Chapitre 1 : Le nom de Wein Salema Arbalest
Partie 1
Deux hommes se promenaient dans le couloir de pierre du palais royal du royaume de Natra. Ils se comportaient avec une certaine dignité et fierté — même leur démarche était raffinée. C’est ce qu’on attendait de ces deux vassaux de longue date du royaume.
L’un d’eux était un fonctionnaire civil. L’autre, un officier militaire. Bien que dans des sphères d’influence distinctes, ils avaient été nommés à peu près à la même époque et étaient restés en bons termes. En fait, ils se rencontraient de temps en temps au palais pour partager une discussion animée ou deux.
Ce jour-là, cependant, le couloir n’était pas rempli de leurs bavardages joyeux habituels, mais plutôt obscurci par des regards solennels assortis.
Il n’y avait qu’une seule raison à leur morosité.
« L’état de Sa Majesté… ne semble pas très prometteur, » l’officier civil clama d’une voix emplie d’émotions.
Fermant les yeux, l’officier militaire soupira. « Eh bien, avec le temps qui fait des ravages à travers le continent, cela doit être particulièrement dur pour Sa Majesté, étant donné sa condition physique… »
« Oh, les caprices du ciel ! J’ai entendu dire que d’autres pays sont dans le chaos parce qu’ils ont perdu des décideurs clés, » répliqua l’officier civil.
« Tu sais, on dit que l’empereur lui-même est tombé malade. À cause de cela, les autres cours royales sont devenues des tanières de petits diables rusés, » répliqua le militaire.
Le fonctionnaire civil expira vivement par le nez. « Bien sûr, il a peut-être réussi à unir l’empire avec son charisme, mais on dit que plus la lumière est claire, plus l’ombre devient sombre quand elle disparaît… Je suppose que c’est d’autant plus vrai qu’ils n’ont pas encore nommé de successeur. »
« Notre propre royaume n’est pas très différent. Mais contrairement à eux, nous avons de l’espoir en…, » ils avançaient dans la bâtisse alors qu’une personne apparaissait de l’autre côté du couloir.
Dès qu’ils avaient confirmé son identité, ils s’étaient immédiatement mis sur le côté pour saluer. C’était un spectacle rare en effet. Peu de gens dans le palais justifiaient une telle action.
« Prince Wein. Bonjour, Votre Altesse, » saluaient-ils à l’unisson.
Devant eux se tenait un jeune garçon accompagné d’une servante.
Il était le prince héritier du royaume de Natra, Wein Salema Arbalest.
« Oh, bonjour, » répondit-il.
Il n’avait que seize ans — un jeune garçon selon la plupart des critères — mais il venait d’être nommé prince régent, chargé de gérer les affaires gouvernementales à la place du roi malade.
« C’est quoi ces expressions sans joie ? … Est-ce à propos de mon père ? » demanda le jeune prince.
Les deux avaient répondu avec respect à la question de Wein.
« Oui, Votre Altesse, » confirma le premier.
« Toutes nos excuses. Quand nous avons été informés de l’état de Sa Majesté…, » avait commencé l’autre.
« Je vois, » murmura Wein, posant ses mains sur leurs épaules. « Il n’y a plus de raison de s’inquiéter. Je suis ici. »
Ils tremblaient légèrement sous ses mains.
« En plus, il n’y a pas que moi. Nous avons tant de vassaux qui soutiennent Père depuis toutes ces années. Si nous unissons nos efforts, je suis certain que nous pourrons surmonter n’importe quelle crise nationale. »
« Votre Altesse… »
« Ça, c’est certain. »
Il souriait sereinement à la paire en hochant la tête avec ferveur. « Nous n’avons pas le temps de pleurer. Nous ne pouvons pas le distraire de son rétablissement. Je m’attends à ce que vous vous montriez à la hauteur de la situation. »
« « Oui, Votre Altesse ! » » Ils avaient semblé chanter en répondant.
Tandis qu’il leur faisait ses adieux et qu’il poursuivait sa route dans le couloir avec sa servante, les deux hommes le suivirent du regard jusqu’à ce qu’il soit hors de vue, puis ils soupirèrent et ils fondirent en une admiration totale.
« … Oh, je le savais, c’est tout. Notre lueur d’espoir. »
« Je suis tout à fait d’accord. J’ai entendu dire qu’il était doué dès son plus jeune âge, mais qu’il a connu une telle croissance depuis son retour de ses études dans l’empire. Il a déjà réussi à empêcher le chaos d’éclater à la Cour et travaille maintenant à unifier les vassaux du royaume. »
« Je parie que l’empire sera jaloux quand ils entendront ça. »
« Jetons plus de sel dans la plaie en soutenant davantage les efforts de Son Altesse. »
« Oui, bien sûr. »
Les deux hommes se hochèrent la tête — disparues étaient leurs expressions auparavant sombres. Dans leur cœur, ils imaginaient déjà un avenir brillant pour leur royaume entre les mains du prince.
