avoir des choses qu’elle ne pouvait pas dire en tant que seigneur féodal à un régent.
Wein avait fait un sourire en coin et avait finalement hoché la tête. « Dans ce cas, je vais accepter l’offre de Lady Zenovia. Ouvre la voie, Zeno. »
« Compris. Par ici. »
Avec Zeno pour les guider, Wein était entré dans la ville proprement dite.
+
« C’est la place centrale. »
Zeno les avait conduits tout droit au cœur de la ville.
« Quand on pense à Tholituke, la première chose qui vient à l’esprit, ce sont ses statues de bronze. »
Des statues de cavaliers encerclaient le bord extérieur de la place. Un roi de bronze à cheval se tenait au centre de la place.
« C’est le premier souverain de Marden. Les autres dépeignent ses hommes de confiance. »
« Hmm… Je ne me souviens pas avoir vu ça quand vous avez été libéré. »
« Cavarin l’a emporté pendant l’occupation…, » répondit Zeno avec frustration avant de redresser sa colonne vertébrale. « Cependant, il a été rendu en toute sécurité par la négociation. C’est une partie de notre histoire, donc les vassaux étaient tous soulagés. »
« C’est une chance. Vous devrez faire en sorte que cela ne se reproduise plus. »
« Vous avez raison. J’espère empêcher quiconque de les faire fondre. »
Les métaux étant indispensables à la guerre, il n’y en avait jamais assez. En raison de la pénurie d’armes, les statues étaient souvent brisées et réutilisées.
« Marden ne s’est pas complètement remis de la bataille. Nos cœurs se sont peut-être apaisés, mais une autre guerre nous enverra dans une spirale. J’aimerais que la paix soit là pour rester. »
« Je suis tout à fait d’accord, mais je ne pense pas qu’il faille être si inquiet, » dit Wein, en tâtant le terrain. « Si ce boom dure, Marden sera une force naturelle. Une fois que vous aurez atteint ce statut, vous serez en mesure de repousser toutes les forces extérieures qui se mettent en travers de votre chemin. »
« La force est cruciale. Mais à l’excès, elle peut conduire à des problèmes. Pour l’instant, je crois qu’il est plus important pour nous d’être acceptés comme faisant partie de Natra. »
« Je me pose la question. »
Il semblait la sonder du regard, à la recherche de la vérité.
« Ne serait-il pas préférable que vous deveniez plus puissant, que vous vous alliiez à une autre nation et que vous aspiriez à l’indépendance ? »
Zeno avait ri. « Vous aimez plaisanter. Au vu de vos réalisations, il serait insensé pour nous de nous allier à une autre nation et de croiser le fer avec Natra. C’est comme se jeter à la mer avec une ancre attachée au pied. »
« Huh… Je me demande si Lady Zenovia ressent la même chose. »
« Bien sûr, » répondit Zeno avec assurance. « Même les vassaux pensent que leur prospérité future dépend de leur acceptation en tant que membre de votre royaume. »
« Je vois… »
Leurs sourires semblaient combatifs. Leurs regards semblaient s’examiner l’un l’autre.
Pendant quelques instants, ils avaient semblé déterminés à obtenir la vérité de leur adversaire, même s’il s’agissait du plus petit fragment.
Zeno avait été le premier à se détacher.
« Allons à l’endroit suivant. Il y a tellement de choses à voir. »
Ils avaient continué leur promenade dans Tholituke. Zeno les guida vers la fontaine sculptée, un pont usé par le temps qui enjambait la rivière, et tout ce que la ville avait à offrir. Il pouvait voir à la joie dans sa voix qu’elle ne connaissait pas seulement cet endroit, elle l’aimait.
« … Ouf. Cela a pris du temps. »
Ils avaient couvert presque toute la ville. Le groupe faisait une pause dans un restaurant que Zeno fréquentait souvent. Elle avait apparemment loué l’établissement entier à l’avance.
« Quelle est votre opinion sincère sur Tholituke ? »
« Je dois dire que je suis impressionné, » répondit Wein, en tenant une tasse de thé noir. « Les sites touristiques étaient incroyables, mais je pense que c’est votre peuple qui m’a le plus ému. Il est clair qu’ils ont foi en Lady Zenovia. »
« Nous avons de grands espoirs pour elle, surtout avec ce nouveau boom économique. »
« C’est bon à entendre. Il n’y a rien de mal à instaurer la confiance entre les politiciens et le peuple. Bien sûr, on ne peut pas être trop prudent. »
Wein n’avait pas réfléchi à cette déclaration, mais Zeno avait semblé s’y accrocher.
« J’avais l’intention de demander… Pourquoi vous méfiez-vous tant du peuple, Votre Altesse ? »
« Quoi ? » Wein avait cligné des yeux.
Il s’était demandé si elle n’essayait pas d’obtenir quelque chose de lui, mais son comportement semblait indiquer le contraire.
