Saikyou Mahoushi no Inton Keikaku LN – Tome 7

Table des matières

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Chapitre 37 : Un silence de mauvais augure

Partie 1

Une calamité se déroulait secrètement au même moment que le Tournoi Amical de Magie des Sept Nations.

C’était un mamono connu sous le nom de Dévoreur qui absorbait le mana à une vitesse effrayante. Son existence représentait un danger sans précédent qui influençait la survie de l’humanité.

Pour faire face à cette situation, une force d’élite d’Alpha avait été envoyée dans le monde extérieur au-delà des frontières de Balmes.

Malgré leur riche expérience, le Monde Extérieur familier s’était transformé en un champ de bataille imprévisible. Et ils avaient fait leur chemin dans la zone dangereuse où un ennemi terrifiant les attendait.

Et maintenant… Alus, Lettie et l’équipe regardaient un océan rouge de flammes transformer en cendres ce qui était autrefois une forêt verte.

Le sort perfectionné dépassait les connaissances humaines, et surpassait toutes les lois de la physique. De plus, c’était deux Singles, l’élite des élites — ceux qui se tenaient au sommet de centaines de milliers de magiciens — qui avaient lancé le sort. Sa puissance et son ampleur étaient à l’apogée de la magie.

Détonation — le sort d’annihilation généralisée — était si puissant que son utilisation était soumise à des restrictions.

En dehors de la magie courante utilisée dans la vie de tous les jours, les sorts utilisés par les magiciens étaient classés comme novices, intermédiaires, avancés et experts. Mais il existait aussi des exceptions classées comme sorts ultimes. Ceux-ci présentaient un degré de perfection qui nécessitait l’intégration de toutes sortes de facteurs. Ils étaient à la limite de ce que les humains pouvaient utiliser et le plus proche de ce que les Mamonos utilisaient.

Lorsqu’il s’agissait uniquement du pouvoir destructeur, la Détonation était au niveau de la magie ultime, laissant les autres sorts derrière elle. Alors qu’elle transformait son environnement en cendres, elle continuait à tout engloutir dans ses flammes.

En un clin d’œil, le feu s’était propagé plus loin et avait dévoré tout ce qui était à sa portée.

Les flammes étaient sans pitié et sans distinction. L’air était si chaud qu’il atteignait même Alus et les autres, et leur chauffait le visage.

Un des membres de l’équipe avait fait preuve de considération en lançant une barrière pour bloquer la chaleur. La membrane magique ressemblant à du verre dépoli avait une teinte rouge, alors que les flammes ondulaient derrière elle.

Le double lancer de Détonation par Alus et Lettie avait également créé une puissante onde de choc. L’onde de choc avait secoué les arbres et avait fait voler les feuilles. Bien sûr, les arbres ne pouvaient pas non plus survivre à ce genre d’explosion. Vus d’en haut, les arbres tombaient sûrement les uns sur les autres tels des dominos.

Le vent avait soufflé, apportant une odeur de verdure ainsi que de brûlé.

Lettie regarda le feu sans fin avec satisfaction. Mais Alus s’était renfrogné et avait marmonné : « Comme prévu, je me retrouve derrière quelqu’un qui est spécialisé dans ce domaine. »

Lettie avait une affinité pour l’attribut feu et était spécialisée dans la magie explosive. Son talent et ses capacités excellaient donc dans ce type de sort. Pour cette raison, même si Alus avait un rang supérieur au sien, il n’allait pas la battre dans son propre domaine. Même s’ils avaient utilisé le même sort, les sens aiguisés d’Alus avaient détecté que ses capacités étaient légèrement supérieures aux siennes.

Mais Lettie s’était retournée et lui avait offert un sourire en coin. « Si cela n’avait pas été le cas, alors ma fierté aurait été en lambeaux. Ils étaient pratiquement au même niveau. À quel point as-tu l’intention de devenir fort ? »

« Comme si tu pouvais dire ça. Grâce à toi, nous avons un terrain vague devant nous. » Peut-être devrait-il prendre les mots de Lettie comme des éloges. Dans ce domaine, il serait difficile de la surpasser.

Après cette brève démonstration de puissance de feu écrasante, Alus avait pris la parole pour mettre fin à l’ambiance légère. « Eh bien, peu importe. Plus important encore… Prochain mouvement ! »

Les sorts avaient été tirés sur des personnes suspectes supposées être des magiciens. Et comme prévu, cela n’avait pas été suffisant pour les tuer.

Alus avait utilisé son sixième sens pour confirmer qu’un film défensif avait été créé autour de leur cible. Ce film était en fait une sorte de sphère massive, et dans de meilleures conditions, il aurait probablement pu être vu d’où ils étaient.

Elle n’était vraiment destinée qu’à les tenir en échec, mais on dirait qu’ils n’ont pas eu beaucoup de mal à la bloquer. Sans laisser paraître son étonnement, il ordonna le début du second assaut.

« J’attendais ces mots, capitaine ! » déclara Sajik avec vigueur.

« Nous sommes prêts de notre côté, » ajouta Mujir.

À côté de Sajik se trouvait une bête foudroyante qui le surpassait facilement en taille. À une certaine distance, Mujir avait un serpent venimeux connu sous le nom d’Hydre flottant dans l’air près de lui.

À première vue, ils ressemblaient à des Mamonos, mais ils étaient en fait des créatures invoquées rendues manifestes par le mana de Sajik et Mujir.

Au signal d’Alus — les deux magiciens avaient tendu leurs mains.

Ayant reçu ses ordres, la bête foudroyante sauta habilement par-dessus un bosquet d’arbres et se transforma en électricité pour se rapprocher de sa cible en un clin d’œil.

Pendant ce temps, le serpent se frayait un chemin à travers les arbres.

Les deux invocations se déplaçaient à grande vitesse, ne montrant aucun signe d’être arrêtés par les obstacles sur leur chemin. Les deux magiciens pouvaient utiliser une magie d’invocation avancée, et la bête à foudre et le serpent étaient des créatures invoquées exceptionnellement puissantes.

Alus avait su qu’ils étaient des élites, mais il était honnêtement surpris que Sajik et Mujir puissent les contrôler tout en donnant des ordres aux autres membres. « Un de plus pour faire bonne mesure… Feu ! »

L’instant d’après, les autres membres de l’escouade avaient lancé des sorts dans le ciel. Aucun d’entre eux n’était trop puissant de peur qu’ils ne s’annulent mutuellement, mais l’idée était d’écraser l’ennemi par le simple nombre. Et la magie s’était abattue sur la cible avec une précision parfaite.

Cependant, un fort rugissement fit alors trembler l’air même. Malgré la distance qui les en séparait, il atteignit Alus et les autres, faisant trembler l’atmosphère autour d’eux.

« Que s’est-il passé ? » demanda Lettie.

« La magie a été annulée…, » dit Alus. Il parcourut ses souvenirs à la recherche de sorts possibles. Un sort capable d’annuler les sorts et de créer une onde de choc qui secoue l’air avait permis de réduire considérablement les possibilités.

Il sentit un mal de tête lui venir, alors qu’il réalisait le nom du sort qui correspondait aux critères. C’est donc Kurama après tout. Ils sont plus chiants que je ne le pensais. Quand je pense qu’ils peuvent même utiliser des tabous… non, des sorts interdits d’utilisation normale.

Le sort dont Alus s’était souvenu était à peine utilisé, mais il était légèrement différent d’un tabou. Il était très puissant, mais il annulait même les sorts de ses alliés. Pour cette raison, il était considéré comme inutile dans les batailles de groupe et son nom avait été rayé de l’encyclopédie des sorts.

En réalité, même Alus n’avait vu que son nom auparavant. Dans le passé, il avait reçu la permission de consulter la base de données complète de tous les sorts répertoriés dans l’encyclopédie des sorts, et ce nom n’était resté que faiblement dans sa mémoire.

Cependant, les membres de l’équipe échangeaient tous des regards étonnés. Et qui pourrait les blâmer ? Alus mis à part, ils n’avaient probablement aucune idée de ce qui s’était passé.

Lettie, représentant le groupe, lui demanda : « Qu’est-ce que c’est ? Je ne sais pas comment l’ennemi a pu repousser cette pluie de sortilèges. »

« Je suppose qu’on pourrait appeler ça un sort qui détruit les sorts… en tout cas, c’est un sort adapté à un criminel. »

Tout le monde à part Lettie n’était pas sûr d’avoir compris ou non, mais Alus pensait qu’il l’avait suffisamment expliqué.

Maintenant… que faire ensuite ? Cet adversaire avait survécu à la Détonation et annulé une pluie de sorts. Il devait y avoir quelqu’un de fort de Kurama, parmi eux. S’ils se battaient avec eux maintenant, ils gaspilleraient du mana, ce qui les conduirait à devoir abandonner leur élimination du Dévoreur.

« Alors l’ennemi est vraiment Kurama. S’ils peuvent bloquer la Détonation, je suppose que ce n’est pas un mensonge qu’ils puissent rivaliser avec les Singles. Mais… nous n’avons pas beaucoup d’occasions de combattre quelqu’un de notre niveau, » déclara Lettie avec un sourire sans peur.

Elle est elle-même accro aux combats. Alus soupira et la regarda froidement. Il ne pensait pas qu’elle ferait quelque chose de stupide, mais il décida quand même de reconfirmer leur objectif avec elle. « Juste pour que tu saches, nous ne les combattons pas maintenant. S’ils viennent nous rendre la pareille, c’est une chose, mais le Dévoreur est notre priorité absolue. Sinon, nous allons avoir un tas de corps. »

« Oui, non, je comprends. » Lettie feignit de rire, comme pour dire que c’était une blague, mais Alus vit la curiosité et la combativité dans ses yeux. C’était comme si son cœur brûlait de l’envie de combattre un ennemi puissant.

« Si tu veux les combattre, vas faire une demande auprès du gouverneur général. Mais il dira probablement non, » ajouta Alus. Aucune personne saine d’esprit n’enverrait un Single faire d’autres missions dans une situation comme celle-ci, du moins pas tant qu’il s’agissait d’une opération conjointe entre nations, ce qui est le cas ici.

Au milieu de leur conversation, Alus avait soudainement senti une pression sur son corps. Ce n’était pas quelque chose d’aussi vague qu’une intuition. C’était quelque chose qui approchait clairement de loin — et rapidement.

« — ! » Un peu après lui, Lettie avait aussi remarqué la grande masse de mana qui volait dans leur direction.

Les membres de l’équipe faisaient aussi du grabuge. Au-delà des arbres, une présence écrasante de mana se dirigeait vers eux. Vu l’ampleur, c’était de toute évidence une contre-attaque de Kurama.

Je suppose que je pourrais recharger le mana que j’ai dépensé pour la Détonation. Contrairement aux membres de l’équipe, qui se préparaient, Alus s’était avancé et avait tendu la main. « Je vais m’en occuper », dit-il en rengainant son AWR, car il n’en aura pas besoin.

En voyant Alus ranger son AWR, tout le monde l’avait regardé avec suspicion. Mais ils lui avaient quand même accordé leur confiance.

Lettie avait fait un pas en arrière pour lui donner de l’espace, et surveiller les choses.

Vu la classe du Mamono, je vais devoir finir par l’utiliser, et ils le découvriront probablement à ce moment-là de toute façon.

La capacité spéciale d’Alus était un mana qui mangeait du mana. C’était considéré comme une information confidentielle, mais tout le monde ici était un soldat d’Alpha.

De plus, c’était inévitable dans cette situation. Alus avait donc décidé de l’utiliser ici, puisque ce n’était de toute façon qu’une question de temps avant qu’ils ne le découvrent tous. Bien sûr, il ne montrerait que le résultat de l’absorption, il n’expliquerait pas comment cela fonctionnait. En plus de cela, il avait l’intention de récupérer le mana qu’il avait dépensé auparavant.

Bien que sa capacité spéciale soit puissante et utile, elle avait un inconvénient compliqué. Puisque le mana avait une volonté propre, lui permettre d’en absorber trop l’obligerait à se concentrer davantage pour éviter qu’il ne devienne incontrôlable. Mais s’il ne l’utilisait que pour absorber la quantité de mana qu’il avait utilisé auparavant, cela ne devrait pas être un problème.

Alus tendit la main, alors qu’une énorme lame de vent s’approchait. La lame de vent coupait les arbres et les branches avec facilité, mais dès qu’elle touchait la main d’Alus, elle fut aspirée. Sa puissance avait disparu, et tout ce qui restait était un vent doux qui caressa le bout de ses doigts.

 

 

Avec un regard satisfait, Alus se concentra sur le mana qu’il avait absorbé. Tu parles de mettre une quantité stupide de mana dans cette attaque. Mais grâce à ça, j’ai eu plus que ce que j’attendais, pensa-t-il sarcastiquement pour lui-même, alors que la quantité de mana mise dans l’attaque dépassait ce qu’il avait pensé venir.

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Partie 2

En conséquence, le bras d’Alus n’avait pas été capable de résister complètement à la force du mana, et avait été repoussé un peu en arrière. Cependant, il avait continué à absorber le mana en retirant sa main, tuant finalement l’élan.

« — ! ! C-C’était quoi ça !? »

Voyant Lettie réagir comme il s’y attendait, Alus soupira comme si rien ne s’était passé. « C’est un secret… mais j’ai pu recharger mon mana avec ça. »

« Est-ce un sort qui peut absorber le mana !? »

Absorber, oui, mais c’était fondamentalement différent de ce que Lettie pensait — parce que cette capacité dévorait le mana par sa propre avarice.

Bien sûr, Alus n’allait pas révéler les principes qui se cachaient derrière, il avait donc accueilli le malentendu de Lettie et de l’escouade.

Avec cela en tête, il avait confirmé ce que l’ennemi faisait une fois de plus. Lui et les autres étaient ici pour éliminer le Dévoreur. Et avec cela, leur adversaire devrait également avoir une idée de ses capacités et de celles des autres.

Leur but premier n’était pas de se mesurer à Kurama. Et si possible, Alus voulait éviter tout autre combat.

« Eh bien, on dirait que c’est réglé. » Peut-être que l’ennemi avait décidé la même chose que lui, car leur présence avait soudainement disparu de la zone. En termes de distance, ils étaient à peine hors de vue d’Alus. Plus loin que ça, c’était le domaine des observateurs, mais utiliser des moyens magiques pour les détecter lui ferait également voir des choses inutiles.

Il avait perdu tout intérêt pour eux et s’était dirigé calmement vers Rinne, qui était accroupie sur le sol. Il y avait de la tension dans son expression et des perles de sueur sur son front. En voyant que ses yeux étaient toujours fermés, Alus avait conclu qu’elle n’avait probablement pas encore retrouvé sa pleine vue.

Se rapprochant d’elle, Alus se pencha et lui murmura : « S’il vous plaît, gardez le secret sur ce que vous venez de ressentir. Je ne suis pas un grand fan de la brutalité. » Il avait mis son doigt devant sa bouche.

Elle n’avait pas pu voir son geste, mais comme on l’appelait l’Œil d’Alpha, elle avait tout de même dû le capter.

En fait, il était très probable que Rinne ait appris plus de détails sur la capacité spéciale d’Alus que les autres. Ce n’était qu’un instant, mais elle était spécialisée dans la détection du mouvement du mana. Il serait difficile pour des Singles comme Lettie de le détecter, mais Rinne était une autre histoire.

Il n’y aurait pas de malentendu comme avec Lettie, et Rinne avait probablement déjà compris que la capacité d’Alus différait de la simple absorption. Ce qui menait directement au secret d’Alus.

« Je comprends. »

Alus adressa un petit sourire à Rinne qui acquiesçait, puis tourna son regard ailleurs. « Nous avons perdu un peu de temps à cause de cet incident inattendu, mais revenons à notre élimination en tant que… ».

Avant qu’il ait pu finir de dire ce qu’il avait à dire, quelque chose l’avait surpris par-derrière à grande vitesse.

Il avait fait quelques pas en avant, réussissant à rester droit. Il pouvait également sentir quelque chose de doux sur son dos. Alus pouvait clairement sentir deux monticules changer de forme alors qu’ils étaient poussés contre lui. Alors que son esprit commençait à imaginer ce qu’ils étaient, il décida d’arrêter de penser pour le moment.

« Haha ! C’est bien mon Allie ! Il n’y a personne qui pourrait te prendre le rang de numéro 1 ! »

« Hé !

« Tu es si fort, et tu as encore des tours dans ta manche. Je savais que j’avais raison à ton sujet. » Lettie avait les bras enroulés autour de son cou, ses yeux humides fixés sur lui. Alus se demandait pourquoi elle était si heureuse. « Peut-être que ta grande sœur va vraiment essayer de te faire des avances ! »

« Laisse ça pour plus tard ! Nous sommes toujours en mission. »

« Tu es si têtu… Être si raide ne fera que jouer contre toi. Ma devise est d’être heureuse quand quelque chose de bien arrive, que ce soit en mission ou pas. »

« Je n’ai jamais entendu quelque chose comme ça…, » Alus s’était tourné vers l’équipe pour demander de l’aide, mais ils ont simplement secoué la tête sans avoir l’intention d’intervenir.

Dans tous les cas… « S’il vous plaît, laissez-la ainsi, Sire Alus, » dit Mujir avec un sourire en coin. « Notre capitaine est sur les nerfs depuis la campagne de Vanalis. »

« Oui, parfois j’ai sérieusement pensé qu’elle pleurerait pour vous à chaque fois qu’il se passerait quelque chose, » ajouta Sajik en se caressant le menton avec un sourire.

Les autres membres de l’équipe avaient acquiescé. Alors qu’ils le faisaient, Lettie, qui avait frotté sa joue contre l’arrière de la tête d’Alus, avait soudainement tressailli et s’était arrêtée.

L’instant d’après, Lettie regardait autour d’elle d’un air résolu. « Allez-vous mettre ça sur le tapis maintenant !? Quand nous rentrerons à Vanalis, vous irez directement en première ligne ! » dit-elle en fixant les deux hommes qui en avaient un peu trop dit. Son expression pleine de colère avait suffisamment d’intensité pour faire croire qu’elle laissait son mana s’écouler librement.

Face à cette pression, les deux hommes n’avaient pas pu s’excuser en disant qu’ils ne faisaient que plaisanter. Mujir s’était même timidement montré du doigt et avait demandé : « Hein ? Parles-tu de moi ? » Il n’avait reçu qu’un hochement de tête froid pour sa peine.

« … Ou avez-vous un problème avec ça ? » demanda Lettie d’un ton glacial, incitant les deux à secouer rapidement la tête et à déglutir en redressant leurs postures.

Les autres membres de l’escouade les regardaient de la même façon, mais c’était juste pour éviter de se laisser entraîner par la rage de Lettie.

« Bien ! On aura Allie pour nous aider cette fois. Pas vrai ? » dit-elle, dans l’espoir de l’entendre approuver, mais Alus s’était tu à la place.

Les membres de l’escouade ne savaient pas s’ils devaient honnêtement s’en réjouir ou non. Avoir de puissants renforts était quelque chose dont ils devaient se réjouir, mais ils ne voulaient pas marcher sur le même genre de mine terrestre que les deux autres.

Lettie regarda ses subordonnés. « J’imagine que continuer comme ça va donner un mauvais exemple aux autres », dit-elle en lâchant Alus avec un sourire.

Alus avait pensé qu’il était bien trop tard pour cela, mais n’avait rien dit.

Une fois qu’elle s’était complètement détachée de lui, Lettie avait retiré la bague de sa main droite et la lui avait lentement tendue.

Il avait montré une expression dubitative pendant un moment sur son action inexplicable.

Lettie, comme si elle n’était pas sûre de sa réaction, avait frotté son annulaire avec une expression solitaire. Elle l’avait ensuite pointé du doigt, comme pour lui demander de le remettre. C’était une action très dramatique, mais il avait plus ou moins compris qu’elle voulait qu’il la remette à son annulaire.

Alus avait tendance à ne pas être très au courant de ce genre de choses, mais il sentait qu’il allait être entraîné dans une situation dont il ne pourrait pas se sortir si facilement s’il acceptait. Les membres de l’équipe environnante les regardaient avec des expressions tendues, comme s’ils étaient là en tant que témoins. Il pouvait également voir une légère couleur rouge sur les joues de Lettie.

Après avoir réfléchi pendant un moment, Alus avait jeté négligemment l’AWR en forme d’anneau de Lettie à cette dernière. Il avait réussi à échapper à une sorte de dilemme, mais il voulait d’abord se concentrer sur la mission. En tant que commandant, il devait se dépêcher de décider de leur plan pour l’avenir.

Et donc il les ramena de force sur le sujet. « Mlle Rinne, comment sont vos yeux ? »

« Ah, oui ! Cela prendra quand même un certain temps. » Elle semblait encore penser à sa capacité spéciale, car elle répondit d’un ton raide.

De toute façon, ils n’avaient pas de temps à perdre. Se diriger directement vers leur destination était probablement la meilleure option. Ils étaient à peu près à mi-chemin, donc dans un moment le gisement de minéraux devrait être visible.

Un peu plus tard…

Il n’était pas encore midi, et le soleil les éclairait à travers les feuilles et les branches des grands arbres, projetant des taches de lumière ici et là sur le sol. À cause des innombrables arbres, la zone était globalement sombre et quelque peu froide. Donc, dans ce sens, c’était une bonne chose qu’ils aient leurs manteaux. Bien qu’il soit encore trop tôt pour l’hiver, il n’y avait aucun signe de Mamonos, et encore moins de créatures, autour d’eux.

Alus n’était pas le seul à sentir que quelque chose clochait dans ce silence anormal. Les membres de l’équipe sentaient aussi quelque chose de sinistre. Ils avaient accompagné Lettie dans de longues missions dans le Monde Extérieur. Qu’il s’agisse de météo capricieuse, de plantes étranges ou d’écosystèmes uniques, ils étaient des élites qui n’allaient pas flancher pour quelque chose de mineur. Mais même eux sentaient le danger dans l’air dans cette atmosphère anormale.

Ils s’étaient tous inconsciemment souvenus d’expériences passées, et avaient réalisé qu’ils étaient sur le point de rencontrer quelque chose. De plus, les expériences passées dont ils se souvenaient étaient toutes de mauvais augure.

Ce silence leur avait rappelé un certain silence qui apparaissait à des moments précis. En d’autres termes, lorsqu’un monstre de grande classe commençait à prendre le contrôle d’une zone et à massacrer les Mamonos les plus faibles.

Les raisons variaient de la cannibalisation à l’évolution, en passant par le stress des Mamonos extérieurs qui empiètent sur leur territoire. La seule chose sûre était que dans cet état, le Mamono de haut rang était tout sauf tolérant. Au contraire, ils devenaient fous et essayaient de tuer tout ce qui bougeait. Et le silence qui couvrait cette zone était très similaire à cela.

Alus, qui prenait la tête, s’était soudainement arrêté, faisant signe de la main à l’escouade derrière lui.

Il y avait une énorme montagne au loin. Il avait sauté sur une branche d’un grand arbre pour jeter un coup d’œil.

Dans la mer de verdure, il y avait un renflement anormalement placé. Le sol étrangement coloré se détachait de la verdure qui l’entourait. Ce renflement était indubitablement le gisement vers lequel ils se dirigeaient.

À première vue, elle ressemblait à une montagne, mais elle ne se fondait pas dans son environnement, donnant une apparence peu naturelle. Si quelqu’un devait la décrire, il pourrait dire que c’est comme si une montagne géante avait été enterrée et que seul le sommet dépassait de la terre.

Alus n’était pas vraiment un expert en gisements minéraux, mais pour lui, cela semblait quand même étrange. Le pic de couleur unique était comme le sommet d’un iceberg, comme s’il y avait beaucoup plus sous la surface.

Cependant, il n’avait pas arrêté l’escouade parce qu’il avait repéré le dépôt. La raison principale était… « Il y a eu une bataille ici. »

« On dirait bien, » dit Lettie. « Mais… »

« Oui, les traces deviennent encore plus extrêmes au fur et à mesure que l’on avance. »

Il y avait une épaisse odeur de sang dans l’air, même maintenant. Vu le temps écoulé, l’odeur du sang aurait dû disparaître depuis longtemps. Mais plus ils avançaient, plus le sol était taché de sang. C’était si sombre qu’on pouvait le confondre avec des ombres.

En tant que magiciens vétérans, ils ne sous-estimaient pas le Monde Extérieur. Mais cette scène était complètement différente de la verdure qu’ils avaient traversée il y a un instant.

Repérant une tache de sang sur une feuille voisine, Alus la frotta avec son doigt. C’était probablement l’œuvre de la magie, et les arbustes fauchés et les arbres sévèrement endommagés en disaient long sur l’intensité de la bataille.

Mais du point de vue d’Alus, les traces de combat semblaient manquer d’intentions claires derrière elles. « C’est n’importe quoi. N’y avait-il pas de chaîne de commandement ? Pour ce que j’en sais, ils auraient pu finir par s’entretuer. »

Ils avaient dû être extrêmement désorientés. Il y avait de multiples traces de magiciens tirant de la magie dans toutes les directions.

« Hein, c’est un peu loin du dépôt, non ? »

Lettie avait raison. D’après les informations dont ils disposaient, la force d’extermination de Balmes avait rencontré le Dévoreur juste à côté du dépôt.

☆☆☆

Partie 3

« Ça ne change rien au fait que ça vient de la force d’extermination. Peut-être qu’ils se sont repliés et regroupés, et ont tenté une contre-attaque d’ici. En tout cas, il y a clairement eu une bataille ici. »

« Donc ils ne pouvaient pas s’enfuir, » dit Lettie. « Mais quand même… l’échelle est plutôt petite. Est-ce là toute la résistance que 400 magiciens ont pu gérer… ? Ce n’est pas possible. Ils ont dû être réduits à un petit nombre avant cela. Je parie qu’il n’en restait plus qu’une vingtaine à ce stade. »

La force de 400 magiciens avait été mise en déroute, et ils n’avaient pu aller que jusqu’ici, tout en étant réduits à moins d’une compagnie. Il ne voulait pas croire que la conjecture de Lettie soit correcte, mais… rien qu’en regardant les traces de cette bataille, Alus pouvait plus ou moins saisir la situation.

Même si les magiciens de Balmes n’étaient pas des élites, ils devaient être relativement puissants. Sans compter qu’ils étaient 400. S’ils avaient choisi de se retirer de cette situation dangereuse, ils auraient dû être au moins plusieurs dizaines à revenir. Et pourtant, un seul avait réussi à revenir…

Quoi qu’il en soit, la vérité était devant nous. « Nous le découvrirons une fois que nous serons plus haut, » dit Alus, mais il était tout sauf optimiste.

« Sire Alus, ma vue a presque entièrement récupéré. Je peux utiliser mes yeux d’un moment à l’autre maintenant », l’appela Rinne, l’informant qu’elle allait bien, alors qu’elle clignait des yeux plusieurs fois.

« Mme Rinne, s’il vous plaît, ne vous forcez pas… c’est ce que j’aimerais dire, mais ça ne marchera pas pour l’instant. Alors, allez-y, s’il vous plaît. »

« Comme vous le souhaitez. Je vais remplir mon rôle d’Observateur ! »

Ils devraient être à la frontière du territoire de leur cible. Donc l’œil de Rinne serait une aubaine. Ou plutôt, sans lui, ils céderaient probablement le dessus à leur ennemi.

Cela dit, ses pouvoirs n’étaient pas encore à leur maximum. Pour preuve, Rinne secoua la tête après avoir échoué à repérer le Dévoreur malgré ses tentatives de détection.

Mais son visage était pâle, comme si elle avait vu quelque chose de dégoûtant. Alus pouvait plus ou moins deviner ce que c’était, et décida de ne pas poser de questions tandis qu’ils avançaient prudemment. Ils allaient bientôt voir par eux-mêmes ce que Rinne avait vu.

C’était une scène difficile à décrire… Y avait-il eu des incidents où autant de personnes avaient perdu la vie ces dernières années ?

« Allie ! … N’est-ce pas encore pire que prévu ? » Lettie fronça les sourcils. Face à ce spectacle, elle ne pouvait s’empêcher de poser cette question.

C’était comme une scène tout droit sortie de l’enfer, complètement séparée du monde vert dans lequel ils venaient de se trouver, avec beaucoup plus de sang qu’auparavant, souillant le sol, teintant tout d’un sinistre rouge foncé.

Le sous-bois et l’écorce des arbres autour d’eux étaient tous colorés en rouge. Mais même là, il n’y avait pas un seul cadavre à trouver. Seules les grandes quantités de sang leur indiquaient les choses horribles qui s’étaient passées ici.

« Nous nous attendions déjà au pire. Cela signifie simplement que nous avions raison, » dit Alus. En effet, les choses s’étaient avérées être le pire scénario qu’il avait prévu.

Pourtant, c’était une scène intense. Et les pas de quelqu’un s’alourdissaient juste en la traversant. Il était également impressionné par le fait que la deuxième force avait continué à partir d’ici.

« Capitaine ! Par ici. »

En regardant dans la direction d’où il avait été appelé, Alus vit Sajik avec une expression imprudente et fière, fixant un certain endroit. Il avait entendu dire que Sajik avait un bon nez, mais c’était une perte de temps de confirmer la vérité.

« Ce sont des éraflures… et elles sont encore fraîches », remarqua Alus. L’écorce de l’arbre que Sajik désignait présentait des éraflures laissées par quatre griffes.

Elle était assez haute pour qu’il doive lever la tête pour la voir. C’était certainement laissé par un très gros Mamono, mais était-ce vraiment celui de leur cible ? … Non, vu la situation, s’il y avait un autre Mamono ici, il devait être de très haut niveau. Après tout, tout mamono faible devrait déjà avoir été détruit par sa cible. Il devait s’agir de quelque chose de plus difficile à tuer, sans compter qu’il avait été question de six Mamonos de classe A, donc ça aurait pu être l’un d’entre eux.

Bien sûr, il y avait aussi la possibilité que ce soit le Dévoreur.

« Il est trop tôt pour le dire. Mais quand même… » En voyant la hauteur des marques, Alus avait pensé qu’il était plus probable que les griffes aient simplement touché l’écorce plutôt que d’être utilisées pour une attaque. « À cette hauteur, ça doit faire au moins cinq mètres. »

Cela rendait crédible l’affirmation de Lettie selon laquelle le Dévoreur pourrait être un ogre après tout. Quoi qu’il en soit, cela ne lui suffisait pas pour classer le mamono, mais connaître sa forme et son type l’aiderait à faire des plans.

Il pensa à féliciter Sajik, mais le voyant pratiquement se vanter devant les autres, il perdit l’envie et lui tourna le dos. Il crut entendre une voix déçue derrière lui, mais ce devait être son imagination.

Eh bien, il pourrait le féliciter une fois que tout serait terminé, de toute façon. Alus ne savait pas comment les récompenses étaient réparties dans l’équipe de Lettie, mais il ne devrait pas y avoir de problème à ajouter quelque chose. De toute façon, ce n’était pas quelque chose à quoi il devait penser maintenant.

Juste après que cette pensée lui ait traversé l’esprit…

« Sire Alus ! »

« Qu’y a-t-il, Mme Rinne ? »

En regardant dans sa direction, il pouvait voir Rinne presser contre un de ses yeux. Il était à moins d’un kilomètre du dépôt, mais la façon dont elle pressait son œil était comme le rétrécissement de la lentille d’un télescope lorsqu’elle utilisait son œil magique. De cette façon, elle pouvait percevoir les scènes lointaines avec une plus grande clarté.

Rinne semblait secouée, mais avait une expression quelque peu soulagée. « Il y a quelqu’un à environ 200 mètres devant nous. Il ou elle semble être différent des ennemis précédents. C’est peut-être un magicien envoyé par Balmes. »

« Je vois… »

« Cela fait deux mois que la force d’extermination est partie. Je ne pense pas qu’ils aient le temps de traîner. Ils sont probablement déjà…, » dit Lettie.

« Le truc, c’est qu’il respire, » observa Rinne.

« — !! Comment a-t-il survécu ? » s’exclama Lettie. « Cet endroit n’est pas sûr non plus si près du dépôt ! »

L’escouade avait commencé à faire du remue-ménage à cette révélation choquante. « Capitaine, nous devrions nous dépêcher d’aller là-bas. S’il respire, on peut encore le sauver. Nous pouvons compter sur les forces derrière nous, » dit un membre.

« Hé ! Calmez-vous ! » Mujir avait fait taire les membres de l’équipe avec un cri, après avoir vu l’expression réfléchie d’Alus.

Le silence s’était installé. Tout le monde retient son souffle en attendant la décision du commandant.

Alus avait réalisé que c’était une situation très anormale. Mais abandonner la personne ici pourrait s’avérer être une gaffe plus tard, et ce n’était pas comme s’il était cruel. S’ils pouvaient le sauver, alors ils devaient le faire.

Cependant, il ressentait un malaise qu’il ne pouvait dissiper. Cela le rendait prudent. C’est beaucoup trop suspect, quelle que soit la façon dont vous le regardez. Il est très possible que ce soit un piège, aussi… Si j’étais seul, je pourrais l’ignorer, mais Cicelnia est impliquée, il y a donc un aspect politique à tout cela.

Alus ne pouvait s’empêcher de souhaiter que les Mamonos soient tous plus bêtes que les animaux. Il y avait des Mamonos de classe supérieure qui pouvaient se dissimuler et poser des pièges lorsqu’ils chassaient, mais c’était surtout des instincts primaires. Ils n’avaient pas l’intelligence humaine, alors ils se contentaient de cibler des proies faibles et de les attirer.

Mais ce qui avait traversé la tête d’Alus, c’est l’incident avec Godma Barhong. À l’époque, Godma s’était transformé après avoir absorbé la chair et le sang d’un Mamono. Les humains ne se transformaient presque jamais en Mamonos, mais ce n’était pas impossible. Et quand Godma s’était transformé, il avait gardé son intelligence.

Il n’avait finalement pas pu lutter contre les pulsions du Mamono, mais était-il possible de faire l’inverse, que les Mamonos dévorent les humains et prennent leur apparence.

Tout pouvait arriver dans le Monde Extérieur. Et les Mamonos évoluaient constamment, tout comme les humains.

Alus soupira et se gratta l’arrière de la tête. « Pour l’instant, approchons-nous suffisamment pour pouvoir l’observer. Selon la situation, nous devrons peut-être envisager de l’abandonner. »

Personne ne souleva d’objection à sa décision, mais certains retinrent leur souffle comme pour se préparer. Ils étaient face à un ennemi puissant qui pourrait être au-delà de la classe S, même un simple échec leur coûterait très cher.

« Mais avant cela… il semble que les Consenseurs ne fonctionneront pas ici. » Alors qu’Alus disait cela, les membres de l’équipe s’étaient tous concentrés sur leurs oreilles.

L’instant d’après, l’expression de chacun s’était déformée à cause des bruits étranges qu’ils avaient entendus.

« Le bruit est vraiment horrible. Est-ce un effet du dépôt ? » demanda Lettie.

Alus avait hoché la tête. Les minéraux du gisement avaient dû dérégler les longueurs d’onde du mana. Ils perdraient le contact avec ceux qui les suivaient, mais ils avaient été prévenus donc il ne devrait pas y avoir de confusion. « Assurez-vous de ne pas être trop éloignés les uns des autres. Nous approcherons en alerte maximum en formation serrée jusqu’à ce que nous soyons à portée de vue. » Rinne serait toujours au centre, mais ils seraient sur leurs gardes pour n’importe quoi maintenant.

Ils avaient ralenti leur rythme et s’étaient déplacés de manière à ne pas faire de bruit, et assez rapidement, il y avait encore plus de sang autour d’eux. Et ce n’était pas seulement la quantité, le sang était plus sec, montrant qu’encore plus de temps s’était écoulé. Il était clair qu’ils se rapprochaient du site de la bataille des forces principales.

Finalement, Alus et les autres étaient arrivés à leur destination tout en restant hors de vue. En jetant un coup d’œil à travers les feuilles, ils avaient vu un homme seul posé sur le sol.

Le sol autour de lui était taché de noir. C’était à cause de tout le sang qui avait séché. Les sous-bois qui l’entouraient, tout aussi tachés de sang, semblaient flétris.

L’homme était affalé et ses jambes étaient négligemment éparpillées, et il semblait mort.

Rinne déclara. « Je ne sens aucun mamono autour de lui, mais en le regardant… il y a quelque chose d’étrange. »

Alus et Lettie avaient tous deux hoché la tête à ses paroles.

« Sire Alus, d’après ce que je sais, c’est l’endroit qui a vu la bataille la plus intense. »

« Oui, il n’y a vraiment aucune raison pour qu’il soit encore là. S’il a survécu à la bataille, il aurait été mangé depuis longtemps de toute façon, » remarqua Lettie.

« C’est étrange pour un Dévoreur, » dit Alus. « Il est encore en vie, non ? Je ne vois aucune blessure d’ici. Donc le sang sur le sol ne peut pas être le sien. »

« Alors peut-être que c’est vraiment un piège. »

Pourtant, selon Rinne, il n’y avait pas de Mamonos à l’affût. Il était difficile d’imaginer que l’un d’eux les remarque et tende un piège pour les attirer.

Alus avait donné l’ordre aux membres de l’escouade par l’intermédiaire de Lettie de rester sur leurs gardes. Lettie avait levé la main pour le transmettre aux autres.

« Pour l’instant, nous n’avons rien pour avancer…, » dit Alus.

« Veux-tu y aller ? » répondit Lettie.

Dans le Monde Extérieur, perdre du temps était stupide. Des décisions rapides étaient nécessaires. Ils étaient déjà dans le territoire des mamonos, ils ne pouvaient pas prendre le temps de tenir une réunion stratégique.

Si Alus n’arrivait pas à prendre une décision, il y avait toujours la possibilité de l’abandonner, mais en tant que commandant de la mission, on lui demanderait de prendre ses responsabilités par la suite. Il supposait qu’il pourrait s’en sortir avec une excuse s’il demandait à chacun de raconter son histoire, mais c’était une perte de temps et d’efforts.

Ce n’était rien d’autre qu’une douleur. Quand Alus s’était retourné et avait fait un signe à Lettie avec ses yeux, elle s’était mise à quatre pattes et s’était approchée.

« Qui t’a dit de venir comme ça ? »

« Nous allons nous faire remarquer si nous ne sommes pas silencieux. Maintenant, regardons de plus près ce mystérieux cadavre. » Elle avait rampé jusqu’au côté d’Alus et avait passé son visage par-dessus son épaule pour regarder l’homme devant elle. L’instant d’après, ses yeux s’ouvrirent en grand et elle murmura à l’oreille d’Alus : « Ah, il n’y a pas de doute ! C’est Duncal juste là ! »

Tout le monde connaissait le numéro 9 de Balmes, Duncal Konzer. Il avait été chargé de mener à bien cette mission. Même Alus se souvient que Jean avait mentionné ce nom lors de la conférence des souverains.

Mais cette situation inexplicable n’allait pas s’améliorer juste parce qu’ils connaissaient son nom. S’ils devaient abandonner un Single — les Singles étant chéris par l’humanité — ils perdraient beaucoup de confiance.

Alus ne pouvait que sourire en coin.

☆☆☆

Chapitre 38 : Champ de bataille éblouissant

Partie 1

En remontant dans le temps, juste après la fin du Tournoi Amical de Magie des Sept Nations…

Le jour même de l’arrivée d’Alus et des autres participants à Balmes, dans un hôtel proche du lieu du tournoi, se tenait une fête de clôture qui devait également servir de rassemblement social. Il était de tradition que l’hôtel de l’institut vainqueur soit le lieu de cette fête.

Les étudiants, vêtus de leur uniforme ou d’une tenue de fête appropriée, étaient présents dans la salle de bal de l’hôtel. Malheureusement, ce n’était pas seulement un endroit pour reconnaître les efforts des participants et pour que les magiciens novices puissent se faire des relations. Il s’agissait également d’un site de recrutement pour les différentes nations qui tentaient de repérer les meilleurs éléments et de les faire venir dans leur pays après l’obtention de leur diplôme.

Il y avait beaucoup de nourriture sur les tables, mais les participants des trois premiers instituts, en particulier les plus performants, n’avaient jamais eu la chance d’y toucher avec toutes les personnes qui les entouraient.

Tout aussi troublants étaient les instituts les plus faibles, dont les participants ne recevaient même pas un regard de qui que ce soit. Il s’agissait d’une coutume du tournoi, et non pas d’un phénomène qui venait de commencer cette fois-ci.

« Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde…, » dans la salle de bal, Tesfia, qui avait réussi à se dégager de la foule, grommelait avec lassitude. Elle avait fait de son mieux pour maintenir l’apparence d’une noble dame, mais tout cela avait disparu maintenant, alors qu’elle pressait l’arête de son nez pour soulager son épuisement mental.

Toutes les filles de la fête portaient des robes qu’elles avaient apportées elles-mêmes ou qui leur avaient été fournies par l’hôtel. Tesfia et Alice ne faisaient pas exception, ayant été habillées pour se démarquer. La « fête de clôture » s’appelait peut-être ainsi, mais elle ressemblait plus à un défilé de mode qu’à autre chose.

Prenant soudainement conscience de la situation, Tesfia regarda autour d’elle dans la salle de bal. Elle avait fini par repérer une Alice à l’air pressé, entourée d’une grande foule.

Toutes les deux avaient gagné beaucoup d’attention pour leurs performances dans le tournoi. Elles avaient convenu de rester ensemble autant que possible afin de surmonter le chaos attendu, mais…

La réalité ne s’était pas déroulée comme prévu, et elles s’étaient séparées lorsqu’elles avaient été contraintes de passer par les salutations standard et de recevoir les éloges de la foule.

Alice semblait être en détresse, mais elle faisait de son mieux pour gérer la foule et la repousser.

Soudain, Tesfia croisa le regard d’Alice. Elles avaient promis de s’entraider, mais dès qu’elle avait fait un pas vers elle —.

« Excusez-moi, puis-je avoir un moment de votre temps ? » Un homme à la voix douce se tenait sur son chemin. D’après l’air qui l’entourait et son apparence, elle avait jugé qu’il avait une trentaine d’années et qu’il était probablement un magicien.

Alors qu’elle le regardait, Tesfia avait mis sa main sur sa bouche. « Ah ! Pourriez-vous être l’un des magiciens de la démonstration ? »

L’homme en face d’elle sourit amèrement. « Oui, le représentant de Clevideet. Bien qu’Ulhava d’Alpha ait volé la vedette. »

« Aha ha ha… »

Ulhava était un magicien mystérieux et masqué. Tesfia avait appris que c’était en fait Alus qui se cachait derrière le masque, et elle avait eu du mal à répondre, essayant d’en rire maladroitement. Elle ne pouvait pas dire que c’était naturel, puisqu’il était le numéro 1 actuel. Il s’était déguisé et avait participé à la démonstration, volant finalement l’attention du représentant de Clevideet.

Elle n’avait pas vu grand-chose depuis les sièges des spectateurs, mais maintenant elle voyait qu’il avait l’apparence caractéristique d’un magicien chevronné. Sa tenue formelle ne pouvait pas entièrement cacher ses muscles bien tonifiés, et ses mouvements parfaitement économiques en disaient long sur son expérience.

Cependant, cette fête était principalement réservée aux participants étudiants, et il était donc le seul participant à une démonstration de magie qu’elle avait vu ici jusqu’à présent.

Néanmoins, il était le représentant de Clevideet, et elle ne pouvait pas le traiter avec négligence. Arborant un sourire sociable, Tesfia avait interagi avec lui de manière amicale.

Franchement, c’était un peu écrasant, mais elle ne l’avait pas laissé paraître. Elle se demandait également ce que quelqu’un représentant une nation pouvait bien vouloir d’elle. Elle était consciente qu’elle avait fait preuve d’une grande présence lors du tournoi. L’idée que peut-être cet homme appréciait beaucoup sa force remplissait sa poitrine.

Il était difficile d’imaginer qu’il soit un éclaireur d’une autre nation, Tesfia étant de la famille Fable, qui avait des liens profonds avec Alpha… surtout dans un lieu public comme celui-ci. Pour cette raison, elle s’attendait à ce que le recrutement soit peu probable… mais c’était la dix-septième personne à qui elle avait parlé ce soir.

Tesfia avait traité avec lui comme d’habitude, discutant à bâtons rompus, mais quelque chose d’inattendu s’était produit. Contrairement à ce qui s’était passé auparavant, il semblait que cet homme soit venu la voir en sachant qu’elle était de la famille Fable. Lorsqu’elle avait évoqué le nom Fable, il n’avait même pas bronché, se contentant de lui dire : « Nous devons d’abord consulter votre mère. »

Peut-être prenait-il un risque en espérant le meilleur, ou peut-être avait-il décidé de faire ce qu’il pouvait en raison de l’importance qu’il lui accordait. Quoi qu’il en soit, Tesfia avait décidé que cela allait prendre un certain temps, alors elle avait regardé Alice et avait rassemblé ses mains devant son visage en signe d’excuse.

En regardant autour d’elle, elle pouvait voir Ciel, qui avait passé le quatrième round, être arrêtée à plusieurs reprises. Elle avait reculé de peur, encore plus qu’Alice, et avait constamment baissé la tête.

Alors qu’en est-il d’eux, pensa Tesfia en scrutant la foule.

Bien qu’elle ait techniquement gagné, ceux qui avaient vu l’autre match savaient que Tesfia n’était pas la vraie championne, elle avait simplement eu l’honneur d’être choisie, car il n’y avait pas d’adversaire à combattre.

Le deuxième institut de magie d’Alpha était installé au centre de la salle de bal, et le premier institut de magie de Rusalca, finaliste, était installé à côté.

Au milieu de la plus grande foule, il y avait Fillic, qui ne s’était pas montré depuis son match contre Loki, qui divertissait les adultes.

Tesfia pouvait voir qu’il les manipulait avec aisance, rompu à ce genre de choses. Il met souvent un masque pour les autres…

Un verre à la main, il avait une expression joyeuse, apparemment sans arrière-pensée, agissant l’image modèle d’un noble. Et cela l’avait un peu énervée.

 

 

« Excusez-moi… Madame Fable ? »

« Hein, ah, oui ! » Se rappelant qu’elle était au milieu d’une conversation avec le magicien de Clevideet, Tesfia avait réalisé sa gaffe.

« Alors, j’aimerais mettre vos talents au service de mon escouade. Je suis un Double Digit, vous voyez », dit-il en sortant son permis de sa poche de poitrine, ainsi qu’un petit morceau de papier qu’il toucha. Ce faisant, un profil holographique apparut, l’équivalent d’une carte de visite.

La première chose à entrer dans le champ de vision de Tesfia était son nom, Rowan Welts. Comme il l’avait dit, il était un Double Digit.

« Mon Dieu ! C’est un honneur de parler avec vous. Mais je pense que quelqu’un d’aussi faible que moi ne ferait que retenir tout le monde…, » Tesfia avait mis sa main devant sa bouche et avait feint la surprise, avant de baisser le visage et de parler avec modestie.

Il était si enthousiaste que le refuser sans s’engager avec lui remettrait en cause sa dignité, même si elle se sentait mal de l’avoir fait marcher…

Lorsqu’elle s’était inscrite à l’Institut, la rencontre d’un Double Digit aurait eu un impact majeur sur elle, mais grâce à une certaine personne, elle avait commencé à moins réagir à ces choses.

