Rougo ni Sonaete Isekai de 8-manmai no Kinka wo Tamemasu – Tome 2

Table des matières

***

Chapitre 10 : Naissance de l’archiprêtre de la foudre !

Partie 1

Quelques jours s’étaient écoulés depuis l’expérience de Mitsuha dans l’autre monde, et les affaires étaient en plein essor. Un flux constant de clients était venu acheter une variété de produits, tels que du shampoing, du shampoing et encore du shampoing. Avec un tel achalandage, Mitsuha s’était dit que son magasin deviendrait le sujet de conversation de la ville.

Beau travail, les filles ! se dit-elle, attribuant la hausse de popularité aux bonnes des Ryner. Vous aussi, Comte Bozes. Mitsuha avait le sentiment qu’il était la raison pour laquelle elle n’avait pas eu de visiteurs nobles étranges ou peu recommandables.

Ding-a-ling !

La cloche sonna, une jeune fille entra alors. Mitsuha ne doutait pas qu’elle voulait elle aussi un shampoing.

« Euh, est-ce le magasin général de Mitsuha ? », demanda-t-elle.

Mince, je viens de réaliser que je n’ai posé de plaque! C’est pour ça que je n’ai presque pas eu de clients jusqu’à présent ? Merde, Kunz, tu es censé me montrer des trucs comme ça ! Je vais t’en faire fabriquer une et la mettre en place pour moi plus tard !

« Oui, vous êtes au bon endroit. S’il vous plaît, prenez votre temps », dit Mitsuha en la saluant.

Son client semblait avoir une dizaine d’années. Elle avait des boucles blondes et plumeuses et une aura raffinée, malgré son adorable visage. Immédiatement, Mitsuha avait su que la fille était une noble. Il était même possible de croire que c’était une princesse tout droit sortie d’un conte de fées.

Mitsuha se rendit également compte que la plupart des filles de ce monde étaient belles. Elle imaginait que c’était parce que les hommes nobles épousaient des femmes séduisantes, et que ces femmes donnaient finalement naissance à des enfants de leur genre. Ce n’était certainement pas lié à une sorte de conspiration maçonnique ou reptilienne. Du moins, c’est ce qu’elle voulait croire.

« Je vais alors jeter un coup d’œil. »

La fille sourit et s’aventura plus loin dans le magasin.

Alors que Mitsuha observait sa cliente, son esprit s’était tourné vers la couturière dégénérée. Si elle voyait cette fille, sa tension artérielle grimperait en flèche jusqu’à ce qu’elle ait du sang qui lui sorte du nez. Mais pas assez pour s’évanouir, car elle aurait encore besoin de prendre une photo mentale. Cette dame opére à un tout autre niveau, et ce n’est pas vraiment inspirant.

Après le bal des débutantes d’Adélaïde, la couturière avait donné à Mitsuha un Blu-ray édité et un ensemble de photos de l’événement. Leur qualité était exquise. Mitsuha avait l’intention de les vendre au vicomte Ryner, mais elle n’avait pas encore décidé du prix. Elle avait brièvement envisagé de faire payer une pièce d’or par photo, mais un tel tarif aurait fait d’elle un escroc exploitant ses affections paternelles. Pour dire les choses simplement, ce n’était pas son style.

La cliente actuelle de Mitsuha semblait se réjouir de son tour de boutique. Le panier qu’elle portait était rempli d’articles, et leur valeur totale était déjà impressionnante. Alors que Mitsuha se demandait si elle pouvait se le permettre, la jeune fille s’était approchée d’elle.

« J’aimerais acheter ceci et du shampoing, s’il vous plaît ! »

« Certainement. »

Mitsuha plaça ses articles dans un sac décoré d’une mascotte animale mignonne — une chose rare dans ces régions.

« Au fait, vous pouvez garder le sac », ajouta-t-elle.

Le visage de la jeune fille s’était aussitôt illuminé. Alors que sa cliente sortait quelques pièces d’or, Mitsuha se demandait si elle pouvait se promener en toute sécurité sans garde du corps.

« C’était amusant ! Je ne manquerai pas de revenir », dit la jeune fille, pleine d’enthousiasme.

« Merci beaucoup ! » lui répondit Mitsuha tout en la raccompagnant à la porte.

Il n’y avait aucune tromperie dans ses paroles. La jeune fille avait été une excellente cliente, ce que Mitsuha apprécierait toujours.

Alors que Mitsuha la regardait partir, elle remarqua quelque chose de déconcertant de l’autre côté de la route. Il y avait un homme sale et suspect qui semblait correspondre à l’archétype du harceleur classique. Si Mitsuha avait pu appeler la police, elle l’aurait probablement arrêté sans poser de questions. L’homme se cachait dans l’allée entre les bâtiments, ne faisant rien de notable. En avait-il après Mitsuha ou sa boutique ? Elle ne pouvait pas le dire.

Mais avant que Mitsuha ne puisse le déclarer insignifiant, il s’était brusquement mis à marcher en direction de la fille qui venait de partir.

Une fille noble disparaît juste après avoir visité mon magasin ? Franchement, cette rumeur serait mauvaise pour les affaires !

Mitsuha se précipita à nouveau dans le magasin et sortit son « sac de contre-attaque » de derrière le comptoir — un jeu de mots qui pouvait ou non être volontaire. Elle le jeta par-dessus son épaule et quitta le bâtiment, en fermant la porte derrière elle.

La fille n’était toujours pas allée loin. Mitsuha pouvait la voir à une courte distance, complètement sans défense. L’homme de l’allée s’était approché d’elle par-derrière tandis que Mitsuha s’était rapidement et silencieusement rapprochée d’eux. Juste au moment où ils passèrent devant l’entrée d’une ruelle, l’homme sauta sur la jeune fille, mit une main sur sa bouche et l’entraîna dedans.

Bingo, pensa Mitsuha.

Elle plongea dans la ruelle, puis les poursuivit aussi vite que ses pieds le pouvaient. Ils disparurent à une intersection, et le temps qu’elle les rattrape, la fille était déjà bâillonnée et entourée de quatre hommes qui l’attachaient.

N’êtes-vous pas une bande d’ordures bien préparée ?

« Qu’est-ce que vous faites ? ! » cria-t-elle.

Les voyous paniquèrent pendant un moment avant de remarquer que leur adversaire n’était qu’une autre petite fille. Ils poussèrent un soupir de soulagement collectif.

« Heheh. Tu es courageuse, hein ? Mais si tu te pointes, ça veut dire que nous allons faire une vente supplémentaire. Merci de nous avoir facilité la tâche. »

L’homme qui avait parlé s’était rapproché de Mitsuha. Elle prit rapidement un couteau gainé dans son sac et le glissa dans sa ceinture.

« Oh ? Alors, tu vas te battre. Tu as du cran, je te l’accorde. Mais une petite fille comme toi ne peut tuer personne. Tuer un homme, c’est… »

Avant qu’il n’ait pu terminer, Mitsuha avait de nouveau pris son sac, saisit une des choses qui s’y trouvaient et le pointa vers lui.

Bang !

Un bruit traversa l’air. Le bandit s’effondra au sol et commença à convulser.

« Je peux te tuer. S’il y a une raison de laisser vivre une racaille comme toi, j’aimerais l’entendre. », dit-elle

« Hein ?! »

Les trois hommes encore debout étaient abasourdis. Malgré les paroles de Mitsuha, leur complice était toujours vivant, l’objet qu’elle avait utilisé sur lui était une arme paralysante en forme de pistolet. Il tirait des électrodes qui s’attachaient à la cible et appliquait une haute tension par l’intermédiaire de fins cordons. Afin d’éviter toute utilisation malveillante de cette arme, le fait de tirer dispersait une rafale de confettis en papier, chaque confetti contenant le numéro de série unique de l’arme. Bien entendu, cette fonction n’avait que peu d’importance si le pistolet paralysant était acquis illégalement ou utilisé dans un tout autre monde.

Bien que la vente et la possession de cette arme avaient été interdites au Japon peu après sa sortie, elle était facilement disponible dans un certain nombre de pays étrangers. Mitsuha l’avait acquise grâce à ses relations avec les mercenaires.

« Qui diable êtes-vous ? ! », s’écria l’un des hommes en panique.

J’ai cru que vous ne le demanderiez jamais ! Il est temps de faire un vrai spectacle. Sors donc de l’obscurité, Mitsuha grincheuse du collège !

« Moi ? Je suis… l’archiprêtre. »

Elle parla à voix basse pour essayer d’imiter un de ses héros, Asahi Kurizuka. Il avait joué dans un drame historique japonais des années 60 intitulé : « Je suis un garde du corps ». Cependant, pour répondre à ses goûts personnels, elle avait choisi de remplacer le titre de « garde du corps » par celui « d’archiprêtre. »

« Qu’est-ce que c’est ? »

Les bandits n’avaient aucune idée de ce qu’elle voulait dire, et franchement, elle non plus. Mitsuha avait simplement envie de rayer une autre entrée sur la liste des choses qu’elle avait toujours voulu dire.

« Je suis l’archiprêtre de la foudre ! », répétait-elle. « Ceux qui sont sur mon chemin ne méritent aucune pitié ! »

Cette fois, elle sortit son Beretta 93R et tira une rafale de trois balles sur des pots à proximité.

Ça n’aura pas l’air cool si je m’arrête pour changer le réglage, alors faisons avec.

Ba-Ba-Bang !

Les coups de feu résonnèrent autour d’eux tandis que les balles faisaient voler les pots en éclats, envoyant des fragments de céramique partout.

« EEEEEK ! »

Les bandits crièrent et essayèrent de s’échapper, mais au moment même où ils le firent, un groupe de soldats anormalement imposants était sorti de l’autre bout de l’allée.

« Princesse ! Vous allez bien ?! », cria l’un d’entre eux.

Oh, alors c’est vraiment une princesse ? pensa Mitsuha.

Pendant que les soldats étaient occupés à capturer les hommes et à récupérer la princesse, Mitsuha s’éloigna lentement de la scène. Elle se faufila dans la première allée latérale pour tenter de fuir, mais la chance n’était pas de son côté.

« S’il vous plaît, attendez, Mlle l’Archiprêtresse. »

En entendant les paroles derrière elle, Mitsuha laissa échapper un cri de frustration interne.

Il y avait des soldats aux deux extrémités de la ruelle, mais celui-ci semblait particulièrement plus important que les autres. C’était un homme plus âgé, et son visage donnait à Mitsuha l’impression qu’il avait traversé de nombreuses épreuves.

« Euh, si je peux me le permettre, depuis combien de temps écoutez-vous ? »

La réponse de l’homme l’écrasa : « Tout depuis “Qu’est-ce que vous faites ? !”, jusqu’à maintenant. »

Oh, tout ça. Super. Merci, pensa Mitsuha, quelques instants avant qu’elle ne s’effondre. Ses mains écartées l’avaient rapidement empêchée de tomber le visage le premier dans le pavé.

« Archiprêtresse ? »

Je t’en supplie, arrête de m’appeler comme ça. Je me suis emportée, je suis désolée !

« Venez avec nous au château », dit le soldat.

Mitsuha savait que les choses en arriveraient là au moment même où elle avait découvert que la fille était une princesse. Elle avait vu son visage, il n’y avait donc aucun moyen de s’en sortir maintenant.

S’il te plaît, ne me regarde pas avec ces yeux brillants, princesse, pensa-t-elle en rencontrant le regard de la jeune fille.

« Laissez-moi au moins fermer boutique. »

Elle n’avait toujours pas vérifié ses finances, ni fermé les rideaux, ni mis les systèmes de sécurité en mode « fermeture ». Il lui restait donc beaucoup à faire.

La princesse et la plupart des soldats étaient retournés au château, tandis que Mitsuha retourna à son magasin, accompagnée du soldat âgé et de deux autres personnes.

Ils n’avaient pas besoin d’être aussi tendus, ce n’est pas comme si j’allais m’enfuir.

◇ ◇ ◇

Elle acheva rapidement sa procédure de fermeture, et ses pensées s’étaient dirigées vers la façon dont elle allait préparer la visite du château.

Une robe, peut-être ? Non, c’est trop tôt pour ça. J’ai déjà une bonne ruse en cours avec le comte, alors cette fois je ne serai rien d’autre qu’une humble marchande. Et pour les armes ? Hmm, ils m’ont déjà vu tirer. En supposant que je garde le Walther PPS à mes côtés, aurais-je besoin du 93R ? Je ne peux pas m’imaginer l’utiliser.

Mitsuha avait brièvement imaginé un scénario dans lequel elle s’échappait du château tout en se frayant un chemin sous les tirs, mais elle s’était dit qu’elle pouvait revenir dans son monde en cas de danger réel. Dans ce cas, ses efforts pour mettre en place le magasin et son réseau avec les nobles seraient réduits à néant.

Finalement, elle avait mis son Walther dans l’étui à côté d’elle et mit le 93R dans son sac. Elle avait tiré avec devant les ravisseurs et n’avait pas eu le temps de le recharger.

Quant aux couteaux, elle les laissa derrière elle. Si elle pouvait prétendre que ses armes s’apparentaient à des outils religieux pour expliquer leur existence, brandir un couteau devant la famille royale était totalement interdite.

Opportuniste qu’elle était, Mitsuha remplissait également son sac de divers articles provenant des rayons du magasin. Il n’en manquait jamais un seul, car elle veillait à les réapprovisionner en permanence. En outre, son modèle commercial privilégiait la qualité plutôt que la quantité — un article coûtant dix pièces d’argent contre dix valant une pièce. Bien sûr, elle était prête à faire des sacrifices si cela signifiait répandre le bonheur chez les filles du monde entier.

Ah, je devrais aussi vendre des objets pour cette période du mois.

Elle s’était rendu compte que beaucoup de ses objets ne se vendaient pas uniquement à cause de leur prix, mais aussi parce que les gens de ce monde ne savaient tout simplement pas comment s’en servir. Pour accroître la popularité d’un article, elle avait besoin de publicités ambulantes. Cela avait marché pour le shampoing. Mais elle s’imaginait qu’elle serait bien trop occupée si elle augmentait sa publicité. Elle en avait donc rejeté l’idée.

Une fois qu’elle mit son arme et quelques souvenirs dans son sac, les préparatifs de Mitsuha furent terminés. Elle n’avait même pas changé ses vêtements de commerçante.

« Euh, Monsieur le soldat, vous devriez faire plus attention où vous mettez les pieds. Le magasin est fermé, ce qui signifie que le système de sécurité est activé. Ne venez pas pleurer chez moi si vous êtes frappé par la foudre. »

Le jeune homme était devenu un peu pâle.

« Bravo, mon garçon. Maintenant, marchez tout droit. C’est bien ça… Ne pensez même pas à toucher les étagères. »

***

Partie 2

Je ne reconnais pas ce plafond, pensa Mitsuha, pleinement consciente d’avoir déjà répété cette blague plusieurs fois.

Elle venait d’arriver au château et se sentait un peu déçue. Une partie d’elle s’attendait à être transportée dans une voiture tirée par un nombre excessif de chevaux blancs — sûrement l’équivalent d’une limousine dans ce monde — alors imaginer donc sa déception quand elle vit qu’elle devait marcher comme la roturière qu’elle était.

Le soldat âgé resta à ses côtés, même dans la salle d’attente. Mitsuha passait le temps en réfléchissant à son penchant personnel pour les types du genre « vieux monsieur raffiné » comme lui.

Il y a ce type, le comte Bozes, Stefan le majordome… Dans une dizaine d’années, le vicomte Ryner sera probablement lui aussi sur la liste.

Ses pensées furent interrompues lorsque quelqu’un l’appela.

« Je suppose que vous êtes Mitsuha ? »

Aussitôt après avoir vu l’homme qui avait parlé, Mitsuha avait été contrainte de faire la révérence. Oui, c’est bien le roi !

« S’il vous plaît, levez la tête. Venez ici et prenez un siège. Il n’est pas nécessaire que la sauveuse de ma fille s’embête avec les formalités. Moi-même, je ne m’embêterai pas avec une attitude terriblement “royale”. Traitez-moi comme un égal. », dit le roi.

Oh, donc il n’est pas ici en qualité de « roi », hein ? Mitsuha avait compris que même les rois se comportaient différemment selon la société environnante. Ils avaient des familles, par exemple, et ce n’était pas comme s’ils avaient tous commencé leur vie en tant que rois. Certains avaient même reçu le titre sans s’y attendre.

La salle dans laquelle ils se réunissaient était loin d’être une salle du trône pleine de ministres, et elle ne contenait que peu de monde pour que cela soit traité comme une affaire officielle. Il s’agissait simplement d’une réunion informelle où un père voulait la remercier d’avoir sauvé sa fille.

Réalisant qu’elle avait été nerveuse pour rien, Mitsuha jeta son premier vrai regard dans la salle. Il s’agissait d’un espace relativement modeste abritant une table et quelques chaises. Tout était luxueux, bien sûr, mais c’était la norme dans un palais. Mitsuha aurait été plus surprise si la pièce avait été décorée avec une table pliante et des chaises bon marché.

Le roi était accompagné d’une dame mûre et digne — la reine, sans doute — ainsi que de la princesse et d’un garçon à l’allure princière. Il semblerait être plus jeune que la princesse. Si Mitsuha devait le deviner, elle lui aurait donné huit ans. Il semblait s’intéresser particulièrement à elle.

La princesse lui a-elle dit quelque chose ? se demanda-t-elle.

Derrière eux, il y avait un homme âgé qu’elle supposait être le grand chambellan, derrière elle se tenait le soldat raffiné qui l’avait accompagnée jusqu’ici.

Je ne vais pas m’enfuir, bon sang !

« Très bien, Mitsuha l’archiprêtresse de la foudre… », commença le roi.

« Mitsuha la propriétaire du magasin général », corrigea-t-elle.

« Mitsuha l’archiprêtresse de la foudre. »

« Mitsuha la propriétaire du magasin général. »

« Mitsuha l’archiprêtresse de la foudre. »

« Mitsuha la propriétaire du magasin général. »

« Mitsuha l’archiprêtresse de la foudre. »

« Mitsuha, la propriétaire du magasin général. »

« Mitsuha la… propriétaire du magasin général. »

Il avait enfin cédé.

Mitsuha était consciente que c’était une occasion en or de renverser sa réputation et d’insister sur le fait qu’elle était, en fait, l’archiprêtresse de la foudre, mais elle avait finalement décidé de s’y opposer. Une fois qu’ils s’étaient mis d’accord sur la manière de l’appeler, elle expliqua ce qui s’était passé plus tôt dans la journée.

« Après que la princesse ait acheté quelques articles dans ma boutique, je l’ai raccompagnée. C’est alors que j’ai remarqué qu’un homme à l’air suspect la suivait. Cela m’a inquiétée, alors j’ai couru après eux. Vous ne pouvez pas croire ma surprise quand j’ai trouvé un groupe d’hommes qui essayaient de la kidnapper ! J’ai rassemblé mon courage et je les ai appelés, mais comme je ne suis qu’une petite fille, je ne pouvais rien faire. C’est alors que les soldats sont venus et ils nous ont sauvées toutes les deux. »

« Hmm. On m’a raconté une histoire différente », dit le roi.

« Après que la princesse ait acheté quelques articles dans mon magasin, je l’ai raccompagnée. C’était alors… »

« Je comprends ! Pas besoin d’en rajouter ! »

Heehee. J’ai encore gagné !

Mitsuha continua à traiter l’affaire de « l’archiprêtresse » comme une sorte de conte de fées ou comme un produit de son imagination, le roi s’était donc rendu. Ce qui s’était réellement passé n’était pas clair.

Selon certains rapports reçus au cours de leur conversation, l’enlèvement n’avait pas de motivation politique — les auteurs étaient des trafiquants d’êtres humains qui voulaient simplement enlever et vendre une belle fille. La princesse avait entendu parler du magasin général de Mitsuha par l’une des servantes. Par la suite, elle s’était échappée du château, s’était débarrassée des gardes qui la poursuivaient et avait attiré l’attention des trafiquants, qui ne savaient pas qu’elle était de la royauté.

L’industrie locale de la traite des êtres humains était secrètement soutenue par quelques nobles influents, de sorte que même le roi ne pouvait pas faire grand-chose pour l’arrêter. Cependant, quelles que soient les circonstances, une tentative d’enlèvement de la princesse avait été faite. Quel que soit le pouvoir qu’ils détenaient, tout noble qui s’opposerait à une enquête officielle sur cet incident serait qualifié d’allié des trafiquants et de traître du royaume. Par conséquent, les trafiquants et ceux qui les soutenaient étaient dans une situation très difficile.

Wôw, la princesse a fait quelque chose de grand pour le pays, pensa Mitsuha.

Elle apprit que la princesse, Sabine, avait dix ans, et le jeune prince, Leuhen, huit. C’était les plus jeunes de leurs cinq enfants, et les autres — deux sœurs et un frère — étaient un peu plus âgés qu’eux. Sabine et Leuhen étaient donc plus proches l’un de l’autre que les autres. Les frères et sœurs plus âgés les aimaient, bien sûr, mais ils avaient choisi de ne pas participer aux jeux des plus jeunes.

« J’espère que vous vous entendrez bien avec mes enfants », lui dit le roi avec Sabine à ses côtés, tous deux rayonnants.

« Pareil pour moi », répondit Mitsuha avec maladresse.

Attendez, « les enfants » ? Vous avez des projets pour moi ? Attendez, le plus important…

« Votre Majesté, avez-vous l’impression de ne plus voir aussi bien qu’avant ? », demanda Mitsuha.

« Oui, en fait. Depuis un moment, j’ai du mal à lire les petites lettres, alors j’ai commencé à utiliser une lentille. »

Hein ? Vous avez ça ? ! Vous êtes plus âgé que je ne le pensais !

Elle se demanda brièvement pourquoi elle n’avait vu personne porter de lunettes, mais se souvint que sur Terre, les lentilles convexes utilisées pour la presbytie s’étaient répandues bien avant les lentilles concaves utilisées pour la myopie. Les premières lentilles utilisées pour soutenir la vue étaient soit des loupes, soit des lunettes de nez — pas du type Groucho, mais plutôt pince-nez.

Contrairement aux myopes, les presbytes n’avaient pas besoin d’utiliser des lentilles tout le temps. Les lunettes Pince-nez étaient défectueuses et pouvaient tomber facilement, de sorte qu’elles étaient surtout portées pendant la lecture, et non pas lors de promenades en ville.

Je ne sais pas si les lunettes sont populaires en ce moment, mais ça ne sert à rien d’y penser ! Quoi qu’ils aient, cela ne fera pas le poids face aux merveilles de la Terre modernes !

« Pourriez-vous essayer ça pour moi, s’il vous plaît ? » demanda Mitsuha.

Elle présenta alors au roi cinq séries de lunettes de son sac.

« Essayez de les mettre comme ceci. Chaque paire est légèrement différente, alors trouvez celle qui vous aide à mieux voir. »

« Hmm, comme ça ? », demanda-t-il, en mettant la première paire.

« Oh, mon Dieu ! Elles sont si légères ! Et je peux voir si clairement ! Elles aident mes deux yeux, et mes mains sont complètement libres. Elles ne bougent pas quand je regarde en bas ou quand je secoue la tête, je n’ai donc pas besoin de les ajuster sans cesse ! »

Il essaya ensuite les autres lunettes.

Ils ont donc des lunettes pince-nez. Mais on ne dirait pas qu’elles sont du genre à avoir une lanière.

« Saar ! »

Le roi appela le vieil homme derrière lui, qui vint en chercher une paire pour lui.

« Oh ? Ohhh ! »

« Eh bien ? Tu as dit que tu n’aimais pas utiliser une lentille ou tes lunettes. Que penses-tu de cela ? »

« Tout est si clair… Ces lunettes sont meilleures que tout ce que je n’ai jamais connu ! Elles sont légères et robustes, et je suis libre d’utiliser mes deux mains. Cela rendra les longues heures de travail beaucoup plus faciles ! »

Le vieil homme était encore plus heureux que le roi. Mitsuha n’avait pas prévu ce résultat, mais ne voyait pas d’inconvénient à s’entendre avec le grand chambellan. Le roi l’apprécierait sûrement aussi.

« Maintenant, il faudra encore quelques années avant que ce vieux chien ne cesse d’être chancelier », dit fièrement le vieil homme.

Oh, c’est donc lui le chancelier, pensa Mitsuha en remettant les paires de lunettes restantes dans son sac.

Avec ces deux paires comme publicités ambulantes, elle allait gagner encore plus de clients, surtout parmi les élites du pays — un groupe avec lequel elle comptait gagner beaucoup d’argent.

Quoi ? Vous pensez que c’est une manière de faire de la vente agressive ? Que voulez-vous dire ? Je ne fais que vendre quelque chose à un prix exorbitant, c’est tout !

« Avez-vous d’autres marchandises de cette qualité ? S’il vous plaît, ne vous retenez pas. L’argent n’est pas un problème ! », demanda le roi.

« Eh bien, je fais ça pour vivre. Tant que vous me payez, je peux vous vendre n’importe quoi. Sauf les filles, bien sûr. »

« Pas de filles, vous dites ? »

« Non. »

« Je vois. Hahaha ! »

Le chancelier et Mitsuha avaient rejoint le roi dans son rire. Bien que la plaisanterie avait pu sembler un peu sombre vu l’échec de l’enlèvement de la princesse, c’était aussi la façon de Mitsuha de dire : « Vous ne pouvez pas me contrôler, peu importe l’argent que vous avez. »

Le roi l’avait compris, tout comme le chancelier. La reine, en revanche, n’avait probablement pas compris.

Bien que cela lui aurait plu, le roi n’avait pas fourni à Mitsuha de calèche pour rentrer chez elle. Elle avait donc dû repartir comme elle était venue, à pied. Elle pensait cependant que c’était pour le mieux. Le fait d’être raccompagnée à son magasin par une calèche portant les armoiries de la famille royale aurait pu lui causer des ennuis inutiles.

***

Chapitre 11 : Ruiner le marchand misérable !

Ding-a-ling !

Je sens les ennuis, pensa Mitsuha.

Un homme assez corpulent entra dans son magasin, flanqué de trois autres personnes. Son apparence fit exploser le détecteur interne de Mitsuha.

« Je suppose que tu es la commerçante ? », demanda-t-il.

C’est toi qui l’as dit.

« Donne-moi les droits sur ce magasin et ses voies d’approvisionnement. Mhm, je te prends sous mon aile. »

Whoa, c’est quoi ce bordel ? ! N’y a-t-il pas de lois dans ce royaume ? Je sais que je ressemble à un enfant, mais c’est trop. Je suis cependant un peu impressionnée. Il se fout de ce que pense la société. Est-il si riche et si puissant ?

« Désolée, mais qui êtes-vous ? », demanda Mitsuha, juste pour le plaisir.

« Quoi ? Tu ne me connais pas ? »

L’homme semblait sincèrement insulté.

« Je suppose que je ne peux pas attendre grand-chose d’une petite fille. Très bien, je vais te le dire. Je suis le président de la société Adler, Nelson Adler ! »

« Ohh, la société Adler ? ! »

C’est la première fois que j’en entends parler, se dit Mitsuha.

« Oui. La rumeur dit que cet endroit propose de la vente de poissons, de ce qu’on appelle le “shampoing”, et d’autres curiosités. Tu es jeune, mais tu as du potentiel. Je vais m’occuper de toi, alors tu ferais mieux de l’apprécier. »

Oui, ça a beaucoup de sens. Je suppose que la pression du Comte Bozes ne peut pas écraser les commerçants aussi curieux.

« Umm, je vais devoir en parler à mon partenaire commercial, pourriez-vous donc venir ici à la même heure demain ? Je m’assurerai qu’il soit là. »

« Mhm. Très bien. »

Heureux que ses demandes me soient parvenues si facilement, Nelson fit demi-tour et partit. Il avait probablement l’intention de forcer la main à Mitsuha si elle refusait. Mais son obéissance lui fit croire qu’elle savait qu’aller contre la compagnie Adler était une mauvaise idée, à moins qu’elle ne soit simplement qu’une idiote.

Hah ! Comme si j’allais lui faciliter la tâche. J’ai aussi dit que j’appellerais mon « partenaire commercial », mais je n’ai rien dit au sujet d’un fournisseur.

◇ ◇ ◇

Ding-a-ling !

« Mitsuha ! Je suis là ! », dit une voix de fille.

« Tu es donc venue ! » répondit Mitsuha, en pensant à ce qu’était devenue Sabine.

La jeune fille l’avait d’abord appelée « Maîtresse Mitsuha » par respect, mais Mitsuha ne voulait pas que le respect de la princesse envers un roturier semble forcé, ce qui lui permettrait certainement d’acheter un aller simple directement à la potence. Elle avait donc insisté pour que Sabine l’appelle simplement « Mitsuha » à la place, ce qui avait finalement fonctionné.

Sabine rejoignit Mitsuha derrière le comptoir. Il y avait une petite télévision et un lecteur DVD cachés là. Les clients ne pouvaient pas les voir, et Mitsuha s’assurait d’arrêter le visionnage si elle avait besoin de saluer quelqu’un. C’était pourquoi tous les clients qui arrivaient pendant une partie intéressante du film recevaient de Sabine un regard intense, en grande partie non mérité.

Depuis que la princesse était devenue une visiteuse quotidienne, Mitsuha, incapable de lui parler du Japon, avait épuisé les sujets de discussion. Un jour, elle avait accidentellement appuyé sur le mauvais bouton de la télécommande, révélant à Sabine l’existence de la télévision et du lecteur DVD. La princesse s’était emballée et Mitsuha s’était trouvée dans l’impossibilité de rattraper son erreur. Très vite, elles s’étaient mises à regarder des émissions ensemble.

Cependant, Mitsuha avait pris soin de dire à la princesse que la télévision était un miroir magique de la clairvoyance qui se briserait si elle en parlait aux autres. Elle avait même choisi des émissions appropriées pour augmenter la puissance du mensonge, dont une histoire sur une petite sorcière qui perdrait sa magie si son identité était découverte, et une autre sur un personnage qui avait tout perdu à cause d’une promesse non tenue. Cela avait fonctionné de manière spectaculaire.

De plus, comme Sabine ne connaissait pas le japonais, Mitsuha avait dû traduire et doubler les films à la volée. Cette tâche était si fastidieuse que des transformations intenses ou des scènes d’attaque spéciales, qui n’impliquaient que peu ou pas de dialogue, la détendaient.

« Ah, Sabine, s’il te plaît, donne cette lettre au chancelier quand tu reviendras. C’est très important, alors ne l’oublie pas. »

Bien qu’elle ait un côté diabolique, Sabine était une fille brillante avec une bonne tête sur les épaules. Mitsuha avait pleinement confiance en ses capacités. La princesse acquiesça d’un signe de tête sérieux, prit la lettre et la mit dans sa poche.

(NdT : le lendemain)

Ding-a-ling !

La cloche d’entrée sonna pour signaler une autre arrivée.

« J’ai apporté un contrat. Signe-le. », dit sans ménagement l’invité

Et bien. Tu ne perds pas de temps, hein, Nelson ?

« Mitsuha, qui est-ce ? », demanda Sabine, en regardant derrière Mitsuha.

Comme la princesse n’avait que dix ans, peu de citoyens savaient à quoi elle ressemblait au premier coup d’œil. Elle portait aussi des vêtements unis pour ne pas se faire remarquer. Aussi jolie qu’elle soit, dans son état actuel, personne ne la prendrait pour un membre de la royauté.

« Il vient d’une grande entreprise et dit qu’il veut s’occuper de moi », déclara Mitsuha.

« Quoi ? Tu t’en vas ? Nooon ! S’il te plaît, ne pars pas ! »

Quelle actrice ! Cette fille me fait vraiment peur parfois.

En voyant cette fille qui était extrêmement charmante, même selon les critères de la noblesse, Nelson fit un sourire charnu.

« Oh ? Si tu veux tellement rester avec elle, pourquoi ne pas venir ? Je le permettrai. »

« Vraiment ?! »

Sabine sauta de joie, et alors que le sourire de Nelson s’élargissait encore…

Ding-a-ling !

La cloche sonna une fois de plus.

« Désolé de vous avoir fait attendre. »

Un nouveau visiteur s’était montré.

« Quoi… le chancelier ? ! »

Nelson ne pouvait pas retenir sa surprise.

Oui. Tout le monde est là, pensa Mitsuha.

« Désolée de t’appeler comme ça, Saar. »

« Oh, ne le soyez pas. Vos appels passent avant tout le reste ! »

Nelson paniqua : Elle l’appelle par son prénom ? ! Et pourquoi le chancelier est-il si humble avec elle ?!

Il avait un mauvais pressentiment.

« Cet homme m’a dit de lui remettre mon magasin gratuitement ! Il veut aussi m’emmener, et la princesse aussi. Je voulais juste vous dire que… eh bien, je pourrais devoir refuser les demandes du roi à partir de maintenant. », dit Mitsuha.

« Oh ? Qu’est-ce que j’entends, M. Adler ? »

Le chancelier fit au grand homme un regard glacé.

« Hein ? ! Attendez, je, euh… » Nelson transpirait à grosses goutes.

« Avez-vous vraiment l’intention d’interférer dans les affaires d’un marchand travaillant directement pour Sa Majesté le Roi, de posséder de manière illégale son établissement sans compensation, et de contraindre de jeunes filles à devenir votre propriété ? »

« Quoi ? Non, euh, pas du tout ! »

À ce moment-là, le président de la société Adler était aussi moite et désespéré qu’un poisson hors de l’eau.

Est-ce qu’il respire au moins ? se demandait Mitsuha.

« Pas du tout, dites-vous ? »

« Non ! Je veux dire, euh, oui ! Exactement ! »

« Alors j’espère que vous ne vous mêlerez pas de ce magasin ou à quelqu’un qui lui est associé, directement ou indirectement. »

« Je ne le ferai pas ! Je le jure par la déesse ! »

« Alors je voudrais que vous surveilliez toute obstruction faite à ce commerce. Vous serez tenu pour responsable si quelque chose se produit, alors vous feriez mieux d’informer immédiatement les parties concernées. »

« Certainement ! »

Ainsi, la société Adler était désormais tenue de veiller à ce que non seulement ses propres membres, mais aussi tous les hommes d’affaires de la capitale évitent de s’immiscer dans le magasin général de Mitsuha. Mitsuha ne pouvait même pas imaginer quel genre de punition le chancelier infligerait à Nelson s’il échouait. Cela avait eu un coût, mais Nelson avait réussi à échapper au plus grand danger de sa vie… du moins le pensait-il.

« Encore une chose, M. Adler. Je révoque par la présente votre permission de mettre le pied sur les terres du château. À partir de demain, les employés de la société Adler ne pourront plus entrer dans le palais royal. », poursuivit le chancelier.

« Quoi ? ! »

Nelson était devenu blanc comme un linge.

Pour la société Adler, fournisseur du palais et du gouvernement, une interdiction d’accès au palais était bien plus qu’une simple perte de ventes. Elle signifiait également perdre la confiance du peuple et devenir la risée des autres marchands. Même les plus grands hommes d’affaires de la capitale — non, du pays — ne pourraient pas réparer les dégâts.

« Pourquoi avez-vous fait une telle chose ? »

Nelson se croyait en sécurité quand il avait accepté de contrôler les autres commerçants, mais…

« Pour dire les choses simplement, Sa Majesté le Roi est un homme doux, mais même lui ne tolérerait pas la présence de ravisseurs potentiels de sa jeune fille. »

« Hein ? »

« Maintenant, rentrons, Votre Altesse. »

« Quoi ? Mais je veux jouer avec Mitsuha ! » se lamenta la princesse alors que le chancelier la traînait hors du magasin.

Il ne restait plus qu’un gros homme effondré sur le sol.

Repose en paix, Nelson.

Peu après, le président de la société Adler se retira, laissant tout à son fils.

« Ne posez pas la main sur le magasin général de Mitsuha. »

Son dernier ordre en tant que président intérimaire avait peut-être été prononcé avec les dents serrées, mais il avait été entendu par tous les commerçants de la capitale - non, du pays.

◇ ◇ ◇

« Hé, Sabine ! Tu veux hériter de moi du titre de “Plombier de l’Opéra” ? »

« Non ! Ça fait bizarre ! Tu veux juste me pousser à t’en débarrasser, n’est-ce pas ? ! »

Quels sens aiguisés ! Elle est vraiment effrayante !

***

Chapitre 12 : Cuisine Yamano

Partie 1

Mitsuha vendait de plus en plus de lunettes chaque jour, et elle savait que le chancelier était le responsable. Entre cette augmentation des affaires et son aide dans l’affaire Nelson, elle développait une réelle appréciation envers cet homme. Les ventes de ses autres produits reprenaient également, malgré les prix scandaleux.

Elle avait également réussi à vendre au groupe de Sven une remorque à vélo. Les mercenaires avaient longuement réfléchi avant de prendre une décision. Ils savaient que l’achat ferait un trou dans leur portefeuille, mais comme cela leur avait semblé être un investissement valable, ils avaient fini par mordre à l’hameçon. Mitsuha leur avait expliqué les autres possibilités de location ou de crédit-bail, mais Sven avait ardemment refusé.

Quelle virilité !

Elle leur avait vendu pour à peu près le même prix qu’elle avait elle-même payé, ce qui était une grande bonté selon ses critères. Cependant, elle leur fit jurer de garder le secret sur ce qu’ils avaient payé, en affirmant qu’elle ferait faillite si d’autres s’attendaient à un prix aussi généreux. Ils avaient tous hoché la tête à l’unisson, prenant ses paroles à cœur.

Ils pensent probablement que je suis dans le rouge ou quelque chose comme ça, avait pensé Mitsuha. Et honnêtement, je ne vois pas d’inconvénient. Maintenant, allez-y et faites-moi de la publicité ! Apportez-moi des clients pour ce produit !

Sven et son groupe avaient été immensément satisfaits de leur achat. Auparavant, ils avaient dû augmenter leurs maigres revenus en ramassant des herbes bon marché, assez légères pour être transportées, ce qui était une tâche longue et laborieuse. Maintenant qu’ils avaient la remorque, la capacité de transport n’était plus un obstacle, ils pouvaient donc se concentrer uniquement sur la chasse. Ils pouvaient retourner plus rapidement à la capitale et n’avaient plus à marcher sous le poids de leur gibier sur le chemin du retour.

Oui, j’imagine que transporter tout ce poids avec une branche sur l’épaule pendant tout le chemin du retour ferait un mal de chien. Je parie que c’est tellement sérieux qu’ils doivent prendre un jour ou deux de repos après.

Les mercenaires avaient déjà utilisé la remorque lors de plusieurs voyages de chasse, et les résultats avaient été exceptionnels. Ils pouvaient passer deux fois plus de temps à chasser qu’auparavant. Mitsuha s’était même dit qu’ils s’en sortiraient mieux en tant que chasseurs qu’en tant que mercenaires.

Ilse, l’archère du groupe, était vraiment intéressée par une arbalète. Elle semblait vouloir en parler chaque fois qu’elle rencontrait Mitsuha.

La Terre possédait des arbalètes depuis un bon moment, non ? pensait Mitsuha qui se sentait en conflit. Dois-je lui en vendre une ?

Mais ce n’était qu’une des nombreuses choses dont elle devait s’inquiéter. Il y avait aussi la question de savoir comment gérer les ventes de remorques de vélo à l’avenir. Elle n’en fournira une que si un client la commande, mais elle n’était pas sûre du prix. Après tout, le public cible était constitué de mercenaires et de chasseurs pauvres.

Mitsuha avait finalement utilisé pour la première fois l’une de ses poches profondes. Le lancement de la première pièce avait été un moment exaltant pour elle. Elle avait placé son oreille contre le tuyau au moment où il tombait, attendant avec impatience. Mais à sa grande déception, elle n’avait rien pu entendre.

Oui, il me faudra plus d’or si je veux entendre ce doux, doux son. Bon sang !

Quant à la princesse Sabine, elle était d’une humeur massacrante ces jours-ci. Plus de clients signifiaient plus d’interruptions durant ses précieux films et dramas. Elle avait même demandé à Mitsuha de ne plus faire venir autant de monde, mais sa proposition avait été rapidement rejetée.

Dois-je la laisser monter au troisième étage ? Non, elle insisterait probablement pour vivre ici. Ne demande pas non plus au prince Leuhen de t’accompagner. Je t’en supplie !

Une fois, Béatrice Bozes avait visité le magasin et avait ensuite rencontré la princesse. Toutes deux avaient été surprises de se voir, elles se connaissaient apparemment déjà, ce à quoi Mitsuha ne s’attendait pas. Elle avait supposé que les membres de la haute société ne se connaissaient pas avant leurs débuts.

Les filles nobles lui avaient expliqué les choses : en tant que fille aînée d’un comte influent, Béatrice avait été chargée de fréquenter la plus jeune des princesses. Leur relation s’apparentait à celle d’amies d’école.

J’ai bien fait de ne pas tomber sur une fille plus âgée que Sabine, avait réfléchi Mitsuha. Je peux juste imaginer le genre de combats qu’elles auraient. Béatrice est plus âgée et plus mature, alors elle laissera probablement les choses glisser ici et là.

Hé, Sabine, n’essaie pas de lui parler des DVD ! Ne pense même pas à les montrer non plus ! J’ai dit que la télé se casserait si tu en parlais, hein ?!

◇ ◇ ◇

Ding-a-ling !

Une fille de dix-huit ans à peine entra dans le magasin. Au lieu de se diriger vers les allées, elle s’était dirigée directement vers Mitsuha.

Hein ? Quoi ?

« Excusez-moi, est-ce ici où je dois aller pour les consultations ? »

Regardez-moi ça. Le panneau que j’ai accroché à l’entrée fonctionne déjà ! Ce sera ma première demande de consultation depuis un moment. Oh, et juste pour que vous le sachiez, j’ai aussi mis un panneau avec le nom du magasin.

Le dilemme de la fille était le suivant :

La maison de sa famille faisait également office de restaurant et cinq personnes y travaillaient : ses parents, elle-même et deux cuisiniers. Son père était le propriétaire et le cuisinier. Un homme de vingt-huit ans était commandant en second, et la jeune fille de dix-neuf ans était à la fois apprentie et assistante. La jeune fille et sa mère travaillaient comme serveuses, mais elle suivait une formation pour devenir cuisinière.

Tout allait bien jusqu’au moment où elle attira l’attention d’un jeune homme : le deuxième fils le plus âgé d’une famille qui possédait un grand restaurant en ville. C’était un personnage joyeux, aimé de tous. Cet homme commença à la poursuivre avec acharnement. Elle refusa ses avances, car elle était elle-même attirée par le jeune apprenti travaillant pour sa famille, mais il ne montra aucune intention de reculer.

Finalement, son père s’était impliqué. Comme sa propre entreprise allait être transmise à son fils aîné, il voulait que son deuxième fils épouse la fille et reprenne le restaurant familial. Bien entendu, il ne pouvait rien faire pour détruire sa réputation extérieure, alors il commença à se mêler de leurs affaires par des tactiques sournoises. Sa première action avait été de racheter le plus ancien de leurs deux cuisiniers.

Peu de temps après, le père de la jeune fille avait été soudainement agressé par un groupe de voyous. Ils lui avaient délibérément cassé le bras droit, laissant le reste de la famille indemne. Il guérirait complètement si on lui donnait assez de temps, mais il ne pouvait pas cuisiner jusque-là. Ils avaient donc été obligés de fermer temporairement leur boutique. Ce dernier événement s’était produit il y a quelques jours à peine. La famille avait appris l’existence du complot du propriétaire du restaurant par l’un de ses employés qui se trouvaient avoir une dette envers le père de la jeune fille.

Sa demande était simple :

« S’il vous plaît, aidez-nous ! »

« Attendez une seconde », dit Mitsuha.

Elle était allée accrocher sa pancarte : « Fermé en raison d’un contrat spécial » sur la porte, puis ferma les rideaux.

Il est temps de rouvrir mon cabinet de consultation un peu rouillé ! Pourquoi a-t-elle dit quelque chose d’aussi grave à une fille si jeune ? Oh, elle est amie avec les bonnes des Ryners ? C’est logique.

« Laissez-moi comprendre. Vous voulez que je rouvre le restaurant, que je prévienne tout nouveau dommage aux affaires — ainsi que toute interférence future du restaurant — et, si possible, que je vous aide dans votre union avec l’apprentie. C’est tout ce que vous voulez ? »

« Euh, oui », répondit la fille avec douceur.

Elle était surprise d’entendre de tels mots de la part de quelqu’un qui semblait beaucoup plus jeune qu’elle. La mention de son intérêt amoureux avait également provoqué une bouffée de chaleur sur ses joues.

« Tout d’abord, il sera difficile de trouver de nouveaux cuisiniers. Des employés inexpérimentés ne seraient probablement pas d’un grand secours, et les vétérans au chômage sont plutôt rares. Vous pourriez même prendre quelqu’un embauché par le restaurant pour vous saboter. »

« Hein ? »

La réaction de la fille montrait qu’elle n’avait même pas envisagé les possibilités.

« En gros, pour résoudre ce problème, nous devons rouvrir le restaurant, le gérer sans embaucher quelqu’un d’indigne de confiance, et engranger suffisamment de bénéfices pour compenser les pertes dues à la fermeture temporaire. Ensuite, nous devons le faire tourner à profit, écraser les plans du propriétaire du restaurant et l’amener à se détruire lui-même. Alors, il ne vous ennuiera plus jamais. C’est aussi simple que ça ! »

« Non, ce n’est pas si simple ! Comment sommes-nous censés faire ça ? ! »

« C’est le travail pour la division consultation du magasin général de Mitsuha ! Laissez-moi faire ! »

Les mots de Mitsuha étaient pleins de confiance.

« Mais, euh, vous n’avez rien dit quant à mon union… »

Cette fille est une amoureuse et une combattante, pensa Mitsuha.

***

Partie 2

À neuf heures ce soir-là, un groupe de cinq personnes se réunissait dans le restaurant familial de la jeune fille, le « Paradis ». Une seule lumière brillait sur leur table, et y étaient assis Bernd et Stella, le couple propriétaire de l’établissement, Aleena, leur fille, Anel, l’apprenti, et bien sûr Mitsuha. Elle venait de finir de leur expliquer tout ce qu’elle avait dit à Aleena plus tôt dans la journée.

