Genjitsushugisha no Oukokukaizouki – Tome 13 – Chapitre 2

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Chapitre 2 : Cause inconnue

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Chapitre 2 : Cause inconnue

Partie 1

Le lendemain, après avoir pris la décision de reprendre les pourparlers avec Shabon, le même groupe de personnes que la veille s’était réuni dans la salle d’audience. S’il y avait une différence, c’était que Liscia était assise sur le trône de la reine à côté du mien. J’avais choisi de ne pas la faire participer la dernière fois parce que nous ne savions pas quelles étaient les intentions de nos invités, mais maintenant que nous étions sûrs que Shabon et Kishun n’avaient aucune intention hostile, je voulais qu’elle soit présente. Carla surveillait les enfants.

La présence de Liscia semble avoir découragé Shabon encore plus qu’auparavant. C’était probablement à cause de ce qu’elle avait dit sur le fait que je l’utiliserais comme outil et que si je voulais la couronne du Roi Dragon à neuf têtes, elle m’épouserait. Ces déclarations risquaient de bouleverser Liscia, et si elle offensait la première reine primaire qui gérait le ménage, il n’était pas difficile d’imaginer la vie compliquée qui l’attendait ici, même si je l’épousais.

Liscia avait souri à Shabon. Il s’agissait probablement de sa façon d’essayer de dire, « Vous n’avez pas à avoir si peur », mais Shabon semblait encore plus effrayée quand elle l’avait vu… Quel mal de tête !

Quoi qu’il en soit, avec toutes les personnes présentes, la réunion commença par un salut de Shabon qui s’était excusée.

« Kishun m’a relayé les paroles du Premier ministre, et j’ai appris à quel point ce que j’ai dit était inapproprié, et pourquoi cela a déplu à Sa Majesté Souma. Une telle ignorance me fait honte. Je suis terriblement désolée. »

« Non, j’ai laissé ma colère prendre le dessus et j’ai été trop dur, Madame Shabon. Je m’excuse aussi, » je m’étais excusé de mon manque de contrôle. Cela étant réglé, nous avions décidé de poursuivre la discussion qui avait été interrompue la veille.

« Maintenant… Madame Shabon, vous avez dit que vous étiez prête à être mon outil. Est-ce toujours le cas ? »

« Oui. C’est pour cela que je suis venue. »

Pas de changement d’avis, hein ? Ce n’était pas le genre de chose où elle pouvait juste dire. « Ouais, mais non, oublions que j’ai dit ça… » et les deux individus devaient être très déterminés à faire tout ce chemin, donc cela aurait probablement dû être évident.

Donc… il restait le problème de savoir comment la gérer.

« J’ai entendu parler de votre offre par Souma… Je veux dire Sa Majesté, mais êtes-vous sûre que vous êtes d’accord avec ça ? » demanda Liscia, en regardant Shabon avec inquiétude.

La question soudaine avait fait un peu sursauter Shabon, mais elle avait quand même regardé Liscia d’en bas de l’escalier et elle avait timidement hoché la tête. « … Oui. Parce que c’est le seul moyen qu’il me reste pour sauver mon peuple. »

« Je peux comprendre, en tant que membre de la famille royale, comment vous avez pu faire passer votre peuple avant vos propres sentiments. Ce qui m’a d’abord intéressé chez Sa Majesté… mon mari était qu’il avait un plus grand potentiel en tant que souverain que moi ou mon père, et je pensais qu’il serait positif pour le pays. Ensuite, comme nous nous soutenions mutuellement dans les moments difficiles, nous avons été attirés l’un par l’autre. Cela a commencé comme un engagement politique, mais je pense que mon mariage avec Souma est un mariage d’amour. Je suis sûre que les autres reines ressentent la même chose. »

Liscia regarda Aisha qui fit un grand signe de tête… C’est un peu gênant de les entendre me flatter comme ça.

Shabon avait l’air un peu désorientée. « Est-ce… que c’était vraiment ainsi ? »

« Oui. Mais d’après le regard que je vois sur votre visage, je ne peux pas vous imaginer capable de construire une relation comme la nôtre. »

« Hein !? »

Le rejet de Liscia avait fait écarquiller les yeux de tout le monde dans la salle, y compris les miens.