D’après ce qu’il lui avait dit, Rowan était bien connu à Clevideet, et en charge d’une escouade nouvellement formée. Il voulait donc obtenir des membres prometteurs, quitte à être un peu déraisonnable. « Oh, ce n’est pas vrai. J’ai vu votre match en demi-finale, et il semble que vous soyez assez habituée aux combats. Bien sûr, vous ne rejoindrez l’équipe qu’après avoir obtenu votre diplôme, mais je préparerai des moments pour que vous vous entraîniez pendant vos vacances. Et si possible, j’aimerais également accueillir votre amie, Mlle Alice Tilake. »

Il dégageait bien l’atmosphère de quelqu’un qui pourrait devenir un capitaine compétent, mais on ne sentait pas qu’il en avait encore l’habitude. Il avait un bon sens de la parole pour quelqu’un qui se trouve sur les lignes de front du Monde Extérieur, et il portait son rang avec dignité. Dans l’ensemble, il avait laissé une bonne impression.

Mais après avoir vu Alus en action, Tesfia le trouvait un peu peu fiable. Elle n’avait pas l’intention de se joindre au groupe, mais elle était secrètement surprise d’apprendre que Rowan avait enquêté sur son cercle d’amis. « Je suis très reconnaissante de vous entendre dire cela. C’est vraiment une offre bienvenue. Je ne peux pas prendre de décision seule sans consulter ma famille d’abord… sans compter que je ne suis encore qu’une première année, donc je pense qu’il est un peu trop tôt pour décider. Cela me fait mal de le dire, mais je ne suis encore qu’une étudiante immature et superficielle. Je voudrais prendre mon temps pour réfléchir à mon avenir. »

L’homme n’avait pas bronché à l’évocation du nom de la famille Fable, mais après avoir dit tout cela, il avait finalement reculé. « Je vois… alors je suppose qu’on ne peut rien y faire. Il semblerait que je me sois un peu trop précipité. Je vais plutôt voir si je peux trouver une occasion de vous parler à nouveau l’année prochaine. »

« Merci beaucoup. Je suis vraiment désolée d’avoir abusé de votre temps. »

Tesfia s’inclina avec un sourire forcé, mais Rowan leva les mains dans un geste de reconnaissance. « Oh non, il n’y a pas de quoi s’excuser. J’attends avec impatience la prochaine fois que nous nous rencontrerons, Mme Tesfia Fable. Encore une fois, mon nom est Rowan Welts, et ce serait un honneur si vous pouviez vous en souvenir jusqu’à l’année prochaine. »

« Oui, je le ferai. »

Avec un regard joyeux en voyant le sourire de Tesfia, Rowan s’était excusé et s’était dirigé directement vers Alice.

Tesfia était un peu exaspérée en le voyant s’éloigner rapidement. Alice venait à peine de se séparer d’une personne qui espérait la recruter. Quand elle s’était retournée pour regarder Tesfia, elle avait poussé un cri de surprise en découvrant que Rowan l’attendait.

Ayant vu cela, Tesfia avait haussé les épaules et s’était retournée doucement. Elle s’aperçut alors qu’une file d’attente s’était formée pour elle. Ils avaient tous des licences et des cartes de visite holographiques en main, cherchant clairement la même chose que Rowan.

Les joues de Tesfia avaient tressailli un instant, puis elle s’était ressaisie pour garder le masque d’une noble dame un peu plus longtemps.

☆☆☆

Partie 2

C’était une série de batailles sans pause.

Une fois que les choses s’étaient finalement calmées, Tesfia avait regardé autour de la salle de bal avant que ses yeux ne s’arrêtent soudainement à un certain point. Elle avait trouvé Loki debout dans l’aire de repos.

Malheureusement, il n’y avait personne avec la personne qui avait attiré le plus d’attention. Elle avait été épuisée après son combat contre Fillic, mais avait récupéré étonnamment vite, et maintenant elle n’avait même plus besoin d’un fauteuil roulant pour se déplacer.

En réalité, les gens s’étaient pressés autour de Loki au début de la fête. Mais Loki avait repoussé les solliciteurs en disant : « Je suis déjà le partenaire de quelqu’un, et je n’ai pas l’intention d’accepter la moindre invitation. »

N’ayant aucune ouverture à utiliser, les éclaireurs avaient simplement salué et s’étaient dispersés. Après cela, personne ne lui avait rendu visite.

En fait, quelques participants de divers instituts s’étaient arrêtés pour la saluer, mais Loki gardait un air aigre.

Au bout de deux heures, une annonce avait été faite, les militaires qui étaient là pour recruter sont partis, et d’autres personnes importantes des différentes nations avaient fait leur entrée.

C’était le début de la deuxième fête. Il y avait un accord tacite selon lequel cette réunion sociale était également utilisée par la société noble comme un lieu pour trouver un conjoint pour leurs enfants ou leurs parents de sang.

Les militaires de bonne famille, c’est-à-dire issus de la noblesse ou d’un milieu équivalent, étaient également autorisés à rester. Cela dit, le scoutisme flagrant n’était pas autorisé.

Très vite, de nombreuses dames en belles robes avaient commencé à apparaître. Mais les participants au tournoi étant toujours les stars du spectacle, leurs tenues n’étaient pas trop voyantes, même si elles témoignaient de leur statut familial et social.

Au milieu de tout cela, Tesfia, essayant de reprendre son souffle, se dirigea vers une table pour prendre un verre. Pendant qu’elle était là, elle avait pensé à aussi en prendre un pour Alice, et avait jeté un coup d’oeil à sa meilleure amie.

Elle avait vu qu’Alice avait l’air consternée, avec son sourire forcé sur le point de s’effondrer. Un homme semblait la harceler avec insistance. Les militaires purs comme Rowan étaient partis, donc quelque chose comme ça était plutôt inhabituel. La voix de l’homme qui parlait à Alice était forte et dominante. Et il semblait qu’il essayait de la recruter, malgré l’interdiction.

L’homme était probablement un noble en position militaire, mais la fête avait changé de main, les autres militaires s’étant dégagés pour laisser entrer la noblesse. C’était clairement mal élevé, et Alice avait l’air vaincue, car elle se recroquevillait comme si on la grondait.

Tesfia s’exclama : « C’est quoi son problème ? Il ne peut pas au moins faire preuve d’un minimum de courtoisie… »

Et ce n’était pas seulement Tesfia. Les gens autour avaient commencé à faire des remous alors que l’attention de la salle de bal se portait sur Alice et l’homme.

« Ne comprenez-vous pas les manières que l’on attend de vous ici ? De quelle nation êtes-vous ? Quel est votre rang et votre affiliation ? »

Soudain, la voix calme d’une femme l’interrompit. C’était une voix calme et claire, mais il y avait un soupçon de colère teintée de dérision, comme si elle remettait en question le caractère de l’homme.

Mais même à ce moment-là, l’homme n’avait pas quitté Alice. « Excusez-moi, mais nous n’avons pas encore fini de parler. Veuillez patienter un moment… C’est pourquoi, Alice… » L’homme, qui portait des lunettes rondes et dont les cheveux commençaient à grisonner, ne s’était même pas retourné avant de poursuivre : « J’aimerais tant examiner votre AWR, et si vous pouviez me dire qui l’a fabriqué… »

La femme en robe rouge qui se tenait derrière l’homme bavard avait poussé un grand soupir. « J’espère que vous n’êtes pas d’Alpha. Je ne voudrais pas penser que nous avons des déchets comme celui-ci dans le coin… Selva. »

« Compris. » L’homme âgé habillé en majordome derrière elle s’était avancé, se plaçant entre Alice et l’homme à lunettes. « Pardonnez-moi, mais je crois que vous devriez garder cette conversation pour plus tard. Si vous allez plus loin, nous devrons peut-être confirmer votre identité devant tout le monde. »

Face au vieux majordome — Selva — et à son regard acéré, l’homme recula. Selva s’était retiré des combats, mais mettre suffisamment d’intention meurtrière dans son regard pour faire tressaillir un amateur était un jeu d’enfant pour lui. Aujourd’hui, il avait cessé de pousser son corps au-delà de ses limites, mais son expérience dans le traitement de toutes sortes de personnes dans la société souterraine n’était pas juste pour le spectacle.

« N-Non, j’ai juste… ! ! J-Je comprends… Excusez-moi, Alice. » Submergé par Selva, l’homme s’était excusé auprès d’Alice, puis il avait regardé la femme qui l’avait interrompu et avait trébuché sur les mots une fois de plus. « V-Vous êtes… ! »

« M-Mère — !! » Tesfia avait poussé un cri de surprise au même moment.

En effet, face à l’homme aux lunettes, et arborant une expression glaciale et colérique, se tenait le chef de la famille Fable, l’un des principaux nobles d’Alpha… Frose Fable elle-même.

Non seulement elle était une grande noble, mais elle avait aussi de grands succès dans l’armée, et son nom était toujours bien connu, même après sa retraite.

L’homme à lunettes avait ouvert de grands yeux, puis lui avait fait une profonde révérence et s’était précipité hors de la salle de bal.

Frose tourna le dos à l’homme qu’elle regardait fixement et laissa échapper un soupir exaspéré. « C’est vraiment sans espoir. »

« En effet, Maître Frose. »

« C’est malheureux que tu aies eu affaire à quelqu’un comme ça, Alice. » En un clin d’œil, l’expression de Frose s’était transformée en un sourire adressé à Alice.

« Lady Frose ! M… Merci beaucoup. »

« C’est bon. En fait, ça me fait mal d’entendre la meilleure amie de ma fille ajouter un “Lady” à mon nom… Je sais, pourquoi ne pas m’appeler Mère ? Tu es un peu comme une fille pour moi, après tout. »

Frose l’avait peut-être dit en plaisantant, mais même l’insouciante Alice avait trouvé que c’était un obstacle un peu trop élevé. Bien qu’elle connaissait Frose, ce n’était pas comme si elle était tout le temps à la maison de la famille Fable.

« U-Uhm… Est-ce que Madame Frose serait assez bien ? » demanda-t-elle timidement, se souvenant d’un certain moment au manoir des Fable. Avant de s’inscrire à l’Institut, Alice avait été invitée au manoir Fable pour la première fois. Et pour une raison quelconque, elle avait été embarquée dans l’entraînement strict de Frose aux côtés de Tesfia.

« Je comprends. Je suppose que cela suffira pour le moment. » Frose avait montré une expression quelque peu triste. Cela rendait encore plus difficile de dire si elle avait été sérieuse ou non. Quoi qu’il en soit, pour elle, ce n’était probablement qu’un simple salut.

« Ceci mis à part, pourquoi êtes-vous ici, Mère ? » demanda Tesfia. Mais elle ne s’était pas arrêtée pour réfléchir à sa question, car elle avait compris la réponse avant même d’avoir fini de parler.

Frose était ici, comme promis par Alus, pour voir si sa fille avait suffisamment grandi sous les enseignements d’Alus pour être autorisée à rester à l’Institut. Elle était ici pour juger des possibilités de sa fille.

Tesfia avait eu des sueurs froides, mais Frose lui avait simplement souri. « J’étais ici pour t’encourager, bien sûr. Félicitations pour ta victoire, Fia. Et Alice, c’était un match magnifique. »

« M… Merci beaucoup, Mère. »

« C’est un honneur, Mme Frose. »

Même si elle s’empressa de remercier sa mère, Tesfia ne put s’empêcher de trouver cela inattendu. Alors que sa mère avait une réputation à défendre, elle était surprise de l’entendre la féliciter en public. Mais en même temps, cela la rendait heureuse. Il était difficile d’imaginer une telle attitude de la part de Frose dans le passé, car elle avait conservé sa dignité militaire même après avoir terminé son service.

Se tenant devant Tesfia maintenant était une mère se réjouissant de la victoire de sa fille. D’ailleurs, Frose était extrêmement satisfaite. Les effets des enseignements d’Alus étaient plus prononcés que prévu, et sa fille avait grandi encore plus depuis qu’elle avait dit à Frose ce qu’elle pensait vraiment de l’entraînement avec Alus. Elle pouvait même être fière d’elle.

Au début, Frose n’était pas sûre qu’elle pouvait honnêtement être heureuse, mais Selva lui avait donné le coup de pouce dont elle avait besoin en disant, « Je suis sûr que la jeune fille a travaillé très dur, » l’incitant à laisser de côté toute pensée inutile et à donner à sa fille des compliments honnêtes. Bien que son véritable objectif soit autre.

Tesfia avait regardé sa mère avec une expression compliquée, et Frose avait compris que sa fille voulait une réponse.

Le désir de Frose était que Tesfia trouve un fiancé et s’installe, qu’elle se concentre sur ses études pour devenir le prochain chef de famille. C’était ses vrais sentiments. Sans un talent exceptionnel, elle n’irait pas loin en tant que magicienne. Donc Frose pensait que tracer un chemin pour sa fille était pour son propre bien. Il n’y avait aucune valeur dans les efforts inutiles.

… Ou du moins, c’était le plan initial. Mais il semble qu’il soit plein de surprises.

Par « il », Frose voulait bien sûr dire ce jeune homme. Elle n’avait pas l’intention d’ignorer la victoire de Tesfia dans la division des premières années. Et elle allait naturellement reconnaître tous les efforts qu’elle avait fournis.

En même temps, sa croissance avait largement dépassé les attentes de Frose, qui s’était demandé si ce ne serait pas une erreur de retirer sa fille de l’Institut.

Mais surtout, il y avait le mouvement que Tesfia avait utilisé à la fin de son combat contre Alice. Elle lui avait en effet montré Zepel une fois dans le passé. Mais c’était quand elle était beaucoup plus jeune et qu’elle n’avait pas encore commencé à apprendre la magie.

Cela dit, Zepel n’était qu’une étape supplémentaire sur le chemin de la technique secrète de la famille Fable. C’était simplement l’étape suivante après l’épée de glace. Cependant, il avait fallu trois ans à Frose pour acquérir ce sort, et elle avait finalement abandonné tout espoir de le faire évoluer jusqu’à la forme finale. Même avec tout son talent, son sens, et ses efforts, il se trouvait dans un domaine au-delà de ses capacités.

En réalité, il était dit qu’aucun chef de la famille Fable n’avait été capable de perfectionner sa forme finale. L’apprentissage de l’épée de glace était exigé de tous les chefs de la famille, mais il n’y avait personne qui avait encore maîtrisé la véritable technique cachée.

Peut-être que c’était seulement théoriquement possible — seulement une chimère. Dans ce sens, Frose n’était pas devenue la vraie chef de la famille Fable.

Je n’ai pas été capable de le voir. Mais peut-être que Fia le fera… mais il sera nécessaire pour cela.

Frose avait souri à la vision qui lui était venue à l’esprit. Un chemin réaliste pour réaliser à la fois le souhait de sa fille et la continuation de la famille Fable était apparu devant elle.

☆☆☆

Partie 3

Alors que l’anticipation remplissait sa poitrine, imaginant son futur idéal, Frose réalisa soudainement qu’elle avait fait attendre sa fille. « Fia, concernant ta démission de l’Institut… »

« Oui ? » Tesfia attendit anxieusement les mots suivants de sa mère. Sa voix tremblait, et Alice le remarqua en se taisant avec inquiétude.

« Je ne te retire pas de l’Institut pour l’instant. Continue ta formation, et ne relâche pas non plus tes études. »

« — ! ! Maman, es-tu sérieuse ? » Au moment où elle avait entendu cela, le visage de Tesfia s’était rempli de joie, car elle était libérée de son inquiétude. Mais elle avait soudainement réalisé quelque chose et avait décidé de demander. « … Tu ne vas pas le reprendre plus tard, n’est-ce pas ? »

« Non, j’attendrai au moins que tu aies ton diplôme. Nous pourrons parler de ton avenir après cela. »

« Oui ! Merci beaucoup, maman ! » La queue latérale de Tesfia volait de haut en bas tandis qu’elle s’inclinait.

« N’est-ce pas génial, Fia ? »

« Oui, merci de m’avoir aidé pour l’entraînement et tout ça, Alice ! »

Il y avait plus de joie dans leurs expressions maintenant que pendant le tournoi. Au milieu de leur célébration, Frose avait continué, « Cependant, j’ai une condition. Jusqu’à la fin de tes études, tu recevras les conseils de Monsieur Alus. »

« Je comprends. » Tesfia avait légèrement trébuché sur ses mots, tout en hochant la tête.

D’après ce qu’elle avait entendu de la directrice, Alus continuerait probablement à leur enseigner jusqu’à l’obtention du diplôme : en d’autres termes, tant qu’ils resteraient camarades de classe. C’était un espoir un peu égoïste, mais cette pensée la rendait heureuse — et embarrassée. Vu qu’il leur enseignait maintenant, elle n’avait aucune raison de refuser.

« Assure-toi qu’il t’enseigne aussi, » dit Frose à Alice.

« D’accord. » Alice avait hoché la tête avec une expression tendue.

En voyant cela, Frose avait à nouveau commencé à réfléchir. Comme il l’avait promis dans le bureau de Sisty, Alus avait montré les possibilités de Tesfia. Donc il n’allait probablement pas se laver les mains de Tesfia plus tard, mais… « Fia, j’aimerais aussi saluer Monsieur Alus. Où est-il ? Il semble qu’il se soit retiré de la finale… ne se sent-il pas bien ? »

« — ! ! Ah, eh bien, uhm, non… Al avait des affaires à régler… » Tesfia était clairement secouée. Mais tout ce qu’elle savait vraiment, c’est que l’affaire d’Alus était une mission, il n’y avait donc rien de plus à dire.

« Je vois. C’est dommage. Je me demandais pourquoi il n’apparaissait pas dans les finales. » Frose garda une apparence calme, mais elle était secrètement déçue. Bien qu’elle ne l’ait pas dit à voix haute, elle était venue à cette fête pour revoir Alus. Cela aurait été l’occasion parfaite d’estimer ses capacités cachées.

En fait — compte tenu de l’évaluation de Selva et du ton de Lettie quand elles avaient parlé, il était facile d’imaginer que ses capacités dépassaient de loin celles d’un étudiant. Frose voulait juste le voir de plus près.

Alus avait progressé jusqu’au point d’affronter Fillic de Rusalca. Et d’après ce qu’elle pouvait voir, Fillic aurait été l’occasion idéale de juger de la véritable force d’Alus. Jusqu’à présent, ses matchs s’étaient terminés en un clin d’œil, ce qui ne permettait pas d’avoir une bonne idée de sa puissance.

Mais ce n’était pas une perte totale. Loki avait fini par sortir victorieuse contre Fillic. Et Frose avait déjà découvert que Loki était la partenaire d’Alus, ses capacités dépassant de loin les attentes de Frose.

Étant partenaire, elle devrait être en dessous de lui. Et Loki avait vaincu l’atout de Rusalca, attisant encore plus l’intérêt de Frose pour Alus. Mais finalement, elle n’avait rien découvert. « Alors, fais-lui savoir que je le contacterai un autre jour. »

« Je comprends. Je le ferai savoir à Al, » lui dit Tesfia.

Ce n’était pas le genre de conversation pour une fête de célébration, donc Frose l’avait mis de côté pour plus tard. « Au fait, Alice, cet homme tout à l’heure… il n’avait pas l’air d’essayer de te recruter. »

« Ah, oui ! Il a dit qu’il était du département technique militaire de Rusalca. Il voulait examiner mon AWR… »

« Comme c’est inhabituel. Est-ce que c’est vraiment une perle rare ? Après avoir quitté l’armée, j’ai peur de ne pas être très au fait des dernières AWR. C’était un type de lance, n’est-ce pas ? Où as-tu mis la main dessus ? »

« … ! A- Ah, uhm… en fait, c’est Al qui a fait ça… il a dit que c’était pour mon anniversaire, donc je ne pouvais pas refuser… » Il semblerait qu’Alice soit incapable de mentir à Frose et elle avait fini par dire la vérité. Elle se sentait coupable que chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, il semblait qu’elle laissait échapper encore plus de secrets d’Alus.

« — ! ! Je vois. Et tu ne voulais pas évoquer son nom. Mais tout de même, il semble que les ingénieurs de toutes les nations cessent de remarquer ce qui les entoure dès que leur curiosité est éveillée. »

« A-Alors, laissez-moi retirer ça ! Ce n’est pas juste de ma part d’évoquer son nom… » Alice avait soudainement essayé d’arranger les choses alors qu’il était déjà trop tard.

« Maman, j’aimerais te demander la même chose. Il n’aime pas trop qu’on s’immisce dans sa vie privée… » Tesfia imagina un Alus malheureux, et demanda cela à sa mère en même temps qu’Alice.

Frose hocha la tête, comme si elle était d’accord pour garder ça pour elle. Mais quand même… elle avait l’impression que les informations qu’elle avait recueillies auparavant avaient été étayées comme il se doit. Non seulement sa carrière de magiciens était inhabituelle, mais il apparaissait que son nom était derrière les dernières technologies magiques.

De même, dans le domaine de la magie nouvelle. Lorsque des sorts nouvellement développés étaient répertoriés dans l’encyclopédie des sorts, le nom du créateur était toujours indiqué à côté. Mais ce n’était pas vraiment une règle gravée dans le marbre. Pour preuve, au cours des dernières années, plusieurs nouveaux sorts n’étaient pas accompagnés du nom de leur créateur.

Cet espace vide semblait indiquer que la personne était bien connue dans les cercles de chercheurs. Et le nom qui remplissait ce vide était Alus Reigin.

Frose était venue ici pour voir Tesfia, mais aussi parce qu’elle s’était renseignée sur Alus. Quand même, penser qu’un étudiant serait capable de créer un AWR qui capterait l’intérêt d’un ingénieur de Rusalca alors qu’ils étaient au sommet du marché des AWRs…

Elle repensa à la lance d’or qu’Alice avait utilisée lors du tournoi. « Ton AWR était plutôt intéressant, et le sort que tu as utilisé n’était pas un sort d’élément de lumière existant, n’est-ce pas ? »

« O-Oui. En fait… il l’a aussi… fait. »

« C’est ainsi…, » Frose plissa les yeux, et ses lèvres se retroussèrent en un sourire. La création de nouveaux sorts nécessitait de réunir une équipe de recherche et de lancer un projet de grande envergure. La plupart d’entre eux étaient financés par l’armée. Donc une personne seule faisant la même chose était au mieux douteuse. Même Frose trouvait cela irréaliste.

Pourtant, le ton de l’amie de sa fille l’avait facilement confirmé. Elle n’avait pas l’air de mentir. On aurait dit qu’elle disait simplement la vérité.

Quoi qu’il en soit, il était clair qu’Alus avait un nombre anormal de réalisations. Et Frose ne pouvait même pas imaginer combien cela serait difficile.

« Je ne connais pas grand-chose aux AWRs, mais Alice, je suis sûre que quelqu’un te contactera pour mettre le sort que tu as utilisé dans l’encyclopédie. Cela impliquerait bien sûr de révéler la formule magique. Bien qu’il soit important pour tout magiciens de garder un atout dans sa manche, je ne recommande pas de les rejeter. La révélation de nouveaux sorts conduira à un renforcement des magiciens en général, ce qui ajoutera à la puissance nécessaire pour protéger l’humanité, » dit Frose. Mais son ton n’était pas autoritaire. Il s’agissait plutôt d’un léger avertissement.

Alice avait compris qu’elle était également prévenante, et son expression semblait lui dire de ne pas s’inquiéter. Elle avait pris le conseil de Frose à cœur, et avait hoché la tête.

Elle avait finalement réalisé le type de créativité, de compétences et de connaissances qu’il fallait pour créer un tout nouveau type d’AWR, ainsi qu’un nouveau sort. Les connaissances requises pour les créer dépassaient probablement de loin ce qu’Alice pouvait imaginer. Et plus elle y pensait, plus elle se rendait compte de la chance qu’elle avait.

Les trois femmes avaient passé un long moment à parler, mais c’est comme si tout s’était passé en un instant. Il y avait maintenant une nouvelle foule de personnes espérant parler avec Tesfia et Alice.

Les stars de cette fête étaient les étudiants. Ne voulant pas monopoliser les deux filles, Frose fit une dernière demande. « À propos, j’aimerais aussi parler avec ton amie, Mme Loki. Pourrais-tu peut-être me présenter ? » demanda-t-elle, avec un sourire aux manières parfaites.

Loki était la seule personne de l’Institut avec laquelle Frose n’avait pas pris contact. Elle avait en fait pensé à enquêter sur elle aussi, mais maintenant elle voulait juste la saluer en tant que partenaire d’Alus.

Pendant ce temps, Tesfia et Alice ne relevaient rien d’étrange dans le flot de la discussion et se contentaient de hocher la tête. Elles ne pensaient pas non plus au risque que les choses se compliquent une fois que Frose et Loki se seraient rencontrées.

Le temps qu’elles s’en rendent compte, il était trop tard. Tesfia s’était souvenue de la discussion qu’elles avaient eue chez eux, et avait eu un mauvais pressentiment. Elle avait détourné le regard maladroitement, mais ses yeux étaient tombés sur Loki.

Si possible, Tesfia et Alice voulaient que Frose se retienne jusqu’à plus tard. Après tout, Loki était un peu agitée et instable maintenant qu’Alus était absent.

Ne montrant aucune préoccupation pour leur situation, Frose avait suivi le regard de Tesfia et avait repéré Loki.

Assise dans un coin de la salle de bal, se tenait une fille aux cheveux argentés. C’était sans aucun doute la fille qu’elle avait vue en demi-finale.

Les nobles la regardaient de loin. N’importe qui ayant vu ce match serait capable de dire à quel point elle était forte. D’après ce que Frose savait, il y avait eu très peu de matchs d’un tel niveau dans ce tournoi réservé aux étudiants. Cela pourrait même se comparer au match épique entre les désormais Singles Jean Rumbulls et Lettie Kultunca.

Franchement, Loki avait un bel avenir devant elle. De plus, bien que petite, elle avait une beauté digne d’un conte de fées.

Les questions relatives à sa lignée et à sa famille étaient secondaires. Les nobles réunis ici espéraient tous la prendre comme épouse pour leurs fils. Même les nobles de rang inférieur seraient probablement prêts à payer une dot très généreuse, plusieurs fois supérieure à la normale, pour rivaliser avec leurs rivaux, et cela en vaudrait la peine.

Cependant, Frose avait une vision différente d’eux. Elle savait déjà que Loki avait un partenaire, et que c’était Alus. Ce qui signifie que son existence pourrait devenir un obstacle pour l’avenir idéal de Frose pour la famille Fable.

Elle ne souhaitait rien de plus que de voir sa fille attirer le gros poisson au potentiel inconnu qu’était Alus pour elle-même.

☆☆☆

Partie 4

Tesfia était incroyablement belle, après tout. D’autant plus ce soir qu’elle portait une robe magnifique, qui lui donnait l’air de sortir tout droit d’un livre d’images.

Dans sa jeunesse, Frose avait également fait l’expérience d’être acclamée par les hommes. Elle avait la tête froide, mais un physique séduisant, ce qui lui valait l’envie des autres filles.

Tesfia n’avait pas hérité de la beauté séduisante de sa mère, mais parfois Frose avait l’impression d’observer sa jeune personne, et c’était quelque chose que Selva évoquait de temps en temps. Sa fille était encore d’une beauté extraordinaire selon les normes du monde, et cette fille aux cheveux argentés était un mur qu’elle devait surmonter.

Frose ne savait pas comment Tesfia se sentait, mais quand elle était adolescente, il n’aurait pas été étrange pour elle d’être hostile, et encore moins jalouse, si elle avait eu un camarade de classe comme Loki.

En bref, Frose avait reconnu que Loki était une rivale digne de sa fille. C’est pourquoi voir Loki se faire embarquer dans une famille étrangère ou même une famille noble d’Alpha serait ennuyeux — surtout qu’elle était l’amie de sa fille, et que Frose n’avait même pas eu la chance de se présenter.

Son désir instinctif de monopoliser les individus talentueux entrait également en jeu, même après avoir quitté son poste de commandant compétent.

Cela dit, je suppose qu’il n’est pas nécessaire de se précipiter pour l’instant. Au cas où elle ne parviendrait pas à mettre la main sur Alus, Tesfia devrait épouser un homme prometteur comme prévu, bien que sa performance au tournoi ait été plus que suffisante pour lui donner de grands espoirs pour son avenir de magicienne. Ainsi, Frose était prête à ignorer son âge lors de son mariage dans une certaine mesure.

En tant que mère, Frose voulait réaliser les souhaits de sa fille autant qu’elle le pouvait. Et si elle devait accomplir de grandes réalisations en tant que magicienne, elle aurait plus d’options à choisir.

Les magiciens prenaient des risques lorsqu’ils se tenaient en première ligne, mais en même temps, c’était le devoir de la noblesse. Surmonter ces risques et faire preuve d’un certain degré de prouesse pouvait faire des merveilles lorsqu’on entre dans le monde de la politique.

De toute façon, Frose avait déjà pris sa décision. Elle attendrait la remise des diplômes de Tesfia comme elle l’avait dit.

Alors que ces pensées lui traversaient l’esprit, Frose regarda à nouveau Loki. Les nobles après ses talents espéraient arranger un mariage, ou au moins une entrevue de mariage, avec elle. Ils étaient, en un mot, sans scrupules.

L’un après l’autre, ils s’étaient approchés d’elle sans vergogne. Frose n’était pas vraiment du genre à parler, mais c’était comme si le côté hideux de la société noble se manifestait sous ses yeux.

L’adversaire de Loki au tournoi, Fillic, était plus que suffisamment fort pour devenir le fiancé de Tesfia, et il avait également un avenir prometteur devant lui. Il arborait un sourire amical même maintenant, se comportant comme un noble correct, et manipulait les gens avec aisance. Peut-être que Jean Rumbulls y était aussi pour quelque chose.

Mais du point de vue de Frose, il ne laissait pas une impression favorable. Il pouvait savoir comment contourner les intentions de l’autre partie, mais il donnait une impression louche.

Elle pouvait trouver son rang acceptable, mais elle sentait qu’il était trop habitué aux manières du monde, et elle n’avait pas une très haute opinion de lui.

En fait, elle préférait une attitude décisive, sans excuses et insolente comme celle d’Alus. Bien que ce ne soit probablement qu’une pensée qu’elle avait eue après avoir posé ses yeux sur Alus. Si ce n’était pas pour lui, Frose aurait sans doute marché vers Fillic.

Pour un étranger, le monde de la noblesse était sûrement un mystère.

Cependant, la noblesse avait grandement aidé l’humanité dans sa capacité à survivre. C’est pourquoi les nobles avaient protégé leurs noms pendant des générations.

Non seulement ils bénéficiaient des avantages de la classe supérieure, mais ils avaient également le droit de résider près de la Tour de Babel — l’endroit le plus éloigné du mur séparant l’humanité des Mamonos — ainsi que la possibilité d’utiliser leur richesse pour engager des magiciens comme gardes. En fonction de leur ingéniosité et de la force de leur capital, ils pouvaient même être autorisés à posséder des terres.

Et surtout, ils étaient promus rapidement dans l’armée, et il n’était pas rare que ceux des familles les plus anciennes aient une armée privée issue des générations de leurs ancêtres.

Leurs positions étaient protégées par les souverains et par la politique nationale, et leurs lignées produisaient des magiciens talentueux qui contribuaient à la société. Cependant, ils avaient aussi tendance à dégénérer en une classe privilégiée qui se complaisait dans leur style de vie luxueux.

À travers l’histoire, la noblesse était fière de combattre les Mamonos pour le bien de l’humanité. En pensant à ce que la noblesse était maintenant, Frose pouvait sentir quelque chose de semblable à la gêne monter en elle.

Ces dernières années, la profession de magiciens s’était de plus en plus ouverte au grand public. Cette tendance n’avait été que renforcée par l’introduction de l’attribution de grades par le mérite et les réalisations.

En d’autres termes, l’emprise puissante sur le monde des magiciens que la noblesse avait autrefois était en train de devenir une chose du passé.

Cela dit… peu de gens pouvaient se débarrasser du sentiment de privilège lié à une naissance noble. Et Frose pensait qu’il était inévitable qu’ils recherchent désespérément la meilleure valeur sur le marché. Mais même dans ce cas…

Certains regards amers étaient dirigés vers Frose. En raison de sa présence, la noblesse n’avait pas pu parler avec Tesfia et Alice. Je ne suis pas sûre que j’appellerais ça de l’avidité… Sentant l’atmosphère inconfortable, Frose avait simplement haussé les épaules. Bien sûr, elle comprenait qu’ils étaient ainsi pour le bien de leurs enfants, et dans un sens, elle était comme eux.

Et à cause de cela, elle décida de se séparer des deux filles. « Maintenant que j’ai repéré Mme Loki, je vais aller la saluer. Alors, pourquoi ne pas rester ici toutes les deux et parler avec tout le monde ? Cette fête ne finirait jamais si je vous gardais pour moi. »

« Mais maman…, » Tesfia était quelque peu troublée. Mais elle avait dû comprendre sa position.

« Fia, regarde autour de toi. Ce sera une bonne occasion pour toi d’étudier la société noble. Toi aussi, Alice. »

« M-Moi aussi !? » Alice fut surprise lorsque la discussion se tourna soudainement vers elle. Son amie au sang noble était une chose, mais en tant que simple roturière, et sans parents, elle avait juste supposé qu’elle serait laissée de côté. En réalité, elle était aussi populaire que Tesfia, mais le fait qu’elle ne l’ait pas réalisé lui ressemblait.

« Bien sûr. Si tu as l’intention de devenir une magicienne, ce n’est pas quelque chose que tu peux ignorer. Considère cela comme une préparation à la vie future et vas-y doucement. Mais… si tu n’aimes pas ça, tu devras le dire. Il est facile de se laisser prendre dans leur toile, alors fais attention. »

Alice se laissait facilement mettre sous pression, alors cette dernière phrase avait vraiment fait mouche. « O-Oui, je ferai attention. »

« Ne t’inquiète pas Alice, j’essaierai de rester près de toi, » dit Tesfia pour lui remonter le moral. Mais l’expression d’Alice restait trouble.

D’ailleurs, Tesfia n’était pas sûre d’être capable de balayer calmement tous les nobles qui venaient lui parler. Mais si elle les traitait mal, cela se refléterait sur sa famille. Elle ne pensait pas que ce genre d’endroit, où les offres de mariage se bousculent, lui conviendrait. Au contraire, elle commençait à avoir une sorte de réaction allergique aux mots fiançailles et mariage. Malgré son léger mal de tête, Tesfia avait mis le masque d’une fille noble.

« Si vous trouvez un homme bon, veillez à établir un lien. L’idéal serait un officier de terrain ou plus. Si ce n’est pas possible, alors assurez-vous qu’ils sont au moins d’une famille d’un Double Chiffre. Et méfiez-vous des familles qui n’ont qu’une longue histoire. Bien, je vais aller accueillir Mme Loki maintenant. Je reviendrai quand les choses se seront calmées. »

Après avoir jeté un coup d’œil à Selva pour s’assurer qu’il surveillait les deux filles sur le point de descendre sur un champ de bataille, Frose sortit de la foule et se dirigea vers Loki avec deux verres dans les mains.

En voyant ses gestes gracieux et ses yeux séduisants, les nobles et leurs partisans s’écartèrent de son chemin. Une dizaine d’années s’étaient écoulées depuis qu’elle avait quitté l’armée, mais la renommée de Frose était encore fraîche dans leurs mémoires, et sa beauté ne montrait aucun signe d’affaiblissement. Les nobles mâles les plus lascifs voulaient avoir la chance de mieux la connaître après un seul regard.

Mais Mme Frose s’était contentée de sourire avec élégance en traversant la salle comble.

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« Pourquoi suis-je dans un endroit comme celui-ci… ? » Les mots marmonnés quittèrent ses lèvres et disparurent sans atteindre les oreilles de quiconque. Les conversations autour d’elle se transformaient en bruits gênants, comme s’ils lui poignardaient les tympans.

Loki était seule depuis la deuxième fête… non, depuis la première. Après avoir renvoyé les recruteurs, personne ne l’avait approchée, et elle avait simplement attendu que le temps passe. Ou peut-être serait-il plus exact de dire qu’elle était comme un enfant perdu qui s’était égaré dans un monde inconnu, et ne savait pas trop quoi faire.

Mais surtout, elle se sentait seule parce que la personne qui était censée être ici n’y était pas. Elle était seule dans un endroit sans Alus.

 

 

Elle avait l’impression d’avoir été coupée du reste du monde. Loki ne connaissait que la vie dans l’armée et le monde extérieur, alors se retrouver dans un endroit aussi voyant dans une robe magnifique, c’était comme être dans un autre monde. Qu’était-elle censée faire ? Pour commencer, elle n’avait jamais été intéressée par cette fête. Elle ne ressentait pas non plus le besoin de s’amuser avec des discussions amicales.

À chaque fois que ce genre d’événement se produisait, Loki se rendait compte que cette vie ordinaire n’était possible qu’avec Alus à ses côtés. Et quand elle était seule comme ça, tout s’écroulait… elle ne pouvait même pas se résoudre à sourire.

C’est parce qu’Alus était à ses côtés qu’elle pouvait profiter d’une vie ordinaire. Une fois qu’il était parti, le cœur de Loki était comme la surface d’un lac gelé en hiver, sans qu’aucune émotion ne transparaisse.

Elle était soulagée d’avoir accompli l’objectif de victoire qu’Alus lui avait laissé, mais les problèmes avaient commencé après ça. Cela avait commencé avec les recruteurs vulgaires, et même après les avoir fermement rejetés, un couple de nobles qui portaient leurs arrière-pensées sur leurs manches l’avait également abordée lors de la deuxième fête. Les mots qu’ils prononçaient étaient tous poliment habillés, mais pleins de saletés qui mettaient Loki de mauvaise humeur.

En apparence, tout cela semblait très bien, mais Loki l’interprétait d’une autre manière. Elle affichait déjà un air mécontent pour empêcher les gens de venir, mais cela ne l’aidait pas à dégager complètement son environnement.

☆☆☆

Partie 5

Si Alus était là, elle n’aurait pas à se préoccuper de ce genre de racaille, et elle pourrait s’amuser même si leur environnement devenait un peu bruyant. Alus passerait sûrement outre ses récriminations. Et tandis qu’il afficherait un sourire en coin comme pour réprimander Loki pour ses mots mordants, il ajouterait probablement quelques mots francs, mais pour Loki, agréables, de son cru.

Quand elle pensait à ça, elle commençait vraiment à regretter leur habituel va-et-vient. Dans l’ouverture faite quand elle avait pensé cela, une dame avait fait un pas vers elle, et Loki avait dirigé un regard acéré vers elle. Elle portait un maquillage lourd et un parfum terriblement fort, ainsi que de nombreuses bagues ornées de pierres précieuses non-magiques.

Loki aurait du mal à sourire, même en présence d’un seul de ces aspects. Son regard avait une nette impression d’hostilité, comme pour dire de ne pas s’approcher davantage. Elle ne pouvait surtout pas supporter cette odeur.

Pourtant, quelques personnes l’avaient approchée malgré son avertissement. Ils devaient être imprudents, ne pas connaître leur place, ou peut-être même être forts et confiants dans leur force… au moins, s’ils étaient des magiciens en herbe, ils devraient comprendre.

Mais en regardant leur façon de marcher du coin de l’œil, Loki détermina qu’ils étaient tout simplement idiots. Ils étaient loin d’être des maîtres du contrôle du mana, car ils étaient pleins d’ouvertures. En conséquence, Loki était la plus mécontente qu’elle ait été jusqu’à présent ce soir.

Alors qu’elle s’asseyait avec lassitude sur une chaise voisine, quelqu’un était entré dans son espace personnel avec beaucoup d’enthousiasme.

C’était un homme bien habillé, portant une queue de pie d’apparence confortable, ornée d’accessoires luxueux ici et là. Il était difficile de croire qu’il était un magicien ou qu’il ait déjà mis les pieds dans le Monde Extérieur. Bien sûr, les capacités d’un magicien n’étaient pas les seules choses à déterminer la position d’une personne dans l’armée ou dans les cercles nobles.

L’homme avait une quarantaine d’années, et était accompagné d’un autre homme dans la force de l’âge, soit un majordome, soit un garde du corps. D’après l’évaluation de Loki, il serait au moins un peu plus utile dans un combat.

« Tu es Loki Leevahl, n’est-ce pas ? Mon nom est Buhon, le chef de la noble famille Moretruo. J’ai fait tout le chemin depuis Halcapdia pour t’apporter une offre que, j’en suis sûr, tu trouveras favorable. »

Il avait choisi de se tenir au bout de la table, obligeant la petite Loki à lever les yeux vers lui depuis son siège, mais il n’était lui-même pas si grand. Ainsi, la main qu’il tendait à Loki n’atteignait pas plus haut que sa poitrine.

Le bruit du métal frottant contre le métal avait résonné dans sa main. En la regardant, elle avait vu un étalage criard de bagues sur chacun de ses gros doigts.

Loki regarda l’homme sans expression. Alors qu’elle le faisait, son regard grossier tomba sur son visage et descendit sur son cou, puis sur sa poitrine, et enfin sur ses jambes. Elle eut du mal à supporter son regard vulgaire et serra inconsciemment le pendentif qui pendait à son cou. Il était muni d’une gemme sombre, et il lui avait été offert par Alus dans le passé.

Sans se soucier le moins du monde de ses sentiments, l’homme avait prononcé son nom de manière grossière. Sa bouche s’était tordue en un affreux sourire, c’était suffisant pour savoir ce qu’il pensait. Il avait fini par interpréter le manque de réaction de Loki comme le fait qu’elle ne voulait pas lui serrer la main. Il avait calmement haussé les épaules et s’était tourné vers le majordome derrière lui.

Loki avait l’impression que tout ce que faisait l’homme était exagéré, et comme il s’était approché d’elle, son environnement semblait être devenu encore plus bruyant. Il s’était fait appeler Buhon, mais ce n’était pas un nom dont elle se souvenait. Cela dit, elle ne connaissait qu’une poignée de noms de nobles. Cela n’avait pas vraiment d’importance, car pour elle, ils étaient tous identiques.

En vérité, si Alus était autant sollicité, c’était en grande partie à cause d’eux. Un jeune magicien d’origine inconnue qui accomplissait une chose après l’autre attirait forcément l’attention, mais aussi le harcèlement. Et comme il était en quelque sorte le bras droit du gouverneur général, qui n’apparaissait que rarement en public, Alus ne pouvait qu’attirer encore plus de personnes qui n’avaient pas une bonne opinion de lui. Surtout avec les personnes qui avaient atteint le sommet pour des raisons indépendantes de leur volonté, comme l’utilisation de leurs privilèges de noble.

Bien que le gouverneur général ait le dernier mot sur les questions militaires, il ne pouvait pas ignorer toutes les demandes égoïstes des nobles. Si les militaires se déchiraient à cause de cela, ils ne pourraient pas se concentrer sur la lutte contre les Mamonos. Sans compter qu’il y avait une certaine raison derrière leurs demandes. Laisser un puissant magiciens s’amuser comme bon lui semble ne serait pas dans l’intérêt national, alors que mettre cette puissance au service de la reconquête d’un maximum de territoires le serait.

De plus, même s’il voulait plus d’alliés en dehors du gouverneur général, très peu de gens connaissaient Alus. C’était en partie à cause de la nécessité de garder ses pouvoirs confidentiels, et en partie parce que lui-même le voulait ainsi. En tout cas, avec ce raisonnement, Loki n’aimait pas la noblesse.

Elle avait l’impression que cette « offre favorable » de Buhon ne valait même pas la peine d’être écoutée, mais il semblait prendre son silence pour une confirmation qu’elle voulait l’entendre.

« J’ai pris la liberté de m’intéresser à toi. Tu es encore jeune, mais avec tant de pouvoir, je pense donc que tu as suffisamment de qualités pour te marier dans ma famille. Mon fils a vingt-trois ans, mais la différence d’âge n’a rien d’inquiétant. Nous te prendrons comme première épouse. Si tu donnes naissance à un héritier d’ici quelques années, notre avenir sera assuré. J’ai aussi des relations dans l’armée, donc si tu veux des promotions rapides, cela peut être arrangé. C’est une bonne affaire pour toi, ne le penses-tu pas ? »

Sa bouche vulgaire était restée ouverte tandis qu’il la regardait de haut en bas, ses yeux se posant finalement sur son visage. « Et je suis sûr que mon fils se plaira à ta beauté… »

C’était presque comme s’il disait qu’il la prendrait lui-même comme épouse s’il avait dix ans de moins. Il la regardait comme si elle était une poupée à vendre dans un magasin, faisant courir son regard lubrique de son visage à sa clavicule, à ses seins, et s’arrêtant sur ses cuisses.

Loki laissa échapper un lourd soupir, souhaitant que l’homme devant elle soit plutôt un Mamono. En même temps, elle s’était dit que quelqu’un comme lui serait utile pour se débarrasser une bonne fois pour toutes des regards des curieux. « Je ne m’intéresse pas à vous, mais ne savez-vous pas que j’ai un partenaire ? »

« Hmph ! Peu importe de qui tu es la partenaire. Ne t’inquiète pas, je m’assurerai de te libérer immédiatement de cette stupide contrainte. Ce serait une affaire insignifiante pour la famille Moretruo. »

L’expression de Loki avait changé à ces mots. Son visage, qui était resté sans expression, se tordait maintenant en un regard d’indignation et de dédain. Il ne savait pas du tout combien de temps elle avait travaillé pour réaliser son rêve. Et il l’avait même rejeté comme une « stupide contrainte ». Allant même jusqu’à dire qu’il la libérerait de lui !

« — Ahh !! » Prenant de plein fouet l’intention meurtrière de Loki, Buhon tressaillit. Le majordome derrière lui regardait avec étonnement, sans bouger d’un pouce. Cependant, presque personne à part Buhon et son majordome ne remarqua le changement chez Loki. Et qui pourrait les en blâmer ? Il était difficile d’imaginer ce genre d’intention venant de la petite fille.

Buhon avait des sueurs froides, et ses lèvres tremblaient. Loki le regarda fixement et dit tranquillement : « Ce n’est pas quelque chose que vous pourriez faire. Et si vous insistez, êtes-vous prêt à mettre votre vie en jeu ? Voulez-vous que j’épouse un porc qui ne peut que se faire plaisir ? C’est une blague… Je suis sûr qu’il y a du bétail quelque part qui convient pour épouser le fils d’un cochon. »

« T-T-Toi, petite - ! ! Ne me fais pas le coup de la langue de bois, petite morveuse ! Tu ne t’en sortiras pas facilement en me lançant de telles insultes !! »

« Il semblerait que vous compreniez le langage humain, alors laissez-moi vous le redemander… Êtes-vous prêt à risquer votre vie ? » Loki ne faisait que dire la vérité. Pour elle, annuler son partenariat avec Alus reviendrait à perdre sa vie.

« C’est ridicule ! La vie d’un simple magicien novice n’aura jamais autant de valeur que la mienne. Pour qui te prends-tu ? J’étais en train d’offrir généreusement de t’accueillir… mais j’ai changé d’avis maintenant. Il semble que je doive te montrer qui est le vrai bétail. »

Elle peut sembler mature, mais au bout du compte, ce n’est qu’une enfant ignorante, pensa Buhon en faisant signe au majordome dans son dos. Comprenant ses intentions, le majordome s’était rapproché.