« C’est impossible ! Tout d’abord, regardez mon bras ! Anel peut très bien faire le travail de préparation, mais il ne peut pas gérer la cuisine tout seul. Tout ce qu’Aleena peut faire à ce stade, c’est aider pour les choses simples, et si nous avons trois personnes dans la cuisine, Stella va devoir se charger de l’accueil et du service toute seule. Elle ne peut pas travailler dans la salle à manger et à la caisse ! », déclara Bernd.

Il semblait catégorique.

« Bernd, vous comprenez pourquoi les apprentis ont besoin d’années pour devenir de vrais chefs ? », lui demanda Mitsuha.

« Quoi ? Eh bien, c’est parce qu’ils commencent par les bases, regardent les autres chefs travailler, s’entraînent pendant leur temps libre… »

« Exactement ! Personne ne s’assied pour leur apprendre. Ils doivent utiliser le peu de temps libre dont ils disposent pour s’entraîner par tâtonnements, ce qui fait beaucoup de désastres culinaires. Est-ce que j’ai raison ? »

« Oui, c’est comme ça qu’on devient chef. »

« Alors, imaginez que vous passiez la journée entière à apprendre à Anel comment préparer un seul plat. Il maîtrise déjà la préparation, non ? Si vous le martelez dans sa tête, il finira par le connaître assez bien pour le réussir à au moins 90 %, vous ne croyez pas ? Il n’aura pas à être parfait. »

« Vous n’avez pas tort pour la formation, mais en cuisine, les dix pour cent restants sont difficiles à atteindre. Si 90 % suffisent, Anel pourra probablement déjà faire quelques plats. »

« Je veux que vous passiez une semaine à entraîner Anel et Aleena. Ne vous inquiétez pas, vous pouvez les surveiller et les aider à réussir, même pendant qu’elles travaillent. Un bras cassé ne vous en empêchera pas, non ? »

« Uhh, je suppose… »

Anel pouvait à peine croire ce qu’il entendait. Dans le domaine de la cuisine, les seuls qui pouvaient apprendre directement de leur maître étaient soit leurs successeurs directs, soit des employés suffisamment fiables pour hériter de l’établissement, et même dans ce cas, cela n’arrivait généralement qu’à la fin de la carrière du chef. Un apprenti cuisinier recevant une semaine entière de formation était tout simplement inédit.

« Mais le goût manquerait encore, et ce n’est pas comme si notre restaurant avait une sorte de spécialité. Je ne pense pas que les clients qui sont allés ailleurs pendant notre fermeture à court terme reviendraient assez vite, et les habitués remarqueront la baisse de qualité… et comme je l’ai déjà dit, Stella ne peut pas s’occuper des clients seule. »

« Ne vous inquiétez pas ! J’ai un plan ! Je vais en faire une vraie promenade dans le noir ! », dit Mitsuha en souriant.

« Ce n’est pas du tout rassurant ! »

◇ ◇ ◇

Une semaine plus tard, le « Paradis » était de nouveau en activité.

« Une commande d’omelette de riz pour vous, et un udon pour vous ! Bon appétit ! »

« Steak spécial de Hambourg, ça vient tout de suite ! »

La salle était pleine d’activité. Quatre serveuses prenaient les commandes et distribuaient les plats aux clients. Outre Stella, il y avait les deux mercenaires féminines Gritt et Ilse, ainsi qu’une autre employée à temps partiel.

Mitsuha leur avait proposé ce travail. Attirées par l’idée d’un bon salaire, de la nourriture gratuite et d’une chance de faire une pause dans la chasse, elles n’avaient pas hésité à accepter. Le salaire et les repas du « Paradis », ainsi que la commission et la réputation qu’elles allaient gagner après avoir terminé le travail, constituaient une offre qu’elles ne pouvaient pas refuser. Mitsuha avait cependant choisi de n’engager que les femmes, estimant que les mercenaires masculins étaient inutiles dans cette situation.

Dans la cuisine, Anel et Aleena se mirent au travail en suivant les instructions de Bernd et Mitsuha. Bernd leur apprit à préparer les plats du menu standard du « Paradis », tandis que Mitsuha les guida dans l’art de la cuisine Yamano.

Oui, la cuisine Yamano. C’était le nom du mystérieux style culinaire qui était récemment devenu un sujet brûlant chez les nobles. On disait que c’était incroyablement délicieux, et on pensait qu’elle était préparée avec des méthodes inimaginables et des ingrédients impossibles.

De nombreux cuisiniers avaient essayé d’imiter cette nourriture en se basant sur le peu d’informations dont ils disposaient, mais aucun n’y était parvenu. Les seules exceptions étaient les individus qui avaient demandé l’aide du chef cuisinier d’une certaine maison noble.

Tout en apprenant sous ses ordres, ils lui avaient demandé comment l’appeler, ce à quoi il avait répondu : « Cuisine Yamano. »

Chaque plat avait son propre nom, bien sûr, mais c’était le nom qu’il avait donné à l’ensemble du style. La cuisine Yamano n’était pas le nom d’un seul plat, mais de tous les plats qui utilisaient les techniques Yamano. Elle s’apparentait à un art martial secret.

Les autres chefs le louaient pour la nourriture, mais il secouait toujours la tête en réponse, disant qu’il n’avait rien créé de tout cela — il l’avait simplement appris de son maître, puis l’avait honoré en mettant son nom sur la nourriture. C’était l’histoire de la cuisine de Yamano.

Lorsque le nom s’était répandu parmi les riches, il avait naturellement atteint leurs serviteurs, et à travers eux, les roturiers. De même, Mitsuha s’était efforcée d’utiliser les ouï-dire à son avantage. Elle avait demandé aux servantes des Ryners, ainsi qu’à Sven et Szep, de répandre la rumeur selon laquelle le « Paradis » servait la cuisine Yamano. Elle n’avait même pas pris la peine d’utiliser des prospectus cette fois-ci, car, en fait, la plupart des gens étaient illettrés.

C’est pour ça les prospectus n’ont rien donné quand j’ai ouvert mon magasin ! Bon sang !

Mitsuha avait tiré les leçons de cette erreur, et elle s’en tenait désormais au seul bouche-à-oreille pour faire de la publicité. Elle avait pris soin de ne pas en faire trop, car elle ne voulait pas que le restaurant reçoive plus de clients qu’il ne pouvait en accueillir.

L’objectif ne consiste pas à obtenir le plus grand nombre de clients possible le premier jour — il faut une stabilité à long terme !

Au « Paradis », la Cuisine Yamano suivait le modèle commercial de Mitsuha : « Gros profits, lents retours ». Après tout, le restaurant pouvait accueillir qu’une quantité limitée de clients. Elle avait choisi de cibler les personnes fortunées, les roturiers qui désiraient goûter au luxe, les hommes qui voulaient bien paraître devant des femmes, les vieux couples qui avaient économisé et voulaient célébrer une occasion spéciale, etc.

Bien sûr, la cuisine Yamano, qui était bon marché et facile à réaliser, avait des prix plus bas que les autres. Un bol de nouilles udon, par exemple, ne coûtait que cinq ou six petites pièces d’argent. C’était le genre de plats qui n’était pas considéré comme de la haute gastronomie, donc leur donner un prix élevé n’aurait pas été une bonne idée. Mais comme ils étaient assez populaires, Mitsuha était satisfaite.

Même les plats les plus chers n’étaient pas au même niveau que les arnaques de son magasin général. Aucun plat ne coûtait plus de deux pièces d’argent, soit environ 1 800 yens japonais. Et, comme on pouvait s’y attendre, le menu original du restaurant avait maintenu ses prix habituels.

Le premier jour après la réouverture du « Paradis », la plupart des tables étaient occupées pendant presque toute la journée. Le restaurant n’était pas complet, mais il avait tout de même connu un grand succès, montrant ainsi un exemple de la puissance des commérages. Dans l’après-midi, Stella avait brièvement surpris un homme qui regardait par la fenêtre, avec une expression amère. D’après ce qu’elle avait dit à Mitsuha, ce visiteur était le propriétaire du restaurant, un escroc qui essayait de les faire tomber.

J’ai envie d’ajouter que Marcel avait envisagé d’utiliser « Cuisine Mitsuha » au lieu de « Cuisine Yamano », mais je l’ai supplié de ne pas le faire. C’était difficile de trouver quoi utiliser à la place. « Cuisine japonaise » n’était pas tout à fait correcte, et cela m’embrouillerait aussi. « Cuisine de la Terre » ne fonctionnait pas bien non plus. Finalement, nous en avons parlé et nous nous sommes mis d’accord pour l’appeler « Cuisine Yamano ». Ça ne me dérangeait pas parce qu’il n’y a pas beaucoup de gens ici qui connaît mon nom de famille.

Quoi qu’il en soit, les employés à temps partiel du « Paradis » avaient été engagés sur la base d’un contrat de sept jours. Pendant cette période, Anel et Aleena avaient pour objectif de devenir suffisamment compétents pour gérer la cuisine par eux-mêmes, ce qui permettrait à Bernd de s’en tenir au travail de directeur. Il n’avait pas besoin de ses deux mains pour gérer la nourriture ou les paiements.

Le deuxième jour, Mitsuha commença à remarquer parmi ses clients des personnes d’apparence plus riche et de possibles nobles. Comme ces personnes avaient probablement une réputation à maintenir, elles ne voulaient pas que d’autres membres de la haute société sachent qu’elles avaient visité un restaurant aussi banal. C’était pour cette raison qu’ils portaient tous des vêtements simples et modestes.

Ce plan aurait été intelligent si cela n’était pas aussi évident, pensait Mitsuha. Non pas que cela m’importe qu’ils viennent dans cet endroit — cela faisait en fait partie de mon plan ! Si le menu unique du « Paradis » fait venir des nobles et des gens influents, tous ceux qui veulent s’en prendre à cet endroit — comme le propriétaire du restaurant — perdront un temps fou. Les clients puissants sont de puissants alliés !

Mais il semblerait qu’ils soient beaucoup trop nombreux. Nous avons même une file d’attente à l’extérieur. Je n’ai pas vraiment vu ça venir. Est-ce que ça va s’atténuer dans une semaine, je me le demande ?

Attends, Aleena, ce n’est pas comme ça qu’on fait du katsudon !

Au troisième jour, les affaires étaient florissantes. La formation en cuisine se déroulait également à merveille. Anel et Aleena commencèrent à exceller dans leur travail.

Mitsuha avait longuement réfléchi au type de cuisine Yamano à mettre au menu. Il était essentiel que les plats soient bon marché pour le dîner et ne dépendent pas de sa puissance de téléportation dans son monde, d’autant plus qu’elle n’était pas entièrement convaincue que c’était permanent. Il n’y aurait pas de tricherie avec les épices ou autres, et la nourriture devait être assez simple pour que même les débutants puissent la préparer rapidement et avec un minimum d’instructions. Dans ces conditions, elle avait choisi des choses comme le riz frit à l’omelette, le steak de Hambourg et les nouilles udon.

Je leur ai aussi appris à faire de la mayonnaise. C’est juste un mélange d’œufs, d’huile, de vinaigre et d’autres choses. Il n’y a pas de mal à faire progresser leur cuisine, non ? Ce n’est pas comme si je popularisais les micro-ondes ou autre chose. J’en ai cependant un pour moi, j’en ai besoin pour les aliments surgelés.

***

Partie 3

Peu après l’ouverture du cinquième jour, le « Paradis » avait été visité par un groupe de cinq hommes. Ils coupèrent disgracieusement la file d’attente à l’extérieur.

« Ah, monsieur, s’il vous plaît, ne… »

Les mots de Stella avaient été coupés court quand elle réalisa à qui elle avait affaire.

« Je vois que les affaires sont en plein essor », déclara l’homme qui se démarquait le plus dans le groupe, le propriétaire du grand restaurant. Son entourage comprenait l’ancien employé du Paradis qu’il avait embauché, deux gardes et un homme corpulent que Stella ne reconnaissait pas. Elle avait rapidement appelé son mari.

« Je peux vous aider ? », lui demanda Bernd en sortant de la cuisine, visiblement de mauvaise humeur.

« C’est bon, c’est bon. Il n’y a pas besoin de montrer une expression aussi amère. Je suis simplement ici pour faire mon devoir de bon citoyen. », dit le propriétaire du restaurant.

« De quoi parlez-vous ? »

« J’ai dénoncé vos actes criminels et je suis venu pour que vous soyez correctement pénalisés ! »

Il pointa Bernd du doigt avec un large sourire sur son visage. Le récent changement dans les opérations du restaurant l’avait conduit à passer à une attaque directe.

« Des actes criminels ? Que voulez-vous dire ? »

« Ne faites pas l’idiot ! J’ai des gardes avec moi ! »

« Écoutez, je ne sais vraiment pas de quoi vous parlez. Vous allez devoir vous expliquer. »

En réponse aux paroles de Bernd, le propriétaire du restaurant pointa le menu sur le mur.

« Ça ! Ça, là, c’est la preuve de votre méfait ! »

« Hein ? »

« Vous prétendez faussement vendre la fameuse “cuisine Yamano”, trompant vos clients et les volant à l’aveuglette ! Gardes, arrêtez cet homme immédiatement ! »

Bernd et Stella étaient stupéfaits. Les trois employés à temps partiel regardèrent avec des expressions d’inquiétude, et les clients se préparaient au résultat.

Finalement, Bernd sortit de sa stupeur.

« Euh, quelle preuve avez-vous pour dire que notre cuisine Yamano est fausse ? »

« Je pensais que vous ne le demanderiez jamais. »

Le propriétaire du restaurant fit un sourire diabolique et présenta un des hommes qui l’accompagnaient.

« Cet homme est le fondateur de la Cuisine Yamano ! Le seul et unique chef cuisinier du Vicomte Ryner, Marcel ! »

Des halètements éclatèrent dans la foule, bien que les plus nobles aient tout simplement été ébahis.

« Marcel, s’il vous plaît, témoignez ! »

« Hé, je ne peux pas faire ça sans goûter la nourriture. Commençons par là. »

Il n’avait pas tort, et les gardes avaient besoin de preuves pour procéder à une arrestation. Le propriétaire du restaurant s’était exécuté à contrecœur.

De toute façon, il pensait que ça ne prendrait pas longtemps.

« Très bien, alors. Je vais prendre cette soupe, le… l’omurice, et le, euh, “steak de Hambourg”, s’il vous plaît. »

Le propriétaire du restaurant souriait d’une oreille à l’autre. Marcel ne semblait pas connaître les noms des plats, preuve supplémentaire que la cuisine Yamano du restaurant était fausse. Bernd cria la commande à la cuisine, et tous les autres attendirent. Les invités reprirent le repas et regardèrent le drame se dérouler en silence.

Peu de temps après, la nourriture était sur la table devant Marcel.

Il fut bouleversé par l’udon, soufflé par son steak de Hambourg et outré par l’omurice.

« Appelez-moi celui qui a fait ça ! » cria-t-il, les poings potelés rougissant et tremblant.

Naturellement, Bernd s’exécuta.

« Bon sang, c’est quoi tout ce bruit ? », dit Mitsuha en sortant de la cuisine.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? ! »

En entendant le cri de Marcel, le ricanement du propriétaire du restaurant prit des proportions démesurées.

Marcel dirigea sa frustration vers Mitsuha.

« Maître ! Pourquoi avez-vous appris à ces gens des plats que vous ne m’avez pas appris ? ! », s’écria-t-il.

« Qu’est-ce que c’était ? ! »

« Hé, c’était de la nourriture de fête. Ces plats sont pour le grand public. Je ne pouvais pas vraiment te les apprendre à l’époque, non ? », répondit Mitsuha.

« Mais j’aimerais vraiment servir ça aux Ryner… »

« Euh, alors pourquoi ne pas apprendre en aidant dans cette cuisine ? Peut-être que tu pourrais même apprendre une chose ou deux au personnel d’ici. Après tout, ce sont tes camarades de classe. »

« Certainement ! »

Marcel s’était enfui vers la cuisine, laissant le propriétaire du restaurant la mâchoire ouverte et les gardes incertains de la suite des événements.

« Alors, qu’est-ce que vous voulez ? »

La voix de Mitsuha se faisait entendre dans tous les coins du restaurant.

« C’est ici que l’on peut manger la cuisine de Mitsuha ? ! »

Soudainement, l’atmosphère tendue fut brisée par une fille qui s’était précipitée violemment vers la porte.

« Ah, c’est Mitsuha ! », s’exclama-t-elle.

« Béatrice… »

La jeune fille fut bientôt rejointe par sa famille : Le comte Bozes, Dame Iris, Alexis et Théodore.

Hé, vous devez faire la queue ! Oh, mais pourquoi je dis ça, pensa Mitsuha alors que la famille entrait tout simplement. Alors que les autres nobles avaient essayé de se faire passer pour des roturiers, les Boz étaient toujours aussi effrontés et tapageurs. Personne n’avait le culot de se plaindre qu’ils coupaient la file. Les clients de la haute société tournaient leur visage dans l’autre sens, espérant ne pas être reconnus.

« Uhhh. Bernd, je les connais et ils me connaissent. Ça ne vous dérange pas si je les laisse couper la ligne ? »

Bernd hocha vigoureusement la tête, incapable de parler.

« Est-ce ici que ma fille travaille ? »

La porte s’était ouverte une fois de plus, et l’homme qui avait parlé n’était autre que…

« Ah, Votre Majesté. »

En entendant les mots de Mitsuha, Bernd s’était effondré.

Attention à ce bras cassé, pensa-t-elle.

Comme je l’avais dit, le restaurant avait quatre serveuses : Stella, Gritt, Ilse… et Sabine.

Sabine n’avait pas pu supporter l’absence de Mitsuha pendant une semaine entière, elle était donc venue au restaurant tous les jours. Mitsuha lui avait demandé de l’aider à gérer la nourriture et d’autres tâches diverses, et la jeune fille semblait apprécier cela. Elle s’asseyait même à côté des clients qu’elle aimait, leur parlait et partageait leur nourriture. En fait, Sabine faisait tout ce qu’elle voulait, mais les clients n’y voyaient pas d’inconvénient, et Mitsuha non plus. Cependant…

Bien sûr qu’ils s’en fichent, quel genre d’homme dirait non à cette jolie fille qui les flatte ? C’est un joli visage, n’est-ce pas ? Les femmes ne valent rien sans cela, hein !

Mais franchement, quand elle parle à ces types nobles, elle prend toujours des notes. Je n’en connais pas la raison, mais ça me fait peur !

Mitsuha était également légèrement impressionnée par les gardes amenés par le propriétaire du restaurant. Elle avait entendu dire que les gardes de la ville étaient tous des roturiers sans formation ni statut social, mais ils s’étaient rués aux côtés du roi avec une loyauté farouche. Le roi était accompagné par le chancelier et le garde du palais le plus âgé, tous deux semblaient très satisfaits de la prestation des gardes de la ville.

J’espère vraiment que cela améliorera leur réputation. Oh, mais j’y pense…

« Hé, les gars. Bernd a été attaqué par des voyous récemment, et je pense qu’il pourrait y avoir plus que ça… Vous pensez pouvoir vous renseigner ? », leur dit-elle en s’adressant directement à eux.

Mitsuha déplaça son regard des gardes vers le propriétaire du restaurant. Le roi le regarda, puis les gardes. Ils hochèrent ensuite la tête en signe d’encouragement.

« Tout de suite, Votre Majesté ! », répondirent rigidement les gardes de la ville.

Ce n’est pas comme s’ils avaient pu dire non, mais c’est une chance d’obtenir de l’avancement dans leur carrière ! Bonne chance, les gars !

Les gardes s’emparèrent du propriétaire du restaurant et de l’ancien employé du « Paradis » et les emmenèrent.

Ils ne vont pas rentrer chez eux, c’est sûr, pensait Mitsuha. Les propres gardes du roi étaient, sur ordre du vieil homme, postés à l’extérieur du restaurant.

De plus, il s’était avéré que l’ancien employé du « Paradis » avait commis un grave péché. La sphère culinaire dans ce monde valorisait les relations, notamment l’affection des seniors pour les jeunes travailleurs, les liens entre les collègues cuisiniers et cuisinières, et la gratitude envers ses instructeurs, le troisième étant le plus important. La trahison de ce principe était si odieuse qu’aucun restaurant réputé ou cuisine noble de la capitale ne l’engagerait plus.

Le réseau des chefs locaux est vraiment quelque chose, se dit Mitsuha.

Après tout ce qui s’était passé, Mitsuha était sûre que personne ne s’immiscerait plus jamais dans le « Paradis ». Une partie d’elle s’inquiétait un peu du fait que le restaurant lui-même était désormais chamboulé.

Imaginez que vous disiez à quelqu’un : « Hé, il y a un restaurant de roturiers que les nobles aiment, le roi y entre de temps en temps, et il y a une princesse parmi ses serveuses ! » Bien sûr, ils vont dire que vous vous foutez de moi. Mais je n’avais pas prévu tout ça, je le jure ! Sérieusement, quand on parle d’exagération. Et en parlant de « tuer », j’espère bien que ce restaurateur ne va pas se faire tuer.

(NdT : Passage intraduisible qui joue sur deux mots anglais overkill [exagération] et kill [tuer])

Alors que le service reprenait, les trois enfants de Bozes insistèrent pour que Mitsuha leur prépare elle-même quelque chose à manger. Sabine avait abandonné toute prétention de travailler et avait rejoint son père pour commander quelque chose en tant que cliente.

Cela va sur votre note, Votre Majesté. Oh, bon. Je suppose que je vais offrir à la princesse un menu enfants improvisé avec un steak de Hambourg et de l’omurice.

Mais cela s’était avéré être une erreur, car tous les autres voulaient alors la même chose.

C’est à peine rentable, c’est pénible à faire, et ce n’est même pas au menu, bon sang !

« Je suppose que vous avez échoué pour ma demande, hein ? », soufflait Aneel, de retour à la cuisine.

« Euh, qu’est-ce qui vous fait dire ça ? », demanda Mitsuha, perplexe.

« Vous ne m’avez pas aidé… à faire l’entremetteuse avec Anel ! »

« Ah. » Cela m’avait complètement échappé.

« Hé, Votre Majesté, pouvez-vous m’aider à faire une union ? »

« NOOON ! »

Bernd s’était mis à crier de désespoir.

Tu es un papa ours quand ça compte, hein, Bernd ? Attends, quoi ? Ça ne te dérangerait pas parce qu’il se marierait dans la famille ? Tu m’as arrêté à cause de « quelque chose de bien plus important » ? C’est quoi ce bordel ?

Et donc, le « Paradis » continua à fonctionner comme un restaurant relativement normal. Outre le fait qu’il vendait de la cuisine Yamano, qu’il avait des nobles caché parmi ses clients, qu’il recevait souvent la visite du roi et qu’il employait une princesse comme l’une de ses serveuses. Chaque nouveau jour, il y avait une autre salle pleine, une autre file d’attente devant.

Vous devriez vous dépêcher d’engager plus de monde avant que l’un de vous ne s’effondre.

Toute l’épreuve du Paradis n’avait finalement pas été très rentable pour Mitsuha. Elle avait simplement aidé un restaurant qui ne se portait pas si bien. Entre les salaires des mercenaires et diverses autres dépenses, il ne lui restait plus qu’un peu plus d’une pièce d’or de profit.

***

Partie 4

Au moins, je me suis amusée, pensait-elle. Je vais jeter cette pièce d’or dans une de mes poches profondes. Après tout, elle a plus d’importance que l’or que j’ai gagné en vendant des lunettes.

Sabine avait pris goût à servir les clients, alors elle allait parfois au « Paradis » pour donner un coup de main. Elle servait les clients gratuitement — à moins que vous n’incluiez les repas du personnel — mais recevait suffisamment de pourboires des clients pour mettre de côté une bonne somme d’argent. La princesse était extrêmement douée pour demander des choses.

De plus, elle était toujours sous l’œil attentif de ses gardes pendant les heures de travail. Certains se déguisaient en clients, tandis que d’autres se faisaient passer pour de simples citoyens se promenant ou rôdant à l’extérieur du bâtiment.

Une fois leur contrat terminé, les deux femmes mercenaires étaient retournées à leur groupe, ayant gagné un joli pactole grâce à leurs pourboires et au travail lui-même. Elles auraient pu choisir une carrière confortable de serveuses, mais que feraient alors les pauvres hommes de leur groupe ?

C’est vraiment une question de visage ! Quoi ? Je n’ai pas eu de pourboires parce que j’étais dans la cuisine tout le temps ? OK, je suis soulagée.

◇ ◇ ◇

« Je vois que nous ne savons presque rien d’elle », dit le roi.

« Effectivement », répondit le chancelier.

Les deux hommes se trouvaient dans le bureau du roi au palais royal. Saar se tenait debout et écoutait attentivement le souverain lire un rapport.

« Elle est apparue de nulle part dans le comté de Bozes. Peu après, elle tua seule une meute de loups afin de sauver une villageoise, cette rencontre lui laissa de graves blessures dont elle se remit rapidement. Elle fit ensuite la connaissance de la famille Bozes et ouvrit un curieux magasin dans la capitale.

De plus, les marchandises qu’elle vend ont des origines inconnues, ses connaissances sont exceptionnelles et elle a fait preuve d’un talent exceptionnel en tant qu’animatrice du bal des débutantes de la jeune fille Ryner. J’ai du mal à croire qu’elle ne soit qu’une jeune femme noble venant d’un petit pays lointain. »

« L’archiprêtresse de la foudre, hein ? Un vrai personnage. Elle semble au moins ne pas vouloir faire de mal au royaume. Nous nous sommes rencontrés lors de la dissolution d’un réseau de trafic d’êtres humains, et d’après ce que j’ai entendu, elle aide beaucoup les gens. Elle a même sauvé Sabine, qui s’est beaucoup attachée à elle. Et vous devez aussi la remercier pour ces lunettes. »

« C’est vrai… »

« De toute façon, je ne vois aucun problème avec elle. Nous devrions même travailler pour la rapprocher de nous. Après tout, elle est… »

« Très intéressante, Votre Majesté. »

« En effet, elle l’est ! »

Leurs rires résonnèrent dans tout le bureau.

◇ ◇ ◇

« Hein ? Une invitation du roi ? », demanda Mitsuha.

« Oui. » Sabine fit un signe de tête.

« Mon frère aîné revient de son entraînement pour les campagnes avec la garde royale, et ma sœur revient de sa mission diplomatique dans un autre pays. Il veut te les présenter au cours du dîner. »

Franchement, c’est vraiment une douleur de niveau royale.

Mitsuha n’avait aucune idée de la raison pour laquelle elle devait être présentée à l’autre prince et à la princesse. Alors qu’elle et Sabine étaient en bons termes, les autres lui étaient fondamentalement étrangers. Elle ne comprenait pas pourquoi cela devait changer. Même le roi lui-même n’était pour elle que le « père d’une amie. »

Les pères qui se soucient trop des amies de leur fille sont des cinglés. Mais c’est le roi… Ce sera probablement bien pire pour moi si je dis non. Je suppose que je dois donc y aller.

◇ ◇ ◇

« Je suis là ! »

« Elle est là ! »

Mitsuha arriva au palais pour trouver Sabine qui l’attendait à la porte.

Je suppose qu’elle est très excitée à l’idée qu’une amie vienne visiter sa maison. C’est mieux que d’être accueillie par des soldats à l’air sinistre. J’aime les vieux hommes raffinés, pas les vieux pets sales.

La princesse conduisit Mitsuha dans une pièce relativement simple, et il lui fallut un moment pour réaliser que c’était la même que la dernière fois.

Peut-être que le palais a moins de pièces que je ne le pensais.

Le roi et sa femme étaient déjà à l’intérieur. La reine était belle, mais son silence minimisait sa présence dans la pièce.

Oh, j’ai compris. Elle laisse juste les projecteurs focalisés sur son mari. Bien joué, madame, pensa Mitsuha

En plus des deux parents, il y avait un prince qui avait peut-être un peu plus de vingt ans, et une princesse qui semblait avoir la vingtaine.

Attendez, elle a la vingtaine et vit toujours chez ses parents ? Dans ce genre de monde ? Vous savez, ça fait d’elle une vieille fille, enfin peu importe. Je ne voulais pas dire ça, d’accord, alors ne me regardez pas comme ça ! Et vous venez de lire dans mes pensées ? Est-ce que le professeur X est votre père ou quelque chose comme ça ?!

Au final, il y avait une princesse à la fin de son adolescence — dix-sept ou dix-huit ans, devinait Mitsuha — et les deux petits membres de la royauté qu’elle connaissait déjà, Sabine et Leuhen.

Toute la famille était présente, et leurs regards conjugués avaient donné à Mitsuha l’impression d’être évaluée tout au long du dîner. Les regards du frère et de la sœur aînés étaient particulièrement sévères. Ils ne semblaient cependant ni malveillants ni hostiles, et Mitsuha supposa qu’ils ne faisaient qu’évaluer l’étrangère dont leur plus jeune sœur était soudainement devenue si friande.

Ce n’est pas comme si j’avais voulu que cela se produise. Ahh, Sabine, ne t’avise pas de parler des DVD !

Quand le dîner s’était finalement terminé, Mitsuha fut heureuse de partir. Bien qu’elle ait d’abord appréhendé de se joindre à eux, leurs discussions sur les spécialités et les états économiques des différents territoires du pays avaient rendu l’affaire intéressante. Cependant, le roi lui avait également parlé des pays environnants. L’aînée des princesses avait même demandé son avis.

Pourquoi ? Je ne suis qu’une marchande ! Je me fiche que les voisins aient des soupçons. Et pourquoi le prince parle-t-il autant d’épées ? Est-il taillé dans le même tissu que Théodore ?

◇ ◇ ◇

En une occasion particulière, Mitsuha prit un jour de congé. Elle le faisait quand elle en avait envie, mais préférait réserver ces jours pour ses affaires au Japon. Cette fois, cependant, elle prit d’autres dispositions.

Elle s’était rendue dans la forêt où elle avait campé avec le groupe de Sven il n’y a pas si longtemps. Son but, vous demandez-vous ? Eh bien, le capitaine des mercenaires sur Terre l’avait invitée à un barbecue, et elle voulait trouver un cadeau pour lui et le reste de son équipage.

Oui, en fait, je suis devenue très amie avec le groupe des mercenaires, et pas seulement avec le capitaine. Il y avait chaque fois un nouvel instructeur, et on se mettait toujours à discuter. De plus, ils viennent tous de pays différents et je pouvais parler la langue maternelle de chacun, ce qui m’a aidée à marquer des points avec eux.

Maintenant que j’y pense, Sven et son groupe sont aussi des mercenaires. C’est fou que je puisse connaître des mercenaires de deux mondes complètement différents, et ce sont tous des gens bien.

Elle s’était tournée vers des cibles potentielles pour sa chasse. Tout d’abord, un sanglier serait trop pour elle. Ce n’était pas comme si elle ne pourrait pas en abattre un, mais parce qu’elle ne pourrait tout simplement pas le porter. Elle avait choisi de s’attaquer aux lapins à la place. Les oiseaux étaient également une option viable, mais arracher toutes les plumes aurait été un processus fastidieux.

Si j’avais plus de temps, je ferais un oiseau farci de légumes ou d’herbes… Tant pis.

Au final, elle avait réussi à avoir quatre lapins. Voulant s’entraîner, elle avait choisi d’utiliser son lance-pierre plutôt qu’une arbalète.

Je vais en prendre deux dans chaque main et… Et ben, ils sont lourds. Ahh, ow ow ow ow! Une des cornes vient de s’enfoncer dans ma jambe ! Hein ? Ai-je oublié de mentionner que les lapins ici ont des cornes ? Mon cerveau les traite juste comme des « lapins », pas comme des « lapins à cornes » ou quoi que ce soit d’autre, cela m’apprendra.

Une fois son objectif atteint, Mitsuha s’était rendue dans une partie vide de la base des mercenaires. Les flammes faisaient rage sous les nombreuses grilles de barbecue de fortune, que les mercenaires avaient assemblées à l’aide de barils de métal découpés.

Elle devrait bientôt arriver, pensa le capitaine.

Quelques secondes plus tard, il la vit, ainsi que les objets étranges qu’elle tenait dans ses mains.

« Je suis là ! », dit-elle d’une voix chantée.

« Euh, je vois ça », répondit maladroitement le capitaine.

Il fut surpris par son apparence.

Les vêtements qu’elle portait lui rappelaient immédiatement les hobbits. À sa ceinture, elle avait équipé un 93R, un revolver, un couteau, un poignard et une fronde. Une arbalète était placée dans le dos. Tout son ensemble, combiné à ses cheveux noirs soyeux et à son visage jeune, lui donnait l’air d’une sorte d’elfe ou de fée.

Maintenant que j’y pense… Elle a payé en yens la première fois. Les employés d’hôtel et les hommes d’affaires appellent parfois les Japonais des « fées », non ? Je suppose que c’est logique. Ce sont de petites créatures polies qui sont toujours occupées, qui ont toujours le sourire et qui font prospérer les lieux. Et si quelque chose de mal leur arrive, elles ne se plaignent pas, elles disparaissent et ne reviennent jamais. Une fois que l’une d’elles est partie, les autres suivent, et quand elles sont toutes parties, l’endroit part en couille. C’est ce qu’on m’a dit, en tout cas.

Un de mes garçons a dit qu’elles étaient comme une sorte de créature appelée… c’était quoi, un « zashiki warashi » ? Mais ce type s’en prenait toujours au Japon. Qui sait de quoi il parlait.

Bien que Mitsuha soit étrange à bien des égards, le capitaine l’appréciait en tant que partenaire commercial. Elle payait bien, ne causait jamais d’ennuis et n’était généralement qu’une fille amusante et intéressante, bien que de petite taille.

Cependant, il ne savait que faire des choses qu’elle avait apportées cette fois-ci. Vous pouvez continuer à dire que ce sont des lapins autant que vous le voudrez, mais savez-vous que les lapins n’ont pas de cornes ? Ouais, je les ai quand même mangés ! Et oui, ils avaient un goût génial, bon sang !

Un des jeunes hommes du groupe mit en ligne des photos de Mitsuha et des animaux étranges sur Internet, avec la légende suivante : « Une princesse est venue à notre barbecue. Elle a apporté des lapins à cornes avec elle. #justmercthings »

Allez, mec, as-tu déjà entendu parler de la vie privée ? pensa le capitaine.

Quelques jours après leur barbecue, ils reçurent la visite d’un certain nombre d’excentriques. L’un d’eux se disait érudit et voulait voir les lapins à cornes. Les mercenaires l’avaient informé qu’ils les avaient déjà mangés et avaient enterré les restes. En réponse, il les avait rapidement déterrés, leur remit sa carte de visite et partit.

Mais qu’est-ce qui se passe ? Et non, vous n’allez pas voir ou prendre des photos de la fée, bande d’idiots ! Foutez le camp et occupez-vous de vous !

Et donc, les jours paisibles continuèrent pour moi, même si ce n’était pas le cas pour les autres, pensa Mitsuha. Hein ? Ce n’est pas la vraie paix, alors ? Oups.

***

Chapitre 13 : Ce qu’est vraiment la guerre !

Partie 1

« Nous sommes en guerre », dit le roi.

Ses paroles s’adressaient à Mitsuha, qui avait été invitée au palais une nouvelle fois par le Sabine Express.

Celle-là, je ne l’ai pas vu venir.

« Je voudrais que vous preniez Sabine et que vous l’évacuiez vers un autre pays. »

C’est donc pour ça que je suis ici.

« ABSOLUMENT PAS ! », m’étais-je écriée.

Le roi et le chancelier furent surpris par ce rejet rapide.

« J’ai versé du sang, de la sueur et des larmes pour construire mon magasin. Le laisser derrière moi n’est qu’un dernier recours ! »

« Oh, ce n’est qu’une évacuation temporaire. Voyez ceci comme une mesure de précaution. Vous serez autorisé à revenir dès que le problème sera réglé. »

« Mais ce n’est pas une garantie, n’est-ce pas ? Je protégerai mon propre magasin, et si le pire devait arriver, je me contenterais de me retirer avec lui ! »

« Vous retirez de vous-même ? Pourquoi en arriver à un tel point ?! »

« Mon magasin est ma maison et mon château. Si vous voulez entrer par effraction, vous allez tomber avec moi ! »

Le roi avait l’air mal à l’aise.

Naturellement, Mitsuha n’avait pas vraiment l’intention de mourir avec son magasin. Lorsqu’elle parlait de se retirer avec lui, elle voulait dire littéralement — en cas d’urgence, elle se rendrait dans une zone inhabitée sur Terre, emmènerait le magasin avec elle, puis trouverait un lieu de retour sécurisé dans l’un des autres pays du monde. Transférer ainsi des bâtiments était un jeu d’enfant pour Mitsuha.

Pour poursuivre son activité ailleurs, il lui suffisait de faire croire qu’elle était morte lorsque le magasin avait disparu. Ainsi, elle pouvait y rester jusqu’au dernier moment. Le réseau d’information dans ce monde était relativement faible, et il n’y avait pas de photographie, elle n’aurait donc aucun mal à se créer une nouvelle vie quelque part ailleurs.

De plus, les gens pensent que je suis une petite fille, alors ils m’imagineront différente dans quelques années. Cela signifie que je serais en sécurité, parce qu’à ce moment-là, je serais toujours la même. Dommage pour vous, les détectives en herbe, je suis déjà adulte ! Ah… Même si c’est un bon plan, ça fait quand même mal, bon sang !

En fait, Mitsuha ne voulait pas s’engager dans une guerre. Elle avait donc simplement refusé la demande du roi et quitté le palais. Cependant, elle avait l’intention de venir chercher Sabine si la situation du pays devenait désastreuse. La jeune princesse avait la capacité d’adaptation nécessaire pour résider n’importe où, que ce soit dans un autre pays de ce monde ou même sur Terre.

◇ ◇ ◇

De retour dans son magasin, Mitsuha avait longuement réfléchi. Aucun client n’était venu, sûrement parce que tout le monde avait entendu parler de la guerre. Ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait faire en secret, et cela ne servait à rien. La guerre impliquait la mobilisation d’un grand nombre de soldats, l’appel de volontaire et de mercenaire, le rassemblement de la nourriture et d’autres fournitures de guerre… Ces activités ne pouvaient tout simplement pas être cachées.

Maintenant que la saison des bals était terminée, les nobles étaient tous rentrés sur leur territoire. Béatrice avait voulu rester dans la capitale, mais finalement, elle était aussi rentrée avec sa famille. Les seuls nobles restants étaient ceux qui avaient des fils ou des subordonnés pouvant gérer leurs terres, et les nobles sans terre qui n’avaient du pouvoir que par leurs postes.

Selon le roi, le pays avec lequel ils étaient maintenant en guerre agissait de manière suspecte depuis un certain temps, mais il ne s’attendait pas à ce qu’ils agissent aussi rapidement. Ils n’auraient pas dû avoir assez de moyens militaires et financiers pour mener une guerre pendant plusieurs années, et aucun des deux pays n’étaient terriblement appauvris ou ne manquait d’options, aussi le roi s’était-il demandé ce qu’ils prévoyaient.

Le roi s’était donc demandé ce qu’ils prévoyaient, jusqu’au moment où il reçut une nouvelle bouleversante : l’empire ennemi avait en quelque sorte ajouté des monstres — des orcs, des ogres et autres — à leur armée.

En plus de ces conditions pénibles, quelques nobles ayant des territoires frontaliers à cette nation avaient choisi de se ranger avec eux. Normalement, ces nobles auraient dû tenir les ennemis à distance tout en gagnant du temps pour que le royaume rassemble ses forces. Cependant, avec leur trahison, l’armée ennemie avait rapidement traversé les territoires frontaliers et avait écrasé tous les autres sur son passage alors qu’ils avançaient vers la capitale.

Des messagers express avaient été envoyés dans tout le royaume avec des demandes de renforts. Ils changeaient constamment de chevaux et de cavaliers pour gagner du temps, mais il ne semblait pas pouvoir réussir à le faire avant que l’ennemi n’arrive à la capitale. Même les forces les plus proches du chemin de conquête de l’ennemi avaient du mal à se mettre en travers de leur chemin.

De plus, personne dans le royaume ne savait pourquoi les monstres avaient rejoint l’armée ennemie — après tout, les créatures ne pouvaient pas être communiquées.

Pour dire les choses simplement, ce conflit ne se présente pas très bien, le royaume est pratiquement en échec et mat, réfléchit Mitsuha.

Son bienfaiteur, le comte Bozes, résidait près de la mer, de l’autre côté du pays, loin de l’invasion. D’une part, son territoire serait en sécurité, mais d’autre part, ses troupes n’arriveraient manifestement pas à temps. Les armées étaient bien plus lentes que les diligences, mais d’après ce qu’on avait dit à Mitsuha, l’ennemi atteindrait bientôt les portes de la capitale.

Après tout, il faut un certain temps pour que les informations arrivent des postes d’observation à la ville. Hmmm.

Très bien, j’ai compris. Je vais aller au palais. Si quelque chose arrive, je peux juste revenir sur Terre, puis au magasin. Mes priorités pour l’instant étant la collecte d’infos et le soutien de la petite Sabine. Et bien sûr, je vais y aller tout équiper !

Mitsuha équipa un gilet pare-couteaux, trois pistolets, un couteau, une dague et quelques chargeurs de rechange. Elle régla le système de sécurité du magasin en mode défense maximale. Si quelqu’un entrait, cela déclenchait un signal de fumée et lumineux, l’alertant immédiatement.

C’est parti !

◇ ◇ ◇

Les gardes avaient laissé Mitsuha entrer dans le palais sans problème, ce qui l’avait d’abord prise au dépourvu.

Oh, vous connaissez mon visage ? Et le roi vous a dit de me laisser passer ? Très bien.

Reconnaissante pour leur accueil, elle était entrée dans le bâtiment. Cette fois, elle n’était pas venue voir le roi. Ils s’étaient déjà rencontrés récemment, et il était probablement trop occupé pour la voir maintenant. Elle chercha Sabine à la place, mais n’eut aucune chance de la trouver.

Je vais devoir demander à quelqu’un. Mais j’ai l’impression qu’une personne qui se promène dans un palais à la recherche d’une princesse aurait l’air un peu suspicieuse. Ce sera difficile de donner le change.

En se promenant, Mitsuha tomba sur le chancelier, qui lui fit savoir que le roi était occupé. Avant qu’elle ne puisse demander où trouver Sabine, il lui demanda de venir assister à une réunion, la traînant pratiquement avec lui.

Hé, ce n’est pas une demande ! Tu me forces totalement à venir ! Quel genre de réunion est-ce, d’ailleurs ? Et en quoi ça me concerne ? On parle affaires ? Tu veux des provisions ? Oh, alors c’est un conseil de guerre. Je crois que j’ai compris.

La salle du conseil dans laquelle ils étaient entrés était déjà occupée par une trentaine de personnes, chacune d’entre elles semblait être de type noble ou militaire. Elles étaient assises sur de simples chaises, et au fond de l’espace, il y avait une longue table avec quelques personnages distingués derrière elle.

Euh, tu vas me traîner jusqu’ici ? Je suis d’accord pour m’asseoir à l’arrière ! Regarde, maintenant ils me regardent tous !

« Et qui est-ce, chancelier ? », demanda quelqu’un.

Tu vois ?

« Tout le monde, voici l’authentique Mitsuha », dit le chancelier.

« Ahh, la fameuse Mitsuha, hein ? »

Que voulez-vous dire par « fameuse » ? Qu’est-ce que vous avez entendu sur moi ?

« Mitsuha ! », un des hommes dans la salle se leva, courant vers elle avec les bras écartés.

Est-ce que ce type vient pour un câlin ? Pas possible !

THWACK !

Mitsuha enfonça son poing dans son ventre. Le capitaine des mercenaires lui avait appris à frapper, et la façon dont l’homme s’était effondré lui fit comprendre qu’elle était une élève modèle.

Attends… C’est Alexis !

« Comment as-tu pu ? », couina-t-il.

Ses yeux débordaient de larmes tandis que les autres se moquaient de lui.

Qu’est-ce qui t’a fait croire que tu pouvais m’étreindre devant les gens ? De plus, as-tu le droit de le faire ?

Mitsuha découvrit vite qu’Alexis avait été envoyé à la capitale pour recueillir des informations et ouvrir des lignes de communication en tant que représentant de son père. Pendant ce temps, le comte Bozes préparait son armée pour soutenir la capitale.

La responsabilité d’Alexis était grande. Mitsuha comprenait parfaitement pourquoi il participait au conseil de guerre. Il avait même un siège près de l’avant de la salle, ce qui montrait à quel point le fils d’un comte était vraiment important. De plus, si c’était son devoir, sa présence ici était probablement aussi un moyen de l’aider à acquérir un certain prestige.

Il était venu ici avec une voiture rapide, ce qui signifiait que le voyage ne lui avait pris que trois jours. Les forces du comte devaient arriver dans sept jours.

Les troupes sont lourdement chargées, arriver ici en une semaine est plutôt bien compte tenu du calendrier aussi serré, pensait Mitsuha.

Finalement, Mitsuha avait obtenu une place dans l’une des premières rangées, assez proche du bord. Par la suite, le conseil discuta de l’état actuel des choses, examina les itinéraires de l’ennemi, etc. Selon toute vraisemblance, les forces hostiles arriveraient à la capitale dès demain soir, y camperaient, puis assiégeraient la ville le lendemain matin.

***

Partie 2

Ils pensaient que l’armée ennemie était composée d’environ 20 000 individus, dont 3 000 étaient composés de monstres, dont des gobelins, des orcs et des ogres. Les forces alliées du royaume ne s’élevaient qu’à 2 000 hommes. Les troupes qui avaient été déployées pour gagner du temps ayant probablement été tuées au combat, il valait donc mieux ne pas les compter. Le plan actuel était de défendre la ville avec l’armée de la capitale, des gardes, des gardes royaux et des mercenaires jusqu’à l’arrivée des renforts des autres territoires.

À l’avant de la salle, au centre du groupe de gros bonnets à la table, se trouvait le commandant suprême, le marquis Eiblinger. Ses cheveux commençaient tout juste à devenir poivre et sel, mais il était un héros de guerre décoré. Il avait bravé les lignes de front avec un grand Zweihänder à la main jusqu’à ce qu’il hérite du titre de son père. Le respect et l’admiration de ses pairs avaient fait de lui le meilleur homme pour ce travail.

Alors que la table ronde réfléchissait à la manière de positionner leurs forces, les gardes avaient laissé entrer dans la salle un soldat à l’air fatigué. Il était vêtu d’une armure de fer et avait une courte épée à ses côtés.