Ignorant notre surprise, Liscia poursuivit. « Les mariages politiques sont une réalité pour les membres de la royauté. Cependant, Madame Shabon, le sentiment de malheur dans votre expression est palpable. Je comprends que vous devez vous sentir tendue par la situation actuelle, mais si vous venez nous voir en tant que mariée comme cela, vous ne ferez que mettre mal à l’aise les gens du Royaume ainsi que les vôtres. Même s’il s’agit d’un mariage politique, en mettant de côté toute idée de romance, les personnes concernées doivent être souriantes — pour que tout le monde sache que c’est un mariage heureux. »

Shabon baissa les yeux, incapable de trouver les mots pour répondre.

« Je peux sentir votre malheur même si vous portez ce faux sourire sur votre visage. Qui, selon vous, serait heureux d’épouser quelqu’un avec une telle expression ? … Il n’y a pas de bonheur à avoir là, juste de la tristesse pour toutes les personnes concernées. Ni pour Sa Majesté, ni pour les enfants nés d’un couple sans amour, ni pour les habitants de nos deux pays… et, surtout, pas pour vous-même. »

« … Mais ! » Shabon serra ses mains devant elle en criant. « Pourtant, c’est la seule façon que j’ai ! Je suis le seul paiement que je peux vous offrir en échange du fait de sauver les habitants de l’archipel ! Je sais que je suis la fille du Roi Dragon à neuf têtes, mais quand j’agis au mépris de mon père, tout ce que j’ai, c’est… mon propre corps… »

Elle s’était battue pour faire sortir ces derniers mots. J’étais sûr qu’elle se sentait acculée, et c’était une décision qu’elle avait prise après avoir beaucoup lutté. Mais comme l’avait dit Liscia, ses méthodes allaient laisser trop de gens malheureux.

« Hé, Madame Shabon ? » demandai-je.

« … Oui ? »

« Votre histoire n’est-elle pas incomplète ? Je trouve qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec vos paroles, » demandai-je.

Les épaules de Shabon frémirent à l’annonce de ma remarque.

« Lors de notre réunion d’hier, vous l’avez dit à plusieurs reprises : ce qui cause la souffrance des habitants de l’archipel du Dragon à Neuf Têtes, c’est “les mauvaises prises et l’incapacité à envoyer les bateaux”. Cela donne l’impression que ce sont les mauvaises prises qui les empêchent d’envoyer les bateaux, mais… ce n’est pas possible. »

Dans le monde d’où je viens, il y avait des pêcheurs qui ne pouvaient pas faire sortir leur bateau parce que revenir les mains vides signifiait qu’ils ne pouvaient pas se permettre de payer l’essence. Mais dans ce monde, les pêcheurs utilisaient des créatures marines pour tirer leurs bateaux, ou ils ramaient à la main. En d’autres termes, les mauvaises prises ne pouvaient pas conduire à une situation où ils ne pouvaient pas sortir les bateaux. On pourrait penser que, qu’il y ait quelque chose à pêcher ou non, ils devraient pouvoir sortir les bateaux quand ils le veulent.

Lorsque nous parlons de mauvaises prises, nous parlons du fait de ne pas pouvoir attraper grand-chose pendant la pêche. Si les bateaux ne pouvaient pas du tout sortir, ils ne pouvaient pas pêcher, donc il n’y avait pas de prise en soi. Maintenant, est-ce que c’est juste Shabon qui parle mal… ? Probablement pas.

« Si ce que vous m’avez dit est vrai, voici ce que cela signifie : il y a de mauvaises prises, et vous êtes incapable de faire sortir les bateaux, et ces deux choses se produisent en même temps. »

« … »

« Hakuya, montre-moi le compte-rendu des discussions d’hier, » déclarai-je.

« Oui, sire. » Hakuya s’était incliné, puis il m’avait présenté une feuille de papier. Sur celle-ci figurait ma conversation d’hier avec Shabon. Bien qu’il s’agisse d’une rencontre non officielle, nous avions tout de même gardé des traces. J’avais accepté la feuille de papier et je l’avais examinée.