« Tu peux faire ce que tu veux… il faut juste capturer cette fille. Tu connais la suite. J’ai déjà enquêté sur toi, » continua Buhon en se tournant vers Loki. « Tu es toute seule, et il n’y a personne pour te sauver… et même si c’était le cas… »

« Compris. Je vais faire les préparatifs tout de suite. » Le majordome s’inclina devant son maître, et au moment où il se redressa —

« C’est une discussion qui a l’air terriblement violente. »

« … !! »

« Si je devais emprunter vos propres mots, vous êtes très puéril envers un simple étudiant, Seigneur Moretruo. Cette fête est destinée à célébrer les vainqueurs du tournoi. Et qu’aviez-vous l’intention de faire dans un endroit comme celui-ci ? Il semblerait que vous ayez l’intention d’être tout à fait scandaleux dans cette fête organisée par les souverains. Vous êtes passé d’Alpha à Halcapdia, et maintenant il semble que vous soyez dos au mur. » La femme souriante — Frose — ne montra aucun signe d’hésitation face à l’intention meurtrière toujours présente chez Loki, alors qu’elle s’avançait.

Quand il l’avait vue, Buhon avait fait claquer sa langue avec une expression amère. « … La mégère des Fables. »

Loki avait été convaincue dès qu’elle avait entendu le nom. Pas étonnant qu’elle lui soit familière. C’était la mère de la rousse dont s’occupait Alus. En même temps, elle trouvait qu’elle avait l’air un peu trop jeune pour être sa mère.

« Oh mon dieu, donc vous vous souvenez encore de moi. Mais si vous êtes ici, cela signifie que vous n’êtes pas encore complètement tombé en ruine. »

« Quelle impudence ! »

« Mais vous êtes devenu décrépit… et vous mettez votre incompétence en évidence. »

La situation semblait potentiellement explosive, mais les deux parties savaient qu’elles ne faisaient que parler. Ils n’étaient pas assez fous pour s’affronter ici, et leur échange de mots vifs ressemblait plus à une partie de cartes.

La famille Moretruo n’avait pour elle qu’une lignée, car son histoire était relativement profonde pour la noblesse. De ce fait, ils avaient une forte fixation sur le lignage, typique des familles nobles traditionnelles.

☆☆☆

Partie 6

Ils étaient en retard sur leur temps, mais il y avait une raison à cela. La famille était originaire d’Alpha, et avait été assez influente dans le passé, mais leur pouvoir s’était affaibli après des décennies sans produire d’excellents magiciens. Sans pouvoir sauver les apparences en tant que nobles, ils avaient un feu allumé sous eux. De plus, le rang de Buhon en tant que magiciens avait baissé depuis cette époque, mais à l’époque il avait dirigé quelques escouades, et finalement une compagnie.

À cette époque, il était en concurrence avec Frose pour le poste de commandant. Cependant, Buhon avait fini par ne plus se voir confier de postes importants après avoir échoué à produire les mêmes résultats que Frose.

C’était il y a quelques décennies… ce qui signifie que ce n’était nul autre que Frose qui avait accéléré la chute de la famille Moretruo.

Finalement, les réalisations mineures de la famille avaient attiré l’attention d’Halcapdia, et ils avaient déménagé là-bas, comme s’ils fuyaient. C’est pourquoi ils étaient obsédés par l’apport d’un fort sang de magiciens dans leur lignée.

« Tsk… Je n’ai pas le temps de m’occuper de vous. De toute façon, j’étais occupé avec cette fille… »

« Oh ? Mais je ne peux pas laisser passer ça, vous voyez. Mme Loki est l’amie de ma fille… sans compter qu’elle sera importante pour l’avenir d’Alpha. »

« Où voulez-vous en venir ? »

Frose avait balayé d’un revers de main le regard de Moretruo. « Oh, mon cher. Êtes-vous devenu sénile avec les années ? Ne comprenez-vous pas que l’autorité de la famille Moretruo appartient au passé… en d’autres termes, je peux vous écraser sous mon pouce. »

« … Urk ! » Buhon baissa les yeux, serrant le poing alors que son corps tremblait, retenant sa colère. Mais cela ne changeait rien à la réalité. La famille Fable était l’une des trois familles les plus influentes d’Alpha, et il ne serait pas impossible pour eux d’écraser sa famille.

Cependant — « M-Mais elle n’est qu’une simple fille, pourquoi la famille Fable irait-elle si loin pour la soutenir ? Qu’est-ce que vous y gagnez ? Si vous me la remettez, je… »

« Pourquoi n’essayez-vous pas ? »

« Excusez-moi ? »

« J’ai dit — essayez juste. Mais vous devrez être prêt à ce que votre famille ne se relève jamais, y compris votre fils ou ses descendants. »

« … » Buhon grinçait des dents face à ces humiliations répétées. Mais cela ne dura que quelques secondes. « Nous partons ! !! » Alors qu’il s’en allait en s’ébrouant, le majordome s’empressa de le suivre.

Les nobles qui avaient regardé fixaient toujours Frose. Sa voix claire avait résonné dans la salle de bal. « Désolée pour l’agitation, » dit-elle avec un sourire d’excuse. « Je suis sûre que vous aimeriez tous transmettre vos félicitations à Mme Loki, mais elle ne s’est pas encore complètement remise de son match, alors je crois qu’il serait préférable de vous retenir, » avait-elle ajouté, s’assurant que tout le monde n’aurait pas d’autre choix que de l’accepter.

Certains soupçonnaient Frose de vouloir devancer les autres familles pour prendre Loki pour elle, mais tout le monde savait qu’elle n’avait pas de fils. Donc, même s’ils ne pouvaient pas l’accepter, personne ne s’était plaint directement… bien sûr, c’était aussi en partie parce qu’ils avaient réalisé à quel point ce serait un acte imprudent.

Loki avait toujours une expression de colère, montrant clairement qu’elle n’allait pas accepter ce genre de sujet le moins du monde. Ainsi, assez rapidement, les nobles autour de Loki avaient disparu, faisant leur chemin ailleurs.

Après avoir confirmé qu’elles étaient seules, Frose s’était tournée vers Loki. « Encore une fois, c’est un plaisir de vous rencontrer… Mademoiselle Loki. »

« Non, le plaisir est pour moi. Merci de votre aide, Votre Excellence. » Se souvenant de la position que Frose avait occupée dans le passé, Loki s’était assuré de s’adresser à elle avec respect.

Cependant, Frose était un peu décontenancée par ses manières. Elle avait été appelée ainsi par ses élèves lorsqu’elle était instructrice, mais elle avait rendu son titre lorsqu’elle avait quitté l’armée. Maintenant, elle n’était plus que la chef de la famille Fable. « C’est ainsi que l’on s’adressait à moi dans le passé. Vous pouvez vous sentir libre de vous adresser à moi comme vous le souhaitez. »

« Je comprends, Mme Frose. »

Frose avait une opinion différente de celle qu’elle avait d’Alus sur cette fille aux cheveux argentés. Elle avait une attitude civile, ce qui était plus le résultat du fait qu’elle était sur la défensive. Le mur épais qu’elle dressait empêchait quiconque de s’approcher d’elle. « Pourtant, vous devriez vous retenir un peu plus. Il y a beaucoup de nobles qui sont rusés et de mauvaise humeur… d’ailleurs, selon les circonstances, cela pourrait même causer des ennuis à Monsieur Alus. »

« … ! ! J’ai été négligente. Il semblerait que je n’ai pas géré les choses calmement. Merci pour le conseil. » Loki hésita en réalisant que Frose était au courant de sa relation avec Alus, mais bon, elle était une ancienne militaire, il ne serait donc pas étrange qu’elle ait appris cette petite information.

Elle avait remercié Frose une fois de plus en s’inclinant, l’observant attentivement tandis qu’elle lui rendait son salut. Mais elle ne pouvait pas sentir de complot ou de machination. Elle avait été sur ses gardes au début puisqu’il s’agissait de la mère de Tesfia, mais il semblerait que Frose soit une personne digne de confiance.

« Il n’y a pas besoin de remerciements, » lui dit Frose, en tendant un verre à Loki. A l’intérieur se trouvait ce qui ressemblait à de l’eau gazeuse mélangée à du jus de fruit. Il était également réfrigéré.

Loki se mit à le boire d’un trait, comme si elle regrettait d’avoir bêtement laissé ses émotions prendre le dessus auparavant. C’était la chose parfaite pour refroidir sa tête brûlante. S’il n’y avait pas eu Frose, elle se serait déchaînée et aurait causé des problèmes à Alus.

Elle avait clairement compris les causes sous-jacentes de sa gaffe. Ce n’était pas de la rage, mais il y avait une frustration incontrôlable à sa base. Même maintenant, l’homme qu’elle voulait servir était loin, en mission dans le Monde Extérieur. Cette mission était probablement beaucoup plus difficile que d’habitude. Et pourtant, elle se trouvait dans un endroit comme celui-ci.

Un sentiment insupportable s’était accumulé dans sa poitrine. Elle avait englouti le contenu du verre comme pour le faire redescendre. Quand elle avait poussé un soupir, elle s’était empressée d’y mettre fin et de se couvrir la bouche. Elle avait vu que Frose avait l’air de pouvoir sourire à tout moment, alors elle avait rapidement corrigé sa posture.

« C’est un plaisir de vous rencontrer. Mon nom est Loki Leevahl, » dit Loki en se présentant, et elles se serrèrent la main. En tenant la main de Frose, Loki avait réalisé qu’elle n’était pas aussi gracieuse et délicate qu’elle l’avait imaginé. Au lieu de cela, elle avait senti des traces claires de son entraînement rigide, reconnaissant que Frose était quelqu’un qui savait ce qu’était une vraie bataille.

Assez ironiquement, cette sensation avait fait que Loki avait fait remonter sa garde baissée. Même si Frose ne donnait pas une mauvaise impression, elle était tout de même une noble influente, c’est pourquoi Loki avait reconsidéré le fait de lui faire confiance si facilement. Sans oublier que c’était seulement leur première rencontre. Il était trop tôt pour juger son caractère à partir d’un seul incident jusqu’à présent.

Elle avait entendu les détails des circonstances de Tesfia de la part d’Alus, mais ces derniers mois, Loki avait l’impression d’être un peu trop tendre avec les autres. Il trouvait des raisons de s’occuper de Tesfia et d’Alice, mais elle trouvait cela lamentable. Alors, si la mère de Tesfia allait essayer de le mêler encore plus à leur situation, ce serait à Loki de la secouer. A partir de maintenant, elle devait gérer Frose calmement, voir clair dans ses véritables intentions, et choisir soigneusement ses mots.

Mais il semblerait que Frose avait compris la prudence de Loki, car elle haussa les épaules et ouvrit la bouche pour parler. « Vous n’avez pas besoin d’être si vigilante. Je suis seulement venue ici pour regarder les matchs et féliciter l’ami de ma fille qui a travaillé si dur. »

« … Je suis juste la remplaçant d’Al, » dit Loki prudemment.

« … C’est vrai. Mais votre match était vraiment digne d’éloges. Vous avez fait un sacré spectacle, et si vous n’aviez pas été blessée, je suis sûre que vous auriez remporté la victoire. »

« C’était le résultat de ma propre inexpérience. »

« Je vois que vous êtes modeste. En tout cas, sans cette victoire, la victoire du Second Institut de Magie aurait été remise en question. C’était vraiment un match magnifique. »

« Merci beaucoup. » Bien que méfiant à l’égard des louanges de Frose, Loki les accepta honnêtement.

« Sans compter que… vous vous occupez toujours de ma fille. »

« Pas du tout. C’est quelque chose que Si… Al a décidé. »

Frose avait regardé Loki se corriger avec un sourire chaleureux. « Il semble qu’elle reçoive beaucoup d’aide de Monsieur Alus, et de vous. Cette fille a été bénie avec du talent, mais ce n’est pas suffisant en soi. Fia est devenue tellement plus forte en quelques mois seulement depuis qu’elle s’est inscrite ici. Elle a travaillé dur, mais c’est aussi grâce à Alice, ainsi qu’à vous et à Monsieur Alus, alors merci. »

« Le talent, c’est… ? » Loki répéta.

« Oui, c’est vrai. Il y a beaucoup de travail, mais le talent est important. Et c’est parce que vous l’avez que vous avez le rang que vous avez, non ? »

« Je ne pense pas que ce soit exact. Le classement n’en est qu’une facette. Il ne vous servira à rien dans le monde extérieur. Ni Al ni moi n’accordons beaucoup d’importance à nos grades. Vous devez compter sur votre expérience pour survivre. Ce n’est pas parce que vous avez du talent que vous pouvez survivre longtemps. C’est pourquoi ce qu’Al leur enseigne n’est pas le truc pour augmenter leurs rangs, mais comment vaincre les Mamonos. »

Sa réponse était un témoignage éloquent de son passé. C’était des mots puissants qui avaient été prononcés — non pas par un simple étudiant ou un novice — mais par l’expérience personnelle de quelqu’un qui avait vécu de nombreuses batailles.

Frose l’avait encouragée, comme pour la tester. « N’est-ce pas la même chose que d’être fort ? »

« Ce n’est pas le cas. Être fort vous aidera certainement à rester en vie. Mais ça ne fonctionnera pas éternellement… Je suis sûre que vous êtes au courant de cela, mais…, » En observant l’expression de Frose pendant qu’elle répondait, Loki réalisa que Frose l’interrogeait alors qu’elle connaissait probablement déjà le passé de Loki, et peut-être même celui d’Alus. Si c’était le cas, il n’y avait pas beaucoup d’intérêt à garder la façade sur sa relation avec Alus.

De plus, il était clair, d’après l’expression de Frose, qu’elle était déjà bien consciente de ce que Loki était sur le point de dire. N’importe quel militaire l’aurait dit lui-même. Mais même ainsi, elle devait avoir voulu entendre Loki le dire de toute façon.

☆☆☆

Partie 7

Alors Loki avait continué à parler. « Il est plus important de comprendre les Mamonos pour pouvoir les éliminer plus efficacement et rationnellement. Atteindre ce niveau signifie être capable de se débrouiller dans n’importe quelle situation. Connaître et évaluer correctement ses limites permet aussi de ne pas être trop sûr de soi. »

Loki se souvenait des mots d’Alus, et parla prudemment, comme si elle y réfléchissait à nouveau. « Après tout, seuls ceux qui peuvent survivre peuvent atteindre le sommet de tous les magiciens. »

Les yeux de Frose s’ouvrirent un instant de surprise, avant de se rétrécir, et elle sourit comme si elle était impressionnée. Franchement, elle était étonnée de voir quelqu’un d’aussi jeune arriver aussi loin. Il est vrai que plus le magicien était compétent, moins il faisait une fixation sur son rang. C’était parce qu’ils comprenaient la vraie force dont parlait Loki.

La conclusion à laquelle elle était parvenue était probablement vraie d’un point de vue pragmatique. Mais l’état du monde qu’elle indiquait était déséquilibré. La vérité seule n’était pas suffisante pour survivre. Vous ne seriez pas capable d’équilibrer la vie dans les mondes intérieur et extérieur comme ça. L’affirmation de Loki était forte et puissante, mais en même temps, ce n’était pas toute la vérité.

« … C’est vrai. » Bien que Loki soit jeune et immature, ses mots avaient touché Frose. Sa légère hésitation était due à cela. En même temps, Frose avait le sentiment qu’elle vieillissait.

Pendant ce temps, Loki avait ressenti quelque chose d’inattendu en regardant Frose. Malgré ce qu’elle avait dit, elle comprenait aussi le système hiérarchique actuel et le classement des magiciens, et ne pouvait nier que l’évaluation standard était une partie fondamentale de ce monde. Alors qu’elle et Alus n’y adhéraient pas, il y avait ceux qui le faisaient. Cette position était bien sûr influencée par Alus, mais maintenant elle l’avait accepté pour elle-même, et la considérait comme correcte.

Pourtant, pour une raison inconnue, Frose avait une expression de choc — comme si elle venait de réaliser quelque chose.

Le silence avait rempli l’espace entre elles pendant quelques instants, jusqu’à ce que Frose relance la conversation, mais dans une toute autre direction. « Alors, savez-vous quelque chose sur la disparition de Monsieur Alus au milieu du tournoi ? J’ai entendu dire qu’il avait des affaires à régler. »

Loki avait été surprise par ce changement soudain, mais elle avait pensé que Frose avait décidé que leur sujet de discussion précédent était terminé. Mais voici la question qu’elle attendait.

En réfléchissant à la façon de répondre, Loki avait imaginé plusieurs possibilités différentes dans sa tête. Il est probable que l’information ait été divulguée par Tesfia ou Alice. Cependant, elle leur avait seulement dit que c’était une mission. Alors dire que c’était une fuite était peut-être un peu exagéré. Mais vu les circonstances, il aurait peut-être été préférable de ne rien dire à ces deux-là.

Je vais devoir reconsidérer ce que je dis à Mlle Tesfia et Mlle Alice sur les sujets importants… Ou peut-être devrait-elle leur apprendre ce que le mot « confidentiel » signifie vraiment. Je suppose que c’est ma faute pour avoir été négligente.

En tout cas, on pouvait supposer que Frose avait déjà quelques informations, même si on ne savait pas si elle savait que Lettie y prenait part aussi. « Oui, il a eu une mission urgente et a dû partir… » Finalement, Loki avait décidé d’affirmer ce que Frose savait déjà. Si elle devait dire qu’elle n’en avait pas la moindre idée, cela ne semblerait pas naturel, vu qu’elle était sa partenaire. Et considérant leurs interactions jusqu’à présent, elle ne pensait pas que Frose reculerait devant une réponse improvisée.

« C’est vraiment dommage. J’aurais aimé lui parler à nouveau. »

« Je suis désolée. »

« C’est bon. C’est quelque chose qui arrive. Dans l’armée, on n’a après tout pratiquement pas de temps libre. Mais si c’est une mission, pourquoi sa partenaire ne l’accompagnerait-elle pas ? C’est le but d’un partenaire, n’est-ce pas ? »

Frose avait dit cela d’un ton nonchalant, mais les mots avaient transpercé le cœur de Loki. Elle était restée derrière sur ses ordres, mais cela allait à l’encontre du but d’un partenaire. C’est pourquoi elle se sentait aussi seule.

Le malaise de Loki mis à part, le comportement de Frose était décontracté, comme s’il posait simplement la question qui lui venait à l’esprit.

« Le fait que deux participants quittent le tournoi aurait vraiment nui au Second Institut de Magie. Et je suis restée derrière sur les instructions d’Al. »

« … C’est faux. »

« … Que dites-vous ? » Les mots soudains de Frose avaient fait que Loki avait fixé la femme souriante.

« Si ça vous convient, alors c’est comme ça. Mais un partenaire, c’est plus qu’un simple pion. Et vous n’êtes pas qu’une poupée qui obéit aux ordres, n’est-ce pas ? »

« Je serais d’accord avec ça ! Sans compter que je suis aussi une étudiante. »

« Je vois… mais vous êtes toujours un humain, donc vous ne pourriez pas devenir pleinement une poupée. » Le regard de Frose semblait voir à travers tout, et ses mots avaient jeté la contrainte mentale de Loki dans une boucle.

« … Madame Frose, vous ne pouvez dire cela que parce que vous ne savez rien ! » Frose ne savait rien des raisons pour lesquelles Loki avait décidé de devenir la partenaire d’Alus, ni de son parcours pour y parvenir. Rien que cela représentait le monde pour Loki… alors quelqu’un qui ne savait rien n’avait pas le droit de dire quoi que ce soit ! Même si elle savait que c’était stupide, elle se retrouvait à s’énerver.

Et elle en connaissait la raison. Même si Frose ne connaissait pas toute l’histoire, elle avait impitoyablement souligné l’essence du mécontentement de Loki. C’est pourquoi elle s’était retrouvée à riposter, en criant instinctivement des mots de colère.

Mais l’expression de Frose était restée inchangée. Elle se contenta de hausser les épaules et de soupirer, comme pour dire que Loki n’était pas de tout repos. « C’est vrai, ce n’est peut-être pas mes affaires. Mais je peux voir un malaise à cause de cela. Si vous êtes satisfaite, alors c’est parfait. Un partenariat est juste un type de division des rôles. Obéir aux ordres de l’autre est correct dans un sens. Mais vous n’êtes pas satisfaite de cela, n’est-ce pas ? »

 

 

« … !! »

« C’est partout sur votre visage. » Avant que Loki puisse demander comment elle le savait, Frose lui avait répondu.

C’était vraiment comme si elle pouvait voir à travers elle. Loki était incapable de trouver quoi répondre. Et chacun des mots de Frose était une poussée puissante qui frappait son cœur. En conséquence, la garde qu’elle maintenait pour protéger ses véritables intentions avait été enlevée, la laissant sans défense devant Frose.

« Je suis peut-être à la retraite, mais j’ai été dans l’armée pendant longtemps. Alors voici quelques conseils. Les magiciens ne sont que des humains. Ils ont des sentiments qu’ils ne peuvent pas non plus retenir. Et à la fin, c’est à vous de décider si vous voulez continuer à tuer vos émotions ou essayer de les satisfaire. Mais laissez-moi vous dire ceci. L’endurance est parfois nécessaire, mais n’avez-vous pas été endurante tout ce temps ? »

« C-C’est… Mais… »

« Ne pensez-vous pas qu’il serait bon de ne pas renoncer à certaines choses ? À votre manière… que vous pouvez vous-même accepter ? Cela vous rendrait plus attirante en tant que femme. »

Son doux sourire et ses mots justes avaient fait bondir le cœur de Loki. En même temps, les sentiments qu’elle avait scellés au fond de son cœur avaient commencé à s’agiter.

« Mais je… En plus, il a promis que la prochaine fois… » Loki marmonnait des morceaux fragmentés, des morceaux de phrase brisée. Ses yeux papillonnaient autour d’elle alors qu’elle cherchait des excuses.

Elle pouvait fortement sentir l’hésitation en elle. C’était comme si son cœur rejetait ce que sa tête savait déjà. C’était comme si deux personnes s’affrontaient à l’intérieur d’elle.

Frose pouvait facilement deviner l’émotion que la petite fille en face d’elle retenait. Interpellant un serveur qui passait, elle posa son verre vide sur le plateau d’argent. « Vous êtes son quoi ? Et c’est quoi cette “prochaine fois” ? »

« … !! » Loki avait une expression choquée. Elle sentit quelque chose éclater dans sa poitrine. Je suis son quoi ? Je suis juste sa partenaire… non, ce n’est pas ça. C’est juste une excuse. C’est un rôle pratique, comme dans un drame. C’est quand la prochaine fois ? Quand sera la prochaine fois… mais puis-je vraiment en demander plus ?

Secouant la tête dans ses pensées, Loki murmura comme si elle traçait un problème difficile sans solution, « La prochaine fois… »

C’était quelque chose qu’elle savait déjà. Quelque chose qu’elle avait réalisé il y a longtemps. Mais le mettre en mots lui semblait étrangement déplacé. C’était comme deux engrenages qui, au lieu de s’engrener, tournaient séparément l’un de l’autre. Comme si ses mots n’étaient que de la logique stérile… comme si ses sentiments tournaient en rond.

La prochaine fois, ce sera… ! ! Mais…, Même à ce moment-là, il y avait de l’hésitation dans les yeux de Loki. Son instinct lui disait d’être honnête avec ses désirs, tandis que son côté raisonneur lui disait que c’était de l’égoïsme. Les deux côtés d’elle étaient en compétition pour prendre le dessus. En conséquence, elle était figée sur place.

Frose ne pouvait pas supporter de regarder, et, soupirant, avait décidé de ne pas mâcher ses mots. « Vous êtes vraiment une poignée. Vous êtes encore jeune, alors agissez d’abord et réfléchissez ensuite ! » Au même moment, la main blanche de Frose s’était rapidement déplacée vers la poitrine de Loki, ses doigts fins touchant presque le pendentif de lumière noire qu’elle avait reçu d’Alus.

L’instant d’après, la main de Frose s’était déplacée vers l’épaule de Loki, faisant tourner son petit corps et lui donnant une légère poussée dans le dos.

Faisant quelques pas en avant, Loki regarda en arrière avec surprise. Son hésitation montrait son indécision, comme si elle demandait si elle pouvait faire ce qu’elle voulait. Pour être honnête, Loki ne voulait pas quitter Alus, même pour une seconde. Mais ayant été dans le Monde Extérieur, elle le savait déjà. Ceux qui étaient indécis n’étaient qu’un obstacle sur le champ de bataille. Il était clair que le résultat serait le même si on emmenait quelqu’un comme ça dans le Monde Extérieur.

« … Merci beaucoup. Je vais y réfléchir de mon côté. »

« Réfléchir, c’est ça ? J’espère juste que vous vous en rendiez compte. Mais quand même, le titre de magiciens peut être un obstacle dans des moments comme ceux-ci. »

Loki s’était inclinée profondément devant Frose et s’était tournée pour quitter la salle de bal.

C’est à ce moment que Frose lui avait lancé un appel dans le dos, « Ne vous inquiétez pas pour la fête, je vais arranger les choses ici. Mais… » Elle avait vu que Loki regardait seulement la sortie. « Vous oubliez vos blessures… » Frose avait continué, mais ses mots n’avaient jamais atteint Loki, qui s’était précipitée vers la porte avec un regard troublé sur son visage.

Frose avait prévu de repousser les nobles en utilisant les blessures de Loki comme excuse, alors elle voulait au moins l’aider à sauver la face. Alors que ces pensées traversaient son esprit, le petit dos avait déjà disparu de la salle de bal.

☆☆☆

Partie 8

Loki avait trop vu le Monde Extérieur pour pouvoir vivre dans un monde glamour et doux plus approprié pour une fille de son âge. En fait, beaucoup trop. Elle s’était mélangée aux adultes depuis sa jeunesse, passant chaque jour à se battre en tant que magiciens et à accumuler les succès. Et même maintenant, elle pourrait ne pas être capable de redevenir complètement une enfant.

En sortant de la salle, Loki avait laissé derrière elle des nobles qui la regardaient fixement, l’air stupéfait. C’était un moment gênant, et Frose avait mis sa main sur sa bouche et avait laissé échapper un rire forcé pour l’adoucir. Pour l’instant, elle leur avait dit que Loki ne se sentait toujours pas bien après son match et qu’elle retournait dans sa chambre.

Peu après, la voix légèrement rauque d’un homme interpella Frose de derrière elle. « Maître Frose, pourquoi aider l’ennemi… vous savez qu’elle est… »

« C’est vrai. J’allais justement la saluer… Peut-être que je deviens vieille, Selva. »

« Non, peut-être êtes-vous retournée à votre jeunesse. Quand vous étiez à un âge plus troublant… en retournant à une innocence enfantine. »

Frose jeta un regard au vieux majordome en tordant la joue, avant de soupirer comme si elle abandonnait quelque chose. Le fait que Loki lui ait dit que le rang n’avait aucune valeur lui avait rappelé qu’elle avait plus ou moins compris la même chose lorsqu’elle se tenait sur le champ de bataille.

Mais après avoir laissé l’armée et les combats derrière elle, elle s’était retrouvée empoisonnée par l’importance accordée au classement, si répandue dans la noblesse. C’était pathétique.

Il est vrai que le classement était un indicateur établi de la position d’un magicien. C’était une vérité inévitable. Seuls ceux qui avaient prouvé leur force et atteint un certain niveau l’avaient. Seuls ceux qui avaient le rang pour les soutenir étaient convaincants.

Cependant, un rang ne pouvait jamais devenir la raison d’être d’une personne. Et c’est une jeune fille qui l’avait rappelé à Frose. C’est pourquoi elle avait donné à la rivale amoureuse de sa fille un conseil qu’elle n’avait pas à donner.

Du moins, c’est ce que Frose pensait, mais le commentaire de Selva sur l’innocence enfantine lui avait fait réaliser un autre motif en elle.

Elle avait pensé à son passé en disant : « Eh bien, je n’ai pas pu m’empêcher de voir quelqu’un avec des sentiments aussi sincères. Quelqu’un de si habitué au monde qui est encore capable d’avoir des sentiments si passionnés. C’est une chose merveilleuse. »

« C’est ainsi. »

En voyant le sourire significatif de Selva, Frose était soudainement devenue silencieuse. Elle avait compris quelque chose. Les mots qu’elle avait dits à Loki n’étaient pas seulement destinés à elle. En fait, c’est elle qui avait regretté d’avoir enduré trop longtemps, car à la fin elle avait perdu son mari. Cela pesait lourdement sur elle, même maintenant.

Garder les sentiments en dehors des missions était un bon sens dans l’armée. Mais à l’époque… personne ne savait ce qui allait se passer, alors elle aurait dû agir, même si ce n’était qu’en fonction de ses émotions.

Comme pour se débarrasser de la sentimentalité de ces événements lointains, Frose afficha un petit sourire et murmura : « Quand même… même pour quelqu’un qui a grandi dans l’armée, cette fille est trop maladroite ». On pouvait en dire autant d’Alus, mais elle avait plus ou moins compris que les circonstances étaient différentes pour lui. « J’espère juste que la volonté de combat de Fia est aussi forte. »

« Parfois, il faut être patient. Je suis sûr que la jeune fille y parviendra. »

Jetant un coup d’œil à Selva, Frose choisit de lâcher une déclaration explosive. « Selva, si la famille Fable cesse un jour de faire partie de la noblesse… »

« Je vous servirais jusqu’à ce que je ne puisse plus bouger. La jeune fille est comme ma petite-fille, je n’abandonnerais jamais ce travail », dit Selva en riant, la barbe tremblante.

En voyant son expression, il semblait que la bombe de Frose soit un échec. Elle l’avait silencieusement remercié.

Alors qu’elle commençait à marcher, elle avait vu sa fille au loin. « En fin de compte, ce serait une erreur pour quiconque, à part la personne concernée, de décider de son avenir. Cela pourrait seulement finir par planter les graines du regret. Et si je faisais cela — Fia m’en voudrait vraiment. »

Frose pouvait être calculatrice, mais elle avait repensé à la question de l’avenir de sa fille et de son fiancé. Tesfia connaîtra-t-elle le succès en tant que magicienne, ou maintiendra-t-elle son apparence de noble… ? Peut-être qu’elle pourrait faire les deux.

Peut-être que la décision devrait être laissée à la fille plutôt qu’à la mère. Mais si elle y était autorisée, elle aimerait au moins donner un coup de main. Elle n’abandonnerait pas son rôle de mère jusqu’à ce que Tesfia prenne la tête de la famille. Jusqu’à ce que sa fille encore en pleine croissance puisse tout prendre en charge, Frose protégerait la famille. Bien qu’il semblerait qu’elle ait encore un long chemin à parcourir.

Son temps en tant que chef de famille avait été presque aussi très occupé que son temps dans l’armée. Mais en ce moment, les pas de Frose étaient légers, comme si elle était une enfant courant innocemment dans une prairie.

« Selva… Je suis contente que nous soyons venus. »

« Oui. »

☆☆☆

Laissant la salle de bal derrière lui, Loki s’était dirigée directement vers sa chambre d’hôtel comme s’il était poussé par quelque chose.

Elle s’était demandé un instant si elle aurait vraiment dû partir comme ça. Mais même si elle était restée, elle n’aurait été envahie que par des gens ennuyeux.

Elle avait fui un monde sans valeur. Mais c’était pour pouvoir plonger dans un monde plus significatif.

Loki n’était pas vraiment intéressée par le mariage, et ne l’avait jamais été. Plus important encore…

Elle avait poussé la carte-clé contre le lecteur en toute hâte, tirant la porte dès qu’elle avait entendu le son de déverrouillage et se précipitant à l’intérieur comme si elle était poursuivie par quelque chose. Les mots tournaient en rond dans sa tête, tous les mots de sagesse de Frose.

Loki s’était assise sur le lit, mettant sa tête dans ses mains et regardant ses jambes, profondément dans ses pensées. La sensation du matelas se repoussant contre son poids semblait envelopper doucement ses pensées.

C’est quelque chose qu’elle avait elle-même compris sans avoir besoin des mots de Frose. Ses sentiments pour Alus étaient juste de la gratitude à sens unique. Mais maintenant, elle avait été amenée à reconsidérer l’utilisation de sa vie.

Ce que Frose avait dit était probablement correct. Loki ne voulait pas causer de problèmes à Alus en prétendant que c’était pour son bien. Avec son manque de force en tant que magicienne, elle ne ferait que le gêner. En effet, il l’avait clairement dit.

La faible lumière de la pièce avait jeté une ombre profonde sur le visage de Loki. Elle avait pensé qu’elle serait capable d’apaiser son esprit si elle était seule, mais cela ne faisait que l’enfoncer davantage dans ses pensées.

La question qu’elle avait inconsciemment évitée refit surface dans son esprit. Dans quel but était-elle devenue sa partenaire ?

Loki était tombée sur le lit et avait enfoncé son visage dans l’oreiller. Après quelques secondes, elle s’en était relevée. « Ah, c’est vrai. Je me suis fait de fausses idées après avoir passé du temps à l’Institut avec Sire Alus…, » murmura-t-elle à personne en particulier. « J’avais l’impression erronée que cette vie, qui est censée se terminer quand mon rôle se termine, continuerait quand même. Cette vie en ce moment est simplement limitée dans le temps. Tout mon temps est destiné à Sire Alus, et pourtant… »

Dans son monologue, elle se reprochait son malentendu. Elle ne deviendrait jamais un obstacle. En repensant à l’ambiance autour d’Alus quand il était parti, elle avait compris que la mission qu’il avait devait être très difficile. S’il y avait un ennemi dans cette mission, il devait être assez redoutable.

Mais peu importe l’ennemi, elle pourrait sûrement être utile. En utilisant son propre corps comme bouclier, elle devrait au moins être capable de gagner quelques secondes. Et si sa vie insignifiante pouvait lui être utile…

La vie est éphémère et fragile, elle s’arrête facilement à un moment donné. Elle l’avait vu d’innombrables fois. Dans ce cas, la vie devait être utilisée au moment où elle peut briller le plus.

Et pour Loki — ce moment était pour le bien d’Alus. La façon dont il était utilisé n’avait pas vraiment d’importance, que ce soit comme un bouclier contre l’attaque d’un Mamono ou comme un pion sacrificiel. Elle voulait simplement utiliser cette vie qu’il avait sauvée pour son bien.

Elle ne s’en était pas souciée jusqu’à présent. « J’ai survécu et vécu jusqu’à présent pour le bien de Sire Alus. » Elle n’était pas à l’Institut pour vivre la jeunesse qu’elle n’avait jamais pu connaître, ni pour avoir une vie normale en dehors de l’armée. Loki n’avait qu’une raison d’être aux côtés d’Alus, et la seule façon de rembourser la grande dette qu’elle avait contractée était de donner sa propre vie.

Oui, si je peux lui être utile, je… Alus lui dirait sûrement qu’elle avait fait du bon travail. Il lui tapoterait la tête dans les derniers instants de sa vie… avec une telle fin, elle pourrait vraiment être en paix.

Cependant… « Haha. » Un rire un peu ironique s’échappa de ses lèvres. Il n’y avait aucune chance que cela arrive. Ce n’était qu’un fantasme égoïste. L’Alus qu’elle avait retrouvé à l’Institut était différent de celui de l’époque. Elle pouvait facilement le voir. Il n’allait pas la féliciter si elle se terminait de cette façon.

Pour l’instant, il… « Il m’a grondée pour avoir utilisé un tabou… donc il n’y a aucune chance qu’il me fasse des compliments. » Au lieu de cela, il serait probablement en colère contre elle pour avoir gaspillé sa vie inutilement.

Alors qu’est-ce qu’elle était censée faire ? Ne pas être utile était douloureux. Elle voulait juste être utile pour lui. Même si cela signifiait jeter sa vie en l’air comme un déchet…

Cependant…

Alors que Loki ruminait, ses yeux s’étaient posés sur la table. Sur le dessus se trouvait un sac militaire robuste, sans aucune trace de mignonnerie. Son objectif était clairement la fonction.

Les bords de quelques vêtements pliés dépassaient. C’était la réponse à tout. Elle n’en avait pas eu besoin pendant le tournoi, mais l’avait quand même apporté. À l’intérieur se trouvait son uniforme militaire habituel et de nombreux couteaux AWR qu’elle avait apportés depuis Alpha.

C’est ce que Loki comprenait le mieux. Elle se leva, et cessa d’essayer de retenir les sentiments qui débordaient d’elle. Elle avait tenu sa promesse. Alus ne pouvait pas se plaindre des résultats.

De plus… Loki prit une longue et profonde inspiration. Alors qu’elle le faisait, elle avait inconsciemment atteint sa poitrine, frottant la surface du pendentif rempli de mana sombre.

Après quelques instants, son humeur maussade s’était envolée sans laisser de trace. Elle n’hésitait plus pour ne pas avoir à se mentir, pour ne pas avoir de regrets. Ce qui lui faisait le plus peur, c’était de perdre l’occasion d’utiliser sa vie… de perdre la personne pour laquelle elle voulait l’utiliser.

☆☆☆

Chapitre 39 : Ce qui remue dans les profondeurs

Partie 1

Les membres de l’équipe s’étaient tous concentrés sur ce point.

Normalement, il faudrait s’en réjouir. Mais ils ne pouvaient s’empêcher de penser que c’était une erreur qu’il soit encore en vie dans le Monde Extérieur.

En entendant son nom par Lettie, Alus demanda : « Duncal est le Single de Balmes, n’est-ce pas ? »

« Oui. Je ne l’ai vu que quelques fois, mais regarde sa poitrine. »

À l’insistance de Lettie, Alus plissa ses yeux. Elle montrait la poitrine du manteau vert foncé déchiré qu’il portait. Le manteau était quelque peu similaire à l’uniforme d’Alpha, et sur la poitrine se trouvaient trois médailles sales.

« Elles ne sont pas très belles pour l’instant, mais ce sont les médailles que vous recevez à Balmes pour vos réalisations. Elles sont l’équivalent de la médaille Wilhelm d’Alpha. Et s’il les porte… »

« Cela signifie qu’il est plutôt accompli. »

« Ouais. Et un frimeur. »

Il devait avoir l’intention d’apporter des médailles pour aller combattre les Mamonos, mais avec ce retour cynique, Alus avait eu un aperçu de l’impression de Lettie sur Duncal. Il n’avait pas pris la peine d’insister davantage, mais il était probable que ce soit Duncal lui-même. La Médaille Wilhelm était la plus haute distinction d’Alpha, décernée pour de grandes contributions à la protection de la nation, à la reconquête du territoire, etc.

Bien sûr, Alus et Lettie avaient tous deux reçu la décoration, un honneur pour tout magicien. Mais lorsqu’il s’agissait de Balmes, ses médailles n’avaient pas autant de valeur que celles des autres nations. Balmes n’avait pas obtenu beaucoup de résultats au niveau national dans la bataille contre les Mamonos, et ils avaient une sorte de complexe d’infériorité, voulant être considérés comme égaux aux autres nations. Par conséquent, comme leurs Singles n’étaient pas à la hauteur, Balmes avait tendance à leur décerner des médailles pour des contributions encore moindres.

« Alors je suppose que nous devrons le confirmer, » dit Alus. Si c’était un piège, le moyen le plus rapide serait de lancer un appât et d’attirer leur cible.

Le problème était de savoir qui choisir. Ce n’est pas comme si je pouvais utiliser les membres de l’équipe de Lettie comme des pions sacrificiels. Alus avait rapidement décidé qu’il serait plus facile pour lui d’y aller.

D’abord, il avait utilisé une petite balle magique pour voir s’il obtenait une réponse. Avec un son doux, la petite balle vola directement jusqu’à l’épaule de Duncal. Mais comme prévu, il n’y avait eu aucune réaction.

Fronçant les sourcils, Alus regarda Rinne comme pour lui demander s’il était vraiment vivant. Elle lui répondit d’un signe de tête, son expression ne montrant aucun doute.

« Bien… Restez juste sur vos gardes, » dit-il à Lettie et Rinne. Puis, sortant courageusement des buissons, il se dirigea vers Duncal.

L’escouade l’avait regardé avec des expressions tendues. Un survivant normal aurait réagi d’une manière ou d’une autre au fait de se faire tirer dessus. Et avec Rinne disant qu’il était vivant, il était très probable que ce soit un piège comme Alus l’avait dit. Certains d’entre eux avaient serré le poing à l’idée que le commandant soit blessé.

La main sur la poignée de son AWR caché sous sa cape, Alus s’approcha de Duncal. « Je suis un magicien d’Alpha. Je vous ai trouvé au milieu d’une mission d’extermination. Vous êtes Duncal, le commandant de la première force d’extermination, est-ce bien ça ? »

Mais peut-être que Duncal ne l’avait pas entendu, car il n’y avait pas eu de réaction.

En se rapprochant encore plus, au point de pouvoir le toucher s’il le voulait vraiment, Alus avait pu entendre un son étrange.

Il avait d’abord pensé que c’était le bruit de la respiration. Si ça avait été une respiration rauque, il aurait pu le comprendre. Duncal aurait réagi à l’impact de la balle. Mais ce qu’il avait entendu était un son très profond et grave. Il était difficile d’imaginer que cela vienne d’un humain affaibli.

L’instant suivant, les sens aiguisés d’Alus avaient sonné une cloche d’alarme. Au moment même où il dégainait son AWR -

Le cou de Duncal s’était tordu de façon anormale. Ses yeux vides s’étaient tournés vers Alus.

« — ! Tsk ! »

Les orbites de ses yeux s’étaient ouvertes. Mais à la place des globes oculaires, il y avait des flaques de liquide noir. Le même liquide coulait de sa bouche. Le flux ne montrait aucun signe d’arrêt, et la bouche de Duncal s’était étendue en un sourire en forme de croissant.

Voyant cela, Alus se retourna et cria : « C’est ce que je pensais — tout le monde, préparez-vous ! »

Au même moment, Rinne avait également perçu l’anomalie. À l’endroit de la bataille où les membres de l’escouade surveillaient Alus et Duncal se trouvait un arbre massif, et à peu près à mi-hauteur, à une trentaine de mètres au-dessus d’eux, quelque chose s’était élevé de la surface du tronc.

Ayant rapidement commencé à chercher l’origine de cette anomalie, Rinne pouvait clairement la voir avec son œil magique. C’était quelque chose qui était apparu de nulle part, au-dessus d’eux. J’ai fait une erreur. Quand je pense qu’il s’est déguisé en arbre…

Ce quelque chose — un Mamono — s’était révélé au moment où Alus avait crié son avertissement, et avait sauté en bas.

« Au-dessus de nous !! » Rinne avait crié et avait essayé d’encocher une flèche sur son arc, mais avant qu’elle ne puisse le faire, le bras de quelqu’un s’était enroulé autour de son abdomen.

« Ce serait stupide. On va d’abord s’écarter du chemin. » Lettie avait mis ses bras minces autour de Rinne et l’avait tirée à l’écart. Les autres membres de l’escouade s’étaient également éloignés du point d’atterrissage du Mamono de manière expérimentée.

Du coin de l’œil, Alus avait pu voir un autre Mamono l’attaquer. Ce qui était déguisé en corps de Duncal l’avait attaqué par-derrière. Il semblait y avoir deux ennemis, mais avant que Rinne puisse l’avertir, Alus s’était retourné et avait coupé la tête du Mamono déguisé en Duncal.

Immédiatement après, un étrange objet ressemblant à un tuyau était sorti du sol et avait commencé à bouger. L’extrémité du tuyau s’était attachée au bras de Duncal. Et en un instant, le corps sans tête de Duncal s’était envolé dans les airs comme s’il était tiré par quelque chose.

À ce moment-là, les vêtements et le corps de Duncal étaient devenus noirs. La tête de Duncal n’était qu’une partie du Mamono déguisé, et la perdre ne représentait pas un grand dommage. La masse noire qui était Duncal s’envola vers le bras droit de l’ombre géante qui avait atterri à côté de Rinne et des autres, changeant de forme et se transformant en une main à quatre doigts.

Rinne avait supposé à tort qu’il y avait deux ennemis, mais le Mamono qui avait sauté d’en haut était le corps principal, sa main droite ayant été déguisée en Duncal.

Si ce n’était de la situation dans laquelle ils se trouvaient, ils auraient regardé avec étonnement. Non seulement il avait la capacité de se déguiser, mais il était également assez intelligent pour poser des pièges perfectionnés. Les Mamonos chasseurs observaient leurs proies — les humains — faisaient des conjectures et trouvaient des moyens efficaces de les chasser.

Le Mamono s’était alors transformé en un grand singe sombre et avait lancé une attaque sur l’équipe surprise. Rassemblant ses bras massifs, il les frappa comme une masse. Avec un bruit de grondement, le coup lourd fit un cratère dans le sol et créa une onde de choc.

Après avoir esquivé le danger, Lettie, Rinne et le reste de l’escouade avaient repris leurs postures et avaient bien regardé le Mamono.

Il avait une carapace extérieure sombre et craquelée, et mesurait cinq ou six mètres de haut. Sa poitrine était épaisse, faite de muscles ou d’un organe inconnu, et son abdomen était gonflé de manière inquiétante. Son dos était anormalement courbé, et ses longs bras étaient extrêmement bien développés, avec des griffes acérées aux quatre doigts.

Le Mamono avait le physique d’un homme-singe. Son visage était tordu, avec ses yeux en amande grands ouverts comme s’il ne pouvait se concentrer sur rien. Son nez était un ensemble de deux trous simples. Et à l’intérieur de sa bouche béante se trouvaient deux rangées de dents en forme de lame, tachées de rouge foncé.

Bizarrement, c’était un type d’ogre, comme Alus et Lettie en avaient parlé. C’était un type de Mamono qui était typiquement de classe A, connu pour leur camaraderie et leur tendance à former des groupes. Il était également connu sous le nom de Roscarg. Pour les magiciens, c’était un Mamono relativement familier.

« Allie, c’est peut-être après tout un ogre. Eh bien, allons-y comme d’habitude ! Obstruction et magie des liens ! »

Réagissant à l’ordre de Lettie, l’escouade s’était mise en action. Le sol s’était soulevé, et des parois rocheuses s’étaient approchées du Roscarg de toutes les directions, le dissimulant à la vue. Il était enfermé hermétiquement dans une boîte de roche géante. En plus de cela, dix branches d’arbres apparus de nulle part avaient percé la boîte géante.

C’était comme le tour de magie classique avec une personne dans une boîte et des épées qui était populaire il y a plusieurs générations, et en plus, une barrière translucide fixait les épées en bois et la boîte en pierre en place.

« Voyez comme ils sont habiles !? » déclara Lettie à Rinne, en la libérant et en désignant la boîte de pierres.

Une explosion sourde retentit, et la boîte de roche commença à rougir sous l’effet de la chaleur. Les murs avaient rapidement été emportés, mais la barrière translucide avait retenu le choc, la chaleur et les fragments de roche.

C’était la combinaison habituelle que Lettie et son équipe utilisaient pour éliminer les Mamonos. Pour finir, Lettie lança les Yeux cramoisis pour réduire la cible à néant. « On dirait qu’on a aussi un bonus cette fois-ci », dit-elle, incitant Rinne à lever les yeux et à repérer Alus, qui avait sauté en l’air.

En descendant, Alus avait créé une énorme épée de glace avec son AWR en main. Étrangement, c’était la spécialité de Tesfia, l’Épée de Glace. C’était un sort simple qu’il avait concocté après avoir vu la construction de sorts de Tesfia. Même s’il était simple, il impliquait une magie de haut niveau, ce qui ne le rendait pas facile à utiliser.

Cependant, c’était adapté à cette situation. Les dégâts seraient concentrés en un seul point, de sorte qu’ils ne feraient de mal à aucun membre de l’escouade. Mais ce n’était pas un sort gravé sur la chaîne d’Alus, il ne pouvait donc pas retenir sa force, ni faire des ajustements à la sculpture. Non pas qu’il ait eu l’intention de le faire de toute façon, contre un Mamono.