« Je viens avec un message sur l’état de l’armée ennemie », déclarait-il, en glissant un grand sac en cuir sur son épaule et en l’ouvrant.

Avant qu’elle ne s’en rende compte, Mitsuha bondit de sa chaise et se précipita vers le marquis Eiblinger, ses pensées traînant en longueur.

Ce n’est pas normal — un coursier parcourant une longue distance porterait une armure de cuir léger et garderait le message dans un endroit plus discret sans que d’autres choses ne viennent le gêner. Je sais qu’il pourrait être tendu à l’idée de parler à ces gens, mais ces yeux sont trop injectés de sang — le sac en cuir dur est pénible à porter — il est comme un chasseur prêt à frapper — si je tire, je frappe les gens derrière lui — je suis une idiote — je vais mourir — mais je dois empêcher la mort du marquis — le chaos serait trop mauvais — il me fallait du kevlar à l’épreuve des balles et non des couteaux — aaahhhh !

Mitsuha défendit le marquis comme un gardien de but en handball. Elle n’avait pas regretté sa réaction réflexe, même si on lui avait laissé le temps de réfléchir, elle aurait fait de même.

Je suis Mitsuha, bon sang ! Mitsuha Yamano !

Le faux messager sortit une petite arme à plusieurs coups. Elle avait la forme d’une arbalète et un design spécial qui lui permettait de libérer cinq flèches à la fois. Juste avant qu’il ne tire, quelqu’un sauta devant Mitsuha.

THUD.

L’épaule gauche de Mitsuha devint douloureuse au moment où elle était tombée en arrière. Un moment plus tard, un homme s’était effondré sur elle. Son épaule et son abdomen étaient criblés de flèches.

Lorsqu’il s’était rendu compte qu’il avait manqué sa cible, l’intrus dégaina son épée courte et se précipita vers le marquis. Comme il s’agissait du palais royal et que tout le monde était assis ensemble dans un espace restreint, la plupart des gens avaient enlevé leur ceinture d’épée et ne pouvaient pas manœuvrer à temps pour agir.

Mitsuha sortit le 93R d’une main tremblante, tenta de le stabiliser avec l’autre et visa son adversaire. La douleur s’était emparée de son épaule gauche, mais celle-ci fut supprimée par l’adrénaline ou la dopamine ou tout ce qui commença à lui traverser l’épaule. Cela n’avait cependant pas empêché ses bras de trembler.

Elle était allongée sur le sol, regardant l’assassin courir vers elle. Sous cet angle, les balles qui ne le toucheraient pas atteindraient le plafond — aucune personne ne serait en danger.

Je peux lui tirer dessus !

B-B-BANG, B-B-BANG, B-B-BANG !

Trois balles furent ainsi tirées. Le futur assassin s’était effondré sur le sol. La pièce s’était tue, n’osant plus respirer.

« Mitsuha… Est-ce que je passe… en tant que chevalier ? », demanda son protecteur d’une voix faible.

« Alexis ! Non, en fait. Tu as totalement échoué ! », dit Mitsuha en le regardant.

« Échoué !? »

Son public s’était laissé aller à l’incrédulité.

« Comment !? »

C’est facile à comprendre, pensait-elle

« Regarde, il y en a une dans mon épaule ! Alors oui, tu as échoué. »

« Haha… »

Alexis rit sèchement, la tête baissée.

« Mais je respecte ton effort. Tu as peut-être fait une erreur, mais je ne te disqualifie pas encore. Ne me déçois pas la prochaine fois. »

« La prochaine fois, hein ? »

« Oui. La prochaine fois. »

Oh, c’est donc ce qu’elle voulait dire, pensaient les hommes dans la salle.

Mais les vétérans présents savaient très bien qu’il n’y aurait pas de « prochaine fois ». Une blessure à l’épaule n’était guère mortelle, mais sa blessure à l’estomac se décomposerait rapidement. L’âme courageuse allait mourir d’une mort douloureuse en quelques jours seulement… vraiment une honte.

Alexis ferma les yeux au moment où la douleur lui ôtait toute conscience.

« Ahaha. »

Le rire soudain de Mitsuha fit sursauter tout le monde.

« Haha… Ahaha… AHAHAHAHAHAHA ! »

La peur et le chagrin l’ont-elles rendue folle ? ! se demandaient-ils, sentant un changement dans l’air.

« Je me retenais. Tout ce temps, je me retenais. », dit-elle sans parler à quelqu’un de particulier.

Qu’est-ce qu’elle dit ?

« J’ai essayé de ne pas gâcher la progression de ce monde, pour m’assurer que les gens qui travaillent dur ici ne souffrent pas. Je veux dire, je sais que j’en ai fait trop ici et là, mais je me retenais encore beaucoup. Et voilà ce que j’obtiens ? J’ai failli mourir, et je n’ai même pas pu protéger un de mes proches. »

Les membres du conseil n’étaient pas sûrs de ce dont elle parlait, mais ils avaient compris qu’elle exprimait un certain regret.

« C’est ça. ASSEZ ! PLUS DE RETENUE ! JE VAIS LEUR MONTRER CE QUE J’AI ! »

Mitsuha se tourna vers le marquis.

« Seigneur Eiblinger, je reviendrai après-demain, à l’aube. Si vous voulez bien, interdisez le passage dans la cour intérieure du palais à partir de demain soir. »

« Eh bien, je n’ai rien contre cela, mais que prévoyez-vous ? »

« Je vais préparer une armée invincible. Et à l’aube, dans deux jours, l’ennemi… »

Elle fit un sourire sinistre.

« … connaîtra le vrai sens de la peur et du désespoir. Ils verront que l’enfer existe dans ce monde. »

L’instant suivant, Mitsuha et le jeune homme inconscient disparurent de la pièce.

◇ ◇ ◇

Wolfgang, le groupe de mercenaires avec lequel Mitsuha s’était alliée, disposait d’un énorme quartier général. Le terrain dans la région avait été assez peu coûteux, ce qui leur avait permis de vraiment s’étendre. Ils avaient même assez d’espace pour construire une salle de détente, qui se trouvait dans un bâtiment de deux étages à un coin de la base. Actuellement, le capitaine des mercenaires jouait au billard et fumait une cigarette dans cette même pièce.

Cependant, son temps de loisir était sur le point de prendre fin de façon très abrupte.

WHUMP !

Arrivant de nulle part, une cliente qu’il ne connaissait que trop bien s’était matérialisée à quelques mètres au-dessus de la table et tomba immédiatement dessus. Elle était ensanglantée, se tordant de douleur, et dans ses bras se trouvait un jeune homme dans un état encore pire. Le capitaine se jeta sur eux deux, la queue toujours en main.

« Ow, ow, ow ! Ces boules sont si dures ! », cria Mitsuha.

Il n’y a aucune chance que ça fasse plus mal que cette flèche qui dépasse de ton épaule, pensa le capitaine.

« Allez chercher le médecin. Il m’a protégé ! Ne le laissez pas mourir ! », dit-elle, en roulant sur la table avec une expression sérieuse.

Le capitaine fit un geste de la mâchoire, incitant les jeunes mercenaires autour de lui à agir. L’un d’eux appela le médecin, tandis que l’autre commença à administrer les premiers soins à l’homme inconscient. Mais il n’avait pas retiré la flèche, ce qui aurait aggravé l’hémorragie, et l’état de sa tête n’était pas encore clair.

Ce type a mis sa vie en danger pour protéger la petite dame, alors il est évident qu’on va le soigner. On ne peut pas laisser un type comme lui clamser. Mais je n’aime pas cette flèche dans son épaule. Si tu veux la protéger, ne fous pas tout en l’air, mec. Tu mangeras mon poing quand tu reviendras de la porte de la mort. Il posa la queue et prit un verre sur une table voisine.

« Capitaine, vous avez dit que vous n’avez pas de gros boulots en vue, non ? », demanda Mitsuha.

« Ouais. »

La fille sourit d’une oreille à l’autre : « Eh bien, je veux tous vous engager. On partira après-demain dans la matinée. Il y a environ vingt mille ennemis, dont des monstres. Je vous paierai 40 000 pièces d’or minimum… sinon plus. Vous êtes prêts ? »

CRASH !

Huh, un type a fait tomber son verre. Quelle mauviette, pensa le capitaine.

Mon Dieu, j’ai la gorge super sèche. Laisse-moi juste boire ça et… Aw, merde. C’est moi qui l’ai fait tomber.

« Avant ça, ma petite dame… »

« Hmm ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Allons à l’hôpital pour te retirer cette flèche, d’accord ? »

***

Chapitre 14 : La marche de l’archiprêtresse

Partie 1

Quand Alexis s’était réveillé, Mitsuha lui avait dit qu’il était dans son pays. La technologie médicale y était très avancée, et il serait en voie de guérison tant qu’il obéirait aux gestes du médecin. Elle ajouta qu’elle serait de retour dans quelques jours, et qu’ils reviendraient dans le royaume une fois qu’il serait guéri.

Soulagé, il se rendormit.

Mitsuha elle-même avait déjà fait retirer le carreau de son épaule et recoudre la blessure. Selon le personnel médical, celle-ci se remettrait complètement sans laisser de cicatrice. Elle avait été ravie de l’entendre.

Tous les mercenaires avaient été convoqués d’urgence, même ceux qui étaient en vacances. Mitsuha leur avait assuré qu’ils avaient la possibilité de se retirer de ce travail, mais elle se demandait encore combien des 59 membres participeraient.

En ce jour, tout le monde se préparait au combat. Certains vérifiaient l’état des armes et des véhicules, d’autres s’efforçaient d’obtenir davantage de munitions. Il y avait une quantité décente en réserve, mais compte tenu de la quantité de travail que cette mission exigeait, ils avaient décidé d’en acheter plus, juste pour être sûrs.

Mitsuha trouva le temps d’expliquer le type de forces auxquelles ils seraient confrontés. Elle mentionna que les orcs étaient probablement trop coriaces pour être abattus avec une seule balle d’arme de poing, et que les ogres et au-delà survivraient probablement aux salves de tirs des armes de poing, des SMG, et peut-être même des fusils d’assaut de 5,56 mm.

Je n’en avais pas combattu moi-même, c’est donc juste une supposition basée sur ce que le groupe de Sven m’a dit.

Les mercenaires savaient qu’ils se rendaient dans un autre monde. Les visites et le comportement de Mitsuha jusqu’à présent étaient assez étranges, mais la façon dont elle s’était montrée cette fois-ci ne laissait aucune place au doute. La plupart d’entre eux l’avaient accepté sans hésiter, et personne ne l’avait vraiment interrogée à ce sujet.

Tout comme Sven et son groupe, ils respectent la vie privée de leur employeur. Ce doit être un truc de mercenaires.

◇ ◇ ◇

À cinq heures du matin, environ un jour et demi après l’apparition de Mitsuha dans la salle de jeux, 57 mercenaires s’étaient mis en formation devant les garages de véhicules.

Devant eux se tenait Mitsuha, vêtue d’une robe blanche et d’une ceinture de fusil. Il y avait un 93R sur son côté droit, et comme son bras gauche était encore paralysé, elle n’avait pas sa dague et son revolver habituels. Elle portait à la place plusieurs chargeurs de rechange. Bien que son bras gauche soit attaché dans une écharpe, elle pouvait toujours bouger sa main et l’utiliser pour recharger.

Elle leva alors sa main droite. Tout le monde se tut et attendit.

« Messieurs, c’est l’heure de la guerre ! Ils sont vingt mille et nous sommes cinquante-huit ! Il ne fait aucun doute que cette mission sera dangereuse. Cependant, vos récompenses seront l’or, l’honneur, la reconnaissance et la gratitude éternelle du peuple.

Dans la guerre, chaque camp prétend être dans le droit, mais ils sont tous les mêmes. Il n’y a pas de justice. Ils se battent pour l’argent et le pouvoir, et ceux qui souffrent sont toujours les petites gens. Mais pas cette fois-ci ! Notre mission est de défendre les innocents de la capitale contre un ennemi qui, non seulement, a violé un traité, mais a aussi envahi le pays avec une horde de monstres ! »

Elle s’était arrêtée. Ses yeux avaient balayé leurs visages avant de continuer ainsi.

« Je dis que dans ce combat, nous SOMMES la vraie justice ! »

« YEEEAAAAAHHH ! »

Le rugissement des mercenaires était assourdissant.

« Je vais m’éloigner pendant dix minutes. Ceux qui ne veulent pas se battre, partez maintenant. Ceux qui restent vont venir avec moi sur le champ de bataille. J’ai confiance en votre courage. »

Mitsuha était alors descendue de la plate-forme et entra dans un bâtiment voisin.

Dix minutes plus tard, les 57 mercenaires étaient toujours alignés et prêts à partir. Deux personnes étaient restées absentes du groupe, mais seulement parce qu’elles étaient en vacances loin, très loin.

« Aux véhicules ! », cria Mitsuha.

« Vous êtes vraiment quelqu’un, madame », remarqua le capitaine à bout de souffle.

Le début de son discours n’était qu’une reformulation de l’annonce de l’expédition subantarctique d’Ernest Shackleton, mais le capitaine, inconscient de ce fait, était ému par son don pour le leadership.

Wolfgang était en possession d’un grand nombre de véhicules : des véhicules blindés légers, des jeeps avec mitrailleuses montées, des camions bâchés… et « Dieu. »

« Dieu » était la seule chose en laquelle Wolfgang avait une foi inébranlable.

Une fois, alors que leur groupe était encore petit et sans nom, ils avaient été engagés pour combattre. Leur employeur — un militaire du gouvernement — les avait utilisés comme arrière-garde. Ils n’avaient ni le pouvoir ni la position pour protester, mais ils savaient que personne ne sacrifierait leurs troupes pour couvrir quelques mercenaires. Les soldats les avaient toujours regardés de haut. Après tout, même s’ils avaient choisi de se battre et de se sacrifier pour leur pays, les mercenaires ne prêtaient allégeance qu’à leurs salaires… du moins c’était ce que croyaient les soldats.

Du point de vue des soldats, il était tout à fait possible que ces chiens déshonorants se retournent rapidement et deviennent leurs ennemis si l’opposition leur offrait de meilleurs salaires. Mais tant qu’ils restaient alliés, les mercenaires ne se battaient pas contre les soldats. Ils n’avaient pas non plus à se soucier de la mort des mercenaires. En fait, les mercenaires auraient dû être honorés de mourir en tant que boucliers des soldats — ils étaient après tout en grande mission. C’était ce genre de mentalité qui avait conduit les militaires à utiliser les mercenaires comme appât et comme chair à canon pendant qu’ils battaient en retraite.

Sans camions de transport ni même de véhicules blindés légers, les mercenaires avaient été rapidement pourchassés par les soldats rebelles. Mais juste au moment où ils avaient accepté leur mort imminente, « Dieu » était descendu sur eux.

C’était un semi-chenillé qui avait été abandonné après avoir été consigné au sommet d’un gros rocher. Le véhicule était équipé d’un autocanon de 20 mm périmé. Les mercenaires désespérés l’avaient examiné et avaient vite découvert qu’ils pouvaient allumer le moteur en bricolant les systèmes électriques. Il s’était avéré que l’artillerie était encore pleinement fonctionnelle.

Ils avaient démantelé le semi-chenillé, l’avaient caché derrière le rocher et avaient tendu une embuscade aux soldats rebelles qui les poursuivaient. Le canon automatique de 20 mm avait rugi de façon féroce alors qu’il infligeait son châtiment divin. Même les camions ou les VBL n’avaient pas pu résister à la colère des obus de 20 mm qui explosaient.

En fin de compte, les mercenaires avaient survécu. Ils avaient alors dépensé beaucoup d’argent et d’efforts pour ressusciter la bête. Cette bête avait écrasé et dévoré ses ennemis. C’était l’incarnation métallique du grand loup. Elle leur avait servi de crocs de loup et était devenue l’homonyme de leur troupe, « Wolfgang ». Ces événements s’étaient produits il y a si longtemps que le capitaine actuel n’était pas encore connu sous le nom de « Capitaine », mais plutôt de « Jeunot ».

Cela faisait un moment que nous n’avions pas eu l’occasion d’utiliser Dieu, pensait le capitaine. Son regard s’était ensuite porté sur Mitsuha. Et cette fois, nous avons même un de ses anges. Il était certain de leur victoire.

Quelques secondes plus tard, les gens dans la cour disparurent, et une légère brise combla le vide.

◇ ◇ ◇

Comme il en avait reçu l’ordre, un soldat surveillait la cour intérieure du palais royal. Il avait perdu la notion du temps.

À quoi bon surveiller cet endroit ? pensa-t-il, les paupières tombantes. Les ennemis sont en dehors de la capitale, n’est-ce pas ? Ce sera le matin… bientôt…

Juste avant que le sommeil ne le rattrape, il y eut un changement rapide dans l’air. Il ouvrit les yeux, et devant lui se tenait une grande meute de bêtes étranges et anguleuses. Une fille en robe blanche montait sur l’un d’eux.

« Wolfgang est là ! »

Sa voix résonna dans tout le palais.

En apprenant la nouvelle, le marquis Eiblinger et les autres nobles officiers se précipitèrent dans la cour intérieure. Ils regardèrent Mitsuha avec admiration. Elle était passée de l’écoutille d’un VBL à l’agenouillement sur le dessus.

Mitsuha fit la grimace. C’est dur pour mes genoux.

« Tout le monde, prenez position ! Nous allons traverser la porte principale de la capitale à l’aube et détruire l’ennemi. Seigneur Eiblinger, vous restez dans la ville et protégez les portes. Je vous enverrai du soutien. »

« Hein ?! »

Laissant les nobles abasourdis derrière eux, les loups s’étaient rendus à leurs postes. Dans le cadre de ce plan, un groupe de six mercenaires avait été envoyé à trois des quatre portes de la ville, à l’exception de la porte principale au sud. Ils avaient fait le tour pour fournir aux forces de chaque porte du matériel, des mitrailleuses et des lance-grenades.

Une fois que tout le monde était suffisamment armé, les véhicules avaient convergé vers les portes du palais, traversèrent et s’arrêtèrent à la porte principale. Leurs bruits réveillèrent les habitants de la ville, qui sortirent en courant pour voir ce qui se passait.

« Coupez les moteurs ! », cria Mitsuha une fois qu’ils étaient arrivés, microphone sans fil à la main. Sa voix retentissante fut bientôt le seul son dans la capitale.

« À tout le monde ! J’aime ce pays ! »

Aucune des personnes du groupe Wolfgang ne connaissait la langue locale, ils n’avaient donc aucune idée de ce qu’elle disait. Elle leur en était reconnaissante.

« Je vous le dis, j’aime ce pays. J’aime cette ville ! J’aime les gens qui y vivent ! Pour vous protéger tous, je vais me souiller les mains avec le sang de nos ennemis. »

« Wolfgang, avançons ! »

La dernière partie étant en anglais, les mercenaires avaient donc remis les moteurs en marche et avaient repris leur progression.

« Ouvrez la porte ! », ordonna-t-elle.

Les gardes pouvaient difficilement refuser, ils avaient donc rapidement fait ce qu’elle leur avait dit. L’armée de véhicules passa lentement par la porte et quitta la ville. La robe blanche de Mitsuha dansait dans le vent.

« Ohh, bonté divine ! C’est la marche de l’archiprêtresse de la foudre ! », s’émerveilla quelqu’un.

« Vous la connaissez, vieux Leiden ? ! », lui demanda un jeune homme.

« Oui… Quand la troisième princesse a été attaquée par des crapules dans une ruelle, cette fille leur a envoyé la foudre ! Elle a dit qu’elle s’appelait “l’archiprêtresse de la foudre” ! J’ai tout vu de derrière un mur ! »

« Une archiprêtresse ? »

« Archiprêtresse de la foudre… »

« L’archiprêtresse de la foudre va se battre pour nous ! »

Les murmures s’étaient intensifiés, et la nouvelle s’était répandue. Bientôt, cela se transforma en cris de joie.

« Louez l’archiprêtresse ! »

« Saluez tous l’archiprêtresse de la foudre ! »

« On ne voit rien d’ici ! Grimpons sur le mur ! »

Je crois que j’entends quelque chose de dérangeant derrière moi, pensa Mitsuha, en ressentant un picotement inconfortable dans sa colonne vertébrale. C’est mon imagination, hein ? Oui, cela doit être ça. Je ne peux pas vous entendre ! Lalala !

Elle essaya de se couvrir les oreilles, mais malheureusement, elle n’avait pas pu lever son bras gauche.

Au moins, personne du groupe Wolfgang ne comprenait et ne se souciait des ragots.

Ouf, même ce nuage a un bon côté !

◇ ◇ ◇

L’ennemi — l’armée impériale — avait installé un quartier général de fortune en première ligne en vue de la capitale. À l’aube, le commandant suprême de l’invasion se mit à ordonner le début de l’attaque. Cependant, il perdit immédiatement son sang-froid en voyant ce qui se passait en bas.

« Ils ouvrent la porte principale ? »

Leur opération était censée être un siège. L’armée impériale avait déjà revu les plans à plusieurs reprises ; les forces de la capitale n’auraient pas dû avoir d’autre choix que d’essayer de tenir leur position jusqu’à l’arrivée des renforts quelques jours plus tard. Le royaume n’avait aucune connaissance de l’arme secrète de l’Empire, ils pensaient donc probablement qu’ils survivraient à l’assaut.

Ils ne sont certainement pas assez stupides pour essayer de nous combattre au grand jour, n’est-ce pas ? se demanda le commandant.

Une telle stratégie aurait pu être possible si un agent du royaume avait assassiné le commandant, mais c’était impossible autrement. Alors qu’il contemplait leurs intentions, une série de formes franchirent les portes, avançant sur une courte distance avant de s’arrêter aussitôt. Puis, les portes se refermèrent à nouveau.

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? »

Ce qui avait émergé des portes ressemblait vaguement à des voitures sans chevaux.

Sont-ils poussés par des gens ? Ou bien sont-ils simplement jetés pour gagner du temps ? L’ennemi est-il là pour négocier ? Je n’ai pas l’intention de les laisser nous faire perdre notre temps, mais il est de bon ton de faire une tentative.

« C’est une négociation. Allez-y. Et faites vite », ordonna-t-il.

« Comme vous voulez ! » Le noble responsable de ces questions se prépara rapidement, monta sur son cheval et partit au galop.

« Attention, quelqu’un arrive. Tireurs d’élite, préparez-vous à tirer. Votre cible est le soldat ennemi à cheval. », dit Mitsuha.

Elle avait envoyé l’ordre à travers un microphone attaché à sa gorge, qui avait été transmis aux snipers qui attendaient sur les murs.

***

Partie 2

Le cavalier s’était arrêté une centaine de mètres devant les véhicules et éleva la voix.

« Je suis un noble du vénérable Empire Aldar, le Comte Tristan von Lotz ! Actuellement, nous… »

« Tirez-lui dessus. »

BAAANG !

Le cavalier était tombé de son cheval.

« Comment osez-vous… ? Vous avez fait du mal à un messager ? ! Connaissez-vous l’honneur et la fierté, barbares ? ! »

Le commandant ennemi avait rougit de rage.

Soudainement, la voix de Mitsuha se fit entendre par des haut-parleurs, atteignant les 20 000 soldats impériaux, et peut-être même tous les recoins de la capitale.

« Vous ! Chiens sans honneur et sans fierté de l’empire ! »

« Qu-Quoi ? ! »

En entendant ses propres mots redirigés vers lui, le commandant commença à trembler.

Mitsuha continua son agression verbale.

« Vous avez violé le traité, vous vous êtes faufilés dans ce pays avec l’aide de quelques traîtres, vous avez ajouté des monstres à votre armée, et vous avez tué des civils sur votre chemin. Des bandits glorifiés comme vous n’ont pas le droit de parler d’honneur ou de fierté !

Dieu est en colère. Peu importe le courage avec lequel vous vous battez ou le genre d’actions que vous faites ici, vous, les chiens impériaux, n’irez pas à ses côtés ! L’enfer est l’endroit auquel vous appartenez tous ! »

Le commandant voulait répliquer, mais il avait beau crier, il ne pouvait pas parler à la fille. Alors que sa voix atteignait tous ses soldats, la sienne ne pouvait être entendue que par ses proches. Il serra les dents, impuissant et frustré.

Mitsuha, par contre, ne faisait que commencer.

« Vous voulez savoir pourquoi j’ai raison ? Parce que je l’ai dit ! Maintenant, ressentez la colère du seul vrai Dieu ! »

Elle retourna à son micro de gorge.

« Mitrailleuse ! De dix heures à deux heures, descendez-les en cinq secondes ! Feu ! »

L’ordre avait été donné, et l’exécution avait eu lieu peu après.

BA-BA-BA-BA-BA-BA-BA-BA-BA-BANG !

C’était des sons forts et tonitruants que les soldats n’avaient jamais entendus auparavant, et ce qui suivit n’était autre que la destruction complète et brutale de dizaines de leurs frères d’armes. Les corps avaient été déchiquetés, pulvérisant de la chair et du sang dans toutes les directions.

« AAAAAAAAHHHHH ! »

L’enfer existait vraiment dans ce monde.

« Qu-Quoi ? Qu’est-ce qui se passe… ? »

Le commandant impérial était perdu. Ni son cœur ni son esprit ne pouvaient suivre la violente réalité qui s’était ouverte devant lui.

« Madame, on dirait que chaque monstre a une personne qui s’en occupe », fit remarquer le capitaine.

« Tuez-les un par un. »

« Entendu. »

BANG, BANG, BAAANG !

D’autres coups de feu fusèrent à travers le champ.

Le commandant reprit ses esprits et commença à donner des ordres.

« Attaquez ! Faites charger les monstres ! Dépêchez-vous de les écraser ! Suivez-les avec des recrues ! »

Cependant, ses forces n’avaient pas bougé.

« Qu’est-ce qui vous arrive ? ! Dépêchez-vous ! Et si cette attaque se reproduit ? ! »

« Commandant, tous les officiers qui s’occupent des monstres sont à terre ! »

« Quoi ? ! »

Nos hommes ont travaillé dur pendant des années, apprenant à communiquer avec ces monstres par des gestes et des sons. Ils étaient irremplaçables… inestimables. Nous avons eu de nombreuses victimes, mais ils ont refusé d’abandonner. Le fait que nous ayons eu les monstres à nos côtés était le résultat de sang, de sueur et de larmes. Et maintenant, ils meurent ici, sans rien obtenir !

« Très bien, tout le monde, quittez vos véhicules et préparez les armes ! », ordonna Mitsuha.

Tous les mercenaires, à l’exception de ceux qui étaient armés, sortirent de leurs véhicules, se dispersèrent et préparèrent leurs mitrailleuses légères. Les autres préparaient les fusils d’assaut et les lance-roquettes qu’ils avaient sous la main.

« Forcez les monstres à venir au front ! Nous les submergerons une fois que nous aurons l’élan nécessaire ! Faites sortir les nouvelles recrues aussi, mais rappelez-vous, ce ne sont que des fermiers remplaçables ! »

« Mitrailleurs légères, harcelez les monstres et les conscrits, mais ne les tuez pas, à moins qu’ils ne chargent ! Vous rejoindrez alors les mercenaires armés de fusils d’assaut afin de viser les vrais soldats ! »

« Hein ? On ne s’occupe pas des monstres ? », demanda le capitaine.

« Non. On va leur faire croire qu’ils ont été dupés, pour qu’ils ne fassent plus jamais confiance aux humains. Ensuite, on les chasse jusqu’à l’empire. Peut-être que les monstres de ce territoire les rejoindront aussi… Mangez beaucoup de leurs soldats sur le chemin du retour, mes chéris !

Et quand tous ces fermiers conscrits seront terrifiés, ils se retourneront contre l’empire avec haine. Ils s’assureront que personne ne soit plus jamais forcé de s’allier avec l’empire. »

« Ma petite dame, puis-je vous dire quelque chose ? »

« Bien sûr. Qu’est-ce que c’est ? »

« Vous me faites peur ! »

BANG !

B-B-B-BANG !

B-B-B-B-B-BANG !

Les coups de feu coûtèrent la vie à des soldats ennemis les uns après les autres : ceux qui donnaient les ordres, ceux qui étaient bien armés et ceux qui étaient à cheval. Perdre ceux qui se trouvaient au milieu de la pyramide de commandement était particulièrement dommageable, car ils ne pouvaient plus contrôler l’armée.

Les paysans, qui ne portaient que des lances bon marché, refusaient d’avancer. Quant aux monstres, ils avaient vu leurs chefs tomber un à un, et l’odeur du danger imminent alimentait leur désir de fuir chez eux.

Naturellement, ce combat ne se limitait pas à tuer 20 000 soldats. Les faire se retourner afin qu’ils battent en retraite était tout aussi efficace. Même dans les guerres qui avaient eu lieu sur Terre, il était rare que la plupart des gens du côté des perdants meurent. Une bataille où même la moitié d’une armée était tuée au combat serait considérée comme catastrophique. En fait, la défaite survenait souvent une fois qu’un camp avait perdu environ un tiers de ses forces.

C’était pour cette raison que Mitsuha avait choisi de cibler les soldats de carrière. Ils étaient le cœur de l’armée et les seuls à avoir une solide maîtrise de ce qu’ils faisaient.

Mitsuha se demandait s’il y avait des mercenaires parmi les professionnels. Si c’est le cas… Oups. Désolé, les gars. Vous aviez une chance de gagner de l’argent dans cette guerre, mais maintenant vous allez vous faire descendre juste parce que vous avez un meilleur équipement et que vous vous battez mieux que les paysans.

Hmm, je me demande si l’équipe de Sven avait aussi été engagée. Ils se sentent probablement chanceux d’être payés sans avoir vraiment à se battre. Peut-être que vous vous ferez encore plus d’argent dans la poursuite qui aura lieu par la suite.

Quoi qu’il en soit, le commandant ennemi fait un travail solide pour maintenir la cohésion de ses hommes, mais j’ai l’impression que de plus en plus d’entre eux battent en retraite, et… qu’est-ce que c’est que ça ?

« Ils sont là ! Maintenant, nous pouvons riposter ! », cria le commandant de l’empire, en regardant vers le haut.

Au-dessus de lui, obscurcissant le ciel du matin, se trouvait un essaim de wyvernes. 36 d’entre elles, pour être exact.

En regardant les créatures, il pensa à la lutte qu’il avait dû mener pour les élever. Un bon nombre de soldats avaient été tués lors de tentatives de vol d’œufs de wyvernes, mais quelques-uns avaient finalement réussi, et le processus d’incubation commença. La première série d’éclosions échoua, les jeunes mourant prématurément, ce qui avait conduit l’armée à sacrifier d’autres soldats pour voler plus d’œufs.

Un homme avait même perdu la vie à cause d’un juvénile en bonne santé. La chose l’avait dévoré.

Cette réalisation majestueuse est le résultat de centaines de sacrifices et de décennies de travail ! Les cavaliers et les wyvernes sont maintenant réunis en un seul : ce sont les premiers cavaliers volants du monde !

Les hommes montés sur les wyvernes brandissaient des épées et des piques pour les combats rapprochés ainsi que des javelots pour les attaques à distance, ce qui en faisait une force redoutable. Ils pouvaient facilement faire pleuvoir des lances sur les ennemis, puis voler derrière les portes pour les combattre avec des épées, des lances, et même les puissantes griffes et le bec de la wyverne, ce qui permettait de forcer les portes et de laisser le reste de l’armée entrer.

C’est magnifique, pensa le commandant, tout bouillonnant de joie. Ohh, comme je suis béni de voir ce moment de mes propres yeux !

La voix de Mitsuha coupa brusquement son excitation.

« Dieu ! C’est ton tour ! »

« Entendu ! »

B-B-B-B-B-B-B-B-B-B-B-BANG!

« Hein… ? »

Quelques secondes.

Il n’avait fallu que quelques secondes pour éradiquer vingt ans de fonds, de corps et de travail. Les premières forces aériennes de ce monde avaient été réduites à de simples morceaux de chair en l’air.

Le commandant ennemi s’effondra, ses yeux se remplirent de larmes. Notre bataille ne fait que commencer, je le sais. Mais j’ai perdu mes supérieurs, mes subordonnés, mes camarades d’académie, et même mon cousin pour créer cette armée de wyvernes. Et tout cela a été mis en pièces en quelques instants. Pardonnez-moi, mais permettez-moi de faire mon deuil un instant…

BOOM. BOOM. BOOM. BOOM.

Le sol tremblait au moment où quelque chose apparaissait derrière eux.

« Que faites-vous, créatures pathétiques ? »

Les dragons étaient venus.

D’anciens dragons, pour être précis, et ils étaient trois. Ces êtres avaient une intelligence bien supérieure à celle de l’humanité et la capacité d’expulser le souffle magique. Ils étaient la raison même de l’absurde invasion de l’empire.

◇ ◇ ◇

Il était né dans la Valée des Dragons il y a 328 ans. Les Dragons ayant un taux de natalité terriblement bas, il avait donc été gâté et traité comme un enfant pendant assez longtemps. Cela s’était terminé lors de la naissance d’une petite fille, suivie d’un autre garçon. Ces deux-là avaient maintenant respectivement 127 et 76 ans.

Ils étaient les premiers dragons nés depuis plus de 200 ans, et le nouveau duo avait apporté une joie immense au reste de leur village. L’aîné des trois était heureux de ne plus être bébé et se plaisait à jouer le rôle de grand frère pour les deux oisillons.

Aucun nouvel enfant n’était né après ces deux-là, et les autres dragons semblaient tenir pour acquis qu’ils allaient s’accoupler. Ils en étaient conscients, surtout la fille, Lewlieu. Après tout, les filles étaient toujours les premières à mûrir.

Le dragon mâle le plus âgé n’avait pas protesté. Je peux toujours m’entendre avec la fille plus âgée avec les jolies écailles, ou celle qui a une queue parfaite, ou n’importe laquelle des autres. Ça va aller, pensait-il.

Maintenant, le plus jeune garçon, T’elli, avait récemment attrapé une certaine maladie courante chez les jeunes dragons : « Je suis un dragon ancien, fort et sage. Je vais aller dans le monde et guider ces fous. »

Il est adorable, avait pensé le garçon plus âgé. Et puisqu’il me respecte comme un grand frère, je suppose que je devrais lui faire passer un bon moment.

Chaque fois que quelqu’un voulait jouer avec les humains, ce vieux dragon étrange et grincheux de la grotte de la montagne hurlait à tue-tête. Il disait : « Ne jouez pas avec les humains ! » et « Ne posez pas la main sur eux ! ». Mais il est mort il n’y a pas si longtemps, alors il ne sera plus un problème.

De nos jours, les dragons pouvaient faire ce qu’ils voulaient sans crainte d’être réprimandés. Ils pouvaient donner du pouvoir à un seul pays, en riant alors que les humains s’emportaient et utilisaient leur pouvoir de façon étrange. Ou bien les dragons pouvaient simplement manipuler secrètement plusieurs nations à la fois, se délectant du sentiment de domination interespèces.

Je voulais essayer de tels jeux quand j’étais enfant, mais ce tas d’écailles ne se taisait jamais. De plus, tous les dragons proches de mon âge étaient des filles, et aucun d’entre eux n’aurait participé. Non, je n’ai pas cette maladie, je veux juste essayer ce genre de choses.

Ainsi, il avait décidé d’inviter T’elli à jouer. Lewlieu avait également insisté pour participer, à sa grande joie.

Sa grande idée avait été d’enseigner quelques techniques de monstres à un pays humain ambitieux, puis de s’asseoir et de regarder les choses se dérouler.

Les choses ne vont pas très bien en ce moment. Sérieusement, comment ont-ils pu se tromper au début ? Ce serait vraiment ennuyeux si vous ne pouvez pas prendre cette capitale, vous, créatures impuissantes et pathétiques. Comment T’elli et Lewlieu sont-ils censés s’amuser ? Très bien. Je vais au moins les aider à démarrer. Je vais juste écraser ce tas, puis détruire la porte avec mon souffle.

***

Partie 3

Whoa, on en a un gros ! pensa Mitsuha. Trois gros, en fait, mais un est plus gros que les autres. Il peut parler, alors je vais essayer d’établir le contact. Oh, ne vous inquiétez pas. J’ai vu des tonnes de premiers contacts grâce aux films, aux dessins animés et aux romans de science-fiction. Considérez cela comme du matériel de recherche. Je peux gérer ça !

« Bonjour à vous, M. Dragon. Quelle merveilleuse journée nous avons ! »

« N’importe quoi. Ce n’est pas merveilleux, et cela à cause de vous. Laissez-vous vous faire écraser. »

Cet échange avait suffi à Mitsuha pour réaliser que lui parler n’avait aucun sens. Eh bien, je suppose qu’il est du côté de l’ennemi.

Suite à l’échec de la communication, elle essaya de lui tirer dessus.

B-B-BANG, B-B-BANG !

« Qu’est-ce que c’est censé être ? »

Ça ne te fait aucun mal, hein ? Ok.

« Je vais le faire ! », lança un des plus petits dragons.

Oh, alors je ne sers que d’entraînement à ces bébés, hein ? Merde, ça me rappelle de mauvais souvenirs… Ça me fait palpiter le bras. Mais je suppose qu’un jeune sera au moins plus facile à manipuler.

« Ce sera maintenant entre toi et moi, d’accord ? »

Attends, qu’est-ce que je dis ? Ce n’est pas un mariage arrangé !

Le grand dragon avait reculé un peu, et il y avait un deuxième petit dragon à côté de lui. Mais avant que Mitsuha ne puisse s’occuper de celui-là, elle devait s’occuper de celui qui se trouvait devant elle.

« Hé, tu veux parler ? »

« Meurs. »

Je suppose que non.

« Fusils d’assaut ! Feu »

B-B-B-B-BANG !

« C’est la même chose qu’avant ? Eh bien, ça ne me fait pas du tout mal ! »

Je peux dire à vos yeux que si. Les fusils d’assaut sont bien plus efficaces qu’un pistolet. Et ce ne sont pas des balles habituelles de 5,56 mm, mais de 7,62 mm. Votre peau est-elle plus sensible que celle du grand dragon ?

« À toutes les armes, préparez-vous à tirer. Armes légères, feu. »

Mitsuha voulait réserver leurs armes les plus puissantes pour plus tard. Elle voulait aussi savoir laquelle d’entre elles fonctionnait le mieux contre les dragons, au cas où elle en aurait affaire à un autre.

Je vais utiliser l’ignorance et l’ego de ce petit dragon pour découvrir leurs faiblesses.

B-B-B-B-BANG !

« O-Owch ! Owie, owie, owie ! »

Pendant un moment, Mitsuha avait cru l’avoir fait tomber, mais elle s’était vite rendu compte qu’il était tout simplement endolori.

Les dragons sont-ils faibles face à la douleur ? Est-ce parce qu’ils n’en ressentent pas beaucoup dans leur vie ou parce que celui-ci n’est qu’un enfant ?

Attendez, est-ce qu’il a utilisé le langage des dragons ? La douleur était si forte qu’elle le faisait parler dans sa langue maternelle ? Ah, attendez, ce n’est pas tout. Apparemment, j’ai pu entendre des mots monstrueux du dragon adulte. Ils connaissent donc d’autres langues que l’humain.

Elle avait essayé une approche polie, vu que c’était quand même des dragons, les fameuses bêtes mythiques d’autrefois. Mais elle en avait déjà assez de le faire. Et comme elle en avait marre de toute cette affaire, elle avait décidé de les achever. Elle devait s’assurer d’y mettre fin avant que l’un d’entre eux ne puisse riposter.

Mitsuha scanna ses forces et confirma mentalement que tout le monde était prêt à tirer. Ce sont bien les hommes du capitaine !

« Mitrailleuses lourdes, feu ! »

B-B-B-B-BANG !

« RAAAAAGHHHHHH ! »

Le jeune dragon rugit de douleur alors que ses écailles s’envolèrent et que les balles rongèrent sa peau épaisse, envoyant de la chair et du sang dans l’air.

Les autres dragons étaient figés sur place.

Ils ne s’attendaient probablement pas à ce que les humains soient capables de faire du mal à un dragon. Bien sûr, ils ne sauraient pas comment réagir.

« S-Soyez maudit ! »

Le visage du dragon blessé était tellement déformé par la douleur et la fureur qu’il semblait être devenu fou. Il ouvrit sa mâchoire en grand et commença à inhaler.

Ouaip. Nous savons tous ce qu’il fait !

« Envoyez un RPG dans sa bouche ! »

FWOOM FWOOM FWOOM !

Le RPG-27 retentit alors que trois roquettes s’échappèrent de l’arme antichar à usage unique et visèrent la gueule du dragon. Une seule était parvenue à l’intérieur, les autres avaient explosé sur sa mâchoire et son crâne.

Le jeune s’effondra, provoquant des secousses dans la terre autour de lui.

« T’ELLIIIIIIIII ! »

Submergé par la rage et le désespoir, l’autre jeune dragon chargea Mitsuha.

« Dieu, prête-moi ta force ! », cria-t-elle.

B-B-B-B-B-B-B-B-B-B-B-BANG!

Le canon automatique de 20 mm rugis, provoquant l’immobilisation du second dragon dans la poussière à côté du premier.

Leur compagnon était en état de choc, incapable de bouger. Les deux plus petits dragons firent du sang de leurs blessures lorsqu’ils commencèrent à ramper, rapprochant leurs corps blessés. Une fois à portée de main, ils étendirent leurs pattes avant l’une vers l’autre et les touchèrent ensemble dans un geste intime. Peu de temps après, ils cessèrent de bouger pour l’éternité.

« Ahh ! Aaahhh ! AAAAAAAAAHHHHHHHHHH ! »

Le dragon adulte sortit de sa stupeur et devint frénétique.

« Ahh, aaahhhhh, Lewlieu, T’elliiii ! Ils sont morts ! Ils sont morts tous les deux ! » gémit-il dans la langue des dragons.

Mitsuha était la seule à le comprendre.

« Ils étaient les premiers enfants en deux cents ans ! Ils étaient comme un frère et une sœur pour moi ! Tout est de ma faute ! Je n’aurais pas dû les faire participer à ce jeu stupide ! Aaaahhhh ! »

Après avoir pleuré un moment, le dragon s’était rendu compte que le canon automatique de 20 mm — la main de Dieu — les mitrailleuses lourdes et plusieurs RPG-27 étaient dirigés droit sur lui.

« AAAAAHHHHHHHHH ! »

Pas possible ! Je vais mourir ! Ces choses que je croyais si minables vont me tuer, moi, un ancien dragon ! EEEEEEEK !

Le dragon s’était enfui avec toute sa puissance, piétinant et repoussant les humains dans le processus. Une fois qu’il était certain d’être assez loin des machines de la mort, il s’était envolé et s’était enfui directement dans la Vallée des Dragons.

Sa fuite avait coûté à l’empire un grand nombre de troupes. Le dragon avait pris le chemin le plus facile — la route principale — et c’était exactement là que leur armée était stationnée. Il avait écrasé toutes les forces du milieu ou les avait envoyées voler.

La route principale était, bien sûr, là où se trouvait le quartier général de l’ennemi en première ligne. Un peu plus loin se trouvaient leurs escadrons de ravitaillement, qui transportaient entre autres la nourriture de l’armée, l’eau, la nourriture pour les chevaux et les flèches de rechange. Le ravitaillement lui-même avait également été sur le chemin du dragon, puisqu’il avait été placé au bord de la route pour des raisons de commodité. La perte de tant de fournitures et de leur chaîne de commandement avait instantanément plongé l’armée impériale dans le chaos.

Ayant perdu ses cavaliers volants — la clé du succès de leur invasion — ainsi que les anciens dragons et monstres, l’ennemi n’avait d’autre choix que de donner la priorité à la retraite avec un minimum de pertes.

Les soldats qui pouvaient communiquer avec les monstres étaient morts, et les dragons antiques, dans toute leur supposée majesté, avaient été vaincus ou effrayés avec facilité. Ce qui avait déconcerté les monstres, c’est que Mitsuha avait fini par faire en utilisant ses langues orques et ogres nouvellement acquis pour dire des choses comme : « Vous avez l’air savoureux. Moi, je vous mange en entier ». Les monstres s’étaient tous enfuis vers les collines… les envoyant directement dans les forces impériales.

Je ne me soucie pas vraiment du reste, pensa Mitsuha, bien décidée à laisser les conséquences et la poursuite aux forces de la capitale, aux armées des seigneurs locaux et aux mercenaires.

Elle découvrit rapidement que les autres portes avaient été attaquées par des traîtres au royaume. Leur but principal était d’empêcher la noblesse et la royauté de s’échapper, mais ils avaient également fait en sorte que des soldats tentent de s’introduire. Au lieu de la résistance limitée à laquelle ils s’attendaient, ils avaient été accueillis par des tirs de mitrailleuses et de lance-grenades.

Je suis heureuse de voir que les mercenaires des autres portes ont aussi eu quelque chose à faire. Je ne voulais pas qu’ils boudent sur moi. De toute façon, nous retournons en ville. Mitsuha s’était retournée pour appeler le capitaine, mais lui et ses hommes étaient trop occupés à charger un des dragons dans un camion. Eh bien, je suppose que vous avez le droit de le faire.

◇ ◇ ◇

Épuisée par la bataille et à peine lucide, Mitsuha entra dans la ville… et vit une frénésie populaire. Elle avait du mal à suivre la foule qui l’assaillait, elle ne leur répondait donc que dans ses pensées.

« Archiprêtresse de la foudre ? » Cette blague est terminée, ne vous acharnez pas inutilement.

Une servante de Dieu ? Oh, cool, vous avez entendu mon discours. Vous êtes tombé amoureux de mes mots ? Ça doit être l’effet du pont suspendu.

Vous voulez que j’épouse votre fils ? Attendez, Votre Majesté ! Depuis quand êtes-vous ici ? ! Et non, je n’ai pas besoin de quelqu’un qui brille trop.

Hein ? Leuhen ? Eh bien, ça ne me dérangerait pas de le prendre. Sa présence est assez apaisante.

Ah, s’il vous plaît, arrêtez de me bousculer ! Mon épaule gauche me fait très mal ! Vous allez ouvrir la plaie… Ahh, ça saigne !