***
Au centre même du palais royal se trouvait un bureau réservé aux affaires gouvernementales. Ses lourdes portes s’étaient ouvertes pour Wein et son accompagnatrice alors qu’ils pénétraient dans la pièce. Il était strictement réservé au roi dans des circonstances normales. Mais les choses étaient loin d’en être là, et maintenant Wein se servait de cette pièce pour mener ses affaires royales.
Il s’était immobilisé devant un bureau rempli de documents et de papiers. « Ninym, confirme mon emploi du temps pour aujourd’hui. »
Son assistante était une fille d’une beauté presque inconcevable du même âge que Wein, aux cheveux blancs presque transparents et aux yeux rouge vif.
« Le matin, vous devez vérifier ces rapports et résoudre tout différend soumis. Dans l’après-midi, vous devez assister à un déjeuner-causerie, puis à trois conférences, avant de rendre visite à Sa Majesté, » répondit Ninym.
« Cela veut-il dire que personne ne viendra ici de toute la matinée ? » demanda le prince.
« Correct, » répondit Ninym.
Ah, très bien. Wein acquiesça d’un signe de tête, puis — il cria de tous ses poumons.
« VENDONS CE PAYS ET FICHONS LE CAMP D’ICI ! Tout ce truc à propos de “se soutenir” ? Ouais, c’est des conneries ! Ce pays n’est pas si facile à réparer ! Non, pas du tout. Nous n’avons aucune chance. Nous sommes totalement baisés ! »
« Et voilà que tu recommences, » répliqua Ninym, imperturbable devant ce soudain déchaînement. Elle avait lâché son ton étouffant et formel. « Tu ne devrais pas dire ces choses à voix haute, Wein. »
« Ce n’est pas une blague, Ninym ! Je suis tout à fait sérieux ! » répliqua Wein.
« C’est encore pire, » dit-elle en soupirant.
Voici le successeur du royaume de Natra, le garçon qui devait tous les sauver — Wein Salema Arbalest.
En réalité, c’était un bon à rien de fainéant. En fait, ses mots les moins préférés étaient devoir, responsabilité et effort.
« Argh, tu es toujours comme ça quand tu n’es pas sous l’œil du public… Essaie au moins d’être un peu plus professionnel, s’il te plaît, » se lamente-t-elle.
Ninym Ralei était à ses côtés depuis son enfance et, en tant que son assistante principale, elle était l’une des rares personnes à connaître sa véritable personnalité. Certains diraient qu’il était contraire au bon sens d’assigner une jeune fille afin d’aider un prince héritier tout aussi adolescent devenu régent. D’autant plus qu’il s’occupait de politique nationale.
Cependant, personne dans la cour royale du royaume n’oserait dire que c’était le cas — à moitié par crainte de déplaire au prince héritier qui l’avait nommée, à moitié à cause de ses réalisations personnelles et de ses prouesses.
Wein avait pu lui parler aussi ouvertement parce qu’ils avaient établi entre eux une relation fondée sur la confiance mutuelle et la coopération. Cela les rendait aussi brutalement honnêtes quand il n’y avait personne d’autre. Néanmoins, il y avait une raison pour laquelle Wein crachait ces plaintes absurdes, quelque chose qui allait au-delà de sa propre disposition.
« Hmm ? Allez, c’est quoi cette attitude de Miss Parfaite ? Ninym, tu réalises que ce pays est pauvre en terre, n’est-ce pas !? » demanda le prince.
« “Pauvre en terre” est une exagération… Nous avons simplement de graves pénuries de main-d’œuvre, de ressources et de capitaux. C’est tout, » répondit-elle.
« Ouais, c’est ce que le reste du monde appelle de la misère ! » s’écria-t-il.
Pour revenir sur le sujet, le royaume de Natra était l’un des nombreux pays du continent de Varno. Avec une population d’un peu moins de cinq cent mille habitants, elle était considérée comme un pays relativement petit.
Situé à l’extrémité la plus septentrionale du continent, le royaume connaissait de courts printemps et de longs hivers. De plus, la majeure partie du territoire du pays était constituée de roches stériles et de montagnes.
Bien qu’il ait une longue histoire, le pays possédait des ressources limitées et peu d’industrie. En fait, la seule chose pour laquelle il était vraiment connu était ses paysages enneigés, qui attiraient une poignée de voyageurs curieux chaque année. Mais pour le citoyen moyen, le froid glacial était plus une malédiction qu’une bénédiction.