En conséquence, il produisit une épée robuste, loin de la belle facture que Tesfia pouvait afficher, mais c’était plus que suffisant pour Alus, qui mettait l’accent sur l’aspect pratique. Avec sa taille massive, elle était plus que suffisante et lourde pour couper le Mamono en deux, ainsi que la boîte.

Assez rapidement, l’épée de glace avait facilement percé la barrière enveloppante, écrasant la boîte de roche.

Alors que la terre et des fragments de mana étaient projetés en l’air, Alus utilisa le recul de l’épée massive s’écrasant sur le sol pour récupérer sa posture et atterrir sans bruit à côté de Lettie et Rinne.

« Avez-vous remarqué… ? »

Lettie répondit à Alus par l’affirmative, avec un ton amer, « Bien sûr que oui. Depuis combien de temps penses-tu que je suis un magicien ? On dirait qu’il n’est pas seulement stupidement fort, mais aussi intelligent. Sans compter que… ce mana dégoûtant qui s’échappe de son corps a des qualités contraires. C’est comme une sorte de patchwork. »

☆☆☆

Partie 2

Rinne déclara : « Non, le mot patchwork n’est pas suffisant pour décrire le mana que j’ai ressenti. Ce n’est pas un Roscarg normal ! Il a un intellect élevé, peut diviser son corps, contrôler les parties individuelles, et aussi se déguiser. Sans parler de la quantité de mana qu’il possède. Sa forme de base était peut-être un ogre, mais ce n’est pas normal, même pour un Variant. »

« Oui, je le sens aussi. Le Dévoreur que nous recherchons devrait être un Variant… mais cette chose est trop artificielle, » déclara Alus.

Les mamonos pouvaient prendre toutes sortes de natures en fonction du mana qu’ils absorbaient. Par conséquent, des variantes naissaient parfois, mais s’ils absorbaient trop de mana ou s’ils absorbaient plus d’informations de mana qu’ils ne pouvaient en traiter, même leur apparence se transformait. C’était une forme d’évolution qui transformait le corps en un réceptacle approprié pour le mana qu’il contenait.

Inversement, cela signifiait qu’un Mamono ne pouvait pas éviter de se transformer s’il absorbait plus de mana que son corps ne pouvait en supporter. Pourtant, le Mamono devant eux conservait sa forme de Roscarg, malgré son mana complexe et inhabituel. Cela avait donné à Alus et aux autres un réel sentiment de malaise.

« — !! Il arrive ! » Rinne avait compris le changement le plus rapidement et avait prévenu les autres. En regardant de plus près, elle avait vu une fissure courir le long de l’épée de glace qui avait transpercé la boîte de roche.

« Je m’y attendais, » dit Alus. « Ne baissez pas vos gardes… On va traiter ça comme une classe S ! »

Le sol avait tremblé. La pointe de l’épée de glace s’était désintégrée, faisant pencher l’épée tandis que les restes de mana lumineux se dispersaient.

Cet étrange torrent de mana me dérange. Il semble que la force de construction de l’épée de glace puisse être interférée. Le faible mana que Lettie avait lancé avec les Yeux Pourpres pouvait être perçu plus clairement maintenant. Le mamono avait probablement soit libéré son mana pour le bloquer, soit utilisé une sorte de sort.

L’instant d’après, des dizaines de bras minces avaient attaqué depuis le sous-sol.

« — Maudit monstre ! » Alus avait un mauvais pressentiment depuis qu’il avait vu le bras droit changer de forme si librement. C’était impossible pour un Roscarg normal. C’était comme si son corps était fait de boue noire… le Mamono s’était probablement transformé en quelque chose d’entièrement différent, son corps inclus.

Tout en esquivant les innombrables bras, Alus les coupait avec son couteau, mais à chaque fois qu’il le faisait, la chose bouillonnait et faisait jaillir un autre bras avec quatre doigts. Il n’y avait pas de fin, peu importe combien de bras il coupait.

Alus s’en rendit compte en s’élançant d’un arbre et en tournant sur lui-même pour esquiver tous les bras qui se tendaient vers lui. D’après ce qu’il pouvait voir, l’équipe avait également du mal à faire face aux innombrables bras.

Lettie brûlait les bras, ainsi que le sol lui-même, mais leur nombre ne diminuait pas du tout. Submergée, même elle commençait à reculer lentement.

On ne savait pas s’il s’agissait d’une sorte de régénération ou de division extrême, mais c’était sûrement le résultat d’une évolution anormale. C’était totalement inédit pour un Variant normal de devenir comme ça. Et Rinne, qui manquait d’expérience dans le combat contre les Mamonos, n’allait probablement pas être capable de suivre.

Avant que quiconque ne meure, Alus cria : « Sautez ! » Saisissant la chaîne de son AWR, il tourna sur lui-même avec la Brume Nocturne, tailladant tous les bras noirs qui l’entouraient en un cercle, avant de se ressaisir immédiatement. La lame de la Brume Nocturne s’enfonça dans le sol, comme si elle voulait entraîner Alus dans son sillage.

Bien sûr, Alus ne s’était pas laissé entraîner. Au moment où il avait touché le sol, Alus marcha sur la poignée et il l’enfonça plus profondément. Les membres de l’équipe avaient tous compris ce qu’il avait l’intention de faire, et avaient sauté en hauteur pour éviter de toucher le sol.

« 'Niflheim' »

Avec l’AWR en son centre, le paysage s’était rapidement transformé en un monde de glace. Il ne restait que des statues gelées des bras noirs, comme une sorte de sculpture artistique d’avant-garde.

Alus avait prévu d’utiliser une de ses combinaisons standard, écrasant le Mamono avec Railpine, mais ce n’était pas nécessaire. Les membres de l’escouade qui avaient sauté se rendirent compte de ce qu’il faisait, et déchaînèrent des sorts à pleine puissance devant lui pour écraser les bras gelés.

C’est bien une équipe d’élite. Tous étaient des magiciens chevronnés et connaissaient déjà les propriétés du sort de niveau expert Niflheim. C’est pourquoi ils avaient été si rapides à agir.

C’était un sentiment rafraîchissant pour Alus, qui s’était principalement battu seul. De cette façon, il pourrait économiser son propre mana et éviter toutes sortes de travaux supplémentaires. « Passez en formation delta. »

La formation Delta était l’une des formations de base de l’armée. Elle était généralement utilisée par une compagnie ou plus, et prenait la forme d’un triangle. Elle fonctionnait bien pour les batailles de retraite et pour la protection des VIP.

Par exemple, si toute l’escouade risquait d’être anéantie, la personne la plus gradée serait placée à l’arrière pour limiter les dégâts au strict minimum. Et les membres à l’extrémité du triangle serviraient d’arrière-garde, leur faisant gagner autant de temps que possible. Lorsqu’on garde quelqu’un, cette personne se retrouvait à l’arrière du groupe.

Dans ce cas, il était clair qu’ils ne battaient pas en retraite. En d’autres termes, ils devaient protéger leur observateur, et les membres de l’escouade acquiescèrent en plein vol avant de se précipiter pour prendre position à l’atterrissage. Comme Alus l’avait souhaité, ils avaient formé un mur avec Rinne à l’arrière.

« Bien. Sajik, Mujir, vous allez chasser cette chose avec Lettie et moi. »

« Enfin, le moment de montrer mon travail est arrivé ! » Sajik retroussa ses manches et afficha un sourire sans peur. À première vue, c’était un vétéran puissant, mais pour Alus, il semblait projeter plus de style que de substance.

« Ne fais pas tout foirer, Sajik. Nous allons les soutenir pour éviter qu’ils ne nous dépassent. » Mujir avait saisi avec précision l’intention d’Alus et rappelait à Sajik son rôle.

« Compris ! » Sajik répondit avec enthousiasme, mais Alus ne put s’empêcher de sourire en coin, vu qu’il laissait encore son mana circuler librement. Les AWRs de Sajik étaient des gantelets rustres qu’il portait sur ses poings, tandis que ceux de Mujir étaient des tonfas argentés aux extrémités pointues.

« C’est une variante de Roscarg, mais je comprends plus ou moins sa nature. Alors, finissons-en rapidement. » Lettie caressait son fin bracelet, tout en faisant bouger son poignet pour le desserrer.

« Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que tu avais un AWR comme celui-là ? » demanda Alus, puisque ce n’était pas les anneaux habituels qu’elle utilisait.

« Hee hee, je ne suis pas vraiment doué pour les batailles de groupe, alors j’utilise quelque chose comme ça à la place. » Au rire de Lettie, les quatre s’étaient soudainement concentrés sur un point en face d’eux.

L’instant suivant, le sol gelé s’était soulevé, brisant le mince mur de glace, alors que le Roscarg se révélait.

Son corps semblable à de la boue s’était caché sous terre, mais les nombreuses mains qui avaient poussé sur ses deux bras ayant été gelées, il était sorti dans un accès de colère. Maintenant, il n’avait plus de bras, apparemment il les avait arrachés car ils le bloquaient.

Malgré ses bras coupés, il ne montrait aucun signe d’angoisse. Mais sans ses bras, son équilibre était rompu et il titubait en se déplaçant, ce qui rendait le spectacle presque risible.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Croit-il qu’il peut se battre comme ça ? » Lettie avait retenu un ricanement.

La zone autour des bras perdus avait commencé à bouillonner. Et l’instant d’après, elle se mit à onduler, tandis que le corps visqueux du monstre se gonflait et que de nouveaux bras se régénéraient.

« Il ressemble vraiment à un monstre quand on le voit faire ça… c’est dégoûtant, » dit Lettie en fronçant le nez.

« Arrête de bavarder et mettons-nous au travail. Nous n’avons pas non plus beaucoup de temps. » Alus prépara la Brume Nocturne, mais fut arrêté par la main de Lettie sur son bras.

« Je vais commencer. Ce serait plus rapide de voir ça de tes propres yeux… Les autres aussi ? » Sur le bras de Lettie se trouvait un bracelet émettant une faible lumière de platine. Il semblait être gravé d’une formule de mana minimale. Alus ne savait pas de quel métal il était fait.

Ensuite, Lettie avança ses deux mains, et les anneaux de son pouce et de son majeur se mirent à briller. Des étincelles volèrent, et l’instant d’après il y eut une grande explosion proche de la poitrine du Roscarg.

C’était une attaque à bout portant des Yeux Pourpres. Même s’il avait une quantité monstrueuse d’endurance, il ne pourrait pas s’en sortir en un seul morceau.

Bien sûr, les Yeux Cramoisis étant un sort d’attaque à grande échelle, l’explosion risquait de blesser les alliés.

Malgré l’explosion qui avait touché la poitrine du Mamono, l’onde de choc et les flammes s’approchaient d’Alus et des autres… mais personne se disant Single ne manquerait de prendre cela en compte. Supposant que Lettie avait un plan, Alus s’était contenté de regarder.

En une fraction de seconde, l’explosion avait stoppé son expansion. Et au lieu de cela, cela avait commencé à rétrécir jusqu’à son point d’origine comme si elle revenait en arrière dans le temps.

Le corps du Mamono au centre de l’explosion était brûlé, avec une partie carbonisée, et une odeur désagréable soufflait vers eux avec un vent brûlant.

La construction du sort est en train d’être rembobinée… ce qui signifie… « Du métal météorique, hein. »

« C’est bien mon Allie ! Je suppose que je n’ai pas besoin d’expliquer, » dit Lettie en expirant.

« Oui, il y a des détails sur lesquels j’aimerais poser des questions, mais je comprends plus ou moins après avoir vu ça. » L’AWR de son bracelet inversait la formule magique après le lancement d’un sort, au lieu de la désassembler. Grâce à cela, la portée du sort pouvait être contrôlée, ce qui empêchait les alliés d’être pris dans le sort. Cela n’avait été possible que parce qu’il s’agissait de métal météorique.

« Mais il semble que ce n’était pas assez pour l’endommager mortellement. » D’après ce qu’Alus avait pu voir, le mamono avait été blessé, mais les dommages n’étaient pas décisifs.

« La désignation des coordonnées est assez sévère, mais je suppose que ce n’est pas une excuse… ? » Lettie se gratta la joue, mais d’après ce qu’Alus pouvait voir, ce n’était pas l’essentiel. Elle avait peut-être qualifié la désignation de sévère, mais elle n’avait pas fait d’erreur.

La raison en était probablement la quantité écrasante de mana à l’intérieur du Mamono. Les Yeux Cramoisies utilisaient une formule spéciale pour désigner les coordonnées à l’intérieur de la cible à faire exploser. Ces coordonnées étaient ajoutées dans une partie distincte du processus de construction.

En d’autres termes, il s’agissait d’un sort qui était activé en combinant la construction du sort lui-même avec la désignation des coordonnées. En un sens, il s’agissait de la fusion de deux sorts. En raison de cette caractéristique, les informations de coordonnées de la cible étaient importantes pour l’utilisation efficace du sort, mais…

« Il a la capacité de durcir son corps… et il a été écrasé par son mana massif, » fit remarqué Alus. Dans un espace qui était rempli du mana de quelqu’un d’autre, les constructions étaient beaucoup plus rigides, et plus le mana était dense, plus il interférait avec les sorts des autres.

☆☆☆

Partie 3

Alors que Lettie avait tenté de définir les coordonnées des Yeux Cramoisies à l’intérieur du Mamono, la quantité anormale de mana qu’il contenait avait déséquilibré la désignation des coordonnées. En conséquence, le sort de Lettie ne s’était pas déclenché au plus profond du Mamono comme prévu, mais plutôt près de sa peau, ne lui infligeant aucun dommage efficace.

Cependant, il semblait que le sort ait encore explosé quelque peu à l’intérieur du Mamono, car une partie de sa poitrine avait éclaté. Sa posture était également légèrement déséquilibrée, ce qui avait stoppé ses mouvements pendant un moment. Mais même si de la fumée noire s’élevait de sa blessure, il avait déjà commencé à se régénérer.

Soudain, Sajik fit claquer les gantelets qui recouvraient ses bras. Des étincelles électriques avaient jailli, créant un champ qu’il avait utilisé pour couvrir ses poings d’électricité.

Au même moment, Mujir avait positionné ses AWR tonfa, et avait fait signe à Sajik avec ses yeux.

Décidant de lancer une seconde attaque avant que la blessure ne soit complètement guérie, ils s’envolèrent, et en un instant, ils se séparèrent à gauche et à droite, se rapprochant rapidement.

« — !! » Alors que Sajik s’avançait à grands pas, un énorme globe rouge ressemblant à un œil apparut devant lui. Identifiant immédiatement ce que c’était, il croisa ses gantelets devant son visage pour se protéger.

Et quelques instants plus tard, le globe rouge avait explosé sans prévenir. Cela avait créé des flammes rouges et de la fumée noire, couvrant tout son environnement en une seconde. Dans le même temps, l’onde de choc avait facilement fait voler le corps massif de Sajik.

Alus avait été le premier à réaliser ce qui s’était passé. C’était un sort que le Mamono avait utilisé. Mais ce n’est pas comme si Sajik avait baissé sa garde. C’est simplement que les Mamonos ne montrent pratiquement aucun signe lorsqu’ils utilisaient la magie, parce qu’ils utilisaient leur corps pour remplir les mêmes fonctions que les AWRs. Ils pouvaient jeter des sorts sans avoir à construire de formules magiques.

En fait, dans le sens où ils pouvaient utiliser des sorts librement sans AWR, les Mamonos étaient plus proches de la magie parfaite. Si l’humanité avait pu créer des sorts d’attaque, c’est parce qu’elle avait étudié ce que faisaient les Mamonos et l’avait transformé en armes utilisables. Les Mamonos étaient les premiers magiciens.

Sajik avait été envoyé en l’air, mais grâce à ses réflexes rapides, il s’était protégé du pire.

Alus avait fait claquer sa langue en signe de frustration. « Hey, Lettie. Il te vole tes mouvements. »

« On dirait que… Il adapte sa magie trop rapidement. » De manière assez surprenante, le sort par lequel Sajik avait été touché était les mêmes Yeux Cramoisies que Lettie avait utilisés. Heureusement, il n’avait pas défini ses coordonnées aussi précisément que Lettie, rendant son activation incomplète, ce qui empêchait le sort imité de déployer sa pleine puissance.

Alors que de la fumée s’échappait de sa bouche, les lèvres du Roscarg s’étaient déformées en ce qui ressemblait à un sourire tordu. Si ce mamono avait des sentiments, il souriait sûrement de façon sadique en pensant pouvoir exercer son pouvoir sur les faibles. En même temps, ses cellules repoussaient à un rythme visible, de la chair recouvrant sa poitrine blessée avant de durcir.

La mâchoire du Roscarg trembla alors qu’il ouvrit en grand sa bouche. Il rugissait de mépris envers les faibles, se vantant de son corps entièrement récupéré. Avec l’intention de profiter de la chasse, le mamono avait tenté de se déplacer lentement vers Alus et les autres… mais il ne pouvait pas bouger.

« “Marais de Restriction” »

Mujir avait lancé un sort. C’était un sort de type limitatif qui convertissait une zone en marais, ce qui était particulièrement efficace contre les adversaires de grande taille. Il avait jeté un coup d’œil lorsque Sajik se faisait exploser, mais avait compris ce qu’il avait à faire et avait rempli sa mission sans hésitation.

Avec ses jambes prises dans le terrain, le corps du Roscarg avait commencé à basculer. À cause de son poids, il s’était lentement enfoncé dans le sol.

Voyant le Mamono arrêté dans sa course, Sajik se précipita et sauta par-dessus le marais magique. Une légère fumée s’élevait encore de son corps, mais il allait plus ou moins bien, comme on pouvait s’y attendre de sa part.

Devant le visage du Roscarg, Sajik abattit ses poings, qui étaient drapés d’éclairs.

« Begone — “Frappe du Tonnerre” »

La foudre avait émis un son monstrueux, et Sajik avait également crié en même temps. Ses poings avaient le pouvoir de pulvériser des rochers… pourtant, bien qu’ils aient touché l’équivalent humain du plexus solaire, ses poings avaient rebondi sur le mamono comme s’il avait touché de la roche solide.

Il fit claquer sa langue, donnant un coup de pied sur le torse du Mamono, et utilisant le recul pour prendre de la distance. « C’est plus dur que je ne le pensais ! » dit-il avec irritation, bien qu’en voyant comment il avait réussi à briser sa coquille extérieure à nouveau, Alus murmura des mots d’admiration.

L’affinité de Sajik était pour la foudre, mais sa spécialité était l’amélioration physique. Il pouvait même utiliser la Force, comme il l’avait montré en sautant, il était donc plutôt dextre malgré son apparence robuste.

Pendant ce temps, Mujir était un magicien plutôt intéressant. Alus s’était demandé pourquoi il faisait partie de cette équipe d’élite lorsqu’il avait vu ses détails pour la première fois, mais il avait compris après avoir vu ses mouvements à l’instant.

Mujir avait une affinité pour l’eau et pour la terre. Il y avait pas mal de magiciens capables d’utiliser ces deux attributs. Mais être capable de les utiliser ne valait pas grand-chose en combat réel. Des résultats médiocres à l’extrémité inférieure des rangs supérieurs en termes de résultats étaient généralement ce qu’ils obtenaient de mieux.

Non seulement Mujir était habile, mais il était aussi doté de talents. Il pouvait combiner des liquides pour créer des acides ou des poisons. Et en combinant les attributs de l’eau et de la terre — alors que d’autres avant lui pouvaient créer des marécages, aux yeux d’Alus, son existence était rare.

Il s’attendait à ce que les bras droits de Lettie aient un tour ou deux dans leurs manches, mais leur combinaison était plutôt inattendue. Ils étaient tous les deux des Double Digits, donc ce n’étaient probablement pas les seuls trucs qu’ils avaient, mais pour le moment, tout ce qu’ils avaient à faire était de faire patienter le Mamono.

Le Roscarg, plié en arrière par les poings de Sajik, se redressa rapidement. La fureur brûlait dans ses yeux, sa bouche était grande ouverte, et il fit face à la première chose qui entra dans son champ de vision, qui était Alus.

« — !! » Au moment où Alus vit la lumière au fond de sa bouche, cela volait déjà vers lui à grande vitesse. En un instant, il plaça sa main en avant et leva cinq couches de barrières anti-magie translucides le long de sa ligne de déplacement.

La lumière était aveuglante. Il s’agissait très probablement d’un rayon lumineux à haute énergie. Le rayon avait rapidement atteint les barrières, qui l’avaient arrêté, le dispersant en particules.

Un bruit assourdissant avait retenti alors que le rayon s’affaiblissait avant de finir par disparaître.

Vu sa position, si Alus l’avait esquivé, le rayon aurait pu transformer Rinne et les autres membres du groupe en cendres. Mais il semblerait que trois des cinq barrières qu’Alus avait érigées avaient été percées.

C’était la partie la plus ennuyeuse du combat contre un dangereux Mamono. Le rayon de lumière n’était pas tant de la magie que du mana converti en chaleur et expulsé. Ainsi, manquer le moindre signe d’attaque vous mettrait dans une situation très désavantageuse. Il fallait être constamment conscient du flux de mana autour d’un Mamono et réagir immédiatement à tout changement.

En tenant compte de tous les mouvements et capacités des Mamonos qu’il avait combattus, Alus murmura : « C’est ça. »

Rinne, derrière lui, hocha la tête, et Lettie fit de même. « Il a des caractéristiques bien supérieures aux variantes normales. Ca doit être le Dévoreur, hein ? »

« Ouais. En voyant la façon dont son corps a changé, la rapidité avec laquelle il s’adapte à la magie, et surtout, cette quantité de mana, cela semble être le cas. Cependant, il y a toujours quelque chose qui me dérange… »

Le corps d’un Roscarg était un trop petit réceptacle pour la quantité de mana et la densité d’informations de celui-ci. Pour être honnête, c’était la plus grande question dans l’esprit d’Alus, mais heureusement il semblait que le Dévoreur n’avait pas complètement absorbé tout le mana qu’il avait pris.

« C’est maintenant ou jamais. Notre magie pourrait être volée, donc on doit finir ça vite. »

« J’ai compris !! » La réponse de Lettie manquait de sincérité, mais le mana qu’elle dégageait montrait clairement qu’elle était en mode combat sérieux. Quand il s’agissait de Singles, ils avaient eux-mêmes une quantité de mana presque monstrueuse, indépendamment des sorts qu’ils connaissaient. Les quantités denses de mana émises avaient une lueur qui pouvait pratiquement être vue à l’œil nu, et celle de Lettie était remplie de son esprit combatif.

Le propre mana d’Alus n’avait pas cette lueur, et était plus proche d’un froid glacial. Certains magiciens avaient même des frissons à cause de ce qui semblait être une quantité infinie de mana jaillissant d’un abîme sans fond.

Le mana contient beaucoup d’informations. Qu’il s’agisse d’émotions, de tempérament ou de disposition, dans un sens, c’était une projection directe du magicien. C’est pourquoi le vide était la seule expression qui pouvait décrire le mana qu’Alus utilisait. C’était un mana qui manquait complètement de tout ce qu’on pouvait attendre d’un humain.

« Vous êtes en renforts. On va nettoyer tout ça. »

« Compris ! »

« J’ai compris ! »

Mujir salua Alus par réflexe, et Sajik hocha fermement la tête. Tous deux avaient des sueurs froides à cause du mana dont Lettie et Alus étaient revêtus.

Et ce n’était pas qu’en surface… un simple coup d’œil à ce mana suffisait à dire que ces deux Singles avaient une grande quantité de puissance.

« Ce sont des gens terrifiants », lâcha inconsciemment Mujir, mais il n’avait pas pu s’en empêcher. Lui et Sajik étaient tous les deux des Doubles, donc il ne devrait pas y avoir un si grand écart entre eux. Mais face à cette différence de force écrasante, que pouvaient-ils faire… ?

Voyant Mujir se raidir, Sajik l’avait appelé avec désinvolture, « Ne t’éloigne pas, Mujir ! »

« Je n’ai pas besoin que tu me dises ça. Je vais parfaitement frapper toutes les ouvertures pour ne pas les gêner. »

Assez rapidement, l’attaque combinée d’Alus et Lettie avait commencé. L’atmosphère extrême qui régnait autour d’eux avait empêché les membres de l’équipe tendus de faire quoi que ce soit. Un intense combat rapproché entre des magiciens à un chiffre et le Mamono se déroulait devant eux.

« Tu dis ça, mais comment allons-nous faire quelque chose face à ça ? » Sajik demanda, en admirant les deux, et Mujir était tout à fait d’accord.

« Je croyais que tu étais spécialisé dans le combat rapproché, » dit Mujir. « En fait, c’est la seule chose que tu as pour toi, alors pourquoi ne vas-tu pas les aider ? »

« Ne sois pas stupide. Je prends du retard quand je me coordonne avec le commandant. Et je n’arrive pas à croire que maintenant c’est elle qui a l’air d’être à la traîne. Je ne ferais que gêner si j’entrais là-dedans, » répliqua Sajik.

Cela dit, c’était leur travail de soutenir les Singles s’il y avait une ouverture. Ils avaient donc gardé les yeux fixés sur la cible et étaient restés en alerte, même s’ils échangeaient des insultes entre eux.

☆☆☆

Partie 4

Plusieurs minutes s’étaient écoulées depuis qu’Alus et Lettie avaient commencé à combattre le Roscarg. S’ils prenaient l’attaque du Mamono de plein fouet, cela leur serait fatal, mais aucun des deux n’avait l’air d’être en danger.

Lettie n’était pas armée à part ses anneaux, mais dès qu’elle voyait une ouverture, elle endommageait le corps et la carapace extérieure du Mamono par des coups et de petites explosions.

Pendant ce temps, Alus maniait sa brume nocturne, et utilisait une lame de mana par-dessus pour étendre sa portée et déchirer la carapace de l’ennemi.

Malgré cela, la force de régénération du monstre était effrayante. Les dégâts qu’il avait subis avaient été guéris en un clin d’œil.

« … Un Dévoreur est une chose terrifiante. Non seulement sa carapace est stupidement dure, mais s’il utilise sauvagement la magie comme ça, même ces deux-là auront du mal à l’attaquer, » dit Mujir.

« … Je ne veux même pas penser au nombre de magiciens que cette chose a mangé, » répondit Sajik.

Au moment où Lettie était sur le point d’enfoncer son poing dans le Mamono, sa carapace avait fait poussé des épines pour l’attaquer. Elle aurait préféré utiliser une explosion pour les faire disparaître, mais elle savait que cela ne ferait qu’aboutir à un match nul, au mieux.

Au lieu de cela, les deux Singles avaient fait un pas de plus. Avant que Lettie ne soit empalée sur les épines, Alus avait attrapé sa main et l’avait attirée vers lui.

Changeant sa posture en plein vol, Lettie utilisa la force centrifuge pour tourner autour d’Alus, et avec cet élan, elle envoya un puissant coup de pied dans le flanc du Roscarg.

Elle utilisa le recul pour s’éloigner, et lorsque son pied quitta son corps, l’endroit de l’impact explosa, poussant le corps du Mamono en arrière.

Mais même ces dégâts avaient été guéris en un instant. Comme ils s’y attendaient, les pouvoirs de régénération du monstre étaient trop puissants pour des attaques régulières. Il semblerait qu’il ait également acquis une résistance à chaque fois qu’il guérissait, car les explosions de Lettie devenaient moins efficaces avec le temps.

« Il n’y a pas de fin à cela, » se plaignait Lettie.

« Je lui ai coupé les bras au moins une douzaine de fois. À ce rythme, ça va être une guerre d’usure. »

Les deux n’eurent même pas le temps de parler, que le Mamono rugissait de colère et se précipitait vers Lettie. Les souffles rudes qui sortaient de son nez n’étaient pas un signe d’épuisement, mais de frustration visible.

En général, le seul moyen efficace d’éliminer un Mamono était de détruire son noyau. Depuis qu’ils l’avaient rencontré, Rinne avait cherché le noyau qui était censé se trouver dans son corps. Et pourtant, même avec ses capacités, son emplacement était demeuré caché. Sa forme était indéterminée pour commencer, et son corps était rempli de mana dense, ce qui rendait sa détection difficile.

Alus et Lettie frappaient tous deux avec l’intention de détruire ce noyau, mais avec son emplacement obscurci, une certaine hypothèse leur était venue à l’esprit.

« Il pourrait s’agir d’un type qui peut déplacer librement le noyau dans son corps, » déclara Alus.

« Ou ça pourrait être quelque part bien en dessous. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas fait de dégâts qui soient vraiment profonds. »

« C’est vrai. Alors, qui commence ? »

Comprenant les intentions d’Alus, Lettie grimaça. « Ça ne me dérangerait pas d’y aller, » dit-elle, avec un regard malicieux déplacé.

En voyant cela, Alus soupira. Elle aimait vraiment être voyante. En tout cas, après l’avoir combattu, la seule chose que je qualifierais de digne d’une classe S est sa quantité de mana. Bien que cette régénération mérite une mention spéciale… Pour être honnête, il sentait cependant que cette évaluation était en quelque sorte incomplète.

Pendant ce temps, le Roscarg avait soudainement fait un grand pas en avant, frappant du pied. Des épines de glace acérées de la taille d’une épée furent créées par son pied, se répandant à une vitesse effrayante.

Alus en prit note, mais comprit immédiatement qu’ils n’étaient pas si puissants que ça. À tout le moins, ils étaient à une échelle bien plus petite que ce qu’il avait prévu lorsqu’il avait entendu pour la première fois qu’il affronterait un Dévoreur.

Pour l’instant, Alus et Lettie avaient rapidement réagi à l’approche des épines de glace. Lettie avait sauté en arrière, laissant Alus derrière elle. Ce dernier ne montra aucun signe d’esquive, alors que la chaîne de son AWR se rassemblait en un amas et flottait devant lui.

« 'Railpine' »

En plus de cela, il avait balancé son AWR avec désinvolture. L’onde de choc créée par le mouvement avait volé vers les épines de glace. C’était en quelque sorte un effet secondaire du sort original qui était censé cibler une large zone.

Mais grâce au contrôle précis d’Alus, il n’avait utilisé qu’une partie de son effet, le libérant comme une vague. Même s’il retenait sa force, elle avait facilement brisé la glace qui s’approchait.

Un bruit de verre brisé retentit. Bientôt, il ne pouvait plus maintenir sa forme physique, et la glace couvrant la zone avait disparu.

Le sort que le Mamono avait lancé était encore une autre imitation… une version inférieure de Niflheim. Il avait réussi à absorber beaucoup d’informations de mana, mais il n’était pas capable de construire correctement le sort. La magie parfaite d’un Mamono tentant de reproduire la magie imparfaite d’un humain aboutissait à une forme dégradée et donc inférieure à celle-ci.

Les éclats de glace étaient tombés devant Alus, se transformant en restes de mana. Balançant la Brume Nocturne, il se précipita à travers la lumière tombante des restes de mana, atteignant un instant plus tard le Roscarg. Son AWR, toujours en plein élan, coupa l’épaisse poitrine du Roscarg.

Un instant plus tard, le Roscarg balança son bras massif en réponse, mais Alus utilisa sa chaîne pour l’enrouler et le resserrer. Il essaya d’utiliser son autre bras pour l’écraser, mais la chaîne d’Alus s’était rapidement enroulée autour de ce bras également, le fixant en place derrière son dos.

Privé de sa liberté, plus le mamono luttait pour se libérer, plus la chaîne s’enfonçait profondément en lui. Alors qu’il secouait violemment son corps, un sang vert troublant s’écoulait de la blessure dans sa poitrine.

Une fois le Roscarg attaché, Lettie posa sa main sur l’épaule d’Alus et sauta par-dessus lui. « Ça va devenir un peu chaud. » En utilisant le mana concentré dans son doigt, elle dessina des caractères dans l’air, et les lâcha sur la poitrine du Roscarg. Alors qu’elle le faisait, l’écriture avait été brûlée dans sa poitrine comme une marque.

Pendant ce temps, après avoir gravé sa lame dans le Roscarg, Alus sentit que quelque chose n’allait pas. Peu importe la quantité de mana que possède un Mamono, il en consomme une partie à chaque fois qu’il utilise la magie. Mais il sentait que quelque chose d’étrange se passait dans ce processus.

Plus précisément, il y avait une fraction de seconde de délai entre le moment où le mana était consommé et celui où il utilisait la magie. Si l’on suppose qu’il y avait une étape supplémentaire dans le processus de construction, cela serait plus logique. Cependant, il ne savait pas pourquoi.

Les variantes étaient déjà presque au-delà de la compréhension humaine, mais l’instinct d’Alus lui disait qu’il y avait quelque chose d’encore plus troublant avec cet ennemi. C’était comme s’il ne combattait pas le Roscarg en face de lui, mais quelque chose d’Inconnu au-delà.

Ce doute n’avait duré qu’un instant. Secouant les pensées, il appela Lettie. « Penses-tu que tu peux le faire ? »

« C’est sûr ! »

Contrairement au ton joyeux de Lettie, son expression lorsqu’elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule était sérieuse. L’instant d’après, ses yeux se mirent à briller tandis que du mana dense s’accumulait. Sa tresse dansait dans l’air et elle joignit ses mains. Combien de secondes puis-je le retenir pendant… ?

Réalisant ce que Lettie allait faire, Alus défit les chaînes et passa à la magie de manipulation spatiale pour retenir le Roscarg à la place. Il déplaça son AWR dans son autre main, et tendit sa main droite comme s’il tenait quelque chose.

Comme si elle était liée à ses actions, une force invisible serra les bras du Roscarg contre son corps, comme une main géante invisible retenant le Roscarg. Le Roscarg se battait avec acharnement, alors Alus mit plus de force dans sa main.

À côté de lui, Lettie construisait son sort avec une voix douce. Son visage était sans expression en raison de l’intense concentration nécessaire pour mettre en place la classe de sort la plus puissante qu’elle puisse utiliser.

« Grand Esprit des Flammes Bleues, à travers les flammes de l’enfer, ramène en cendres tout ce qui est nommé… » Sa voix était claire et puissante, chaque mot se répercutant avec force et construisant fermement le sort.

Enfin, elle avait conclu le sort en incantant le déclencheur. « Fais trembler leur corps dans les flammes de la fin… !! »

« — Oh merde !! » En entendant l’incantation, Sajik comprit quel sort Lettie allait utiliser et une expression terrifiée apparut sur son visage.

Mujir se crispa également, mais tous deux se détendirent lorsqu’Alus dressa une barrière devant eux. Rinne et les autres membres de l’escouade qui la gardaient avaient tous érigé leurs propres barrières, celle d’Alus les couvrant complètement.

L’instant d’après, six flammes azur brûlant férocement apparurent comme des feux follets autour de Lettie. Toutes les bagues sur les doigts de Lettie brillaient, ses paumes se touchant l’une l’autre étaient moites, et les six flammes en demi-cercle autour d’elle vacillaient dans le vent. Elles étaient comme les esprits des morts sortant du monde souterrain.

« “Kagatsuchi” »

Le sort marqué sur la poitrine du Roscarg s’était levé comme une cible, avec des étincelles se dispersant autour.

« Un… » Comme s’il répondait à sa voix, l’un des feux follets se mit à flamber, puis disparut. Au même moment, une flamme bleue s’était élevée du sortilège laissé là, recouvrant l’énorme corps.

« Deux… trois… » La flamme bleue s’était enflammée encore plus, comme si la température augmentait.

Mais étrangement, le feu ne s’était pas propagé ailleurs. Il n’avait visé que le Roscarg, une flamme magique qui n’existait que pour le réduire en cendres.

Après être allé jusqu’au bout, Alus relâcha sa main serrée et retira les liens du Roscarg. Sa main transpirait à force d’y avoir mis tant de force, mais il n’y avait plus de raison de l’attacher.

Le Roscarg, étreint par les flammes, ferma les yeux et mit douloureusement ses mains sur son visage. Il s’était reculé comme s’il essayait d’échapper au feu, mais c’était impossible. Finalement, les flammes bleues s’étaient enroulées autour de son corps comme un serpent.

« C’est inutile. On ne peut pas échapper à cette flamme. » Comme Lettie l’avait dit, le sort perdu gravé était à l’origine de la flamme. C’était comme si le corps du mamono lui-même était le bois qui alimentait le feu. Et la flamme bleue ne s’éteindrait pas tant que les six feux follets n’auraient pas disparu.

« Quatre… cinq… »

 

 

Une colonne de feu s’étendit dans le ciel, et l’atmosphère chauffée devint un courant qui se mélangea à l’air environnant et se transforma bientôt en tempête.

Le corps du mamono avait commencé à se dissoudre et était devenu progressivement rouge. Ses bras pendaient déjà et s’étaient carbonisés, et chaque fois que les flammes s’élevaient, il s’en échappait davantage. Mais peu importe à quel point il était carbonisé, il n’avait jamais atteint le sol. Il s’était transformé en poussière et avait disparu. Bientôt, des flammes bleues s’élevèrent même des yeux sans vie du monstre.

Avec une profonde inspiration, Lettie relâcha ses mains jointes et tendit une main vers l’avant.

« Et… six ! »

Des flammes bleues avaient jailli de l’intérieur du Roscarg, et il s’était effondré sur ses genoux comme une poupée de chiffon. Les deux bras avaient déjà été réduits en cendres. L’impact de l’effondrement sur ses genoux avait fait tomber les extrémités de son corps noirci. Il avait à peine conservé sa forme originale, probablement grâce à sa coque extérieure de classe S.

☆☆☆

Partie 5

« Est-ce que ça a marché ? » Une perle de sueur coula le long du menton de Lettie, et bien sûr que oui. Le Kagatsuchi avait de sévères conditions à remplir avant de pouvoir être lancé, mais il avait une puissance exceptionnelle parmi les sorts de niveau expert. Et pour compenser, il coûtait tout autant en mana. Sa puissance seule rivalisait avec la magie suprême.

Après tout, pour activer un sort, elle devait entrer en contact avec le corps de la cible et graver une formule magique complexe. Pour cette raison, elle ne pouvait pas se permettre de gaspiller du mana, et était pratiquement sans défense lorsqu’elle le lançait.

« Je n’en suis pas si sûr… tu devrais prendre un peu de recul. Ces deux-là peuvent finir pour toi, » dit Alus.

« Désolée pour ça. Mais je ne peux pas imaginer que ça ne le tuerait pas. »

« Ce serait bien… mais vu ce à quoi nous sommes confrontés, c’est difficile à dire. »

« Bon travail, Capitaine, » dit Mujir. « Laissez-nous le nettoyage. »

Sans attendre qu’Alus ait terminé, Sajik et Mujir s’étaient avancés, Mujir avec ses tonfas prêts et Sajik faisant claquer ses gantelets ensemble.

« Mais si vous faites quelque chose comme ça, pourriez-vous nous donner un avertissement la prochaine fois ? » s’était plaint Sajik.

« Tu savais que tu ne serais pas blessée, n’est-ce pas ? » demanda Lettie.

« Bien sûr ! Mais même si les flammes ne nous touchent pas, la chaleur est suffisante pour nous brûler. Contrairement à toi et Sire Alus, nous ne pouvons pas utiliser le contrôle du mana seul pour nous protéger de la chaleur, » lui déclara Mujir.

Les qualifier de non-qualifiés serait cruel. Il était courant que le contrôle du mana soit au bas de la liste des priorités pour la plupart des magiciens, donc à moins qu’ils ne soient des Singles, leurs compétences seraient inférieures.

« Ah bon, ça fait un moment que je ne l’ai pas utilisé, alors j’ai un peu oublié, ha ha ha. »

Sajik et Mujir la fixèrent avec un certain ressentiment, mais haussèrent rapidement les épaules en signe de résignation. « Heureusement, personne n’est blessé, alors dépêche-toi de te reposer, » dit Sajik en désignant son pouce derrière lui.

Juste après que Lettie se soit éloignée et ait commencé à essuyer sa sueur sur sa manche —.

« Sire Alus ! Ce n’est pas encore fini ! » La voix paniquée de Rinne avait immédiatement gelé l’atmosphère détendue.

Avec des expressions tendues, ils avaient tous fixé le corps brûlé de Roscarg. Même Lettie s’était raidie en regardant avec incrédulité.

Il n’y avait aucune chance qu’il puisse encore bouger après ça. Son corps avait été réduit en cendres. Et même si c’était un Mamono, son corps n’était plus capable d’être un conteneur pour le mana. Il ne devrait pas être autre chose que « ce qui était autrefois un Mamono ».

Pourtant, tous pouvaient voir le mystère inexplicable qui se déroulait devant eux. Ils avaient rejeté ce qui se passait devant eux, leurs corps étant figés sur place.

Le corps du Roscarg, qui n’aurait même pas dû être capable de se tenir debout, avait fait son mouvement… il avait fait pousser quatre bras de glace à partir du bord de son corps. Sans laisser au groupe le temps de réagir, des têtes de dragons avaient jailli des extrémités des bras, et avaient attaqué Alus et les autres avec une grande force.

« Allie ! C’est le Mizuchi de Gileada ! » cria Lettie.

« Tsk ! » Alus, étant le plus proche, deux des têtes l’avaient attaqué, tandis que les autres l’avaient contourné pour s’en prendre à Sajik et Mujir.

Alors même qu’ils s’approchaient, les têtes de dragon devenaient de plus en plus grosses, et étaient déjà assez grandes pour avaler une personne entière.

Avec un craquement de glace, les têtes s’étaient abattues sur Alus d’en haut en un instant. De la terre avait été soulevée lorsqu’elles s’étaient écrasées l’une contre l’autre et avaient creusé le sol. Les cous devaient avoir exsudé un froid intense, car le nuage de terre avait gelé et s’était transformé en cristaux de glace.

Alus avait fait un bond en arrière, mais les dragons de glace sauvages avaient gelé tout sur leur passage en le poursuivant. Tout en esquivant en arrière, il avait tiré sur la chaîne de son AWR. Il avait trouvé l’anneau qu’il cherchait et y avait immédiatement versé du mana.

Alors qu’ils chassaient Alus, la bouche grande ouverte, les dragons de glace s’écrasaient et s’emmêlaient les uns aux autres en grandissant.

L’instant d’après, plusieurs murs de roche s’élevèrent du sol, se plaçant entre Alus et les dragons de glace. Cependant… comme il s’y attendait, Mizuchi était un sort de bien plus haut niveau et les murs n’avaient même pas servi à les ralentir. Les rochers avaient gelé en un instant et les dragons de glace s’étaient écrasés à travers eux.

Comme on pouvait s’y attendre de la part de la spécialité de Gileada, c’était un sort de niveau expert et sa puissance était écrasante. Non seulement le Roscarg n’avait pas été tué, mais il pouvait même utiliser des sorts de ce niveau. Contrairement aux copies inférieures des Yeux Cramoisis et du Niflheim, celle-ci était une réplique presque parfaite.

En plus de ça, il utilisait quatre sorts de cette ampleur en même temps. Seuls les Mamonos peuvent lancer des sorts aussi perfectionnés… Nous ne sommes pas à la hauteur de la force de leur construction.

Malgré la situation, Alus ne paniquait pas le moins du monde. En fait, il arborait un sourire tranquille. Les sorts qui s’approchaient de lui dépassaient les capacités des humains dans leur forme la plus aboutie. C’est pourquoi il ne pouvait s’empêcher de les trouver beaux.

Alus était ravi. Il tira la chaîne de toutes ses forces et balança la Brume Nocturne à pleine vitesse. L’étirement n’était pas une lame de mana habituelle, mais une vague vibrante et invisible. La plupart de ceux qui avaient assisté à ce spectacle auraient douté de leurs yeux, car les dragons de glace faits de magie de niveau expert avaient été déchirés comme du papier.

La coupe elle-même était également anormale. Après tout, l’espace lui-même avait été coupé et déplacé.

Cependant, les corps féroces de Mizuchi avaient été facilement brisés en morceaux comme preuve que ce n’était pas une illusion ou une hallucination.

Alors qu’ils se transformaient en fragments de mana incandescents, seul Alus restait debout. Mais pour l’instant, son attention s’était portée ailleurs. « Allez-vous bien ? » Il appela Sajik et Mujir, se tournant vers eux.

Alus n’avait abattu que deux des Mizuchi. Et il avait vu du coin de l’œil les deux autres têtes s’en prendre à Sajik et Mujir. Il se disait que ce n’était pas trop grave, mais Mujir au moins semblait avoir été pris au dépourvu.

« Je suis désolée, Sir Alus. J’ai été surpris, » dit Mujir en respirant de façon irrégulière, tout en pressant son abdomen en sang.

« J’ai mal interprété la situation, » répondit Alus, avec une certaine amertume. Un sort perfectionné de niveau expert les avait attaqués avec un timing précis et ils n’étaient pas assez compétents pour y faire face. Les faire monter au front à la place de Lettie s’était retourné contre eux. Peut-être aurait-il dû les faire se concentrer sur l’esquive.

« Hah, tu deviens négligent, Mujir. » Sajik avait fait une blague, bien qu’il soit lui-même couvert de blessures dues à l’attaque de Mizuchi. Le sang coulait de partout, et ses bras, ses jambes, sa poitrine et son visage étaient couverts de givre. Il avait utilisé la Force en conjonction avec la magie offensive, tout en combattant les têtes de dragons de glace à mains nues. En attrapant le menton des deux têtes de dragon, il n’avait pas pu tenir le coup.

Et voyant cela, Mujir déclara, exaspéré : « Tu es bien plus mal en point. Ces bras et ces jambes sont dans un sale état, n’est-ce pas ? »

« Ce n’est rien ! » dit Sajik. Mais il semblait avoir pris beaucoup de dégâts à cause des effets secondaires de la Force ainsi que du Mizuchi.

Quant au Roscarg qui pouvait utiliser ce genre de sort… il était toujours effondré sur les genoux et sous une forme carbonisée… pourtant il ne s’était pas transformé en cendres comme le faisaient les Mamonos dont le cœur était détruit. Rinne pouvait le sentir avec sa détection, et pire que tout, il pouvait encore lancer des sorts.

Cependant, Alus ne l’aurait jamais négligé s’il avait fait le moindre mouvement. Qu’est-ce qui se passe… ? Il n’avait pas eu le temps de savourer sa victoire alors que ces pensées traversaient son esprit.

Quand Alus avait jeté un autre regard sur le Roscarg, il semblait toujours mort. Peu importe où se trouvait son noyau, il aurait dû être brûlé par le Kagatsuchi de Lettie.

Le corps du Mamono se transformait lentement en cendres et était emporté par le vent. Il semblait décédé pour quiconque regardait, les signes étaient tous là… mais il était impossible pour un Mamono mort d’utiliser la magie.

Ce qui signifie que Rinne ne sentait pas le Mamono lui-même, mais une grande quantité de mana encore dans son corps pour une raison inconnue, même s’il n’y avait pas de fuites visibles de mana.

Et la réponse que l’on pouvait en conclure… était…

Avant qu’Alus ait pu terminer sa pensée, il avait tout senti dans l’expression pâle de Rinne et avait ravalé ses mots.

Il n’y avait aucun doute. Le démon Mamono toujours en vie. Et une fois qu’il en fut convaincu, Alus aperçut un léger mouvement du coin de l’œil.

« Vous vous repliez et vous vous concentrez sur la guérison ! » Remarquant le changement, Alus ordonna immédiatement à Sajik et Mujir de se replier. Le Mamono s’était transformé en cendres, mais le processus s’était brusquement arrêté, et il lui restait encore plus de la moitié de son torse.