Hé, Wolfgang est aussi assez populaire ! Ils reçoivent le traitement de « Soldat envoyé par Dieu ». Cette femme avec le bébé dit qu’elle veut que tu touches son enfant. Vas-y, fais-le. Ah, hé ! On ne touche pas à la mère elle-même ! Et non, il n’y a pas de femmes qui veulent que tu touches ses seins, connard !

Il aurait été problématique pour les mercenaires de rester trop longtemps. Mitsuha avait donc l’intention de les renvoyer chez eux dès que possible. Les garder dans le coin pourrait ouvrir une toute nouvelle boîte de Pandore, et je ne veux pas qu’on leur vole leurs armes ou quelque chose comme ça.

Mais elle ne pouvait pas les renvoyer dans leur monde dans un endroit comme celui-ci, elle les avait donc rassemblés dans la cour intérieure. Après les avoir renvoyés sur Terre, Mitsuha était revenue tout de suite après. Après tout, il y avait encore tant à faire. Elle avait même rendu visite à Alexis. Il était très inquiet à propos de la bataille et était ravi d’apprendre que le royaume avait gagné.

Dors maintenant, se dit Mitsuha. Et je prendrai congé demain. De toute façon, je ne pourrais probablement plus travailler correctement.

◇ ◇ ◇

Des mois, non, des années plus tard, dans la vallée des dragons, deux jeunes gens réfléchissaient à la manière de guérir leur ennui.

« Hé, tu veux jouer avec les humains ? Ils meurent si on les touche un peu, mais ils font de bons pions pour les jeux. »

L’autre dragon semblait en conflit.

« Hmm. Mais, tu sais le vieux dragon bizarre qui vit dans la grotte de la montagne ? Celui qui s’énerve et qui crie des trucs comme “Ne touchez pas aux humains !” et “Ne posez pas la main sur eux !” Est-ce que les humains lui ont fait du mal ? »

« Ohh, ce vieux schnock… Eh bien, je suppose qu’on ne devrait pas le faire. Même les adultes ne veulent pas avoir affaire à lui. »

« Tu as raison. On se voit demain ! »

« Yep ! À plus ! »

***

Chapitre 15 : Récompenses

Partie 1

Quelques jours après la victoire du royaume, les troupes de l’empire avaient perdu la plupart de leurs approvisionnements et battaient en retraite la queue entre les jambes. En proie à des affrontements avec les forces du royaume et aux attaques de divers monstres, peu de nobles et de soldats parvinrent à rentrer chez eux. Les nobles emportaient avec eux une opportunité de rançon, et le royaume n’avait aucune raison d’épargner les soldats ennemis entraînés. Les paysans conscrits, en revanche, devaient retourner dans leurs villages et travailler en paix.

Mitsuha fut, comme on pouvait s’y attendre, de nouveau convoquée au palais royal. Il s’agissait d’un événement officiel impliquant une véritable audience avec le roi, il était donc clair comme le jour qu’il s’agissait d’une cérémonie de remise de prix.

À l’arrivée de Mitsuha, des dizaines de personnes se mêlaient déjà dans la salle. Parmi elles, des lauréats et des personnalités de premier plan participaient à l’événement. Il allait sans dire que le marquis Eiblinger était également présent.

Bien que les combats devant l’entrée principale aient éclipsé la majeure partie de l’effort de guerre, Mitsuha et Wolfgang étaient loin d’être les seuls à y avoir contribué. Il y avait des gens qui avaient découvert des informations vitales, des armées qui s’étaient battues pour gagner du temps pour permettre les préparatifs de la capitale, ceux qui s’étaient distingués dans la poursuite de l’empire en retraite, entre autres.

Mitsuha était certaine que la victoire n’aurait pas été possible sans eux. Et si l’empire était arrivé un jour plus tôt ? Et si les informations dont disposait le royaume étaient fausses ou s’il y avait des lacunes ? Wolfgang seul n’aurait certainement pas garanti la victoire. Se demandait-elle.

Au cours de la cérémonie, elle fut la première à être appelée.

« Mitsuha von Yamano. Vos contributions à la défense de mon royaume contre l’empire ont été inestimables. Vous méritez sans aucun doute une récompense. Y a-t-il quelque chose que vous désirez ? »

« Je veux trois choses », répondit Mitsuha.

« Trois ? », s’exclama un noble.

« Une telle avidité ! », dit un autre.

« Ce n’est qu’une simple roturière », ajouta un troisième.

Vous savez que je vous entends ! Et je parie que c’est ce que vous voulez !, pensa Mitsuha.

« Très bien. Parlez. »

Les gens qui parlaient se calmèrent et attendirent.

« D’abord, il y a quelqu’un qui mérite une récompense plus grande que moi. »

« Quoi ? Qui ça peut être ? »

« Le jeune loyal et courageux qui s’est placé pour bloquer les carreaux qui m’auraient frappée, moi et le Seigneur Eiblinger. »

« Ohhh. »

Les nobles hochèrent la tête en signe de compréhension. Certains, lorsqu’on leur rappelait le jeune homme courageux, ils montraient des expressions amères.

« Où est-il maintenant ? », demanda le roi.

« Eh bien, la blessure sur son épaule n’était qu’une égratignure, mais celle dans son estomac est grave, il est donc actuellement en train de lutter contre la mort dans un établissement médical. »

« Je vois. »

Le roi avait l’air profondément peiné. Après tout, dans ce monde, de telles blessures étaient mortelles.

Oh, le comte Bozes est là aussi, réalisa Mitsuha en remarquant son visage dans la foule. Je suis désolée.

« Sans son acte de bravoure, je serais morte, incapable de prêter mon aide au combat. Par conséquent, mes contributions sont les siennes, et il doit être récompensé. »

Les nobles, qui avaient d’abord mal parlé de Mitsuha étaient maintenant complètement de son côté.

Je veux dire, je ne suis pas avide, je rends hommage à un héros mourant… à leurs yeux, en tout cas.

« Je comprends. Bien qu’il soit noble de naissance, il n’a pas encore hérité de son titre. Je vais honorer son service et lui donner son propre titre. Ainsi, je lui accorde le titre de baron. En outre, il pourra être transmis en temps voulu à tout enfant qui n’héritera pas de sa propre position de comte. De cette façon, les réalisations du jeune homme seront perpétuées avec son titre… pour toujours. »

Après ces mots, Mitsuha entendit de faibles sanglots dans le public.

C’était le comte Bozes. Ce devait être un véritable honneur.

« Y a-t-il des objections ? »

Oui, c’est vrai. Personne ne voudrait…

« Je m’y oppose ! »

Qui peut bien être ce plouc… Attendez, le Seigneur Eiblinger ? Celui qu’il a sauvé ?

La salle laissa échapper un souffle collectif.

Maintenant qu’il était le centre de l’attention, l’homme continua : « Je suis entièrement d’accord avec le fait que cet homme mérite un titre. Je pense simplement que si le titre de baron est tout ce qu’il obtient, personne d’autre n’a besoin d’être récompensé. »

Hein ? Mitsuha pencha la tête.

« Le titre de vicomte est le moins qu’il mérite ! Parler ainsi d’une personne qui m’a sauvé la vie, un honneur moindre que cela serait une honte ! »

Ohhh. La raison de sa protestation était claire.

« Je vous demande pardon. Je ne voulais pas d’injustice. Quelqu’un s’oppose-t-il à ce que ce jeune homme reçoive le titre de vicomte ? », dit le roi.

Personne ne s’y opposera, évidemment, pensait Mitsuha. Si le héros du moment ne comprend pas cela, tous les autres n’auront rien. Beau travail, Eiblinger. Elle regarda autour de la pièce et remarqua que le marquis s’excusait abondamment auprès du comte Bozes. Est-ce qu’ils se connaissent ? Mais oui bien sûr. Ils sont tous les deux des nobles de hauts rangs.

Cela étant décidé, Mitsuha reprit la parole.

« Merci de votre considération, messieurs, je sens qu’un poids sur mon cœur s’est levé. Et maintenant, ma deuxième requête. »

Et en fait, la plus importante.

« Elle concerne les soldats qui ont combattu à la porte principale. »

Ses mots firent sensation dans l’assistance.

« Comme je ne pouvais pas rester les bras croisés alors que le royaume était en danger, j’ai demandé de l’aide à ma patrie. »

« Ma patrie ? »

« Quel est ce pays ? »

« Comment ? »

« C’est de là que viennent ces bâtons de feu ?! »

L’agitation devint encore plus forte.

« Je n’avais pas d’autre choix. J’ai utilisé l’art secret et épuisant de la “traversée” pour me rendre dans ma patrie en un instant. », poursuit Mitsuha,

« Cependant, faire agir l’armée de mon pays sur de telles questions est un long processus qui implique de nombreuses réunions, autorisations et documents. Il aurait été difficile d’y parvenir à temps, d’autant plus que cela aurait été dans l’intérêt d’un pays avec lequel mon pays n’a pas de relations diplomatiques. »

« Pour cette raison, les seuls qui sont venus m’aider ont été mes amis. Ils ont volontairement abandonné leurs fonctions, ont pris l’armement divin du pays sans permission et ont utilisé une grande puissance de feu. J’imagine qu’ils seront sévèrement punis pour avoir agi ainsi. »

« Ohh, quelle tragédie ! »

« Mon Dieu ! Ces champions au grand cœur ! »

Tout se passait selon le plan de Mitsuha.

« Nous étions tellement pressés que nous n’avons pas attendu que les étoiles s’alignent. En raison de notre manque de préparation, la traversée s’est avérée imparfaite, et certains de nos hommes ont perdu la vie dans le processus. »

« Mon Dieu… »

« Quelle horreur ! »

Je les ai maintenant. Mitsuha s’était battue pour réprimer un sourire. C’est l’heure de la dernière poussée !

« Si vous pouviez remercier ma patrie avec une contribution financière, cela justifierait les actions de mes amis et montrerait qu’ils ont contribué à entretenir des relations positives entre ma nation et la vôtre. Cela pourrait également compenser les pertes encourues par notre utilisation de l’armement divin, et cela pourrait même faire en sorte que leurs punitions soient moins sévères. 

Je dois ajouter que les familles de ceux qui meurent lors de missions non autorisées ne reçoivent aucune compensation de notre gouvernement. Peut-être que votre générosité pourra aussi les soutenir. »

Il n’y avait pas un œil sec dans la pièce quand elle avait fini.

« Trésorier ! Qu’est-ce que nous avons dans nos coffres ? ! Aucun montant n’est trop élevé pour ceux qui ont sauvé la capitale, sinon tout le royaume, d’une destruction totale. Donner autant que possible ! », cria le roi.

« Tout de suite, Votre Majesté ! »

Très bien, le paiement pour Wolfgang est dans la poche ! Attendez, ils ne vont pas sortir quelque chose comme trois mille pièces d’or, n’est-ce pas ? Même si je n’en ai rien sur moi en ce moment, il me faut au moins quarante mille. C’est environ un milliard de yens après les conversions ! C’est la moitié de l’argent que je dois épargner pour ma retraite relaxante — le montant total pour un monde. De ce côté, c’était l’équivalent de quatre milliards de yens au Japon.

« Trois mille ! »

QUOI ?!

« Ma famille leur donnera trois mille pièces d’or ! »

Ah, c’est juste le Comte Bozes. Attends, vraiment ? !

« Je fournirai moi-même cinq mille ! »

Seigneur Eiblinger…

« Deux mille cinq cents ! »

« Désolé, mais notre ménage a pris un sacré coup pendant l’invasion. Mille, c’est le mieux que je puisse faire. »

« Trois mille ! »

« Deux mille ! »

Les nobles vinrent les uns après les autres offrir leur propre or. Le roi devait donner beaucoup plus que le marquis, il était donc clair qu’elle obtiendrait les quarante mille dont elle avait besoin, et même plus.

Je me demande ce que j’aurais fait si cela n’avait pas marché ? Eh bien, j’aurais simplement vendu des perles dans un autre pays et je me serais faite rare. Si je les vendais à des nobles du monde entier avant que les rumeurs ne fassent chuter les prix, je pourrais engranger de grosses sommes d’argent. Quarante mille me semblaient être une limite raisonnable pour ce genre d’affaires.

« Merci beaucoup, tout le monde. Je suis certaine que mes amis seront condamnés à une peine moins lourde, et que les enfants qui ont perdu leur père pourront recevoir l’éducation dont ils ont besoin pour reprendre leur poste et leurs responsabilités. »

Mitsuha fit semblant d’essuyer une larme.

« Je comprends aussi que de nombreuses terres sur la route de l’empire vers la capitale ont souffert pendant cette invasion. Les enfants orphelins, les fermiers dont les champs ont été détruits et d’autres auront sûrement besoin d’un soutien financier. Je ne manquerai pas de parler avec mon petit frère, je veux dire le roi, et de lui demander si ma patrie peut vous soutenir de quelque façon que ce soit. »

« Vous iriez aussi loin ?! »

« Une telle bienveillance… »

Les propriétaires de ces terres avaient été émus jusqu’aux larmes. Beaucoup avaient exprimé leur gratitude, mais certains d’entre eux étaient préoccupés par son dérapage.

Était-elle sur le point de dire « petit frère » ? se demandaient-ils. Elle l’avait dit, non ? !

Mais ce n’était pas une erreur. Mitsuha était pleinement consciente de ce qu’elle venait de laisser entendre. Cependant, personne ne savait probablement qu’elle n’était pas la simple fille noble qu’elle prétendait être.

Il était temps pour elle de faire sa troisième demande.

« Enfin, je veux que vous fassiez de moi une citoyenne de ce pays. »

« Elle veut quoi ? »

« Je ne suis qu’une vagabonde venue ici après avoir abandonné ma patrie. Mais maintenant, je veux faire partie de cette ville et de ce pays, et en faire ma nouvelle patrie. »

Les nobles étaient visiblement émus. Finalement, pas une seule des demandes de Mitsuha n’avait été égoïste, et elle avait même fait preuve d’un patriotisme louable. Avec tout ce qu’elle avait fait pour le royaume jusqu’à présent, il n’y avait pas de place pour le doute dans leur cœur.

« Hmm. Je dois dire que je vous considérais déjà comme faisant partie de mon royaume. »

Le roi réfléchit un moment, puis il fit un sourire. Apparemment, il avait trouvé la solution parfaite.

« Très bien. Je vais utiliser mon autorité pour présenter une motion pour assurer votre statut de citoyenne. »

Yay, je viens de gagner la citoyenneté maintenant ! Mitsuha s’était réjouie intérieurement. Cela signifie que je serai protégée par les autorités et que j’aurai plus de facilité à faire des affaires. Tout le monde y gagne !

« Mitsuha von Yamano, je vous confère le titre de vicomtesse ! »

PARDON ?!

Mitsuha devint inerte, à peine capable de gérer le reste de la cérémonie. D’autres reçurent leurs récompenses et virent leurs vœux exaucés, mais tout était rentré dans une oreille et ressorti de l’autre pour elle.

Pourquoi est-ce arrivé ?!

***

Partie 2

Quelques jours s’étaient écoulés après la cérémonie de remise des prix. Mitsuha tenait son magasin comme d’habitude, mais les nombreux clients qui passaient sans rien vouloir acheter lui rendaient la vie plus difficile. Ce n’était pas comme si elle avait quelque chose contre eux, avec ses prix scandaleux, il fallait s’attendre à ce que certaines personnes reviennent encore et encore avant de se résoudre à faire un achat. Mitsuha voulait les chérir tout autant.

En entendant parler des actes de Mitsuha et de son nouveau statut de noble, Sabine s’était attachée à elle encore plus qu’auparavant. Cependant, la fréquence des clients — surtout ceux qui n’étaient là que pour parler avec Mitsuha — faisait bouillir le sang de la princesse. Elle n’avait plus du tout la possibilité de regarder ses précieux DVD.

Quant à Mitsuha elle-même, elle ne se plaignait pas vraiment des gens ordinaires. La plupart voulaient simplement voir la sauveuse du pays et lui exprimer leur gratitude. Les nobles et les marchands, en revanche, étaient beaucoup plus difficiles à traiter. Et bien que ses ventes aient augmenté, ce n’était pas proportionnel à la croissance de la clientèle.

Merde, je devrais vraiment repenser mon inventaire.

Ayant envie de changer de rythme, Mitsuha avait décidé de faire un voyage. On pourrait dire que le mot n’était pas tout à fait approprié, puisque le trajet jusqu’à sa destination ne prenait qu’un instant — juste un saut sur Terre et un retour.

En cette occasion particulière, elle s’était rendue au village de Colette. Ce n’était pas comme si elle avait oublié de le visiter. Il y avait simplement une grande distance entre le village et la capitale, ce qui signifiait qu’elle devait espacer ses visites pour ne pas se trahir.

« Hé, Colette ! Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus ! »

Mitsuha avait été accueillie comme l’une des leurs. Cela aurait très bien pu être à cause des souvenirs qu’elle avait apportés avec elle, mais elle voulait croire que ce n’était pas le cas.

Les villageois n’avaient pas encore entendu parler de ce qui s’était passé dans la capitale. Alors que les seigneurs locaux employaient des messagers pour les informer des événements majeurs, les roturiers devaient compter sur les marchands ambulants et les cochers ou passagers pour obtenir leurs informations. Même à cette époque, il était encore trop tôt pour qu’un voyageur soit arrivé depuis l’invasion. Le comte Bozes était encore dans la capitale, et les soldats envoyés au combat sur le front étaient en train de rentrer triomphalement chez eux.

Même s’ils n’avaient pas vraiment combattu, ils avaient techniquement gagné en étant simplement du côté des vainqueurs. Qu’ils soient « triomphants », dis-je.

Mitsuha avait ensuite raconté à Colette et à ses parents — Arlène et Tobias — ses exploits dans la capitale, en omettant de parler de l’invasion. Elle avait mentionné qu’elle avait ouvert un magasin, qu’elle avait aidé à organiser une fête, etc. Elle avait veillé à minimiser les détails, laissant entendre que son magasin était petit et qu’elle louait simplement le bâtiment, ou insistant sur le fait qu’elle n’était en aucun cas l’hôte de la fête. Elle avait cependant fait de son mieux pour ne pas dire trop de mensonges. Après tout, le village pouvait être visité par quelqu’un de la capitale à tout moment.

Je suis peut-être trop prudente, mais cela compense le fait de ne pas être trop grande… Agh, à quoi je pense ? !

Tout le monde était immensément heureux pour elle. Même avec toutes ces banalités, les réalisations de Mitsuha étaient considérées comme très réussies selon les normes des villageois. Elle s’était rendue dans la ville où elle voulait aller, y avait ouvert un magasin en un rien de temps, et gagnait maintenant assez d’argent pour se débrouiller seule. Il était normal que la foule des agriculteurs soit captivée.

Ils avaient informé Mitsuha qu’un soldat était venu demander de ses nouvelles et cela les avait beaucoup inquiétés.

Bien sûr qu’ils se pencheraient sur moi, pensait-elle. Je suis une étrangère ayant une histoire suspecte qui traîne avec la princesse.

Mitsuha balaya leurs soucis et les convainquit vite que le soldat ne cherchait qu’à en savoir plus sur quelqu’un qui louait une maison dans la capitale.

Je suppose que les agriculteurs n’ont pas le sens de se demander pourquoi un vrai soldat serait impliqué dans une telle affaire. Oh, euh, oups. C’est ma faute, les gars.

Elle s’était arrangée pour passer la nuit dans le cadre routinier de la « voyageuse fatiguée ». Après avoir parlé avec les villageois, elle passa le reste de son temps à jouer avec Colette. La plus jeune fille avait même été dispensée de ses tâches agricoles pour cette occasion spéciale.

Mitsuha quitta le village le jour suivant. Tout le monde voulait qu’elle reste plus longtemps, mais elle leur avait dit qu’elle s’était simplement arrêtée en chemin pour voir ce que les villages de bord de mer voisins avaient à offrir. Une fois que Colette l’avait forcée à promettre qu’elle reviendrait dans le cadre de leur rituel habituel, Mitsuha s’était dirigée vers la mer.

Si j’y vais une seule fois, je pourrais facilement y revenir quand je le voudrais. De toute façon, je veux voir quels types de produits sortent des mers de ce monde.

Elle avait brièvement envisagé de rencontrer Béatrice Bozes, mais s’y était opposée. Le comte était encore dans la capitale, et Mitsuha le verrait sûrement plus tard. Si elle rencontrait Béatrice et que la jeune fille racontait ensuite à son père leur rencontre, il remarquerait la contradiction. Afin de parer à toute demande étrange, elle avait convaincu la royauté et la noblesse que la « traversée » était une technique qui ne valait la peine d’être utilisée que dans les cas les plus rares. Elle ne voulait pas se la gâcher.

Lors de son audience officielle avec le roi, Mitsuha avait prétendu être compétente en matière de traversée, mais elle ajouta que la remise de la lettre de remerciement du royaume et de l’argent seul lui coûterait une grande force vitale. Les nobles lui avaient témoigné une immense sympathie, quelqu’un lui avait même murmuré : « Je la croyais petite pour une enfant de douze ans. Il semble que cette technique en soit la cause. »

Attendez, je peux à peine passer pour une fille de douze ans ?! avait-elle pensé amèrement. Et ne détourne pas le regard de moi, espèce de petit…

Il est également important de noter que Mitsuha avait expliqué que le voyage de retour de Wolfgang s’était effectué automatiquement suite à la traversée lors du premier lancer.

Finalement, Mitsuha était arrivée dans un petit village de bord de mer à peu près de la même taille que celui de Colette.

Le comte Bozes n’est-il pas un noble puissant ? Ou est-ce que tous les villages ont la même taille ? Le centre du territoire des Bozes est une véritable ville, mais même cela n’est pas un sujet de conversation.

Si l’on considérait l’absence de famine et de trafic d’enfants dans le village de Colette, il s’agissait probablement d’un endroit prospère. Mitsuha avait trouvé impressionnant le fait que le village pouvait facilement subvenir aux besoins d’une étrangère errante comme elle.

Le comte Bozes doit faire un excellent travail… et maintenant que j’y pense, l’appeler « le village de Colette » donne l’impression que c’est Colette qui dirige. Eh bien, je ne suis pas très bonne pour me souvenir des noms, alors autant continuer à l’utiliser. Je ne me souviens même pas du nom de l’empire qui nous a attaqués. Eh bien, le messager qu’on a snipé l’a probablement dit, mais peu importe.

Pour Mitsuha, « Le père d’untel » pouvait rester « le père d’untel ». Le nom était gravé quelque part dans sa mémoire, mais elle ne se sentirait pas gênée si cela lui échappait. Elle ne se souvenait même pas des noms du propriétaire du restaurant ou du commerçant pompeux. « Propriétaire du restaurant » et « commerçant pompeux » lui suffisaient. S’il arrivait que deux personnes fassent affaire, elle se contentait de « propriétaire A » et « propriétaire B ».

Même le village de bord de mer serait pour elle un « village de pêcheurs », bien qu’il abritait des industries autres que la pêche. Elle avait appris peu après son arrivée que le poisson pêché ici était soit vendu localement, soit exporté vers les villages voisins, soit expédié vers les magasins de la ville centrale du comté. Mitsuha avait envisagé de leur dire de trouver un endroit pour la vente directe, mais il lui était venu à l’esprit que cela éloignerait les magasins des affaires. Les commerçants étaient également locaux, et donc pleinement imposables.

Vous les faites aussi mariner et sécher, hein ? Et vous en vendez même certains à la capitale ? Hmm. Ce sont vos bateaux de pêche ? C’est vrai ? Je vois, je vois. Très bien, ça suffit pour aujourd’hui !

Satisfaite, Mitsuha sauta chez elle au Japon. Elle vérifia ses e-mails et sa boîte aux lettres, puis elle partit faire des provisions d’ingrédients et de produits de première nécessité.

C’est vrai qu’avoir une voiture peu aider quand on achète beaucoup !

Elle avait également fait des rondes dans son quartier pour faire une apparition. Les gens s’inquiétaient s’ils n’avaient pas de nouvelles d’elle pendant trop longtemps. Après tout, c’était une enfant vivant toute seule.

Hé, j’ai dix-huit ans, et je peux passer pour une fille de quinze ans au Japon ! Oh, je suis encore une mineure à cet âge ? Merde, vous m’avez eue.

◇ ◇ ◇

Finalement, le jour où Mitsuha recevait son titre était arrivé. D’ailleurs, elle n’était pas la seule à recevoir cet honneur. Si l’anoblissement comme récompense était rare, un certain nombre de nobles avaient perdu leur titre pour leur trahison ou leur refus de répondre à l’appel aux armes, et leurs postes devaient être pourvus.

Bien entendu, il s’agit d’un cas particulier. Si les gens recevaient trop souvent des titres de noblesse, il n’y aurait que des élites de haut rang partout.

La couturière excentrique avait terminé la robe que Mitsuha avait demandée dans les délais impartis. Après avoir entendu que sa cliente avait été convoquée à une cérémonie royale dans un autre pays, la dame avait passé une nuit entière à confectionner la robe. Elle s’était même prosternée devant Mitsuha, la suppliant de l’accompagner, mais bien sûr, Mitsuha ne pouvait pas la prendre.

Une autre fois, peut-être. Je me demande ce qui est arrivé à mon autre robe ? Elle est toute couverte de sang. Est-ce un problème ? Oh, et mon épaule gauche est complètement guérie. Il y a un tas d’autres choses que j’ai faites en préparation de la cérémonie. Restez à l’écoute pour plus de détails après ces publicités !

Cet événement, qui avait également eu lieu au palais, avait accueilli encore plus d’invités que la cérémonie de remise des prix. Des nobles de tout le royaume étaient venus dans la capitale bien que ce ne soit pas la saison des bals. Il allait sans dire que le marquis Eiblinger et le comte Bozes étaient parmi les personnes présentes.

Mitsuha était la dernière de la file. Je suppose que mon tour sera le point culminant ? Oh, c’est parce que ce serait dur pour tous les autres si le public se mettait à trembler. J’ai compris.

La procédure s’était déroulée sans problème, et finalement, ce fut le tour de Mitsuha.

Qu’est-ce que c’est ? Vous êtes tous amoureux de ma robe ? Merci ! Je ne manquerai pas de vous la transmettre. Est-ce que cette dame aimerait que je prenne des commandes pour elle ? Mais je ne sais pas si elle accepterait d’être payée en pièces d’or.

« Mitsuha von Yamano, je vous accorde le titre de vicomtesse ! », proclama le roi.

Suivant ses paroles, Sabine remit un poignard à Mitsuha. Il était petit, à peu près de la même taille qu’un couteau de cuisine, mais il avait une signification particulière : « Avec ce pouvoir, bannissez les monstres et vainquez nos ennemis pour protéger votre terre et votre peuple. Si vous trahissez la confiance du roi, vous la planterez dans votre propre cœur. »

Franchement, c’est vraiment hardcore. Mitsuha déglutit.

Les autres avaient reçu leurs propres poignards du chancelier, mais Sabine avait insisté pour donner elle-même celui de Mitsuha. Mitsuha accepta volontiers et était sur le point de s’en aller lorsque le roi l’appela.

« Vicomtesse Yamano. Puisqu’il n’est pas présent, pouvez-vous accepter le titre destiné au fils du comte Bozes, Alexis ? »

Mitsuha regarda le comte Bozes, qui hocha la tête en silence. Elle savait exactement comment répondre.

« Je refuse. »

Les mâchoires du roi et du comte Bozes s’étaient ouvertes et le silence remplit la pièce. Ne faisant pas attention à eux, Mitsuha se mit à se retourner et se dirigea vers la porte principale.

« L’impudente ! »

« Capturez-la ! »

Des voix s’élevèrent, mais personne n’osait l’arrêter. Même le roi n’était pas encore remis de son désarroi. Alors qu’elle s’approchait de la porte, les gardes se tenaient paralysés, ne sachant pas comment réagir.

Mitsuha se mit alors à ouvrir la porte, révélant une silhouette derrière elle.

N’étant plus un garçon, mais pas encore un homme, il se dirigea vers le trône. Son bras droit était attaché à une écharpe autour de son cou, et son ventre avait été bandé plusieurs fois. Il ne portait pas de chemise, mais avait le bras gauche dans une veste dont l’autre côté pendait sur son épaule droite. Les boutons étaient défaits, mais cela lui donnait une impression de virilité plutôt que de vulgarité.

Ses pas sur le tapis en velours ne faisaient pas de bruit, mais c’était presque comme si on pouvait les entendre résonner dans toute la pièce. Des larmes glissèrent sur les joues du Comte Bozes. Le marquis Eiblinger fit un signe de tête en tapotant l’épaule de l’homme. Personne ne dit un mot lorsque le garçon — non, le jeune homme digne — se tenait devant le roi.

Finalement, Mitsuha rompit le silence. Elle respira et s’écria : « Donnez-le-lui vous-même ! »

Des cris de joie jaillirent de la foule.

« Mes excuses, Votre Majesté. Je ne suis pas tout à fait au mieux de ma forme », déclara Alexis.

« Cela n’a pas d’importance, mon garçon. »

Le roi déclara le plus joyeusement du monde : « Alexis von Bozes, je vous accorde le titre de vicomte ! »

« Je serais heureux d’accepter. »

Le jeune vicomte, incommodé par des bandages, inclina maladroitement la tête.

« Vous êtes le premier né du comte Bozes, n’est-ce pas ? Après avoir hérité du titre de votre père, vous pouvez conserver votre statut de vicomte et le transmettre à votre deuxième enfant. »

Alexis secoua la tête : « Je n’ai pas l’intention de le faire. »

« Quoi… ? »

« Théodore, mon frère cadet, peut avoir le titre de mon père. Je prendrai le statut de vicomte pour moi-même. Après tout, ce n’est pas seulement quelque chose dont j’ai hérité ! C’est un titre qui m’a été donné par le roi lui-même ! C’est le début d’une nouvelle et honorable lignée noble, et je serais fou de le laisser passer ! D’ailleurs… »

« Oui ? »

« Quand mon père se retirera, je serai devenu comte moi-même. »

Le roi trembla de rire, et le comte Bozes ne put s’empêcher de sourire. Une fois que le roi s’était suffisamment calmé, il donna à Sabine une sorte de signal. En réponse, elle se prépara à prendre le poignard suivant.

Vous savez quoi ? Je vais fêter ça avec une petite gâterie, pensa Mitsuha.

« Sabine, tu m’as déjà donné le mien. Tu devrais laisser ta sœur avoir son tour ! »

« Ah, tu as raison ! »

Sabine regarda ses frères et sœurs assis derrière le roi, et fit signe à sa chère sœur, la deuxième princesse.

Au fait, j’ai complètement oublié son nom.

Après un moment de confusion, la deuxième princesse se leva. Réalisant qu’il allait recevoir sa récompense d’une fille étant à la fin de l’adolescence, Alexis passa d’un air digne à un air terriblement troublé.

Oui, il adore ça ! Sabine est mignonne et tout, mais les jeunes hommes en bonne santé préfèrent les filles de leur âge.

Soudainement, la première princesse — celle qui avait une vingtaine d’années — arrêta la deuxième princesse dans sa course. Ignorant sa jeune sœur confuse, elle prit le poignard avec une expression aigre et le remit à Alexis sans même le regarder dans les yeux.

Umm, que se passe-t-il ici ? Je n’en ai aucune idée, mais Alexis, tu devrais arrêter d’avoir l’air si déçu. As-tu donc tant envie de mourir ? !

***

Chapitre 16 : Le comté de Yamano

Partie 1

Mitsuha avait désormais un titre de noblesse. Cela faisait d’elle une vraie et authentique noble. Pas une noble superficielle en titre seulement, mais une noble à part entière avec son propre territoire… et la responsabilité de le gérer qui allait avec.

Pourquoi est-ce arrivé ?!

Elle avait décidé de rencontrer le roi, le chancelier et le responsable de la gestion du territoire. Ce dernier — plutôt qu’un expert en gestion des terres nobles — n’était qu’une base de données humaine qui connaissait les territoires du royaume, leur emplacement, leur taille et leurs particularités. Son travail consistait à aider les nobles à acquérir ou à hériter de nouveaux domaines.

Mitsuha commença par décrire le type de terres qu’elle souhaitait.

« Je veux qu’il ait un rivage, des montagnes, des rivières, oh, et je veux qu’il soit petit. »

« Vous voulez un petit territoire ? »

« Oui. Un endroit trop grand et trop peuplé peut causer plus d’ennuis que ce qu’il vaut. Je veux avoir une communauté soudée qui ressemble plus à une famille. Ah, et me tenir le plus loin possible de la frontière ! Je ne veux pas être impliqué dans des conflits. »

Le roi sourit.

« Alors nous devons chercher dans le nord. C’est la seule partie du pays qui a un littoral », dit la base de données du Royaume. Il était évident qu’il savait de quoi il parlait.

« S’il vous plaît, regardez cette carte, » commença-t-il en faisant un geste. « Vous avez de grands fleuves qui se jettent dans la mer ici, ici et ici. Et ce sont vos petits fleuves. Il y a de vastes plaines autour des grands fleuves. Ce sont des comtés, bien sûr — déjà pris par d’autres nobles.

« Si vous voulez une petite zone proche de la mer et des montagnes, qu’une petite rivière ne vous pose pas de problème, et que l’on filtre les terres qui ne sont pas ouvertes ou qui n’appartiennent pas au roi lui-même, il y a celle-ci, celle-là, et celle-là ici. Choisir autre chose que ces terres signifierait chasser un autre noble. »

Whoa, chasser quelqu’un ? Ça les ferait me détester, c’est sûr. Dois-je juste faire avec et me battre pour une meilleure place ? Non. Je parie que la plupart de ces familles ont les mêmes territoires depuis des générations. La terre fait probablement partie d’eux en ce moment, je ne vais donc pas me mêler de ça.

« Alors… celle-là est bien ? » demanda-t-elle tout en le montrant du doigt.

« En effet. Cette terre appartenait à un ex-baron qui a été dépouillé de son statut quand il a choisi d’ignorer l’appel du roi pendant l’invasion. Il avait prévu de se ranger du côté du vainqueur une fois l’invasion terminée. Comme il est assez éloigné de la capitale, c’est un grand territoire pour un baron. Ce sera par contre un petit pour un vicomte, mais c’est quand même plausible. Il y a une petite rivière et une montagne qui n’est pas trop raide. Cela correspond certainement à vos conditions. Mais êtes-vous cependant certaine de votre choix ? Il y a des terrains adaptés aux vicomtes plus proches de la capitale. Et ils seraient aussi beaucoup plus rentables. »

Mitsuha refusa, car elle ne voulait pas vraiment cela. Être loin de la capitale signifiait moins de visites de nobles curieux et de marchands indiscrets, et la distance n’affecterait en rien ses activités.

De toute façon, j’ai mon propre terrain maintenant ! Attendez. C’est au nord… Il y a un rivage… Ça me semble très familier.

Peu de temps après, elle découvrit qu’il était juste à côté du comté des Bozes.

Était-ce vraiment une coïncidence ? Ce type base de données… Il connaît le Comte Bozes ? Je me demande s’il m’a piégée.

Mitsuha envisagea sa théorie de la conspiration pendant un moment, mais n’avait eu aucune difficulté à prendre sa décision. Le comte pouvait l’aider à gérer son domaine, sa famille était pleine de gens bien, et cela lui donnait une bonne excuse pour rendre visite à Colette plus souvent.

Hein ? Les terres d’Alexis sont aussi à côté des miennes ? Elle est à l’opposé du comté des Boz ? On m’a mise en sandwich des Bozes ? Oui, n’est-ce pas ? ! Elle était maintenant convaincue que cela avait été planifié.

Tu veux passer sur mes terres pour pouvoir rendre visite à tes parents ? Oui, oui. Bien sûr.

Hein ? Un « oui » suffit ? Oui, oui. Comme tu veux.

Ayant une conversation imaginaire, elle commença à se préparer à visiter son territoire. Elle s’interrogeait sur son magasin. Ne vous inquiétez pas, elle n’avait pas l’intention de l’abandonner, elle le fermerait simplement pour le moment. Elle n’avait pas non plus l’intention de l’emporter avec son pouvoir de saut dans le monde. Pas maintenant, en tout cas. Cependant, son cœur allait aux pauvres âmes qui avaient désespérément besoin de shampoing. Elle avait donc l’intention de le rouvrir dès que possible.

Mitsuha passa les trois jours suivants à suivre une formation en gestion du territoire dispensée par une personne recommandée par le roi lui-même. Il y avait beaucoup à apprendre en si peu de temps, mais les connaissances modernes de Mitsuha avaient rendu les leçons beaucoup plus faciles. Elle connaissait déjà les bases, telles que la fiscalité, la gestion du budget et le moral. Son niveau de compréhension avait même surpris le professeur.

Elle avait également enregistré ses leçons sur un magnétophone afin de pouvoir les revoir quand elle le souhaitait.

Vive la science !

Après avoir terminé sa formation accélérée, Mitsuha était prête à partir. Elle avait prévu de se rendre sur son territoire en calèche, bien sûr. Elle n’avait pas de voiture privée, ne savait pas où en trouver une, et n’avait aucune envie de passer les prochains jours seule avec son chauffeur.

Il lui était toujours possible de se rendre directement dans le comté des Bozes, mais elle voulait au moins jeter un coup d’œil sur la route entre la capitale et son domaine. Bien sûr, elle avait pris le même moyen de transport lors de son premier voyage vers la capitale, mais son attitude avait été très différente à l’époque. Elle devait maintenant réfléchir à ce qu’elle pouvait faire pour son domaine : examiner les problèmes liés aux déplacements entre la capitale et son domaine, voir l’état des environs, etc. Mitsuha pouvait aussi apprendre beaucoup des autres passagers, maintenant qu’elle savait quelles questions poser.

Avant son départ, un bon nombre de personnes étaient venues la voir pour lui proposer leur aide. C’était tout naturel, être l’un des premiers employés sous un nouveau noble était un statut convoité. Ils seraient plus haut placés dans la hiérarchie que tous ceux qui suivaient et, comme la tête était un enfant — à leurs yeux, en tout cas —, ils avaient la possibilité de l’usurper ou d’utiliser eux-mêmes son pouvoir. Peut-être même pourraient-ils faire entrer leur propre famille dans sa lignée.

Et si la cupidité ne suffisait pas, ils pouvaient tout aussi bien être des espions chargés d’en savoir plus sur la technologie de sa patrie, en particulier sur les « armes divines ». Quoi qu’il en soit, Mitsuha ne pouvait pas prendre le risque.

Je ne vais pas engager ceux qui sont clairement dans le coup pour les bonnes choses. Vous avez travaillé pour un noble avant ? Vous dites que vous êtes un vétéran quand il s’agit de gérer des terres ? Un vrai pro ? Pas question, allez-vous doubler mes profits ? Et vous, vous savez comment gérer les gens. Alors, je devrais vous laisser tout ça ?

Vous êtes tous des crétins. Si vous étiez aussi bon, vous ne chercheriez pas désespérément un emploi dans un endroit comme celui-ci.

Elle les avait tous refusés, régla la sécurité du magasin sur le mode de défense maximum et demanda à ses voisins d’appeler les soldats du palais s’ils voyaient quelqu’un rôder dans les environs. Après cela, elle rencontra le groupe de Sven et leur demanda de surveiller les environs du magasin chaque fois qu’ils seraient en ville. Elle les présenta également aux voisins, et vice versa.

Les deux groupes l’avaient informée que personne n’oserait se faufiler chez l’archiprêtresse de la foudre, mais elle les avait ignorés pour la plupart. À la fin, le roi dédia quelques soldats du palais pour patrouiller la zone.

Le jour de son départ, Mitsuha était arrivée à sa diligence pour trouver Sabine qui l’attendait avec ses bagages.

Whoa, whoa, whoa ! Désolée, petite dame, mais je vais devoir te chasser. Les gardes du corps de la princesse, dissimulés à proximité, avaient prévu de la ramener de force au tout dernier moment, et c’est exactement ce qu’ils firent. Alors vous l’avez laissée s’accrocher à son rêve jusqu’à ce qu’il se réalise presque, hein ? Wôw, c’est dur.

La diligence de Mitsuha se dirigeait vers le comté de Bozes. La maison d’un nouveau vicomte n’était pas assez importante pour avoir une route de calèche fixe, donc c’était sa meilleure option.

Elle portait une robe que l’on pouvait s’attendre à voir sur une roturière normale. Elle était simple, mais fluide et charmante. Cette robe devait la rendre plus accessible à ses compagnons de voyage.

J’apprends de mes erreurs. Je serai aussi super amicale et bavarde. Le personnage de Sabine, « serveuse du Paradis », sera probablement une bonne référence pour cela.

En dessous, elle portait un Walther PPS sur sa cuisse droite et un petit couteau sur sa gauche. Le Walther habituel était placé sous son bras, mais celui qu’elle portait sur sa jambe était plus facile à sortir en cas d’urgence. Le 93R et le revolver étaient tous deux rangés dans un étui dans son sac parce qu’ils attiraient trop l’attention.

Le sac rempli d’armes était à ses côtés, tandis qu’un plus grand sac contenant ses vêtements de rechange et d’autres effets se trouvait sur l’étagère de rangement de la diligence. Les bagages plus volumineux allaient généralement sur le toit, mais il n’y avait pas trop de passagers et le conducteur n’avait pas voulu séparer une jeune fille de ses affaires. Elles étaient d’ailleurs assez minces.

À l’heure actuelle, la voiture comptait douze passagers. Comme elle partait de la capitale, il est peu probable que ce nombre augmente. Au fur et à mesure de ses arrêts, il y aurait de moins en moins de monde à l’intérieur.

Peu après le départ, Mitsuha appela un jeune homme à l’air amical qu’elle supposait être un marchand. Elle se présenta comme une commerçante ignorant tout de la situation, se dirigeant vers le pays d’un nouveau noble.

Ce n’est pas un mensonge. Je suis une commerçante, et je ne sais rien de ce monde.

Même si elle était encore une enfant, le marchand aimait parler avec une jolie fille. Elle l’écoutait attentivement et lui posait de bonnes questions, preuve qu’elle était intéressée par ce qu’il avait à dire. La jeune fille le comprenait et avait clairement la tête sur les épaules. Au cours de leur conversation, il avait même lui-même appris quelques trucs. Il était évident qu’elle ferait une excellente commerçante. À tel point qu’il songea même à parler à sa femme de la possibilité de transmettre son métier à une fille plutôt qu’à un fils.

Les deux individus se parlaient naturellement, et tout l’échange était assez limpide. Leur énergie positive incita les spectateurs à se joindre à eux et au final tout le monde avait beaucoup appris de l’autre.

***

Partie 2

À deux jours du comté de Bozes, le carrosse fut attaqué par des bandits.

« Ce genre de chose n’est-il pas censé être rare ? », demanda Mitsuha.

« Oh, euhh… à cause de tous les soldats de l’Empire dispersés, cela arrive plus souvent ces derniers temps. Il y a les fermiers qui sont restés ici parce qu’ils risquaient de passer un mauvais moment s’ils revenaient, les officiers de bas rang qui pouvaient être exécutés pour la défaite, les mercenaires échoués qui n’étaient pas payés… Beaucoup ont choisi de se réfugier au nord parce que le royaume traquait tous ceux qui allaient au sud. »

« Oh, oui. Je suppose que “rare” ne veut pas vraiment dire “jamais”… Je devrais m’en souvenir. »

Alors que presque tous les passagers commençaient à paniquer, Mitsuha discutait avec un homme d’âge moyen un peu plus raffiné, comme si l’agression en cours n’était pas un problème.

Je n’en ai jamais assez de ces types. Ils ont juste cette aura de « papa » autour d’eux. Non, je ne veux pas dire qu’ils sentent. C’est l’aura !

Mitsuha était calme parce qu’elle pouvait se sortir de la situation à tout moment. L’homme était calme à cause du soi-disant « droit d’extraterritorialité », une sorte d’accord non écrit entre les mercenaires et les bandits. Contrairement aux mercenaires engagés pour la protection, ceux que vous rencontrez par hasard n’avaient aucune obligation de protéger qui que ce soit. Mettre leur vie en danger pour quelqu’un sans contrat n’en valait tout simplement pas la peine. Il en allait de même pour les bandits : combattre un mercenaire qui restait inactif pendant qu’ils pillaient était souvent à leur détriment.

Les mercenaires n’avaient aucune raison de défendre les passants, et les bandits n’avaient aucune raison de combattre les mercenaires durs et sans le sou. C’était ainsi que leurs intérêts coïncidaient. La présence d’un mercenaire dans cette situation pouvait également réduire le nombre de meurtres et de brutalités après les combats, de sorte qu’il était également possible de s’arranger pour les passagers et les mercenaires sous contrat. Cependant, les bandits n’hésiteraient pas à kidnapper des femmes et des enfants.

En comptant Mitsuha, il y avait neuf passagers. Parmi eux, il y avait une femme, une jeune femme et deux autres jeunes filles. Mitsuha n’avait pas compté le cocher, car les bandits ne lui auraient sûrement pas fait de mal. Si trop de cochers étaient perdus, ces véhicules cesseraient complètement de rouler. Cela serait mauvais pour le pays et les seigneurs locaux, et ils n’auraient pas d’autre choix que de lancer une chasse aux bandits. L’absence de moyens de transport rendrait également la tâche des bandits plus difficile. Pour ces raisons, les bandits n’avaient même pas pensé aux cochers lors des raids, et les cochers eux-mêmes n’étaient jamais intervenus. Dans leur esprit, céder à une indignation vertueuse et se défendre ne ferait que placer une cible sur le dos de tous les cochers.

« Je vais me battre », déclara l’un des hommes.

C’était évidemment un fermier, et deux des quatre femmes étaient des membres de sa famille — sa femme et sa fille. Il allait sans dire qu’il ne voulait pas les voir se faire kidnapper sous ses yeux, même si cela signifiait sa mort.

Le suivant à prendre la parole était un homme âgé.

« Je vais me battre avec toi. Mes enfants sont déjà grands et, dans le passé, j’ai commis de nombreux méfaits pour protéger ma famille. Je dirais qu’il est grand temps que je donne un coup de main à quelqu’un d’autre. J’ai aussi apporté toute ma richesse et j’aimerais bien qu’elle survive à ce voyage avec moi. »

« Merci. »

Le fermier baissa alors la tête.

Après avoir jeté un coup d’œil à Mitsuha, le jeune marchand se joignit à lui.

