Chapitre 3 : Trop d’une bonne chose
Partie 6
… Je ne peux pas percer ses pensées.
Pour Jiva, la proposition qu’il avait faite était son dernier recours. S’il avait eu plus de temps ou un peu plus de générosité de la part du roi Fyshtarre, il aurait pu trouver un autre moyen.
Mais c’était le seul moyen pour lui de se réconcilier avec la réalité — et de continuer à satisfaire son roi. Jiva savait qu’il devait dominer la conversation, précisément parce qu’il avait compris qu’il serait difficile d’accepter une telle proposition. Il faisait de son mieux pour arranger les choses.
Mais ce stratagème pourrait-il vraiment marcher ?
En face de Jiva, le garçon regarda en silence. Aucun mot ne pouvait effrayer Wein : son regard se jeta droit dans les yeux de son adversaire.
C’est comme marteler une sculpture en acier avec un maillet en bois… Mais je ne peux pas reculer maintenant…
Non, il ne devait pas reculer. C’était ses sentiments, mais Jiva tremblait malgré lui. Dans son esprit, son voyage jusqu’à la mine vacillait sous ses yeux.
Les gens de la mine étaient dans un état déplorable.
Les soldats de Natra leur donnaient des rations.
Une fois que leurs troupes seraient parties, qu’arriverait-il aux résidents ? Quand les Mardens retourneront sur ce territoire, seront-ils encore traités comme des humains ?
… Mon Dieu ! À quoi je pense ? On doit récupérer la mine d’or. Je dois faire tout ce que je peux pour que ça arrive. Ça se passe bien…, très bien.
Tandis que Jiva se rassurait encore et encore, Wein commençait à s’agiter. « — Livi. »
Jiva n’était pas sûr qu’il l’ait bien entendu et l’avait regardé dans la confusion.
Wein avait continué. « Sefti, Regis, Talfia, Karaln... »
« Votre Altesse… Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? » demanda Jiva.
« Des noms, » expliqua-t-il froidement, sa voix transperçant Jiva. « Ce sont les noms de mes hommes morts dans les terres désolées de Polta. »
« … » Jiva avait l’impression que son propre cœur allait sortir de sa poitrine.
Quel souverain d’une compassion inimaginable ! Beaucoup de ses sujets avaient tenu Wein en haute estime. Jiva le savait.
« J’ai entendu votre proposition. C’est peut-être une interprétation possible de toute cette situation. Mais, Seigneur Jiva, dans ce cas, où doivent reposer les âmes de mes hommes ? Que faut-il marquer sur les tombes de ceux qui sont morts au service de leur pays ? » demanda Wein.
« C’est, ahhhh…, » s’exclama Jiva.
« Vous ne suggérez pas qu’on écrive sur leurs tombes Ici repose un idiot qui est mort dans les terres désolées, n’est-ce pas ? » demanda Wein.
Sous le regard fixe et la présence royale de Wein, Jiva était incapable de former une phrase cohérente.
Face à cette vue, Wein avait applaudi dans son cœur. D’accord, ça marche !
Mais Ninym semblait maussade.
Cela ne marche-t-il pas trop bien ? Elle avait écrit cela. Si cette négociation échoue, les choses ne seront-elles pas le contraire de ce que tu veux ?
Non, c’est tout à fait normal. En fait, je veux juste lui donner un dernier coup de pouce, il avait gribouillé cela en retour.
Heureusement, Wein pouvait passer pour un souverain gentil et généreux. Il savait qu’il pourrait persuader Jiva s’il parlait de ses propres soldats et citoyens. Plus il rendait la négociation difficile, plus gros serait la somme d’or de l’autre côté.
« Seigneur Jiva, savez-vous comment les gens d’ici ont été traités ? » demanda Wein.
« … Oui, » répondit Jiva.
« Il n’y a pas si longtemps, l’un de leurs représentants est venu me voir avec un appel. Il nous a demandé de ne pas abandonner son peuple. Il a fait cette demande à Natra, pas à Marden. Vous savez ce que cela veut dire, n’est-ce pas ? Il nous suffisait d’imaginer le traitement qu’ils avaient subi sous vos mains. Supposons qu’on rende la mine. Qu’adviendrait-il de ces gens ? Si vous leur enlevez leur dernier espoir, il ne leur restera que le désespoir, » déclara Wein.
« … »
« Avec tout ce que j’ai dit, je vous le demande une dernière fois : qu’est-ce qui vous amène ici, Seigneur Jiva ? » demanda Wein.
*
– Deviens quelqu’un de noble.
Jiva se souvint soudain des mots que sa mère avait l’habitude de lui dire. C’était un faible souvenir. Il l’avait repoussé pour éviter de regarder en arrière le garçon qui avait été intimidé. Pendant ce temps, il avait fait de son mieux pour se taire jusqu’à ce qu’il puisse rentrer chez lui et prétendre que tout allait bien. Mais sa mère l’avait percé à jour.
