Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 4 – Chapitre 3 – Partie 1

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Acte 3

Partie 1

La salle était bordée de douzaines de bureaux alignés, où les enfants sculptaient des lettres sur des tablettes d’argile.

Ils affichaient tous des expressions rigides et, bien qu’ils s’efforçaient manifestement de se concentrer sur le travail devant eux, plus d’un enfant jetait de temps en temps un regard furtif derrière eux.

Un homme d’âge moyen se tenait devant les enfants, lisant à haute voix un récit épique de l’histoire du siège d’Iárnviðr. « C’est ainsi que le Patriarche Yuuto a réussi à vaincre et a chassé les armées alliées du Clan de la Griffe, du Clan des Cendres et du Clan du Croc, sauvant ainsi le Clan du Loup de sa crise de vie ou de mort. »

Il s’agissait d’un vaxt dans la ville d’Iárnviðr, une école pour la formation de futurs scribes et fonctionnaires.

L’enseignant qui dirigeait la classe était un vétéran de vingt ans, et il avait déjà lu cette histoire à haute voix des centaines de fois, alors normalement il aurait pu la réciter mot pour mot de mémoire. Cependant, aujourd’hui, il y avait une hésitation dans sa voix, et il ne parlait pas aussi facilement.

C’était peut-être compréhensible, cependant, car le personnage principal du conte épique était assis à l’arrière de sa classe, observant le processus d’enseignement.

« Entendre parler de ça ainsi est vraiment embarrassant..., » commenta Yuuto.

« Tee hee, » gloussa Félicia. « Mais j’ai entendu dire que les enfants font beaucoup plus attention quand les histoires parlent de toi, Grand Frère. Et les enfants semblent apprendre plus rapidement avec les sujets qui les intéressent. »

Ses paroles avaient fait se souvenir à Yuuto une citation de Confucius, et il avait haussé les épaules dans la défaite. « Bon sang. “Ceux qui connaissent la vérité ne sont pas égaux à ceux qui l’aiment, et ceux qui l’aiment ne sont pas égaux à ceux qui s’en réjouissent”, est-ce bien cela ? »

Étudier quelque chose d’agréable était plus efficace que d’être forcé d’étudier quelque chose d’ennuyeux. Il semblait que la vérité restait constante, quelle que soit l’époque.

Yuuto se tourna vers Éphelia, qui était assise à côté de lui, et posa une main sur sa tête. « Alors, tu penses que tu peux le faire ? »

« Fwah !? » La voix de Yuuto l’avait tellement effrayée qu’elle avait émis un bruit étrange. Apparemment, elle avait été tellement absorbée à écouter le récit qu’elle n’avait plus conscience de ce qui l’entourait. « Oh, e-euh, mais est-ce vraiment bien pour Éphy d’assister à un vaxt ? »

« Il n’y a pas de bien ou de mal à cela, » déclara Yuuto. « Fais-le. C’est un ordre. »

« Oh..., » Éphelia semblait timide et sans confiance, alors Yuuto s’était affirmé pour lui faire comprendre la situation.

Il s’était dit que s’il lui laissait trop de choix en la matière, cela la rendrait encore plus incertaine.

Dans le Japon natal de Yuuto, au XXIe siècle, l’éducation des enfants était obligatoire. Peu importe que l’on veuille aller à l’école ou non, il le fallait.

« Ta tâche, c’est d’étudier ici, » déclara Yuuto. « Si tu as de bonnes notes, tu seras payé en récompense. Si tu travailles dur, tu seras en mesure de réunir plus rapidement les fonds nécessaires à ton but. »

Si un esclave pouvait payer à son maître une somme d’argent équivalente à son prix d’achat, il était alors possible de racheter sa liberté et ses droits en tant que citoyen normal.

Personnellement, Yuuto aurait aimé lui donner l’argent sans condition, mais il n’avait pas les moyens de montrer à Éphelia ce traitement préférentiel. Et s’il devait émanciper tous les esclaves qui travaillent dans le palais, le trésor national du clan s’en trouverait lourdement affecté.

Yuuto était le patriarche du Clan du Loup, mais les fonds du clan n’étaient pas sa propriété personnelle. Il était sérieux quant à sa responsabilité de les utiliser pour le bien du Clan du Loup dans son ensemble, et non pour sa propre satisfaction.

Yuuto ébouriffa vigoureusement les cheveux d’Éphelia, comme s’il lui insufflait son propre esprit combatif. « Travaille dur, d’accord ? Plus vite tu apprendras à écrire, plus mon travail sera facile. »

« O-okay ! Je ferai de mon mieux ! » Éphelia serra ses petites mains en poings devant elle, en se réconfortant.