« Voici ce que vous avez dit. Les pauvres prises et l’incapacité à envoyer les bateaux, la façon dont le Roi Dragon à neuf têtes a levé les impôts, l’ombre d’une guerre imminente avec le Royaume… Toutes ces choses ont plongé le peuple dans la dépression. Vous pourriez interpréter ces mots comme un appel à mon aide pour mettre fin à la tyrannie du Roi Dragon à Neuf Têtes. Cependant, il est difficile d’imaginer qu’il est responsable de tout ce que vous dites. Les mauvaises prises sont un phénomène naturel, et une telle chose ne pourrait certainement pas empêcher les gens de tout l’archipel de pouvoir sortir leurs bateaux. »

Je m’étais arrêté un instant pour casser le rythme.

« Si, comme vous le dites, les habitants de l’archipel du Dragon à Neuf Têtes ne font qu’un avec la mer et détestent en être séparés, ils résisteraient si quelqu’un essayait de les empêcher de sortir leurs bateaux. Pour commencer, chacune des îles a beaucoup d’indépendance, il n’y a donc aucune chance que les chefs des îles obéissent. En plus de cela, il y a aussi la situation des bateaux qui entrent dans les eaux du Royaume. Ils semblent venir avec des escortes militaires. » J’avais pris une grande respiration et puis, en posant mon menton sur ma paume, j’avais déclaré à Shabon ma conclusion. « Si je considère tout cela, il doit y avoir quelque chose qui se passe dans l’archipel qui fait que les gens ordinaires ne peuvent pas sortir leurs bateaux… Ou est-ce que je me trompe ? »

Shabon inclina profondément la tête. « Votre perspicacité est très impressionnante. C’est exactement comme vous le dites, Sire Souma. »

Elle avait l’air impressionnée. Perspicacité, hein ? Elle me félicitait pour cela, mais ce n’était pas vrai. J’avais agi comme si je l’avais déduit de ce qu’elle avait dit, mais je connaissais déjà la situation. Cependant, si je lui disais cela, il était possible qu’ils recherchent la source de mes informations, et cela risquait d’affecter mes projets, alors j’avais agi comme si je venais de comprendre. J’avais également déjà prévenu les autres personnes de notre côté.

En prenant soin de ne pas laisser ces pensées se refléter sur mon visage, j’avais dit. « Madame Shabon, n’est-il pas temps que vous me le disiez, ce que vous me demandez vraiment de faire ? »

« … Très bien. » Shabon leva son visage et elle me regarda droit dans les yeux. « Il y a bien quelque chose que nous ne vous avons pas encore dit, Sire Souma, mais nous ne voulions pas le cacher. Je voulais vous le dire que si vous m’acceptiez… Mais avant d’en parler, j’avais besoin de savoir dans quelle mesure ce pays était prêt à entrer en guerre contre l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Si vous changiez vos plans en fonction de ce que je vais vous dire… tout serait vain. »

« … Je vous écoute. »

Je connaissais plus ou moins la situation de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Donc, je savais que ce qu’elle disait était exact.

« Merci, » Shabon s’était inclinée, puis elle avait prononcé un nom dans le silence de la salle. « Ooyamizuchi. »

À ce moment, il y avait une hostilité évidente dans les yeux de Shabon.

« Bien que ce soit simplement le nom que nous lui avons donné, c’est la cause des troubles de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. »

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Partie 2

Tout commença avant que le trône ne soit confié à Sire Souma. Les premiers changements étaient apparus dans la mer.

Un jour, le nombre de grandes créatures marines dans les eaux autour de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes baissa. Tout, des dociles dragons de mer, appréciés pour leur utilité dans la traction des navires de guerre, aux grands carnivores comme les mégalodons (requins supermassifs) et les calmars géants qui étaient les ennemis des pêcheurs en mer, avait progressivement disparu. Il est fréquent, lorsqu’un prédateur connaît une croissance massive de sa population, que ses proies déclinent rapidement. Cependant, dans le cas de ce phénomène, aucune croissance n’avait été constatée chez aucun type d’animal.