***
Partie 5
Zeno avait hésité. « Je suppose que ce n’est pas le bon mot… Peut-être “distant” ? Il y a quelque chose de bizarre dans votre relation avec eux… Je crois que ça m’a frappé quand vous avez dit que je devais considérer les gens comme de simples complices pour atteindre mes propres objectifs. »
« Ah oui. » Wein avait souri à ce souvenir. « J’ai bien dit ça, mais… c’est étrange. Je me souviens avoir parlé à Lady Zenovia. »
« Ah. Oh… hum… C’est elle qui me l’a dit. » Ses joues rougirent en raison de l’embarras.
Wein avait ri sèchement alors que les engrenages dans son esprit avaient commencé à tourner. « À propos de ça… J’ai une question pour toi, Zeno. Penses-tu que le sang royal est précieux ? »
« Quoi ? »
Ses yeux s’étaient élargis, mais elle n’avait pas manqué un battement.
« Oui… Bien sûr. En tant que représentants du peuple et dirigeants du pays, la noblesse et la royauté doivent être chéries. Il n’y a pas que les aristocrates qui pensent ainsi. Les roturiers le pensent aussi. »
Wein acquiesça. Elle n’avait pas tort : ce concept de lignée n’était pas nouveau. C’était un système de valeurs auquel presque tout le monde adhérait.
« Eh bien, voici une autre question : quand est-ce que c’est devenu important ? »
« … Quand ? »
Cette fois, Zeno avait dû s’arrêter et réfléchir. Elle ne devait pas y avoir réfléchi. Son visage s’était troublé comme si elle regardait une formule numérique. Wein avait décidé de lui tendre une main secourable.
« Je suis un membre de la famille royale de Natra. Si tu penses que la lignée noble signifie quelque chose, cela suggère que la mienne aussi. Dans ce cas, quand mon sang a-t-il pris de la valeur ? »
Zeno avait réfléchi quelques instants. « … Vous l’avez toujours eu. Votre sang a de la valeur depuis que vous êtes né, fils du roi Owen. »
« C’est vrai. Un enfant né dans la royauté hérite du sang royal. Si c’est vrai, quand Owen est-il devenu quelqu’un d’important ? »
« Puisque le père du roi Owen était de la famille royale… Quand il est né ? »
« Exactement. Les enfants nés dans la royauté ont de la valeur parce que leurs parents ont de la valeur. Et leurs parents, à cause des parents de leurs parents. De la logique, vraiment. Simple. » Wein avait regardé Ninym. « Si nous remontons ma lignée, où allons-nous aboutir ? »
« Un des principaux disciples du fondateur de Levetia, Caleus. »
L’un des ancêtres de Wein était le roi Salema, qui avait fondé Natra et était autrefois le prince d’un pays connu sous le nom de Naliavene. Cela signifie que la lignée de Wein remontait à son histoire, jusqu’à Caleus.
« Le grand disciple. Demandez à n’importe qui de parler de son sang. Vous auriez du mal à trouver quelqu’un qui pense qu’il n’a pas de valeur. Jusqu’à ce que Levetia découvre Caleus, il n’était rien de plus qu’un paysan sans valeur, ce qui signifie que ses parents étaient aussi des paysans. Laisse-moi te le redemander. Quand le sang de Caleus est-il devenu précieux ? »
« C’était… »
Si les parents étaient importants, leur enfant l’était aussi. Cependant, Caleus n’était pas né avec du sang noble. En d’autres termes, il y avait eu un moment dans sa vie où il avait franchi cette limite…
« … Quand il a commencé à suivre Levetia et a trouvé un grand succès. »
« C’est vrai, » répondit Wein. « Était-ce la puissance brute, l’intelligence, l’éloquence ou tout simplement la chance ? N’importe laquelle de ses forces aurait pu être le catalyseur. Mais un homme sans nom a réussi à accomplir quelque chose et à se faire un nom… Et c’est ainsi que son sang et ses descendants ont été considérés comme précieux. Retracez l’histoire de n’importe quelle lignée “précieuse” aujourd’hui, et c’est là que vous commencerez. »
« … Je crois que je comprends. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec ma question ? »
« Vous ne comprenez pas ? Nous sommes ivres de notre pouvoir, mais revenez quelques siècles en arrière, et vous verrez que nous étions autrefois des roturiers. Ce qui signifie que les roturiers d’aujourd’hui ont le potentiel de devenir des nobles et des membres de la royauté un jour. »
« -Ngh ! »
Zeno avait l’air de ne pas pouvoir y croire.
C’était logique quand il le disait comme ça. Elle ne l’avait juste jamais réalisé avant. Ou peut-être qu’elle jouait l’ignorance volontaire. C’était difficile de la blâmer. Comment pouvait-elle aller à l’encontre de sa propre position en tant que membre de la royauté ?
Mais le prince a raison… Je ne peux pas croire qu’il puisse l’admettre lui-même…
Ce n’était pas seulement une critique cinglante de la monarchie. C’était une déclaration qui pouvait totalement renverser ce que signifiait être noble. Si quelqu’un d’autre avait dit cela à haute voix, il aurait été traîné jusqu’au bourreau — pourtant, le ton de ce futur roi donnait l’impression qu’il discutait du temps qu’il faisait.