C’était vraiment une fille sérieuse dans l’âme, comme Yuuto l’avait d’abord pensé.

Il avait le sentiment qu’elle pourrait être à la hauteur de ses attentes.

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« Ouf, je suis content qu’on ait réussi à la faire accepter ! » Alors qu’il était dans une calèche sur le chemin du retour, Yuuto souriait de satisfaction.

Éphelia pourrait commencer à assister au vaxt tout de suite, à partir d’après-demain. Un voyage de mille milles commence par le premier pas, comme le disait l’adage. Il franchissait ainsi le premier obstacle majeur qui l’empêchait d’atteindre son objectif.

« Oui, bien qu’ils aient rechigné un peu à l’idée. » Félicia sourit ironique et haussa les épaules.

Éphelia s’était rapidement endormie sur les genoux de Félicia. Elle n’avait pas dormi depuis hier, quand on lui avait dit qu’elle viendrait avec eux pour observer le vaxt. Une fois qu’ils avaient terminé et qu’elle avait enfin eu l’occasion de se détendre, elle s’était assoupie et s’était endormie. Le doux balancement du chariot n’avait fait qu’accélérer le processus.

Yuuto avait répondu par un sourire ironique. « Peut-être, mais il fallait qu’ils l’acceptent, quoi qu’il arrive. »

Seuls les enfants de familles aisées étaient présents dans les vaxts. Même les enseignants avaient un penchant un peu élitiste, alors ils s’étaient poliment opposés à lui, arguant que ce serait une perte de temps que d’essayer d’enseigner à un simple esclave.

Il était probable qu’il y en avait plus d’un qui était du même avis, même parmi les officiers du Clan du Loup. Ils doivent sûrement penser que Yuuto devrait utiliser les profits de la vente de produits verriers pour quelque chose de plus utile et de plus valable.

Et c’est exactement pour ça qu’il était important de s’assurer qu’Éphelia assiste à un vaxt.

Avec une bonne étude, même un esclave pourrait s’alphabétiser. Si Yuuto pouvait démontrer ce fait, cela devrait permettre à tout le monde de comprendre l’idée derrière l’application d’un système d’éducation obligatoire.

Il pouvait, bien sûr, techniquement, utiliser son autorité absolue en tant que patriarche pour faire avancer le plan... mais les enfants sans instruction sur le territoire du Clan du Loup se comptaient par dizaines de milliers.

Veiller à ce qu’ils reçoivent tous une éducation serait une réforme à grande échelle et exigerait donc des sommes d’argent, du temps et de la main-d’œuvre proportionnellement considérables. Yuuto pouvait déjà imaginer l’échec qui l’attendait s’il essayait de faire avancer les choses tout seul.

« Même si un individu incroyablement talentueux investit la totalité de son énergie dans son travail, la préservation et l’amélioration des résultats de ce travail nécessitent la coopération d’un grand nombre d’autres personnes. Une nation ne peut garantir sa survie sans ce type de coopération. » C’était les paroles de Machiavel.

Contrairement à ce qui s’était passé deux ans auparavant, Yuuto était maintenant parfaitement au courant de l’importance de jeter les bases et d’établir un consensus avec la majorité.

Et Éphelia était parfaite pour cette tâche. Elle était la plus persévérante et travailleuse dans tout ce qu’elle faisait, en plus d’avoir déjà reçu une certaine éducation, et à en juger par le fait qu’elle savait déjà lire et écrire des lettres, elle était aussi intelligente. Il y avait fort à parier qu’elle obtiendrait de bons résultats.

Tant qu’elle n’avait pas d’ennuis.

« Par contre, est-ce qu’elle va devoir faire face à l’intimidation ? C’est ce qui m’inquiète le plus, » murmura Yuuto. En tant que personne qui connaissait la vie scolaire au Japon moderne, il était tout naturel pour lui d’avoir cette préoccupation.

« Je pense que tout ira bien à cet égard, Grand Frère, » déclara Félicia. « Aujourd’hui, tu as bien dû leur faire comprendre qu’elle est l’une de tes favorites. Et je crois qu’un bon nombre d’enfants doivent être impatients d’en savoir plus sur toi, alors je suis sûre qu’elle deviendra très populaire. »

« Oui, je l’espère, » murmura Yuuto à lui-même avec incertitude. Il craignait exactement le contraire : la possibilité que la connaissance de son favoritisme envers elle suscite l’envie chez les autres enfants, ce qui l’exposerait à une multitude de cruautés inconsidérées.