Non, tout ce qui s’est passé, c’est que le nombre de grandes créatures marines avait énormément diminué. Il n’y avait aucun signe d’autres causes concevables comme une marée rouge ou une éruption volcanique sous-marine, donc les raisons de cette diminution étaient un mystère complet. Puis, après moins de six mois, les grandes créatures marines avaient également disparu de la haute mer. Cependant, à ce moment-là, les habitants de l’île avaient encore une vision optimiste de la situation, car nous pouvions encore pêcher.

Quiconque a pêché assez longtemps dans sa vie sait qu’il y a des moments où les prises sont bonnes et d’autres où elles sont mauvaises. Mais peu importe que les prises soient mauvaises, s’ils attendaient un peu, le poisson reviendrait toujours. Les grandes créatures marines ne disparaîtraient que temporairement… du moins le pensaient-ils. En fait, certains pêcheurs s’étaient félicités de cette évolution, car il était plus sûr de pêcher sans les dangereux carnivores qui se trouvaient dans la mer… Ils ignoraient que la menace qui avait frappé les grandes créatures marines finirait par s’abattre sur eux aussi.

… Le changement suivant était apparu chez les poissons.

Ils avaient cessé de pouvoir attraper les gros poissons. Les pêcheurs étaient perplexes de constater que lorsqu’ils rentraient leurs filets, ils n’attrapaient que des petits alevins. C’est à ce moment-là que les incidents de disparition de pêcheurs en pleine mer commencèrent. Au début, ils pensèrent que c’était un accident, ou qu’ils avaient été capturés après être entrés dans le « territoire » d’une autre île. Mais au lendemain d’une tempête, les restes d’un bateau furent rejetés sur le rivage et à ce moment-là, ils finirent par perdre tout optimisme.

Il s’agissait d’un grand navire marchand, mais il avait été brisé en deux. Des signes indiquaient que cela n’était pas le résultat d’un accident ou d’une bataille. Le navire ne semblait pas avoir subi de dommages dus à une collision ou avoir été bombardé, mais il avait été écrasé avec une force incroyable. Dès qu’ils virent des dégâts qui n’auraient pas pu être causés par l’homme, les habitants de l’île commencèrent à sentir l’existence de quelque chose en mer. Dès lors, les navires envoyés par les archipels n’attrapaient que de petits alevins, et parmi eux, certains disparaissaient, de sorte que les pêcheurs ne pouvaient plus aller en mer.

C’est pourquoi j’ai parlé séparément des mauvaises prises et de l’impossibilité de sortir les bateaux. Puis, après la perte de plus d’une douzaine de bateaux, un seul survivant est apparu. Il s’agissait d’un voleur qui s’était introduit clandestinement à bord d’un navire de commerce, se cachant dans un grand tonneau pour en voler la cargaison. Lorsque le navire coula, l’homme entendit les cris de l’équipage depuis l’intérieur du tonneau, et les bruits du navire en train d’être détruit.

Finalement, réalisant que son tonneau avait atterri dans l’eau, il ouvrit le couvercle pour voir… quelque chose de la taille d’une île dévorant l’équipage.

 

 ◇ ◇

« C’est la première fois qu’une personne de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes rencontra Ooyamizuchi, » conclut Shabon, baissant tristement les yeux. « Il y a eu d’autres observations depuis lors. Le nom “Ooyamizuchi” vient d’une ancienne légende transmise dans les îles. On me dit qu’il signifie “grand dieu des ténèbres”, ou peut-être “le serpent à huit grandes têtes”… »

Ok... Alors, c’est soit Oo-yami-zuchi (grand dieu des ténèbres) soit Oo-ya-mizuchi (grand serpent d’eau), hein ?