« Je vous aiderai aussi. »

« Je ne veux pas participer à ça. Nous devons juste leur donner notre argent et nos biens et nous en sortirons indemnes, n’est-ce pas ? Après tout, il y a ici un mercenaire errant qui a l’extraterritorialité. Si nous résistons, nous finirons juste par être blessés ou même tués. Abandonner, c’est la voie à suivre ici, bande d’idiots ! », dit un homme qui semble avoir la vingtaine.

Personne ne pouvait lui reprocher sa lâcheté. Chacun fixait lui-même ses propres priorités. Même le fermier n’aurait probablement pas décidé de se battre s’il n’avait pas sa famille avec lui.

Le dernier à avoir parlé était le mercenaire. Il s’était tourné vers le fermier et lui demanda : « Hé, tu veux engager un garde du corps ? Je prendrai une pièce d’argent. »

« Hein ?! »

Ils crièrent tous à l’unisson.

Mitsuha sourit. Quel homme, pensa-t-elle.

« Quoi ? ! N’allez-vous pas utiliser le droit d’extraterritorialité ? », s’écria le jeune homme.

« C’est une condition pour les mercenaires qui ne sont pas engagés, jeune homme », répondit le mercenaire.

Oh, bon sang. Pourquoi y a-t-il tant de types bien parmi les mercenaires ? Tu sais quoi, je vais aussi t’aider.

« De l’amour à la gestion de vos terres, le magasin général Mitsuha vous dira comment on fait ! Vous voulez que je me débarrasse des bandits ? Juste une pièce d’argent, s’il vous plaît. »

Le mercenaire avait été visiblement surpris, et Mitsuha s’était mise à le regarder.

Oui, je ne peux pas résister à un homme raffiné d’âge moyen.

Le mercenaire avait une épée courte comme arme principale. Il donna à Mitsuha sa dague de rechange, et elle commença à sentir que le vieil homme n’était pas le roturier qu’il avait semblé être au premier abord. Elle fouilla dans un de ses sacs, sortit un couteau de chasse et le donna au jeune marchand. L’expression de son visage était délicieuse.

Une dame n’est pas convenable si elle n’est pas passionnée par les couteaux ! C’est un plus à notre beauté !

Mitsuha sortit ensuite sa ceinture d’armes et l’accrocha autour de sa taille. Il y avait le 93R, le revolver et des chargeurs de rechange. Les balles du 93R étaient des balles à pointe creuse. Elles étaient réservées aux monstres et aux humains ne portant pas d’armure métallique, et donc adaptées à la situation.

Le revolver était chargé de balles perforantes. Le « blindage » faisait référence à des gilets en kevlar, et non aux armures de plaques abondantes dans ce monde. Cela fonctionnerait sûrement sur tout ce que les bandits porteraient. Pour autant que Mitsuha le sache, les bandits qui portaient une armure métallique étaient rares, car ils préféraient la mobilité à la défense.

Une fois qu’elle fut complètement équipée et prête au combat, Mitsuha obtint un regard étrange de la part des autres passagers.

Quant au fermier, il brandissait une planche de bois qu’il avait arrachée du véhicule. Il était fort, mais pas habitué à se battre. Il était donc préférable de lui donner quelque chose de pointu.

Les bandits avaient bloqué le chemin devant et derrière. Ils étaient huit au total. Trois avaient l’air de mercenaires entraînés, tandis que les cinq autres semblaient nerveux et jeunots. Mitsuha devinait qu’il s’agissait d’anciens fermiers enrôlés dans l’armée impériale.

Quatre des passagers quittèrent la voiture pour se battre, laissant derrière eux le jeune marchand pour protéger les femmes de la prise d’otage. Ce type de diligence exigeait que l’on utilise les deux mains pour entrer, de sorte que même un amateur comme lui avait une chance de repousser les envahisseurs potentiels.

Oh, et juste pour que vous le sachiez, ceux qui avaient donné les deux pièces d’argent étaient le fermier et la jeune femme. Une chacun.

Le premier à parler fut l’un des trois bandits à l’allure de mercenaire.

« Laissez vos objets de valeur ici et vous ne serez pas blessés. Et enlevez vos vêtements. Mais vous pouvez garder vos sous-vêtements. C’est pareil pour les femmes, laissez-les ici aussi. Elles n’ont pas besoin de se déshabiller… Pas maintenant, en tout cas. »

Il sourit alors avec malice.

Mon Dieu, je déteste ça, pensa Mitsuha en grinçant des dents. Ce ver n’est pas un mercenaire, c’est une insulte ambulante au groupe de Sven, Wolfgang, et à ce type raffiné d’âge moyen qui est à côté de moi. C’est dégoûtant.

Le vieil homme et le fermier ne voulaient tuer personne, et il était tout à fait possible qu’ils se fassent eux-mêmes tuer. C’était en gros Mitsuha et le mercenaire contre les huit bandits. Cinq des bandits étaient évidemment des jeunots, mais là encore, on ne savait pas très bien quelle était la force des mercenaires de chaque côté.

Mitsuha jeta un coup d’œil à l’homme qui se trouvait à côté d’elle. Si vous me demandez, notre mercenaire semblait assez fort. Mais je ne sais pas s’il l’est vraiment.

Ils étaient clairement en infériorité numérique, et Mitsuha ne voulait pas attaquer avant que les bandits ne fassent savoir qu’ils étaient prêts à tuer. Elle savait que c’était naïf, mais elle devait envisager toutes les possibilités.

« Et toi, le mercenaire. L’extraterritorialité, c’est ça ? Allez, pars. »

Le vieux mercenaire n’avait pas bougé d’un pouce.

« Moi ? Je suis un, euh… garde engagé », répondit-il de sa voix grave.

Dans l’esprit de Mitsuha, la partie « mercenaire » avait été remplacée par autre chose.

Garde du corps, garde du corps, garde du corps…

« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

Un des bandits avait sorti son arme.

Les trois bandits expérimentés avaient tous des épées, tandis que les cinq autres avaient des épées et des lances, à trois contre deux. Un seul d’entre eux avait sorti son épée, ce qui donnait la possibilité à Mitsuha d’intervenir, selon ses propres règles.

B-B-BANG !

L’homme qui avait dégainé son épée avait été emporté par le vent.

« Hein… ? »

L’un des leurs était tombé par terre en un instant. Incapables d’assimiler ce qui venait de se passer, les bandits étaient figés sur place. Aucun bon mercenaire ne pouvait passer à côté d’une ouverture aussi évidente. Et le mercenaire du côté des passagers était vraiment bon.

Il sortit sa courte épée, couru vers les bandits, et taillada l’un d’entre eux avec une vitesse incroyable avant de tourner autour et d’en taillader un autre.

Il est fort !

En quelques secondes, l’ennemi avait perdu sa force principale. Les cinq encore debout paniquaient, mais ils n’avaient pas lâché leurs armes.

Vous pouvez avoir la chance du débutant avec des lances, alors je vais d’abord sortir les lanciers.

B-B-BANG ! B-B-BANG !

Le pistolet mitrailleur projeta ses trois coups.

Selon les critères de Mitsuha, le « ancien » dans « ancien fermier » était très important. Ils s’étaient abaissés bien trop bas et étaient maintenant de véritables bandits meurtriers. Mitsuha était certaine qu’ils avaient déjà tué des gens et que s’ils étaient laissés en vie, ils tueraient sûrement à nouveau. Pour autant qu’elle le sache, ces victimes pouvaient être quelqu’un de cher. Elle ne pouvait tout simplement pas les laisser partir.

Le mercenaire ne tarda pas à s’occuper des trois autres manieurs d’épée. Dans l’ensemble, c’était une victoire si parfaite que l’on ne pouvait pas parler de combat.

***

Partie 3

De retour dans la diligence tremblante, le fermier avait dit à Mitsuha tout ce qu’il savait sur le comté des Bozes. Il faisait de son mieux pour récompenser sa sauveuse par la connaissance. Les autres passagers s’étaient mis à la tâche et elle s’était retrouvée avec une quantité considérable de nouvelles informations, dont certaines n’étaient pas facilement accessibles.

Mitsuha avait également demandé au mercenaire, à l’homme âgé et au fermier de ne parler d’elle à personne. Ils avaient tous accepté. Les deux premiers semblaient habitués à garder des secrets, et le fermier ne pouvait pas refuser quelqu’un qui avait mis sa vie en danger pour sa famille.

Les autres étaient restés à l’intérieur du carrosse, ils n’avaient donc rien vu. Ils avaient entendu les coups de feu, bien sûr, mais ils n’avaient aucune idée d’où venaient les bruits. Les quatre combattants s’étaient également mis d’accord pour prétendre que chacun d’entre eux avait joué un rôle dans la défaite des bandits. Plus précisément, ils s’étaient mis d’accord pour dire que le mercenaire en avait tué cinq, tandis que les trois autres en avaient tué un chacun. Seule la première partie était vraie.

La diligence était maintenant pleine d’armes et d’objets de valeur pris aux bandits. Les passagers avaient prévu de les amener au seigneur local, où ils seraient contrôlés, puis de les rendre à celui qui les aurait apportés. Le contrôle était nécessaire pour savoir, par exemple, si les armes avaient été fournies aux bandits par un autre pays pour les laisser interférer avec les affaires locales. Il ne faisait guère de doute que les bandits étaient des restes de l’empire, et qu’ils devaient donc récupérer les choses immédiatement.

Comme Mitsuha n’allait pas dans le comté des Bozes, elle donna sa part des armes au fermier. L’homme essaya de refuser, mais elle l’avait convaincu en disant qu’elle n’allait pas dans la ville principale du comté, et qu’une fille normale sur le point de travailler en dehors de la capitale n’avait pas à avoir ce genre de choses. Le fermier lui avait dit qu’il ne vendrait pas sa part d’armes et qu’il les utiliserait plutôt pour s’entraîner et devenir assez fort pour protéger sa famille. Après toute l’affaire du bandit, sa femme et sa fille lui avaient fait confiance et l’avaient respecté plus que jamais.

Avant l’attaque, l’homme d’une vingtaine d’années avait parlé avec la jeune femme, mais maintenant elle l’avait complètement ignoré ou jetait simplement un regard furieux. Il était manifestement déprimé, mais son mépris était plutôt mérité.

On pourrait chercher partout sur la Terre et dans ce monde, mais on ne trouvera pas une seule femme qui sourirait à un homme prêt à la livrer à des bandits !

Une fois arrivée à un carrefour particulier, Mitsuha sortit du carrosse. Elle finirait le reste du trajet menant à sa terre en marchant. Elle l’avait provisoirement appelée « le comté de Yamano ». Les autres passagers lui firent signe au moment du départ, à l’exception du jeune homme, qui s’était assis en position fœtale.

Vous vous demandez peut-être pourquoi personne n’avait fini par découvrir qui elle était, mais la réponse à cette question est simple.

Nous vivions dans un monde sans télévision ni internet, la diffusion de l’information était donc lente et peu fiable. Plus elle était transmise, plus elle devenait mauvaise, comme un jeu extrême du téléphone. De ce fait, les seuls qui savaient à quoi Mitsuha ressemblait réellement et les détails de sa bataille contre l’empire étaient les gens qui étaient là pour la voir. Tous les autres avaient fini par être mal informés à des degrés divers.

De plus, la plupart des passagers n’étaient pas dans la capitale pendant la bataille, et ceux qui y étaient n’avaient entendu que sa voix déformée par les haut-parleurs. La plupart de ceux qui l’avaient vue n’avaient fait que l’apercevoir au loin.

Quant aux coups de feu, les sons entendus dans la capitale étaient ceux de RPG, de mitrailleuses lourdes et d’autocanons de 20 mm. Comparé à cela, le tir d’une arme de poing n’était rien. Les « soldats divins » avaient également utilisé ce qu’ils croyaient être de longues armes de foudre, et les armes de poing de Mitsuha n’approchaient même pas de cette description.

Peut-être que les bandits, en tant qu’anciens soldats de l’Empire, avaient réalisé ce à quoi ils étaient confrontés, mais comme le dit le proverbe, « les morts ne parlent pas. »

◇ ◇ ◇

Après huit jours de voyage sur terre et dix secondes sur l’eau, Mitsuha était finalement arrivée dans le comté de Yamano.

J’ai traversé une rivière. Et alors ?

En voyant la capitale du comté apparaître entre les arbres, elle était sûre d’une chose. Je n’appellerai pas ça une « capitale », ça, c’est sûr ! Ce n’est même pas une ville, c’est un village ! Appeler ça une capitale, c’est trop gênant ! Argh, je suppose que c’est une « ville ».

Avant d’entrer, elle avait décidé de rentrer chez elle. Elle était partie depuis plus d’une semaine, il devrait y avoir beaucoup de courrier électronique et postal empilé… et elle avait désespérément besoin d’utiliser la salle de bain et de prendre un bain.

◇ ◇ ◇

Mitsuha entra dans le village. Comme la route principale menait à la mer, c’était une véritable impasse. De ce fait, les voyageurs étaient rares, ce qui expliquait probablement pourquoi elle attirait tant l’attention.

Oh, c’est parce qu’une petite fille en robe est venue ici toute seule, sans aucun vrai bagage ? Très bien, alors.

Mitsuha avait faim, elle alla donc d’abord dîner au restaurant local — si ce terme s’appliquait à un endroit qui ne vend que des repas pour les locaux et par les locaux. Cette visite était aussi l’occasion de recueillir des informations, c’était pourquoi elle avait renoncé à manger chez elle. Elle commanda tout ce qu’ils avaient à offrir et demanda le nom du village. Ils l’appelèrent simplement « ville. »

Pas de nom ? Ce sont vraiment mes gens… Bien que ce ne soit pas un « village », alors, hein ?

Comme c’était une ville côtière, le repas qu’on lui avait donné était principalement à base de poisson, mais il n’y avait rien d’autre qui soit intéressant. Le restaurant se trouvait dans un petit coin d’une petite ville, et ce n’était pas encore l’heure du déjeuner, Mitsuha était donc la seule cliente. En discutant, elle demanda des avis sur le précédent seigneur responsable de la zone. Mais la propriétaire du restaurant n’était pas très bavarde à ce sujet.

Le fait qu’il soit un noble déshonoré leur avait fait honte à tous. On ne savait pas quel genre de personne serait le prochain seigneur, et il était peu probable que cette pauvre région déshonorée connaisse un jour un bon seigneur. La dame était peut-être prête à faire des commérages et à se plaindre auprès d’un proche, mais ce n’était pas quelque chose qu’elle mentionnerait à un étranger. Mitsuha n’avait cependant pas insisté sur ce point et s’était contentée de demander l’emplacement du manoir de l’ancien seigneur avant de poursuivre son chemin.

Le manoir se trouvait à la périphérie de la ville. Comme la ville était petite et que les bâtiments étaient rares, Mitsuha n’avait eu aucun mal à le trouver.

Je n’appellerai pas ça un « manoir ». Ce serait humiliant. « Résidence » semble être un terme plus exact. Les termes « maison » ou « habitation » seraient un peu tristes.

Portant toujours toutes ses possessions sur son dos, Mitsuha se rendit à la porte d’entrée et frappa dessus bruyamment avec ses poings.

« Oui ? Qui est-ce ? »

La porte s’ouvrit, et une servante qui ne semblait pas avoir plus de dix-sept ans se tenait là.

Bien que le seigneur précédent et sa famille avaient perdu leur statut de noblesse, les serviteurs n’étaient pas fautifs. À moins qu’ils ne soient des serviteurs personnels, on ne pouvait pas prendre des serviteurs sur des terres qu’ils avaient déjà possédées. De plus, le prochain seigneur aurait également besoin de serviteurs. La plupart d’entre eux étaient aussi des locaux qui avaient de la famille dans la région, ils ne pouvaient donc pas les abandonner.

Mais même s’ils étaient venus d’ailleurs, ni le seigneur ni les serviteurs ne savaient comment ils devaient agir. Par conséquent, en plus de ceux qui partaient de leur propre chef, les serviteurs restaient à la résidence et servaient le seigneur suivant.

Bien sûr, certains serviteurs démissionnaient s’ils décidaient que le remplaçant ne leur plaisait pas, et le nouveau seigneur pouvait renvoyer les serviteurs avec lesquels il avait des problèmes. Les serviteurs augmentaient également leurs chances d’être renvoyés s’ils étaient pris à parler de la façon dont les choses se passaient sous le seigneur précédent.

Quoi qu’il en soit, la plupart des domestiques étaient restés, prêts à l’accueillir. Bien sûr, aucun n’était à la charge du précédent seigneur.

Très bien, ce sont mes serviteurs… Pour l’instant, en tout cas.

« Hum, je suis Mitsuha », dit-elle.

« Hein ? Mitsuha ? »

La servante avait l’air perplexe.

« Mitsuha von Yamano. Vicomtesse et nouvelle dirigeante de ce comté. »

« Hein ? Oh, je vois. Attendez, QUOI ? ! »

Il fallait s’attendre à la réaction de la fille. Peu importe que le nouveau seigneur soit une fille qui n’avait pas l’air d’avoir plus de douze ans, il était très peu probable que le seigneur se rende seul sur son nouveau territoire.

« S’il vous plaît, rassemblez les serviteurs. Je les saluerai tous. »

« Hum, oui ! Tout de suite ! »

La servante se dépêcha de partir.

Une fois tous les serviteurs rassemblés, Mitsuha s’était adressée à eux.

« Bonjour, tout le monde. Je suis le nouveau seigneur local, Mitsuha von Yamano. Ce territoire est de la même taille qu’auparavant, mais il sera désormais dirigé par une vicomtesse, plutôt que par un baron. »

Les serviteurs furent choqués, et vous ne pouviez pas leur en vouloir. La vicomtesse était une noble plus puissante que le baron, et cela signifiaient beaucoup. Ils pouvaient désormais espérer une meilleure rémunération, un meilleur traitement et un meilleur statut social, car même les serviteurs étaient considérés différemment selon le type de noble qu’ils servaient. Le titre de « serviteur du vicomte » était un titre puissant, que ce soit pour trouver du travail ou chercher un conjoint. C’était comme la différence entre un couteau de table et une épée courte.

Ils avaient été informés que la capitale leur enverrait un nouveau noble pour les diriger, mais on ne leur avait rien dit de la personne en question. Des choses comme le rang, le sexe, l’âge et l’apparence étaient un mystère pour eux.

Bien sûr, c’était tout à fait intentionnel. La dissimulation de ces informations avait empêché les serviteurs de faire des suppositions injustes sur leur futur patron. Ils pouvaient tirer leurs propres conclusions une fois qu’ils le voyaient en personne.

C’était pourquoi de nombreux serviteurs étaient ravis. Ils travaillaient maintenant pour une vicomtesse — une gentille petite fille, en plus. S’ils jouaient bien leurs cartes et lui parlaient gentiment, ils pouvaient se faire une vie merveilleuse, et s’ils la manipulaient… les possibilités étaient infinies.

« Alors, voilà ! J’espère qu’on s’entendra bien. Je suis nouvelle dans ce domaine, alors aidez-moi de toutes les façons possibles. Et comme je l’ai déjà dit, je vous accorderai à tous des entretiens à une date ultérieure. Maintenant, veuillez retourner à vos fonctions. »

Mitsuha termina son introduction, en veillant à paraître aussi douce et courtoise que possible.

Certains avaient été soulagés d’avoir reçu une nouvelle chef sympathique. D’autres riaient en la sous-estimant, et d’autres encore devenaient moroses en se lamentant sur l’avenir de cette terre. Les impressions des dix-huit serviteurs n’étaient guère concordantes.

***

Partie 4

Mitsuha mangeait seule, car les serviteurs ne pouvaient pas manger aux côtés de leur chef. Et bien qu’ils se trouvaient dans une zone balnéaire, il y avait beaucoup de viande rouge sur la table.

Probablement les goûts du seigneur précédent, pensa Mitsuha.

Louant la nourriture, elle mangea tout ce qu’on lui présentait. Il était normal que les nobles reçoivent suffisamment de restes, elle avait donc manifestement exagéré cette fois.

Après avoir pris un bain, elle s’était enfermée dans sa nouvelle chambre et sauta dans sa maison sur Terre. Elle sauta alors à nouveau, apportant une petite boîte en carton qu’elle avait préparée au préalable. Ensuite, elle déverrouilla la porte et fit le tour de sa résidence. Elle regarda les domestiques travailler, les encourageant ici et là, puis elle retourna dans sa chambre. Agenouillée devant le carton — qui était nettement plus vide qu’auparavant — elle sortit divers équipements de sécurité et les disposa autour de la porte et des fenêtres. Une fois qu’elle en eu fini, elle s’était endormie.

Bip.

Mitsuha avait été réveillée par un bruit électronique. Il s’agissait d’une alarme qui se déclenchait lorsque quelque chose passait devant le laser de sécurité à sa porte. Saisissant le Walther sous ses draps, elle s’était retournée et vit la femme de chambre qui l’avait accueillie à la porte hier.

« Bonjour. Vous êtes déjà réveillée ? », demanda la bonne.

« Bonjour ! J’ai si bien dormi ici. Le petit déjeuner est-il prêt ? »

Mitsuha lâcha son arme et sourit.

Après le petit-déjeuner, elle fit une autre promenade dans la résidence. Une fois de retour dans sa chambre, elle plaça un chiffon sur la poignée de la porte pour couvrir le trou de la serrure et sortit un tas d’appareils électroniques. Il s’agissait de très petits enregistreurs vocaux qu’elle avait achetés à Akihabara. Ils commençaient automatiquement à enregistrer lorsqu’ils captaient un son, puis s’arrêtaient après un certain silence. Elle les avait installés un peu partout la nuit dernière.

« Écoutons donc ce que vous avez tous capté. »

Elle fit alors un sourire malicieux.

◇ ◇ ◇

Mitsuha était un seigneur de bonne humeur et douce. Elle souriait toujours, veillait sur ses serviteurs et se promenait dans les villages de pêcheurs, de montagne et d’agriculteurs de sa région pour saluer les habitants. Mais beaucoup pensaient qu’elle était en mauvaise santé, car elle se retirait souvent dans sa chambre à midi.

Pensant savoir quel genre de personne était Mitsuha, certains serviteurs recommencèrent à diluer les dépenses ou à faire des affaires secrètes avec des marchands. Ils s’étaient abstenus de faire ces activités jusqu’à ce qu’ils sachent à quel seigneur ils avaient à faire, mais maintenant que cela était fait, ils les faisaient presque effrontément. Il y avait aussi des préposés qui s’enfuyaient pendant les heures de travail après avoir laissé leur travail à d’autres, des majordomes qui s’approchaient agressivement des filles du village, des servantes qui sortaient en douce des marchandises de la résidence, etc.

Le majordome en chef avait remarqué le danger et exprimé ses inquiétudes, mais Mitsuha continua à sourire comme si de rien n’était. Son serviteur diligent et fidèle était désemparé. Si ces ingrats étaient autorisés à continuer, notre comté sera en plein désarroi. Il fallait faire quelque chose.

Les jours passèrent, et la mauvaise conduite ne montra aucun signe d’arrêt.

« Il est temps », dit Mitsuha. Il est temps de sévir.

« Très bien. Vous êtes tous les six renvoyés pour conduite indigne d’un domestique », déclara Mitsuha tout en regardant les coupables.

Ce fut si brusque que les serviteurs accusés explosèrent d’indignation.

« Quelle est cette idiotie ? Pourquoi moi !? »

« Est-ce une sorte de plaisanterie ? Vicomtesse ou pas, vous ne pouvez pas renvoyer quelqu’un sans raison légitime ! »

Mitsuha les regarda avec une expression glaciale.

« Idiotie ? Et qui est l’idiot ici ? »

« Qu… Quoi ? »

« Je demande, qui est l’idiot ici ? ! »

Les cris de ce qu’ils croyaient être une vicomtesse faible et molle ébranlèrent leur bravoure.

« Hans. J’ai toujours loué ta cuisine, n’est-ce pas ? », dit-elle en se tournant vers un homme en particulier.

« Hein ? Euh, oui… »

Han — le chef cuisinier — était déconcerté.

« Oui, j’ai toujours dit que ta nourriture était bonne, mais pour une raison inconnue, le goût n’a fait qu’empirer. Les éloges ne devraient pas normalement te motiver à faire un travail encore meilleur ? »

Le chef s’était tu.

« Pourquoi cela n’est-il pas arrivé ? Connais-tu la raison ? »

À chaque mot qu’elle prononçait, il devenait plus pâle.

« C’est parce que tu pensais qu’un enfant comme moi ne remarquerait pas la baisse de goût et tu as donc choisi des ingrédients de mauvaise qualité. Ils sont devenus de moins en moins chers, mais pour une raison inconnue, nos dépenses de cuisine sont restées les mêmes. N’est-ce pas étrange, Hans ? »

Hans était maintenant blanc comme un linge.

Mitsuha était ensuite passée à l’homme à ses côtés.

« Hé, Gunther, il n’y a pas un problème avec les quantités de blé ? »

« Pardon ? »

« La quantité de blé que nous avons gagnée en taxe auprès des villages et la quantité que nous avons vendues aux marchands sont légèrement différentes, n’est-ce pas ? Quelqu’un écrit les mauvais chiffres. Et qui ferait ça, hein ? Personne n’a remarqué ? Qui est responsable de ça, déjà ? »

« Euh… »

« Tilde, avant-hier, tu as confié ton travail aux femmes de ménage et tu es allée quelque part, n’est-ce pas ? Tu as aussi pris beaucoup de nos épices. Tu as encore rendu visite à ce tailleur ? Celui qui a une femme et des enfants ? »

La femme de chambre s’était effondrée sur sa chaise.

« Et le reste ? Voulez-vous entendre ce que j’ai à dire sur vous ? »

C’était une question intense de la part du seigneur qu’ils avaient trouvé douce, bien élevée et gentille.

Aucun des trois autres ne savait comment y répondre.

« Savez-vous pourquoi je suis vicomtesse ? Ce n’est pas parce que j’ai eu un père vicomte qui est mort prématurément. J’ai obtenu ce titre moi-même. Je suis la première, la seule, vicomtesse Yamano ! Ne me sous-estimez pas ! »

Le regard de Mitsuha étouffa l’air de la pièce.

« Encore une fois, vous êtes tous renvoyés à cause de votre mauvaise conduite. Il vous sera probablement difficile de trouver du travail maintenant. Vous avez une heure pour faire vos valises et partir. Si vous êtes encore là après cette heure, je vous considérerai comme des intrus dans la propriété du vicomte, après quoi je vous capturerai et vous exécuterai. Dégagez ! »

Six corps s’étaient précipités hors de la pièce. Mitsuha les ignora et parla au vieux majordome à ses côtés.

« Désolé si je t’ai inquiété, Anton. Je ne vais plus inspecter les documents la nuit. Je dormirai bien, donc je n’irai également pas me coucher à midi. »

Elle lui avait remis des documents présents dans sa poche.

« Ces marchands acceptent des pots-de-vin. Arrête tout commerce avec eux. Et nous avons des gens ordinaires qui se mêlent des affaires des autres. Observe-les et traite-les en conséquence. »

« Ma parole… Dame Mitsuha… »

Les yeux d’Anton débordaient de larmes.

« Aussi, la nouvelle femme de chambre est Kathe. Qu’elle me rende fier. »

Mitsuha retint un bâillement.

« Anton, tu sais ce que j’ai dit sur le fait de ne pas dormir pendant la journée ? J’ai menti ! Je vais faire une sieste. Oh, et à partir de demain, je vais m’occuper sérieusement de l’aménagement de mon territoire. On sera tous occupés à partir de maintenant. Bonne journée à tous, tout le monde. Rompez ! »

Sur ce, Mitsuha quitta la pièce.

Les douze serviteurs laissés derrière restèrent juste là complètement ébahis. Ils avaient été bien sûr surpris par son changement soudain, mais ils avaient ressenti autre chose. Était-ce de l’étonnement ? De l’amusement ? Des frissons ? De la curiosité ? De l’excitation ?

Cela devait être de l’excitation pure. Ils savaient que quelque chose d’intéressant les attendait. Quelque chose d’amusant allait bientôt se produire. Au moins, il était clair que demain serait plus agréable qu’aujourd’hui.

L’un d’eux remarqua un autre serviteur qui souriait.

« Lorena, pourquoi souris-tu ? »

« Hé, tu souris aussi ! »

Le premier serviteur ne s’en était même pas rendu compte.

◇ ◇ ◇

Alors que Mitsuha jouait la gentille fille aux manières douces, elle avait eu de nombreuses occasions de sauter entre les mondes. Elle sautait sur l’occasion chaque fois qu’elle le pouvait, que ce soit en s’enfermant dans sa chambre ou en se promenant sur son territoire pour recueillir des informations.

Une fois, elle avait annoncé qu’elle allait faire une brève excursion pour en savoir plus sur son comté. Partant sans être accompagnée, elle s’était rendue au Japon pour discuter avec des fournisseurs d’équipements électriques de la modernisation de sa vie dans la résidence du comté de Yamano. C’était la deuxième fois qu’elle le faisait, et elle parla avec les mêmes vendeurs qu’auparavant, si bien que toute l’épreuve s’était déroulée sans problème.

Il était alors temps de vérifier son courrier électronique et sa boîte aux lettres. Voyons voir… Oh, Micchan revient de l’université pour les vacances. C’est bien ! Et la dame aux robes folles me demande si je dois faire une robe pour une jolie jeune fille. Non, pas encore. Peut-être que je devrais demander une robe pour Sabine ? Mais elle sera payée en pièces d’or. Mais elle aimerait sûrement ça encore plus que les yen.

Peu de temps après, en naviguant sur Internet, elle était tombée sur une nouvelle de dernière minute.

Hein ? « Le dragon enfin découvert » ? Quel genre « de pièges à clics » est-ce ? Attendez, est-ce bien ce que je crois que c’est ? !

En un instant, Mitsuha s’était rendue au quartier général des mercenaires.

◇ ◇ ◇

Les membres de Wolfgang avaient été payés quelques jours après l’invasion. Comme le roi et les nobles avaient payé plus que prévu, leur compensation avait fini par atteindre 60 000 pièces d’or. Bien sûr, Mitsuha avait pris une part, ce qui la poussait plus près de son but. Ses « poches profondes » se remplissaient lentement.

Comme Mitsuha le découvrit bientôt, les mercenaires étaient tellement excités par leur victoire qu’ils voulaient être connus comme « Tueurs de Dragons » et montrer leur trophée au monde entier. Ils lui avaient assuré qu’ils garderaient son identité secrète à tout prix, de sorte qu’elle n’avait rien à craindre de ce dont ils voulaient se vanter. Ils pouvaient faire passer n’importe quel détail de leur histoire de guerre sauvage sans l’inclure.

À ce stade, les mercenaires étaient convaincus qu’elle était une princesse de l’autre monde qui avait le pouvoir magique de voyager entre la Terre et l’endroit où elle se trouvait. Ils croyaient qu’elle était venue dans leur monde pour apprendre et absorber tout le savoir qu’elle pouvait. Sa capacité à parler dans n’importe quelle langue devait être une sorte de magie de traduction, par conséquent elle pouvait utiliser la magie, par conséquent elle venait d’un autre monde. Ils pensaient également qu’elle avait quelques siècles de plus qu’elle n’en avait l’air, mais ils étaient allés un peu trop loin.

Mitsuha pensait qu’ils ne s’étaient vantés du dragon qu’auprès d’autres groupes de mercenaires, mais cela allait bien au-delà. Selon le capitaine, ils n’avaient plus la dépouille. Elle avait été emmenée dans un laboratoire universitaire. Un savant s’était intéressé aux lapins à cornes et leur avait laissé ses coordonnées. Quand les mercenaires l’avaient appelé, il avait immédiatement pris l’avion. En voyant les restes du vrai dragon, il avait été emporté dans un élan d’excitation. Il avait appelé ses contacts dans le monde entier, et la base des mercenaires ne tarda pas à grouiller de scientifiques.

***

Partie 5

Les mercenaires de Wolfgang avaient prévu une explication. Ils expliquèrent qu’une princesse d’un autre monde les avait convoqués, ainsi que leurs armes et leurs véhicules, dans son monde pour faire opposition à l’armée d’un roi démoniaque. Les mercenaires avaient gagné et étaient rentrés chez eux, ramenant un dragon dans leur bagage. Même eux croyaient à cette histoire dans une certaine mesure, il était donc difficile pour les autres de douter d’eux.

En racontant cette histoire à leurs invités, ils cachaient le fait que Mitsuha pouvait aller d’un monde à l’autre à volonté et qu’elle était une visiteuse régulière. Au lieu de cela, ils avaient insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une rencontre unique dans une vie. Quant à son nom, ils avaient affirmé qu’il s’agissait de la « Princesse Nanoha ». Tout comme ce personnage, Mitsuha était petite, avait un penchant pour les armes à feu et avait tendance à tirer avant de poser des questions. Selon toute vraisemblance, l’un des mercenaires était vraiment obsédé par l’animation japonaise.

Normalement, personne ne croirait à une histoire aussi clichée, mais le cadavre du dragon en était la preuve suffisante. Un certain éditeur de roman fantastique avait supposé qu’il s’agissait d’une campagne de relations publiques non officielle pour l’une de leurs adaptations cinématographiques et les avait accusés de violation des droits d’auteur. Mais comme le dragon était bien réel, ils n’avaient pas de quoi se défendre. Leur intervention avait cependant fait naître la question de savoir ce qu’il adviendrait d’une adaptation cinématographique de tout cela. Non seulement leur histoire était grande et glorieuse, mais les expériences et les analyses de l’ADN du dragon pouvaient être une grande bénédiction pour eux.

Apparemment, les deux membres qui étaient en vacances pendant l’invasion, incapables de participer, avaient été dévastés au point d’en pleurer. Le reste de l’équipe avait eu tellement pitié d’eux que le paiement, au lieu d’être réparti entre les participants, avait été déposé dans les fonds du groupe et partagé entre tous les membres comme prime. De cette façon, même ceux qui n’avaient pas participé avaient reçu une part du gâteau, même si elle était un peu plus petite que celle de ceux qui avaient participé.

Bien entendu, tout le paiement n’avait pas été versé. Ils avaient laissé quelques centaines de millions de dollars dans leur trésorerie pour les armes et l’entretien, ainsi que pour le soutien éventuel de ceux qui pourraient prendre leur retraite en raison de leur âge, de blessures ou de maladies.

Les deux mercenaires qui avaient manqué l’événement ne voulaient pas d’argent. Ils s’étaient plaints de la façon dont ils voulaient le titre de « Tueurs de Dragon », pour voir l’autre monde et servir la princesse.

Dommage, se dit Mitsuha une fois qu’elle fut enfin partie. Mais cela ne me regarde pas.

 

◇ ◇ ◇

Un jour, quelques invités étaient venus frapper à la porte de Mitsuha. Le majordome en chef l’avait informée qu’il y avait trois hommes. Ils ne connaissaient pas son lien avec les événements de la capitale et étaient simplement venus rencontrer le nouveau noble. Mitsuha devina qu’ils cherchaient soit à obtenir un poste plus élevé, soit à la soudoyer ou à la menacer. Elle envisagea de les repousser, mais en entendant ce qu’ils prétendaient être — un scientifique, un mercenaire et un marchand — elle remarqua leur diversité et se dit qu’il était difficile de devenir un vassal en chef ou un directeur financier à partir de ces postes.

Ils ont fait tout ce chemin jusqu’à cette zone rurale, alors je suppose qu’il est juste de les rencontrer. Je vais les évaluer dans la salle de réception. Quoi ? Pourquoi pas une salle du trône ? Je n’en ai pas. Ce n’est pas un palais royal. Il y aussi, un scientifique ? Ici ? Est-ce que le traducteur dans mon cerveau a fait une erreur ?

La fête de bienvenue dans la salle de réception comprenait Mitsuha, Anton le majordome, les trois femmes de chambre, trois femmes de chambre normales et trois serviteurs debout près des murs. Elle avait préparé tant de gens au cas où les invités ne seraient pas venus parler et auraient besoin de retenue, ou quelque chose de ce genre.

Bien sûr, elle avait équipé sa ceinture d’armes pour les pires scénarios. Le Walther qu’elle avait toujours sur l’épaule prenait après tout trop de temps à sortir. La table était grande et il y avait beaucoup d’espace entre elle et les chaises des invités, de sorte qu’elle avait plus qu’assez de temps pour sortir son arme et tirer.

« Voici Son Excellence la vicomtesse Yamano. »

Menés par une femme de ménage, les trois invités entrèrent.

« Pardonnez la visite soudaine. »

Celui qui se trouvait à l’avant gela instantanément et s’était tu tout de suite après être entré.

« Hé, qu’est-ce qu’il y a », commença le second.

Le troisième n’avait pas dit un mot et s’était contenté à rester debout.

« Mitsuha ! », s’écrièrent les deux premiers.

« Hein ? Eh bien, si ce n’est pas le mercenaire et le marchand. »

Je devrais vraiment me souvenir de leurs noms.

« Pourquoi êtes-vous ici ? »

« Je suis la vicomtesse ici, Mitsuha von Yamano. »

« Vous voulez dire “la fille du vicomte”, n’est-ce pas ? »

« Non. »

Les trois étaient à court de mots.

« Alors pourquoi montiez-vous dans cette calèche ? »

« Je n’avais pas d’autre option. »

« Pourquoi étiez-vous seule ? »

« Parce que je n’avais pas de vassaux ni de subordonnés. »

Incapables de répondre, ils s’étaient maladroitement tus.

Mitsuha leur offrit du thé et des en-cas, et ils s’étaient mis au travail.

« Alors, que faites-vous tous les trois ici ? », demanda-t-elle.

« Eh bien, tout d’abord, nous sommes venus ici ensemble parce que nous avons pris la même diligence. Nous sommes tous ici pour nos propres affaires », déclara le marchand. Les deux autres avaient hoché la tête.

Il était logique qu’ils soient venus ici après avoir visité le comté de Bozes. Ils avaient dû se refaire une beauté avant de venir ici. Après tout, la ville principale de Mitsuha n’avait pas d’auberges avec des services de bain. De plus, il était logique que quelqu’un qui était dans cette calèche depuis plus de dix jours soit venu ici parce qu’il avait entendu parler du nouveau seigneur local. Ils n’avaient certainement pas l’air d’être des connaissances lorsque Mitsuha voyageait avec eux.

« Alors, je vais vous écouter séparément », dit Mitsuha.

« Très bien. Permettez-moi de commencer. »

Le premier à se mettre en avant fut le marchand. L’identité de Mitsuha en tant que vicomtesse Yamano l’avait surpris, mais comme il avait parlé avec elle lors du voyage, il s’était rapidement mis en rapport avec elle.

« Je suis Petz. Un marchand, comme vous le savez. Je suis venu ici pour vous parler de la circulation des marchandises », avait-il dit pour commencer.

Vous savez, je l’appelais « marchand » dans la diligence, c’est donc la première fois que j’entends son vrai nom.

Selon Petz, le prédécesseur de Mitsuha avait contrôlé tout le commerce extérieur, interdisait aux marchands des autres comtés de faire des affaires, et empêchait l’argent local de sortir de ses terres.

En apprenant que le précédent seigneur était remplacé, Petz était venu avec l’espoir d’ouvrir un nouveau marché. Le comté de Yamano était si éloigné qu’il était difficile de rentabiliser le voyage ici, mais comme il était juste à côté du comté des Bozes, il pouvait l’intégrer aux routes commerciales qui passaient par là, ce qui valait du temps et des efforts. Mais vu qu’il était si jeune, il avait déclaré qu’il aimerait mûrir aux côtés du jeune comté de Yamano.

Oui, nous allons grandir. Quoi qu’il en soit, j’avais besoin d’un commerçant ayant des liens avec la capitale, et Petz est clairement un type digne de confiance.

Hein ? Vous dites que je suis aussi une marchande de la capitale ? Hé, j’ai besoin d’un gars qui vend des marchandises de ce monde. À quoi bon échanger des articles de la Terre entre ici et la capitale ?

« Très bien, Petz. Faites-le, s’il vous plaît. Et si vous le pouvez, achetez les produits de notre comté et vendez-les dans la capitale. Nous avons bien besoin du poisson séché et mariné. J’ai aussi des projets pour en développer de nouveaux. »

« Oh, ce serait tout simplement splendide ! »

« C’est nouveau pour moi, alors pensez-vous pouvoir me rendre visite à nouveau dans quelques jours ? Nous discuterons des détails à ce moment-là. En attendant, je vais parler aux serviteurs et aux villageois pour en savoir plus. »

« Très bien. Je vais rester dans le villa — je veux dire, l’auberge du village pour le moment. »

Oui, je peux tout à fait comprendre qu’on appelle ça un village.

« Maintenant, M. le mercenaire, pourquoi êtes-vous ici ? »

« Je m’appelle Willem. Je suis effectivement un mercenaire. Je me suis lassé de la vie citadine et je voulais me détendre dans une campagne paisible, mais je ne suis bon qu’à me battre. En réfléchissant à ce que je pouvais faire, j’ai entendu parler de cet endroit. 

Ce comté est encore plus rural que les terres des Boz, il n’a presque pas de population et il manque un vassal, chevalier ou mercenaire compétent. Il est complètement sans défense, alors j’ai pensé que vous pourriez m’engager jusqu’à ce que vous rassembliez quelques vassaux et une force de défense adéquate. Et ne vous inquiétez pas, je ne cherche pas à devenir un vassal officiel moi-même. »

Eh bien, en voilà quelqu’un d’honnête, pensait Mitsuha. Mais il a raison. Si je n’étais pas là, ce territoire pourrait être détruit par un seul groupe de bandits d’une taille décente. Nous avons besoin d’une défense dès que possible, et pour cela, nous avons besoin de quelques employés clés. Un homme raffiné d’âge moyen comme Willem conviendra parfaitement à ce rôle. C’est un vrai homme parmi les hommes.

« Très bien. Comme je l’ai dit à Petz, nous allons revoir ça dans un futur proche. »

« J’attends cela avec impatience, madame. »

« Enfin, il ne nous reste plus que… celui qui a essayé de me livrer aux bandits. Je suis tout ouïe. »

« Quoi !? »

L’homme avait été surpris par ma franchise.

Hé, mec, c’est comme ça que je te connais ! Je ne connais pas ton nom ou ce que tu fais, et cela me parais bizarre d’appeler quelqu’un juste par les apparences et de t’appeler, genre, « mec qui a la vingtaine » ou quelque chose comme ça.

Anton et les autres serviteurs avaient silencieusement lancé des regards noirs sur lui, le faisant transpirer.

« Je m’appelle Yorck. Je suis un scientifique. », dit-il.

Quel nom !

« Eh bien, Yorck, je vous écoute. »

« Nous, les scientifiques, sommes des chercheurs de vérité. Nous étudions et recherchons sous la direction de Platidus, notre professeur dans la capitale. Lorsqu’il a appris l’arrivée du nouveau seigneur, il m’a envoyé ici dans l’espoir que le jeune esprit malléable responsable ici soit ouvert à l’apprentissage de nouvelles choses et soutienne notre marque de savoir. Si vous pouviez me prendre comme conférencier invité temporaire, je pourrais vous transmettre des fragments de sagesse de l’école de pensée de Platidus. »

Voilà qui avait suscité l’intérêt de Mitsuha.

« Quel genre de sagesse ? »

Il pensa un instant, fouillant dans ses archives mentales pour trouver la bonne idée qui me mettra en appétit.

« Hmm… Et bien, que diriez-vous si je vous disais que ce n’est pas le soleil qui tourne autour de ce monde, mais l’inverse ? »

Regardez ce visage suffisant.

« Oh, la théorie héliocentrique. Vous allez me dire que cette terre est en fait une sphère qui tourne autour de son propre axe et que c’est ce qui nous donne le jour et la nuit. Mais c’est évident, n’est-ce pas ? », répondit Mitsuha.

« Comment avez-vous… ?! »

« Rien d’autre ? »

« Alors, euh, et la raison pour laquelle les arcs-en-ciel apparaissent dans le ciel ? »

« Quand la lumière frappe les gouttelettes d’eau dans l’air, elles sont divisées en différentes couleurs selon l’angle sous lequel elles entrent, n’est-ce pas ? C’est pourquoi les arcs-en-ciel n’apparaissent que lorsqu’il y a du soleil pendant et après la pluie. »

« Ngh ! »

Yorck s’était frénétiquement nettoyé le front.

« C’est tout ? »

« Pourquoi vous… ! Le mystère de la lune, alors ! Pourquoi disparaît-elle lentement pour revenir plus tard ? »

« Oh, elle ne disparaît pas vraiment. Elle est en orbite autour de ce monde, et on dirait qu’elle disparaît et revient seulement parce qu’on voit la partie qui n’est pas bloquée, n’est-ce pas ? Ça suffit, on perd du temps ici. »

« Ce n’est pas possible ! » Yorck avait saisi sa tête et il tomba à genoux.

« Honnêtement, même si je pouvais apprendre quelque chose de vous, je le refuserais juste parce que vous êtes quelqu’un qui abandonnera les femmes et les autres passagers juste pour sauver sa peau. Du moment que cela provient de vous, j’ai comme l’impression que ça me souillerait. »

Mitsuha appela une femme de ménage.

« Vous pouvez partir maintenant. Emmenez-le dehors. »

Willem tremblait d’agitation.

« Je peux vous dire que vous en savez beaucoup. C’est même stupéfiant. Mais vous… vous êtes un diable sans pitié ! »

Petz approuva de la tête ses paroles.

Hé, la flatterie ne vous mènera nulle part !

 

***

Partie 6

Mitsuha fit attendre ses invités quelques jours, car c’était le temps que ses serviteurs avaient besoin pour faire le ménage. Une fois qu’ils avaient fini, elle se mit au travail.

Tout d’abord, elle avait donné l’ordre que personne ne puisse entrer dans sa chambre sous aucun prétexte. Elle utiliserait son bureau pour la paperasserie normale et pour donner des ordres à ses domestiques et autres subordonnés, mais elle avait besoin d’un environnement plus sûr pour traiter des documents plus importants et travailler sur le PC qu’elle avait ramené de la Terre.

Mitsuha devait également veiller à sa propre sécurité. Elle avait chassé les six serviteurs malveillants, mais il y avait maintenant six personnes quelque part qui lui en voulaient. Elles pouvaient facilement aider les bandits ou les espions en leur divulguant des informations.