« Pour en revenir à votre question initiale… Pourquoi suis-je méfiant envers mon peuple ? La population de Natra est de près de cinq cent mille personnes. Eh bien, je suppose que nous sommes plus près de huit cent mille avec Marden. Il doit y avoir plus d’une poignée de candidats anonymes qui surveillent mes moindres gestes durant tout mon règne… Pourquoi ne regarderais-je pas par-dessus mon épaule ? »
Un frisson avait parcouru l’échine de Zeno. Elle n’avait jamais vu les roturiers sous cet angle. Cependant, elle pouvait maintenant comprendre pourquoi il pensait qu’il était plus étrange d’avoir une confiance aveugle.
Wein ne se moquait pas de ses sujets. Il savait qu’il devait répondre aux besoins de son peuple. Sinon, les choses prendraient une mauvaise tournure, et les sans-noms le chasseraient. Tout comme ses propres ancêtres l’avaient fait.
Je comprends enfin… Il ne pense pas que sa lignée est spéciale.
Zeno avait finalement compris pourquoi Wein avait dit qu’ils devaient considérer les gens comme des complices — un moyen d’arriver à leurs fins.
Ce n’était pas différent de l’enfant d’un boulanger encouragé par son entourage à reprendre l’entreprise familiale, propulsé par la demande de pain. Wein était né dans la royauté, poussé à devenir le monarque d’une nation parce que le peuple avait besoin de lui. C’était tout ce qu’il y avait à faire.
Si le peuple décidait qu’il ne servait plus à rien, il descendrait du trône avec un petit rire.
Quelle ironie que Wein comprenait son peuple mieux qu’elle, alors qu’elle s’était vantée de diriger les masses et qu’il avait admis considérer ses sujets comme de simples complices.
« C’est pourquoi la royauté aime se mythifier. S’ils peuvent faire croire aux gens qu’ils viennent des dieux, leur autorité est plus difficile à ébranler. Dans le cas de Natra, Caleus est devenu un lion de nos jours, alors… Qu’est-ce qui ne va pas, Zeno ? »
« Ce n’est rien… » Elle lui offrit un sourire alors qu’il la regardait d’un air perplexe. « Je suis juste en admiration devant vos capacités de prince. Ne faites pas attention à moi. »
« Vraiment ? » Il avait cligné des yeux avant de hausser les épaules. « Merci, mais je n’ai pas été très confiant à ce sujet ces derniers temps. »
« Pourquoi ça ? Il n’y a personne de plus connu que vous. »
« C’est ce que je pensais. » Wein était allé jusqu’au bout. « Pour vous dire la vérité, je pensais que quelqu’un allait me demander en mariage. Mais maintenant, je me demande si tout ça n’est pas dans ma tête. »
« … »
Il n’avait pas fallu longtemps à Zenovia pour comprendre qu’il parlait d’elle.
« Peut-être qu’elle s’est déjà fiancée dans mon dos ? »
Il était dans l’intérêt de Marden que Zenovia épouse Wein. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’autres prétendants. Il y avait eu un bon nombre de nations puissantes qui avaient essayé d’être en bons termes avec Marden. Si elle avait déjà promis sa main à quelqu’un d’autre, cela aurait déclenché de nouveaux problèmes avec Natra, ce qui signifie qu’il était préférable pour Marden de garder cela secret.
« … Je ne connais aucun prétendant… » Zeno avait choisi ses mots avec soin. « Je ne pense pas qu’elle ait le temps de penser au mariage, surtout quand elle est si occupée avec des choses qui requièrent son attention immédiate en tant que citoyenne de Marden. »
« … Mais ne peut-elle pas régler ces “choses” en m’épousant ? »
« Peut-être, mais… »
Zeno s’était arrêtée. Après quelques secondes de silence, elle lui avait répondit d’une manière moqueuse.
« Il y a peut-être une raison plus simple pour expliquer cela. »
« Qu’est-ce que ça peut être ? »
« Peut-être qu’elle ne supporte pas votre visage ! »
« … » Wein avait baissé la tête.
« Hum, c’était une blague. S’il vous plaît, n’ayez pas l’air si triste. »
« … »
« U-um. Eh bien, c’était charmant, mais je pense qu’il est temps de retourner au palais ! »
« … »
« À cette heure de la journée, la ville est totalement différente ! Pourquoi ne pas prendre le long chemin du retour ? »
Alors que Zeno faisait de son mieux pour garder l’ambiance légère, ils avaient commencé à marcher vers le palais.
***
Partie 6
« … Ouf. »
Après s’être séparée de Wein et avoir ôté son déguisement, Zenovia avait poussé un soupir dans son bureau.
« Excellent travail aujourd’hui, Lady Zenovia, » Jiva l’avait louée.