L’envie était une émotion qui défiait toute rationalité. Comprendre dans sa tête que c’était mal n’était pas suffisant pour empêcher son cœur de le sentir.

Les êtres humains ne vivaient pas leur vie en choisissant les émotions les plus agréables auxquelles s’accrocher, Yuuto ne le savait que trop bien maintenant.

Un rire amer lui échappa. « D’une certaine façon, nous avons été mis dans des situations similaires. »

Cette scène terrible d’il y a un an et demi était revenue du fond de son esprit : son frère aîné assermenté, rendu fou de jalousie, tentait de l’abattre avec une épée et tuait plutôt son prédécesseur, qui avait sauté devant lui pour le protéger.

En y repensant rétrospectivement, Loptr avait dû toujours considérer Yuuto comme quelqu’un « en dessous » de lui. Il n’y avait rien d’inhabituel à cela, en fait, c’était une compréhension parfaitement correcte des choses. Yuuto avait après tout été son frère subordonné.

Et comme l’avait montré Loptr, lorsqu’une personne qui voit quelqu’un d’autre comme « en dessous » d’elle trouve que ces positions étaient inversées, c’était dans la nature humaine de ressentir d’intenses sentiments d’irritation ou même de haine.

Il n’y aurait donc rien d’étrange s’il y avait des gens qui ne seraient pas capables d’accepter l’idée d’un esclave, quelqu’un qui était clairement en dessous d’eux, qui monte à leur niveau ou au-dessus dans la société. En fait, ce serait bien plus étrange s’il n’y avait pas de gens comme ça.

« Et, étant donné cela, devoir choisir quelqu’un pour servir d’exemple est l’un des aspects les plus difficiles quant au fait d’être le patriarche, » avec un sourire fatigué, Yuuto secoua la tête et soupira.

Le plus souvent, les décisions qu’il prenait en tant que patriarche étaient prises en conflit avec ses propres sentiments. Par exemple, il n’avait jamais pu s’habituer à l’impression quand il donnait à Sigrun l’ordre de charger au combat.

Malgré tout, c’était son devoir de renforcer son cœur et de prendre la bonne décision dans des moments comme celui-ci, car c’était lui qui était au sommet.

En tant que patriarche réfléchissant à l’avenir du Clan du Loup, il devait absolument faire tout ce qu’il fallait pour mettre en place l’éducation obligatoire. Et pour cela, il avait besoin de résultats préliminaires.

Il ne lui serait pas utile de se concentrer uniquement sur les démérites et les désavantages, car cela l’empêcherait d’aller de l’avant.

Éphelia avait une adorabilité naturelle pour elle, un peu comme un mignon petit animal. C’était l’une de ses qualités qui la rendait très appréciée par beaucoup de gens.

Il était donc beaucoup plus probable que Félicia ait raison, et les préoccupations de Yuuto étaient sans fondement. Éphelia pourrait très bien devenir populaire parmi les enfants, assez populaire pour écarter toutes les émotions négatives de ses pairs qui avaient acquis au cours du processus.

Dans de telles situations, il n’y avait rien d’autre à faire que de lancer les dés et de voir comment ils s’arrêteraient.

De plus, aller à l’école ouvrirait de grandes possibilités pour l’avenir d’Éphelia. Permettre à ses soucis d’écarter ces possibilités serait un terrible gâchis.

Un enfant choyé par la surprotection ne grandit pas. Il y avait un vieux dicton : « Le lion jette son petit dans un profond ravin. » Parfois, les dures épreuves étaient ce qui était le plus nécessaire pour quelqu’un. Et donc...

« Pour l’instant, il ne nous reste plus qu’à la surveiller, » déclara-t-il.

Ce que Yuuto pouvait faire pour Éphelia maintenant, c’était de lui faire confiance et de s’occuper d’elle à distance, afin que s’il devait un jour agir en son nom, il puisse lire les signes et lui venir rapidement en aide d’une manière appropriée.

Il s’était résolu que, quoi qu’il arrive, il assumerait cette responsabilité en tant que celui qui l’avait choisie pour ce processus.

Tandis que la jeune fille continuait à dormir, Yuuto caressa doucement sa tête. « Fais de ton mieux, Éphy. »

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3 commentaires :

  1. Merci pour le chapitre.

  2. Merci pour le chap ^^

  3. amateur_d_aeroplanes

    Merci pour le travail 🙂

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