Un son étrange provenait de l’abdomen gonflé du Roscarg. Sa coquille extérieure s’était fissurée et s’était étendue dans toutes les directions comme une toile d’araignée. Quelque chose bougeait à l’intérieur… et bientôt, un morceau de la coquille externe était tombé sur le sol, soulevant de la suie.

La coquille extérieure du Roscarg tombait en morceaux, comme si une sorte de poulet anormal sortait d’un œuf cendré.

C’était un spectacle bizarre. Tout le monde était immobile en regardant ce qui se passait.

Alors qu’un morceau particulièrement gros de la coquille tombait, ils aperçurent quelque chose… ou plutôt, elle les aperçut à travers un point lumineux inquiétant. Tous s’étaient figés et avaient retenu leur souffle en le regardant.

« Quoi — !! Pas possible ! » cria inconsciemment Lettie, reculant d’un pas.

Une étrange créature était clairement sur le point de sortir de l’estomac du Roscarg. Quelque chose émergeait d’un vide creux, plus sombre que les ombres. Des points lumineux blancs, comme des yeux, scintillaient à l’intérieur de l’œuf vide de ce qui était autrefois le Roscarg.

Et enfin —.

« Wuuu… »

Un son guttural vibrant qui ne venait pas de la gorge, mais plutôt d’une sorte de membrane bizarre, gronda et fit trembler l’air.

Mujir s’était recroquevillé de surprise, lâchant presque ses AWRs tonfa.

« Ça doit être une sorte de blague. Qu’est-ce que c’est… ? » dit Rinne.

« C’est mauvais. Mlle Rinne…, » Une sueur froide coula dans le dos de Lettie, et elle se tourna vers Rinne dans l’espoir qu’elle puisse au moins lui désigner un rang.

« N-N… Nooooon ! ! Non, non, non… ah… ah… ah… urk. » La peau de Rinne était déjà pâle, mais maintenant elle était blanche comme un cadavre. Elle haletait pour respirer, en hyperventilation, et était sur le point de vomir. Même ses yeux étaient flous.

☆☆☆

Partie 6

En voyant sa réaction, n’importe qui aurait compris que ce qui se cachait à l’intérieur du Roscarg, ou ce qui se déguisait peut-être en lui, était le véritable Dévoreur.

Capable de ressentir le mana avec précision, Rinne pouvait sentir l’écrasante différence de puissance entre eux. Ayant mangé des centaines de magiciens, sa pression terrifiante était directement appliquée à ses sens.

En voyant Rinne comme ça, Lettie avait réalisé que c’était sa faute. Elle s’était emportée, pensant l’avoir éliminé. « Al… Capitaine, » dit-elle avec une expression sérieuse.

Elle était préparée à la mort. Le prochain mouvement déciderait probablement du sort de tout le monde ici. Ses yeux l’avaient rendu assez clair.

« Oui, il n’y a aucun doute. C’est une classe SS, c’est sûr, » dit Alus. Le mana tordu était si dense et si puissant qu’il pouvait le sentir sur sa peau. Ce Mamono était clairement différent de tous ceux qu’il avait combattus auparavant, ce qui lui fit battre le cœur.

« Mais… qu’est-ce qu’on fait ? On ne peut pas s’occuper de ça juste avec nous ! » s’exclama Lettie.

« C-Capitaine, Lettie a raison. Ce n’est pas quelque chose qu’une seule nation peut gérer… »

« H… Hé, Mujir, c’est Sire Alus qui décide de cela, pas nous, » Sajik avait interrompu la réaction timide de Mujir, même si sa voix tremblait. Mais il n’avait pas tort. Sajik ne pensait pas que c’était quelque chose que les élites d’une seule nation pouvaient gérer.

Mais ils étaient déjà au-delà de ça. Alus savait ce qu’il devait faire. Pour commencer, il n’y avait jamais eu d’autre choix. Même maintenant, la cavité du Roscarg s’était agrandie, et trois doigts étaient apparus sur le bord comme pour l’ouvrir davantage.

« Si nous devons battre en retraite, ce doit être maintenant… si nous pouvons gagner ne serait-ce qu’une seconde... » Mujir avait dit avec toute la vigueur dont il était capable, mais Alus n’avait pas réagi. Comme pour le pousser à continuer, il reprit la parole d’une voix timide, « S-Sire Alus ! !! »

Est-ce que même le numéro 1 du classement aurait pu être déconcerté par cette irrégularité ? s’était demandé Mujir en jetant un coup d’œil à son visage. L’instant d’après, son propre visage était devenu pâle sous le choc. « — !! »

Alus affichait des yeux féroces. Les yeux d’un prédateur, sans la moindre trace de peur. Comme s’il attendait que sa proie sorte de son nid… Il y avait même un sourire sur son visage.

« Allie ? » demanda Lettie d’une voix interrogative.

Finalement, comme s’il reprenait enfin ses esprits, Alus tourna son attention vers ses subordonnés. « Oui, vous pouvez aller de l’avant et battre en retraite. »

« — !! » Lettie, Mujir, et Sajik avaient réagi. Mujir déclara : « Sire Alus, vous ne voulez pas dire… que vous allez le combattre seul !? »

« Évidemment. On ne croise pas une classe SS tous les jours. Quel meilleur adversaire pourrais-je demander si je me donne à fond ? » Dans un geste apparemment satisfait, Alus ramena son menton en arrière, un sourire intrépide sur les lèvres. Dans ses yeux, il y avait une lumière presque innocente, comme un enfant qui aurait trouvé un nouveau jouet. Selon la personne, on pouvait même se demander s’il était sain d’esprit. « Même si c’est une mission, j’ai besoin de combattre quelqu’un d’un peu fort de temps en temps, ou mes compétences vont s’émousser. Sans compter que c’est la première fois que je vois ce genre d’individus. Je ne sais pas si c’est un parasite ou s’il s’est déguisé, mais il est clair que cette chose attendait une proie intéressante à l’intérieur du Roscarg. »

Alus semblait avoir enfin compris le mystère derrière l’énorme quantité de mana du Mamono malgré l’absence d’un réceptacle approprié, et pourquoi il y avait un délai lorsqu’il lançait de la magie. La réponse à tous ses doutes avait pris forme devant ses yeux. « Si nous fuyons ici, cette chose va nous poursuivre. Dans ce cas, il y aura plus de victimes que prévu. Surtout contre ce genre de chose. »

« Peux-tu t’en occuper, Allie ? »

« Je me le demande. Mais au moins, je n’ai pas l’impression que je vais perdre. »

« — !! Sire Alus, le risque est trop élevé ! Nous ne savons pas non plus quelle est la force de l’ennemi… » Mujir avait donné un argument logique et solide, mais Sajik avait posé sa main sur son épaule et avait secoué la tête.

Sajik écarta ses pieds puis il se plaça dans une posture droite très militaire, les bras derrière le dos, contrairement à son comportement habituel. On aurait dit qu’il s’était préparé et qu’il était sur le point de faire une proposition à Alus. En le voyant poser comme ça, Alus décida au moins de l’écouter.

« Sire Alus, nous sommes de fiers magiciens d’Alpha. Nous ne pourrions rien demander de plus que de nous tenir à vos côtés et à ceux de Lettie. Je suis bien conscient que nous manquons de force, mais je ne peux pas imaginer battre en retraite et vous laisser derrière. »

Mujir avait finalement compris. En tant que subordonné, au lieu de tout remettre en question, il devait avoir confiance en son commandant… Sajik se tenait comme un modèle de l’incarnation idéale du soldat devant lui.

Dire qu’il m’a devancé. Mujir arborait un sourire d’autodérision en s’alignant à côté de Sajik avec une révérence respectueuse, comme s’il avait complètement oublié le Mamono. « Pardonnez-moi d’avoir dépassé les limites tout à l’heure. Je partage le même sentiment que Sajik… comme le reste de l’équipe ici. »

Les membres de l’équipe avaient hoché la tête les uns après les autres. Voyant cela, Lettie murmura, « C’est pourquoi les hommes sont si stupides… » avec un sourire en coin.

Elle avait ensuite changé son expression pour prendre celle d’un leader. « Bien ! Dans ce cas, nous le détruirons même s’il nous tue ! » dit-elle en encourageant son escouade motivée.

« Hé ! Vous pouvez être aussi passionné que vous le voulez, mais ne le touchez pas. »

« Hein ? »

L’escouade était en train de s’enflammer, mais les mots d’Alus avaient fait l’effet d’un seau d’eau froide déversé sur eux. Lettie s’était figée, tandis que Sajik et Mujir étaient également sidérés.

« … Mais si vous êtes si enthousiastes, je peux au moins vous laisser regarder. » Alus leur adressa un sourire et poursuivit : « Vous ne savez pas pourquoi je me suis battu tout seul pendant tout ce temps, n’est-ce pas ? Eh bien, maintenant vous allez pouvoir le voir de vos propres yeux. » Il désigna le sommet du dépôt, qui ressemblait à une masse rocheuse à une certaine distance.

Les dégâts ne devraient pas atteindre cette distance. Il serait à portée de vue de l’ennemi, mais Alus était convaincu qu’il serait capable de l’empêcher de les attaquer. En plus de cela, si ce Dévoreur attendait une proie digne de ce nom, il n’allait pas se contenter de quelqu’un d’autre qu’une personne dotée d’un vaste mana comme Alus.

« Allez-y, lancez-vous avant qu’il ne sorte. Je veux voir ce qu’une classe SS légendaire a dans le ventre ! »

Acceptant à contrecœur l’ordre d’Alus, l’escouade commença prudemment à se retirer. Et un instant plus tard — .

« Wuuwuuuu… »

Le Dévoreur sortit ses pieds du trou encore petit, brisant la coquille, et apparut enfin dans toute sa gloire. Il tendit le bras et frotta les quatre doigts de sa main ensemble, pour sentir ses mouvements. Son corps entier était recouvert d’une peau noire lustrée, et il était relativement petit, atteignant trois mètres de haut. Sa queue se divisait en deux à son extrémité, et sur chaque bout se trouvait une monstrueuse bouche béante.

Le visage était plat et une sorte de mucus formait une pellicule sur lui, le faisant scintiller. Ses orbites ressemblaient à des trous réfléchissant la lumière, ce qui leur donnait l’apparence d’yeux. Sur toute la largeur de son visage se trouvait une bouche massive, et on aurait presque dit qu’elle souriait.

Sur sa tête se trouvait une corne déformée qui s’étendait vers l’arrière, lui donnant l’apparence d’une étrange créature reptilienne.

Bien que bizarre, sa forme avait une sorte de simplicité et d’élégance. Même Alus n’avait pas vu une forme évolutive aussi perfectionnée. Il avait vu beaucoup de Mamonos avant, et il avait eu une certaine impression après avoir vu celui-ci. Et c’était que peut-être que toutes les créatures fantastiques et fictives dans les histoires de légendes et de mythes étaient vraiment originaires des Mamonos.

Quand les Mamonos mangeaient des humains, l’information de mana qu’ils prenaient incluait les souvenirs de la victime. Sa théorie était que peut-être les Mamonos changeaient de forme pour devenir ces créatures mythiques en se basant sur ces souvenirs.

Il existait également une théorie selon laquelle les Mamonos avaient existé dans ce monde bien avant leur émergence en nombre massif. Par exemple, sous la forme d’êtres surnaturels tels que les diables, les anges, les dieux et les esprits, et ainsi de suite. Ils n’existaient pas en réalité, mais les gens de l’époque avaient peut-être interprété les Mamonos comme tels.

Il s’agissait toutefois d’un bond en avant. Les érudits avaient tendance à pencher pour la première théorie. Cependant, parmi les croyants, il y avait quelques hérétiques qui soutenaient la seconde. Cela signifiait que les Mamonos étaient plus anciens que l’histoire humaine, et donc des êtres supérieurs à l’existence.

En fait, au cours de la période chaotique de l’histoire où les Mamonos avaient fait leur apparition, certains avaient même prétendu qu’ils étaient des créatures à vénérer et s’étaient offerts ou avaient offert d’autres sacrifices. Même de nos jours, il existait des cultes qui considéraient les Mamonos comme sacrés, bien que leurs activités soient généralement interdites et réprimées par les différentes nations.

Mais pour Alus, de telles revendications étaient des illusions qui méritaient à peine une seconde réflexion. Ce n’est pas comme s’il ne pouvait pas comprendre le désir de chercher le salut dans ce monde de désespoir auprès de créatures qui dépassaient la connaissance humaine. Mais si c’était le cas, pourquoi mangeaient-elles des humains ?

Si l’on considère les magiciens qui avaient combattu et étaient morts dans la bataille contre les Mamonos, ainsi que le chagrin des familles laissées derrière, des dieux qui ne pouvaient que créer de la souffrance et n’offraient aucun salut seraient sans valeur aux yeux d’Alus. Leur montrer de la révérence était la dernière chose qu’il ferait. En fait, ce genre d’idées n’était rien de moins que blasphématoire envers les magiciens qui avaient perdu leur vie.

Pour l’instant, le Dévoreur devant lui avait beau avoir la forme d’un mamono, il ne voyait en lui rien de plus qu’un monstre anormal à abattre.

Sera-t-il vraiment capable de dire où je suis sans yeux ni nez ? Alus jeta sa cape et libéra son mana. Il fixa le Mamono qui réagissait au torrent de mana, comme pour le provoquer.

La bouche du Dévoreur s’était ouverte, révélant des rangées de dents qui descendaient jusqu’à sa gorge. En même temps, il s’était mis à quatre pattes, levant sa queue fourchue en l’air. Il ramena sa tête vers le sol, tandis que de la bave s’écoulait.

Au moment où Alus s’apprêtait à s’engager, le Dévoreur avait soudainement bondi. À chaque pas, il creusait la terre, projetant de la terre et des cailloux. Et en un clin d’œil, il avait comblé la distance.

Cependant, sa cible n’était pas Alus. Il s’en prenait plutôt à l’escouade qui se repliait vers le sommet du gisement de minéraux.

Alus avait pensé que le Dévoreur lui donnerait la priorité, vu qu’il avait le plus de mana, mais peut-être qu’il poursuivait la proie en fuite par instinct bestial. Il se mit rapidement en travers de son chemin en tendant sa chaîne, mais le Dévoreur semblait l’avoir vu venir, car il sauta sur une branche proche et l’utilisa comme tremplin pour sauter plus loin.

Bien sûr, Alus n’allait pas se contenter de regarder ça. Il positionna son AWR et visa l’endroit où le Dévoreur allait atterrir —.

☆☆☆

Partie 7

— Mais… « – !! » Avec la lame noire de la Brume Nocturne prête à l’emploi, Alus s’élança vers le monstre. Mais plus vite qu’Alus ne pouvait le remarquer, une silhouette apparut brusquement devant lui.

Et c’était Rinne, alors qu’elle était censée être à l’arrière de la formation delta, à une certaine distance.

La lame avait été arrêtée juste avant de pouvoir couper son cou. Que s’est-il passé exactement ?

Rinne avait les larmes aux yeux, montrant à quel point elle était confuse par ce qui se passait.

Un instant plus tard, le monstre se rapprochait d’Alus et de Rinne, la bouche grande ouverte. Si une personne était victime de cette mâchoire féroce, il ne resterait pas grand-chose d’elle.

« Merde !! » Alors que la bouche du Dévoreur frôlait son corps et qu’il sentait des fragments de mana courir sur sa peau, Alus comprit ce qui était arrivé à Rinne. De la magie de domination spatiale. C’était le genre de magie qu’Alus maîtrisait le mieux, une magie qui interférait avec l’existence, l’énergie de position et l’axe des coordonnées d’un objet.

Pourquoi diable cette chose peut-elle utiliser Échange ? À proprement parler, le Dévoreur avait utilisé un sort qui dépassait même cela. Il n’avait pas échangé les coordonnées et l’énergie de position de deux objets, mais avait déplacé de force Rinne dans l’espace.

Aussi choquant que cela puisse être, les Mamonos étaient plus aptes à utiliser la magie que les humains. En pensant à cela, Alus avait pu se calmer après avoir perdu son sang-froid pendant un moment.

En même temps, il avait compris pourquoi le Mamono ne l’avait pas utilisé contre lui-même, et avait immédiatement pris des mesures contre lui. Magie de domination spatiale ou pas, il ne pouvait pas l’utiliser contre Alus, qui fixait son existence en place par la magie. C’est pourquoi il avait ciblé Rinne, qui n’avait pas suivi d’entraînement spécial au combat.

Alors que son cerveau tournait à plein régime, son corps faisait les meilleurs mouvements. Son bras clignota, et la Brume Nocturne pivota vers le haut.

« “Poussée dimensionnelle” »

Alus n’hésita pas à utiliser le même sort qui avait transpercé Mizuchi, et fit pivoter son AWR. Pourtant, il ne coupa pas le Mamono, mais l’espace devant lui. Suivant la trajectoire de la lame, une ligne coupa l’espace lui-même, modifiant le paysage.

Sentant le danger, le Mamono avait fait claquer sa queue fourchue dans le sol pour freiner, et avait sauté sur le côté.

L’espace décalé s’était rapidement réparé et était revenu à la normale, mais être capable de repousser le Mamono pendant une seconde signifiait beaucoup. Pendant cette courte pause, Alus était apparu devant Rinne, effrayée, avec son AWR prêt.

Soudain, d’innombrables lames de mana tournoyant autour d’elle apparurent. Au même moment, il murmura le nom du sort comme s’il le chuchotait à son oreille. « “Hirondelle Brumeuse” »

Les 100 lames de mana pointées vers le Mamono furent envoyées en l’air, Alus tirant lame après lame sans discontinuer. Les éclairs de lumière s’étaient abattus sans pitié sur le Mamono.

Rinne était décontenancée par le spectacle d’innombrables petits météores descendant sur un seul point, quand elle sentit soudain le bras d’Alus s’enrouler autour de sa taille. « Eek ! »

Après la pluie de lumière, Rinne avait été lentement abaissée au sol. Et le bras étroitement enroulé autour de sa taille avait été retiré. « Désolé, je n’aurais jamais imaginé qu’il serait capable d’utiliser Échange. »

« M-merci… »

« Vu la façon dont les coordonnées sont désignées, une fois que vous serez un peu hors de vue, il ne pourra probablement plus utiliser ce sort. Et faites savoir à l’escouade qu’elle doit continuellement libérer son mana pour fixer sa position dans l’espace. Vous devriez être en mesure d’y résister dans une certaine mesure si vous continuez à réécrire les informations sur votre position. »

« Je comprends. »

« Maintenant, allez-y, dépêchez-vous ! »

Rinne s’inclina devant Alus et partit à toute vitesse vers le dépôt. Aussi frustrant que cela puisse être, elle ne pouvait rien faire si des sorts de haut niveau étaient échangés. Si elle se trompait vraiment, elle serait utilisée par le Dévoreur et finirait comme un fardeau.

Alus fit face au Dévoreur une fois de plus, le dos tourné à Rinne.

Alors qu’elle regardait anxieusement Alus en courant, une silhouette était apparue à ses côtés. C’était Mujir, qui était parti à sa recherche.

L’ayant enfin trouvée, il expira et l’appela. « Par ici ! » Mujir se plaça derrière Rinne pour la protéger et s’excusa de son échec alors qu’ils couraient tous les deux, mais elle secoua la tête, lui donnant une brève explication de ce qui s’était passé.

Lorsque Rinne avait soudainement disparu, l’équipe avait à peine repéré quelques fragments de magie et s’était séparée pour la rechercher lorsque Mujir, qui était en route pour faire son rapport à Alus, était tombé sur elle.

L’expression de Mujir s’était raidie lorsqu’il avait entendu parler de la magie effrayante que le Dévoreur avait utilisée. Ce n’était pas tant par peur de devenir une victime du sort, mais plutôt par inquiétude pour Alus qui était resté derrière.

Rinne avait pris la parole pour apaiser ses inquiétudes. « Ne vous inquiétez pas. Sire Alus est le plus grand magicien. S’il devait perdre, l’humanité n’aurait aucune chance. La seule différence serait la rapidité avec laquelle nous serions détruits. Nous devrions donc veiller sur lui de loin et prier pour qu’il soit capable de se battre à pleine puissance. »

« … ! Si c’est ce que vous dites, je suis sûr que c’est le cas… Pardonnez-moi, je suis sûr qu’être protégé par quelqu’un d’aussi timide est inquiétant. S’il vous plaît, oubliez ce que vous venez d’entendre. »

« Ce n’est pas vrai… mais si c’est ce que vous voulez, je n’ai rien entendu. »

Mujir était du genre à pécher par excès de prudence, et même au combat, il mesurait la différence de capacité et calculait calmement ses chances de victoire, il n’était donc pas étonnant qu’il ait été si hésitant.

Les mots de Rinne étaient ceux d’un observateur dont le travail était de rechercher avec précision des informations sur l’ennemi, et de guider les magiciens vers la victoire. La bataille entre Alus et le Dévoreur était déjà au-delà du domaine d’estimation du meilleur observateur d’Alpha, et voir cela était presque rafraîchissant pour Mujir. Leur commandant se tenait sur les hauteurs de ce qui pourrait aussi bien être appelé une terre sacrée, bien au-delà de la connaissance humaine.

Il avait décidé de croire en lui. C’était tout ce qu’il pouvait faire. Et si on en arrivait là, toute l’équipe serait prête à riposter au monstre même s’il les tuait…

Très vite, ils s’étaient regroupés avec Lettie et les autres. Il n’y avait plus beaucoup de chemin à parcourir avant d’atteindre le dépôt. Mais les bruits violents et les signes de combat derrière eux leur donnaient la frousse.

« Je suis heureuse que vous soyez en sécurité, Mme Rinne ! On va se dépêcher d’aller au dépôt. »

Rinne hocha la tête aux paroles de Lettie, tout en courant aussi vite qu’elle le pouvait, un pas derrière elle. Même ici, il y avait des signes de combat, avec des marques de griffes et des arbres fauchés, le sol soulevé et creusé de trous.

Rinne se renfrogna à cette vue, tout en expliquant à Lettie et aux autres comment contrer la magie du Mamono.

« Je vois… donc c’était vraiment un sort qu’il a utilisé… »

« C’est ce qu’il semblerait. Sire Alus l’a appelé Échange. »

« Et maintenant, il utilise même Échange ! On dirait qu’il n’est spécialisé en rien. Il n’a peut-être même plus d’affinités… » pensa Lettie.

« Capitaine, lorsque tu as utilisé Kagatsuchi, la magie d’immobilisation que Sire Alus a utilisé sur le Roscarg n’était-elle pas…, » dit Mujir, ayant remarqué quelque chose.

Tout le monde avait vite compris ce qu’il disait. Aucun d’entre eux n’avait jamais vu ou entendu parler d’un tel sort.

« Lady Lettie, Sire Alus est également un chercheur de premier plan en matière de magie. J’ai entendu dire qu’il est presque le seul responsable quant à la théorie derrière les portes de transfert. »

« … C’est vrai. Alors peut-être qu’Allie n’a pas non plus d’affinité… comme s’il était sans attribut. »

« … » Rinne avait réfléchi silencieusement à cela, pensant que c’était très probable. Quand il l’avait sauvée, il avait utilisé un sort appelé Poussée dimensionnelle. Celui-là n’appartenait à aucun des attributs. Couper l’espace… c’était probablement juste ce que ça semblait être. Peu importe comment elle le voyait, sa puissance était écrasante. Même le Dévoreur avait hésité à toucher cette coupure, et elle avait aussi facilement traversé le Mizuchi que le Dévoreur avait utilisé auparavant.

« Mais il semble que même ce Mamono puisse utiliser une magie sans attribut… il pourrait être difficile de le combattre même si tous les magiciens se réunissaient. Je me sens mal pour Allie, mais nous devons ramener cette information à la maison ou nous aurons des problèmes. »

Rinne était d’accord avec Lettie. Même si c’était un concept inconnu comme l’avait dit Alus, tant qu’il était basé sur la magie, il devait y avoir un moyen d’y résister. Mais s’ils devaient s’engager avec lui sans le savoir, même les Singles pourraient être tués immédiatement.

Lettie avait choisi l’un des membres les plus rapides de son équipe et lui avait donné l’ordre de retourner à la base quoi qu’il arrive. Les informations sur cette nouvelle magie et la menace que représente le mamono qui l’utilisait devaient parvenir au gouverneur général le plus rapidement possible.

Pendant ce temps, Rinne pensait à autre chose. Un attribut que seul Sire Alus peut utiliser… ma supposition sur la raison pour laquelle il partait en mission tout seul n’était pas si éloignée de la vérité. C’est probablement un attribut que nous ne connaissions pas auparavant.

Elle se souvient que la magie utilisée par l’humanité était à l’origine utilisée par les Mamonos. Mais un certain nombre de Mamonos le connaît clairement, car ils sont les rois de la magie. Mais même les Mamonos ne peuvent pas utiliser aussi facilement le pouvoir de la magie sans attribut… Heureusement, il n’y a pas eu beaucoup de Mamonos de la même classe que la calamité…

Les Mamonos étaient généralement figés dans leurs classes établies, mais ils pouvaient surmonter cela en mangeant. En absorbant le mana et les informations qu’il contient, un Mamono pourrait être capable d’utiliser des sorts qu’un magicien connaîtrait grâce à ses connaissances et son expérience. Bien sûr, ils n’en sont pas tous capables. Mais c’est pour cela qu’ils représentent une menace constante pour l’humanité.

Cependant, cela pourrait signifier que le Dévoreur avait déjà mangé un utilisateur de magie sans attribut…

Mais Rinne avait rejeté l’idée. Après tout, c’était un territoire inconnu, même pour un Single comme Lettie. En effet, Alus était la seule exception.

Ayant été aussi loin dans ses pensées, elle avait reconsidéré la question. Et si j’y pensais de l’autre côté ? Pourquoi Sire Alus peut-il utiliser la magie à un niveau que seuls les Mamonos de la plus haute classe peuvent utiliser… ? A-t-il simplement atteint ce niveau grâce à ses recherches ?

Ce qui avait empêché Rinne de réfléchir davantage, c’était une onde de choc, probablement le résultat d’un échange d’attaques entre Alus et le Dévoreur, qui l’avait frappée par-derrière.

« C’est sûr qu’ils s’y mettent à fond. » En sautant sur le côté et en couvrant Rinne, Lettie tournoya dans les airs, donnant un coup de pied dans un tronc d’arbre proche et atterrissant sur une branche.

Elle avait mis sa main sur ses yeux plissés. Ce geste n’était pas destiné à lui permettre de regarder au loin. Quelque chose de microscopique, transporté par l’onde de choc, soufflait sur elle.

☆☆☆

Partie 8

« Hein ? Du sable ? » Sous la branche où se trouvait Lettie, Rinne s’était frotté le dos de la main et avait marmonné en signe de confusion. C’était des grains de sable très fins. La sensation était lisse et sèche, ce qui en faisait quelque chose que l’on ne s’attendrait pas à voir dans un endroit rempli de verdure.

Rinne voulait utiliser son œil magique pour confirmer ce qui s’était passé, mais elle s’était vite retenue. Elle avait déterminé que l’utiliser maintenant ne servirait qu’à distraire Alus.

Pendant ce temps, Lettie, qui avait sauté sur un arbre encore plus grand, confirmait ce qui se passait derrière eux, laissant échapper une voix émerveillée. « Qu’est-ce que c’est que ça… ha ha ha, j’aurais cru voir une dune de sable dans le Monde Extérieur ! »

« Une dune de sable ? » demanda Rinne.

« Ouais. L’endroit où se trouve Allie s’est transformé en un véritable désert. »

Réagissant aux paroles de Lettie, les membres de l’équipe s’étaient déplacés pour voir le spectacle par eux-mêmes.

« … ! ! C’est Helheim ! » s’écria Mujir. Contrairement à son calme habituel, il avait maintenant l’air déconcerté.

« Es-tu au courant de quelque chose ? » lui demanda Lettie.

« La version complète n’est probablement même pas enregistrée dans l’encyclopédie des sorts. Je n’ai moi-même entendu que des rumeurs à son sujet. Accessoirement, le nom vient d’un conte de fées que ma mère me lisait quand j’étais jeune. C’était un endroit créé par un diable qui s’opposait au créateur du monde, et qui utilisait le sable comme bras et jambes. »

« Je me demande qui est le vrai monstre ici…, » dit Lettie, en souriant ironiquement.

Sajik l’avait appelée. « Capitaine Lettie, lève les yeux ! Ce sont de mauvaises nouvelles. Nous devrions aller au dépôt maintenant ! »

Les joues de Lettie avaient tressailli à ses mots. Il était midi, mais le ciel s’assombrissait et des nuages noirs s’amoncelaient au-dessus d’eux. Il était clair qu’ils n’étaient pas naturels. Il y avait parfois des éclairs à l’intérieur, mais ils étaient bien trop sombres pour être appelés « lumière ». Ces éclairs sombres et vacillants étaient sans aucun doute issus d’une puissante magie.

Non seulement c’était sinistre visuellement, mais si quelqu’un avec une affinité pour l’attribut foudre comme Sajik les avertissait, c’était à tous les coups dangereux. Il n’avait plus son calme habituel, son regard était empreint de panique.

« C’est la première fois que je vois un éclair noir. Serait-ce de la magie de foudre de niveau expert… ? Quelque chose d’égal au plus haut niveau de la foudre ? » supposa Rinne.

Sajik l’avait confirmé. « Oui, c’est sans aucun doute le plus puissant des huit vertices, l’Ikazuchi Noir. Je ne l’ai jamais vu de mes propres yeux… et pour parler plus précisément, c’est un sort de niveau ultime. »

Comme pour appuyer ses paroles, tout le monde avait eu la chair de poule. L’air s’électrifiait, même à cette distance.

« Eh bien, c’est mauvais. Allons au dépôt immédiatement ! » leur déclara Lettie.

Sous l’impulsion d’un coup de tonnerre, le groupe se précipita à toute vitesse vers sa destination. De loin, le sommet du dépôt semblait bas par rapport au sol, mais en s’approchant, ils avaient vu que l’inclinaison vers le sommet était anormalement raide. Il serait extrêmement difficile à atteindre pour une personne normale.

Cependant, les magiciens ici présents étaient des élites, et ils grimpaient le mont rocheux en sautant depuis de petites prises de pied dépassant de la surface. La zone au sommet du gisement était petite, mais s’ils se regroupaient, il y aurait assez d’espace pour eux tous.

Ensuite, l’équipe avait mis en place plusieurs couches de barrières sans même attendre les instructions de Lettie. Elles étaient destinées à gérer les conséquences du sort qu’ils avaient vu auparavant. Ensemble, ils avaient créé une barrière massive qui couvrait la totalité du sommet du dépôt. Les préparatifs contre les nuages noirs n’étaient pas parfaits, mais ils avaient au moins créé une défense solide.

Rinne regardait tranquillement l’équipe se mettre au travail. Elle était spécialisée dans la détection, donc elle ne ferait que gêner. « Ne mettrez-vous pas aussi une barrière, Lady Lettie ? » dit-elle soudainement, ayant remarqué l’absence de la barrière de Lettie. S’ils voulaient que ce soit parfait, ils ne pouvaient pas laisser de côté la barrière d’un Single.

« Je ne suis pas bonne quand il s’agit de ce genre de choses. »

« Excusez-moi ? »

Lettie avait légèrement ri, et ses épaules s’étaient affaissées. Elle repoussa sa tresse de son visage et haussa les épaules. « Juste pour que vous sachiez, ne me mettez pas au même niveau qu’Allie juste parce que nous sommes toutes les deux des Singles. Tout le monde n’est pas tout-puissant en matière de magie. »

« Ah ! Je-je suis désolée. »

« C’est bon. Je ne suis pas assez mesquine pour être jalouse de ça. »

Rinne avait finalement compris. On disait qu’un observateur pouvait passer la moitié de sa vie à peaufiner ses compétences dans le monde extérieur, mais qu’en échange, il n’avait pratiquement aucune occasion d’apprendre des sorts d’attaque.

Il en allait de même, dans le sens inverse, pour les magiciens spécialisés dans le combat. De grandes décisions étaient nécessaires pour maîtriser la magie. Ils devaient prendre en compte des éléments tels que l’affinité, la quantité de mana, les attributs qu’ils pouvaient utiliser, leur disposition, leur compétence en matière de magie, et ainsi de suite.

Normalement, on devrait choisir un seul chemin parmi un nombre presque infini, et s’entraîner. Les chemins que l’on pouvait emprunter étaient si nombreux que même une vie entière ne suffisait pas à les parcourir tous.

Rinne était peut-être classée numéro 2, mais quand il s’agissait de son classement en tant que magicien normal, elle était dans les quatre chiffres. Maîtriser quelque chose signifie renoncer à autre chose. La vie n’était rien d’autre qu’une série de choix. Et Rinne avait oublié quelque chose qui était pourtant évident. C’était peut-être normal, puisqu’elle était aux côtés du seul magicien capable de rendre l’impossible possible dans cette mission.

C’est pourquoi Lettie s’était concentrée sur la magie explosive, atteignant les hauteurs d’un Single en la maîtrisant. En attendant, il ne serait pas étrange qu’elle soit inférieure à un Double dans d’autres domaines, même si atteindre le rang de Single dans un seul domaine d’activité en disait long sur son talent.

C’est pourquoi ils étaient une équipe — une unité. Lettie était loin d’être toute puissante, et les autres membres de l’escouade la soutenaient avec leurs propres spécialités. En y réfléchissant, c’était du bon sens et une tactique universelle et efficace.

Rinne était gênée que cette vérité ait échappé à son esprit. L’instant d’après, elle avait compris pourquoi Alus choisissait toujours de se battre seul. « En d’autres termes, il peut tout faire tout seul… c’est pourquoi il n’a pas besoin d’une escouade… »

Lettie avait clairement entendu le murmure de Rinne. « Je pense que c’est en partie ça, mais… » Alors qu’elle s’arrêtait pour réfléchir, une énorme lumière avait jailli des nuages sombres.

« C’est le Ikazuchi Noir ! » Rinne n’avait pas capté ce que Lettie était en train de dire, perdant ses mots sur la vue devant elle. C’était comme un dragon noir, plus rapide que l’œil ne pouvait voir, courant dans le ciel vers le sol.

Quelques instants plus tard, le son de ce spectacle était parvenu à leurs oreilles. D’innombrables étincelles noires jaillirent du point d’impact de la foudre. Certaines atteignaient même le sommet du dépôt, disparaissant après s’être écrasées contre les barrières.

Ensuite, ce fut le silence. C’était comme si les bruits forts du combat avaient été effacés par la foudre, ne laissant qu’un calme inquiétant.

« … Enfin, comme je le disais, je pense que c’est parce que si tu es seul, personne ne mourra avec toi. Allie nous a fait battre en retraite quand il a vu que nous n’étions pas en parfaite condition pour nous battre, non ? »

« … N’êtes-vous pas en train de trop réfléchir ? »

« Pas du tout. Il n’a que seize ans, vous savez. Ne pas vouloir que quelqu’un meure dans le Monde Extérieur n’est qu’un idéal d’enfant… mais il a le pouvoir d’en faire une réalité. »

Rinne avait l’impression que l’image que Lettie se faisait d’Alus se heurtait à la sienne, et elle n’avait pu s’empêcher de s’exprimer. « Sire Alus ne me semble pas être ce genre de personne… »

« Regardez-vous parler ! C’est une machine à tuer inébranlable, n’est-ce pas ? »

« — !! Je n’irais pas si loin… »

« Héhé, c’était juste une blague. Eh bien, ce n’est pas si loin… tous ceux qui ont connu Allie quand il était dans l’armée ont probablement eu cette impression. Mais je le connais depuis qu’il est plus jeune. »

Lettie avait souri à Rinne avec un léger sentiment de supériorité. « L’expression de son visage a changé depuis qu’il s’est inscrit à l’Institut. Eh bien, Allie se débrouillait bien en se battant seul. Aucun Mamono n’était à la hauteur de sa force écrasante… mais c’est pour cela que je m’inquiète maintenant. Il y a toujours des limites à ce qu’une personne peut faire. Au fait, ce n’est que ma petite théorie. »

« Mais il a Mme Loki à ses côtés maintenant. »

« Bien. Elle semble un peu spéciale, alors peut-être qu’elle fera la différence, qui sait. De toute façon, si Allie continue à faire des missions tout seul, il va déraper à un moment donné. J’en suis sûre. »

Le tuteur et supérieur d’Alus, le gouverneur général Berwick, avait les mêmes doutes que Lettie. C’est pour cela qu’il est ailleurs maintenant, n’est-ce pas ? Lettie hocha la tête, ayant compris l’intention de Berwick en envoyant Alus là-bas. C’était un moyen de retrouver ce qui lui manquait dans la vie quotidienne à l’Institut.

« Eh bien, ce genre de pouvoir isole les gens. Il fait croire aux gens que leurs idéaux sont une réalité. En un sens, sa raison de se battre n’est qu’un rêve. Ne pas se fier à quelqu’un d’autre sur le champ de bataille, penser que l’on est le seul à pouvoir empêcher quiconque de mourir… c’est finalement juste pour l’autosatisfaction. J’espère seulement qu’il ne sera pas trop tard lorsqu’il s’en rendra compte. »

Lettie avait combattu sur les lignes de front et vu des subordonnés et des amis perdre la vie d’innombrables fois.

Rinne avait compris que ses mots venaient de l’expérience. On ne savait jamais quand l’inattendu pouvait se produire dans le Monde Extérieur. Il ne serait pas exagéré de dire que seuls des événements irréguliers étaient la norme ici, et sans faute, des situations se présentaient où une personne seule ne pouvait pas y faire face. Même si la force d’Alus était écrasante, il était impossible qu’une personne ne fasse pas d’erreur de la naissance à la mort.

« Alors, pourquoi ne pas le lui dire vous-même, Lady Lettie ? »

« Ce n’est pas bon. Vous avez encore du chemin à parcourir, hein ? Ce genre de chose doit être réalisé par soi-même. »

« C’est juste cruel… »

« Je préférerais que vous appeliez ça de l’amour. »

« … L’amour, » dit Rinne, d’un air confus, après avoir réfléchi à ce mot.

« C’est quelque chose qu’il doit faire seul… d’ailleurs, il a réussi jusqu’à présent, » dit Lettie avec un sourire forcé et solitaire. « Comme je l’ai dit, il a changé depuis qu’il est à l’Institut. Il semble que Mme Sisty fasse quelque chose d’intéressant, alors j’attends beaucoup de la petite Loki et des autres. »

Rinne regarda Lettie et se demanda si elle avait espéré être celle qui remplirait ce rôle. Mais en voyant la tristesse qui planait sur l’expression de Lettie, elle ne pouvait pas se résoudre à le dire.

« Mais vous ne pouvez pas lui parler de ça ! Allie peut être vraiment ignorant sur ce genre de choses. Il dira qu’il n’a pas besoin d’aide, et dressera des murs en montrant sa force, traçant une ligne qu’il ne laissera personne franchir… probablement. »

Rinne avait pris une expression malicieuse en entendant cela. « Il n’y a pas besoin de s’inquiéter. Je ne suis pas une femme aussi insensible. »

☆☆☆

Chapitre 40 : Rebelle indésirable — Demi-Azur

Partie 1

Malheureusement, même Alus ne pouvait pas transformer tout ce qui l’entourait en désert.

Mais même ainsi, Helheim couvrait une vaste zone. Les arbres s’étaient transformés en gravier, formant plusieurs dunes là où se trouvaient autrefois les plus grands.

La verdure du Monde Extérieur avait complètement changé, comme dans un rêve. Le désert brillait d’un éclat doré lorsque la lumière du soleil se déversait sur lui. Et maintenant, soudainement, des nuages noirs s’amoncelaient au-dessus. Une obscurité recouvrait le sable autrefois éblouissant, s’étendant progressivement. C’était le signe d’une tempête en approche.

Étrangement, c’était un phénomène qui ne se produisait qu’au-dessus du sable. À quelque distance, le soleil brillait comme toujours.

Dans son combat contre l’être anormal, Alus obtenait un certain degré de satisfaction. Il n’avait jamais rencontré un ennemi aussi puissant que celui-ci, et c’était la première fois qu’il utilisait autant de mana.

Il portait un mince sourire sur ses lèvres. C’était l’exaltation des forts en plein dans un combat mortel.

En le regardant maintenant, il était difficile de se rappeler comment il s’était plaint au départ d’avoir été impliqué dans ces problèmes.

Non — il se demandait si c’était encore gênant. Avant qu’il ne s’enthousiasme pour cela, ce n’était rien d’autre qu’un carnage, le massacre peu ragoûtant des faibles devant lui.

L’expérience rafraîchissante de cette situation avait éclairci la pensée d’Alus plus que tout autre chose. C’était même libérateur. La vérité, c’est que cette bataille avait été une excellente expérience pour lui. Il avait pu utiliser la multitude de sorts gravés sur sa chaîne pour tout ce qui était logique ou nécessaire, à sa guise.

Jusqu’à présent, la plupart de ces sorts auraient tué immédiatement la plupart des Mamonos, et le combat aurait été terminé au moment où ils auraient été utilisés. Mais dans cette bataille, il pouvait les utiliser librement contre cet ennemi puissant.

Pourtant, malgré son sang-froid, si une tierce personne était témoin de cette bataille, elle constaterait qu’Alus était légèrement désavantagé. Bien qu’il n’ait pas de blessures mortelles, il avait des coupures ici et là sur le corps et ses vêtements étaient déchirés et brûlés.

Le sang coulait sur ses joues, et il avait utilisé sa manche pour l’essuyer. Mais comme il avait essuyé de force la surface de la plaie, une de ses joues restait peinte en rouge de sang. En retour, le flux s’était temporairement arrêté, mais il ne se souciait pas que ça recommence.

Quant au Dévoreur… Il ne serait pas étrange qu’il soit mort depuis longtemps, compte tenu de l’ensemble des dégâts qu’il avait subis à cause des sorts et des attaques d’Alus. Mais peu importe s’il coupait le bras de cet ennemi terrifiant ou s’il lui entaillait profondément la tête, les blessures se refermaient en un instant. Ainsi, le monstre semblait identique en surface à ce qu’il était au début du combat. Cependant, le va-et-vient magique l’avait considérablement vidé de son mana, ou aurait dû le faire, du moins.

Après avoir dévoré des centaines de magiciens et absorbé leur mana, même Alus et ses vastes réserves n’étaient pas à la hauteur. Pourtant, combien cette chose a-t-elle mangé… ? Il était bien conscient qu’il avait une quantité de mana sans précédent, en plus de son contrôle sans faille du mana et du contrôle total de tous les attributs. Mais même ainsi, il n’était pas de taille à affronter des centaines de magiciens. Il l’avait plus ou moins compris, mais c’était quand même décevant.

Puis, pour changer de rythme, il expira et fixa directement le Mamono. Un moment gênant s’était écoulé pendant qu’ils se regardaient l’un et l’autre.

Sentait-il le danger de manière instinctive, ou hésitait-il à attaquer par peur ? Le Mamono n’attaquait pas, mais Alus ne pouvait pas imaginer que quelque chose de bon puisse sortir d’une bataille prolongée.

Avec un sourire sans peur, Alus appela le Mamono comme s’il le narguait. « Que veux-tu faire ? Avec ce désert comme point d’appui, tu ne pourras pas utiliser pleinement tes jambes. »

Que le Mamono l’ait compris ou non, il avait ouvert sa bouche et avait commencé à grincer des dents.

Quoi qu’il en soit, si je veux le tuer, je dois l’anéantir d’un seul coup. Non seulement ses pieds s’enfonçaient dans le sable, mais il n’y avait aucun arbre dans lequel il pouvait sauter. Mais même dans ce cas, il était trop rapide pour être touché directement par l’Ikazuchi noir qui s’étendait au-dessus de lui.

 

 

Dans l’instant suivant, le Mamono avait fait son mouvement. Soulevant du sable, il avait couru vers Alus en zigzaguant. Il avait commencé à quatre pattes, mais avait ensuite levé le haut de son corps en un clin d’œil, ramenant les bras qui avaient raclé le sable.

Trois griffes acérées comme des rasoirs avaient surgi du sable et l’avaient attaqué.

Chaque coup était aussi tranchant que la dernière attaque de Hazan de Kurama, mais le mana qu’ils contenaient était facilement deux fois plus important. Le plus gênant était que cette puissance possédait l’attribut Vent, ce qui signifie que même s’ils étaient bloqués, ce ne serait pas suffisant pour tuer complètement l’élan. Cela dit, leur permettre de traverser les nuages noirs perturberait le sort.

Combattre le vent par le vent est la pratique habituelle. Je suppose que je vais l’écraser. Alus avait tiré sur la chaîne de l’AWR et avait déversé du mana dans un anneau près de la poignée tout en avançant sa main.

« 'Downburst' »

Une soudaine rafale, comme un énorme pied invisible, était arrivée en trombe. L’air et les coups de griffes avaient été écrasés dans une profonde dépression ronde dans le sable. Le souffle du vent qui s’était abattu sur le sol s’était dissipé le long de la surface, soulevant le sable et les cailloux.

Même dans la tempête de sable, Alus avait gardé son attention sur le Mamono.

Il avait vu deux éclairs de lumière voler vers sa tête. Face à l’attaque qui se rapprochait rapidement, Alus avait plié le haut de son corps en arrière pour esquiver. Les yeux tournés vers le ciel, il pouvait voir les rayons de chaleur passer.

Se retournant pour fixer le Mamono, il identifia immédiatement les deux rayons comme ayant été tirés par les extrémités anormales de la queue fourchue du Dévoreur. Lorsqu’il avait bougé sa queue, les rayons qui continuaient à tirer avaient été agités négligemment.

Alus donna un coup de pied avec sa jambe, et le sable à ses pieds fut projeté vers le haut. Versant du mana dans le sable, il créa un mur de sable pour bloquer l’assaut des rayons de chaleur.

Pendant le temps que cela lui avait fait gagner, il avait tordu son corps pour esquiver. Une partie du mur de sable s’était gonflée, et les rayons blancs avaient traversé, effleurant de peu la joue d’Alus.

Il avait ensuite mis en place plusieurs couches de barrière sur le chemin du Mamono qui se précipitait, mais le Mamono avait utilisé ses mains et ses griffes pour essayer de les ouvrir de force.

Finalement, il semblait en avoir assez de frapper, et le mana s’était concentré dans sa bouche. Il s’arrêta complètement, fermant sa bouche comme s’il prenait une profonde inspiration, sa poitrine se gonflant.

« Tu essaies de profiter pleinement de ton mana, n’est-ce pas ? » marmonna Alus avec agacement, alors que la bouche du Dévoreur s’ouvrait à presque 180 degrés, tirant une boule de mana hautement condensée.

Cette boule avait facilement traversé toutes les couches de sa barrière. C’était une boule de gravité noire, bien qu’elle ne se déplaçait pas aussi vite que les rayons de chaleur. Si elle était avalée par cette boule, non seulement la personne serait physiquement endommagée, mais son mana le serait également. En fait, il était difficile d’imaginer ce qui arriverait au corps mou d’un humain.

En réaction, Alus créa son propre globe, mais c’était un sort manifesté plutôt que du mana pur. Par contraste avec la boule noire du Dévoreur, il ressemblait à un petit soleil blanc.

« 'Soleil Astral' »

Non, ça n’y ressemblait pas seulement. C’était fondamentalement un petit soleil compressé.

Le Soleil Astral tourbillonnant créa une spirale émergeant de sa surface, et croisa le chemin de la boule de gravité qui contenait une profonde obscurité en son sein.

Afin de se préparer à l’onde de choc et à la vague de chaleur à venir, Alus avait érigé un mur de sable devant lui. Le mur ressemblait à une vague de sable qui se serait soulevée et aurait été soudainement gelée.