« Des problèmes pendant mon absence ? »
« Pas du tout, » avait-il déclaré. « Quelques papiers doivent être examinés… Mais nous pouvons nous en occuper après les avoir vu partir demain. »
Zenovia acquiesça. « Ça n’a pas été facile, mais on dirait qu’on va s’en sortir d’une manière ou d’une autre. »
« Oui. Tout cela grâce à vous… Il semble qu’il ait effectivement demandé une union conjugale aujourd’hui dans votre expédition. »
« Il semblait se demander ce qui prenait tant de temps. » Elle avait détourné les yeux. « … Je suis désolée, Jiva, d’avoir ignoré ton conseil de l’épouser. »
« Vous vous entendez ? Vous êtes la souveraine de ce territoire, Lady Zenovia. Vous serez toujours notre priorité absolue, » avait-il répondu. « D’ailleurs, je comprends vos sentiments. Le prince Wein est… »
« Uh-huh, » confirma Zenovia avec un sourire sans humour. « Je ne pourrais jamais lui dire, mais… il est distant et un peu effrayant. »
Ses sentiments pour Wein étaient compliqués.
Son plus grand sentiment était la gratitude envers lui pour avoir aidé l’Armée de libération. Le suivant était l’empathie et le respect en tant que jeune leader, suivi par l’envie et un sentiment d’infériorité face à ses réalisations. Elle craignait son état d’esprit et ses idées, qui semblaient presque divorcer de sa position royale, mais elle admirait sa ruse et son courage.
En résumé, Wein était un héros distant, incroyable et effrayant.
« D’après notre visite d’aujourd’hui et nos interactions passées, je suis douloureusement consciente que je ne pourrais jamais être sa femme. »
Si Zenovia devait épouser Wein, elle deviendrait naturellement sa princesse consort.
À l’époque où elle ne savait rien de lui, elle aurait été d’accord. Cependant, bien que leur temps ensemble ait été court, Zenovia avait fini par le considérer comme un héros. Elle n’avait pas confiance en sa capacité à être le vent sous ses ailes.
« De plus, sa princesse consort est la future reine. Et cela vient avec de nombreux devoirs… »
Elle avait été élevée à l’abri. Bien qu’elle étudiait à fond, elle manquait cruellement de moyens, ce qui avait pour conséquence d’alourdir le fardeau de ses vassaux. Gérer le territoire était déjà assez difficile. Si elle devenait la femme de Wein, elle serait accablée par la responsabilité de Natra dans son ensemble.
Si la paix régnait, elle aurait pu se reposer dans le palais de Natra, loin de la politique.
Non seulement c’était une période de troubles, mais Natra essayait de faire d’énormes progrès. Si Zenovia devenait reine, le rôle qui lui serait attribué ne serait pas mince. Elle ne croyait pas en elle.
Elle avait déjà eu un aperçu de la boîte de Pandore. Sa décision était simple.
Elle savait qu’épouser Wein serait une décision brillante, mais son cœur n’y était pas.
« Je suis une ratée… »
Ce serait beaucoup, beaucoup mieux si la princesse impériale Lowellmina épousait Wein. En fait, Zenovia aurait franchi le pas si tel était le cas, servant de maîtresse avec la permission de ses vassaux enthousiastes. En fait, elle avait envisagé de lui poser des questions sur la princesse Lowellmina pendant la fête de bienvenue.
Jiva avait soudainement pris la parole. « Excusez-moi de dépasser les limites, mais lorsque nous avons arraché cette ville à l’emprise de Cavarin, les vassaux ont fait deux vœux à votre égard, Lady Zenovia. »
« Quels vœux ? » demanda-t-elle en inclinant la tête.
Jiva poursuit. « Un : nous ferions tout pour le bien de Marden. Deux : nous ne vous forcerions jamais à suivre une voie contre votre volonté, même si c’était la meilleure chose pour le territoire. »
Les yeux de Zenovia s’étaient élargis. Elle savait que ses vassaux faisaient de leur mieux, mais elle n’aurait jamais imaginé qu’ils iraient aussi loin.
« Si vous pensez que le mariage avec le prince Wein n’est pas la solution, ce n’est pas grave. Nous nous réunissons pour former le meilleur plan possible. Soyez à l’aise. » Il avait offert un petit sourire. « Entre nous, c’est mon devoir de vassal qui me l’a proposé. Personnellement, je n’étais pas très chaud pour cette union. »
« N’as-tu pas une haute opinion du Prince Wein ? »
« Bien sûr. Je n’ai même pas le droit de l’évaluer. Mais sa personnalité et sa conduite sont inquiétantes… Quand j’ai appris qu’il avait tué le roi de Cavarin et mis le feu à la ville pour s’enfuir, j’ai eu des doutes sur sa santé mentale, pour ne pas dire plus. »
« Ah. Eh bien, c’était plutôt rébarbatif pour moi aussi. »
« Au lieu d’agoniser sur le passé, il est crucial de regarder vers l’avant, » avait-il dit pendant le fiasco, ce qui l’avait encore plus dégoûtée. Toute personne ayant une once de bon sens pouvait voir pourquoi aucune femme saine d’esprit ne choisirait d’être sa femme.
« Vous devrez vous marier à un moment donné pour vous assurer un héritier, mais il y a plus qu’assez de prétendants pour vous. Avec des négociations réussies entre Natra et Soljest, nous ne serons plus en danger, et vous aurez le temps d’y réfléchir à loisir. Nous pouvons en discuter avec tout le monde. »
« Tu as raison… Merci, Jiva. »
« Pas du tout. Cela fait partie de mes fonctions. » Il a fait une révérence respectueuse au jeune chef.