J’avais mis la main sur le menton et j’avais demandé à Shabon. « Vous avez dit un serpent à huit têtes, mais est-ce que cette Ooyamizuchi a vraiment cette forme ? »

« Certains rapports le disent. Mais dans la plupart des cas, ils n’ont vu qu’une silhouette dans le brouillard. Elle est beaucoup trop grande pour que l’on puisse en comprendre la forme de près, de sorte qu’aucun rapport n’a eu une compréhension totale et claire de sa forme complète. Certains disent qu’elle est “comme un dragon de mer à long cou”, tandis que d’autres disent qu’elle est “comme un serpent à plusieurs têtes et à long cou”. La seule chose dont nous soyons sûrs, c’est qu’elle est “assez massive pour être confondue avec une île”. »

« Une créature de la taille d’une île… hein ? »

Dans mon ancien monde, on aurait appelé quelque chose comme ça un kaiju. Ce que disait Shabon correspondait aux informations que nous avions déjà recueillies. Nous savions qu’il y avait quelque chose de grand et d’inconnu dans l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, mais nous ne pouvions que spéculer sur sa forme. J’avais demandé à Ichiha, notre spécialiste des monstres, de faire un certain nombre de croquis à partir des rumeurs et d’y appliquer son système d’identification des monstres, mais…

« Vous suggérez que la disparition des poissons et des grandes créatures marines est aussi la faute de cette Ooyamizuchi ? » Je l’avais demandé ainsi, et elle avait hoché la tête.

« Oui. Il a le pouvoir de casser les navires en deux. Pour Ooyamizuchi, les grandes créatures marines devaient être un moyen de lui ouvrir l’appétit. Soit elle en a consommé la plupart, soit elles ont fui son territoire. Nous pensons que c’est la raison pour laquelle nous avons cessé de voir de grandes créatures marines dans l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. »

« C’est logique… Donc, une fois les grandes créatures marines disparues, ça s’est propagé au poisson, et même aux pêcheurs, hein ? »

D’après ce que j’avais entendu, elle était beaucoup plus grande que Naden ou Ruby sous leurs formes de dragon. Elle était peut-être même aussi grande que Lady Tiamat de la Chaîne de Montagnes de l’Étoile du Dragon. Si c’est le cas, je pourrais voir comment elle pourrait manger toutes les grandes créatures marines jusqu’à l’extinction.

Puis un regard triste était venu sur le visage de Shabon. « Avec un tel être en mer, les gens ne peuvent pas sortir leurs bateaux et ne peuvent pas pêcher. C’est douloureux pour notre pays… Probablement plus que vous ne l’imaginez dans le Royaume. »

« Voulez-vous dire que le fait de ne pas pouvoir pêcher provoque une crise alimentaire ? » demanda Liscia, mais Shabon secoua la tête.

« Non. Bien que nous n’ayons pas de nourriture en abondance, personne ne meurt de faim pour l’instant. Nous cultivons des céréales et des légumes sur la terre ferme, et nous avons aussi des poulets et leurs œufs. Nous pouvons aussi pêcher de petits poissons et des coquillages dans les récifs côtiers, » répondit Shabon.

« Hein ? Alors qu’est-ce qui vous fait si mal ? » demanda Liscia.

« Nos cœurs. » Shabon plaça ses deux mains sur sa poitrine. « Les habitants de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes sont bénis par la générosité de la mer, jouent dans les eaux, et on dit que notre âme y retourne quand nous mourons. C’est dire à quel point notre lien avec l’océan est étroit. Pour la plupart d’entre nous, quand nous nous réveillons le matin, la première chose que nous voyons quand nous sortons, c’est la mer. Dès leur plus jeune âge, les enfants jouent dans l’eau près de leur maison et apprennent à s’y baigner. Une fois qu’ils sont un peu plus âgés, ils sortent avec de petits bateaux pour aller jouer sur d’autres îles. De nombreuses îles de l’archipel sont proches les unes des autres, et la mer qui les sépare ressemble davantage à une rivière. »

Les scènes descriptives de Shabon sur sa terre natale avec la mer et les îles paisibles me faisaient certainement repenser à une chanson. Elle s’appelait La fiancée de la mer intérieure de Seto, que ma grand-mère avait l’habitude de fredonner.

« Les insulaires sortent leurs bateaux lors d’occasions joyeuses comme les mariages, et lors de moments tristes comme les funérailles. Le bateau qui transporte la mariée est somptueusement décoré et fait le tour de l’île où se trouve le sanctuaire entre le matin et midi. À l’inverse, les bateaux qui transportent les morts transportent des feux et font le tour de l’île dans l’autre sens, et la nuit. Nous partageons la vie et la mort avec nos bateaux. C’est la manière de vivre dans l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. »

« Hmm… »

C’était intéressant d’entendre parler d’autres cultures comme celle-ci. Je n’en avais pas trouvé une seule, mais il y avait probablement une culture dans le monde d’où je venais qui devait faire quelque chose de similaire.