Au moment où le mur avait été terminé, une onde de choc féroce s’était abattue sur Alus. Puis le souffle chaud des deux sphères en collision avait balayé toute la zone. Un humain normal n’aurait pas eu la moindre chance. La vague de chaleur les aurait anéantis en un instant.

Une fois que les deux vagues s’étaient retirées, Alus avait voulu se lever, quand il avait vu un trou s’ouvrir dans le mur de sable brûlé. Deux queues avec des ouvertures effrayantes ressemblant à des bouches avaient foncé vers lui.

« — ! » Il frappa avec la Brume Nocturne pour en couper un, mais n’était pas assez rapide pour s’occuper de l’autre. Ses crocs s’enfoncèrent dans son épaule gauche et se tordirent, arrachant la chair.

Il l’abattit finalement sur le retour de la lame noire, et la queue tachée de sang fit un lourd bruit sourd en heurtant le sol, un morceau de chair tombant de sa bouche.

Quand Alus jeta un coup d’œil à la plaie, il vit qu’il y avait des pulsations de sang. Il ouvrit et ferma sa main pour voir à quel point c’était grave, et heureusement ses doigts bougeaient encore, mais il ne pouvait pas lever son bras.

« … Je crois que je vais devoir te donner une leçon avant de finir ça ! » Comme s’il avait faim de vengeance, Alus lança un regard furieux au Dévoreur, puis il se concentra. L’instant d’après, un vent se levait, et un mana frétillant s’échappait de son corps. C’était comme si les ténèbres avaient reçu une forme physique, un mana qui pouvait être vu à l’œil nu.

Sentant la présence redoutable, la queue régénérée du Dévoreur fut ramenée contre son corps comme s’il essayait de s’échapper.

« Où penses-tu aller ? » Alus avait lentement levé sa main droite, et les ténèbres s’étaient tordues.

« Festin, prédateur glouton “Mangeur de Gra” »

☆☆☆

Partie 2

À la voix d’Alus, le mana sombre avait apparemment pris une volonté propre et avait plongé vers sa cible. Sa pointe s’était recourbée en plein vol… et sa bouche noire s’était ouverte. Cela avait sur le sable comme une pierre sur l’eau.

À chaque fois qu’il grattait le sol, il accélérait. Finalement, le mana noir atteignit le Dévoreur. De grandes quantités de mana avaient jailli de la bouche du Dévoreur.

Le mana prit la forme de serpents plus petits qui ouvrirent également leur bouche avec avidité, comme si un appétit sans fin prenait forme, se multipliant et s’étendant. Il semblait également que d’innombrables tentacules noirs avaient poussé hors du corps d’Alus.

Assez rapidement, le Dévoreur était entouré du prédateur avide qui s’était divisé en cent parties.

Le Mangeur de Gra avait essayé de mordre le Mamono, mais ce dernier s’était écarté, ce qui avait fait que le Mangeur de Gra s’était raté et était entré en collision avec lui-même. Mais seulement pour un instant, car il était rapidement revenu à sa forme originale et avait poursuivi sans relâche sa cible.

Le Dévoreur tenta de riposter en déchaînant un coup de griffes, mais celles-ci traversèrent simplement le corps de mana du Mangeur de Gra. De plus, comme l’attaque avait contenu de la magie du vent, une grande quantité de mana se déversa dans Alus.

Comme le Mangeur de Gra était du mana, la magie était théoriquement le seul moyen de le contrer, mais en réalité il affaiblissait la puissance de l’ennemi et l’absorbait avec son appétit sans fin. En d’autres termes, ni les attaques physiques ni la magie ne fonctionnaient, ce qui signifie qu’il n’avait pratiquement aucune faiblesse.

Le Dévoreur n’avait toujours pas abandonné, il mordit le Mangeur de Gra avec ses queues, mais se fit voler son mana à la place. Le Mangeur de Gra pouvait absorber du mana sur toute la surface de son corps, donc peu importe où il était attaqué.

Ça devrait suffire… Le mana absorbé par le Dévoreur était plus important que prévu. Alus avait donc décidé de le rappeler avant qu’il n’en perde le contrôle et qu’il se déchaîne.

Le mana que le Mangeur de Gra mangeait lui servait de nourriture, mais Alus pouvait aussi l’utiliser pour ses sorts. Ayant absorbé une telle quantité, le prédateur avait pris du poids. Il s’était concentré pour faire reculer le Mangeur de Gra, écrasant sa résistance.

Progressivement, le mana noir frétillant s’était estompé. Confirmant qu’il était complètement revenu en lui, il fixa froidement le Mamono qui attaquait toujours avec persistance l’image rémanente du Mangeur de Gra. « Je ne peux pas dire si cette chose est intelligente ou non… Non, si elle l’était, elle se serait enfuie quand j’ai utilisé Helheim. » Alus haussa les épaules en signe d’exaspération.

« OOOOOOOOoooo !! » Il semblerait que le Dévoreur avait enfin réalisé que son mana avait été mangé, car il poussa un rugissement qui fit trembler le ciel. Le Dévoreur se pencha en avant, posant ses bras sur le sol, et fonça droit sur Alus à une vitesse explosive.

Le mana sortait de sa bouche et de l’extrémité de sa queue. Quand le Dévoreur tapa des pieds dans le sol, il la libéra d’un seul coup. Tout comme le Roscarg, le Dévoreur avait gelé le désert.

« Niflheim. Au final, un Mamono n’est qu’un Mamono, » murmura Alus en faisant claquer ses doigts vers le haut. À ce moment-là, la mâchoire du Mamono se souleva comme si on la tirait.

La magie de domination spatiale serait un peu exagérée, car tout ce qu’Alus avait fait était de former une forme rectangulaire solide sous la mâchoire du Mamono et de la pousser vers le haut. S’il n’avait pas été enragé, il aurait esquivé l’attaque facilement.

Alus était resté calme, observant attentivement le Dévoreur, et il n’avait pas manqué l’ouverture. Il avait rapidement agi et croisé ses mains.

Des lances de sable tranchantes avaient jailli du sol gelé. Quatre d’entre elles, tournant rapidement, attaquèrent le Dévoreur de tous les côtés, transperçant la partie supérieure de son corps. De par sa composition, Helheim était résistant aux interférences. Il créait un monde qui ne pouvait pas être écrasé par la magie. Aucune autre modification ne pouvait être apportée à un monde mort qui attendait sa fin.

Le Dévoreur avait déjà montré Niflheim à Alus lorsqu’il était tapi à l’intérieur du Roscarg. Il était impossible de briser la source du monde de sable sans en comprendre le mécanisme. Et ce n’était pas quelque chose qu’un Mamono pouvait viser à faire. Il n’avait même pas remarqué le composant principal de Helheim qui avait été caché sous terre.

« GYAAAaaaa !! » Son cri fit une fois de plus trembler l’air, le volume étant assez fort pour faire éclater les tympans.

Les lances de sable s’effritèrent et se transformèrent en blocs de roche flottant dans l’air. Les rochers entourant son corps, les bras du monstre étaient coincés derrière son dos.

Le mamono leva sa queue pour briser ses liens, mais les rochers ne redevinrent que du sable pendant un instant avant de durcir à nouveau.

Même si sa résistance semblait inutile, Alus ne pouvait pas baisser sa garde. Il était encore probable que le Mamono ait assez de puissance pour se libérer d’une liaison de ce niveau. « Mais c’est trop tard maintenant… »

Le sable sous le Dévoreur se fendit, ouvrant un trou qui semblait mener directement en enfer. Les rochers flottants liant le Dévoreur étaient redevenus du sable, et s’étaient effondrés.

Et une fois libéré, le mamono avait succombé à la gravité et était tombé.

« C’est juste toi et moi ici. Tu ne pourras pas utiliser l’Échange. » Alus avait regardé le trou pendant qu’il tombait. Le vent s’était levé, faisant bruisser ses cheveux, tandis qu’il balançait son AWR et ramenait sa chaîne devant lui. Tenant sa main au-dessus de l’un de ses anneaux, il créa un sort à travers son AWR qui prit la forme d’un mince éclair noir clignotant autour de lui.

Maintenant que j’y pense, le premier à trouver un nouveau type de Mamono a le droit de le nommer.

Les animaux étaient une chose, mais seuls les vrais excentriques voudraient nommer un Mamono bizarre. Ainsi, il était courant pour les instituts de recherche militaires et gouvernementaux de nommer de nouveaux types.

Mais à ce moment-là, quelque chose était venu naturellement à l’esprit d’Alus. Cette chose mangeait même d’autres Mamonos, et elle était toute seule. Elle ne mangeait pas seulement des gens, mais aussi ses propres congénères… C’était une existence détestée de tous, une tête d’affiche des ténèbres qui se cachaient tranquillement dans les corps des hôtes.

« Je pense que “Rebelle indésirable, Demi Azur” te conviendrait parfaitement. »

Le Mamono était en chute libre, plongeant profondément dans le trou noir. Il pouvait probablement voir le cœur de Helheim dans ses profondeurs, mais il était déjà trop tard. Avant que le Dévoreur ne soit hors de vue, Alus pouvait le voir tendre les bras et la queue pour arrêter sa chute, mais tout ce qui l’entourait était du sable, donc tout était vain.

Alors qu’il la regardait disparaître, Alus avait impitoyablement prononcé les mots qui scelleraient son destin.

« "Ikazuchi noir" »

La foudre noire était descendue dans le trou massif comme un dragon noir.

 

 

L’attaque s’était déplacée si rapidement qu’elle avait laissé le son lui-même derrière elle. Une fois dans le trou, les éclairs s’étaient divisés en ce qui ressemblait à des serpents noirs. Et un instant plus tard, l’atmosphère avait tremblé, et le sable avait été soufflé.

L’Ikazuchi noir avait complètement rempli le trou, soufflant tout et n’importe quoi, avant de disparaître.

Pendant une seconde, l’obscurité avait tout recouvert. C’était l’obscurité totale, comme si les yeux étaient fermés. Cependant, la couleur, la lumière et la forme avaient commencé à revenir à partir du point d’impact.

Alus avait fixé son corps sur place avec du mana, et mis en place plusieurs couches de barrières pour se protéger, qu’il avait finalement libérées. Il avait vérifié comment les choses se présentaient après la libération du Ikazuchi Noir, et après avoir flotté pendant un moment, il était descendu lentement.

Le sol avait disparu. Tout ce qui se trouvait devant lui avait été profondément entaillé, laissant apparaître la terre en dessous. Helheim avait été défait.

Contrairement à Niflheim, un autre sort de modification de l’environnement, Helheim pouvait modifier le terrain tout en aidant le magicien. Alors que Niflheim trompait le monde par le principe de la magie, Helheim réécrivait et remplaçait la substance elle-même. En d’autres termes, il transformait le faux monde en réalité.

Il s’agissait d’un changement purement matériel, mais une grande partie du matériel modifié restait dans le monde réel de façon permanente, même si le lanceur de sorts cessait de l’alimenter en mana.

Le trou massif n’était pas seulement dû à l’impact du Ikazuchi Noir, mais aussi à la transformation de la terre en sable par Helheim, qui s’était ensuite effondré. Le sable qui recouvrait encore le trou était un signe de la puissance du sort qu’Alus avait utilisé.

À un moment donné, les nuages sombres avaient complètement disparu comme s’ils n’avaient jamais été là, révélant un ciel sans nuages au-dessus. Et sans rien pour l’obstruer, la lumière du soleil brillait et illuminait les énormes cicatrices de la magie.

Alus avait probablement utilisé un tiers du mana qu’il avait absorbé et restauré. Le sort utilisait trop de mana, mais il avait quand même créé un sort aussi puissant malgré son manque d’affinité pour l’attribut foudre. Ce n’était rien de moins qu’un tour de force, mais le simple fait de pouvoir utiliser le vertex de la foudre était un luxe…

« Ce sort est assurément assez digne d’être appelé un niveau Ultime… » Il n’y avait actuellement que quatre rangs utilisés pour classer les sorts, mais ce n’était pas suffisant pour classer tous les sorts avec précision. Pour commencer, cette norme d’évaluation était en vigueur depuis cinquante ans. Comme l’humanité avait étendu ses connaissances et fait de grands progrès dans le domaine, certains sorts qui ne pouvaient pas être mesurés par les normes conventionnelles avaient été créés.

Il y avait déjà un cinquième niveau ultime ajouté au classement, avec des sorts catégorisés comme tels, dont l’Ikazuchi noir.

Mais normalement, ce n’était pas un royaume à la portée des humains. Alus avait examiné son environnement avec un sourire amer. Cela ressemblait à un cratère après l’impact d’un météore. En raison du sol creusé, il pouvait voir la roche-mère exposée dans le trou. Toute la zone en dessous faisait probablement partie du dépôt. Parce qu’il avait deviné correctement ce qui se passait sous terre, l’expression d’Alus s’était détendue.

Quand il avait soudainement senti -

« — !! » Il s’était braqué par réflexe, mais avait laissé échapper un petit soupir en haussant les épaules. « On dirait qu’il est mort après tout, mais penser qu’il en reste quelque chose… c’est le genre de résistance qu’on attend d’une classe SS. »

Au centre de l’impact de l’Ikazuchi Noir se trouvait le corps déformé du monstre. Son corps autrefois noir s’était maintenant complètement carbonisé. Un de ses bras avait été arraché au niveau du coude, et sa corne qui s’étirait vers l’arrière s’effritait progressivement.

Laissant le cadavre seul, Alus s’était retourné. Frottant ses épaules désormais raides, il se dirigea vers le bord du cratère… quand le bruit de quelque chose qui bouillonnait vint de derrière lui.

Il tourna la tête pour regarder.

Une vision anormale se déroulait devant lui. Le corps du Mamono soi-disant mort se gonflait comme un ballon. Sans aucun endroit où aller, le mana s’échappait comme du gaz.

☆☆☆

Partie 3

Le Mamono était définitivement mort. Il allait donc finir par se disperser en même temps que le mana… ou du moins il était censé le faire.

Merde… !

Tous les Mamonos, sans exception, avaient un noyau. Il était déjà bien conscient de l’extrême régénération du Dévoreur. C’est pourquoi il avait utilisé l’Ikazuchi Noir pour tout détruire, ainsi que son noyau. Et il aurait dû réussir.

Mais maintenant… il semblait que le Dévoreur ne stockait pas le mana absorbé dans son noyau, mais dans un autre organe.

On disait aussi que le noyau était responsable de la conversion du mana absorbé en quelque chose de plus approprié pour un Mamono, c’est pourquoi on disait que c’était le point faible d’un Mamono. Mais apparemment, le corps de ce Dévoreur n’était pas si facile à comprendre.

L’instinct d’Alus lui avait dit que ce monstre stockait tout le mana qu’il absorbait dans tout son corps. Ce qui signifie que chaque cellule de son corps était un réservoir de mana, et pas seulement son noyau.

En temps normal, cela aurait été impossible et fondamentalement incroyable — mais ce Dévoreur avait dépassé toute imagination.

De toute façon, il était déjà trop tard. Une fois le Dévoreur mort, ses cellules avaient commencé à se gonfler de mana et à se déchaîner comme une bête déchaînée. Il y avait de nombreux types de mana différents qui se mélangeaient et entraient en conflit les uns avec les autres… et c’était probablement le noyau de Demi Azur qui avait maintenu l’équilibre entre eux.

Si rien n’était prévu pour contenir le mana, il finirait par devenir complètement incontrôlable et donnerait naissance à un certain phénomène.

« Une super explosion anti-magique, hein… » murmura Alus pour lui-même.

C’était quelque chose d’impossible qui pouvait devenir possible dans les bonnes circonstances. En comprimant des manas contradictoires et en les scellant dans un petit récipient, une forme de déclencheur pouvait provoquer une explosion. Les cellules du Dévoreur étaient encore en train d’entrer en conflit les unes avec les autres, ce qui créait les pires conditions possibles.

Rien que l’onde de choc de l’explosion s’étendrait sur des dizaines de kilomètres. Parmi les nombreux phénomènes qui pouvaient être créés avec le mana, c’était celui qui causait le plus de dégâts.

Si ça arrivait, même l’équipe de Lettie, aussi loin qu’elle soit, serait anéantie en un instant.

Il devrait au moins faire un dernier effort pour eux. Mais même dans ce cas, les possibilités étaient juste… C’était une bonne chose qu’il ait gardé une certaine distance avec Tesfia et Alice.

Un certain nombre de doutes tournaient dans la tête d’Alus. Si seulement il avait… et ainsi de suite. Cependant, toutes les contre-mesures auxquelles il pouvait penser ne signifiaient rien face à la réalité à laquelle il était confronté.

Il n’y avait pas eu un seul rapport sur un Mamono de classe SS depuis l’événement d’il y a cinquante ans. Et à proprement parler, l’élimination du Mamono à l’époque avait échoué, et l’histoire complète de sa nature et de ses faiblesses n’avait jamais été découverte. Sans parler du type et des circonstances du Mamono, du nombre de magiciens qu’il avait dévoré et de la qualité de leur mana, tout cela restait inconnu.

Comme prévu, il avait fallu l’éliminer d’un seul coup. Peut-être qu’ils auraient dû mettre en commun leurs sorts. Non, l’Ikazuchi Noir était à un pas de l’achever, il aurait pu simplement y déverser tout son mana.

Toutes sortes d’idées lui étaient venues à l’esprit, mais elles étaient toutes des mesures pour « la prochaine fois ». Aucune d’entre elles ne changerait le présent.

Même maintenant, le corps du Mamono grandissait à un rythme effrayant, et Demi-Azur avait déjà perdu sa forme originale. Il était en train de gonfler jusqu’à ses limites, et son corps massif serait bientôt assez énorme pour couvrir le ciel et obscurcir les environs.

Avec résignation, Alus avait remis son AWR dans son fourreau en soupirant. Quelle gaffe… !

Il leva les yeux, son regard suivant les nuages flottant dans le ciel du Monde Extérieur.

Le ciel d’aujourd’hui était aussi bleu que d’habitude. Et comme d’habitude, il changeait constamment. Il n’avait vu que des formes de nuages comme celles-ci ici. Avec la lumière du soleil qui éclairait les nuages par-derrière, leurs contours brillaient comme des halos.

S’il avait sa bouteille d’eau avec lui, il se verserait l’eau sur la tête. C’était son habitude à chaque fois qu’il était dans cet état d’esprit, et même s’il savait qu’il ne l’avait pas apportée, il tendait quand même la main vers sa taille.

« Alors maintenant…, » murmura-t-il, ayant pris sa décision. Il n’y avait aucun moyen de contacter Lettie et les autres. Même s’il pouvait passer l’appel, il était trop tard.

Alus regarda le corps du Dévoreur qui continuait à se développer, comme s’il pouvait exploser à tout moment. Dès que cela se produirait, toute cette zone deviendrait un terrain vague. Même Balmes, qui se trouvait à une certaine distance, n’en sortirait pas indemne. Cela envelopperait sans aucun doute le sommet du gisement où Lettie et les autres se trouvaient également.

Alus ferma lentement les yeux. Je me sens mal pour Lettie et l’équipe. Il s’était même excusé silencieusement, ce qui ne lui ressemblait pas du tout. C’est lui qui leur avait dit quoi faire, et voilà ce qu’ils avaient eu.

Je suppose que je n’aurai pas non plus la récompense… Eh bien, cette vie n’était pas si mal, se dit-il avec un sourire d’autodérision.

Alus avait un choix à faire, mais de toute façon, sa vie était déjà…

Il le savait.

Il semblerait qu’il faudrait encore un certain temps avant que sa vie ne défile devant ses yeux comme il l’avait lu dans un livre. Mais ce n’est qu’à la fin qu’il découvrira s’il avait des souvenirs qui avaient laissé une impression suffisante pour apparaître dans son esprit. Il avait cependant un intérêt passager pour ce qu’il verrait.

Quoi qu’il en soit, il poussa un grand soupir. Je suppose que ma fin est dans le Monde Extérieur après tout… hein.

À présent, il s’en réjouissait même. Il aimait les paysages du Monde Extérieur. Il ressentait une providence majestueuse… c’était la nature intacte des mains de l’humanité.

Alus avait déjà supposé qu’il ne mourrait pas d’une belle mort, il avait donc estimé que c’était probablement l’une des meilleures façons de procéder.

Criminels atroces ou non, il avait mis fin à la vie de plusieurs personnes. Les magiciens avec lesquels il était entré dans le Monde Extérieur avaient changé presque quotidiennement, et finalement le nombre de personnes qui le connaissaient, et de celles qu’il voulait connaître davantage, à l’exception du groupe de Lettie, se réduisait à une poignée. Il avait également mis fin à la misère de plus d’alliés qu’il ne pouvait en compter sur ses doigts.

En fait, d’innombrables personnes avaient perdu la vie avant qu’il ne devienne un Single. Et maintenant, il allait juste rejoindre leurs rangs.

Cependant, même dans ce cas… Il choisissait au moins de sauver Lettie et les autres. Mettre en jeu sa propre vie pour sauver celle des autres… qu’il puisse réellement les sauver ou non était incertain. Il pourrait simplement opposer une résistance inutile à un destin sans pitié.

Il était conscient qu’il devenait sentimental, son cœur battait la chamade. « Hein, étais-je vraiment comme ça… ? » cracha-t-il inconsciemment, avant de relever la tête comme s’il réalisait quelque chose.

Mais il secoua la tête comme pour la rejeter. Même si la chance d’obtenir le meilleur résultat était inférieure à un pour cent, il n’hésiterait pas à le choisir. C’était sa façon d’être.

Mais… contre un ennemi de ce calibre, il n’y avait aucune chance pour cela. Donc c’était juste une chance de tester son propre caractère et son âme. C’est pourquoi…

« Bon, je suis le numéro 1, je dois donc au moins opposer une résistance inutile ! » L’AWR à sa taille avait fait un bruit sourd en tombant sur le sol. Ce n’était plus qu’un poids inutile maintenant. « Je vais libérer tes entraves, alors dévore tout jusqu’aux limites de ton désir ! “Mangeur de Gra” »

Alus se résolut et tendit la main. Le mana, comme une manifestation du chaos, se déversa et, en un clin d’œil, les ténèbres envahirent la zone. Il avait libéré tout le potentiel du Mangeur de Gra sans se soucier des conséquences.

Un raz-de-marée de noir se précipita sur le mamono comme s’il avait découvert un festin. Assez rapidement, le Mangeur de Gra en forme de torrent avait ouvert sa bouche et avait mordu le Mamono.

Il avait pris la décision de vider le mana du mamono avant qu’une explosion ne se produise. Mais cela impliquait un risque pour sa vie. Comme prévu, le mana que le Mangeur de Gra avait mangé et absorbé avait rempli la capacité du corps d’Alus jusqu’à sa limite en un instant.

Un bruit sourd. Il avait senti quelque chose rebondir. Ce n’était certainement pas le son de son cœur. C’était le son de quelque chose à l’intérieur qui atteignait sa limite et se brisait. Ignorant l’événement anormal dans son corps, il se concentra uniquement sur la manipulation du Mangeur de Gra pour qu’il se nourrisse du mana du Mamono.

Le Mangeur de Gra avait explosé en taille en raison de la quantité de mana qu’il absorbait. Heureusement, même après qu’Alus ait libéré toute sa force et affaibli son contrôle sur elle, elle continuait à s’attarder autour du corps du Mamono. Il se déplaçait purement selon les instincts d’un prédateur, refusant de lâcher un délicieux festin.

Ce n’est pas assez… ça ne va pas le faire avec ce taux d’absorption ! Même avec le Mangeur de Gra qui le dévorait, le Mamono avait toujours une abondance de mana. Peu importe ce qu’il mangeait, les signes de l’explosion à venir ne s’estompaient pas. Alus avait fait claquer sa langue, et avait encore relâché les rênes de Mangeur de Gra. Après être allé aussi loin, il ne pouvait plus faire marche arrière. Si le Mangeur de Gra adulte devait se déchaîner, il ne pourrait pas reprendre le contrôle.

Le Mangeur de Gra avait continué à manger de plus en plus vite.

Alus grimaça alors que le mana s’accumulait en lui à une vitesse extrême. Son bras droit étendu avait commencé à trembler. Il avait lentement commencé à rebondir dans toutes les directions, et soudain, du sang avait commencé à jaillir de son bras. Un vaisseau sanguin avait dû se rompre. Le mana dans son sang était devenu si dense que ses vaisseaux sanguins et sa peau étaient incapables de le supporter davantage.

Il avait mordu et avait enduré la douleur. Au même moment, une anomalie s’était produite dans son bras gauche. Il l’avait laissé pendre, mais du sang coulait de son épaule, et il avait progressivement cessé de ressentir la douleur et l’engourdissement. Les nerfs commençaient à s’éteindre. Après une courte pause, les vaisseaux sanguins des deux jambes avaient gonflé et s’étaient ouverts.

Alus tomba à genoux, mais garda toujours son bras droit tendu, fixant le Mangeur de Gra et le Mamono. Il savait depuis le début que même s’il empêchait l’explosion, il perdrait définitivement le contrôle du Mangeur de Gra…

Il pouvait sentir les signes de l’explosion magique à l’intérieur du Mamono s’affaiblir, petit à petit. Et il semblait que le Mangeur de Gra avait finalement dévoré tout son mana, alors qu’il s’éloignait de ses restes. Il ne restait que des morceaux de sa coquille extérieure et des fragments de mana. Des fissures traversaient la coquille, avant qu’elle ne s’effrite comme du sable.

Je l’ai fait… le prochain sera…

Après avoir terminé la nourriture devant lui, Alus s’attendait à ce que le Mangeur de Gra commence à se déchaîner. Mais contrairement à ses attentes, il avait commencé à s’enrouler sur lui-même au-dessus de lui. Mais cela pourrait aussi n’être qu’une courte sieste après le dîner, et il était probable que son avidité instinctive l’envoie à la recherche de nouvelles proies.

☆☆☆

Partie 4

Tout l’environnement d’Alus était couvert par l’énorme mangeur de Gra. Il bloquait le soleil, ce qui lui donnait l’impression qu’il faisait nuit. Comme son corps était quelque peu transparent, il projetait une ombre sombre, sinistre et vacillante sur le sol.

« Quand je pense que c’était aussi grand… » En levant les yeux au ciel, il pouvait voir le Mangeur de Gra, dont l’ombre couvrait tout le cratère. Il avait envoyé tant de mana dans Alus, mais quelle quantité avait-il absorbée et utilisée comme nutriments pour se développer ?

Elle ressemblait à une énorme sphère noire. Se balançant de haut en bas dans l’air, débordant de mana, c’était comme un étrange aquarium dans le ciel.

Poussé par un appétit insatiable, il ne savait pas quand il allait chercher une nouvelle proie.

Il était probable qu’il pouvait déjà détecter le mana de Lettie et des autres.

Peut-être même qu’il montrerait les crocs à Balmes lui-même.

… Bien que ça n’irait probablement pas aussi loin. Le Mangeur de Gra avait peut-être un sens du soi, mais il restait une partie indivisible d’Alus, donc s’il s’éloignait trop de lui, l’information devrait se dégrader et il devrait être réduit à des particules de mana.

Cependant — il n’y avait aucune garantie de cela. C’est pourquoi c’était un tel pari.

Avec une telle quantité de mana, il était possible que le Mangeur de Gra puisse compenser la détérioration du mana par lui-même, devenant ainsi indépendant d’Alus, et le rendant capable d’aller où bon lui semble. Pour dire les choses crûment, ce serait la naissance d’une forme de vie magique complète.

Si une telle chose se déchaînait sur la planète… il aurait créé quelque chose de pire que le Dévoreur. Il voulait croire que ça n’arriverait pas, mais c’était peut-être trop optimiste. Le sentiment de malaise lui donnait froid dans le dos, malgré son manque de sensations.

Mais même si ça arrive, j’ai une carte à jouer. C’est de s’ôter la vie avant que le Mangeur de Grains ne devienne une forme de vie complète. De cette façon, cette capacité spéciale disparaîtrait complètement.

Se tuer soi-même. Arrêter sa propre vie de ses propres mains.

Il avait fait la même chose à d’autres, encore et encore…

Soudain, un vieux souvenir lui était revenu en mémoire. Ce n’était pas intentionnel, juste un coup de tête. Quand était-ce… ? Quand il avait dit qu’il n’avait besoin de personne d’autre…

Était-ce après avoir vu des centaines de magiciens mourir… ou quand quelqu’un l’avait supplié de le tuer plutôt que de laisser les Mamonos l’avoir…

Les cris et les hurlements de ceux qui avaient été laissés pour mort résonnaient dans sa tête. Et il pouvait encore voir des magiciens avec des larmes dans leurs yeux, pleins de regrets et d’espoirs brisés.

La réponse à la question de savoir quand cela s’était produit était probablement qu’il avait tué ses sentiments pour échapper à l’enfer sans fin de voir ses alliés mourir, et parfois de devoir les tuer de ses propres mains.

Peut-être que je ne voulais tuer personne… s’était-il demandé. Ce n’était pas un mauvais sentiment. Mais un sourire d’autodérision apparut alors sur son visage, car même au final, l’escouade qu’il avait emmenée risquait de perdre la vie.

L’instant suivant, un frisson l’avait envahi. Le corps massif du Mangeur de Gra qui se cachait au-dessus de lui s’était dispersé en un éclair.

« Tsk !! » Plusieurs créatures plus petites jaillirent, comme l’eau d’un barrage rompu. Toutes n’étaient constituées que d’une bouche, l’image parfaite d’un prédateur, toutes montrant leurs crocs féroces.

☆☆☆

Même du haut du gisement, il était facile à voir. Il était clairement différent des nuages sombres de l’Ikazuchi Noir, mais il était tout de même similaire en apparence.

« C’est quoi ce truc… ? » murmura Lettie, en fixant le bassin de mana noir.

Il n’y avait pas de réponse à sa question, mais elle décida d’interpeller la personne qui avait montré une réaction. « Mme Rinne, vous savez… ce qui est arrivé au Mamono ? Quelle est cette chose ? »

« Le mamono… le dévoreur a été tué par Sire Alus. »

Le soulagement avait envahi les membres de l’équipe. Mais Lettie fixait Rinne, l’incitant à continuer et à répondre à toutes ses questions.

« Et cette chose est… Sire Alus… Je suppose qu’on peut appeler ça un sort… » On lui avait dit de se taire, mais en voyant ce mana sinistre, elle ne pouvait plus garder le secret.

Rinne avait déjà déterminé qu’il s’agissait d’une situation anormale grâce à son œil magique. Cette chose dangereuse était probablement quelque chose qu’Alus avait fait naître, mais qui était maintenant hors de son contrôle. Elle l’avait clairement vu.

Mais laissant cela de côté pour le moment, elle continua son explication. « Vous vous souvenez de la capacité d’absorption dont Sire Alus a fait preuve contre Kurama ? Sa véritable forme est sans doute ce mana bizarre là-bas. »

« Alors tout est résolu ? »

« Non. Nous devrions partir d’ici dès que possible… il n’y a probablement rien que personne ne puisse faire contre cette chose… pas même Sire Alus. » Rinne baissa les yeux en signe de résignation, ses paroles se taisant.

Lettie l’avait interrogée. « Pourquoi ? C’est la magie d’Allie, n’est-ce pas ? »

« O-Oui. Mais je pense que… c’est différent de la magie normale. Cette masse de mana n’a pas de construction de sort pour commencer. Et c’est comme s’il se déplaçait avec une volonté propre, » marmonna Rinne, ayant abandonné l’idée de le dissimuler plus longtemps.

« … »

Les mots de Rinne soufflèrent le soulagement que les membres de l’escouade avaient ressenti, le remplaçant par une tension raide. « Je crois que Sire Alus essayait de contrôler ce mana. Et d’après ce que j’ai compris, il a absorbé tout le mana du corps du mamono qui était sur le point d’exploser… ou il a essayé… ». Il lui était difficile de continuer, aussi ferma-t-elle les yeux et se mordit-elle les lèvres avant de poursuivre : « Sire Alus est déjà au bord de la mort. L’hémorragie est terrible… »

« Alors nous devons nous dépêcher de le sauver ! » s’exclama Sajik.

Mais Rinne l’arrêta du regard, avant de parler franchement d’un ton froid : « Cette masse noire de mana est composée d’une quantité effrayante de mana malgré l’état dans lequel se trouve Sire Alus… même si elle est censée faire partie de lui. »

Le bruit de quelqu’un qui déglutit était étrangement fort.

Elle poursuit : « Je crois que c’est le genre d’existence que cela représente. Si nous y allons maintenant, nous n’aurons probablement même pas la chance de nous défendre. Ce n’est pas du niveau de l’attaque ou de la défense. » Le souvenir de cette capacité spéciale absorbant l’attaque d’Hazan était gravé dans son esprit. Son intuition d’observateur lui disait que ce n’était pas un sort.

L’existence était au niveau d’une calamité. Les humains n’avaient aucun moyen de se défendre contre elle. C’était comme avoir un monstre inconnu qui habitait son corps. C’est pourquoi son instinct lui disait de s’enfuir le plus vite possible.

« Retirons-nous le plus vite possible. Mais même dans ce cas, nous n’arriverons peut-être pas à temps… » Ses mots indiquaient clairement que la situation était sans espoir.

Cependant —. « Alors c’est décidé. Nous allons sauver Allie. »

« Bien ! »

« Pas d’objection. »

« Je suis confiant dans ma vitesse. »

La déclaration de Lettie avait été suivie par Mujir, Sajik et les autres membres de l’équipe.

Rinne était choquée. « C’est impossible ! Il n’y a aucun moyen de se rendre là-bas à temps. Sans compter que nous avons le devoir de signaler cette situation tout de suite ! »

« Hmm, c’est vrai. Alors je vais vous confier cette tâche, » dit Lettie avec un large sourire. « Vous ne faites pas partie de notre équipe, après tout. Vous n’avez aucune obligation de nous suivre. »

« Ce n’est pas le problème ici… » Rinne avait élevé la voix, quand elle avait été interrompue.

Mujir avait dit, « C’est le problème, Dame Rinne. Nous sommes des soldats. Des membres de l’escouade du Capitaine Lettie. Nous avons notre fierté à protéger, et une ligne à ne pas franchir. Ce n’est pas un mode de vie que vous comprendriez, n’est-ce pas ? Mais c’est ainsi que nous sommes. Si j’abandonnais Sire Alus ici, je ne pourrais pas faire face à ma femme. »

« Si vous avez une femme, c’est une raison de plus pour… »

« Je n’y vais pas pour mourir. Mais je crois que je comprends ce qu’il faut prioriser. Ma femme a juré de rester avec moi jusqu’à ce que la mort nous sépare parce que je suis comme ça. Et compte tenu des générations à venir… c’est une raison de plus ! »

Mujir s’était gratté la joue en signe d’embarras, tandis que Sajik le regardait avec un peu d’envie, avant de dire : « Eh bien, ce type est en minorité, mais même un célibataire comme moi ne voudrait pas rentrer dans la honte. Les champs de bataille que j’ai parcourus m’ont appris à ne jamais abandonner mon commandant. »

« C’est comme ça, » dit Lettie. « Mais il y a une raison plus facile à comprendre… »

« Quoi ? » demanda Rinne avec une expression mystifiée.

Les yeux de Lettie s’étaient rétrécis. Elle ne parlait pas à partir de sentiments, mais de faits sévères. « Allie est notre dernier espoir. Je ne sais pas pour les autres Singles, mais Allie est irremplaçable. Pour Alpha, et pour l’humanité. Le Gouverneur Général le comprend aussi. Et nous ressentons tous la même chose… et puis il y a moi personnellement qui ne veut pas l’abandonner. »

« Alors, est-ce de l’amour ? »

« Qui sait ? Donc, Mlle Rinne, survivez à ça et faites un rapport au gouverneur général. » Le sourire de Lettie s’était élargi tandis que Rinne la fixait en silence.

Les membres de l’équipe n’avaient montré aucun regret quant à leur décision. Ils n’avaient eu aucune hésitation sur ce qu’ils devaient faire. En fait, c’était clair pour eux. Rinne avait été dans l’armée, mais principalement dans le soutien logistique, et son temps dans l’armée avait été court. En tant que personne spécialisée dans la collecte d’informations, on lui avait appris à survivre et à rapporter ce qu’elle avait appris avant tout. Elle avait donc du mal à comprendre cette fierté.

Pourtant, elle était quelque peu jalouse des expressions vives des membres de l’équipe. Elle n’avait pas à se plaindre de sa position actuelle d’assistante de la souveraine. En fait, c’était sa vocation. En même temps, elle sentait que leur style de vie de magiciens était digne de son respect. Et si Cicelnia était dans la même situation, elle aurait rapidement pris sa décision.

Rinne soupira, puis haussa les épaules, libérant son corps de la tension de cette situation inattendue. Elle avait rassemblé toute sa volonté et s’était forcée à afficher son habituel sourire doux. « Je comprends. S’il vous plaît, laissez-moi partir avec vous. »

« — ! Et le rapport !? »

« C’est bon, n’est-ce pas ? Vous n’y allez pas pour mourir après tout. De toute façon, il n’y a pas le temps. » Ce commentaire irresponsable avait été prononcé avec un sourire sarcastique. Alors qu’elle disait cela, elle ne croyait pas aux paroles de Mujir. Peut-être qu’elle avait prévu quelque chose.

Prenant les mots de Rinne comme un signe de sa détermination, Lettie sourit sans crainte. « Alors, faites ce que vous voulez. »

« Mais si nous y allons sans plan, même le plus simple des sauvetages peut échouer. J’ai une idée générale de ce qui se passe là-bas. »

« C’est inattendu. »

☆☆☆

Partie 5

Rinne avait froncé les sourcils aux mots de Lettie pendant un moment. Elle était l’Oeil d’Alpha, alors n’était-ce pas un peu grossier ? Mais il n’y avait pas de temps à perdre pour cela. « Je ne suis pas au niveau de Sire Alus, mais j’ai quelques connaissances sur les capacités spéciales. Ce n’est vraiment qu’une idée, et je n’en comprends pas certaines parties. C’est une capacité spéciale dont personne d’autre n’a entendu parler, après tout. »

Voyant que tout le monde acquiesçait, elle poursuivit : « Je suis sûre que cette chose continuera à bouger même si Sire Alus perd conscience. Si cela se produit, nous ne pourrons rien faire, mais il devrait y avoir quelque chose à faire tant qu’il est encore conscient. Mais essayez de ne pas toucher cette chose, quoi qu’il arrive… vous perdriez immédiatement la vie. Et faites attention à sa capacité à absorber le mana. Tout sort imprudent ne fera que le rendre plus grand et plus fort. »

Peut-être parce qu’elle avait abordé le sujet auparavant, mais même après avoir entendu qu’ils ne pouvaient pas le toucher ou même le bloquer, les membres de l’équipe n’avaient pas hésité.

Rinne avait confirmé la vitesse de la masse noire de mana avec son œil magique. À cette taille, elle était destinée à devenir un peu lente, mais en fin de compte, même Lettie ne serait pas en mesure de s’échapper. C’est pourquoi elle leur avait conseillé de battre en retraite plus tôt. Non pas qu’ils l’aient écoutée… « Sire Alus est quelque part au centre de cet énorme trou, mais il est gravement blessé et incapable de bouger. Il devrait encore être conscient, mais il ne serait pas étrange qu’il s’évanouisse à tout moment maintenant. »

« Ces mauvaises chances sont faites pour nous ! J’aime ça. » Lettie avait examiné son équipe avec un large sourire.

Ils lui avaient fait un signe de tête, et ensemble avec Rinne — ils s’étaient tous précipités vers le sommet du dépôt.

L’escouade descendit, sans se regrouper, mais en veillant à ne pas trop se disperser. Ils n’avaient même pas pris la peine de contourner les arbres massifs qui se trouvaient sur leur chemin, mais avaient préféré sauter par-dessus, se dirigeant littéralement vers le cratère.

« Cela mis à part, est-ce que la capacité spéciale d’Allie a le même niveau de force que votre œil magique ? » demanda Lettie, ses yeux pointant droit devant elle. Elle spéculait pour tenter de trouver une solution.

« Je me le demande. Les capacités spéciales ne se limitent pas aux yeux magiques…, » lui répondit Rinne, mais elle avait encore en tête ce qui se rapprochait le plus d’une solution.

Cependant, ce n’était qu’une possibilité. D’après ce qu’elle avait vu avec son œil magique, les chances de succès étaient douteuses. Le contrôle d’un œil magique repose en fin de compte sur la force mentale. Même si cette capacité spéciale n’est pas similaire à un œil magique, elle devrait fonctionner de la même manière. Sire Alus devrait déjà le savoir aussi… une fois qu’il est libéré, le retenir par la seule volonté est impossible. Et au vu de la situation actuelle, c’est déjà le cas.

Rinne savait très bien qu’il existait des capacités spéciales qui résistaient et se battaient contre leur utilisateur dès que l’occasion se présentait. Une fois que cette chose était devenue trop massive, il serait impossible d’en reprendre le contrôle. Et cette masse noire de mana semblait avoir déjà largement dépassé les limites de la capacité d’Alus à la contrôler.

Cependant, si une influence extérieure venait à faire appel à lui… eh bien, les chances de succès ne seraient pas nulles, du moins, tant qu’Alus serait conscient.

En même temps, Rinne avait soudain pensé : C’est peut-être pour cela que Sir Alus s’est intéressé à mon œil. Peut-être qu’il craignait cette possibilité et cherchait des indices sur ce qu’il fallait faire au cas où quelque chose se produirait. En y réfléchissant, peut-être que même Alus n’avait pas de solution pour sa capacité spéciale déchaînée.

Puis elle se rendit compte qu’elle avait été emportée par l’enthousiasme de l’escouade, et que venir avec eux n’était peut-être pas la meilleure idée. À proprement parler, elle avait bien un plan, mais il n’avait jamais été testé auparavant, et ses chances de succès étaient donc un mystère total.

Elle n’aurait aucun regret, mais si Cicelnia l’apprenait, elle se moquerait sans doute d’elle. Elle pouvait facilement imaginer Cicelnia se moquer d’elle pour s’être autant emportée avec les autres, avec un sourire sarcastique. En même temps, elle était aussi impatiente de le faire, ce qui lui faisait froncer les sourcils. C’était comme si elle aimait être intimidée par cette belle et parfaite souveraine.

Quand cela arriverait, elle serrerait sûrement les dents de mortification devant les moqueries dont elle ferait l’objet. Peut-être même qu’elle objecterait… et une fois que cela serait arrivé, elle trouverait sûrement excuse sur excuse.

Cicelnia regardait alors froidement son aide incompétente et…

Rinne secoua la tête pour se libérer de ses pensées négatives, et se dit qu’elle devait rentrer vivante. « Cela dit, tout dépend de Sire Alus… si nous parvenons à nous y rendre, bien sûr. »

« C’est vrai. Mais il ne bouge pas encore. Vous avez donné l’impression qu’il allait bouger tout de suite. »

« Je voulais juste dire qu’il ne serait pas étrange qu’elle bouge. J’ai acquis la conviction que Sire Alus est toujours conscient parce qu’il n’a pas encore bougé… en d’autres termes, même si cette masse de mana devrait déjà avoir quitté son contrôle, il y résiste encore et la maintient en place. »

« Je vois, » dit Lettie. « Alors nous avons encore une chance. »

Rinne hocha la tête avec un sourire, alors qu’elle se déplaçait dans les airs. C’était une preuve de possibilité. Cela pouvait encore être résolu tant qu’Alus résistait… ils devaient y croire. S’approcher d’Alus pour le sauver signifiait se mettre imprudemment en face de la masse de mana et s’exposer au danger.

« S’il vous plaît, attendez une minute — » Rinne avait soudainement crié en panique. Un cercle magique flottant au-dessus de son œil signalait que l’Œil de la Providence était actif. Loin devant eux, plus près d’Alus, elle avait vu quelque chose passer dans le champ de vision de son œil magique. C’était très petit, mais elle ne pouvait pas le négliger.

Et ce qu’elle avait vu était clairement la silhouette d’une personne.

Et si elle se souvenait bien… « Quelqu’un se dirige vers le cratère devant nous. C’est seulement une personne… mais pourquoi est-elle… ? »

☆☆☆

Immédiatement après que les innombrables bouches aient jailli du Mangeur de Gra, Alus faisait de son mieux pour garder le déchaînement sous contrôle.

Peut-être qu’opposer une résistance était inutile. Alus avait en fait perfectionné son contrôle du mana, que les autres magiciens avaient tendance à considérer comme moins important, afin de pouvoir contrôler sa capacité spéciale.

Malgré cela, ce qui flottait au-dessus de lui n’était plus un atout sous son contrôle, et ce n’était probablement pas non plus une simple masse de mana. Son lien magique avec Alus disparaissait progressivement à mesure qu’il grandissait et devenait plus individuel.

Grâce à une faible résistance de son esprit brumeux, il avait réussi à ralentir le mouvement du mana. Même si c’était juste temporaire, il devrait être en mesure de gagner du temps.

Si Lettie et les autres pouvaient s’échapper, ce serait plus que suffisant.

Après cela… Alus mettrait fin aux choses lui-même. De cette façon, Alpha aurait réussi à éliminer le mamono et à réduire au minimum les dommages causés par l’incident.

« Haa, haa, haa… Ack ! » Alus avait empêché son esprit de s’évanouir en se mordant la lèvre. Il sentit le goût du fer alors que le sang s’engouffrait dans sa bouche.

Toute sensation sous les genoux avait disparu depuis longtemps, et il ne sentait plus du tout son bras gauche, qui pouvait tout aussi bien avoir disparu. Cependant, il pouvait sentir un poids qui tirait son épaule vers le bas entre deux épisodes de douleur.

Après avoir ouvert toutes ses bouches, le Mangeur de Gra s’était avancé pour essayer de se libérer une fois de plus.

Sa vision s’assombrissait, et son corps se refroidissait. Sa température corporelle était probablement en train de chuter à cause d’une perte de sang extrême. Le sang s’accumulait sur le sol, et le sang qui coulait sur son corps était si chaud qu’il avait envie de s’y allonger.

S’il baissait sa garde, ne serait-ce qu’un instant, le Mangeur de Gra agirait à sa guise. Cela dit, même s’il s’accrochait désespérément, il ne tiendrait probablement qu’une minute de plus.

C’est alors qu’il avait senti une présence se rapprocher rapidement. Une fois que la personne avait atteint le bord du cratère, la petite silhouette avait sauté et s’était précipitée vers lui.

Alus pouvait dire qui c’était à la couleur de ses cheveux, reflétant la lumière du soleil. Et quand il l’avait fait, il l’avait regardé fixement.

Il n’avait pas pu confondre la cape familière et la jupe militaire sombre. Les jambes fines étaient entièrement enveloppées de bandages.

Toujours à genoux, Alus avait relevé le haut de son corps et avait levé sa main droite. « Pourquoi es-tu venue ? » Avec ces mots et sa colère… non, sa rage, il interpella la jeune fille aux cheveux argentés.

Une fois qu’elle était juste en face de lui, Loki s’était finalement arrêtée. Elle était complètement trempée de sueur. Les bandages autour de ses jambes étaient rouges à cause de tout le sang qui s’y était infiltré. « S-Sire Alus… Qu’est-ce que… !! Tu es blessé ! Laisse-moi te soigner… » dit-elle, paniquée, en essayant de se rapprocher.