– Deviens quelqu’un de noble. Sois quelqu’un dont tu pourras être fier à l’avenir.
C’était les mots qui lui avaient transpercé le cœur, et il avait pris sa décision : Il vivrait une vie dans laquelle il n’aurait pas honte de regarder en arrière dans dix, vingt, trente ans.
C’était comme ça que ça aurait dû être de toute façon.
Mais il avait ensuite été confronté à l’échec. Pression. Autopréservation. Se battre.
Avant de s’en rendre compte, il avait perdu le contact avec ses rêves d’enfance et s’était engagé sur un chemin loin de la lumière.
C’était comme cela que c’était devenu. Il avait trouvé des excuses, se disant que les idéaux étaient des idéaux parce qu’ ils étaient irréalisables.
Mais le jeune prince était dans une position beaucoup plus difficile, et pourtant, il n’avait pas hésité ou tergiversé quand il s’agissait de protéger son peuple.
« … Prince Wein, » déclara Jiva.
« Quoi ? » demanda Wein.
« Avant de répondre, j’aimerais que vous me permettiez une seule question, » demanda Jiva.
« Très bien, » les yeux de Wein ne contenaient aucune lueur de doute. Ils regardèrent droit devant d’un regard radieux.
« … La personne derrière vous, Prince Wein. Quelle est sa relation avec vous ? » demanda Jiva.
Jiva se souvenait d’un jeune garçon. Il avait les mêmes cheveux translucides que la fille Flahm devant lui.
Ce garçon avait été un Flahm, lui aussi, et avait été persécuté pour cela.
Qu’est-ce qui lui avait fait penser maintenant à ce jour ?
Jiva connaissait enfin la réponse.
« Ninym est mon cœur, » déclara Wein.
Je voulais être comme lui, pensa Jiva.
*
C’est quoi, cette question ?
Tandis que Wein gardait son ton confiant, la question de Jiva lui faisait pencher la tête dans la confusion. Il essaya d’obtenir des informations sur le diplomate, mais Jiva avait baissé la tête, cachant son expression.
Wein et Ninym en avaient profité pour se passer quelques notes.
Suis-je peut-être quelque chose de rare ? Ninym avait suggéré. En Occident, un Flahm ne serait jamais présent lors des négociations diplomatiques.
Alors il en aurait parlé plus tôt ou avec plus d’émotion, répondit Wein.
C’est vrai… Peut-être qu’il est impressionné par le fait que tu ne fasses pas de distinction entre les citoyens, les soldats ou un Flahm. Écrivit Ninym.
Est-ce simplement parce que ce diplomate est incroyablement empathique ? Pas possible que ce soit la raison, nota Wein.
Mais si tu as raison, il ne voudra peut-être pas continuer à négocier. Répondit Ninym sur un papier.
Tout se passera bien. Si ça arrive, je mangerai une patate par le nez, Répondit Wein.
Tandis que Wein plaisantait avec une réponse désinvolte, Jiva leva tranquillement la tête de l’autre côté de la pièce.
« Votre Altesse, je comprends ce que doit ressentir votre cœur. » L’expression de Jiva était plus claire, moins chargée ou alourdie par quelque chose. « Pardonnez-moi de manquer de respect à ceux qui sont tombés au combat. Il semble que j’ai mal compris tout cela. »
« … Hmm ? »
Wein sentait que quelque chose n’allait pas, mais Jiva avait continué. « Il y a eu du sang versé au nom de votre pays. Vous vous êtes battu pour réclamer ces terres pour Natra. Vous êtes déterminé à protéger les citoyens. Il est clair que nous devons prendre nos arcs et nos flèches. »
« Quoi !? »
« J’imagine que ce sera mon dernier emploi aux Affaires étrangères. Mais je ne perdrai pas une minute afin d’informer le roi Fyshtarre de votre fermeté, » déclara Jiva.
« Atte —, » commença Wein.
« Dans ce cas, Votre Altesse, je dois me dépêcher d’aller au palais royal. Permettez-moi de vous dire que ce fut vraiment un honneur d’entendre vos anecdotes personnelles et d’échanger quelques mots avec vous. » Jiva s’inclina profondément et s’excusa avant de se précipiter hors de la pièce.
Wein et Ninym le fixèrent jusqu’à ce que son dos disparaisse. Ils levèrent enfin le regard, pétrifiés pendant un certain temps, et fermèrent les yeux.
« Euh… Ninym ? » balbutia Wein.
« … Je vais chercher la patate, » déclara Ninym.
C’était ses seuls mots.
Je n’aurait pas penser a tel dénouement !
De même.
Merci pour le chapitre.