Puis Shabon baissa les yeux de tristesse.

« Malgré cela… À cause d’Ooyamizuchi, il est difficile de sortir les bateaux et nous ne pouvons pas pêcher. Quand nous sortons en mer, nous devons amener une escorte militaire ou simplement prier pour ne pas être attaqués. La mer nous a été volée. Pour les habitants de l’île, cette situation est comme… »

« … Comme s’ils ne pouvaient pas respirer ? » avais-je proposé, mais Shabon avait secoué la tête.

« Non, je ne peux pas dire que c’est si grave. Cependant, si je devais faire une analogie… peut-être que c’est comme quand la pluie continue pendant des jours, et que vous ne pouvez plus voir le soleil. Vous regardez le ciel et vous abaissez les épaules en disant : “Oh, je suppose que je ne verrai pas non plus le soleil aujourd’hui”… Cela continue depuis des années maintenant. »

« Oui, je peux imaginer à quel point cela serait… exaspérant. »

C’était peut-être mieux que pas du tout de pluie, et trop de soleil pouvait aussi être gênant, mais ne jamais pouvoir voir le soleil à travers les nuages serait déprimant. Je pourrais en quelque sorte comprendre… Je n’aurais pas pensé qu’être incapable de sortir en mer soit si important pour ceux de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes.

« Est-ce pour cela que votre peuple fait tout ce chemin pour pêcher ? » demandai-je.

Je n’avais pas compris pourquoi les insulaires traversaient les eaux dangereuses pleines de grandes créatures marines pour pêcher près du Royaume, mais maintenant qu’elle m’avait parlé de l’importance de sortir les bateaux et de la pêche dans leur culture, je l’avais compris. Il n’y avait pas encore eu de rapport de quelqu’un du Royaume qui aurait rencontré cette Ooyamizuchi. Lorsque j’avais parlé à Maria, je n’avais pas non plus eu l’impression que l’Empire avait reçu ce genre de rapports. Cela devait signifier que le territoire d’Ooyamizuchi se trouvait dans l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, et qu’elle ne le quittait pas. C’est pourquoi les habitants de l’île étaient venus pêcher dans des eaux plus sûres près du Royaume.

Dans les eaux plus éloignées, il n’y avait pas Ooyamizuchi qui pourrait les attaquer, mais il pouvait y avoir de grandes créatures marines. Il y avait aussi la possibilité d’être arrêté par la Force de défense navale nationale pour avoir pêché illégalement dans nos eaux. Ils étaient venus malgré ces risques. Cela démontrait l’importance de la pêche pour eux.

« Et vous dites que c’est pour ça que le Roi Dragon à neuf têtes a fourni des navires armés pour leur protection ? »

« Oui, je crois que c’est le cas. »

« Je vois… »

Quant au roi-dragon à neuf têtes, l’intervention de ses navires signifiait vraiment qu’il était même prêt à les faire pêcher illégalement ?

« Eh bien, je ne peux toujours pas approuver la situation actuelle… Donc, quand vous avez dit que vous vouliez que je vous utilise comme mon outil avant, était-ce supposé être pour vous opposer à Ooyamizuchi ? »

« Oui, » déclara Shabon d’un signe de tête. « Si le Royaume veut faire passer l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes sous sa domination, Ooyamizuchi sera inévitablement un problème pour vous. Un problème que vous devrez, je pense, régler dans un avenir pas si lointain, Sire Souma… Même maintenant, mon Père refuse obstinément d’abandonner sa position hostile à l’égard du Royaume. Si la guerre est inévitable, j’espère au moins travailler avec vous pour y mettre fin rapidement, mettre le peuple à l’aise, et ensuite utiliser le pouvoir du Royaume pour tuer Ooyamizuchi… »

« N’est-ce pas un peu commode pour vous ? N’avez-vous jamais pensé que je pourrais vous utiliser pour dominer l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, et ensuite laisser tranquille Ooyamizuchi ? »

« J’avais déjà entendu dire que vous preniez bien soin de Lady Roroa et du peuple d’Amidonia, alors j’ai cru que vous ne tyranniseriez pas un territoire occupé en agissant ainsi », répondit-elle.