Et bien que les autres serviteurs ne l’aient pas trahie jusqu’à présent, ils pouvaient toujours être soudoyés ou menacés pour le faire, par exemple si des membres de leur famille étaient pris en otage. C’était pourquoi Mitsuha stockait tous ses objets top-secret dans sa chambre, qui était équipée d’une sécurité maximale. Grâce à cela, elle pouvait dormir sur ses deux oreilles la nuit.

Laisser quelqu’un entrer là-dedans sera un non-absolu. Les femmes de chambre avaient insisté pour que je les laisse nettoyer ma chambre, mais elles avaient cédé quand je leur avais dit que je pouvais le faire moi-même.

Ensuite, il était temps de rendre son habitat plus agréable. Pour cela, elle voulait apporter sa propre salle de bain, ses ustensiles de cuisine et des réservoirs d’eau avec des pompes du Japon. À l’heure actuelle, la cuisine et le puisage de l’eau étaient des tâches effectuées par des domestiques. En réfléchissant à tout cela, quelque chose lui était venu à l’esprit.

Dois-je vraiment apporter tout cela ? Si je le fais, les domestiques qui s’occupent de ces choses perdront leur emploi, non ? Ce sont des gens bons et consciencieux. Je ne veux pas que le niveau de chômage de mon pays augmente juste à cause de mon propre égoïsme.

Finalement, Mitsuha avait décidé de ne mettre en place que son système de sécurité, un système audiovisuel, un mini-frigo, un support de lampe LED, un ventilateur, un chauffage électrique et un générateur pour alimenter tout cela. Elle avait complètement renoncé à la climatisation.

Il était maintenant temps de se réapprovisionner en employés. Un tiers d’entre eux ayant été licenciés, elle avait besoin de remplaçants, ainsi que d’une force de défense.

Je vais probablement devoir embaucher des gens de mon propre comté. Après tout, je ne peux pas les faire venir d’autres comtés, et les gens libres de la capitale mettraient trop de temps à arriver ici. Hmm, laissez-moi en parler avec Anton.

Mitsuha voulait commencer par embaucher quelques personnes de confiance, puis se développer à partir de là. Après tout, elle prévoyait de participer à toutes sortes d’opérations. Elle prévoyait même de rechercher les spécialistes appropriés dans la capitale le moment venu.

Mitsuha avait chassé le chef cuisinier, mais elle était satisfaite du jeune sous-chef qu’ils avaient encore. Sous l’ancien seigneur, le chef s’occupait de la cuisine de la famille noble, tandis que le sous-chef s’occupait de la préparation et des repas des domestiques.

Honnêtement, un seul chef me suffit. Les serviteurs ne mangent pas en même temps, ils se relaient. De plus, je n’ai pas besoin de gros repas fantaisistes avec toutes sortes d’options que je ne mangerai probablement jamais. Il se débrouillera très bien tout seul.

Hein ? Il y a quelqu’un à la porte ?

Oh, c’est le mercenaire et le marchand. Non, bien sûr que je ne les ai pas oubliés. Probablement.

« Désolée de vous avoir fait attendre, je suis vraiment désolée. “Le temps, c’est de l’argent”, et c’est encore plus vrai pour les mercenaires et les marchands. »

« Oh, ne vous inquiétez pas. Vu ce que l’avenir nous réserve, ça ne m’a pas dérangé d’attendre quelques jours », déclara Petz.

« Ouais. Pareil pour moi », ajouta Willem.

Eh bien, c’est bon à savoir. Il est temps de parler affaires.

Petz consulta Mitsuha au sujet des marchandises et des taxes. Les taxes différaient selon les comtés. Les principaux lieux de commerce et les campagnes peu peuplées étaient radicalement différents, ce qui était assez évident. Comme son comté connaissait des conditions similaires à celles des Boz, Mitsuha décida de rendre ses échanges commerciaux similaires au leur, mais faire une réduction de 20 % du prix de vente lui semblait raisonnable. Une terre éloignée comme la sienne signifiait déjà une augmentation des frais de voyage, et le pouvoir d’achat local était encore assez faible.

Par la suite, Petz et elle avaient imaginé une route commerciale. Elle commencerait par la capitale, se rendrait dans le comté des Boz, puis dans le comté de Yamano avant de repartir. Petz s’arrêterait également dans les villes et les villages le long de la route, et lorsqu’il arriverait sur le territoire de Mitsuha, il aurait vendu les meilleures marchandises de la capitale. Les habitants devaient choisir parmi le reste de la marchandise, ou ce qu’il avait acheté au cours de ses voyages.

Au retour, Petz passerait par les mêmes villes et achèterait des marchandises à vendre dans la capitale. Cela réduirait la distance qu’il aurait à parcourir, diminuerait la détérioration des denrées périssables et les dégâts en cas d’attaque de bandits.

Pour inciter le commerçant à faire venir des marchandises sur son territoire, Mitsuha devait le rendre rentable, que ce soit en autorisant une certaine souplesse dans les prix ou en réduisant les taxes. Les taxes ne pouvaient cependant pas être trop basses, car cela réduirait évidemment les recettes du comté.

Je dois également maintenir un bon équilibre avec les autres comtés. Hmm…

« Et si je taxais vos marchandises à vingt pour cent, et que vous nous remettiez les articles que vous ne vouliez pas emporter avec vous pour que nous puissions faire des ventes en consignation avec eux. Nous nous occuperions de cela dans notre magasin local, de sorte que vous n’auriez pas besoin d’acheter de l’espace ou d’engager des travailleurs. Vous n’aurez aucune charge financière à supporter. J’enverrais aussi des objets artisanaux fabriqués dans notre atelier secret. Ils vont forcément faire un tabac, croyez-moi. Je pourrais aussi faire des ventes en consignation avec ça, si vous voulez prendre en charge la commission. »

« Hein ? »

Petz ne pouvait presque pas croire l’offre lucrative de Mitsuha. Le faible taux d’imposition — plus bas que dans le comté des Boz, d’ailleurs — était une chose, mais l’idée qu’il puisse transformer tous ses surplus en argent liquide sans rien dépenser était encore plus alléchante. Après tout, les marchandises qui ne se vendaient pas lors de sa première visite dans une ville n’étaient pas susceptibles de se vendre lors de sa seconde. Un commerçant préférerait avoir plus d’espace pour les choses qu’il pourrait vendre à la capitale.

Si quelqu’un prenait toutes les marchandises qu’il ne pouvait pas vendre, il n’aurait pas à en acheter de nouvelles en plus petite quantité. Cela lui permettrait de laisser la capitale approvisionner suffisamment de biens de qualité supérieure pour fournir les deux comtés. Et un accord de consignation gratuite était comme un magasin gratuit pour lui.

« Euh, oui, s’il vous plaît ! », répondit-il à la hâte.

« L’atelier secret » était bien sûr un mensonge. Mitsuha avait simplement l’intention de revendre des marchandises provenant de magasins à prix réduit sur Terre, évitant ainsi toute vente au magasin général de Mitsuha. Cela augmenterait sûrement ses profits et la valeur de sa visite dans le comté de Yamano, peut-être même la fréquence des touristes et des visiteurs.

Cependant, tout cela n’était qu’une solution temporaire. Elle devait agir rapidement et faire en sorte que les choses puissent continuer sans elle.

C’est formidable et tout, mais en fin de compte, c’est une solution d’urgence. Je dois agir vite et m’assurer que les choses pourront continuer ici si je disparais. Il faut donc que je pense à quelque chose qui puisse être fabriqué dans mon comté et vendu à profit.

Mais d’abord, je dois créer un magasin géré directement par le gouverneur local… moi-même.

Mitsuha et Petz n’avaient pas encore discuté des marchandises qu’il devait apporter et de la fréquence de ses visites, mais comme celles-ci nécessitaient l’avis d’Anton, des serviteurs et des habitants, ils avaient décidé de peaufiner cela plus tard.

Le prochain était le mercenaire, Willem.

« Une idée du type de défense dont nous aurons besoin ? », demanda Mitsuha.

Willem fit un sourire forcé.

« Eh bien, cela dépend de l’ennemi, donc je ne peux pas vous en dire plus. Bien que, géographiquement, ce ne soit pas un endroit qui pourrait être facilement attaqué par un autre pays, vous pouvez donc probablement vous attendre à tout, des petits groupes de monstres aux grandes bandes de bandits. »

Le comté de Yamano comptait 676 habitants : 260 dans la ville principale, 290 au total dans les trois villages agricoles, 79 dans les deux villages de montagne et 47 dans le village de pêcheurs. Pour un territoire de vicomte, la population était assez faible.

C’est pourtant ce que je voulais. C’était la terre d’un baron… mais que dois-je faire pour la protéger ?

« Dois-je faire venir quelqu’un de l’extérieur ou regarder parmi les miens ? »

« Hmmm. Cet endroit est loin, donc engager quelqu’un de la capitale coûterait cher. Quiconque a de la famille là-bas ne voudrait pas non plus partir. Et n’oublions pas la loyauté. »

Les étrangers pourraient choisir de déserter lorsqu’ils étaient acculés dans un coin, ou peut-être même décider de devenir des bandits juste après avoir été embauchés. Cette région était si obscure qu’il n’était pas impossible de tuer la famille d’un seigneur et de s’enfuir avec sa fortune. Pire encore, les meurtriers pouvaient très bien ne pas se faire prendre. C’était un monde sans photos, sans journaux, sans télévision, et on ne pouvait pas espérer une véritable enquête.

Je suppose que je vais rentrer chez moi ! Cela m’aidera aussi à chercher des candidats potentiels. Je vais devoir demander à Willem de les former. Mais combien de temps faudrait-il pour qu’une recrue soit quelque peu utile ?

Ah ! Je sais !

« Willem, je vous engage comme commandant de l’armée pour le comté de Yamano. Je prévois d’avoir un maximum de cinq soldats de métier, qui seront tous des commandants. Ensuite, je vais rassembler trente-six de mes hommes et les faire jongler avec le travail et le service militaire. Nous choisirons périodiquement de nouveaux groupes jusqu’à ce que nous ayons environ deux cents hommes au moins un peu capables au combat. Une fois que tout cela sera fait, nous choisirons ceux qui ont du potentiel et nous en ferons des soldats permanents. »

« Quoi ? »

« Vous êtes capables de rendre le corps, l’esprit et l’âme des hommes prêts au combat, oui ? »

« Euh, oui. »

Mitsuha avait décidé d’adopter l’approche de la conscription universelle. Avec si peu de personnes à sa disposition, elle ne pouvait pas soutenir une grande armée permanente, mais une petite ne suffirait pas pour de simples patrouilles, sans parler d’une bataille défensive. C’est pourquoi elle avait décidé de mettre en place des tours de garde obligatoires, au cours desquels de nombreux hommes devront jongler entre leurs obligations professionnelles et militaires. Elle voulait cibler les hommes valides qui n’avaient pas de maladie dans leur famille et qui pouvaient se permettre de s’éloigner de leur travail sans trop de conséquences. Et une fois que le temps d’un groupe était écoulé, ils changeaient de poste.

Cela ne nuirait pas trop à la productivité de son comté, et comme ils viendraient de son propre territoire, cela ne serait pas non plus un fardeau pour elle ni pour les domestiques. Mais elle s’assurerait au moins qu’ils reçoivent des repas copieux.

Les trente-six soldats-travailleurs de chaque équipe seraient répartis en quatre escouades de neuf chacune. Ces neuf seraient divisés soit en trios, soit en deux groupes de quatre, le neuvième faisant office de chef de groupe. Il y aurait quatre officiers au-dessus de chacun d’eux et Willem tout en haut.

Mitsuha permettrait également aux femmes d’apprendre à manier une arme. Même si elles ne se retrouvaient pas au combat, elle estimait qu’il serait bon pour elles de disposer d’un moyen d’autodéfense.

Aujourd’hui, la conscription universelle aurait pu sembler être l’instrument d’une nation guerrière, mais même la Suisse, en permanence neutre et souvent considérée comme un symbole de paix, avait la conscription universelle. Les hommes suisses étaient tenus par la loi d’apprendre à utiliser les armes, presque chaque foyer possédait une arme et le peuple était prêt à tout moment à se rassembler en une armée de 100 000 hommes. Pour un « symbole de paix », le pays était en fait assez militariste. Il participait également à un complexe militaro-industriel, exportant beaucoup d’armes mortelles.

On entend parfois des gens bizarres dire que le Japon devrait devenir aussi neutre et pacifique que la Suisse, mais comme leur neutralité était armée, c’était comme si on disait : « On s’en fout et on verra bien ce qui se passe ! » Si le Japon voulait être comme eux, il devrait procéder à la conscription forcée, autoriser la possession d’armes à feu et développer une industrie de défense. Si vous voulez mon avis, les choses sont assez pacifiques en l’état.

Mitsuha avait également rappelé qu’elle devait créer un recensement. Un recensement était absolument nécessaire en ce qui concernait les questions militaires, fiscales et sociales. Mais il ne serait pas trop difficile de contrôler une population de moins de 700 habitants, surtout avec l’ordinateur portable qu’elle avait apporté. Elle avait prévu de faire des copies imprimées, au cas où.

Je dois aussi retourner à la capitale, vérifier le magasin et m’occuper de cette seule chose. Ensuite, je retournerai au Japon et je m’occuperai de l’autre chose. Oh mec, je suis occupée ! J’étais censée avoir la vie facile ! Pourquoi est-ce que ça arrive ?

Oui, oui. Je sais que c’est moi qui en ai pratiquement fait la demande.

***

Chapitre 17 : Le blog

Partie 1

Vers 21 h 30, deux hommes s’étaient assis dans la salle de préparation de l’équipe de nuit de l’hôpital général d’Ootsuki au Japon.

« Quoi ? Vous avez un cas à traiter alors que le service de nuit va commencer ? C’est bien d’être studieux et tout, mais vous pourriez avoir un patient à tout moment, alors vous devriez trouver du temps pour vous reposer. Cela fait partie de votre travail. »

Shuhei Nishimura, chef du service de médecine interne, avait légèrement tapé sur l’épaule de Yuta Ishii, un interne qui comparait intensément une photographie médicale et le contenu d’un manuel.

« Ah, M. Nishimura. En fait, quelqu’un que je connais s’occupe d’un enfant malade, et il m’a envoyé cette photo. »

Shuhei gifla l’arrière de la tête de Yuta.

« Ce n’est pas le genre de blague qu’on fait dans un hôpital. C’est de mauvais goût ! »

« Hein ? »

« Il n’y a pas moyen que ce soit réel. Vous ne connaissez pas cette maladie ? »

Il fit un geste vers la photo, qui montrait une partie du corps d’un petit enfant.

« Nous sommes au Japon. Il est impossible de trouver un patient dans cet état qui n’est pas correctement soigné. »

Shuhei s’était à moitié allongé pendant qu’il parlait, mais Yuta était complètement sérieux.

« Quelle maladie est-ce donc ? »

« Vous le dire ne vous apprendra rien. »

« S’il vous plaît ! Je veux dire, regardez. »

Yuta montra du doigt un magazine de manga dans le coin inférieur gauche de l’image.

« Ce magazine date d’hier. »

« Venez avec moi ! »

L’expression de Shuhei changea quand il prit le stagiaire par le bras et le tira dans son bureau.

« Qu’est-ce qui se passe ici ? ! Expliquez ! »

Normalement, l’attitude menaçante de Shuhei aurait dû terrifier Yuta, mais cette fois-ci, c’était différent.

« C’est tiré d’un blog, d’accord ? C’était posté sur un blog que j’aime lire. Le blogueur veut connaître les symptômes, et ils ont inclus un nouveau magazine comme preuve que c’est réel. »

« Alors, montrez-moi ça », dit Shuhei, en remettant à Yuta un de ses appareils personnels.

« C’est complètement détaché du réseau partagé de l’hôpital. Je ne l’utilise que pour conserver des dossiers et envoyer des courriels aux fournisseurs et aux chercheurs. Il est même doté d’un antivirus. Ne réfléchissez pas trop et utilisez-le ! »

Yuta le lui prit, ouvrit un navigateur et remplit le champ de recherche avec les mots-clés habituels.

« Alors, à propos de cette maladie… » ajouta Shuhei, en regardant l’écran.

« C’est l’anthrax. »

Le blog s’était finalement chargé. Il s’intitulait : « Aidez-moi : dirigez cette terre en tant que vicomte. »

Quel titre de mauvais goût, pensa Shuhei. « Vicomte » ? Vraiment ?

« Où sont les photos ? », demanda-t-il.

Yuta cliqua sur la section rouge et clignotante « Urgences » du « Coin des consultations » du blog et ouvrit la page. Elle contenait une photo de la peau d’un enfant, rougie par une large éruption acnéique et entachée d’une croûte noire. La description était la suivante : « Autres symptômes : température élevée, toux, difficultés respiratoires », et la dernière mise à jour datait d’il y a deux heures.

L’humeur de Shuhei s’était assombrie. Bon sang ! Si c’est une blague, je frapperais bien cette personne !

« Pouvons-nous contacter le blogueur ? »

« Oui, à condition qu’il soit devant un PC et qu’il attende de nouveaux e-mails ou qu’il utilise un logiciel d’alerte. Vous ne recevez pas de réponse si vous ne leur donnez pas votre propre adresse électronique. Personnellement, je ne fais que commenter le blog. Je n’ai pas encore donné mon adresse e-mail, car je ne voulais pas que mes informations soient divulguées ou autre. »

« Faites-le. Utilisez cette adresse. Dépêchez-vous ! Je vais écrire le message. »

La réponse était arrivée en un rien de temps.

« Tout ce qui est écrit ici est vrai. Je viens tout de suite, alors dites-moi où vous êtes. Et préparez les médicaments. — Vicomte »

« Tout de suite ? On ne sait même pas de quelle préfecture vient ce type. »

Tout en grognant, Shuhei écrivit son adresse et le nom de l’hôpital.

Une autre réponse arriva instantanément.

« J’ai votre position. Je serai à la réception des urgences dans cinq minutes. S’il vous plaît, dites-moi comment administrer le médicament. »

« Quoi ? Cinq minutes ? ! Comment est-ce que c’est… »

Je me suis fait avoir, n’est-ce pas ? ! Mais si ce n’est pas le cas…

« Merde, merde, merde ! Ishii, va chercher de la pénicilline et de la tétracycline ! Tout de suite ! »

Ce doit être un mensonge. Quelqu’un se fout de moi. Je le sais. Mais si un autre enfant est en danger…

« Qu’est-ce que vous attendez ? Partez ! »

Yuta s’était mis à courir aussi vite qu’il put, il courait alors qu’il savait qu’il était interdit de le faire dans un hôpital.

Sept minutes plus tard, lui et Shuhei étaient arrivés aux urgences, haletant.

Une fille les attendait.

« Je suis la Vicomtesse Mitsuha von Yamano », dit-elle.

Si elle a pu arriver aussi vite, alors le patient devait aussi être tout près. Est-ce un miracle ou une coïncidence ? ! pensa Shuhei.

Cependant, lorsqu’il demanda à la jeune fille de l’amener à l’enfant, elle secoua obstinément la tête.

« Ne soyez pas stupide ! La vie du patient est en danger ! C’est une course contre la montre ! Et je ne peux pas donner de médicaments à un profane sans voir le patient. Les injections non autorisées sont illégales ! »

« Ne vous inquiétez pas pour ça. LA loi japonaise n’est pas en vigueur chez moi. »

« Quoi ? »

La fille refusa de céder, insistant pour qu’il lui dise la quantité de médicaments à utiliser et comment l’administrer. Elle n’avait manifestement aucune connaissance pertinente.

On ne peut pas attendre grand-chose d’un collégien.

Après quelques minutes de dispute, la jeune fille prétendant être « Mitsuha » remarqua des larmes dans les yeux de Shuhei. Elle prit une profonde inspiration et se redressa.

« Pouvez-vous garder un secret ? »

« Je le peux. »

« Et vous le jurez sur… ? »

« Sur moi-même ? »

« D’accord. Allons-y ensemble. »

Un instant plus tard, ils disparurent tous les trois, ne laissant qu’un petit bruit de fond alors que l’air remplissait l’espace qu’ils avaient laissé derrière eux.

◇ ◇ ◇

« Où sommes-nous ? », demanda Shuhei.

J’étais juste à l’hôpital, non ? Est-ce que quelqu’un m’a amené ici alors que j’étais inconscient ? Mais je suis toujours debout, et Ishii et la fille sont avec moi.

« Par ici », dit la fille.

Shuhei cessa de penser. C’était le moment d’agir. Il prit la trousse médicale dans sa main.

Ils l’avaient suivie alors qu’elle les conduisait vers une maison misérable. À l’intérieur, il y avait un lit usé et une petite fille qui dormait dedans. Il y avait aussi une femme assise sur une chaise voisine, sa moitié supérieure reposant sur le lit de la petite fille. Shuhei supposa qu’elle était la mère de la fillette, épuisée à force de s’occuper de son enfant.

« Ishii, allons-y ! »

Je vais la sauver. Je ne la laisserai pas mourir.

◇ ◇ ◇

Une partie de lui croyait encore que les événements antérieurs n’étaient qu’un rêve. Shuhei déplaça le curseur sur son ordinateur et cliqua.

« Aidez-moi : dirigez cette terre en tant que vicomte. »

Clic.

Il n’y avait pas de sections clignotantes.

« Consultation médicale »

Clic.

« Mon corps est lourd et je m’essouffle rapidement. — Boris le vendeur de viande »

Shuhei se moqua. Encore ce type ? Je vais le mordre.

« Mangez moins. Bougez plus. Courez. -McCoy »

Il est bien trop gros. Au début, je pensais que c’était une maladie, mais le gars pèse presque trois cents livres, bon sang. Il dit qu’il mange aussi de la viande d’orc. C’est pratiquement du cannibalisme.

Shuhei retourna deux pages en arrière et vit le sujet sur lequel il avait déjà cliqué des dizaines de fois.

Clic.

« Zone de remerciement. »

« Elle se remet lentement. Merci beaucoup. »

Le courrier contenait une photo d’une petite fille.

Je vais retourner au travail. Ah. Mais d’abord, un petit commentaire sur le post : « J’ai attrapé quelque chose tout droit sorti de la période cambrienne ». La méthode de cuisson à laquelle j’ai pensé hier soir sera parfaite pour ça, j’en suis sûr !

◇ ◇ ◇

Mitsuha avait mis en place un blog. Il s’appelait « Aidez-moi : dirigez cette terre en tant que vicomte. »

Comme le titre l’indiquait, c’était un blog que j’utilisais pour obtenir l’aide de tous les intellos, c’est-à-dire des gens qui connaissaient bien la gestion des territoires et qui n’auraient jamais pu utiliser leurs connaissances autrement.

Peu importe ce que Mitsuha savait, il y avait une limite à ce qu’une jeune fille de dix-huit ans comme elle pouvait faire. Elle pouvait utiliser Internet, bien sûr, mais à son avis, il était trop risqué de se fier à des informations textuelles d’une validité douteuse, et aucune simple connaissance ne pouvait remplacer l’expérience réelle.

Et bien que l’on puisse faire des recherches sans fin sur Internet, cela ne signifiait pas grand-chose si l’on n’avait pas la moindre idée de ce qu’il fallait chercher. Comment chercher quelque chose dont on ne connaissait pas le nom, ou même si cette chose existait réellement ? Cette réflexion l’avait amenée à créer ce blog. Il s’agissait d’un site où les visiteurs aideraient une nouvelle vicomtesse d’un autre monde à gérer son pays.

Les intellos — je veux dire, les gars intelligents voudront certainement étaler leurs connaissances et donner les bons conseils. Je me servirai de leurs mots comme indices, je confirmerai moi-même leur validité et je les mettrai en pratique dans l’autre monde. C’est parfait !

Naturellement, tout le monde pensait que ce n’était qu’une farce — un blog humoristique de détente — afin que vous ne trouviez pas une seule personne qui pourrait croire que c’était réel. Cependant, comme beaucoup de gens prenaient très au sérieux les mondes de fantaisies et les jeux de simulation, vous pouviez vous attendre à des réponses vraiment productives. Le côté espiègle rendait les réponses sincères.

On ne peut pas vraiment s’amuser dans les jeux vidéo si on se contente de se détendre !

Récemment, Mitsuha avait pensé faire venir sur son territoire certains des habitués du blog les plus productifs. Quatre d’entre eux étaient particulièrement intelligents, sincères et amicaux. Elle n’avait pas divulgué une seule information personnelle, et même s’ils disaient qu’ils avaient été dans un autre monde, personne ne les croirait. C’était absurde dès le départ, et l’existence du blog « fantaisiste » rendrait cela encore moins crédible.

Les quatre n’étaient pas non plus le genre de personnes qui risquaient d’être considérées comme folles et ne perdraient pas ainsi la confiance de leur entourage. Ils semblaient être du genre à garder les choses secrètes si elle leur demandait simplement de le faire. Même si ce n’était pas le cas, Mitsuha devait simplement leur interdire de prendre des photos ou de prendre des objets avec eux comme preuve, puis les bannir du blog.

Je me demande pourquoi je devrais leur montrer l’autre monde. Parce que je commence à vouloir des gens qui m’aideront à un niveau plus profond. J’ai besoin de quelque chose qui va au-delà de l’aide en ligne et qui demandera du temps et des efforts réels. Je vais aussi penser à des récompenses pour eux. Je devrai le faire durant le prochain week-end de trois jours.

◇ ◇ ◇

« Dommage, ce n’est pas de l’or ! Pas de jackpot pour vous ! Peut-être que vous gagnerez la semaine prochaine s’il y a un retournement de situation ! »

Un homme avait laissé ce commentaire décevant dans la section « Aide aux mines », sur un post intitulé : « J’ai trouvé quelque chose qui ressemble à de l’or ! »

Laissez-moi les mines et les forêts ! avait-il pensé.

Il y a quelque temps, il avait découvert cet étrange blog, « Aidez-moi : dirigez cette terre en tant que vicomte. ». La description du site était la suivante : « Je suis soudainement devenue vicomtesse et je dois maintenant gérer un territoire. Aidez-moi, s’il vous plaît ! »

Pour cet homme, il semblait s’agir du journal intime fictif d’une adolescente se posant des questions sur les complexités de la gestion de son domaine. Il abordait des sujets tels que la riziculture, la pêche et l’extraction de métaux précieux.

Cet homme l’avait trouvé bien pensé et étrangement réaliste. De nombreux net-citoyens s’amusaient avec. Si des experts donnaient de précieux conseils, les rapports de résultats de la blogueuse se lisaient comme ridiculement authentiques, impressionnant ceux qui y avaient contribué. Les erreurs de débutants, par exemple, seraient si flagrantes que les commentateurs auraient l’impression que le vicomte avait suivi leurs instructions. Les photos qui accompagnaient les articles étaient également très bien faites, et tout le monde fit l’éloge de l’artiste CGI derrière elles. À ce stade, tout le monde commentait comme si le comté était un véritable endroit. Il y avait même eu des événements d’urgence comme « Aidez cette fille malade » et « Au secours ! Des parasites sur le riz ! »

Un jour, l’homme — un blogueur régulier — reçut une invitation.

« Merci beaucoup de m’avoir aidé à devenir un grand dirigeant. Nous avons un week-end de trois jours dans deux semaines, et j’aimerais vous inviter, vous et trois de mes autres conseillers fiables, à une petite réunion dans mon comté. J’espère que le fait de le voir de vos propres yeux vous aidera à continuer à me conseiller à l’avenir.

De plus, nous serons présents pendant les trois jours du week-end. Vous ne devez apporter que des produits d’hygiène personnelle et des sous-vêtements de rechange. Je préparerai tout le reste. Toutefois, pour les vêtements, j’aimerais connaître vos tailles préférées.

Début : Samedi, 13 h

Fin : lundi, 13 h »

C’est quoi ce bordel ? ! Bon sang, j’y vais ! Je ne sais pas où se trouve le « comté », mais c’est un voyage gratuit de trois jours, alors pourquoi laisser passer ça ? Y aura-t-il des sources d’eau chaude ? Ce blog appartient-il à un vieux retraité riche qui fait de l’agriculture dans un village dépeuplé ? C’est le sentiment que me donne « mon comté », en tout cas. Et puis, je vais rencontrer trois autres blogueurs ! Rien que ça vaut le voyage.

Il supposait que quelqu’un qui pouvait couvrir toutes les dépenses d’un voyage de trois jours pour cinq personnes devait être riche. Le travail de la CGI à lui seul l’avait convaincu qu’il s’agissait d’une bonne affaire, et il avait du mal à imaginer que le vicomte puisse gaspiller autant d’argent pour une excursion ennuyeuse. Dans son esprit, il n’y avait aucune chance que d’aller à sa rencontre soit une perte de temps.

Est-ce une vieille dame ? Ou un homme d’âge moyen à la retraite avec trop de temps et d’argent à dépenser ? Quel genre d’individu est ce « vicomte » ?

***

Partie 2

Samedi, à 12 h 55, quatre personnes s’étaient rassemblées sur un terrain de jeu situé sur le toit d’un grand magasin. Le groupe comprenait « McCoy », un homme d’âge moyen et habitué de la partie « Aide médicale » du blog; « Souverain de la Montagne », un homme de vingt-six ans et habitué de la partie « Aide minière »; « Poisson séché », une femme de vingt-sept ans et adepte de la partie « Aide maritime » et « Greenpeas », une femme de vingt-trois ans et collaboratrice régulière de la section «  Aide agricole ».

Ils étaient rapidement arrivés à la conclusion qu’ils étaient tous les quatre des collègues participants. Certains avaient supposé que l’un d’entre eux était le vicomte, mais il s’était avéré que ce n’était pas le cas.

Quelques minutes plus tard, dix seconde seulement avant que l’horloge ne sonne l’heure…

« Merci à tous d’être venus. Je suis la vicomtesse Mitsuha von Yamano. »

« ALERTE FILLE JOLIE ! », s’écria quelqu’un.

Tout le monde, sauf McCoy, alias le Dr. Shuhei Nishimura, était déjà en pâmoison devant Mitsuha.

« Je vous ai fait venir ici parce que cet endroit est presque toujours vide, et que les gros équipements peuvent bien nous cacher », dit Mitsuha avant de les faire venir plus près.

McCoy savait en partie ce qui allait se passer, mais les trois autres étaient désemparés et avaient suivi ses instructions avec un peu d’hésitation. Ils avaient rapidement été complètement cachés, et dans l’instant qui suivit, ils avaient complètement disparu.

« Bienvenue dans le comté de Yamano ! », dit Mitsuha à leur arrivée dans l’autre monde.

« QUOOOII ?! »

Les trois autres avaient d’abord été stupéfaits, mais une fois calmés, ils avaient commencé à poser des questions.

« Hum, est-ce que les champs que je vous ai dit de faire sont vraiment ici ? Comme dans les rapports ? Vous savez, ces photos avec le CGI ?! » demanda Greenpeas.

« Il n’y avait pas de CGI. J’ai pris les photos avec un appareil photo numérique standard. Mais oui, les champs sont dans les plaines près du flanc de la montagne », répondit Mitsuha.

« Alors le bateau ! Où est le mini bateau de pêche polyvalent ? ! », s’écria Poisson Séché.

« Il est encore en test, mais il est dans le chantier naval temporaire du village de pêcheurs. On est un peu au bout du rouleau avec lui. »

« Quel est le problème ? ! Où est le bateau ? ! OÙ ? ! »

Les femmes, étourdies par l’excitation, s’approchèrent agressivement de Mitsuha.

« Hahaha. »

Le Souverain de la Montagne, dont le vrai nom était Tomoya Aoki, riait d’autodérision.

« Je vous aiderais bien avec votre mine, mais on dirait qu’il n’y en a pas. Et l’exploitation forestière est trop difficile sans machines lourdes. »

McCoy-Shuhei Nishimura tapota l’épaule de l’homme déprimé.

Soudainement, une jeune fille du voisinage avait quitté sa mère et s’était approchée de McCoy avant d’enlacer sa jambe de ses petits bras.

« Uhm, bonjour ? »

Mitsuha sourit : « C’est Margaret. C’est elle que vous avez sauvée, Dr McCoy. »

La mère de la fille l’avait rattrapé et s’était inclinée devant lui encore et encore.

« Aah… Aaahhhh ! »

Il inclina la tête un moment, mais cela ne l’avait pas empêché de pleurer.

« WAAAHHHHH ! »

Il s’était accroupi et enroula ses bras autour de la petite fille.

Ma fille, pensa-t-il, en sanglotant de façon incontrôlable. Je n’ai pas pu la sauver, mais cette fille, je…

« Et bien, suis-je le seul à n’avoir rien ? », murmura le Souverain de la Montagne.

« Souverain de la Montagne, s’il vous plaît, allez dans les montagnes. Inspectez-les, et examinez les arbres », dit Mitsuha.

« Hein ? »

« J’aimerais aussi savoir si nous pouvons construire une maison pour la production de charbon de bois et un fourneau de style japonais. Vous savez, un tatara. »

« Vous voulez faire quoi ? »

« Je suis aussi intéressée par l’acier fait de limaille de fer. »

« Hein ? Vous êtes sérieuse ? ! »

Mitsuha voulait être attentionnée envers ceux qui avaient fait un long voyage pour ça, alors elle avait prévu que tout le monde arrive et se sépare pour travailler dès l’après-midi. Tout le monde étant occupé à ses tâches, le soir était vite venu.

GreenPeas faisait le tour des champs, vérifiant s’il y avait des problèmes. Poisson Séché criait aux charpentiers qui construisaient son nouveau navire, tandis que Mitsuha faisait office d’interprète. Elle vérifiait également les méthodes de transformation des fruits de mer de la ville et inspectait les crustacés et les algues. McCoy et Mitsuha étaient allés voir Boris — un homme de 260 livres — pour que le médecin puisse lui parler directement. Le Souverain de la Montagne était allé dans les montagnes.

Le temps que le groupe retourne à la résidence du vicomte, il faisait déjà nuit noire. Ils entrèrent dans le bain, se changèrent dans les vêtements qui leur avaient été fournis et commencèrent à se réunir. Tout le monde avait essayé d’empêcher Mitsuha de boire, mais elle avait insisté sur le fait que l’âge adulte commençait ici à quinze ans, et qu’ils n’avaient donc pas d’autre choix que de faire marche arrière.

Ils pensaient qu’elle buvait probablement régulièrement.

Le fait de voir le comté de leurs propres yeux avait allumé un feu à l’intérieur des participants. Ils avaient discuté abondamment de ce qu’ils avaient découvert, avaient beaucoup ri et étaient rapidement devenus ivres, ce qui était une conséquence évidente de l’alcool et de la bonne ambiance.

McCoy, cependant, buvait lentement et parlait peu. Il semblait perdu dans ses pensées. Mitsuha le comprenait, mais elle ne voulait pas rater l’occasion de consulter un médecin pour quelque chose qui la tracassait.

« Doc. Je peux vous demander quelque chose ? », demanda-t-elle, assise à côté de lui.

« Bien sûr. Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Umm, si quelqu’un pouvait lentement mais sûrement guérir de n’importe quelle blessure et même faire repousser les parties perdues de son corps, qu’est-ce que cela signifierait pour le reste de son corps ? »

Elle y avait beaucoup réfléchi ces derniers temps.

McCoy pouvait encore penser à travers son brouillard d’alcool, mais son esprit était un peu embrouillé.

« Hmmm. Tout guérit totalement ? Même les parties perdues ? Est-ce que ça veut dire que même les os et les cellules nerveuses reviennent ? Il n’y a pas de décomposition de l’oxygène, de défaut de transcription de l’ADN ou de raccourcissement des télomères ? C’est de la folie, haha. Mais je suppose qu’ils ne vieilliront jamais. Ou peut-être même qu’une nouvelle tête repousserait une fois qu’elle aura été enlevée. Hahaha. »

En entendant sa théorie, Mitsuha s’était effondrée.

« C’est pourquoi une enfant comme toi ne devrait pas boire », dit McCoy, en secouant la tête.

Mitsuha était dans un état de délire léger, induit par l’alcool.

« Hrmmm. Cela signifie que je vais avoir besoin de beaucoup plus que 80 000 pour ma retraite. »

Hein ? C’est vraiment la chose la plus choquante dans tout ça ? Et est-ce vraiment la « retraite » si vous ne vieillissez jamais ?

Il y a peu de temps, Mitsuha avait commencé à penser qu’elle ne grandirait plus. Même à l’âge mûr de dix-huit ans, elle espérait grandir un peu — pour gagner quelques centimètres sur son buste, sa poitrine et son sein, par exemple. Mais il n’y avait pas le moindre signe de croissance. C’était la raison pour laquelle elle avait parlé à Mme McCoy de la régénération. La réponse ne laissait guère de place à l’espoir.

Non ! Ce n’est qu’une conjecture ! Je vais continuer à grandir ! Il n’y a pas lieu de paniquer !

Même si elle voulait y croire, elle s’était préparée à cette vérité depuis qu’elle avait cessé de grandir à dix-sept ans. En fin de compte, elle était d’accord pour rester jeune pour toujours. Mais ce n’était pas comme si elle était immortelle, perdre sa tête la tuerait probablement, tout comme un cœur transpercé ou un saut dans un haut fourneau.

Inutile d’y penser trop fort. Je m’amuserai jusqu’à ce que la vie m’ennuie. Et puis, il se peut qu’un jour je rencontre à nouveau cette « chose ».

◇ ◇ ◇

Le matin, tout le monde s’était réveillé avec de graves maux de tête. Mitsuha, par contre, allait parfaitement bien.

Est-ce que mon autoguérison fonctionne sur la gueule de bois ? Les maladies aussi, peut-être ?

Ils avaient prévu d’aller à la capitale dans l’après-midi. Jusque-là, chacun avait fait les préparatifs qu’il jugeait nécessaires. Vers 13 heures, ils avaient enfilé des vêtements qui leur permettraient de se fondre dans la foule de la capitale, puis avaient sauté dans le magasin général de Mitsuha. Mitsuha avait récemment repris ses activités, mais avec des horaires extrêmement limités.

Elle avait un endroit particulier en tête pour le déjeuner : le restaurant Paradis.

En apprenant que des gens du pays de Mitsuha étaient venus lui rendre visite, Anel, Aleena, Bernd et même Marcel avaient voulu s’essayer et voir ce qu’ils penseraient de leur cuisine Yamano.

« Nous sommes dans un monde complètement différent, mais nous allons manger de la nourriture normale de la Terre », s’étaient plaints ses conseillers en ligne, mais Mitsuha n’avait pas fait attention à eux. Elle avait également prévu de les faire venir au Paradis pour le dîner.

De toute façon, qu’est-ce que c’est que tous ces gens ? Sabine, toute la famille Bozes, le roi, le chancelier, et surtout toi, la première princesse ! Bon, peu importe. Je suppose que je dois les présenter.

« Mitsuha, vous êtes vicomtesse, n’est-ce pas ? Pourquoi la famille du comte vous traite-t-elle comme l’un d’entre eux ? Pourquoi parlez-vous à une princesse avec tant de désinvolture ? Et… le roi ? Vraiment ? », demanda Greenpeas.

« S’il vous plaît, ne demandez pas. »

Mitsuha ne savait pas comment répondre.

La Cuisine Yamano avait reçu des notes de passage de la part des voyageurs, et les employés du Paradis pleurèrent des larmes de joie.

Ensuite, il était temps de faire un tour dans la capitale. Ils allaient d’abord et avant tout faire du tourisme, mais Mitsuha leur avait dit de l’appeler s’ils remarquaient des opportunités commerciales lucratives.

« Hé, pourquoi tout le monde vous regarde-t-il avec des yeux pétillants, vous fait-on signe et crie-t-il ? Qu’est-ce qu’ils disent ? », demanda l’un des membres.

« Encore une fois, juste… ne demandez pas. »

Il n’y avait pas vraiment grand-chose à voir dans la capitale. Le palais royal était le point culminant, mais ce n’était pas comme si les gardes les laisseraient entrer. En outre, il y avait des routes pavées de style européen et de vieux bâtiments en briques, qui ressemblaient assez à ce qu’ils avaient vu sur les photos ou à la télévision. Le mur extérieur était pour le moins impressionnant. Alors que Mitsuha réfléchissait à la façon d’améliorer sa visite, elle entendit quelqu’un dire : « Très bien, je vais vous faire visiter notre palais. »

Bon sang, la royauté !

À l’heure du dîner, on leur servit des plats de la cuisine du royaume. Malgré cela, il n’y avait rien de terriblement intéressant.

Si c’était un manga, vous auriez un steak de dragon ou autre chose. Curieusement, il était plus probable que vous en ayez un sur Terre en ce moment. Ils ont probablement gelé ce fichu truc.

Plus tard, après que tout le monde se soit remis à boire, McCoy s’était approché de Mitsuha. Il avait l’air très sérieux.

« Vicomtesse… serait-il possible pour moi de vivre ici ? »

Oh, c’est donc ce qu’il a en tête.

« Oui, ce n’est pas impossible, mais si je meurs ou si je perds mon pouvoir de saut dans le monde ? Et si on vous laisse ici tout seul ? Vous êtes médecin, c’est sûr, mais que pouvez-vous faire sans équipement médical ou sans médicaments ? Il faudrait aussi apprendre la langue, et même si vous le faisiez, il n’y a pas de mots pour les concepts plus avancés. Imaginez que vous expliquiez les scanners à une personne de l’époque médiévale en utilisant uniquement des mots qu’il peut comprendre. »

McCoy s’était à nouveau perdu dans ses propres pensées et s’était éloigné.

J’ai l’impression que je l’ai juste un peu intimidé. Il est peu probable que je meure avant lui, et je ne pense pas que je vais perdre mon saut dans le monde. Mais ce n’est pas impossible, et je ne veux pas que quelqu’un planifie sa vie autour de moi et de mon pouvoir. Même moi, je prépare une mesure de sécurité pour le cas où je la perdrais : mon plan étant d’économiser quatre-vingt mille pièces d’or pour ma retraite.

Sans aucune sobriété dans leurs démarches, ils s’étaient retrouvés au magasin général de Mitsuha avant de sauter dans sa résidence du comté de Yamano. Il était inutile qu’ils séjournent dans une auberge, et le troisième étage du magasin était l’espace privé de Mitsuha.

En passant, tout le monde avait eu un aperçu des prix de Mitsuha.

« Putain, c’est cher ! »

« Ces prix sont criminels ! »

« La folie. »

« C’est un magasin tout droit sorti de l’enfer. »

Augh ! Taisez-vous, les gars !

◇ ◇ ◇

Le lendemain, tout le monde avait fait la grasse matinée. Après tout, le seul point à leur ordre du jour était de rentrer chez eux. Les vêtements que ses invités avaient portés à leur arrivée avaient été nettoyés pendant qu’ils étaient à la capitale. Après leur réveil, ils avaient repris leurs vêtements habituels, prirent un brunch tardif et procédèrent à quelques inspections finales. Ils avaient regardé le bateau, puis avaient vérifié les champs.

Dommage ! Ce n’est pas du vrai or !

McCoy avait reçu un autre câlin de la petite fille.

Mitsuha les ramena tous les quatre sur le terrain de jeu lundi à 13 heures précises. Leur week-end dans l’autre monde était terminé, et il était temps pour eux de retourner à leur vie quotidienne.

***

Chapitre 18 : Sécuriser le personnel

Partie 1

« Alors, comment voulez-vous travailler pour moi ? », demanda Mitsuha.

Les quatre mercenaires en face d’elle s’étaient figés. Ils étaient tous les cinq assis à une table du Paradis.

« Euh, vous voulez dire que vous voulez faire de nous votre armée, uhh… »

« En effet, vous serez les membres fondateurs et officiers. Vous répondrez directement à un commandant et dirigerez trente-six soldats. Votre salaire initial serait de cinq pièces d’or. »

« Alors ? Que voulez-vous que l’on fasse ? »

« Je n’arrive pas à y croire ! »

« Cinq pièces d’or ? ! C’est plus du double de ce qu’on gagnerait dans un mois si on faisait de l’escorte ! »

« On peut difficilement espérer plus de quatre pièces d’or en temps normal. Il semble qu’il n’y ait aucun moyen d’obtenir plus. Quand on pense qu’on peut se blesser ou tomber malade, et qu’on va vieillir, une source de revenu stable semble très intéressante. »

Wôw, mon offre est si bonne qu’elle a même fait parler Ilse !

« Cinq pièces d’or par mois nous permettraient de vivre confortablement. »

« Hein ? Oh, je voulais dire 5 pièces d’or pour chacun de vous. »

« Pour CHACUN ?! »

Maintenant que j’y pense, ce n’est pas l’équivalent de ce que gagnent les fonctionnaires des forces d’autodéfense japonaises ? Eh bien, peu importe. Je les ai subitement fait travailler pour moi, donc c’est bien.

Les mercenaires avaient commencé leur carrière dans un petit village rural, ils n’avaient donc pas peur de travailler dans un endroit similaire. Ils rêvaient d’économiser assez d’argent pour ouvrir une boutique dans la capitale, ce qui semblait être un objectif assez tangible, surtout avec les augmentations qu’ils pourraient obtenir à l’avenir.

◇ ◇ ◇

« Veux-tu donc travailler pour moi ? »

« Travailler pour toi ?! »

Cette fois, Mitsuha était dans la maison de Colette.

Je veux dire, je ne peux pas laisser ses talents être enterrés dans ce village paumé, hein ?!

« Mitsuha, tu es devenue vicomtesse ? »

« Oui. Le roi lui-même m’a fait devenir vicomtesse. »

Tobias et Erene frissonnèrent.

« Mais Mitsuha, Colette est encore une enfant. Si tu l’emmènes, on risque de ne plus jamais la revoir ! »

« Exact, j’ai oublié de préciser que mon comté est juste à côté de celui-ci ! D’ici, c’est même plus proche que la capitale de ce comté. »

« Oh, ne me dites pas… »

Une fille du village qui se mettait au service d’un noble, cela ne se voyait que dans les contes de fées. Cette nuit-là, le village organisa une fête somptueuse pour célébrer l’ascension rapide de Colette dans le monde. Mitsuha fit également son entrée dans le panthéon local en tant que déesse des changements terrestres. Au cours de cet événement extrêmement inhabituel, de simples villageois firent la fête aux côtés du seigneur d’un comté voisin.

Il faut également mentionner que les villageois avaient entendu parler de la bataille à la capitale, mais ils savaient seulement que la star du spectacle était une personne appelée « archiprêtresse de la foudre ». Ils ne savaient donc pas que cette archiprêtresse était devenue une noble — une vicomtesse, en plus — ou que ses terres étaient juste à côté des leurs. Les habitants du comté de Yamano étaient tout aussi ignorants, même s’ils servaient l’archiprêtresse elle-même.