Mais Alus l’avait arrêtée. « Je t’ai dit… ne viens pas ! Tu es allée à l’encontre de mes ordres ! » Le Dévoreur était mort, mais le Mangeur de Gra déchaîné était toujours une menace, donc Loki devait partir d’ici le plus vite possible.

Mais elle avait fait un grand pas vers Alus, comme pour dire que la justice était de son côté. Son visage se tordit de douleur, mais elle ne montra aucun signe d’arrêt, alors qu’elle s’approchait. « Je ne suis pas allée à l’encontre de tes ordres. Les paroles de Sire Alus sont absolues. C’est pourquoi je suis venue… conformément à la promesse que nous avons faite. Le Second Institut de Magie a gagné le tournoi. Et tu m’as promis de m’emmener dans tes missions. »

Il avait même dit qu’il ne reviendrait pas sur sa parole. La situation était mauvaise, mais ça lui avait complètement coupé l’herbe sous le pied.

« Tu n’as jamais dit quand, donc j’ai décidé que la promesse était valable à partir du moment où notre victoire a été déclarée. »

Alus ne trouvait aucun motif pour répliquer tout de suite. Mais de toute façon, il n’avait pas la latitude de réfléchir logiquement…

Le Mangeur de Gra était toujours en train de se lover au-dessus d’eux, quand il sembla soudainement détecter le mana de Loki en réagissant à elle.

Une bouche extralarge s’était étirée vers le sol… Alus avait concentré son esprit pour la retenir, après quoi elle s’était arrêtée et avait plané en arrière-plan. S’il se relâchait ne serait-ce qu’un instant, le petit corps de Loki serait englouti par cette bouche massive en un instant.

Alus avait parlé à Loki d’un ton poli et calme. « C’est mon pouvoir, mais il est déjà hors de mon contrôle… comme essayer de retenir un monstre libéré de sa cage. Il va même s’en prendre à toi. Alors, pars d’ici tout de suite ! Je pourrai te faire gagner au moins autant de temps. »

« Je vois… » Loki avait fait une pause pendant un moment. À l’époque où elle s’était battue contre Alus pour gagner sa place de partenaire, c’était peut-être ce pouvoir qui avait effacé Naruikazuchi. « Je comprends la situation. Mais que va-t-il t’arriver ? Tu vas survivre, n’est-ce pas… ? Je crois que ces blessures ont besoin d’un traitement immédiat. »

☆☆☆

Partie 6

Alus n’avait rien dit. Mais il n’allait pas mentir. Il savait comment elle était devenue sa partenaire après tout. Ses sentiments sincères et son entêtement pur l’avaient poussée si loin qu’elle avait été prête à renoncer à sa vie. Il ne l’avait pas réprimandée pour cela, car il savait qu’une fois Loki calmée et ses sentiments apaisés, elle le comprendrait par elle-même.

Il n’avait jamais demandé ce genre de loyauté. En fait, c’était un fardeau. Il se demandait même pourquoi elle irait si loin pour quelqu’un comme lui. « Cette chose ne pourra probablement pas aller au-delà  d’une certaine distance de moi. Tant qu’elle n’absorbe pas plus de mana et ne grandit pas encore plus, bien sûr. Si le corps principal reste ici, il y a une limite à la distance à laquelle le mana peut aller. Après ça, eh bien… il me mangera probablement. »

La fin de sa vie entraînerait également la disparition du Mangeur de Gra, mais Alus était plus ou moins convaincu que le mana déchaîné ne pouvait plus faire ce genre de distinction. Et ayant grandi à ce point, il était possible qu’il puisse compenser l’information du mana en la régulant avec sa propre puissance. Il avait expliqué cela à Loki avec une expression calme.

« — !! » Un frisson parcourut l’échine de Loki. Elle avait prédit que ça pourrait être quelque chose comme ça, mais le prédire et l’entendre comme la vérité étaient deux choses différentes.

En même temps — une résolution inébranlable était née. « N’y a-t-il rien que je puisse faire ? »

« Rien ! Va juste aussi loin d’ici que tu peux ! Je t’ai peut-être sauvée une fois… mais ce n’est pas une raison pour que tu sombres avec moi. Il n’y a aucune raison pour que tu restes par gratitude. »

« … !! » La réaction de Loki était due au fait que quelque chose qui était lové en elle se libérait enfin. « Alors tu t’es souvenu… »

Ses sentiments s’étaient précipités… comme si son âme tremblait. Elle était si heureuse qu’elle voulait l’embrasser, tout en versant des larmes et en le remerciant. Elle avait toujours été mauvaise pour reconnaître ses émotions, et encore pire pour les montrer, mais en ce moment, elle avait pu sourire naturellement.

« Écoute, je ne t’ai pas choisi comme partenaire juste pour te laisser mourir… »

« Oui, je comprends. » C’est le genre d’individu que tu es, Sire Alus… mais c’est mon seul désir. Loki garda le reste des mots pour elle, tandis qu’elle s’approchait à nouveau lentement de lui.

Alus lui lança instinctivement un regard noir, comme pour lui dire de ne pas s’approcher. « Loki, tu es brillante. Et tu as aussi du talent… C’est pourquoi… »

« Sire Alus, comme tu le sais, je suis comme toi. Je n’ai pas d’aspirations admirables comme protéger l’humanité ou sauver le monde. Mon monde est celui dans lequel tu vis. Mais je mentirais si je disais que je ne ressens aucune gratitude… »

Loki s’était surprise à crier : « Mais en réalité, en réalité, cela n’a pas d’importance ! Je suis ici maintenant par ma propre volonté ! Cette décision et ces sentiments sont les miens, et ils resteront même si mon corps est broyé et mon âme coupée en morceaux ! J’ai besoin de toi, Sire Alus, pour pouvoir être moi-même… ! »

Une fois qu’elle eut dit ce qu’elle avait à dire, elle ferma la bouche et plaça ses mains devant sa poitrine, comme si elle priait pour que cette situation ne soit qu’un mauvais rêve.

« Ne sois pas stupide ! … Merde ! » La concentration d’Alus vacilla un instant à cause de sa colère, libérant le Mangeur de Gra. Et ayant choisi Loki comme sa prochaine cible, des crocs de mana noir s’étendirent pour l’entourer.

Juste au moment où il pensait qu’il n’arriverait pas à temps, le Mangeur de Gra était allé à l’encontre de ses attentes et s’était arrêté.

Ensuite, le son clair de quelque chose qui se brise avait retenti. Le son provenait des mains de Loki, qu’elle tenait sur son cœur.

Loki fixa ses mains, y voyant les fragments du pendentif qu’elle avait obtenu d’Alus, incrusté d’un cristal qui changeait de couleur en fonction du mana qu’il contenait.

 

 

Le mana d’Alus était dans cette gemme noire. C’était une gemme précieuse, comme un talisman, et le mana y était scellé. L’explosion de mana avait fait hésiter le Mangeur de Gra pendant un moment. Il avait dû être confus, car le même mana que son maître venait de Loki.

Ce que le pendentif brisé leur avait donné n’était pas qu’un simple instant. Loki avait fixé le pendentif avec une expression de tristesse. Il n’y avait jamais eu d’hésitation ou de peur dans ses yeux au départ. Elle était venue ici avec une ferme résolution.

Après cette brève pause, le Mangeur de Gra avait rapproché ses crocs de Loki une fois de plus. Un instant plus tard, Alus avait réussi à reprendre le contrôle.

Un nuage de poussière avait recouvert le sol, et il avait regardé avec surprise. Les longs crocs sombres avaient mordu le sol, mais Loki n’était pas là. Au lieu de cela, elle était couchée juste à côté d’Alus, assez proche pour se toucher.

« Force… ! ! Quand as-tu… » Alus ne savait pas que Loki avait appris la Force et l’avait utilisée dans son combat contre Fillic. Elle l’avait gardé secret jusqu’au jour du tournoi pour lui faire une surprise.

« Cependant, je n’ai jamais pensé que je le monterais ici… Je crois que je ne peux plus bouger. » Loki, au sol, avait regardé le visage d’Alus. Sa respiration était irrégulière. Malgré cela, elle souriait toujours. Et son sourire était rempli de détermination, au point qu’Alus réalisa qu’en dire plus serait inutile.

Les départs rapides et répétés de la Force avaient entraîné des dégâts importants sur le corps, et les bandages qui entouraient les jambes de Loki, mais qui s’étaient détachés à cause de ses mouvements rapides, étaient aussi rouges de sang qu’ils pouvaient l’être.

« … Mais à ce rythme, on va mourir tous les deux. »

« Oui. Je serai toujours à tes côtés. Si tu dois mourir, j’irai en première. Je ne veux pas être dans un monde sans toi, même pour une seconde. »

« … » Au lieu que son visage soit trempé de larmes, il était étrangement calme. Il n’avait jamais vu cette expression sur Loki auparavant. Sans compter que c’était très différent du genre de visage qu’un magicien ferait avant sa mort. C’était un sourire satisfait du fond de son cœur, comme si elle acceptait tout comme naturel.

Alus trouvait cela beau, mais en même temps cela l’exaspérait. « Je ne vais pas laisser tomber ! » Il s’en voulait d’être sur le point d’abandonner. En colère contre lui-même d’avoir accepté la mort sans même se battre pour survivre. Surtout si la raison était sa propre inexpérience. « Loki, si on s’en sort… je te demanderai de réfléchir un peu plus à tes actions ! »

« Oui… »

Il ne se lamenterait pas sur sa propre mort, mais en fin de compte, il avait été chargé de la responsabilité d’une vie de plus. « … Bon sang, je ne peux même pas mourir d’une mort douce. »

« Oui, sache que je ne te pardonnerai pas si tu fermes les yeux devant moi. »

Le sourire de Loki devint le moteur qui poussa Alus à mettre sa résolution en action. Il jeta ses yeux vers le haut. Devant lui se trouvait une bouche projetée par le Mangeur de Gra, remplie d’innombrables crocs.

Il soupira et se releva sur un genou. « C’est la première fois que je suis blessé aussi gravement », plaisanta-t-il, peut-être parce qu’il ne sentait plus la douleur.

Ne se souciant pas de l’atmosphère détendue d’Alus, le Mangeur de Gra au-dessus avait étiré des centaines de tentacules, comme pour envelopper la surface. Il ouvrit grand sa bouche. Il n’était pas clair s’il ne visait toujours que Loki, mais à ce rythme, ils seraient tous les deux avalés.

En réponse, Alus leva son bras dans un mouvement fluide, et une fois qu’il le poussa en avant, il ouvrit rapidement sa main. « Ne bouge pas. » Une voix profonde exigeait une obéissance absolue, ne laissant aucune place à l’objection.

Un nombre stupidement élevé de tentacules faits de mana se tendaient vers Alus et Loki de tous les côtés, avant de s’arrêter.

L’ordre féroce d’Alus était accablant, comme s’il pouvait forcer n’importe quoi à obéir. Ses yeux froids étaient remplis de la détermination de ne voir personne être blessé.

Finalement, l’ordre absolu d’Alus avait empêché le Mangeur de Gra de bouger. Mais cela ne signifiait pas qu’il n’attaquerait pas son maître. Il en était également conscient. Comme il l’avait déjà dit, le Mangeur de Gra était comme un monstre libéré de sa cage. De plus, s’il développait un sentiment d’identité, il serait impossible de le contrôler par la seule volonté.

C’est pourquoi il avait pris ce pari. Le Mangeur de Grai était comme un animal nouveau-né, et plutôt que d’utiliser des moyens magiques pour le lier, il avait fait pression sur ses instincts. A vrai dire, il se raccrochait à n’importe quoi, mais heureusement, cela semblait avoir un effet.

L’instant suivant, un changement s’était produit dans le Mangeur de Gra. Des yeux s’étaient ouverts partout, de ses tentacules à son corps principal. Des paupières de toutes tailles étaient apparues sur toute sa surface, comme s’il avait gardé les yeux fermés jusqu’à présent.

« … » Alus fixa le changement sans émotion. Les yeux étaient l’organe principal du sens de la vue, et la masse de mana qui les adoptait était le signe qu’il commençait à percevoir le monde par lui-même.

Il y avait maintenant autant d’yeux sur son corps que d’étoiles dans le ciel, et après une courte pause, ils s’étaient tous tournés vers Alus en même temps.

Bien que confronté à ce spectacle bizarre, Alus avait parlé d’un ton froid. « Je n’ai pas besoin d’un pouvoir qui va à l’encontre de ma volonté. »

Il n’était pas clair s’il pouvait l’entendre ou non, mais ses yeux s’étaient rétrécis comme s’il évaluait s’il était digne d’être son réceptacle.

Comme pour dire que même cela était irrespectueux, Alus avait fermé sa main ouverte, formant un poing. Dans un bruit sec, des fissures traversèrent tous les yeux du Mangeur de Gra et ils commencèrent à se fermer lentement.

« Obéis…, » dit-il, rompant le silence.

En serrant son poing, les fissures s’étendirent encore plus, et en y mettant plus de force, tous les yeux des Mangeurs de Gra avaient éclaté. Les bruits d’écrasement avaient rempli tout leur environnement.

Un instant plus tard, le regard d’Alus rencontra l’unique œil énorme en face de lui… l’œil sembla sourire avant de se briser comme les autres.

Une fois tous les yeux partis, la masse noire de mana avait commencé à couler dans le corps d’Alus comme un génie aspiré dans sa lampe.

Le Mangeur de Gra avait atteint cette taille. Bien qu’il ait réussi à reprendre les rênes, le fait de tout absorber avait pratiquement assuré sa mort. Mais il était prêt à mourir pour sauver et protéger Loki.

La sensation intense quant à la quantité anormale de mana qui s’écoulait en lui secoua son cœur. Le Mangeur de Gra avait même acquis les nombreuses sortes de mana qu’il avait absorbées en mangeant le Dévoreur. Contrairement au mana utilisé pour restaurer le propre mana d’Alus, c’était comme une substance étrangère qui ne servait que de nourriture pour le Mangeur de Gra. Et l’absorber donnait l’impression de brûler son âme et d’éroder son esprit. Cela ressemblait à la sensation d’être rempli d’un certain type de pouvoir.

Il avait l’impression d’être capable de protéger quelqu’un pour la première fois. Malgré son pouvoir absolu en tant que magicien, c’était la première fois qu’il protégeait quelque chose d’important pour lui.

☆☆☆

Partie 7

Sa mort, qui devait survenir rapidement, ne montrait aucun signe d’arrivée. Un sentiment de soulagement l’envahit et sembla durer longtemps, bien qu’en réalité ce ne fut que quelques secondes. Puis ses nerfs tendus semblèrent se relâcher, alors que des frissons crus le parcouraient.

Une ligne de sang coula des lèvres d’Alus. Une ligne après l’autre… le flux ne s’était pas arrêté. C’était comme si un barrage avait éclaté. Il avait commencé à vomir du sang.

Il avait mis ses mains sur sa gorge enflée, crachant un jet de sang rouge foncé qui avait taché le sol à ses pieds.

Quand Loki avait vu ça, ses yeux s’étaient écarquillés. Son dernier souhait s’effondrait sans cérémonie devant elle.

Elle ne comprenait pas pourquoi il crachait douloureusement du sang. Les paroles qu’il avait prononcées auparavant concernaient leur avenir… donc il ne devrait pas mourir ici. Au moins, elle pensait qu’ils avaient atteint cet accord commun.

Elle avait finalement compris sa véritable intention. Il avait essayé de la sauver au prix de sa propre vie. Le sacrifice de soi… c’était quelque chose qui ne lui ressemblait pas du tout, et pourtant rien ne pouvait lui convenir davantage. Il était plus arrogant que quiconque, mais il n’hésitait pas à mettre sa vie en jeu.

« Non… ! Ce n’est pas ce que tu avais promis ! »

Ignorant le cri de Loki, Alus s’était affaissé et s’était effondré, tandis que sa conscience s’éloignait.

« S-Sire Alus !! » Loki avait levé la tête et ses yeux s’étaient ouverts en grand une fois de plus. La peur emplissait son expression et son corps tremblait. Elle rapprocha ses lèvres tremblantes et lâcha d’une voix rauque : « N-Non, Sire… Alus… Aaa… Aaa… AAAAAaaaa… »

Le visage tourné sur le côté, Alus n’avait pas bougé. Ses cheveux noirs couvraient ses yeux et il était difficile de savoir quelle expression il arborait.

La vision de Loki commença à se brouiller, le paysage se déformant, et elle ne vit plus que l’horrible réalité. Son corps ne bougeait plus, mais ses larmes coulaient sans fin. Seule son imagination de la pire issue possible tournait dans son esprit. Le seul objectif de son esprit confus était de se rapprocher de lui, de se mettre à ses côtés.

Tout en sanglotant, elle se débattait et commandait son corps de toutes ses forces. Bouge, bouge, bouge, bouge ! « — Bouge ! » Ses jambes n’étaient d’aucune utilité.

Mais ses doigts bougèrent légèrement, et ses bras se levèrent lentement. Sans hésiter, Loki planta ses ongles dans le sol, utilisant toute sa force pour soulever le haut de son corps. Mais ses coudes fins plièrent sous la pression et elle s’effondra à nouveau sur le sol.

Avec le Mangeur de Gra parti du ciel, le soleil brillait sans pitié sur le couple. Pour Loki, cela semblait cruel et haineux. Si elle devait assister à une telle scène, elle aurait dû partir avec lui dès le début. Elle avait égoïstement forcé le passage, et serait morte avant lui.

Avec de la boue et des larmes sur son visage, Loki s’était relevée. Toujours allongée sur le ventre, elle a griffé le sol. Cela n’avait pas d’importance si ses ongles se détachaient. Elle ne voulait même pas reconnaître la douleur.

Rien de tout cela ne pouvait être réel. Si elle pouvait atteindre sa destination, elle se réveillerait sûrement de ce cauchemar.

Loki rampait désespérément sur le sol. Il était si proche, et pourtant elle avait l’impression d’avoir une distance infinie à franchir. Mais si elle continuait à tendre la main, elle croyait qu’elle pourrait l’atteindre en continuant à se traîner toujours plus près avec ses doigts.

Peut-être à cause d’une utilisation excessive de la Force, chaque fois qu’elle se rapprochait, une douleur intense parcourait son corps. Mais cela n’avait pas d’importance. Elle se frayerait un chemin jusqu’à lui, même si elle devait ramper comme une chenille, même si elle ne pouvait se déplacer que de quelques centimètres à la fois. Si elle pouvait se rapprocher de lui, sa lutte désespérée avait un sens. Même si elle perdait ses doigts d’un centimètre pour chaque centimètre qu’elle approchait, elle continuerait quand même.

En même temps, des sentiments sombres traversaient son esprit. Elle ne voulait pas goûter à ce genre de désespoir… Elle détestait cela, elle détestait tout… et surtout, elle se détestait elle-même de ne pouvoir rien faire d’autre que ramper sur le sol.

Loki endurait des sanglots accablants, et continuait à ramper sous le soleil éblouissant. Ses beaux cheveux argentés avaient perdu leur éclat à cause de toute la saleté, mais elle mettait plus de force dans ses doigts pour continuer à avancer. Derrière elle, une traînée de sang provenant de blessures saignant si abondamment que les bandages ne suffisaient pas à les arrêter.

Rassemblant ses dernières forces, Loki se jeta en avant… et sa main atteignit finalement le dos d’Alus. Avec ses doigts tachés de sang, elle attrapa son épaule.

Et avec cela, elle avait finalement été capable de tirer son visage jusqu’à celui d’Alus, les deux étant à l’envers l’un de l’autre.

Elle avait regardé Alus, et quelque chose de chaud était tombé sur sa joue sale. « Sire Alus… ? » En levant mollement son bras trempé de sang, elle avait utilisé son petit doigt pour retirer les cheveux de ses yeux. L’ongle du doigt avait été arraché, et il était couvert de saleté et de sang.

 

 

Elle posa sa paume sur la joue pâle d’Alus, immobile, comme pour la caresser doucement, avant qu’elle ne glisse impuissante vers le sol.

⬨⬨⬨

« Vous êtes sûre qu’on aurait dû laisser Loki partir seule, Mme Rinne ? »

« Elle a plus de chances de réussir que nous, » répondit Rinne d’un ton calme, et Lettie lui jeta un regard.

Sur leur chemin vers Alus, Rinne avait repéré Loki et l’avait fait savoir à Lettie et à l’escouade. Quand il s’agit de combat, l’équipe de Lettie était supérieure, et ils étaient plus nombreux. Alors d’où venait la confiance de Rinne ?

Cela dit, elle était la seule à avoir un œil magique, et la plus au fait des capacités spéciales. « Je crois l’avoir déjà dit, mais le contrôle n’est pas qu’une simple question de force, mais aussi de force mentale. On pourrait appeler cela un contrôle complet du mana, la régulation absolue de tous les organes sensoriels et des informations qui en proviennent. Même pour un magicien de premier ordre, faire cela consciemment serait difficile. »

Non seulement Lettie, mais toute l’équipe écoutait ce que Rinne disait.

« Cela peut vous sembler vague, mais il y a encore beaucoup de choses inexpliquées sur les capacités spéciales, laissant une grande part à l’intuition. »

Grâce à des générations de magiciens, de nombreux composants de la magie quotidienne qui nécessitaient de l’intuition avaient été étudiés et affinés en théorie. Mais les choses étaient différentes pour les capacités spéciales. Non seulement il y avait peu de données, mais la plupart de ces capacités rongeaient la vie de l’utilisateur.

C’est pourquoi les utilisateurs de capacités spéciales devaient s’appuyer sur quelque chose de plus primitif que la théorie. On disait que les prêtresses de sanctuaire et les chamans du passé allaient au fond d’eux-mêmes pour communier avec les dieux et les esprits, et comme eux, les utilisateurs de capacités spéciales devaient reconnaître l’autre existence en eux et communier avec elle.

Leurs relations avec cette autre existence étaient larges et variées, mais dans le cas de Rinne, elle avait établi une relation coexistante. Elle était l’un des rares exemples de réussite.

On dit que les capacités spéciales étaient presque comme un individu distinct au sein de l’utilisateur. L’utilisateur hébergeait véritablement sa capacité spéciale, comme s’il portait une autre forme de vie en lui. Dans le cas des yeux magiques, l’œil magique pouvait se comporter presque comme une puissance magique distincte de son utilisateur. Comme les capacités spéciales varient aussi énormément en nature, il y a toutes sortes de façons de les gérer, et par conséquent, cela dépend fortement des capacités mentales de l’hôte. Et la seule façon pour les autres d’influencer les utilisateurs de capacités spéciales était de remuer leur esprit par des mots et des actions.

L’idée que cela puisse fonctionner semblait incroyable, mais lorsqu’il s’agissait de choses fortement imbriquées dans l’esprit comme la magie et les capacités spéciales, c’était une vérité naturelle. C’est pourquoi —

« C’est pourquoi cela devrait être Mlle Loki. Même si elle n’a été reconnue comme telle que récemment, elle est la partenaire de Sire Alus. De plus… il n’y a aucun moyen de l’arrêter. Nous n’avons aucun moyen de la contacter pour lui dire de nous rejoindre. » Rinne se rappela avoir vu le regard désespéré de Loki. « Tout ce que nous pouvons faire, c’est atteindre notre destination le plus vite possible. Si nous pouvons servir de leurres, c’est déjà bien. Qu’en pensez-vous, Lady Lettie ? »

« Eh bien, si c’est ce que vous dites, nous n’avons aucun problème avec ça. »

« Merci beaucoup… sans compter qu’il existe en fait une méthode qui peut être utilisée dans le pire des cas. » Rinne avait passé la main derrière elle, désignant le carquois sur son dos.

« C’est… » Lettie fixa les flèches pendant quelques instants, puis laissa échapper une voix étonnée en réalisant l’intention de Rinne. « … Vous n’êtes pas sérieuse. »

Rinne avait regardé Lettie avec une intensité dans son regard. « Le pire cas serait que cette chose fasse son chemin jusqu’à Balmes. C’est une menace au-delà de la classe SS. Mais une capacité spéciale disparaît quand elle perd son hôte… »

« Mme Rinne, nous sommes venus ici pour empêcher cela ! » dit Lettie, avec une soif de sang presque meurtrière.

« Dame Lettie, ce n’est pas comme si j’essayais de tuer Sire Alus. Cette flèche est gravée d’un cercle magique pour inhiber les actions. Le matériau dont elle est faite amplifie également la magie. On pourrait dire qu’il cesserait temporairement toute fonction vitale. C’est la première fois que je l’utilise, mais si je peux tirer sur Sire Alus avec ça, alors ça pourrait marcher. »

Ironiquement, c’était le même raisonnement et la même conclusion qu’Alus, et le visage de Rinne était calme et rempli de détermination. « Il se retrouvera dans un état d’animation suspendue, mais je ne sais pas comment tout cela se déroulera. Il pourrait perdre conscience et ne pas se réveiller, et il n’y a aucune garantie que sa capacité spéciale disparaisse. Mais dans le cas où Mme Loki échoue… ce sera la seule option que nous ayons. »

« Juste dans le pire des cas, non… ? » murmura Lettie, en mettant de côté sa soif de sang. Avec un visage renfrogné, elle avait laissé échapper un soupir. « Je ne veux pas laisser faire, mais Allie est aussi un soldat… mais ne croyez pas que vous pourrez l’envoyer voler parce que vous en avez envie. Un soldat donne toujours tout ce qu’il a, après tout. »

Rinne répondit par un hochement de tête. Cependant, il y avait une chose qu’elle avait gardée secrète et que Lettie ne semblait pas réaliser. Cette capacité spéciale avait le pouvoir d’absorber le mana. Si ce pouvoir incluait le corps d’Alus…

Pour que la flèche ait un effet, il fallait qu’elle pénètre directement dans le corps. Mais si son corps était revêtu du même pouvoir d’absorber tout le mana, alors son sort ne se manifesterait jamais.

Dans ce cas… la flèche pénétrerait simplement comme n’importe quelle flèche, et lui transpercerait le cœur. Dans l’état où se trouvait Alus maintenant, il ne serait pas en mesure de le bloquer.

Et c’est pourquoi elle avait prié… Mme Loki… s’il vous plaît.

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Lettie et Rinne étaient arrivées près du centre du cratère, où elles avaient vu un Alus effondré, le visage vidé de son sang, et une Loki inconsciente à côté de lui.

L’équipe fut soulagée de voir que Loki respirait encore, mais un frisson leur parcourut l’échine lorsqu’ils virent Lettie, au visage pâle, soulever Alus, immobile, un sombre pressentiment les envahissant.

☆☆☆

Chapitre 41 : Un spectateur à l’affût dans le crépuscule

Partie 1

Les énormes signes de la bataille étaient éparpillés sur le sol, et les restes des sorts massifs restaient dans l’air même maintenant.

Il y avait également un trou massif en forme de cratère d’un kilomètre de diamètre à côté du gisement. Mais maintenant que tout était terminé, il n’y avait aucune présence humaine à proximité.

Le soleil commençait enfin à se coucher, la lumière qui éclairait le terrain vague devenait de plus en plus faible.

Une silhouette marchait à l’intérieur du trou, se dirigeant nonchalamment vers le centre où cette bataille féroce avait eu lieu quelques heures auparavant. De magnifiques cheveux blancs pendaient des épaules de la personne, flottant au vent comme les longs cheveux d’une femme.

Le personnage portait un long manteau à rayures bleues et blanches, et avait les mains enfoncées dans les poches. Il était à peine possible de distinguer qu’il s’agissait d’un homme avec son corps grand et mince, mais même cela avait pris quelques instants à déterminer, la raison étant qu’il avait une présence irréelle. Sa présence et sa forme étaient incroyablement vagues. Il était clair qu’il n’était pas une personne ordinaire, car chacun de ses mouvements dégageait une atmosphère anormale.

Alors que le soleil se couchait, il murmura à personne en particulier : « Je vois que Mme Élise est aussi prudente que d’habitude. Je pensais que Hazan allait se déchaîner, mais elle a réussi à le maîtriser assez bien. J’avais espéré qu’ils finiraient par éliminer le numéro 1 du classement, mais je suppose que c’était trop demander. Pourtant, il semble qu’il soit plus gênant que prévu… Alus Reigin. »

Le ton de sa voix était aussi élevé et clair que celui d’une femme, mais il semblait prendre une teinte amère à la fin. Cependant, son visage, qui émergeait de sa frange soigneusement coupée, arborait un sourire sans peur. « Hmm… qui viendrait dans un endroit aussi isolé ? » murmura-t-il.

« Tu as entendu qu’Élise et cet idiot de Hazan ont affronté le rejeton de Rusalca… ? »

Personne d’autre que l’homme n’était censé être ici, pourtant une voix de femme avait retenti. Peu après, elle était apparue dans le coin de son œil, portant exactement ce que l’on attendrait d’une citadine sociable.

Elle dégageait une atmosphère vraiment calme et simpliste. Cela dit, ce serait une chose s’ils étaient dans une ville, mais comme ils étaient sur un champ de bataille dans le Monde Extérieur, cela ne faisait que la rendre encore plus inquiétante.

La femme, Dakia, tenait ses bras derrière son dos et donnait négligemment un coup de pied dans un caillou sur le sol. Le petit geste était parfaitement approprié pour une simple fille de la ville, mais il y avait un sentiment de délibération dans ses actions.

« Quelle surprise. Dire que tu as survécu. »

« Surpris ? Avec ce genre d’attitude froide ? » dit la voix malicieuse derrière lui, mais l’homme ne montre aucun signe de vouloir se retourner et il continua sa marche vers le centre du trou.

« Pas du tout, je suis assez surpris, vois-tu. Tu étais censée avoir été tuée par Alus Reigin, après tout. Mais je suppose que ce ne serait pas si surprenant que ça, te connaissant… Alors, est-ce qu’Élise a bien achevé Jean Rumbulls ? J’attends beaucoup d’elle. »

« Ne l’as-tu pas entendu de sa bouche ? Malheureusement, il a réussi à s’échapper… il semblerait. »

En entendant la réponse de Dakia, l’homme avait renâclé en s’arrêtant enfin.

Toute la zone proche du centre du cratère était tachée d’un brun noirâtre. Ceux qui savaient ce qui s’était passé ici il y a quelques heures réalisaient que c’était le sang qu’Alus avait versé.

L’homme avait sorti sa main d’une poche et l’avait posée sur son menton pendant qu’il réfléchissait. Vu son expression, cependant, il ne semblait pas réfléchir du tout. Mais il devait être venu ici avec un certain objectif en tête. « Avec ça, cette personne ne se plaindra pas. Si quoi que ce soit, je suis sûr de recevoir une évaluation élevée. Les recherches de Godma n’ont pas été vaines… cet homme a fait du bon travail. »

Godma Barhong avait failli établir un moyen d’améliorer les humains, mais avec ces défauts, il aurait été difficile de les utiliser de toute façon. Les choses auraient pu se passer différemment s’il avait eu les dernières données de recherche, mais ces plans avaient été écrasés par le numéro 1 du classement.

Mais au vu des résultats, les données que l’homme avait reçues étaient suffisantes. Le plan avait peut-être mal tourné, mais au final, il n’avait été que retardé, et il pourrait même se transformer en quelque chose de mieux que prévu.

L’homme avait tendu son bras au-dessus de la tache brun noirâtre. En quelques secondes, plusieurs gouttes rouges s’élevèrent du sol, comme si elles étaient pressées vers le haut. Seul le liquide fut extrait, laissant derrière lui la terre et le sable, et le sang forma une sphère de la taille d’un poing.

Il avait regardé le sang, et avait sorti son autre main de sa poche. Dans celle-ci se trouvait ce qui ressemblait à un tube à essai. Avec un mouvement familier, il avait ouvert le couvercle avec son pouce, et le liquide rouge avait coulé dans le tube comme s’il était absorbé.

Refermant le couvercle, l’homme fixa le tube à essai rempli de liquide rouge avec une expression satisfaite, et le remit dans sa poche. Puis, comme s’il se souvenait soudainement de quelque chose, il dit : « Je vois, donc Jean Rumbulls n’a pas été éliminé non plus… eh bien, la situation étant ce qu’elle est, ils n’ont probablement pas utilisé la Queue-de-Quatre. Alors, Mlle Dakia, as-tu l’intention de revenir… »

La femme avait interrompu l’homme en riant. Le soleil l’éclairant par derrière, elle arborait un sourire arrogant. « Désolé, mais je me suis mis en travers du chemin. Tu devrais mieux leur apprendre… D’ailleurs, je suis plus intéressée par ta venue pour récupérer ce… Mekfis. Ou peut-être te fais-tu appeler Enouve maintenant… ? »

Les bords des lèvres de l’homme, qui s’étaient relevés, s’abaissent maintenant. Et il répondit d’un ton plein d’hostilité : « Hmm, cela fait longtemps que je n’ai pas porté ce nom. D’ailleurs, Enouve n’est pas un nom que je me suis donné… c’était simplement le nom utilisé pour cet endroit. » Un sourire archaïque se dessina sur l’homme autrefois appelé Mekfis.

Et puis son expression changea, comme si quelque chose était devenu clair pour lui. « Je vois, c’est donc comme ça. Tu as… appris quelque chose là-bas, n’est-ce pas ? Je trouvais étrange qu’un Mamono gênant apparaisse près du dépôt. Tu peux être assez cruelle. Oh, et au fait, à qui est ce corps ? »

« Qui sait ? Si tu me dis à quoi tu vas utiliser ce sang, j’aurai peut-être envie de te le dire. »

« Hmph, c’est ce que tu dis… tu n’as pas l’intention de me le dire, n’est-ce pas ? Alors… de quel côté vas-tu te ranger ? »

Dakia laissa échapper un rire vide, laissant apparaître ses dents blanches. « Le côté qui serait le plus pratique pour moi ! Comme nous sommes de vieux amis, je pensais te laisser tranquille tant que tu ne te mettais pas en travers de mon chemin, mais… je suppose que ça ne marchera pas, n’est-ce pas ? »

Mekfis avait souri ironiquement à la plaisanterie de Dakia. « Je me demande. Cependant, je préfère ne pas m’engager avec toi. J’ai toujours eu du mal à te cerner, » lui dit-il en se retournant, comme s’il parlait à un vieil ami, tout en jouant avec le tube à essai d’une main.

L’atmosphère entre eux était tout sauf décontractée. Aucun des deux n’avait de raison de s’opposer à l’autre pour le moment, ils se contentaient donc d’échanger des mots vides de sens.

Bientôt, les longs cheveux blancs de Mekfis s’agitèrent tandis qu’il haussait les épaules, fatigué de cette perte de temps inutile. « C’est dommage de le dire, mais mon temps est limité. » Ses yeux regardaient au loin. Il avait repéré plusieurs personnes venant par ici.

« Oui, il semblerait… Je pense que je vais prendre congé maintenant. » Dakia tourna sur ses talons, comme si elle était sortie se promener, mais se retourna pour regarder Mekfis par-dessus son épaule. Son visage était un vide sans expression, ses yeux vides encore plus troubles maintenant. « Audeogecht, le Quatrième Livre de Fegel. »

« — !! »

La remarque d’adieu de Dakia avait fait plisser les yeux de Mekfis.

L’instant suivant, son corps s’était dispersé dans la lumière du soleil. C’était comme si tout le sang de son corps avait brusquement éclaté sans avertissement.

Le sang avait plu, et une odeur putride s’était élevée. Une partie du sang avait éclaboussé la joue de Mekfis, qui l’avait léché. « Un cadavre… donc c’était une marionnette, comme prévu. »

Il avait vu Dakia comme un problème et avait décidé de l’éliminer, mais il semblait que c’était inutile après tout. Il s’y attendait vaguement. Elle était la plus grande autorité en ce qui concerne ce genre de magie. Son vrai corps était ailleurs, car elle contrôlait à distance un corps temporaire.

« Je vais devoir le signaler à cette personne. Oups, on dirait qu’ils arrivent plus tôt que prévu… donc ce visage serait mauvais. »

Parmi les magiciens faisant leur chemin ici, un était plus rapide que les autres. Mekfis leur avait tourné le dos et avait souri. L’instant suivant, son corps se tordit et se déforma. Ses cheveux devinrent d’un rouge profond tandis que son corps entier changeait de forme.

En peu de temps, sa taille, sa morphologie, les traits de son visage, la couleur de ses yeux et ainsi de suite, s’étaient transformés en quelque chose de complètement différent. Son menton était barbu, ses cheveux étaient ébouriffés et son corps était couvert de muscles épais. La robe qu’il portait auparavant avait été remplacée par un uniforme militaire officiel de Balmes.

Après que son corps ait pris sa nouvelle apparence, Mekfis, ou plutôt l’homme qui était Mekfis juste avant, se demanda d’une voix grave : « Maintenant, qui était-ce encore ? Eh bien, il n’y a aucun doute que c’était un des magiciens de Balmes… Je ne peux pas m’embêter à me souvenir des noms de tous ceux que je tue. » De toute façon, sous cette forme, il n’éveillerait pas trop de suspicion chez les magiciens qui s’approchaient.

« Hm ! ? Ce type ne peut utiliser la magie qu’à ce niveau ? Pourquoi ai-je pris la peine de me souvenir de lui... Il sera utile cette fois, mais je devrais vraiment faire le tri. » L’homme se gratta maladroitement la barbe et se renfrogna en sentant que rien n’allait.

Après s’être repris, il avait regardé la poche de son uniforme. « Mais c’est extraordinaire. Je suis impatient. Mais il semblerait que je doive attendre avant de l’essayer pour le moment… » Avec une expression extatique, il avait touché la poche, confirmant la sensation du tube à essai à l’intérieur.

Son apparence actuelle ferait l’affaire pour le moment, mais s’il se transformait en propriétaire du sang qu’il venait de collecter, il se ferait trop remarquer. Donc pour l’instant, il avait couru vers Balmes dans ce corps peu performant. Sa vitesse était inférieure de moitié à ce qu’elle était avant, donc ce corps devait être un Triple ou un Quad.

Le pouvoir de se transformer en corps de toute personne qu’il avait mémorisée était la capacité de Mekfis. Cependant, les capacités du corps dans lequel il se transformait étaient amenées avec lui, ce qui posait parfois des problèmes.

De plus, s’il pouvait manipuler sans problème des corps inférieurs au sien, sa capacité à utiliser les sorts de ceux qui lui étaient supérieurs dépendait uniquement de ses propres techniques. Et alors que son apparence changeait, sa quantité de mana ne changeait pas.

Même avec ces défauts, ce pouvoir avait de nombreuses utilisations. Et avec les recherches de Godma, il était maintenant capable de répliquer les informations du sang.

Par le passé, lorsqu’il se transformait en corps, il ne pouvait utiliser que des informations superficielles telles que les sorts dans lesquels ils étaient spécialisés et leurs affinités. Ce n’était qu’un petit échantillon qui pouvait être récupéré à partir des informations sur le mana.

Mais maintenant, son pouvoir avait été affiné pour pouvoir copier tous les sorts qu’ils pouvaient utiliser. Il était capable de lire avec précision leurs informations en prenant leur sang.

Cependant, cela se limitait aux informations fixes sur le mana et la magie. Il n’était pas capable d’extraire des expériences ou des souvenirs du sang. Mais au moins, il pouvait s’approprier les caractéristiques du corps et la spécialisation magique.

C’est pourquoi le sang qu’il avait récolté suffisait à le rendre fou de joie. « Ça va faire un grand spectacle… Je me demande quelle tête tu feras le moment venu, ou te laisseras-tu simplement mener par le bout du nez ? Dans tous les cas, j’aurai l’occasion de voir une merveilleuse danse de la ruine. »

☆☆☆

Partie 2

Au quartier général militaire de Balmes, divers magiciens de haut rang, dont des Singles, arrivaient et se rassemblaient.

Au milieu de tout cela, Lettie et son équipe étaient arrivées, portant Alus et Loki. Cela avait déclenché un tollé, et ce n’était probablement qu’une question de temps avant que l’agitation ne se propage au-delà du quartier général.

Berwick avait pris le commandement général des opérations, et après avoir entendu un rapport direct de Lettie sur l’élimination du Dévoreur, il fut informé des blessures d’Alus, ce qui provoqua un profond plissement de son front. Il s’en était sorti vivant, mais son état était critique.

Il connaissait Alus bien avant qu’il ne soit un magicien. Alus avait participé à de nombreuses missions exténuantes dans le passé, mais il n’avait jamais été aussi gravement blessé.

Après avoir vu les deux personnes transportées aux urgences, Berwick avait été très occupé. Quant à ce qui l’avait poussé à agir, il ne se contentait pas de confirmer les faits, mais il avait aussi une question plus importante au fond de son esprit.

C’est alors que Lettie lui avait dit : « Gouverneur général, il s’agit du pouvoir d’Allie ! ». Il y avait de la colère dans sa voix, et elle avait jeté un regard furieux à Berwick.

« De quoi parlez-vous ? » Berwick essaya de la repousser, mais en même temps, il semblait réaliser quelque chose à propos de l’état d’Alus. Alus était sans doute le plus grand contributeur au succès de la mission, mais il avait une idée de ce qui avait pu se passer. « — !! Ne me dites pas qu’il s’est déchaîné !! »

Son expression s’était figée, et un instant plus tard, il avait réalisé qu’il avait crié cela. « En fait, ce n’est pas le bon endroit pour ça. Je vais écouter votre rapport dans une autre pièce. »

« … » Lettie suivit sans mot dire Berwick lorsqu’il quitta la pièce, les yeux fixés sur son dos qui semblait presque trembler. Son poing était également fermement serré.

C’est alors qu’une autre personne les avait arrêtés. « Commandant, je demande à être autorisé à y assister également. S’il s’agissait d’un ennemi capable de pousser Alus à ce point… même s’il a été éliminé, s’il s’agissait vraiment d’une classe SS, nous devons en savoir plus pour nous préparer à tous les scénarios. »

Le Single de Rusalca, Jean Rumbulls, les appela. Il était accompagné de deux subordonnés et arborait une expression sérieuse.

Il était retourné à Balmes après son combat contre Kurama, et venait tout juste de recevoir un traitement de base. Il avait toujours un bandage autour du bras, mais il ne montrait aucun autre signe de blessure tandis que lui et ses subordonnés fixaient Berwick. Il n’était pas clair où Jean avait appris la capacité spéciale d’Alus, ni combien il en savait, mais il semblait en connaître au moins une partie.

Lettie avait maudit son arrivée inopportune dans son esprit. Elle ne l’aimait pas personnellement, mais il y avait aussi le fait que le Gouverneur Général avait gardé la capacité spéciale d’Alus secrète, même pour un autre Single comme elle. Laisser le Single d’un autre pays le sonder, c’était aller trop loin.

 

 

Et bien sûr… « Sire Jean, je vous suis reconnaissant pour votre aide. Sans cela, la mission d’Alpha aurait pu complètement dérailler. »

Jean voulait clairement dire quelque chose de plus pour justifier sa présence, mais Berwick lui coupa habilement la parole. « On m’a laissé le devoir d’assurer le commandement général. Donc j’écouterai d’abord le rapport, et ensuite je créerai un rapport écrit à publier à toutes les nations. Vous devrez donc vous contenter de la réussite de la mission pour l’instant. Cela dit, vous êtes toujours en mission de défense. Ce n’est pas parce que la classe SS a été éliminée que vous pouvez baisser votre garde. Le Monde Extérieur est toujours en ébullition, et des rapports font état d’apparitions anormales de Mamonos. »

Le Dévoreur ayant éliminé les Mamonos qui l’entouraient, ceux qui avaient survécu avaient commencé à migrer ailleurs. À cause de cela, les territoires précédemment établis des Mamonos de grande classe avaient changé. « En tout cas, on ne peut pas être trop prudent. Sans le soutien des autres, cette nation pourrait même ne pas être capable de résister à une petite invasion. Pour l’instant, nous devons compiler les rapports, tout recouper, y compris leur authenticité, et prendre de nouvelles mesures dès que possible. »

« Avec tout le respect que je vous dois, en tant que représentant de Rusalca, j’ai le droit de recevoir également ce rapport, » dit Jean, refusant de reculer. Même si Alus et lui étaient amis, il avait toujours pensé qu’il y avait quelque chose de mystérieux chez lui. Et cette pensée s’était transformée en conviction lors de la conférence des gouvernants.

Les informations sur les Singles étaient généralement gardées confidentielles, mais dans le cas d’Alus, elles avaient été poussées à l’extrême. Rusalca avait demandé à Alpha des informations sur lui à plusieurs reprises, notamment lorsque les deux nations avaient travaillé ensemble sur une opération commune. Bien sûr, ils n’avaient rien reçu.

« Ça suffit, Jean Rumbulls ! » Une voix forte résonna dans le couloir, faisant s’arrêter tout le monde.

Tous se tournent vers la voix et découvrent un homme dans la force de l’âge qui se dirigeait lentement vers eux, les bras derrière le dos. Ses foulées étaient longues et imposantes. Les vêtements qu’il portait étaient moins appropriés pour un souverain, étant plus axés sur la pratique, comme s’il allait mener des troupes au combat.

« Lord Haorge ! »

« Jean, ce sur quoi nous devons nous concentrer, c’est la solidification des défenses et l’élimination de la menace des Mamonos. Il y a des Mamonos qui rôdent dans le Monde Extérieur et qui pourraient frapper à tout moment pour profiter de cette opportunité… il faudra les éliminer pour les tenir en échec. D’ailleurs, la cible a été éliminée, n’est-ce pas, gouverneur général Berwick ? »

« Il n’y a aucun doute là-dessus. »

« Alpha était seulement censé envoyer une force de reconnaissance, mais… J’ai entendu dire qu’il y avait même des Singles. Je n’arrive pas à comprendre ce que votre nation prévoit, mais les personnes présentes au moment de la décision n’étaient pas les mieux placées pour décider d’une politique. De toute façon, si la menace a disparu, personne ne va se plaindre. C’est comme ça, Jean. Si vous avez d’autres plaintes, vous pouvez les garder jusqu’à ce que tout soit terminé. »

« Je comprends… » Jean avait hoché la tête à contrecœur.

« Bien, c’est ainsi que cela doit être. Bien sûr, tous les rapports seront partagés, » ajouta Haorge Maizon Jecopheres, le souverain d’Iblis, comme s’il comprenait l’inquiétude de Jean. Il s’était tourné vers Berwick. « Laissez-nous nous occuper de la défense, gouverneur général Berwick. De plus… Je suppose que vous avez entendu parler du retard d’Hydrange ? »

« Oui, il semble qu’ils n’aient toujours pas quitté leurs frontières. J’ai reçu un rapport indiquant que Clevideet va bientôt arriver. Ils seront positionnés au nord d’Hydrange. » Balmes et Iblis étant voisins, les forces d’Iblis se positionnaient près de leurs propres frontières, afin d’éviter qu’une autre nation ne saisisse l’occasion pour les envahir. Balmes était situé au nord-est de Babel, et Hydrange au nord de Balmes. Au sud-est se trouvait Iblis, et plus au sud d’Iblis se trouvait Clevideet.

Cependant — « Vous n’avez pas à vous inquiéter pour Iblis. Nous avons encore assez de forces dans notre nation. Si Hydrange est en retard, nous nous chargerons de défendre le nord. Positionnez donc Clevideet du côté d’Iblis. Halcapdia devrait arriver par le nord. Envoyez-leur un message pour qu’ils nous rejoignent. Une fois que nous serons assez nombreux, nous pourrons couvrir une bonne partie de la zone. »

« Merci beaucoup. »

« Je vais demander à Vajet de venir. » Haorge avait porté son attention sur les communications dans son oreille. « Tu as entendu ça ? » dit-il, en contactant le numéro 2, Vajet Olagram d’Iblis.