« … Dois-je être heureux que vous ayez une si haute opinion de moi ? »

« Même si je ne pouvais pas en être certaine, il était également vrai que c’était le seul moyen de faire intervenir les militaires du Royaume… »

« Vous semblez avoir de très grandes attentes à l’égard de Souma et de la flotte du Royaume, Madame Shabon. » Cette fois, c’était au tour de Liscia de poser une question. « Ne pourriez-vous pas vous en occuper avec les seuls militaires de l’archipel ? On m’a fait croire que l’Union de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes est censée être une puissance navale importante. »

« Si nous pouvions mettre toutes nos forces face à elle… peut-être. Cependant, même maintenant, à cette date tardive, l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes est toujours incapable de se rassembler, » Shabon plaça ses mains devant sa poitrine en faisant sa demande. « Les îles sont farouchement indépendantes. Les problèmes de leur île sont les leurs, les problèmes des autres îles ne le sont pas, et elles répugnent à intervenir. Ooyamizuchi est une menace incroyable, mais ce n’est pas un envahisseur qui menace l’indépendance des îles. C’est pourquoi même le Roi Dragon à neuf têtes n’a pas pu réunir toutes les îles. »

C’est pourquoi Shabon avait renoncé à sa capacité de résoudre le problème, et était prête à s’offrir à moi, ainsi que son pays, en échange de la mise à mort d’Ooyamizuchi par les militaires du Royaume, pour que, au minimum, le peuple de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes soit préservé. C’était une approche pessimiste, et il émanait d’elle un sentiment de malheur, mais elle avait eu un certain degré de détermination lorsqu’elle avait traversé les mers pour venir ici.

Alors que je me grattais maladroitement la tête, je m’étais adressé à elle. « Madame Shabon. »

« Oui. »

« Je peux vous dire dès maintenant que la décision que vous prenez vous amènera à des regrets plus tard. »

« … Je suis venue préparée à cela, » déclara Shabon en s’inclinant profondément.

Elle est vraiment gênante. J’avais jeté un coup d’œil à Liscia et Hakuya. Ils avaient tous les deux fait un signe de tête. Cela devait signifier qu’ils me laissaient la décision.

« Je comprends. Si vous insistez à ce point, alors je coopérerai avec vous. »

« Merci beaucoup ! »

« Mais je ne vous utiliserai qu’à des fins politiques, pas en tant qu’épouse ou concubine. »

« C’est… ! » Shabon avait l’air déconcertée.

Elle devait maintenant savoir à quel point mon attachement à ma famille était fort, c’est pourquoi elle voulait entrer dans la structure familiale, et même si ce n’était qu’en tant que concubine. Elle était prête à le faire même si cela signifiait donner son corps à un homme qu’elle n’aimait pas. Elle pensait que cela garantirait la protection des insulaires de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Mais je ne le permettrais pas.

J’avais levé la main, empêchant Shabon d’en dire plus. « Je vous promets qu’en fin de compte, je me battrai contre Ooyamizuchi. Cependant, jusque-là, vous devrez obéir à tous nos ordres. Cela vous convient-il ? »

« … Compris. » Shabon baissa la tête. J’avais hoché la tête, puis j’avais regardé Kishun.

« Alors, Kishun, c’est ça ? Puisque vous avez accompagné Madame Shabon, puis-je supposer que vous êtes d’accord pour que je vous utilise également vous et votre île ? »

Quand j’avais demandé cela, Kishun s’était agenouillé et avait rassemblé ses mains devant lui, au-dessus de sa tête. « J’ai toujours été prêt à donner ma vie pour Lady Shabon. Si elle dit qu’elle vous servira, alors ma vie et ma terre sont comme vous le souhaitez à votre disposition. »

Il s’y était préparé avant ça, hein ? C’est ainsi que j’avais gagné la princesse d’un territoire ennemi, et deux dirigeants, deux pièces qui allaient être un peu gênantes à utiliser.

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Un commentaire :

  1. Merci pour le chapitre !

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