« Hé, veux-tu aussi me prendre comme serviteur ? », demanda l’un des villageois.

« Ahaha, eh bien… »

« Dire que Colette va servir un noble. La vie est vraiment pleine de surprises ! », s’émerveilla un autre.

« Hein ? Euh, je ne l’engage pas comme servante. Je pense lui apprendre toutes sortes de choses pour qu’elle devienne ma vassale. »

« Ta QUOI ?! »

◇ ◇ ◇

Après avoir quitté le village de Colette, Mitsuha rassembla des gens dans la capitale. Elle n’avait cependant pas mentionné son nom, elle avait simplement dit qu’il y avait une demande de commerçants dans un comté rural. Elle avait besoin de forgerons qualifiés, de charpentiers ou de charpentiers de marine capables de construire au moins de petits bateaux de pêche, de personnel de santé, etc.

Elle était même allée voir le professeur de Yorck le scientifique, Platidus. En mettant de côté l’échec total de la mission de Yorck, elle avait noté que son professeur semblait perspicace et avait une position agréable sur les questions scientifiques. Platidus s’avérait avoir un sens aigu de la déduction, il avait déjà conclu que l’archiprêtresse et la vicomtesse Yamano étaient une seule et même personne. Il avait donc fait tout son possible pour lui parler personnellement. Ses élèves se méfiaient d’elle, probablement à cause de ce que Yorck avait pu leur dire.

« C’est pourquoi le taux d’humidité dans l’air change beaucoup en fonction de la température. »

« Je vois. »

« En prenant de l’altitude, la pression atmosphérique diminue et la température aussi. C’est ce qui provoque ce phénomène… »

« Et quand les conditions sont… »

« Oh, alors ça se passe comme ça, et… »

« Mhm, mhm. »

Mitsuha et Platidus s’étaient entendus en quelques minutes. Elle était impressionnée par tout ce que les scientifiques de ce monde pouvaient observer et discerner sans aucun équipement avancé. Elle avait même fait don de dix pièces d’or pour les aider dans leurs recherches, en leur disant de la contacter s’ils prévoyaient d’utiliser leurs découvertes pour développer quelque chose de pratique.

Au fur et à mesure que la rumeur disant que Mitsuha cherchait de nouvelles recrues se répandait, le nombre de bouffons confus et d’escrocs intrigants qui voulaient devenir vassaux ou trésoriers augmentait. Elle écarta les premiers en demandant des lettres de recommandation du roi, et chassa les seconds après avoir testé leurs compétences en mathématiques.

Soupir. Ils ne pouvaient pas en résoudre une seule.

Heureusement pour elle, il n’y avait pas de tels délinquants parmi les candidats aux postes techniques, et elle avait même organisé quelques entretiens. Cependant, chacun avait ses propres problèmes. Certains n’étaient manifestement pas compétents, d’autres ne prenaient pas l’entretien au sérieux parce que leur interlocuteur était une petite fille, et d’autres encore étaient conscients de qui elle était et ils ne pouvaient pas contrôler leur étourderie. Au final, elle n’avait pas trouvé une seule personne qui convenait pour le poste.

Si l’on y réfléchit bien, les experts qui sont à la fois compétents et sympathiques ne chercheraient pas de travail. Je suppose que je vais tenter ma chance dans mon propre pays. Oh, et je devrais ouvrir le magasin et vendre du shampoing.

◇ ◇ ◇

Quelques jours après son retour de la capitale, son majordome l’avait approchée avec une expression compliquée.

« Dame Mitsuha, vous avez un invité. »

« Qui est-ce ? »

« Euh, c’est August, le premier fils de l’ancien seigneur. »

Oh, mon Dieu. Cette rencontre va me donner un mal de crâne. Néanmoins, je ne peux pas simplement le rejeter sans le rencontrer.

« Emmenez-le dans la salle de réception. »

Une fois qu’ils s’étaient rassemblés, son invité indésirable s’était présenté.

« C’est un plaisir de vous rencontrer. Je suis August von Tomsen, le premier né du baron Tomsen. »

« Hein ? »

Il n’est pas sérieux, pensa-t-elle.

« Qu’est-ce qui vous amène ici ? »

Mitsuha n’avait pas l’air impressionnée, ce qui prit August un peu au dépourvu.

« C’est vrai. Vous voyez, j’ai appris que notre terre avait été héritée par une jeune femme, alors je suis venu ici avec l’intention de vous montrer les ficelles du métier. Après tout, ça doit être difficile sans vassaux. »

Oh, j’ai compris. Il veut devenir un vassal, puis se marier dans la famille pour redevenir un noble — un vicomte, en fait — et ramener sa famille à son ancienne gloire.

« Je veux dire, je n’ai pas vraiment besoin de votre aide. J’en ai plus qu’assez avec mes serviteurs. »

« Euh, pardonnez-moi, mais vous devez vous tromper. Il y en a qui se sont avérés tout à fait inutiles, non ? Vous devez sûrement apprendre à utiliser ceux qui sont dignes de confiance, comme Gunther, pour les contrôler correctement. »

« Hein ? Vous avez fait confiance à ce serpent ? Voyez-vous, c’est pour ça que votre famille était si désespérée. Ce type était si manifestement corrompu que cela n’en était même pas drôle. Je l’ai viré avec les cinq autres indésirables il y a longtemps. »

« Vous… quoi ? »

August était à court de mots.

« Et aussi, la famille Tomsen a perdu son rang. Vous êtes juste des roturiers maintenant. Pourquoi vous dites-vous fils de baron et mettez-vous “von” dans votre nom ? Prétendre faussement être un noble est un crime, non ? »

« Oh, j’ai simplement dit cela pour vous aider à comprendre mon rôle en tant qu’ancien… »

« Silence ! Willem ! Arrêtez cet imposteur traître ! C’est un criminel qui a délibérément fait du tort à Sa Majesté le roi et à tous les nobles de ce pays ! », dit Mitsuha en criant.

August tenta de se défendre, mais un noble garçon choyé comme lui n’avait aucune chance contre un mercenaire aguerri. Il avait rapidement été capturé et ligoté.

« Lâchez-moi ! Pour qui me prenez-vous ? Anton ! Fais quelque chose ! »

Le majordome lui répondit d’un ton aussi froid que la glace.

« Tu dois être confus. Tu n’es qu’un roturier nommé August. Je suis un fidèle serviteur de son Excellence la Vicomtesse Mitsuha von Yamano. »

« Hein ? »

Les yeux d’August parcoururent la pièce. Il vit les personnes qui servaient sa famille, le regardant au mieux sans expression, au pire avec dédain.

Son corps était devenu mou, et les serviteurs l’avaient traîné dehors.

« Hmm, je n’ai pas encore de soldats. Que dois-je faire de lui ? », murmura Mitsuha.

Oh, je sais.

« Anton, envoie un messager aux Bozes. Dis-leur que nous avons un roturier traître et qu’on a besoin de soldats pour l’escorter jusqu’à la capitale. »

« Cela sera fait. Mais… »

« Mais quoi ? »

« Le comte fera-t-il vraiment une telle chose sans compensation ? »

Oh, il ne sait toujours pas.

« Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Lui et moi sommes de proches connaissances. Envoyez juste un messager. »

« Certainement. Je m’excuse de mon impertinence. »

Le messager revint deux jours plus tard, signalant que les soldats d’escorte seraient là le jour suivant. Le comte avait également proposé d’envoyer quelques-uns de ses hommes pour lui servir de gardes du corps afin d’éviter de futurs visiteurs indésirables, mais elle avait poliment refusé.

« Dame Mitsuha, vous avez un invité. »

Anton avait l’air épuisé.

J’ai un mauvais pressentiment à ce sujet.

« Qui est-ce ? »

« Il prétend être le second fils de l’ancien seigneur, Burckhardt von Tomsen. Et il l’est certainement. »

J’ai mal à la tête.

« Willem, sautons les formalités. Allez juste l’attacher. »

Le mercenaire fit un sourire : « Au moins, nous pourrons les renvoyer tous les deux en même temps. »

À ce moment-là, une question particulière lui vint à l’esprit.

« Hé, Anton, combien d’enfants a l’ancien seigneur ? »

« Trois fils et deux filles, mademoiselle. »

Vous vous moquez de moi !

◇ ◇ ◇

Finalement, le groupe de Sven arriva. Mitsuha avait supposé qu’ils auraient déjà vendu leur remorque à vélo, mais ils l’avaient en fait traînée avec eux pendant tout le trajet. Tout bien considéré, cependant, cet exploit n’était pas aussi impressionnant que celle de l’armée du comte Bozes voyageant jusqu’à la capitale et revenant en tenue de combat.

Mitsuha commença par les présenter à Willem. Elle leur donna ensuite les noms des trente-six premières recrues.

Vous pouvez vous occuper du reste ! Bonne chance !

Elle ne croyait pas vraiment qu’un peu d’entraînement suffirait aux villageois pour gagner contre les bandits. Son armée de fortune de deux cents hommes aurait pu vaincre quelques dizaines de bandits, mais ce serait une victoire à la Pyrrhus, avec de nombreuses victimes et le risque de détruire le moral et l’économie de tout le comté. Bien que les armer de fusils puisse empêcher cette issue, les munitions et l’entretien dépendraient uniquement de Mitsuha, et les fusils deviendraient rapidement inutiles si elle n’était plus présente.

Mitsuha décida d’apprendre à quelques personnes sélectionnées à manier les SMG et à changer leurs chargeurs. Ils n’utiliseraient les armes qu’en tant qu’outils d’apprentissage, elle ne les utiliserait que si cela s’avérait nécessaire. Elle avait déjà un arsenal d’urgence dans la base de Wolfgang, il lui suffirait de le transporter. Mitsuha avait même envisagé d’engager à nouveau les mercenaires si les circonstances l’exigeaient. Elle avait décidé de consulter le capitaine sur de telles possibilités à l’avenir.

Les arbalètes étaient également une option. Mitsuha se demandait s’il serait possible d’en fabriquer de simples dans ce monde.

Mince, je veux un forgeron compétent. J’ai besoin d’outils agricoles, d’accessoires de navires et d’outils à fabriquer en interne. Cela nous aidera certainement à nous développer. Je pourrais probablement obtenir du fer en le faisant venir du Japon. Je n’en ai pas besoin d’autant, et je ne veux pas nuire à l’environnement. Comme d’habitude, je privilégie la qualité à la quantité. Je vais certainement vouloir de cet acier japonais qui est fait de sable de fer. Je vais aussi avoir besoin d’un four à tatara et de beaucoup de bois, non ? Hmm, et le titane ? Non, on ne peut probablement pas travailler avec ça dans ce monde.

***

Partie 2

Bientôt, Colette arriva dans le comté de Yamano. Pour être précis, c’était Mitsuha elle-même qui l’avait escortée. La jeune fille aurait pu facilement être attaquée par des loups ou des bandits, Mitsuha ne pouvait donc pas la laisser faire le voyage toute seule. Au final, elle avait emmené Willem au village de Colette pour la récupérer.

Quant au groupe de Sven, il était occupé à former les villageois.

« Wôw, alors tu es vraiment une vicomtesse ! » dit Colette avec des yeux brillants.

C’est quoi ce bordel, Colette, tu ne m’as pas crue ?!

Notre comté avait maintenant des gardes qui faisaient office d’entraîneurs, beaucoup de recrues, et un sourire innocent pour leur remonter le moral. Satisfaite de tout cela, Mitsuha reporta son attention sur la manière de réformer ses terres.

Devrais-je utiliser le système des trois champs ? La rotation des cultures ? Le système à quatre champs ? Le système à trois champs est meilleur pour les périodes de transition, alors peut-être que je devrais juste commencer avec Norfolk ? Non, non, non. Je vais demander à un professionnel. Des pois verts, c’est ça ?

Mitsuha était assez triste du fait qu’ils n’aient pas trouvé de ressources naturelles qui valent la peine d’être creusées. Elle avait aussi l’industrie de la pêche à considérer, mais ils avaient besoin de navires appropriés pour s’améliorer dans ce domaine. Pour l’instant, sa priorité était d’acquérir des connaissances et des informations. Elle avait décidé de consacrer plus de temps à la lecture de livres et à l’exploration d’Internet.

Avant de faire de vrais mouvements, je vais avoir besoin de plus de serviteurs.

Mitsuha réfléchissait à qui prendre pour son comté et comment. Les pots-de-vin et les faux sont monnaie courante dans ce monde, donc les références et les recommandations sont généralement peu fiables. Pour autant qu’elle le sache, elle ne pouvait se fier qu’aux recommandations de personnes de confiance et à son propre jugement lors des entretiens, mais même cela pouvait être détourné si la personne interrogée avait de bons talents d’acteur.

Le comte proposa à Mitsuha de lui prêter ses propres vassaux, mais elle refusa. Il avait déjà Alexis à soutenir, et Mitsuha était susceptible de faire un certain nombre de choses que les vassaux trouveraient… peu orthodoxes. De plus, et bien qu’elle fasse confiance au comte Bozes, elle ne se sentait pas tout à fait à l’aise sur le fait de lui laisser savoir tout ce qui concernait son territoire.

Mitsuha avait besoin d’un trésorier, d’un superviseur pour la pêche et l’agriculture, d’un responsable du bien-être et de deux servantes. Elle supposait qu’Anton et les autres serviteurs connaissaient une ou deux candidates prometteuses, mais elle ne voulait pas passer à côté de candidates potentielles dans le reste du comté.

La trésorerie, la pêche et l’agriculture avaient été gérées par trois des six serviteurs que Mitsuha avait renvoyés et un de ceux qui restaient. Cependant, ils s’étaient tous principalement concentrés sur la taxation, la liquidation et les activités illégales; ils ne savaient pas comment faire croître les industries. Il était assez difficile de trouver la bonne personne pour ces emplois.

Elle avait espéré pouvoir trouver des candidats parmi les artisans de la capitale, mais ses recherches n’avaient pas été fructueuses. Elle avait besoin de personnes qui n’étaient pas seulement compétentes, mais qui avaient aussi un esprit ouvert et une large perspective, mais elle savait très bien que personne de ce genre ne serait pas sans emploi.

Je m’en ficherais même s’ils étaient un peu bizarres. Il peut y avoir des gens vraiment talentueux qui sont un peu trop étranges pour être embauchés par des établissements normaux. Si seulement il y avait un endroit où je pourrais trouver des gens comme ça… Attends ! Je sais exactement où chercher ! Une véritable ruche de cinglés bien équilibrés : l’école de scientifiques de Platidus !

Leur espace de recherche était peut-être particulier, mais il était légitime, et Mitsuha était certaine qu’ils sauraient où elle pourrait trouver des personnes aussi enthousiastes et farfelues qu’eux. « Qui se ressemble s’assemble », dit-on.

Je vais aller leur parler tout de suite. Je suis déjà en bons termes avec le vieil homme responsable de l’endroit, alors ce sera un jeu d’enfant.

Ses trouvailles furent presque instantanées. Son premier candidat était un métallurgiste qui avait été renvoyé de son apprentissage pour avoir refusé d’écouter son maître et s’être livré à des activités hors normes. Il était maintenant à moitié fauché, travaillant jour après jour pour joindre les deux bouts tout en essayant de faire des recherches à côté. Platidus lui avait dit qu’il venait souvent commander des choses dont il avait besoin pour ses études indépendantes.

Il montra à Mitsuha les inventions de l’homme et lui parla un peu de lui. Elle avait rapidement conclu que le métallurgiste était un fanatique de technologie stéréotypé, compétent et avec quelques bonnes idées. Mitsuha demanda à Platidus d’organiser une rencontre entre eux.

L’autre personne que Mitsuha pensait utiliser était l’une des disciples de Platidus. La fille se distinguait parmi ses étudiants par son intérêt pour la sociologie plutôt que pour la science. Elle n’était pas tout à fait à sa place à cause de cela, mais elle était douée avec les chiffres et ferait certainement une bonne conseillère. Selon Platidus, elle n’était pas une mauvaise disciple, mais il lui semblait qu’ils n’étaient pas souvent sur la même longueur d’onde, et il pensait que Mitsuha pourrait l’aider à briller. Rien n’avait encore été dit à la fille en question, mais Mitsuha avait aussi demandé un entretien avec elle.

Le jour des entretiens était rapidement arrivé. Le métallurgiste s’appelait Randy, il avait vingt-trois ans. La description de Platidus était exacte, et Mitsuha n’avait aucun problème avec sa personnalité. Il ressemblait un peu à ces maniaques de la technologie qui ne travaillaient pas bien avec les autres. Mais surtout, il était vraiment bon dans ce qu’il faisait.

Je vais vraiment embaucher celui-là, pensa Mitsuha.

Et bien qu’elle ne pense pas pouvoir lui confier des rôles de gestion, il était certain qu’il excellera en tant qu’artisan. En fait, il semblait complètement ouvert aux nouvelles idées, ce qui en faisait peut-être un meilleur choix pour Mitsuha que le maître artisan moyen. Elle pouvait même compter sur lui pour fabriquer des produits en utilisant la technologie de la Terre.

La suivante était la disciple de Platidus, Miriam. Elle avait une personnalité contagieuse et était une penseuse rapide avec une grande perception. Avec son intérêt pour la sociologie, elle serait une bonne candidate pour un rôle politique. Sa maîtrise des mathématiques ne semblait pas aller avec le reste de sa personnalité, mais elle faisait d’elle une parfaite trésorière.

Ouaip, elle a le poste.

Platidus était aussi heureux de leur embauche que les deux personnes interrogées elles-mêmes. Ils étaient à un point stagnant de leur vie, et même s’ils devaient maintenant voyager à la campagne, ils utiliseraient leurs meilleures compétences sous l’emploi d’une vicomtesse. Leur joie était à prévoir. Mitsuha leur avait dit de se rendre au comté de Yamano dès que possible, et les deux s’étaient précipités pour se préparer.

Ils devront probablement tout expliquer à leurs parents, pensa Mitsuha.

Platidus lui avait suggéré de prendre aussi Yorck, mais elle avait immédiatement refusé. Mais il ne savait pas trop pourquoi. Yorck lui avait dit qu’il avait été mis à la porte parce que Mitsuha n’avait pas été capable de comprendre ce qu’il disait. Platidus en avait parlé à Mitsuha et l’avait supplié de lui donner une autre chance.

Oh, non il ne l’a pas fait, pensa Mitsuha avant de lui dire la vérité.

Elle lui avait tout expliqué, depuis ce qui s’était passé dans la voiture jusqu’aux théories de Yorck, notant à quel point elles étaient basiques et assurant Platidus qu’elle les connaissait déjà elle-même, et qu’elle aurait pu déblopper davantage si elle l’avait souhaité.

Mitsuha ne pouvait pas non plus faire confiance à un scientifique qui déformait la réalité pour son profit personnel. Peu importe combien elle était riche, elle ne lui donnerait pas une seule pièce d’argent. De plus, s’il avait essayé de vendre ses semblables pour sauver sa peau une fois, il le ferait certainement à nouveau. Dans un raid de bandits, il serait plus dangereux que les bandits eux-mêmes.

De plus, Platidus avait révélé qu’il n’avait pas envoyé Yorck pour devenir un conférencier invité, mais simplement pour lui demander de devenir un mécène et de faire un don à leur école. En réalisant que la vicomtesse n’était qu’une petite fille, Yorck avait décidé de profiter de sa position.

Il a donc aussi déformé les intentions de son professeur et menti à un noble… C’est une double peine.

Mitsuha demanda à Platidus de ne pas utiliser ne serait-ce qu’une fraction de l’argent qu’elle avait donné pour les recherches de Yorck, et le vieil homme, qui se sentait quelque peu mal à l’aise, avait simplement hoché la tête en réponse.

Après leur conversation, elle fit un saut dans son monde pour retourner dans son comté, fière des progrès qu’elle faisait dans ses efforts d’embauche. Elle commençait à s’inquiéter du fait que l’utilisation imprudente de son pouvoir pourrait conduire à ce que quelqu’un le découvre, mais c’était tout simplement trop pratique.

De plus, comme il y avait une semaine de distance entre son territoire et la capitale, il était difficile pour quiconque de savoir où elle était et quand. Selon toute vraisemblance, personne n’y avait pensé au-delà de « Oh, elle est encore là » ou « Oh, elle est de retour. »

Je vais juste essayer de ne pas trop y penser.

Et même si quelqu’un se rendait compte qu’elle avait voyagé instantanément, elle avait des moyens de le faire oublier. Elle pourrait simplement dire quelque chose du genre : « La voie normale était pénible, alors j’ai utilisé la traversée. » D’un autre côté, le comte Bozes et Dame Iris lui reprocheraient inévitablement de ne pas avoir pris soin de sa force vitale.

Ce mensonge était-il une erreur ? Mais si elle n’avait pas dit quelque chose comme ça, elle aurait eu des nobles et des marchands qui m’auraient demandé l’accès à son pays chaque heure du jour. Ça aurait été bien pire.

◇ ◇ ◇

Au moment où Mitsuha était retournée dans son comté, les serviteurs avaient dressé une énorme liste de candidates à la fonction de domestique, sur la base de leurs propres recommandations. Des gens de partout avaient entendu dire qu’elle était une bonne maîtresse. Attirées par la perspective d’être la servante d’une vicomtesse qui n’aurait pas à faire face aux abus d’un seigneur — ou pire, devenir sa maîtresse — elles avaient postulé pour le rôle.

Dans un grand comté comptant des dizaines de milliers de personnes, obtenir un emploi dans la maison du seigneur régnant serait comme gagner à la loterie, mais ce n’était pas tout à fait le cas lorsqu’il n’y en avait que quelques centaines. Alors que les terres d’un vicomte typique accueillent plusieurs milliers de citoyens, ces terres appartenaient auparavant à un simple baron. Avec un nombre relativement faible de personnes, les chances de devenir le serviteur du vicomte étaient beaucoup plus élevées, et les gens avaient donc afflué pour postuler.

Même certaines personnes du village de Colette voulaient que Mitsuha les engage. Cependant, elle ne pouvait pas se permettre de prendre trop de personnes d’autres comtés. Colette était sa sauveuse et une amie chère, et Mitsuha était allée voir le Comte Bozes personnellement pour lui demander si elle pouvait prendre la fille sous son aile, bien qu’elle ait gardé secrets les véritables talents de Colette. Tout dirigeant souhaiterait garder les personnes talentueuses pour l’amélioration de son propre territoire. Après tout, qui voudrait voir un capital humain précieux quitter ses frontières ?

Heheheh. Comte Bozes, dans quelques années, vous regretterez vraiment d’avoir laissé partir Colette !

Quoi qu’il en soit, Mitsuha avait une tonne de candidates parmi lesquelles choisir. Les servantes qu’elle avait renvoyées comprenaient la responsable des servantes et la préposée personnelle de l’ex-seigneur aussi. Cette dernière avait pensé que son rôle était la preuve qu’elle était une « bonne d’élite », et que cela lui donnait l’impunité. Ses transgressions comprenaient le fait d’emporter de la nourriture et des fournitures comme si c’était les siennes, ainsi que d’agir comme si elle était au-dessus de Mitsuha. Elle avait même été jusqu’à dire : « Je te laisse partir avec un avertissement » avant de partir.

Selon les autres servantes, elle était la préférée du baron et de la baronne. Ils lui avaient même permis de gronder et de discipliner leurs enfants. Mais sous le règne de Mitsuha, rien de tout cela n’avait d’importance, et la femme de chambre du baron avait mérité son expulsion.

Bon sang, je suis le vrai chef ici, pas un enfant ! Elle pense qu’elle peut me regarder de haut ? ! Merde ! Au moins, j’ai pu apprécier la tête qu’elle a faite quand je l’ai virée. C’était inestimable.

Mitsuha avait envisagé d’embaucher deux servantes standards. Elle avait également envisagé de supprimer les spécialisations des domestiques. Pour faire simple, elle ne voyait pas l’intérêt de les diviser en préposés, femmes de ménage, et ainsi de suite. Le système semblait seulement créer une hiérarchie inutile entre elles. Ce n’était pas franchement un métier très spécialisé, il semblait donc préférable de se débarrasser de la différenciation et de les laisser toutes faire diverses tâches.

***

Partie 3

Comme Mitsuha n’avait pas de famille, elle n’avait pas besoin d’un assistant direct. En fait, elle ne pourrait pas avoir l’esprit tranquille si quelqu’un s’occupait d’elle en permanence. Les servantes seraient contrariées de perdre leur position « supérieure », mais Mitsuha ne voyait aucune raison de maintenir l’illusion que les servantes qui s’occupaient des nobles dirigeants et de leurs invités étaient meilleures que les autres.

Mitsuha supposait que les plus jolies servantes avaient été assignées comme assistantes afin qu’elles puissent devenir les concubines du seigneur. Si cela avait été une terre de vicomte, le rôle aurait été rempli par des filles de barons ou des filles de grandes familles de marchands pour « apprendre l’étiquette de la haute société ». Cependant, il s’agissait simplement d’une terre rurale d’un baron, et les roturières étaient le mieux qu’on pouvait obtenir. Il n’y avait même pas de grands marchands à trouver dans la zone.

Bref, j’ai besoin de deux ou trois servantes « normales ». Je verrai si quelqu’un semble assez bien pour le travail.

Bientôt, le jour des entretiens avec les servantes arriva. Certaines avaient été recommandées par ceux qui travaillaient déjà pour Mitsuha, mais elle n’avait pas l’intention de faire du favoritisme. Elle avait demandé que les référents examinent les documents de ces candidates pour détecter toute fausse information. Naturellement, ce serait mauvais pour eux s’ils finissaient par recommander quelqu’un qui avait menti dans sa demande. Mitsuha avait donc estimé qu’elle pouvait faire confiance à l’intégrité de ces candidats un peu plus que les autres. Ce n’était rien de plus que cela.

De façon inattendue, il n’y avait pas beaucoup de recommandations. Bien que les serviteurs actuels avaient probablement voulu aider leurs amis à obtenir un bon emploi, ils seraient responsables si ces derniers commettaient des actes répréhensibles après leur embauche. Le seul avantage, si tout se passait bien, serait la gratitude du nouvel employé. Il y avait aussi la possibilité que la personne recommandée puisse s’élever au-dessus de son statut, ce qui serait au mieux désagréable. En dehors de leurs propres frères et sœurs, ils n’étaient pas susceptibles de recommander quelqu’un d’autre.

Il y avait un total de 47 candidates. Le comté de Yamano comptait 676 personnes au total, dont 322 hommes et 354 femmes.

Y a-t-il plus de femmes parce que les hommes ont tendance à avoir des accidents ou à mourir en chassant ? Y a-t-il eu une guerre récemment ? Les femmes de la région sont-elles plus fortes et ont-elles donc pris le dessus ? Ou est-ce que c’est juste arrivé de cette façon ?

Mince, est-ce que toutes les femmes entre l’adolescence et la trentaine sont ici, ou quoi ? À cet âge, elles devraient déjà travailler ou aider au commerce familial. Elles sont vraiment prêtes à abandonner pour ça ? Je suppose que travailler pour une vicomtesse est juste attirant. Hmm, maintenant j’ai l’impression qu’il n’y avait aucun intérêt à demander des recommandations à mes serviteurs. Il est temps d’éliminer les mauvais éléments !

« Je souhaite apprendre beaucoup de choses ici, donner le meilleur de moi-même, et… »

Ça semble louable, mais je ne te paye pas pour polir tes compétences de femme de chambre. Colette est un investissement qui me sera probablement bénéfique dans le futur, mais je ne gagnerais rien à investir dans une femme de chambre. Tu as l’intention de t’améliorer ici, puis d’aller dans un meilleur endroit ? Tu es censée montrer ce que tu peux donner à l’employeur, pas ce que tu pourrais gagner. Tu dois faire en sorte que l’embauche en vaille la peine. Ce n’est pas un programme de formation professionnelle ou une école quelconque.

« J’en ai assez entendu. Suivante ! »

« S’il vous plaît, attendez ! J’ai encore tellement de choses à dire sur moi ! »

Vous êtes censée le faire pendant que l’interviewer vous pose des questions, et y répondre de la meilleure façon possible. Dire ce que vous voulez après la fin de l’interview est contraire aux règles, comme jeter pierre, papier ou ciseaux une seconde en retard. Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui veut parler quand les choses sont déjà terminées.

« Je veux que vous sachiez à quel point je suis ambitieuse et motivée. »

Hé, je n’ai pas besoin de quelqu’un qui vient à un entretien sans ces choses ! Tout le monde ici veut être embauché ! Vous pensez sérieusement que vous êtes spéciale ?

« J’ai eu une fois un rôle important en travaillant pour une famille de marchands dans la capitale et… »

« Hein ? Alors pourquoi avez-vous démissionné ? S’il y avait une raison de vous libérer d’un rôle important, ne pensez-vous pas qu’il serait difficile de vous faire embaucher ici ? »

« Err, quoi ? Non, je veux dire… Une fois, la famille d’un comte m’a convoqué pour travailler pour eux ! »

« Oh ? Alors, pourquoi venir chez une vicomtesse ? Vous devriez accepter cette offre, non ? »

« Eh bien, hum, j’ai refusé. »

« Vraiment ? Eh bien, si vous n’êtes pas satisfaite de travailler pour un comte, vous le serez encore moins avec une vicomtesse. J’espère que vous serez convoquée par un marquis la prochaine fois. La prochaine fois ! »

Mitsuha sentait qu’elle aurait bientôt une base de données de toutes les femmes du comté de Yamano avec leurs traits de caractère, comme « menteuse » ou « indigne de confiance ». Elle prenait des notes, ainsi que l’enregistrement de chaque entretien.

« Je suis Noëlle, numéro 26. »

La fille qui se tenait en face de Mitsuha semblait avoir l’âge de Colette, mais elle devait être plus âgée, étant donné que l’âge minimum pour postuler était de dix ans, et que Colette en avait huit. La fille semblait même légèrement plus petite qu’elle. Elle avait des cheveux argentés et une aura de mansuétude autour d’elle.

« Pourquoi voulez-vous travailler pour moi ? », demanda Mitsuha.

La réponse de Noëlle avait été brève, mais percutante.

« Je serais vendue si je ne le faisais pas. »

Ouah, c’est du lourd, pensa Mitsuha.

◇ ◇ ◇

Quelque temps plus tard, les entretiens étaient terminés et toutes les candidates étaient parties. Les résultats seraient donnés à une date ultérieure. Mitsuha devait encore vérifier si elles disent toutes la vérité.

Les techniques d’entretien de toutes les candidates firent que Mitsuha pensa qu’il devait y avoir une sorte de cours accéléré d’entretien de femme de chambre dont elle n’avait pas entendu parler. Elle avait rencontré une variété de réponses à maintes reprises, y compris — mais pas seulement — « S’il vous plaît, écoutez-moi une dernière fois », « Je veux transmettre mon enthousiasme », « J’avais l’habitude de faire ceci et cela », « J’ai fait du travail de charité », « J’ai déjà quitté mon emploi », « Je veux m’améliorer », et ainsi de suite.

Chaque fois qu’elle avait entendu l’une de ces réponses classiques, elle avait dû se retenir de dire quelque chose du genre « Vous êtes la sixième personne à utiliser cette technique ! ». N’importe qui pouvait cueillir ces fruits à portée de main, et il fallait s’attendre à ce qu’un intervieweur digne de ce nom en voie la répétition après avoir parlé avec des dizaines de personnes.

Personnellement, je ne veux pas entendre leurs techniques et stratégies minables, mais leurs propres mots, même s’ils sont maladroits. Les façades et les belles paroles ne vous aideront pas à obtenir un travail de ma part. Je vais choisir parmi celles qui n’ont parlé qu’avec honnêteté. Je veux dire, ça pourrait être un défaut de caractère, mais je les préfère quand même.

Au final, Mitsuha embaucha quatre bonnes : Noëlle, qui avait dix ans; Ninette, douze ans; Paulette, dix-sept ans; et Rachel, vingt-sept ans. Le fait que la majorité d’entre elles soient adolescentes s’explique facilement : la plupart des personnes âgées de plus de dix-sept ans étaient mariées, et la plupart des candidates étaient adolescentes.

Mitsuha avait envisagé d’en embaucher cinq au total — ce qui était bien plus que ce qui était prévu — car elle voulait toutes les bonnes personnes qu’elle pouvait obtenir. Cependant, au cours de l’enquête qui avait suivi l’entretien, l’une d’entre elles s’était avérée être une menteuse et avait été instantanément écartée. La vérité qu’elle cachait n’était pas quelque chose que Mitsuha ne pouvait pas tolérer, mais elle avait échoué juste parce qu’elle avait essayé de lui mentir.

Bien que Mitsuha ressente de la sympathie pour Noëlle, ce n’était pas la seule raison pour laquelle elle avait choisi la jeune fille. Noëlle avait montré qu’elle avait les compétences requises pour le poste. Même si elle ne l’avait pas fait, Mitsuha serait intervenue pour régler le problème de la jeune fille en tant que chef locale. Noëlle était vive d’esprit, perspicace, et avait une excellente mémoire. Elle avait clairement l’étoffe d’une bonne servante, et Mitsuha espérait qu’elle et Colette pourraient devenir amies.

De plus, les mots de Noëlle concernant sa « vente » avaient poussé Mitsuha à mener une enquête approfondie, à la recherche d’un potentiel trafic humain sur son territoire. Cependant, elle découvrit que Noëlle n’aurait pas été vendue comme esclave, mais plutôt envoyée comme apprentie chez un marchand dans un comté assez éloigné, ses parents recevant en retour vingt ans de son salaire.

Honnêtement, c’est presque du trafic humain. Je peux comprendre pourquoi elle a dit ça. Noëlle est une fille intelligente.

Dans le comté de Yamano, même les enfants étaient propriétaires d’eux-mêmes et du fruit de leur travail. Les parents ne pouvaient pas simplement les vendre. Ainsi, l’argent du contrat d’apprentissage serait dû à Noëlle, et pas à ses parents, et essayer de le lui prendre serait un crime qui justifierait une arrestation. Une fois que Mitsuha avait expliqué cela à ses parents, l’apprentissage de Noëlle avait été miraculeusement annulé. Bien sûr, il y avait aussi le fait qu’elle gagnerait plus si elle travaillait dans ce comté.

Que l’argent qu’elle gagnait de Mitsuha aille à ses parents était une tout autre question. Mitsuha se demandait si la fille donnerait vraiment son argent durement gagné aux personnes qui essayaient de la vendre. Ses serviteurs avaient leur propre système de dépôt, et leur argent pouvait même gagner des intérêts. Si les parents de Noëlle essayaient de la prendre par la force, ils devraient passer par le corps de Yamano.

Ninette était une blonde de douze ans qui faisait son âge. Au Japon, les gens auraient pu deviner qu’elle était au milieu de l’adolescence. Ici, on suppose qu’elle avait onze ou douze ans… un peu comme Mitsuha.

Je pense qu’elle est un peu plus âgée que moi, cependant… dans tous les domaines qui comptent. Argh !

C’était la seule servante de Mitsuha à être originaire du village de pêcheurs, aussi Mitsuha était-elle intéressée par son avis sur les améliorations qu’elle envisageait dans ce domaine. Elle espérait également que Ninette s’entendrait bien avec Colette et Noëlle.

Paulette, 17 ans, venait d’un village de montagne. Malgré les apparences, il n’y avait pas que la chasse et la cueillette. Alors que son père était chasseur, Paulette, sa mère et ses frères et sœurs travaillaient dans un champ.

À l’approche de l’âge adulte, Paulette s’était heurtée à un problème : dans son petit village, il n’y avait pas d’homme qui lui plaisait suffisamment pour qu’elle l’épouse, alors elle avait voulu tenter sa chance en travaillant dans une plus grande ville. L’offre de travailler comme servante pour la vicomtesse avait été une aubaine.

Elle se comporte vraiment comme une jeune fille moderne. Je discuterai avec elle quand j’améliorerai les villages de montagne.

Puis il y avait Rachel, la jeune femme de vingt-sept ans. C’était une veuve de la ville voisine dont le mari était décédé des suites d’une maladie. Elle élevait maintenant seule leur fille de quatre ans. Maintenant qu’elle n’avait plus à se battre pour joindre les deux bouts, son plan était de laisser sa fille chez les parents de son défunt mari pendant ses quarts de travail.

Mitsuha l’avait choisie en raison de son histoire personnelle. Rachel était la troisième fille de sa famille, et ses parents possédaient un magasin de taille moyenne en ville. Depuis qu’elle était enfant jusqu’à son mariage, elle avait aidé à gérer le magasin, à s’occuper des affaires courantes et à acheter le stock pour remplir les étagères.

Quelle perle, pensa Mitsuha.

Mitsuha ne voulait pas la séparer de son enfant, elle avait donc offert à Rachel un poste d’employée à domicile, ce qui signifiait qu’elle pourrait amener sa fille avec elle. Rachel avait été abasourdie par mon offre, et avait fondu en larmes avant d’accepter.

Pitié ? Favoritisme ? Peu importe. Je fais ce que je veux !

Elle avait également donné à Rachel la possibilité de faire de sa fille une apprentie servante, un poste qui serait assorti d’un petit salaire. Après un peu de réflexion, Rachel accepta. Mitsuha estimait que c’était le bon choix. La mère et la fille seraient ensemble, se préparant un avenir sûr. Si la fille voulait déménager une fois qu’elle serait majeure, toutes les portes lui seraient ouvertes. Aucun employeur ne refuserait une vieille servante de quinze ans qui avait travaillé pour une vicomtesse — Yamano, en l’occurrence — depuis l’âge de quatre ans. Travailler pour, disons, un comte dans son manoir de la capitale ne serait pas un simple rêve.

J’écrirais une recommandation le moment venu. Elle devrait écraser les employeurs et les soupirants potentiels comme des mouches.

Avec les douze serviteurs d’origine, Colette, les militaires, les deux personnes recommandées par Platidus, les nouvelles recrues, la fille de Rachel et Mitsuha elle-même, la maison de la vicomtesse comptait désormais vingt-six personnes, sans compter les conseillers spécialisés du blog.

Maintenant, il est temps de faire briller ce comté… via des raccourcis, bien sûr !

Mitsuha avait l’impression de s’être égarée quelque part sur le chemin d’une retraite paisible, mais la vie d’une vicomtesse à la retraite pouvait s’avérer tout aussi relaxante. Pour y arriver, elle devait augmenter la richesse et la stabilité de son comté.

Vous savez, je viens de me rendre compte que maintenant que j’ai tant de gens, je devrais désigner un autre chef. Si je ne le fais pas, celui que nous avons devra travailler si dur qu’il n’aura pas de temps libre. Il ne pourra même pas se reposer s’il tombe malade. C’est de l’exploitation au travail !

Je suppose que les femmes de chambre vont se relayer pour l’aider. Ça les préparera à la vie de femme au foyer, et le chef pourra faire une pause. Imaginez la valeur marchande d’une femme de chambre qui sait faire la cuisine de Yamano ! Ce n’est pas que je veuille que quelqu’un me les prenne.

***

Chapitre 19 : Être vicomtesse pour les nuls

Partie 1

Peu après, la disciple de Platidus, Miriam, et le métallurgiste, Randy, étaient arrivés de la capitale. Ainsi, la force principale du comté de Yamano était complète.

Il est temps de tricher dans ce jeu politique ! Bien, je vais juste améliorer la situation petit à petit. Rien d’extrême, pensa Mitsuha.

Mitsuha commença par changer les rôles des serviteurs. Dans son nouveau système, il n’y avait pas de préposés aux personnels ou de servantes de corvée. L’assistante-principale était devenue une femme de chambre normale, et la femme de chambre principale était devenue sa seconde. Toutes les autres étaient maintenant des servantes normales, à l’exception de la fille de Rachel, Léa. Une enfant de quatre ans ne pouvait être qu’une apprentie servante.

Gunther et les autres employés déchargés s’étaient directement occupés de certaines taxes pendant leur emploi, mais à partir de maintenant, ce type de responsabilités serait confié à des « fonctionnaires ».

Il ne restait plus qu’un seul serviteur qui avait été responsable de la fiscalité. Mitsuha n’avait pas l’impression qu’il était vraiment digne de confiance, mais il n’avait montré aucun signe de corruption jusqu’à présent, et le retirer serait un préjudice pour les affaires du comté. Elle avait décidé de le laisser en place, mais avait pris note d’apprendre l’intégralité de ses responsabilités afin de pouvoir le renvoyer sans problème s’il décidait de devenir criminel.

Les soldats seraient simplement appelés « armée du comté de Yamano ». Cela les faisait paraître un peu plus importants qu’ils ne le sont, mais Mitsuha pensait qu’un peu d’orgueil était nécessaire de temps en temps. Le Major Willem sera le commandant, tandis que les Sous-Lieutenants Sven, Szep, Gritt, et Ilse seront les officiers principaux. Quatre des trente-six soldats issus du civil sous leurs ordres seraient des sergents, mais ils seraient remplacés tous les mois environ. Et même si les sergents n’étaient pas en service, ils pouvaient être appelés en cas de nécessité.

Il y avait un total de 216 soldats potentiels dans son comté, ce qui faisait six pelotons de trente-six. Ils devraient jongler entre leur métier et le service militaire pendant deux mois par an, ce que Mitsuha jugeait acceptable. Bien que cela semblait être beaucoup de responsabilités, toutes les escouades qui ne s’entraînaient pas ou qui n’étaient pas en service de garde pouvaient simplement rentrer chez elles.

Miriam serait responsable des affaires financières et du bien-être, et agirait en tant que conseillère de Mitsuha. Elle ferait également des suggestions sur la façon de captiver les masses ou de remonter le moral du public. Mitsuha avait même prévu de faire lire à Miriam des manuels de psychologie et de sociologie de la Terre. Enfin, elle les lui lirait — juste une fois, cependant — étant donné que Miriam ne connaissait pas la langue et que Mitsuha ne pouvait pas se donner la peine de faire des traductions écrites. Miriam semblait assez intelligente pour bien saisir le contenu de cette façon. De plus, Colette serait une stagiaire agissant en tant qu’assistante de Miriam.

Quant à Randy, il sera affecté à un atelier appartenant à Mitsuha elle-même. Il fera également partie de l’équipe de direction, car il était suffisamment compétent et excentrique pour donner des avis originaux, dont certains pouvaient s’avérer très précieux.

En certaines occasions, les bonnes, cuisiniers, soldats et autres serviteurs les plus distingués seraient choisis pour assumer temporairement un rôle de direction, avec une chance d’obtenir un poste permanent. Mitsuha ne connaissait pas le processus par lequel le précédent seigneur avait sélectionné ses serviteurs, mais ils lui semblaient être des gens normaux, probablement choisis parmi les habitants. Ceux qu’elle avait choisis elle-même, cependant, avaient le potentiel d’être quelque chose de plus.

Du moins, c’est ce que je veux croire.

Comme Mitsuha s’y attendait, les femmes de chambre servant d’assistantes personnelles n’avaient pas très bien pris la suppression des spécialisations. Pour elles, c’était une sorte de perte de statut. Elles n’étaient cependant pas assez indignées pour défier Mitsuha, et avaient rapidement fini par l’accepter. Leur leadership étant resté essentiellement le même, la transition avait été plus facile pour elles qu’elles ne l’avaient prévu.

Après avoir terminé la réorganisation des serviteurs, Mitsuha décida d’organiser une réunion pour unir tout son peuple.

◇ ◇ ◇

Tous les acteurs clés du comté de Yamano étaient réunis dans la salle de réunion de la vicomtesse. Il allait sans dire que l’un d’entre eux était la vicomtesse Yamano elle-même. Puis il y avait le majordome, Anton, le comité de gestion, et les cinq chefs de l’armée. Ce groupe était composé de tous ceux qui servaient directement Mitsuha.

En plus d’eux, il y avait des représentants des citoyens ordinaires — les chefs des trois villages agricoles, des deux villages de montagne et de l’unique village de pêcheurs. Ils semblaient être sur les nerfs.

Et bien qu’il soit naturel qu’ils se sentent nerveux en présence de leur seigneur, Mitsuha avait mené une sorte de campagne « Hé, je suis votre gentille voisine » quand elle était arrivée, rendant sa présence moins intimidante. La source principale de leur anxiété était plutôt les informations sur Mitsuha qui avaient finalement atteint leur comté.

Ils l’avaient trouvée dès le début inhabituelle. Il était impensable pour une jeune fille de fonder une lignée noble. Après tout, qu’est-ce qu’une enfant pouvait accomplir pour gagner un tel statut ?

De plus, elle recevait souvent la visite d’un jeune seigneur du comté voisin, lui-même nouveau noble. Il n’était pas étrange que deux nouveaux et jeunes vicomtes soient en bons termes ou se consultent, mais il était certainement inhabituel que le vicomte lui-même passe tous les deux jours. D’après ce qu’ils avaient entendu, il était aussi l’aîné des enfants du comte Bozes, qui dirigeait le comté d’en face.

Enfin, il y avait la visite de toute la famille Bozes. Il était compréhensible qu’un nouveau vicomte aille saluer les comtes voisins, mais ils ne comprenaient pas pourquoi le contraire s’était produit. Ils se demandaient aussi pourquoi il avait amené toute sa famille.

Avait-il l’intention d’annexer le comté ? L’attitude de la famille envers Mitsuha rendait cela improbable. Ils la traitaient comme une fille ou une sœur, et les villageois ne pouvaient s’empêcher de remarquer la façon dont les deux fils se comportaient avec la vicomtesse. Finalement, ils avaient fini par comprendre qu’il y avait quelque chose d’unique dans ces circonstances.

Ce fut alors que divers détails sur les événements de la capitale commencèrent à s’infiltrer jusqu’à leur comté. Les citadins avaient entendu des rumeurs glisser des lèvres des passagers et des cochers en voyage d’affaires dans le comté de Bozes. Des ragots gonflés dégoulinaient des grands marchands, des espoirs d’officiers et des messagers nobles de la capitale et d’ailleurs qui s’étaient rendus dans ce comté sur un coup de tête. Il ne leur avait pas fallu longtemps pour comprendre que Mitsuha était la seule et unique Archiprêtresse de la Foudre, et qu’elle avait choisi ce comté comme territoire malgré de meilleures perspectives en tant que vicomtesse.