« Pardonnez-moi… ! » Un fonctionnaire agité s’était précipité dans le bureau.
« Qu’est-ce que c’est ? S’est-il passé quelque chose ? » demanda Jiva.
« À l’instant, à la porte principale du palais — . »
Les yeux de Zenovia et de Jiva s’étaient écarquillés à ce rapport.
Pendant ce temps, Wein était de retour dans sa chambre.
« Un homme laid avec un énorme ego, hein…, » gémit-il en s’étirant au milieu du lit.
« Peux-tu, s’il te plaît, t’en remettre ? C’était sa dernière excuse. »
Ninym était à côté de lui. Rien ne semblait améliorer son humeur.
Elle soupira. « Il semble que Zenovia n’ait pas l’intention de s’associer secrètement à une autre nation. C’est une information vitale. »
« Mais maintenant, je ne sais vraiment pas pourquoi elle ne m’a pas demandé en mariage ! »
« Peut-être… des circonstances personnelles ? »
« Comme quoi ? »
« … Comme si tu n’étais pas son type ? »
« Je reviens tout de suite ! Je vais me tuer ! »
« Si tu sautes par la fenêtre, tu vas te casser les jambes… ! »
Éloignant Wein de la fenêtre, Ninym cherchait les bons mots à dire.
« En plus, tu peux toujours être sexy et ne pas être son type. »
« Dis-le. Dis-moi que je suis sexy. »
« … Entends-tu quelque chose ? »
« Hé ! N’essaie pas de trouver des excuses… ! Comme c’est typique, Mlle Ninym… ! »
« Non. Attends, » elle avait ignoré ses gémissements.
Il avait compris qu’elle avait raison quand elle avait ouvert la porte. Ils pouvaient entendre quelque chose se passer dehors.
« Attends ici, Wein. Je vais vérifier. »
« Pendant que tu n’es pas là, je vais bouder et hiberner pour toujours. »
« C’est à peine l’automne. » Elle lui avait adressé un sourire sec avant de quitter la pièce.
Il n’avait pas fallu longtemps pour qu’elle revienne avec un air paniquer sur le visage.
« C’est mauvais, Wein. On dirait que Marden a un invité surprise. »
« Qui cela peut-il être ? » Il avait penché la tête sur le côté.
Ninym était très sérieuse. « Le Premier ministre de Delunio, Sirgis. »
+++
— Comment cela est-il arrivé ?
L’esprit de Zenovia avait tourné autour de cette question dans l’une des salles de réception du palais.
Un homme de petite taille était assis juste en face d’elle. Il s’appelait Sirgis, né roturier, il était maintenant Premier ministre de Delunio.
« Je m’excuse de m’imposer à vous sans prévenir, princesse Zenovia… Je veux dire, Marquise, » corrigea Sirgis en inclinant la tête.
Son regard n’avait rien de chaleureux. « Pour un Premier ministre, enfreindre les règles de conduite… Vous devez savoir que cela donne une mauvaise image de votre royaume. »
Son attitude inaccessible avait fait se raidir Sirgis, ainsi que son aide Jiva et son garde Borgen.
« Jiva, elle a l’air énervée, » chuchota Borgen.
Il avait fait un tout petit signe de tête. « Il ne s’agit pas seulement de mauvaises manières. Le prince Wein reste avec nous. Elle ne veut pas qu’on lui vole son plaisir. »
« Mais n’est-elle pas trop difficile ? »
« C’est comme ça. » Jiva soupira. « Après tout, Lady Zenovia déteste Delunio. »
« Quoi ? » Les sourcils de Borgen s’étaient plissés.
Sirgis avait répondu. « Je comprends votre colère. Cependant, je ne suis ici que pour résoudre un problème urgent entre Delunio et Marden. Je vous demande votre compréhension. »
« Quel problème ? Ça ne me dit rien du tout. »
« Oh, je vous en prie. » Sirgis ne semblait pas perturbé. « Vous devez avoir reçu notre lettre. Nous avons des inquiétudes concernant vos marchandises exportées. » Son ton indiquait clairement qu’il n’accepterait aucune excuse.
Zenovia avait affiché un sourire superficiel en y réfléchissant.
— Tu vas tomber, Premier Morceau de Merde.
À l’époque où Marden était son propre royaume, ils étaient en relativement bons termes avec Soljest et Delunio. Du moins, de leur point de vue.
Cependant, Cavarin s’était emparé de leur capitale l’année précédente. Zenovia avait tenté de mener ses forces restantes dans une révolte contre leur contrôle, mais elles s’étaient retrouvées en position de faiblesse. Elle avait dû demander l’aide des deux nations.
Ces espoirs furent vains, car aucune réponse ne vint des deux nations. Le roi Gruyère de Soljest ne pensait pas à Marden, et Sirgis voulait éviter de se faire un ennemi de Cavarin puisqu’ils accueillaient les Saintes Élites.