Natra était un royaume historique, mais c’était surtout dû au fait qu’il s’agissait d’une cible si peu attrayante que les autres pays regardaient rarement sa direction, sans parler de faire une invasion. C’était grâce à des dirigeants sages et raisonnables du passé qu’il avait réussi jusqu’à présent à maintenir l’apparence d’un pays digne de ce nom.
Dans l’ensemble, il s’agissait d’un petit pays vulnérable dont le potentiel était plus que suffisant pour être balayé à tout moment.
Et c’était le prendre à la légère.
« Notre administration n’a pas de fonds. Et nous n’avons pas d’industries pour faire de l’argent. Nous n’avons même pas le pouvoir militaire de voler quelque chose aux autres. Et quiconque a la moitié d’un cerveau finit par quitter le pays à la recherche de meilleures opportunités ailleurs ! Maintenant que Père est malade et que la tempête se prépare à traverser le continent, je suis coincé à diriger toute cette putain de campagne !! » s’écria le prince.
Compte tenu de tout cela, sa plainte n’était pas totalement injustifiée. C’était clairement un fardeau trop lourd pour un garçon, surtout au milieu de l’adolescence.
Non pas qu’il y avait quelqu’un qui pouvait le remplacer.
« Argh, pourquoi devrais-je être né prince de ce pays ? Si seulement j’étais né dans un endroit avec plus de ressources, de main-d’œuvre et d’argent… Tu sais quoi ? C’est sans espoir ! On va se faire envahir. Nous pourrions peut-être réduire nos ressources… Oh, mais si nous impliquons trop de main d’œuvre, nous risquons d’inciter à un coup d’État…, » déclara-t-il.
« Oh, d’accord, ça suffit avec ce pessimisme. Tiens, fais un peu de travail. » Ninym pressa une grosse pile de documents sous son nez pendant qu’il continuait à marmonner ses délires.
« Argh, » gémit-il d’un ton fatigué, jetant un coup d’œil rapide aux papiers avant de les repasser immédiatement. « Ça a l’air bon. Suivant. »
« … Les as-tu lus ? Correctement ? » demanda-t-elle.
« Ouais, ouais, je les ai lus. Jusqu’au dernier mot. Ça dit que tu as pris du poids, et — Aie !! Toi — ! Je suis presque sûr que c’est inconvenant de marcher sur le pied du prince ! » déclara-t-il.
« Prends ton travail plus au sérieux si tu veux que je te respecte. De plus, je n’ai pas pris de poids. Merci beaucoup, » répliqua-t-elle.
« Quoi ? Ça ne va pas, Ninym ! Non, pas du tout. Pensais-tu vraiment que je ne remarquerais pas que tes pas devenaient plus lourds ? Je sais que ton corps ne change presque jamais, mais je sais que tu as pris plus d’une livre depuis la semaine dernière, et — hé, arrête ça, idiote ! Arrête ça ! ! Ne tords pas mon bras — GWAAAAAAAAA !? » cria le prince.
« Aimerais-tu explorer jusqu’à quel point tes articulations se plient ? Ou feras-tu ton travail désormais ? » demanda Ninym.
« J’aimerais beaucoup travailler, s’il te plaît ! » déclara-t-il.
« Très bien, alors. Et pour info, je n’ai pas pris de poids. Suis-je claire ? » demanda Ninym.
« Oui m’dame, » il avait cédé.
Ninym était la seule du royaume à pouvoir lui botter le cul.
« Agh ! Je n’en peux plus. Tout ce que je veux, c’est être seul avec ma montagne de pièces d’or, te taquiner et vivre la vie facile. Est-ce trop demander ? » demanda Wein.
Tandis que Wein se couchait sur son bureau pour grommeler davantage, on frappa à la porte du bureau. Il s’était d’abord mis en position verticale lorsque la porte s’était ouverte avec un gros son.
C’était une jeune fille.
« Es-tu là, Wein ? »
Elle avait l’air un peu plus jeune que Ninym et Wein. Tandis qu’elle voltigeait dans la pièce, sa robe d’été et ses cheveux noirs dansaient autour d’elle. Elle incarnait la beauté.
Certaines parties de son visage ressemblaient étrangement à celui de Wein. Eh bien, il fallait s’y attendre. Après tout, c’était Falanya Elk Arbalest, la petite sœur de Wein Salema Arbalest…
En d’autres termes, la princesse.
« Oh, c’est toi, Falanya. Qu’est-ce qu’il y a ? » Faisant croire qu’il venait de terminer un long travail, Wein se redressa avec désinvolture et sortit le visage des papiers devant lui.
« Euh, ce n’est rien de vraiment important. C’est juste que… Tu as été si occupé ces derniers temps, Wein. Nous avons à peine eu l’occasion de parler, » confessa Falanya, le regardant avec de l’espoir dans ses yeux scintillants. « … Est-ce que je te dérange ? »
« Mais non. » Wein sourit. « Tout grand frère qui pense cela est un échec. Viens par ici. »
Son visage s’illumina alors qu’elle se précipita vers Wein et sauta sur ses genoux.