« Puis-je me charger de cette tâche ? » demanda Jean, en fixant Haorge. Puis il se tourna vers Berwick. « La nuit devrait tomber dans une heure environ. Plutôt que d’attendre l’arrivée des autres nations, laissez-nous l’élimination des Mamonos environnants. »

« … Je comprends. Mais vous êtes encore blessé. Il m’en faudra au moins cinquante pour défendre la ligne. »

« Mon escouade seule sera plus que suffisante. Et puis, si ce genre d’égratignure m’empêchait de faire mon travail, je ne pourrais pas faire face à mes subordonnés, » dit Jean en souriant. C’était comme s’il disait qu’il pouvait s’occuper de cette mission tout seul.

« Alors, faites comme bon vous semble. Mais en échange, le coucher du soleil sera votre limite de temps. »

Jean redressa sa posture, saluant Berwick, avant de tourner sur son talon et de donner des instructions à ses subordonnés derrière lui.

D’ailleurs, Berwick avait l’intention de contacter Haorge, donc cela tombait bien. Après avoir vu Jean et ses subordonnés partir, il s’était mis au travail. « Lord Haorge, j’aimerais vous interroger sur cette personne… »

Avant même que Berwick ait pu finir sa phrase, Haorge l’avait arrêté d’un geste de la main, en souriant. « Cette personne est déjà arrivée. Il a été entendu que cette situation nécessitait de gros efforts. »

« Je vois… » Berwick avait l’air soulagé.

« Vos deux magiciens devraient être soignés maintenant. »

L’habileté d’Haorge à gérer la situation était probablement due à son passé de commandant dans l’armée. Le fait qu’il ait commandé sur les lignes de front malgré son statut de noble signifiait qu’à Iblis, la position de dirigeant n’était pas juste pour la frime, et il avait toujours une influence considérable au sein de l’armée. De ce fait, les compétences d’Haorge en matière politique et militaire étaient bien connues non seulement à Iblis, mais dans tout le domaine humain.

Pendant ce temps, l’équipe de Lettie s’était rassemblée dans une pièce, le regard hagard.

On leur avait assigné des chambres, mais aucun d’entre eux n’avait fait le moindre mouvement pour partir. Une atmosphère gênante dominait la pièce. Lettie leur avait ordonné de se reposer, mais personne ne le faisait. L’état d’Alus pesait trop lourdement sur leurs esprits.

Tous les magiciens ici présents savaient à quel point l’existence du numéro 1 soutenait les magiciens dans leur service militaire. Le perdre signifierait qu’ils auraient perdu non seulement une puissance militaire importante, mais aussi que l’humanité aurait perdu son soutien. Son existence était un trésor irremplaçable. Le fait qu’ils n’aient pas été capables de l’aider au moment où il en avait le plus besoin les rendait pathétiques.

Dans cette atmosphère oppressante, une personne tapait sur un clavier virtuel à un bureau. Elle partageait le même état d’esprit que les autres, mais cette paperasse était la distraction parfaite.

La femme, Rinne, s’était mise au travail immédiatement après avoir pris une douche. Un rapport de mission détaillé devait être rédigé, et elle voulait s’y atteler tant que les souvenirs étaient encore frais dans son esprit.

Normalement, elle n’aurait eu besoin de faire un rapport que verbalement, et elle avait une secrétaire qu’elle utilisait pour cela, mais cette fois-ci, elle avait une raison de ne pas le faire. Le rapport que Lettie avait donné à ses subordonnés comprenait une instruction spécifique. Et ils s’étaient tous mis d’accord pour ne pas mentionner un certain détail dans le rapport.

Utiliser le mot « faux » pour décrire le rapport serait trop extrême. Si Rinne devait le dire, on pourrait parler d’un simple lapsus. Sérieuse comme elle l’était, elle se sentait un peu coupable de faire cela, mais Lettie avait clairement indiqué que c’était sous les ordres du gouverneur général.

Les blessures d’Alus Reigin proviennent de son combat contre le Dévoreur, un résultat de l’effet secondaire de son autodestruction… quelques instants plus tard, il a utilisé l’Ikazuchi Noir pour effacer la cible de l’existence, mais cela a provoqué de façon inattendue une explosion anti-magique, créant un trou en forme de cratère de plus d’un kilomètre de diamètre…

Elle se sentait vraiment coupable pendant qu’elle écrivait, mais ses mains ne voulaient pas s’arrêter, et elle avait passé en revue le texte dans sa tête pour le confirmer. Le point central du rapport était l’élimination du Dévoreur. Tout ce qui suivait pouvait être considéré comme redondant. Sans compter que lorsqu’il s’agissait du secret d’Alus, Cicelnia lui aurait probablement donné les mêmes instructions.

☆☆☆

Partie 3

Rinne utilisa ce raisonnement pour se convaincre, ses cheveux mouillés s’agitant tandis qu’elle rentrait le menton. Après avoir jeté un coup d’œil dans la pièce, elle retourna à son clavier et à son écran virtuel comme pour s’échapper de cette atmosphère pesante.

Le temps inconfortable passait terriblement lentement. Bien qu’elle n’ait passé que peu de temps avec l’escouade, elle ne voulait pas être la seule à se retirer dans sa chambre personnelle. C’est pourquoi elle faisait de son mieux pour se distraire avec des occupations.

Elle soupira en elle-même. J’espère que Lady Lettie reviendra bientôt.

Quant à cette Lettie… elle se tenait actuellement devant une certaine pièce après avoir donné son énième rapport à Berwick. C’était la salle d’urgence dans laquelle Alus avait été transporté.

Elle s’était appuyée contre la porte et avait fermé les yeux. La lourde porte était verrouillée et ne montrait aucun signe d’ouverture. Cela faisait plus de trois heures qu’Alus avait disparu à l’intérieur.

Loki était sortie il y a une heure après avoir reçu un traitement d’urgence. Elle avait subi des blessures aggravées, mais peu nombreuses et un épuisement mental, et sa vie n’avait pas été en danger. Mais la rapidité de son rétablissement était due à un magicien guérisseur qui était à l’œuvre dans la salle d’urgence en ce moment même.

La pièce était spécialisée dans la guérison, ses murs et son sol étant faits de pierres précieuses qui bloquaient le mana. Lorsqu’elle était active, on pouvait déployer un cercle magique massif sur son sol qui était très efficace, capable d’absorber même les fragments de mana dans l’air. En un sens, la pièce entière était comme une barrière de guérison.

Le cercle magique était actif maintenant, et était sans aucun doute le sort de guérison le plus puissant connu de l’humanité. Et son créateur était dans la même pièce, en train de soigner Alus.

Lorsque Loki avait été transportée sur une civière, Lettie avait demandé à entrer, mais on lui avait refusé l’entrée. En tant que Single, elle pouvait facilement faire couler du mana inconsciemment, et on craignait que son mana ne perturbe la magie du lieu. Et c’est parce qu’elle avait compris cela, ne voulant rien laisser au hasard, qu’elle attendait à l’extérieur de la pièce depuis plus de deux heures maintenant.

Ce n’est pas seulement qu’elle était inquiète pour Alus. Simplement, elle voulait être seule pour réfléchir.

Lettie essayait de comprendre les informations sur le pouvoir caché d’Alus que lui avait communiquées le gouverneur général. Ce genre de capacité spéciale est certainement l’ennemi naturel des Mamonos… mais je suppose que c’est une arme à double tranchant qui pourrait aussi se retourner contre les humains…

Pour commencer, Berwick lui avait raconté le premier cas de capacité spéciale rampante qu’il connaissait. Lorsque l’écrasante capacité de combat d’Alus avait commencé à bourgeonner, Berwick, qui avait entendu parler de cette capacité spéciale par Alus lui-même, avait immédiatement créé une équipe temporaire.

C’était une escouade des forces spéciales avec Vizaist comme capitaine. Le choix du personnel était probablement une coïncidence, mais faire de Vizaist le supérieur d’Alus avait fonctionné pour le mieux.

Après cela, Alus avait été affecté à des missions visant à mesurer avec précision le potentiel de sa capacité spéciale. Berwick avait également mis en place une équipe de recherche pour étudier les capacités spéciales, mais ils n’avaient pu obtenir aucun résultat.

À l’époque, il était clair que la puissance d’Alus était écrasante contre les Mamonos. L’information avait été désignée comme top secrète, et il avait reçu un entraînement et des missions secrètes pour maîtriser la puissance.

Et juste au moment où l’entraînement d’Alus commençait à porter ses fruits… la capacité s’était déchaînée pour la première fois.

Ce jour-là, une force importante de Mamonos s’était déplacée sur Alpha, et peu après le déploiement d’Alus, l’incident s’était produit.

Tous les Mamonos dans un rayon de plusieurs centaines de mètres avaient disparu en même temps. D’après ce que Berwick avait entendu de Vizaist, il avait eu du mal à dissimuler l’incident.

Avec un sourire en coin, Berwick avait dit à Lettie qu’il avait l’impression d’avoir découvert le début de la contre-attaque de l’humanité. Cependant, les problèmes qui en découlaient n’étaient pas si faciles à résoudre. Ils n’avaient pas été capables de comprendre complètement les spécificités de la capacité, ou comment la contrôler parfaitement, ce qui signifie qu’ils ne pouvaient pas l’annoncer publiquement.

Un pouvoir écrasant pouvait parfois susciter la peur. Et l’utilisation du mot contrôle indiquait un certain degré de risque, qui pouvait donner lieu à des spéculations injustifiées. Il n’était pas clair quant au genre de prix qu’ils devraient payer si quelque chose se produisait.

En pensant aux désastres du passé, Berwick avait choisi de continuer à utiliser Alus. Parfois, il faut devenir un monstre pour en venir à bout. Il avait estimé que ce pouvoir qui dépassait les connaissances humaines devait être utilisé.

Mais peu de gens partageaient son point de vue. Et les hauts gradés de l’époque n’avaient pas pu accepter la suggestion.

Mais… tout mettre sur ses épaules est juste cruel.

Non, peut-être que le gouverneur général était prêt à l’accepter pour la survie de l’humanité. Pour amener Alus à devenir un magicien qui pourrait porter l’avenir de la nation — non, de toute l’humanité.

C’était peut-être pour cela qu’il avait gardé le secret pendant tout ce temps, commençant lentement à négocier avec d’autres nations, surtout les plus importantes comme Rusalca, pour lever les obstacles sur son chemin. Il prenait les mesures nécessaires pour leur faire admettre que ce pouvoir était important et nécessaire pour l’humanité. Tout cela pour s’assurer qu’Alus puisse un jour marcher sur le chemin de la lumière.

Sa reconquête d’un continent à lui tout seul était l’une de ses plus grandes réussites, mais l’annoncer ne ferait qu’éveiller les soupçons des autres nations, qui auraient du mal à l’accepter comme la vérité. Comme la personne en question n’avait que seize ans, cela jetterait le doute sur ses réalisations et n’aurait que l’effet inverse, c’est pourquoi la vérité était restée vague.

Bien sûr, une dissimulation totale ne jouerait pas non plus en leur faveur. Ils laissaient parfois échapper une partie de la vérité, de sorte qu’une fois qu’Alus aurait grandi et que sa position aurait été consolidée, l’histoire complète de ses réalisations serait incontestable… ou du moins Lettie l’espérait.

La retraite d’Allie a donc dû faire mal au gouverneur général… ça lui apprendra, s’amusa Lettie avec malice. Mangeur de Gra, du mana qui ne mange que du mana, hein… C’était une capacité spéciale dont elle n’avait jamais entendu parler auparavant.

Le mana est censé être la force vitale. Et Lettie avait réalisé que ce comportement de vouloir dévorer avidement était tout simplement comme celui d’un Mamono. C’est pourquoi il y aurait des gens qui se méfieraient de cette capacité. C’était probablement la raison pour laquelle Berwick n’avait pas partagé l’information trop largement au sein d’Alpha.

Dans le pire des cas, la capacité se heurterait à une résistance extrême, et peut-être même que certains demanderaient son élimination totale. Et si cela se produisait, il y aurait plus d’un ou deux qui finiraient par se faire prendre. Non seulement cela ne protégerait pas Alus, mais cela mettrait également en danger la position de Berwick. Cela pourrait aussi mener l’humanité un pas plus près de la ruine. Et les imbéciles qui en seraient responsables se rapprocheraient toujours plus d’un enfer vivant, inconscients des conséquences.

Mais on en a pour son argent, comme on dit. Parfois, c’est un mal nécessaire…

Comme Lettie était perdue dans ses pensées, sa réaction à ce qui s’était passé ensuite avait été un peu retardée. Les portes de la salle d’urgence s’étaient finalement ouvertes.

La première chose que fit Lettie fut de se précipiter vers les portes et d’interroger le plus grand magicien soigneur, la Sainte d’Iblis, qui quittait la pièce. « Lady Nexolis, comment va Allie… ? »

La sainte d’Iblis avait des rides profondes et un air malheureux sur le visage. « Alors vous êtes encore là, jeune fille. Je ne sais pas pour qui vous vous prenez, mais ne me sous-estimez pas. J’ai peut-être mal au dos maintenant, mais je suis seulement sortie pour prendre l’air. »

« E-Excusez-moi. Je suis Lettie Kultunca, une des magiciennes à un chiffre d’Alpha. » Mais d’après ce que Lettie pouvait voir, Nexolis n’avait pas autant de sang-froid que ses mots pouvaient le laisser croire. Les gouttes sur son front en disaient long sur son état d’épuisement.

Pourtant, c’est donc elle qu’on appelait autrefois une sainte… Elle avait jeté un nouveau coup d’œil furtif à la femme.

La femme qui tapotait son dos courbé était âgée d’environ 70 ans. Déroulant les manches de son manteau, elle laissa échapper un lourd soupir. Si ce n’était de ses vêtements, elle ressemblerait à une vieille femme ordinaire. On pourrait s’attendre à un certain degré de beauté de la part d’une sainte. Malheureusement, Lettie ne savait pas de quoi elle avait l’air dans sa jeunesse, mais il n’y avait aucun doute sur ses capacités en tant que magicien.

« Hmph ! Alors vous êtes la fille d’Alpha… qui en force encore une autre à aller trop loin. Je n’arriverais jamais à aimer votre nation. Quand même, si ce gamin est le numéro 1 actuel, où va ce monde… »

« C-C’est… »

« Eh bien, même si vous le dites, on ne peut rien y faire. Cependant, ce n’est pas comme si je ne pouvais pas comprendre. N’importe quelle nation voudrait utiliser quelqu’un avec autant de mana. Mais pourquoi ce genre de monstre est-il ici pour commencer ? Est-il venu d’un autre monde ? »

« Je ne sais pas, mais il n’y a aucun doute qu’Allie est le plus grand magicien de l’histoire ! » Lettie se vanta fièrement, mais Nexolis se contenta de ricaner et de se détourner.

… Quand son corps avait soudainement trébuché. « Whoa… alors où vas-tu ? » demanda Lettie, en se précipitant pour la soutenir.

« Quoi ? Je pensais juste jeter un coup d’œil à la bouille de quelqu’un que j’ai sauvé dans le passé, tout en prenant l’air. »

Lettie ne savait pas qui c’était, mais elle était toujours inquiète de l’état d’Alus. Et Nexolis pouvait voir clair dans son jeu. « Ne t’inquiète pas, jeune fille. Ce gamin est stable pour l’instant. Il n’a plus une seule égratignure. En tout cas, on ne peut pas encore le déplacer, donc pour l’instant on attend que la guérison se fasse. Je ne connais pas les détails, mais il absorbe plus de mana que son corps ne peut en supporter. On pourrait dire qu’il y a une bombe attachée à son cœur, donc il vaut mieux ne pas l’altérer. Ou plutôt… il n’y a rien que nous puissions faire. »

« Alors, Allie va-t-il se réveiller ? »

« Qui sait ? Nous devrons au moins attendre que le mana se conforme à lui et se stabilise. J’ai fait ce que j’ai pu, le reste dépend du gamin. »

Lettie jeta un coup d’œil à la porte par laquelle Nexolis était sortie, puis la regarda à son tour. Nexolis avait toujours été une pionnière dans le domaine de la magie curative. On pourrait même la qualifier de légende vivante. Elle avait développé une magie de guérison qui, à l’origine, ne fonctionnait que sur les blessures superficielles et l’avait portée à ce niveau, où la guérison naturelle du corps était accélérée par la magie. Personne d’autre ne s’était approché de ses réalisations.

Elle était une magicienne guérisseuse travaillant pour Iblis, mais sa renommée s’était étendue depuis longtemps. Elle avait sauvé d’innombrables magiciens blessés dans la bataille contre les Mamonos, ainsi que des civils que même les médecins avaient abandonnés. Aujourd’hui, elle avait pris sa retraite de l’armée et possédait sa propre petite clinique, mais ses recherches se poursuivent encore aujourd’hui. Avec tout cela en tête, elle était tous les coups digne d’être appelée une sainte.

« Merci beaucoup, » Lettie l’avait profondément remerciée.

« Si tu veux me remercier, pourquoi ne pas me porter ? Tout ce qui est debout est mauvais pour mon vieux corps. »

Lettie s’était précipitée à genoux sur le sol, tournant le dos à la vieille femme. « Bien sûr, alors où aller… ? »

« Vers un petit garçon pleurnichard, bien sûr, » dit la Sainte d’Iblis en souriant.

☆☆☆

Chapitre 42 : La densité du silence

Deux semaines s’étaient écoulées depuis l’élimination du Dévoreur.

Pour l’instant, les six autres nations prenaient en charge la défense de Balmes. Pendant ce temps, il y avait des réunions régulières entre les dirigeants des différentes nations et les gouverneurs généraux concernant la gestion des affaires.

Le sujet le plus important était la défense de Balmes, qui avait perdu la plupart de ses magiciens. Pour pallier à ce problème, il avait été proposé d’envoyer des magiciens des autres nations, ce qui avait été immédiatement soumis à un vote qui avait fait l’unanimité.

Les magiciens ne comprendraient pas de Singles, mais seraient composés d’un certain nombre de doubles pour maintenir un certain niveau. Ils défendront Balmes pour l’instant.

Après une discussion avec les différents souverains, il avait été décidé que le souverain de Balmes, Holtal Qui Balmes, serait contraint d’abdiquer de sa position, ses proches perdant tout droit d’héritage.

Gagareed avait été traduit en cour martiale pour ses crimes, mais grâce à l’intervention d’Alpha en coulisses, il évita la peine de mort. Il ne retournera jamais dans l’armée et passera le reste de sa vie dans une région éloignée, une punition relativement clémente.

Un candidat approprié pour le remplacement du souverain avait été sélectionné parmi la royauté de l’ancien royaume de Rohm. Et la prochaine gouverneur générale serait la femme générale qui avait participé au Tournoi Amical de Magie des Sept Nations avec Holtal. Nilhinn Corder avait une cinquantaine d’années et trente ans de service militaire à son actif. Elle était populaire au sein de l’armée et était saluée comme une modérée. En tant que noble pure, il n’y avait aucune objection quant à son nouveau rôle.

Normalement, c’était le souverain qui nommait le gouverneur général, mais comme il faudrait du temps pour nommer un souverain, une exception spéciale avait été faite.

Et avec ça… les conséquences avaient été gérées. Les hauts fonctionnaires et les Singles des différentes nations rentrèrent chez eux.

Balmes avait été frappé par un incident grave, mais c’était une raison de plus pour renforcer les défenses dans leurs propres nations.

En conséquence, le seul Single à rester à Balmes… était Alus. La raison est qu’il ne s’était toujours pas réveillé, et en raison de son état, il n’était pas facile de le déplacer. Les magiciens guérisseurs qui avaient aidé Nexolis étaient également retournés à leurs propres nations, laissant la salle d’urgence sinistrement silencieuse.

Alus était allongé sur le lit, continuant tranquillement à dormir. La pièce était d’un blanc pur, et, à l’exception du cercle magique, ressemblait à une chambre d’hôpital ordinaire. Bien qu’elle puisse sembler telle, grâce à l’absence d’odeurs chimiques.

Cela dit, il n’y avait pas de sentiment de mélancolie à cause des personnes qui venaient le voir à intervalles réguliers, ainsi que de la formule magique qui brillait faiblement.

Une brise sèche soufflait par la fenêtre, faisant battre les rideaux. Et un parfum rafraîchissant émanait des fruits apportés par quelqu’un qui passait chaque jour.

Un silence complet envahissait la pièce, et le temps passait paisiblement.

Soudain, les cheveux d’Alus avaient été frôlés par un vent enjoué. Un visiteur était arrivé.

La porte s’était ouverte en douceur, et elle avait pris soin de ne pas faire de bruit avec ses pas. Elle n’avait pas frappé parce qu’elle savait que personne d’autre n’était à l’intérieur. Il semblerait qu’elle ait pris soin de ne pas faire de bruit par souci pour Alus, mais malheureusement elle ne pouvait pas cacher les sons que faisaient ses béquilles.

La fille, Loki, était venue à la même heure tous les matins depuis qu’elle s’était réveillée. Cela dit, elle ne pouvait rien faire d’autre que de s’asseoir aux côtés d’Alus. Mais elle avait loyalement continué à le faire comme si c’était son devoir en tant que partenaire. Elle s’était même portée volontaire pour effectuer les tâches simples comme prendre sa température et son pouls.

Avec des pas silencieux, mais instables, elle se dirigea vers le lit d’Alus, tandis que ses cheveux argentés flottaient. Puis, comme toujours, elle s’était assise sur un tabouret à côté du lit, et s’était penchée pour regarder son visage.

Ses blessures devraient être guéries au point qu’elle puisse marcher sans aide, mais Loki était réticente à l’idée d’arrêter d’utiliser les béquilles. C’est comme si elle avait peur que cela signifie qu’elle doive retourner chez Alpha et laisser Alus derrière elle.

Quand elle s’était réveillée, elle s’était plus inquiétée pour Alus que pour elle-même. Elle s’était un peu calmée maintenant, mais elle était toujours inquiète. Par-dessus tout, elle voulait que quelqu’un soit là quand Alus se réveillerait. Et si possible, elle voulait être cette personne.

C’est pourquoi Loki restait aux côtés d’Alus chaque jour.

« Sire Alus, si tu ne te dépêches pas de te réveiller… tu n’auras pas assez de jours de présence. » Aujourd’hui encore, elle l’avait interpellé sur des sujets futiles. Et comme toujours, il n’y avait pas eu de réponse.

Loki secoua la tête en signe de dénégation, alors que la crainte qu’il ne se réveille jamais lui revenait. Elle avait perdu le compte du nombre de fois où cette pensée était apparue dans sa tête. Dans la pièce silencieuse, la seule chose qui parvenait à la calmer était la respiration d’Alus.

On lui avait dit qu’il se réveillerait un jour… mais au fil des jours, elle était de plus en plus inquiète. Quand ce jour arriverait-il ? Et se réveillerait-il vraiment ? Peut-être que le succès du traitement était un mensonge ?

« Sire Alus… à ce rythme, je vais vraiment… » Elle était sur le point de ne plus pouvoir pardonner à personne. Les militaires et leur dépendance à son égard, la dirigeante qui lui avait imposé ce danger, Lettie et Rinne qui n’étaient pas arrivées à temps. Et surtout, à elle-même, de n’avoir rien pu faire.

Tout ce qu’elle avait pu faire, c’est de le laisser sortir avec un gros soupir. Mais ça n’allait pas réveiller Alus.

Elle rêvait de pouvoir lui parler de rien en particulier, une fois de plus. Sa naïveté et le fait qu’on puisse en profiter n’avaient plus d’importance pour elle.

Alus était comme une personne différente depuis qu’il s’était inscrit à l’Institut. Cela lui avait paru incroyablement étrange, mais maintenant, ce n’était qu’un petit problème. Elle avait réalisé que ce qu’elle ressentait n’avait pas d’importance, mais que l’important était de savoir comment cela aiderait Alus. Si c’était une bonne chose pour Alus, alors elle ne dirait rien.

À présent, elle voulait voir comment Alus allait changer et comment son avenir allait se dérouler. Elle voulait croire que le temps qu’ils passaient ensemble se poursuivrait demain, et dans le futur…

« S’il te plaît, réveille-toi, Sire Alus. »

Alus était plongé dans un profond sommeil, comme s’il se remettait de toutes les blessures profondes que son âme avait subies… et Loki lui adressa un sourire. En tant que partenaire, elle faisait ce qu’elle pouvait pour forcer un sourire et ne pas montrer les émotions qui montaient en elle.

Peut-être était-ce parce que Frose l’avait poussée à la fête. Ou peut-être était-ce parce qu’elle avait finalement obéi à son cœur et agi. Alors qu’elle était frustrée par sa propre inutilité, si ce n’était pas pour cette décision, elle aurait ressenti encore plus de regret.

Avec toutes ses émotions, le contrôle de soi de Loki s’était effondré, et les pensées égoïstes qu’elle avait enfouies dans sa petite poitrine avaient commencé à s’échapper. Le tabouret vacilla alors qu’elle se penchait, posant ses bras sur le bord du lit. Elle posa sa tête sur ses bras, frottant son visage contre eux.

Alors que le vent soufflait, Loki avait mis ses sentiments en mots. Personne n’écoutait, mais elle continua, ses yeux ne se posant pas sur le visage d’Alus, mais sur ses pieds. « S’il te plaît, ne me laisse pas seule à nouveau… ne m’enlève pas le sens de ma vie… s’il te plaît, ne me repousse pas. »

Elle crachait toutes ses pensées de deuil, mais pour elle, ce n’était que de l’égoïsme. C’était des choses destinées à être gardées à l’intérieur, et à disparaître avec le temps. Mais elle n’aurait jamais imaginé que ses sentiments lui serreraient le cœur de cette façon. C’est pourquoi… si elle pouvait tout laisser sortir une fois, elle serait capable de redevenir elle-même demain. Peu importe ce qu’elle pourrait dire, personne ne pourrait lui en vouloir s’il n’y avait personne autour d’elle pour entendre ses mots. Ils disparaîtraient simplement avec le vent.

Une fois la décision prise, on ne pouvait plus l’arrêter. Et sa bouche avait continué à bouger. Ses lèvres avaient tremblé, mais un par un, elle avait mis en mots les sentiments qu’elle avait gardés enfermés en elle. En même temps, elle avait mis en ordre tout ce qui s’était passé entre elle et Alus. Si elle ne le faisait pas, elle ne serait pas capable de le traiter correctement.

Le travail était semblable à celui d’une petite fille tissant sa propre histoire dans ses fantasmes. C’était l’histoire de la raison pour laquelle Alus était encore profondément endormi. Elle avait inventé un méchant approprié comme bouc émissaire et l’avait blâmé pour tout. Cependant… elle était consciente qu’elle faisait partie de ce méchant. Cette impuissance et ce désarroi étaient les propres péchés impardonnables de Loki.

Finalement, les lèvres de Loki, qui avaient raconté cette histoire, s’étaient refermées. Au milieu de l’histoire, elle se souvint d’une certaine scène, faisant changer son expression en une expression de joie. « Alors tu t’es souvenu…, » murmura-t-elle.

Alus s’était rappelé le jour de leur première rencontre, le jour où elle avait connu l’enfer. « Je pensais que tu avais oublié. Non, tu n’avais pas besoin de t’en souvenir en premier lieu. Pour toi, c’était un événement insignifiant, une des innombrables missions que tu as accomplies… C’est pourquoi… » Les cheveux de Loki tombèrent dans ses yeux, les couvrant ainsi que les sentiments qu’elle y montrait. Sa gorge et ses lèvres tremblaient.

Elle s’était raclé la gorge… puis avait continué, « C’est pourquoi tu n’as jamais eu à me montrer la moindre considération. Sur un simple ordre, je serais volontiers ton bouclier, je te ferais gagner du temps ou tout ce que tu voudras. C’est tout ce que tu devais penser de moi… alors pourquoi n’as-tu pas fait ça… !? »

Elle laissa échapper ses mots égoïstes, et afficha un sourire sec. Son rire d’autodérision montrait clairement qu’elle comprenait la raison mieux que quiconque.

Tout comme à l’époque… il ne le pardonnerait pas. Elle l’avait compris dès le début. Ayant perdu ses parents et tout espoir, il ne lui restait que sa vie insignifiante, qu’elle voulait passer pour lui… c’était la seule raison pour laquelle elle avait travaillé si dur.

C’était aussi le cas à l’époque. Lors de leur première rencontre, Loki avait pu voir exactement quel genre d’individu était Alus. C’était pour cela qu’elle n’avait pas hésité à sacrifier sa vie, et qu’elle avait été capable d’aller de l’avant. C’était parce qu’Alus était Alus. Si sa vie pouvait lui être utile, elle pouvait mourir avec le sourire.

« J’ai fait de mon mieux. Désespérément, tellement désespérément… Je n’avais pas besoin de quelqu’un pour le reconnaître. L’idée de ne pas être à tes côtés était simplement trop douloureuse. »

C’était le seul moyen pour elle de se valoriser. Et même Loki ne pouvait pas empêcher les mots de sortir de sa bouche. Elle s’était agrippée au drap du lit avec frustration. Ses émotions étaient hors de contrôle et ses yeux menaçaient d’être mouillés. Tout ce qui était refoulé en elle essayait d’éclater. Sa voix tremblait.

« … Je ne laisserai pas cela se produire. »

La voix était arrivée comme une brise fraîche, elle semblait plus douce qu’autre chose, mais elle rejetait froidement son désir le plus profond. Rien que la voix lui donnait envie de crier. Ces mots injustes, cette voix, la remplissaient d’un bonheur presque infini.

Elle voulait voir son visage dès que possible, mais en même temps, elle ne pouvait pas se résoudre à lever les yeux. Tout ce qu’elle avait désespérément retenu mouillait ses yeux baissés, et faisait trembler ses petites épaules.

Cependant, Alus avait facilement annulé le contrôle de Loki, et sa main avait commencé à caresser ses cheveux argentés et soyeux, comme d’habitude. À chaque caresse, le rempart autour de son cœur s’effritait davantage. Et tout ce que Loki pouvait faire était de sangloter.

Elle sanglotait de façon incontrôlable, incapable de montrer à Alus le désordre qui était son visage. Toutes sortes de sentiments tourbillonnaient en elle. Finalement, des larmes chaudes commencèrent à couler alors que le barrage éclatait. « … Sir Alus, est-ce que je ne suis toujours d’aucune utilité ? »

« Ce n’est pas vrai. Tu es d’une grande aide. »

« … Sire Alus, j’ai appris à utiliser la Force. »

« Oui, j’ai vu. »

Alors que Loki exprimait tout ce qu’elle avait retenu, Alus lui avait simplement tapoté la tête. Mais ses prochains mots l’avaient fait s’arrêter un moment.

« … Sire Alus, je peux même utiliser Naruikazuchi correctement maintenant. »

« Je vois. Tu as bien fait. » Avec un sourire amer, il parvint à garder un visage calme, lui disant ce qu’elle voulait entendre. Cela sortait bien sûr de l’ordinaire, mais ce n’était pas exactement dans le domaine de l’inaccessible… bien qu’il ne puisse pas le dire dans cette atmosphère.

« Je travaillerai encore plus dur, alors s’il te plaît, laisse-moi rester à tes côtés. »

Chaque mot larmoyant avait du poids, et touchait directement Alus. « Eh bien, il semble que j’aie encore moi-même beaucoup à apprendre… cet incident me l’a fait comprendre. Tu m’as vraiment sauvé cette fois. Merci… Continue comme ça à l’avenir, » dit Alus, et ferma les yeux.

C’était le résultat d’avoir combattu seul. Après avoir combattu sur le champ de bataille sans repos, il avait perdu quelque chose. Ce n’était qu’un vague sentiment, mais il avait l’impression que c’était une pièce vitale irremplaçable. Et il n’était pas certain de pouvoir le récupérer un jour.

Alus leva lentement le haut de son corps, incitant Loki à redresser sa posture. Elle se frotta les yeux, essuyant violemment les larmes. Ses yeux étaient rouges, mais contenaient une détermination inébranlable, les rendant encore plus beaux que d’habitude.

« Sire Alus ! Peux-tu me promettre quelque chose ? » Loki regarda Alus avec plus de détermination que lorsqu’elle lui avait demandé de devenir son partenaire.

« Si c’est quelque chose que je peux faire. » Alus avait acquiescé sans hésiter. Il arborait une expression sincère. À ce stade, il n’allait pas rechigner devant une quelconque promesse. « Tu m’as vraiment sauvé cette fois-ci, alors je suppose qu’on peut dire qu’on est quitte maintenant. »

« Ce n’est pas… cela ne pourrait jamais se comparer !! » Loki avait immédiatement démenti, comme pour dire que rien entre eux ne pourraient jamais être comparés. Depuis ce jour, elle avait tout dévoué à Alus. Cela représentait plus que le monde pour elle. Son visage était rougi et son corps était raide.

« Alors, quelle est la promesse ? » Alus la regarda avec un sourire en coin. Il s’inquiétait un peu de ce qu’elle pensait, mais il n’avait pas l’intention de revenir sur sa parole maintenant.

Loki laissa échapper une forte respiration. Les rideaux s’agitaient alors que le vent soufflait dans la pièce. Alors que ses cheveux argentés étaient agités par la brise, elle lui offrit un léger sourire. « S’il te plaît, ne meurs pas avant moi. »

 

 

Si le monde était normal, ce serait des mots qu’un couple de personnes âgées pourrait échanger vers la fin de leur vie. Cependant, les magiciens qui se battaient en première ligne perdaient facilement la vie dans ce monde incertain. Ses mots étaient lourds, chargés de son désir. Rien ne pouvait la rendre plus heureuse que cela. C’est pourquoi ils étaient si lourds.

Et Alus avait parfaitement compris le sens de ces mots. Cependant : « D’accord, je te le promets. » Si c’est ce qu’elle voulait… il ferait ce qu’il pourrait pour l’exaucer. Après tout…

« Bien sûr… tu m’as sauvée, donc tu as le devoir de vivre plus longtemps que moi quoi qu’il arrive, Sire Alus, » dit Loki avec un sourire extrêmement beau. « En plus… il y a une chose que j’ai comprise après ça. »

Les joues rouges, elle poursuit après une courte pause : « Et c’est que je ne supporte pas de vivre dans un monde sans toi. »

☆☆☆

Histoires courtes en prime

Les excentricités d’un parrain orphelin

« Est-ce que tout le monde est en position ? »

Une voix digne avait atteint tout le monde à travers les communications dans leurs oreilles. C’était suffisant pour qu’ils redressent leurs postures. La mission qu’ils effectuaient n’était pas officielle, mais venait du gouverneur général lui-même.

Au Tournoi Amical de Magie des Sept Nations, les subordonnés directs du Gouverneur Général, en d’autres termes, les élites des élites, transportaient des équipements d’enregistrement dans divers endroits du site.

Les préparatifs pour que la direction du tournoi crée ses propres enregistrements avaient déjà été faits. Avec les ordres directs du gouverneur général, ils ne pouvaient pas se permettre de faire des économies, même s’il ne s’agissait que d’un match entre étudiants…

« Cible confirmée, le premier match d’Alice Tilake commence. Tous les angles sont dégagés… tous les objectifs sont dégagés. L’enregistrement est prêt à votre commandement, Gouverneur-Général Berwick. »

« Bien. Ne faites pas d’erreur. Je ne le pardonnerai pas s’il y a des séquences manquées. »

« Roger ! »

Berwick attendait avec impatience le début du match depuis sa salle VIP. Il sentait son cœur battre la chamade, comme un père assistant aux grands débuts de sa fille.

Même à son âge avancé, Berwick était encore célibataire. Mais la façon dont il veillait sur Alice comme si elle était sa propre fille donnait lieu à une expression que l’on voyait rarement sur le visage du gouverneur général.

En même temps, il était très émotif, comme s’il y avait un feu allumé dans ses yeux. Elle avait surmonté son passé et avait tellement grandi qu’il était difficile de croire qu’elle avait autrefois vécu dans un établissement, l’esprit brisé.

Ses amis et les liens avec les gens qui l’entourent avaient dû remplir son cœur autrefois vide. En y pensant de cette façon, Berwick se sentait quelque peu racheté, même s’il n’avait pu que secrètement lui apporter une aide financière. « Son sourire est devenu encore plus beau. »

« Wôw, c’est dégoûtant », avait immédiatement rétorqué Lettie.

Cicelnia avait souri ironiquement. « Je connais les détails, mais votre façon de soutenir est juste anormale… cela me fait presque regretter de vous avoir nommé gouverneur général. »

La tempe et les joues de Berwick avaient tressailli à cela. La façon dont il s’était accroché au rebord de la fenêtre de la salle n’était peut-être pas très mature, mais quand même… « Maintenant, Lady Cicelnia et Lettie, vous êtes encore trop jeunes. Le jour viendra où vous aussi comprendrez cette sensation. Je sens que c’est ça… avoir travaillé si dur jusqu’à ce jour pour qu’elle puisse retrouver son sourire. Et je suis sûr que je pourrai continuer à faire ce que je peux dans le futur. »

Pendant qu’il disait cela, un léger décalage des lumières rendait les ombres sur le visage de Berwick encore plus prononcées.

« Pendant un instant, vous n’avez ressemblé qu’à un vieil homme. »

« Je l’ai vu aussi, Lady Cicelnia. Quelqu’un de si vieux qu’il pourrait bien partir à la retraite. »

« De quoi parlez-vous ? Je suis encore en pleine forme, surtout après avoir été revitalisé en la regardant ! »

« Bien, c’est bien… »

Cicelnia et Lettie jetèrent un regard en coin à Berwick, qui serra le poing et retint ses larmes.

« Ne pensez-vous pas que vous êtes en train de délirer ? D’ici peu, les gens vous traiteront de vieux grand-père fou ! »

« Argh… Je crois que je sais comment me comporter correctement. D’ailleurs, Alus ne dirait pas ça ! »

« Je comprends que vous soyez célibataire et sans enfant… mais aller aussi loin n’est pas normal. »

« Bien. Au fait, Allie entraîne cette… Alice, c’est bien ça ? Et on dirait que vous vous préparez à cette séance depuis qu’elle s’est inscrite à l’Institut. Ça frise la folie ! »

Berwick secoua simplement la tête, comme pour dire qu’ils avaient encore un long chemin à parcourir.

D’ailleurs, même après la retraite de Berwick, il lui resterait de l’argent pour aider financièrement Alice. N’ayant pas grand-chose pour le dépenser, il avait amassé une fortune décente. Et sa façon de s’occuper d’elle n’était pas très différente de celle de grands-parents qui s’occupait de son petit-fils.

Lorsqu’elle aura un petit ami, il n’était pas difficile d’imaginer Berwick lancer une enquête approfondie sur lui, et protester farouchement contre toute fréquentation, allant même jusqu’à comploter pour saboter la relation.

Même s’il ne le faisait pas, on pouvait craindre qu’il mette son nez là où il ne fallait pas. Sans oublier qu’il était le chef militaire d’une nation entière.

Cicelnia réprima un frisson et décida d’insister. « Essayez d’éviter tout scandale, d’accord ? Cela aurait des répercussions sur moi aussi. »

« Voilà qui est impoli… Dame Cicelnia, il semble que vous vous mépreniez sur mes intentions… »

« Quand même, n’est-ce pas un peu compliqué ? Qu’allez-vous faire à ce sujet ? »

« À propos de quoi ? »

« Cette fille Alice va devenir une magicienne, non ? Ce qui veut dire qu’elle va finir par rejoindre l’armée. »

« C’est en effet un sentiment compliqué. Mais c’est le chemin qu’elle a décidé d’elle-même. Je vais simplement veiller sur elle, et lui donner un léger coup de pouce si besoin est. » Malgré l’âge de Berwick, son dos était droit, et il avait l’air du soldat modèle, avec presque un regard philosophique.

Cependant —.

« Vos jambes tremblent, Gouverneur Général. »

« Je savais que vous vieillissiez. Il y a une certaine mélancolie qui plane dans l’air… »

Berwick reste stupéfait alors que les deux jeunes femmes s’en prennent à lui à tour de rôle.

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Boissons sous le ciel nocturne

C’est peut-être le moment idéal pour se le remémorer…

Ses cheveux roux avaient trempé dans l’eau, et elle attendait qu’ils sèchent naturellement. Des gouttes d’eau avaient éclaboussé ses cheveux alors qu’elle passait négligemment ses doigts dans ses cheveux.

Après s’être retirée dans la chambre qui lui avait été attribuée au quartier général militaire de Balmes, Lettie prenait une pause bien méritée au retour de sa mission. La grande pièce n’était pas très différente d’une chambre d’hôtel de première classe.

Après s’être essuyée, Lettie posa une serviette sur ses épaules et fit le tour de la pièce pieds nus. De manière inhabituelle pour elle, elle n’avait pas complètement séché ses cheveux et portait une fine chemise de nuit.

La chemise était mouillée et collait à elle, et on pouvait voir sa peau blanche à travers. Cependant, il n’y avait qu’une seule autre personne dans la pièce, donc il n’y avait aucune crainte que quelqu’un des autres nations la voie.

Sa tresse habituelle était défaite et ses cheveux pendaient dans son dos. Elle n’était pas particulièrement de mauvaise humeur, mais pour les étrangers, son expression raide donnait l’impression qu’elle n’avait pas assez dormi.

Elle s’agita vers le balcon. Elle s’y était avancée et s’était appuyée sur la balustrade blanche délicieusement faite. Le vent doux avait fait bruisser ses cheveux.

Il y avait des choses dont elle n’était pas satisfaite, et une certaine colère qu’elle ne pouvait pas passer sur quelqu’un, ce qui provoquait des rides profondes sur son front.

C’est alors qu’une voix qui semblait l’avoir remarqué l’interpella derrière elle : « On dirait que vous avez beaucoup de choses à dire, Lady Lettie. »

« Je suppose que je vous ai inquiétée, Mlle Rinne. »

« Pas du tout, » dit Rinne en secouant la tête. Ses cheveux étaient emmitouflés et elle s’était changée en vêtements plutôt ordinaires. Elle semblait avoir été très sensible à l’état de Lettie, car elle avait même apporté des rafraîchissements.

Il y avait deux verres avec des boissons fruitées. La boisson parfaite à déguster sous un ciel nocturne. Après avoir pris l’un des verres, Lettie l’avait mis contre ses lèvres et l’avait versé dans sa gorge comme pour éteindre ses joues rouges brûlantes. « Hm ? Est-ce que c’est... »

« Oh, n’êtes-vous pas douée pour l’alcool ? Il n’y en a qu’un peu mélangé, donc ce n’est pas aussi fort que du vin de fruit. »

« Ça ne me dérange pas. Je pensais juste à la façon dont je vous causais des problèmes, » dit Lettie avec un petit sourire sur son visage.

Rinne avait en effet montré une certaine considération pour elle, mais ce n’était pas quelque chose qui la dérangeait trop. Elle était plus inquiète d’être si ouverte avec un Single. Mais elles étaient toutes les deux des femmes ici. Il était normal qu’elle soit tentée de discuter sous le ciel nocturne, un verre à la main. « … C’est à propos de Sire Alus ? »

« Plus ou moins. Je crois que vous êtes vraiment dans le mille. De toute façon, je ne vais pas commencer à parler même si vous me faites boire. »

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. C’est juste que… ça ne semble pas réel. Comme si je ne pouvais toujours pas y croire. »

« Même chose ici. Tous les autres membres de l’équipe ressentent probablement la même chose. Mais ce genre de chose arrive tout le temps. Magiciens ou pas, nous sommes juste des pions sur le tableau. Mais Allie est différent. Il y a des remplaçants pour le souverain, et le gouverneur général… et moi. Mais pas pour Allie. »

Rinne lui avait demandé timidement : « Parce qu’il est le numéro 1… ? »

« Parce qu’il est dans une ligue à part. Je le savais plus ou moins avant, mais je l’ai ressenti d’autant plus fortement cette fois-ci. Disons qu’un Mamono, bien plus fort que tout ce que nous avons combattu dans le passé, apparaît. »

« Ce serait un désastre, » Rinne acquiesça.

« Les nations seraient détruites, les magiciens seraient tous tués, ainsi que les citoyens qu’ils protégeaient. Ainsi que les souverains et les gouverneurs généraux. »

Lettie avait parlé d’un ton sérieux, et Rinne avait imaginé la situation. La prise de conscience se fit progressivement et un frisson lui parcourut l’échine tandis qu’elle déglutissait, oubliant qu’elle avait un verre à la main.

« Peu importe leur force, tout le monde meurt. Les Doubles comme les Singles. Je suis sûre que moi aussi. Mais Allie seul survivra. Même si l’humanité s’éteignait, il serait capable de survivre tout seul. » Lettie avait dit cela avec désinvolture, comme si elle énonçait simplement des faits évidents.

« … » Sentant que l’atmosphère devenait un peu trop lourde, Rinne tenta de changer de sujet. Lettie voulait parler de la valeur d’Alus, et c’était aussi la source de sa frustration. Mais pour l’instant, tout ce que Rinne recherchait, c’était une discussion informelle entre deux adultes. Elle n’avait pas l’intention de creuser trop profondément.

Elle essaya donc d’apprécier le cadre, et prit une gorgée de sa boisson. « Au fait, Lady Lettie, aimeriez-vous partager une vieille histoire sur Sire Alus ? »

« Alors un petit encas pour accompagner les boissons… ou peut-être quelque chose de plus que ça ? »

« Non, je ne voulais pas dire ça… Pourquoi tout le monde essaie de me piéger ! » Les joues de Rinne se crispèrent. Elle avait posé une question anodine, mais elle avait fini par la retourner contre elle. Elle n’était pas très heureuse de cela, mais elle écoutait quand même ce que Lettie avait à dire.

« C’est bien. En tant qu’aide de Cicelnia, il est préférable que vous en sachiez plus sur Allie, » dit Lettie. « Allie était si mignon quand il était petit. Oh, et quand je dis petit, je veux dire qu’il a toujours été le même, juste plus petit. Et ses yeux étaient plus morts qu’ils ne le sont maintenant. Mais c’est ce qui a attiré les femmes célibataires. »

Ce n’était pas le genre de propos que Rinne s’attendait à voir sortir de la bouche de Lettie, mais cela correspondait davantage à ce qu’elle avait espéré, alors tant mieux. Leur discussion était devenue plus animée au fur et à mesure qu’elles s’y étaient mises.

Après un certain temps, leur discussion passionnée et inattendue commençait enfin à s’apaiser. « Quand même… vous êtes vraiment excitée quand vous parlez de Sir Alus… est-ce par amour ? »

Avec un sourire enfantin sur le visage, Lettie tenait son verre vide à l’envers pour en faire sortir le reste de la boisson. « Je pense à ça de temps en temps. Il y a même une photo de nous deux dans mon étui de permis qui a été pris pour célébrer le fait que je sois devenue une Single. »

Rinne retint son envie de demander à le voir, et posa une simple question à la place. Cela pourrait se transformer en une autre longue discussion, mais elle ne voulait pas jeter un froid sur le sujet actuel. Le statut ou le rang n’avaient pas leur place ici. C’était juste une simple discussion de filles. « Lady Lettie… quel est l’élément déclencheur qui vous a fait réaliser ce que vous ressentez pour Sire Alus ? »

Le sourire de Lettie s’était agrandi alors qu’elle semblait se souvenir de quelque chose, mais elle posa un doigt sur ses lèvres. « C’est un secret. Si nous avons une autre occasion comme celle-ci, peut-être que je le partagerai autour d’un verre sous le ciel nocturne… »

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Illustrations

Fin du tome.

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