Finalement, Marden s’était allié à Natra et avait repris la capitale, mais cela n’avait en rien atténué le sentiment de trahison éprouvé par Zenovia et ses vassaux.
« D’après ses dames d’honneur…, » chuchota Jiva. « Quand elle était jeune fille, Zenovia avait un petit chiot qui s’est égaré un jour dans les jardins du palais. Là, il est mort d’une morsure de serpent. »
« Et ? »
« Lady Zenovia se découragea. Après son enterrement, elle a passé quatre jours à chercher le serpent. Apparemment, elle l’a tué avec sa propre épée. »
« … »
« Elle aime Marden de tout son cœur. Cependant, ses émotions ont une autre facette. »
En d’autres termes, Cavarin, Soljest, Delunio, et même Levetia étaient sur sa liste de cibles. Zenovia était furieuse qu’un représentant de Delunio soit venu à l’improviste pour se plaindre du commerce.
« Même si vous dites que vous avez des inquiétudes…, » commença Zenovia. « Nous n’avons rien fait de mal. Si vous êtes venus avec de fausses allégations, je dois vous demander de partir. »
« Je suppose que vous n’avez aucun intérêt pour la discussion ? »
« Est-ce comme ça que vous gérez les discussions dans votre pays ? En faisant irruption et en essayant d’imposer vos opinions dans ma gorge ? Il semble y avoir une différence culturelle, si vous voulez mon avis. »
« … C’est triste de voir que vous preniez votre rétrogradation si mal. »
Ils s’étaient tirés dessus à coups de poignard. Tout semblant de civilité avait disparu. Ceux qui écoutaient ne pouvaient rien faire d’autre que de regarder avec inquiétude.
« Je suppose qu’il n’y a pas d’autre solution. Je n’ai pas d’autre choix que de parler directement à la famille royale de Natra. »
« Ah oui ? Eh bien, ne vous attendez pas à ce que je coopère. »
« Vraiment ? » répondit Sirgis. « Le prince n’est-il pas ici ? Je souhaite le rencontrer. »
« … »
Zenovia avait finalement compris.
Sirgis avait misé là-dessus. En se présentant sans être invité pendant le séjour de Wein, il pouvait parler à son supérieur si elle refusait de coopérer. C’était totalement logique, vraiment.
C’était la première fois que quelqu’un la traitait avec un tel manque de respect.
Je vais le tuer.
Elle avait l’impression qu’elle allait entrer dans une rage meurtrière.
Je dois rester calme. Comme l’a dit le prince Wein, il est barbare de sortir son épée au milieu d’une réunion.
C’était le domaine politique. Elle ne pouvait pas agir de manière irréfléchie. Zenovia s’était souvenue de ce que Wein lui avait appris et avait calmé son cœur.
— Eh bien, Wein avait assassiné le roi Ordalasse de Cavarin.
Mais je dois arrêter Sirgis tout de suite…
Lui permettre de rencontrer Wein n’était pas une option. Cependant, son adversaire n’allait pas reculer facilement.
La porte de la chambre s’était ouverte alors qu’elle essayait de trouver une stratégie de sortie.
« Ne vous inquiétez pas, Lady Zenovia, » assura un jeune homme — Wein.
Il avait souri. « Si vous souhaitez me parler, je suis tout ouïe, M. le Premier ministre. »
***
Partie 7
« C’est un plaisir de vous rencontrer. Je suis Wein, prince héritier de Natra. »
« Sirgis. Premier ministre de Delunio. J’ai entendu des choses sur vous, Votre Altesse. »
Wein s’était assis pendant qu’ils échangeaient des salutations.
« Votre Altesse, » lui chuchota Zenovia à l’oreille. « Êtes-vous sûr de vous ? »
« Laissez-moi faire, » murmura-t-il en retour avant de se tourner vers Sirgis. « Je suis heureux de parler, mais j’ai un emploi du temps chargé. Je déteste vous presser, mais faisons vite. C’est à propos des articles exportés, n’est-ce pas ? »
« Précisément. » Sirgis acquiesça. « Les marchandises de l’empire passent par Natra… Nous aimerions que vous cessiez cette activité. »
Sa demande n’avait pas été une surprise. Delunio était conservateur avec un bon nombre de disciples pieux. Les biens empiétant sur le territoire étaient essentiellement une horreur.
« L’Empire est assoiffé de pouvoir. Vous savez qu’ils ne se contentent pas de ravager l’Est. Ils essaient aussi d’avancer dans l’Ouest. Les Enseignements de Levetia cherchent la paix sur le continent et le salut de son peuple. On pourrait dire que l’empire est un ennemi acharné. Si leurs biens se répandent à l’Ouest, nous autoriserons leur avant-garde à venir jusqu’à nous. Je comprends que votre royaume ait des liens avec l’Est, mais avec Marden servant de nation vassale, nous souhaitons que vous agissiez en vous alignant avec l’Ouest. »
Il y avait quelque chose dans son discours qui était digne et intelligent. Son ascension de roturier à Premier ministre semblait être fondée sur le talent. Cependant, Wein était prêt pour sa demande, ce qui signifie qu’il avait déjà concocté un moyen de le faire tomber.