« B-Bon sang… Falanya, je sais que j’ai dit “viens par ici”, mais ce n’est pas très approprié, » déclara Wein.
« Je ne vois pas comment c’est possible. C’est ma place depuis toujours. » Elle gloussa, frottant sa joue contre la poitrine de son frère comme un petit animal affectueux.
Wein avait vu sa bouche se détendre dans un sourire idiot, mais il l’avait fait disparaître chaque fois que Falanya l’avait regardé. Pendant ce temps, Ninym griffonnait quelque chose sur un morceau de papier pour ses yeux seulement : Complexe de sœur.
Laisse tomber, il avait gribouillé.
Falanya pencha avec curiosité la tête vers lui. « Quelque chose ne va pas, Wein ? »
« Oh, non ! Ce n’est rien. Je pensais juste que tu étais si légère comparativement à quelqu’un d’autre, » déclara Wein.
« Eh bien. Ce n’est pas très agréable de comparer les poids des gens, » répondit sa sœur.
« Ha-haha, tu as raison. Je suis désolé, » dit Wein en riant, regardant Ninym droit dans les yeux.
Je vais te tuer.
… Et il allait faire comme s’il n’avait pas vu cette dernière.
« Je suis tellement soulagée, » dit Falanya en soupirant. « J’avais peur que tu m’en veuilles de m’être mise en travers de ton travail. »
« … »
« Wein ? »
« Oh, eh bien, ouais, j’ai fait ça sans arrêt. Pas vrai, Ninym ? » déclara le prince.
« Pourquoi, oui, oui ? Bien sûr… En fait, juste avant l’arrivée de Votre Altesse, Wein a dit qu’il était mécontent de la quantité de travail que je lui avais donnée. Je crois qu’il a insisté pour que je lui en donne plus. » Sans rien rater, Ninym avait sorti une montagne de paperasse d’un endroit secret et l’avait déposée sur son bureau. « Moi, Ninym Ralei, je suis impressionnée par le dévouement inlassable de Votre Altesse quant à ses fonctions de régent. »
« Oh mon Dieu. Eh bien ! C’est clairement approprié venant de toi, Wein, » déclara la princesse.
« … Pas vrai !? C’est naturel pour un prince ! » Wein gloussa avec confiance en envoyant sur Ninym le plus accablant des regards.
Elle feignait l’ignorance.
« Mais tu n’auras pas beaucoup de temps libre pendant un moment, n’est-ce pas, Wein ? » demanda sa sœur.
« Ouais. Les vassaux ont aidé à garder la cour royale sous contrôle pour la plupart, mais il y a encore des problèmes dans le royaume. Je serai occupé jusqu’à ce qu’on trouve une solution… Je suis désolé. En vérité, c’est que j’adorerais jouer avec toi, » déclara Wein.
« Il n’y a aucune raison de s’excuser, » le consola Falanya en secouant la tête. Sa voix devint anxieuse. « Mais promets-moi que tu ne te donneras pas trop de mal. Si tu t’effondrais comme Père… Oh, je ne sais pas ce que je ferais… »
« Ne t’inquiète pas. J’ai peut-être l’air maigre, mais je ne tomberais pas facilement. Et tu as tort si tu penses que tu ne peux pas aider. »
« … Qu’est-ce que je peux faire ? » demanda sa sœur.
« Ce n’est pas difficile : continue de sourire. » Il lui avait touché les joues pleines. « Tant que tu continues comme ça, Falanya, mon père et moi irons bien. C’est ton pouvoir spécial. »
« Vraiment ? »
« Bien sûr que oui. Je ne te mens jamais… Surtout… Habituellement… Ouais, eh bien, je dis la vérité maintenant, » déclara Wein.
« Alors… est-ce bon ? » Elle lui fit un petit sourire, et il hocha la tête sincèrement avec satisfaction.
« Wôw, ouais, je me sens déjà mieux. Mais je pense qu’un câlin rendrait tout cela encore meilleur, » déclara Wein.
« Hee-hee-hee-hee. Oh, tu es si bête. Whee ! » Elle gloussa, sautant dans ses bras. « Qu’est-ce que tu dis de ça ? »
« Wôw, c’est parfait. Je pense que je peux faire avancer mon travail cet après-midi. Aujourd’hui est un grand jour, alors tu m’aides vraiment, » déclara Wein.
« Oh, ça me rend si heureuse… Mais qu’y a-t-il de si important aujourd’hui ? » Falanya inclina son visage pour le regarder vers le haut, alors qu’elle continuait à s’accrocher à lui.
« J’ai une réunion avec l’ambassadeur impérial, » déclara Wein.
Merci pour le chapitre.