« Oui, je comprends votre point de vue, » avait répondu Wein, avec une pointe de sourire. « Cependant, il semble y avoir un malentendu, Sirgis. Bien que nous soyons plus impliqués dans le commerce ces derniers temps, ces marchandises sont fabriquées à Natra. »
C’était leur position officielle. Vendre sous leur nom ne facilitait pas seulement les achats des dévots. Cela servait d’excuse pratique pour traiter avec les nations étrangères.
« Est-ce comme ça que vous comptez vous en sortir ? »
« Eh bien. Vous êtes plus que bienvenue pour regarder les produits sur le marché. Voyez par vous-même qu’ils sont fabriqués dans notre royaume. »
Sirgis semblait dégoûté. « … Certains d’entre eux sont fabriqués à Natra. J’avoue que nous avons été choqués lorsque nous avons découvert votre stratagème : distribuer des produits de l’empire comme étant les vôtres. Comme la demande augmente, vous avez vendu des produits authentiques de Natra, en les faisant passer pour des produits de l’Ouest. Très astucieux, en effet. »
Il était difficile de développer un œil pour les choses, en particulier pour les marchandises provenant d’une autre partie du monde. Ils n’avaient pas l’expérience nécessaire pour juger si quelque chose était faux ou vrai, bon ou mauvais.
Cependant, c’était dans la nature humaine de vouloir profiter des modes. Avec la popularité de n’importe quel objet, des types peu recommandables profitaient du moment pour vendre leurs marchandises de qualité inférieure.
Wein avait été à l’avant-garde de ce projet.
« Comme les vêtements de l’Empire…, » poursuit le Premier ministre. « Je trouvais que les couleurs étaient trop audacieuses, comme ce jaune vif. Vous avez dû prévoir de créer quelque chose de flashy pour attirer l’œil. De plus, en faisant en sorte que l’acheteur se concentre sur la couleur, personne ne remarquerait que le reste du vêtement a été mal assemblé. Même s’ils avaient des doutes, la pression de leurs pairs les ferait tomber… Une arnaque impressionnante, » cracha Sirgis.
« Je n’ai aucune idée de ce dont vous parlez. Il n’est pas étrange qu’il y ait des différences de qualité. » Wein avait haussé les épaules. « Réfléchissez-y. D’après Levetia, l’Orient est rempli de sauvages, non ? Pensez-vous honnêtement qu’ils pourraient créer des objets adaptés à notre goût raffiné ? »
« C’est… »
C’était une réponse cinglante. Même Sirgis était conscient de la réalité de la vie en Orient. Cependant, admettre la vérité signifierait faire face à leur manque d’avancement et renier les enseignements. C’était une question à laquelle il était difficile de répondre pour tout croyant pieux.
Pourtant, Sirgis était le Premier ministre d’une nation entière. Il l’avait abordé sous un angle différent.
« Même si c’est le cas, l’Occident a maintenu une règle générale depuis la promulgation de la Loi circulaire pour éviter toute ingérence excessive, comme la perception de péages auprès des pèlerins et l’obligation d’acheter des marchandises ! Ne réalisez-vous pas que vous êtes en violation de cette règle ? »
La Loi circulaire avait été officiellement mise en vigueur cent ans auparavant — avec l’intention de couper l’Est du pèlerinage. Les dirigeants de Levetia avaient dû offrir quelques incitations pour que les croyants l’acceptent. Cette loi accordait des privilèges spéciaux aux pèlerins, tels que des exemptions de taxes et une protection contre les bandits et les marchands arrivistes.
« Comme vous l’avez dit, Sirgis, c’est la règle générale. Ce serait une chose si elle était officiellement sanctionnée par Levetia, mais elle n’a aucun pouvoir légal. »
Si l’on déclare une ordonnance légale, quelqu’un pourrait abuser du système. Cent ans auparavant, chaque nation laissait suffisamment de marge de manœuvre pour contourner la règle si nécessaire. C’était considéré comme un avantage tacite pour les nations occidentales.
Wein avait déchiré ce savoir secret en lambeaux.
Si c’était une réunion où tout le monde était sympathique…
« Soyons gentils avec les pèlerins. »
« Bien sûr. »
« Ouais, ça sonne bien. »
… Il était en fait une espèce envahissante, mettant en danger l’écosystème.
« Hé, cueillette facile ! Je reviens tout de suite ! Je vais ravager cette terre ! »
C’était son mode opératoire.
« En tant que membre de la famille royale, vous devez comprendre l’importance de cette coutume centenaire. Ne pas la respecter revient à jeter de la boue au visage de Levetia… ! »
« Hmm. »
Les Enseignements de Levetia étaient profondément enracinés en Occident. Même Wein ne voulait pas créer de problèmes avec eux.
Sirgis avait changé d’argument.
« Si vous dites que ma politique est préjudiciable à Levetia, c’est très bien, » dit Wein. « Mais pourquoi ne l’ai-je pas entendu directement de leur part ? »
« … Ngh ! » Le visage de Sirgis s’était déformé.
« Vous n’êtes qu’un croyant — même pas une sainte élite. Je ne pense pas que vous ayez le droit de parler en leur nom. »
Wein savait que ce plan allait contrarier Levetia. Il ne serait pas surprenant du tout qu’ils aient envoyé leurs propres cessation et désistement.
Je vais juste accumuler l’argent jusqu’à ce que ça arrive.
Combien de temps pourrait-il tenir jusqu’à ce que Levetia fasse un réel effort pour l’arrêter ? Delunio n’avait pas sa place dans cette conversation.
« Eh bien, Sirgis ? Avez-vous quelque chose d’autre à dire ? »
« … »
Wein n’allait jamais admettre que les marchandises venaient de l’empire.
Sirgis n’avait pas le droit de parler au nom de Levetia.
Il était évident, d’après son expression douloureuse, que le Premier ministre n’avait rien. Il avait baissé la tête.
« Pourquoi fallait-il que ce soit eux au lieu de moi… !? » avait-il marmonné en grinçant des dents.
Wein n’avait pas saisi un seul mot, mais il pouvait sentir sa rage.
Pouvez-vous… ? Wein fit signe aux gardes d’intervenir, en pensant au pire des scénarios.
Ils devaient avoir déjà senti l’état mental de Sirgis. Ils étaient prêts à se battre.
Le moment semblait s’étirer pour l’éternité… jusqu’à ce que Sirgis relâche toute la tension dans ses épaules.
« … Il semble que nous ne puissions pas nous entendre. » Sirgis s’était levé rapidement. Son expression était froide. « Je suppose qu’il n’y a pas de solution. Je vais en discuter avec ma patrie et partir de là. »
« Je vois. C’est malheureux, mais je suis sûr qu’il y aura d’autres opportunités. »
« J’espère que vous avez raison… Eh bien, je vous dis adieu. » Sirgis avait tourné les talons, ses assistants s’étaient empressés de le suivre.
Au moment où il allait partir, il s’était retourné.
« Permettez-moi de dire une dernière chose. »
Il avait pris une inspiration.
« Vous le regretterez un jour. »
Wein avait répondu à cette malédiction par un sourire. « Je prierai Dieu que ce jour n’arrive jamais. »
+++
À la tête de son groupe qui quittait rapidement le palais, Sirgis méditait dans la calèche. Son esprit tournait autour de la conversation avec le prince de Natra.
« Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit si effronté, » aboya un passager en colère, un subordonné.
L’irritation de ses assistants était à prévoir, étant donné que l’argument principal de leur Premier ministre avait été complètement rejeté.
Sirgis était calme en comparaison.
« Cela nous aurait évité des ennuis si tout avait fonctionné. Mais nous savions que ça ne se passerait pas comme ça. Nous avons appris en cours de route que le prince séjournait à Marden, et nous avons décidé d’enquêter. C’est suffisant pour en savoir plus sur sa personnalité, » poursuit Sirgis. « Plus important encore, notre principale récompense se trouve à notre prochaine destination. »
« Pensez-vous que ça va bien se passer ? »
« Le plan est déjà en marche. Il faut qu’il se déroule bien si nous souhaitons que Delunio devienne sa forme la plus idéale. »
Sa voiture avait dévalé la route.
+++
« Il m’est pénible de me séparer de vous. Merci pour votre hospitalité, Lady Zenovia. »
Cela faisait un jour que Wein avait réussi à remettre Sirgis à sa place par la force.
Son groupe était prêt à partir à l’heure prévue.
« Je suis désolée que vous ayez dû assister à cette affaire hier, Votre Altesse. »
« Ne le mentionnez pas. On s’en est sortis. En plus, c’était sympa de connaître Sirgis. De plus, » continua Wein, « je ne pense pas que nous ayons vu pour la dernière fois un individu de Delunio. Il y a de fortes chances qu’ils préparent quelque chose. Ne baissez pas votre garde. »
« Je ne le ferai pas… Bien alors, prenez soin de vous, Prince Wein. » Elle s’était inclinée.
Wein acquiesça et se mit en route pour Soljest avec sa suite.
« … Hff. »
Après les avoir vus partir, Zenovia avait poussé un soupir de soulagement. Ses vassaux avaient fait de même.
« Nous pouvons enfin relâcher une partie de la tension, » déclara Jiva.
Zenovia hocha la tête, mais son profil resta stoïque. « Nous devons rattraper les affaires gouvernementales qui nécessitent notre attention. »
« Nous allons nous occuper d’eux. Reposez-vous, Lady Zenovia… »
« Je n’ai pas été élevée pour dormir tranquillement pendant que les autres travaillent dur. »
Si Wein était là, il aurait proposé de faire une sieste supplémentaire.
Pour Jiva, les mots de Zenovia étaient la loi.
« Comme vous le souhaitez. Mais s’il vous plaît, ne vous surmenez pas. »
« Compris. Mettons-nous au travail. »
Il semblerait que Marden allait revenir à un état de normalité.
Cependant, pas même une semaine après le départ de Wein, une simple lettre adressée à Zenovia avait bouleversé leur territoire.