Il s’agissait d’une terre pauvre, sans avenir, en marge du pays, qui avait perdu son précédent dirigeant lorsqu’il avait commis l’équivalent d’une rébellion. Elle était à peine soutenue par des industries médiocres d’agriculture, de sylviculture et de pêche. La plupart de leurs produits étaient utilisés localement, et ils devaient acheter d’autres produits de première nécessité dans le comté des Bozes pour un prix relativement élevé.

Il ne fallait pas avoir la sagesse d’un Platidus pour comprendre que cette terre n’avait aucune chance de voir un avenir radieux ou même un bon dirigeant. Beaucoup avaient cru qu’au pire, le prochain responsable serait quelqu’un qui l’aurait reçu comme une punition ou une blague, et au mieux, ce serait quelqu’un qui n’aurait pas d’autre choix. Le comté n’était pas déficitaire, mais il ne faisait pas non plus assez de profits pour que le seigneur local puisse entretenir un manoir dans la capitale ou avoir une place dans la haute société.

Les citoyens s’étaient peu souciés de savoir qui les gouvernerait ensuite, croyant que rien ne changerait vraiment. Quelqu’un comme le comte Bozes, dont on disait qu’il était un homme de caractère bon et honnête, n’était qu’un rêve.

Vous ne pouvez qu’imaginer leur surprise en voyant que le nouveau dirigeant était une vicomtesse qui avait volontairement choisi leur terre. C’était une jeune, puissante et talentueuse princesse étrangère. Il y avait aussi des rumeurs selon lesquelles elle avait combattu des loups jusqu’à ce qu’elle soit gravement blessée, juste pour sauver une seule villageoise du comté de Bozes, et cette histoire à elle seule en disait long sur sa nature.

Jusqu’à présent, les citoyens n’avaient jamais eu d’explications ou d’occasions de poser des questions sur quoi que ce soit concernant le comté — ils avaient toujours reçu des ordres. Mais maintenant, ils avaient été convoqués à une réunion concernant l’avenir de cette terre. Pensaient-ils que, peut-être, cela pourrait améliorer leur vie à tous. Leur nouveau chef était une lueur d’espérance. La décevoir était inacceptable, et ils ne toléreraient pas qu’on le fasse. Ils avaient serré les poings alors que la détermination remplissait leur cœur.

Oui, les représentants réunis ici étaient tendus… et personne ne pouvait les blâmer pour cela.

« Merci beaucoup d’être venus ici, tout le monde », dit doucement Mitsuha.

Sa façon de parler était incroyablement dynamique. Elle était capable d’avoir des conversations polies avec ceux qui étaient au-dessus d’elle, de parler comme une lycéenne normale avec ses amis, et de dire un certain nombre de choses bizarres avec sa voix intérieure. Mitsuha avait également tendance à parler froidement lorsqu’elle était en colère, à « emprunter » des répliques ou à devenir de plus en plus théâtrale lorsqu’elle était sur la brèche.

Mais là encore, il était courant de modifier sa façon de parler en fonction de la situation et de son interlocuteur. Par exemple, il pouvait être considéré comme grossier et même stupide de parler à un supérieur hiérarchique comme s’il était un ami proche. Certains employés médiocres traitaient leurs supérieurs comme des égaux — ou pire — simplement parce qu’ils avaient le même âge, mais l’âge ne comptait que lorsque toutes les autres conditions étaient égales pour les parties concernées. Peut-être était-ce pour le mieux, car les imbéciles qui privilégiaient l’âge sur la hiérarchie du lieu de travail avaient tendance à déraper très tôt et à être virés en conséquence.

Quoi qu’il en soit, Mitsuha changeait toujours son style de discours. En tant que noble et leur seigneur, elle aurait pu souligner dès le début qu’elle était au-dessus d’eux. Cependant, cette réunion n’avait pas pour but de dominer, mais d’écouter et d’encourager l’harmonie, elle avait donc choisi un ton doux et poli pour l’occasion. Les serviteurs étaient déjà habitués à ses bizarreries et trouvaient que c’était un bon moyen de discerner si elle était dans son mode de travail normal, en colère ou dépassionnée.

« Je vous ai tous convoqués ici pour que chacun d’entre vous comprenne ce que je vais faire pour développer le comté de Yamano. Je vous écouterai également si vous avez des suggestions. Le statut n’a aucun poids ici, alors soyez aussi honnêtes que possible avec vos opinions. Si vous restez silencieux et que vous êtes mécontents de ce que nous décidons, je serais forcé de dire que ce ne sera la faute de personne d’autre que vous. »

Les représentants des citoyens hochèrent sérieusement la tête. Il était difficile d’ignorer le statut dans une telle situation, mais ils avaient l’intention d’essayer.

« Tout d’abord, puisqu’elle est déjà mise en pratique, vient notre structure de défense actuelle. Y a-t-il des objections ? »

Une main s’était dirigée vers le haut. Elle appartenait à l’un des trois chefs de villages agricoles. Il s’était éclairci la gorge avant de parler.

« Les choses sont bien meilleures qu’avant, quand nos garçons étaient emmenés et ne revenaient presque jamais, j’ai aussi entendu dire qu’ils étaient bien nourris pendant le déjeuner. Mais maintenant, nous avons un certain nombre de deuxième, troisième et plus jeunes fils qui demandent s’ils peuvent devenir des soldats permanents. »

« Oh, je vois. Eh bien, après que tout le monde ait été conscrit au moins une fois, j’ai l’intention d’engager quelques volontaires prometteurs. Mais comme il est impossible de garder beaucoup de soldats permanents dans une si petite zone, la plupart devront rester en rotation. Veuillez dire aux jeunes de faire de leur mieux. », répondit Mitsuha

Il hocha la tête en signe de compréhension. Les autres semblaient partager son opinion sur les affaires militaires.

« Ensuite, permettez-moi d’expliquer les changements dans notre agriculture », déclara Mitsuha.

Les chefs des trois villages agricoles avaient perdu un peu de leur sang-froid. Le terme « chefs » pouvait donner une impression d’importance, mais ces hommes ne représentaient que de petits villages groupés. Les villages de fermiers étaient constitués de vingt à trente bâtiments chacun, tandis que les villages de montagne et de pêcheurs en comptaient entre dix et vingt.

Elle commença à expliquer des facteurs tels que les dommages répétés causés par les cultures et les carences en nutriments. D’abord abasourdis, ils s’étaient rapidement penchés pour l’écouter attentivement. Ce n’était pas simplement une petite fille qui bavardait. Elle était leur chef, et le sage étranger connu sous le nom d’archiprêtresse de la foudre. Personne ne sous-estimait ses paroles.

Mitsuha voulait expérimenter sur quelques terres sélectionnées avant de parler de rotation des cultures. Elle ne pouvait pas forcer ces gens à adopter une nouvelle méthode de culture tout de suite, elle devait l’introduire progressivement. Après tout, une seule erreur ici pourrait être fatale pour tout le comté. Bien sûr, Mitsuha pouvait toujours utiliser son propre argent pour acheter de la nourriture au Japon et sauver tout le monde, mais ce n’était pas le but.

Au lieu de cela, elle avait commencé par des idées simples et infaillibles, comme répandre des feuilles en décomposition ou des cendres pour créer une couche de compost. En plus de cela, elle leur avait dit de mélanger du fumier de volaille et de la paille et de laisser fermenter le tout pendant quelques mois. Elle avait refusé l’idée d’utiliser des excréments humains à la place. Il fallait des années pour fermenter, et les problèmes d’hygiène potentiels d’une telle opération étaient bien trop effrayants pour être envisagés.

Mitsuha avait également décidé d’essayer un petit peu d’engrais qu’elle avait apporté du Japon. Elle voulait explorer toutes ses options, et elle savait que leur intérêt ne changerait pas à moins qu’au moins une expérience ne donne plus de récoltes.

***

Partie 2

Finalement, les chefs des villages agricoles s’étaient mis d’accord pour consacrer des zones de terres agricoles à chacune des différentes méthodes. Ils commenceront également à pratiquer la rotation des cultures, car contrairement à l’épandage de compost, il s’agissait d’une approche à peu près infaillible. Il avait également été décidé qu’ils cultiveraient tous simultanément quatre types de légumes et qu’ils augmenteraient le nombre de bovins dans les champs. L’élevage d’animaux et la rotation des cultures vont après tout de pair.

En plus de cela, Mitsuha leur avait demandé de consacrer une petite portion de terre agricole à la culture du riz. Le succès n’était pas garanti, mais Mitsuha avait dit qu’elle achèterait les plantes, quelle que soit leur qualité, alors ils avaient accepté avec plaisir. Elle avait estimé que c’était un exemple agréable de culture sous contrat.

Le point suivant sur son agenda était la sylviculture. Son principal objectif ici était de rendre le bois rentable. Mitsuha était troublée, car elle n’avait pas vraiment de plan spécifique en tête. Il y avait des forêts partout dans le royaume, le bois d’un comté n’avait donc pas de valeur particulière. C’était un produit local extrêmement commun. Il en allait de même pour le travail du bois. Tout ce qui pouvait être fabriqué dans ces villages pouvait être fabriqué n’importe où ailleurs.

Elle avait dit aux chefs des villages de montagne de commencer à planter de nouveaux arbres pour remplacer ceux qu’ils avaient coupés, mais ce n’était pas quelque chose qui pouvait mener à des profits dans un avenir proche. Après avoir entendu ses plans agricoles élaborés, les chefs des villages de montagne espéraient quelque chose de révolutionnaire pour leur propre industrie, sa réponse minimale les avait donc déçus. En voyant leurs visages découragés, Mitsuha avait un peu paniqué.

Je n’ai rien d’autre ? Vraiment ? Oh ! Et la culture du champignon shiitake ?

Elle demanda si quelqu’un savait ce qu’étaient les champignons shiitake, mais tout le monde avait secoué la tête. Naturellement, ils ne pouvaient pas cultiver les champignons s’ils n’en avaient pas au départ.

Mitsuha n’avait pas non plus de solutions pour la chasse. Le gibier frais se décomposait rapidement, mais même s’ils avaient un moyen de le conserver, chasser suffisamment de gibier pour faire de grandes quantités de viande fumée ou de viande séchée réduirait la population d’animaux sauvages jusqu’à ce qu’elle ne soit plus une source de nourriture viable.

Pour rendre la situation moins gênante, Mitsuha avait promis d’examiner la possibilité d’exploiter le charbon de bois et les fours à soufflets. Elle leur avait également ordonné de l’informer immédiatement s’ils trouvaient des veines de minerai potentielles, en distribuant suffisamment de documents avec des exemples photographiques pour chaque villageois.

La méthode de fonte qu’elle avait en tête impliquait un tatara. Le tatara était un four traditionnel japonais similaire à d’autres fours primitifs à soufflets dans le monde entier. Il utilisait du sable de fer pour produire un acier de haute qualité appelé « tamahagane », qui était utilisé pour fabriquer des lames de katana. Il représentait généralement un tiers ou moins de tout le fer fondu, et les deux autres tiers, qui étaient de qualité inférieure, étaient utilisés soit pour d’autres parties du katana, soit pour des nécessités quotidiennes.

Peut-être que je peux créer quelque chose digne d’une marque avec ça. C’est ce que je ferai si quelqu’un trouve des veines de minerai de valeur dans ma région, pensa Mitsuha.

Enfin, elle avait ensuite parlé de la production marine. Le chef du village de pêcheurs était plein d’espoir. En raison de la petite taille du village, et parce que les fruits de mer frais pourrissaient trop vite pour être vendus ou stockés, ce n’était pas un endroit très rentable. Le précédent seigneur local ne s’en souciait pas du tout. Mais Mitsuha, la nouvelle souveraine, visitait le village régulièrement — plus souvent que les autres villes, en fait - posait de nombreuses questions et mangeait volontiers le poisson cuisiné par les femmes des pêcheurs. Elle s’intéressait même à des choses comme les bateaux et les outils de pêche.

De plus, pour la première fois, une personne du village de pêcheurs — Ninette — avait été engagée pour travailler dans la résidence du souverain. Le chef du village de pêcheurs avait donc toutes les raisons d’espérer… et bien sûr, il avait obtenu ce qu’il voulait.

« Tout d’abord, nous allons intensifier la production de sel et commencer à vendre des algues séchées en grandes quantités. Nous allons augmenter la quantité de poissons que nous attrapons, et les fumer ou les sécher de multiples façons pour ralentir la pourriture, » déclara Mitsuha.

« Ohh ! »

Le chef du village de pêcheurs avait une étincelle dans les yeux.

Mitsuha était bien plus bavarde qu’elle ne l’avait été pendant la discussion sur la forêt. Les deux chefs des villages de montagne s’étaient affaissés, déprimés.

« Comme je l’ai dit, pour vendre du poisson séché en grande quantité, nous devrons augmenter la quantité de poissons que nous pêchons. Pour cela, je pense améliorer les filets que nous utilisons et créer de nouveaux bateaux de pêche. »

« Ohhhhh ! »

Maintenant, le représentant des pêcheurs était exalté. Le décret de Mitsuha était tout ce qu’il avait espéré et même plus. À ce rythme, l’industrie de la pêche deviendrait lucrative en un rien de temps, et même Mitsuha elle-même en récolterait les fruits.

Ils pouvaient utiliser un grand nombre de filets, y compris des filets coulants, des filets maillants et même des sennes. L’eau n’étant pas polluée, les sennes pouvaient attraper les poissons migrateurs à un rythme régulier. Comme l’industrie de la pêche était jusqu’alors peu développée, laissant les poissons se peupler à leur guise, on pouvait prévoir d’importantes prises à une courte distance du rivage. Avec une telle mine d’or marine, même une simple pêche à la ligne pouvait rapporter de bonnes prises.

Mitsuha pensait qu’il était acceptable d’apporter les premiers filets et autres équipements de pêche du Japon. Mais même si elle ne le faisait pas, la préparation des filets ne prendrait pas trop de temps. Une fois que les gens auraient vu l’efficacité des filets, ils pourraient les examiner en détail afin de créer quelque chose de similaire. La même chose s’appliquait à l’équipement de pêche à la ligne.

Quant aux bateaux, Mitsuha avait décidé de les faire fabriquer localement. Un petit bateau d’occasion ne lui coûterait que deux à trois cent mille yens au Japon, mais Mitsuha n’était pas sûre de se sentir à l’aise avec un objet en plastique renforcé de fibres de ce monde. Ils auraient besoin de bateaux pour commencer la pêche à la senne, mais ceux qu’ils avaient actuellement risquaient de chavirer sous la pression du filet, des poids multiples et des personnes à bord.

Afin d’augmenter la production de sel, Mitsuha avait conçu le plan de mettre en place des fermes de sel verticales. Le village de pêcheurs n’étant pas très peuplé et ne disposant pas de beaucoup d’espace, cette solution était la plus pratique. Elles nécessitent également moins de personnes pour les superviser que les étangs de sel basés sur les inondations.

Mitsuha recruterait des personnes des villages agricoles pour aider à construire les fermes verticales. Les villageois des montagnes prépareraient le bois nécessaire pour les finitions. En entendant qu’elle aurait besoin de beaucoup de bois pour le combustible, les chefs des villages de montagne avaient finalement souri.

Pour son prochain ordre du jour, Mitsuha s’était tournée vers le commerçant local. Le comté de Yamano était un territoire sans issue avec seulement la mer au-delà, aucun voyageur ne passait donc par là. Toute personne ayant des affaires dans la région se rendait simplement dans le comté de Bozes à la place. Presque tous les produits importés vendus dans cette ville provenaient du comté de Bozes, et leurs prix étaient donc gonflés. Pour cette raison, les seuls qui achetaient quelque chose dans le comté de Yamano étaient des locaux.

« Pouvez-vous fermer votre magasin ? » avait-elle demandé.

« Le fermer ?! », s’était exclamé le public.

Et qui pourrait les blâmer ? Sans le seul magasin du comté, la plupart de ses 676 citoyens — 170 ménages — seraient perdus. C’était le seul endroit où ils pouvaient acheter des produits importés, et même les produits locaux devraient alors être achetés directement aux producteurs eux-mêmes. Devraient-ils parcourir tout le comté pour faire leurs courses quotidiennes ? Ils étaient fermement opposés à cette idée.

« Oh, cela ne veut pas dire que nous n’aurons plus de magasin. Nous en aurons simplement un plus grand avec un meilleur choix. Nous l’approvisionnerons avec les marchandises de Petz, un marchand ambulant, des articles uniques de mon pays d’origine, et les nouveaux produits que nous fabriquerons bientôt ici dans le comté de Yamano. Je ne peux pas laisser tout cela à un magasin privé, alors je pense en ouvrir un moi-même. »

« Et si je refuse ? », demanda le commerçant.

« Cela ne me dérangera pas, mais j’ai quand même l’intention d’ouvrir un nouveau magasin, qui achètera et vendra probablement à de meilleurs prix que le vôtre. »

Le commerçant déglutit.

« Mais alors je ferais faillite… »

« C’est pourquoi je vous ai suggéré de fermer le magasin. Vous ne serez pas sans emploi, bien sûr. Le nouveau magasin aura besoin de quelqu’un pour faire le tour de chaque village et s’approvisionner. De plus, j’envisage même des échanges directs avec le comté de Bozes et au-delà. J’aurai besoin de quelqu’un qui a l’habitude de ce genre de choses. »

Après y avoir longuement réfléchi, le commerçant hocha la tête. Pour être honnête, il n’avait pas eu beaucoup de choix dès le début.

Tout comme son magasin de la capitale, Mitsuha voulait vendre des produits japonais, et à des prix bien plus raisonnables. De cette façon, les gens afflueraient du comté de Bozes et des autres terres voisines, ce qui stimulerait l’économie. Une fois qu’elle aurait atteint ce niveau de fréquentation, Mitsuha prévoyait d’améliorer l’auberge et le restaurant locaux. L’auberge serait ouverte à tout moment et l’auberge s’agrandirait pour devenir un véritable restaurant avec des cuisiniers capables de préparer la cuisine de Yamano.

Je veux faire en sorte que le comté puisse se débrouiller avec ce qu’il a, mais cela ne me dérangerait pas de tricher un peu afin d’avoir une longueur d’avance.

Mitsuha avait ensuite dirigé son attention vers les chefs de village une fois de plus. Elle avait expliqué plus en détail ses plans pour le magasin, l’atelier et les fermes de sel, en leur demandant d’envoyer des gens pour aider à la construction. Ils avaient d’abord pensé qu’il s’agirait d’un travail obligatoire et non rémunéré, mais ils avaient été surpris d’apprendre qu’elle verserait à chaque travailleur une allocation quotidienne. C’était une occasion rare de gagner rapidement de l’argent, et les villageois n’avaient pas manqué de sauter sur l’occasion.

Elle avait ensuite demandé s’ils connaissaient de bons cuisiniers, et on lui avait dit que les propriétaires du restaurant avaient un fils qui travaillait comme cuisinier dans le comté de Bozes. Mitsuha déciderait de le convoquer ou non après avoir parlé à ses parents.

Enfin, Mitsuha parla de l’éducation des enfants. Elle avait estimé qu’il était absolument nécessaire pour leur comté de prospérer. Sans un minimum de compréhension de la lecture et de compétences en mathématiques, une personne ne pouvait espérer travailler que par le biais du travail physique. Ils risquaient également d’être trompés, car il existait une multitude de marchands malveillants à l’affût des imbéciles qui signeraient leurs contrats déloyaux.

Les enfants faisant déjà partie de la main-d’œuvre, son peuple hésitait à accepter, mais ils l’avaient fait une fois que Mitsuha leur avait assuré que ce serait seulement un matin sur deux et qu’ils seraient nourris avant de partir.

Avec cela, elle avait couvert tous les sujets de son agenda. Cependant, lorsqu’elle ouvrit le bal des questions, on lui avait demandé si le taux d’imposition resterait le même. Le taux d’imposition le plus élevé qui pouvait être appliqué ici était de soixante-dix pour cent. C’était au-delà de la limite à laquelle la population pouvait joindre les deux bouts et cela ne serait utilisé qu’en cas d’urgence. S’il restait aussi élevé trop longtemps, les gens allaient fuir ou la famille dirigeante serait prise pour cible.

Le taux d’imposition durable le plus élevé était de soixante pour cent, le taux le plus bas du royaume était de quarante pour cent — dans les territoires bien gouvernés — et la norme locale était de cinquante pour cent.

Cependant, les pourcentages ne signifient pas toujours la même chose. Après tout, il y avait des comtés qui gagnaient dix mille pièces d’or et d’autres qui en gagnent cent mille. Le taux d’imposition du comté des Bozes, par exemple, était de cinquante pour cent — non pas par cupidité, mais parce qu’un territoire rural et agricole comme le leur ne pouvait pas s’attendre à recevoir beaucoup de revenus des marchands ambulants.

Le taux d’imposition du comté de Yamano était de soixante pour cent — mais ce n’était pas non plus par cupidité, mais parce qu’il avait été fixé par le précédent seigneur, et qu’elle ne l’avait tout simplement pas encore changé.

« Oh, désolé, j’ai oublié. Notre taux d’imposition est maintenant de 30 %. », dit-elle

« Elle a dit 30 % ?! »

Ni les citoyens ni ses propres subordonnés ne pouvaient en croire leurs oreilles.

Mitsuha n’était pas du genre à dépenser de l’argent dans des repas somptueux ou des vêtements de luxe ni à organiser des fêtes. Elle n’avait pas corrompu les nobles ou les ecclésiastiques de la capitale, et n’avait pas acheté de bijoux. Elle pouvait s’en sortir avec l’argent qu’elle gagnait en ouvrant son magasin de la capitale de temps en temps. De ce fait, les impôts ne seraient répartis qu’entre le roi, les paiements des serviteurs et autres fonctionnaires, l’entretien de sa résidence, les travaux publics, l’éducation et l’aide sociale. Elle espérait faire un profit indépendant via le commerce, la culture du sel et d’autres opérations.

Mitsuha ne pouvait pas fixer les impôts trop bas, car elle devait tenir compte de l’équilibre avec les autres comtés, et elle avait besoin d’un semblant de budget, elle avait donc pensé que trente pour cent étaient un bon compromis.

Pour les citoyens, cependant, cela allait changer leur vie. Ils n’avaient plus droit à seulement quarante pour cent de leur richesse, mais à un énorme soixante-dix pour cent. Cela ne signifiait pas qu’ils étaient simplement soixante-quinze pour cent plus riches. En supposant que trente-cinq pour cent de leur richesse soit utilisés pour la nourriture, le carburant, les vêtements et autres produits de première nécessité, il ne leur restait que cinq pour cent pour se gâter.

Si ces quarante pour cent devenaient soixante-dix, les habitants du comté de Yamano pourraient désormais dépenser trente-cinq pour cent de leurs richesses pour leur confort personnel, ils seraient donc sept fois plus riches. Le pouvoir d’achat local monterait en flèche. Cela augmenterait les dépenses, ce qui augmenterait les profits des produits achetés. À leur tour, les producteurs verraient leur situation financière s’améliorer, ce qui augmenterait leurs dépenses et, par conséquent, les bénéfices tirés des produits achetés.

Jusqu’à présent, l’argent dans ce comté rural n’avait circulé que dans un sens. Mais bientôt, leur économie sera florissante.

***

Partie 3

Un mois s’était écoulé depuis la première réunion. Pendant ce temps, les citoyens du comté de Yamano avaient construit le magasin et l’atelier. Presque aucun d’entre eux n’avait d’expérience, et Mitsuha n’avait pas engagé de professionnels de la capitale, ils avaient donc choisi l’option la plus sûre : construire des bâtiments à un étage. Les parcelles étaient cependant spacieuses, les constructeurs les avaient donc rendues suffisamment larges pour remplir leurs fonctions.

Le métallurgiste, Randy, avait déjà apporté le strict nécessaire pour travailler le métal, il avait donc commencé à installer le four et tout le reste. Il y avait encore certaines choses dont il avait besoin, et Mitsuha devrait les commander.

C’est de toute façon comme ça que ça se passe officiellement. En fait, je vais juste les transférer ici avec mon pouvoir. Les charges lourdes prennent beaucoup trop de temps à transporter.

« Randy, j’ai apporté quelques matériaux. J’espère que cela va être bon pour vous. », demanda Mitsuha en faisant irruption dans l’atelier avec un paquet.

Randy était un peu déconcerté par son apparition soudaine.

Eh bien, je suis la personne responsable ici. Personne ne s’attendrait à ce que quelqu’un d’aussi important que moi vienne dans un endroit comme celui-ci toute seul, sans parler de porter quelque chose de lourd.

Bien que Randy ne soit pas le crayon le plus pointu de la boîte, il avait assez de bon sens et de décence pour se lever et m’aider.

« Euh, je vais le tenir ! S’il vous plaît, permettez-moi ! »

Il prit la charge des mains de Mitsuha et les mit loin d’elle. C’était cependant plus lourd que ce à quoi il s’attendait. Ses genoux avaient plié sous le poids. Et bien que cela semblait exercer une réelle pression sur son dos, il s’en sortait.

« Ce sont des matériaux de mon pays. Faites-moi savoir si vous voulez quelque chose. Vous pouvez demander quelque chose de plus dur ou de plus souple, ce ne sont pas les seuls que je peux obtenir pour vous », expliqua Mitsuha.

Randy ouvrit le paquet et trouva divers lingots de métal à l’intérieur. Ils servaient juste de référence, donc ils n’étaient pas très grands, et un code de différenciation était écrit sur chacun d’eux. Il en avait sorti quelques-uns et les avait examinés de près. Obnubilé par le métal, il n’avait même pas réalisé qu’il avait laissé Mitsuha se tenir là et l’attendre.

« Huh ? C’est étrange. Qu’est-ce que c’est ? Ces lingots se ressemblent, mais ils sont complètement différents. D’après la sensation qu’ils procurent lorsqu’on les frappe, ils ont chacun leur propre degré de dureté, mais ils sont tous assez durs. Et puis il y a ce métal inhabituellement léger. C’est du métal, non ? Attendez, j’ai besoin de plus de temps pour les examiner et… »

Randy était perdu dans son propre monde.

Il ne semblait pas qu’il aurait bientôt fini, alors Mitsuha était sortie. Elle avait espéré qu’il pourrait faire quelque chose pour elle tout de suite, mais elle avait décidé de revenir plus tard. Ayant autrefois partagé une maison avec son père et son frère, elle savait que si les hommes se mettaient dans cet état, il leur faudrait du temps pour s’en sortir. Randy paniquerait sûrement une fois qu’il l’aurait fait, mais c’était sa propre faute.

La ferme de sel était toujours en cours de réalisation. Il s’agissait d’une ferme verticale qui utiliserait des supports, de sorte qu’elle nécessiterait peu de main-d’œuvre pour fonctionner, prendrait peu de place par rapport aux autres méthodes, et ne serait pas affectée par les changements de saison ou le mauvais temps. Il n’y avait tout simplement aucun inconvénient à la structure. Mitsuha voulait entrer dans l’industrie du sel en tant que concurrent des producteurs de sel gemme, mais d’abord, elle se concentrerait sur la diffusion du sel parmi son peuple et le démarrage de l’industrie locale des aliments marinés. Rien que cela aurait un effet important sur l’économie du comté, car ce territoire n’en avait jamais vu prospérer.

Quant à l’école, elle était déjà en activité. Comme la population locale était petite, le nombre d’enfants l’était aussi, une pièce dans la résidence de Mitsuha était donc plus que suffisante pour leur enseigner à tous. De plus, il était facile de gérer leurs déjeuners. L’endroit s’était également avéré bénéfique parce que Colette et les autres enfants n’étaient pas les seuls à apprendre — il y avait des domestiques et d’autres adultes qui s’étaient joints volontairement. Les serviteurs illettrés étaient très embarrassés par leur incapacité à lire et à écrire, et tout le monde était déterminé à y remédier.

Les cours étaient dispensés par Miriam, Rachel, d’autres personnes sachant lire et écrire, et Mitsuha elle-même. Cette dernière donnait des cours très appréciés sur l’argent et les moyens d’écraser ses ennemis. L’une de ses leçons, qui incorporait un kit d’expérience scientifique qu’elle avait acheté dans un grand magasin japonais populaire, était particulièrement populaire. Même son majordome était venu regarder.

Peut-être que certaines des choses que j’enseigne ne sont pas bonnes pour les enfants, mais peu importe !

Aucun des enfants n’eut peur d’aller à l’école. C’était en fait plutôt le contraire. Ils aimaient pouvoir s’amuser avec d’autres enfants de leur âge tout en apprenant des choses dont ils pensaient avoir besoin dans la vie. De plus, ils pouvaient manger des plats délicieux à la fin de chaque journée d’école. Beaucoup s’étaient même plaints que « une fois tous les deux jours » n’était pas suffisant.

Ensuite, il y avait le magasin. Sa superficie totale était plusieurs fois supérieure à celle du magasin général de Mitsuha dans la capitale. On y trouvait les mêmes types de produits que dans le magasin local précédent : gibier sauvage, plantes fourragères, fruits de mer, légumes, céréales, tissus, outils agricoles en métal et autres produits de première nécessité.

En plus de vendre tous ces produits, il achetait également du poisson. Ce n’était pas le cas avant la construction du nouveau magasin. Le poisson pourrissait rapidement, aussi l’ancien commerçant, qui voulait éviter de gaspiller de l’argent, n’effectuait-il que des paiements différés pour les poissons qu’il finissait par vendre et rendait tous ceux qu’il ne vendait pas.

S’il n’avait pas fait cela, son seul moyen d’éviter de lourdes pertes aurait été de n’acheter que des quantités minuscules de poissons, et personne ne pouvait vraiment lui en vouloir. La consignation lui avait permis de stocker autant de poissons que possible, et si la chance était de son côté, il aurait pu en vendre beaucoup. Sinon, les pêcheurs recevaient de maigres paiements, et ils ramenaient le poisson pour le manger avant qu’il ne se détériore. Le commerçant n’avait jamais fait de remise sur le poisson, même vers la fin de sa durée de vie. S’il l’avait fait, personne n’aurait acheté de poisson avant la dernière minute.

Le nouveau magasin, en revanche, achetait tous les poissons. Ainsi, contrairement à l’ancien magasin, ils pouvaient le vendre à bas prix. Le personnel du magasin cuisinait également le poisson sur place, augmentant ainsi sa valeur marchande et son taux de profit en ciblant les célibataires qui ne pouvaient pas prendre la peine de cuisiner eux-mêmes. L’ébullition et la friture retardaient également la date d’expiration du poisson, ce qui en faisait un nouveau produit.

Le poisson frais qui n’était pas vendu était séché ou mariné juste après la fermeture du magasin. C’était tout ce qu’il fallait pour que l’achat du poisson soit rentable, et les pêcheurs étaient très motivés par le fait que chaque poisson pêché signifiait plus d’argent dans leurs poches.

Le magasin vendait également des filets de pêche japonais et des outils de pêche à la ligne. Mitsuha avait déjà montré à tout le monde à quel point ils étaient efficaces. Elle s’était même rendue dans un village de pêcheurs japonais et avait demandé à un ancien choisi au hasard comment lancer correctement un filet.

J’ai certainement attiré l’attention de beaucoup de personnes âgées. Ugh, j’ai jeté ce truc tellement de fois que j’ai cru que mes bras allaient tomber.

Mitsuha avait aussi préparé un endroit pour sécher les algues et les crustacés. En plus du varech standard, ils avaient également ramassé de la laitue de mer et d’autres variétés locales d’algues comestibles. Les femmes et les enfants avaient également pris part au processus, allant même jusqu’à pêcher autour des zones rocheuses, contribuant au revenu local tout autant que les hommes.

Tous les habitants du village de pêcheurs étaient plus enthousiastes que jamais. Pendant ce temps, les habitants des villages agricoles savaient très bien que l’agriculture était un processus plus long que la pêche, mais en voyant les effets du travail de leur nouveau seigneur sur le village de pêcheurs, ils ne pouvaient pas s’empêcher d’être enthousiastes quant aux résultats de leurs expériences et aux récoltes qui suivraient. Et Mitsuha, incapable de regarder les visages sombres des habitants du village de montagne, leur avait offert tout un lot de haches japonaises.

En plus de vendre une grande partie du même stock que le magasin précédent, le nouveau magasin vendait également des choses que Mitsuha avait achetées à Petz ou ramenées du Japon. Il s’agissait de produits qu’elle avait vendus dans la capitale, comme du shampoing deux en un, des briquets jetables, des CalorieMates ou des ramen en sachets, mais aussi de conserves ultra bon marché, des snacks longue durée, du matériel agricole en fer, de la vaisselle, de lampes de poche LED, des fournitures d’écriture et d’autres articles utiles.

Les habitants avaient désormais un pouvoir d’achat suffisant pour s’offrir de telles choses, mais Mitsuha avait les yeux rivés sur les clients des comtés voisins. Son but n’était pas seulement de vendre des choses, mais aussi de créer un afflux de personnes venant dans le comté de Yamano, ce qui créerait un flux régulier de produits et d’argent. Les produits destinés à ces voyageurs ne se vendraient pas avant un certain temps, mais aucun d’entre eux ne se périmait rapidement, il n’y avait donc pas de quoi s’inquiéter.

◇ ◇ ◇

Les rumeurs avaient rapidement commencé à se répandre dans les régions voisines.

« Vous avez entendu parler de ce magasin dans le comté de Yamano ? »

« L’archiprêtresse de la foudre elle-même vend des produits de son pays. »

« Il y a plus de choses que dans son magasin de la Capitale, et en plus c’est moins cher ! »

« Si vous avez de la chance, vous pouvez même rencontrer l’archiprêtresse elle-même. »

« Il y a même un type qui a acheté quelque chose à l’archiprêtresse elle-même et il a même touché son doigt ! »

Le comté de Yamano était un territoire en bord de mer, il n’était donc pas étrange que les produits « amenés de son pays par bateau » y soient moins chers que dans la capitale intérieure.

Mitsuha s’était préparée à l’augmentation progressive de la clientèle en réaménageant l’auberge et le restaurant. Elle avait changé les heures d’ouverture pour qu’il soit toujours ouvert, en embauchant suffisamment d’employés pour soutenir ce changement. Pour couronner le tout, elle avait même installé une salle de bain.

Le fils des propriétaires du restaurant avait été rappelé du comté de Bozes. Mitsuha lui avait appris à faire la cuisine Yamano et avait créé un menu modérément cher.

Le développement de mon comté se passe bien… si on ignore les villages de montagne.

N’ayant pas beaucoup d’options, Mitsuha apporta du mycélium de shiitake du Japon. Elle avait ordonné aux villageois de créer de nombreux petits trous dans des troncs d’arbres non traités, de mélanger le mycélium avec de la sciure humide et de les remplir avec ça. Elle avait ensuite fait fondre de la cire sur une éponge et l’avait utilisée pour sceller les trous. Cela empêchait le mélange mycélium-sciure de sécher et les insectes de pénétrer. Il ne restait plus qu’à les aligner dans un endroit sombre et humide.

La sagesse populaire de la culture des champignons !

Les shiitakes pouvaient être frits, bouillis, utilisés comme bouillon de soupe et bien d’autres choses encore. S’ils étaient séchés, ils seraient même moins lourds et dureraient plus longtemps. Mitsuha avait l’intention de laisser les nouveaux visiteurs les essayer, après quoi ils ne manqueraient pas de le faire savoir. Le shiitake serait la spécialité du comté de Yamano, et ils en auraient le monopole.

Je devrais peut-être aussi prendre des pousses de bambou ? Elles durent longtemps. Attends, non… il y a des petits bosquets de bambou dans chaque comté. Pareil pour les ignames, les noix et les fruits. Je suppose que je n’ai pas grand-chose d’autre à part le charbon de bois et la production de métal. Je vais donc commencer à rassembler le sable de fer. Attendez, vous avez besoin d’aimants pour ça, non ? Je vais devoir en acheter au néodyme. Je veux voir comment le « sommet des aimants permanents » est vraiment fort !

Mitsuha avait ensuite dû décider si elle allait chercher des gisements alluvionnaires sur la côte, dans la rivière, ou chercher des veines de sable ferreux dans la montagne. Elle s’était dit que cela pourrait être un bon moyen pour les enfants de gagner un peu d’argent supplémentaire, même si cet argent allait probablement à leurs familles. Les villageois n’avaient pas encore la vie facile, car les bienfaits de la réduction d’impôts ne se feront sentir qu’après la prochaine récolte.

Pour l’instant, je vais juste prendre ces aimants.

***

Chapitre 20 : Agents

Partie 1

Mitsuha rendit visite au capitaine mercenaire pour la première fois depuis longtemps. Le développement de son comté l’avait tenue bien trop occupée pour qu’elle puisse s’y arrêter. En dehors des grenades, qui, d’une manière ou d’une autre, finissaient toujours derrière elle, elle était déjà capable d’utiliser la plupart des armes qu’elle portait.

Mais ça ne veut pas dire grand-chose. Je sais comment tirer, oui, mais ma précision est encore très faible.

Les mercenaires avaient gagné une belle somme d’argent avec les écailles, la viande et d’autres parties du dragon. Pour maintenir un certain degré d’équité et empêcher quiconque de monopoliser les échantillons, ils avaient fixé des limites à la quantité qu’un pays pouvait acheter. Qualifier leurs prix de « chers » aurait été un euphémisme. Tous les pays qui se plaignaient voyaient leurs parts mises aux enchères ou vendues à des géants du secteur.

Ce n’est vraiment pas cool, grimaça Mitsuha.

Ils avaient également obtenu certains des droits sur les découvertes, les inventions et les produits issus de la recherche sur les matériaux du dragon. Dans l’ensemble, Wolfgang était maintenant très riche.

« Whoa, vous aurez aussi votre part. Ne me regardez pas comme ça », dit le capitaine.

Mitsuha rétrécit ses yeux, ce qui était suffisant pour l’effrayer un peu.

« Alors, vous ferez toujours le travail de mercenaire ? » avait-elle demandé.

« Eh bien, c’est la seule chose pour laquelle nous sommes bons. Bien sûr, nous pourrions diviser l’argent et nous séparer, mais alors nous n’aurions rien à faire. On gaspillerait probablement notre argent, on se ferait harceler pour ça, ou on se ferait piéger et on redeviendrait fauchés. Il est plus sûr de garder l’équipe ensemble. Je veux dire, quel genre de crétin choisirait de se battre avec nous ? Quoique, effectivement, le fait qu’on ait plus à prendre des boulots à la noix juste pour joindre les deux bouts est une bonne chose. Nous ne prévoyons pas de nous battre de sitôt. »

C’est logique. Pourquoi quelqu’un risquerait-il sa vie pour de l’argent s’il l’a déjà gagné ?, pensa Mitsuha

« Oh, au fait, je vous ai dit que je dirigeais un comté entier maintenant, non ? Vous m’aideriez si on avait un problème de bandits ou autre ? »

« Bien sûr. Votre travail bénéficie d’un traitement spécial. Les gens là-bas n’ont pas d’armes, donc il est peu probable que l’un de nous meure. Mais si tel est le cas, cela voudrait dire qu’il ne valait pas grand-chose. Je suis sûr que tout le monde serait volontaire pour n’importe quel travail que vous nous donneriez. »

« Euh, je ne suis pas dans un endroit qui peut être envahi par d’autres pays, je ne pense donc pas avoir besoin d’autant de puissance de feu que la dernière fois. »

Ce serait vraiment excessif.

« Cela mis à part, savez-vous où je pourrais trouver un navire en bois qui ne nécessite qu’un équipage d’environ dix à vingt personnes ? »

Mitsuha pensait que, contrairement au Japon, les pays autour de la base de Wolfgang pouvaient encore utiliser des navires en bois sans moteur, mais…

« Une galère ? Quoi, il y a encore des sortes d’esclaves chez vous ? », demanda le capitaine.

Ses yeux étaient grands ouverts.

Je suppose que je n’en aurai pas ici, conclut Mitsuha.

Elle n’avait pas prévu d’entraînement pour la journée, elle s’était donc contentée de flâner dans la base. Ce fut à ce moment-là que l’idée d’acheter un tank ou un canon automatique lui était venue.

Le « Dieu » de Wolfgang s’était bien comporté pendant ce combat… C’était une sacrée bonne publicité. Cependant, j’en achèterai un quand je serai plus riche. Les VBL avec des canons de 5,56 mm sont trop faibles. Un char d’infanterie avec un autocanon de 20 mm est ce qu’il me faut. Attendez, contre qui ai-je l’intention de me battre ?!

Pour l’instant, elle s’était décidée à partir. Mais avant de retourner dans l’autre monde, elle avait décidé d’aller faire du shopping, mais pas au Japon. Elle pouvait très bien faire du shopping dans ce pays. Elle pouvait ainsi obtenir beaucoup de choses inaccessibles au Japon, et c’était en plus moins cher. Dans certains magasins, elle était déjà une habituée, ils lui donnaient donc souvent des extra ou des bonbons.

Oui, je sais que j’ai l’air d’avoir douze ans, bon sang !

« Allez-vous en ville ? », demanda le capitaine.

« Ouais. J’ai quelques courses à faire », dit Mitsuha.

Le capitaine baissa alors la voix.

« Il y a des gens bizarres qui fouinent dans le coin ces derniers temps. Je pense que ce sont des espions d’un autre pays. »

« Que cherchent-ils ? »

« Probablement un moyen d’aller dans l’autre monde, afin d’obtenir des matériaux et des technologies que nous n’avons pas ici. Un de nos crétins a posé vos photos sur notre page d’accueil, et depuis que nous avons commencé à faire des affaires, nous avons échangé ces pièces d’or un paquet de fois. N’importe quel professionnel qui nous regarderait attentivement se rendrait compte que vous êtes passée d’ici à l’autre côté des tonnes de fois maintenant. »

« Je comprends pour les matériaux, mais… la technologie ? Dans un monde d’épées et d’arcs ? »

« Vous savez ce que je veux dire. La magie, la sorcellerie, le vaudou. Peu importe comment vous voulez l’appeler. »

« Ohhh. »

Mitsuha comprenait maintenant.

Ces gens — ou leur nation — voulaient s’assurer les droits sur l’autre monde et peut-être même l’occuper avec leurs forces armées. Ils avaient probablement pensé qu’ils pourraient échanger une pièce de ferraille de vingt-quatre dollars contre un grand terrain, ou un briquet contre des diamants non taillés.

Ils ne savaient pas que le pouvoir de saut de Mitsuha n’était pas quelque chose de scientifique ou un tunnel dimensionnel entre les mondes. Même s’ils la capturaient et lui ordonnaient de les emmener là-bas, elle pouvait simplement sauter toute seule, ou sauter avec eux au sommet d’une montagne gelée en laissant leurs vêtements et leurs armes derrière eux — les possibilités étaient infinies.

Tant qu’elle n’était pas tuée sur le coup, elle pouvait sauter dans l’autre monde pour s’échapper à tout moment, de sorte que les personnes qui n’avaient pas le droit de la tuer ne pouvaient rien lui faire. Même s’ils l’endormaient pour l’interroger plus tard, elle pouvait sauter loin d’eux dès qu’elle reprendrait conscience. Ils ne pouvaient obtenir quelque chose d’elle que si elle était consentante.

Super. Maintenant, j’ai un peu envie de voir ce qui se passerait si je m’échappais en emportant tous les bâtiments avec moi. Cette idée potentiellement gore mise à part… Ils pensent tous que je viens de l’autre monde, et même s’ils découvrent mon vrai nom, je n’ai pas de famille proche. Oh, comme je rirais s’ils essayaient de prendre mon oncle et ma tante en otage. Dans l’ensemble, ce n’est vraiment pas un gros problème.

« Très bien. Je suis sûre que ce ne sera pas un problème, mais faites en sorte que mon nom corresponde à l’histoire que vous avez racontée à tout le monde. Ce ne serait pas bon pour moi si mon vrai nom se répandait trop loin. »

« Euh, ouais… Compris. »

Le fait qu’elle insiste sur son « vrai nom » avait pris le capitaine au dépourvu.

Demande juste au Japonophile de ton équipe, Capitaine. Il saura probablement de quoi je parle.

Un des membres de Wolfgang avait conduit Mitsuha en ville. Les mercenaires s’étaient même disputés entre eux pour savoir qui le ferait, ce qui avait donné à Mitsuha l’impression que son temps était enfin arrivé. Elle aurait pu se rendre en ville en faisant un saut dans le monde, mais comme cela comportait toujours le risque d’être repérée, et que la ville était à moins d’une demi-heure en voiture, elle avait décidé d’accepter le trajet. Trente minutes de bavardage inutile sur la route ne semblaient pas non plus être du temps perdu.

Il n’y avait aucun feu de signalisation sur la route, la distance entre la base et la ville était donc assez directe, environ 30 km de long. Une ruche de mercenaires ne pouvait probablement pas être trop proche d’un établissement civil.

Une fois que le mercenaire déposa Mitsuha, il fit simplement demi-tour et retourna à la base. Il savait qu’une fois qu’elle aurait terminé ses achats, elle retournerait dans « son monde », il n’y avait donc aucune raison de l’attendre.

Pour une raison quelconque, les mercenaires semblaient supposer que, bien que Mitsuha puisse sauter de n’importe quel endroit sur Terre, elle ne pouvait sauter vers leur base que de l’autre monde. Ils pensaient probablement que n’importe quel endroit était bon pour l’initiation du saut, mais que la destination nécessitait une sorte de marqueur, qu’elle avait installé dans la base de Wolfgang.

Qu’ils pensent ce qu’ils veulent. Ça pourrait bien finir par me protéger.

Alors que Mitsuha se promenait en ville, achetant des ingrédients et autres, quelqu’un l’interpella.

« Excusez-moi, jeune fille, avez-vous un moment ? »

Elle s’était retournée pour voir un homme aux cheveux blonds et aux yeux bleus, d’une quarantaine d’années, à l’aura agréable. Il semblait mesurer un peu moins d’un mètre quatre-vingt, et portait un costume sombre. À ses côtés se tenaient deux hommes plus jeunes, également vêtus de costumes sombres.

Est-ce une sorte de règle pour cet équipage ?

« Oui. Qu’est-ce que c’est ? »

Alors qu’elle parlait, la connaissance des langues russe et chinoise affluait dans l’esprit de Mitsuha. Le russe était courant, tandis que le chinois était un peu moins parfait. Il lui avait parlé en anglais, mais elle le maîtrisait déjà, il n’y avait donc aucun changement.

Je suppose que c’est un Russe qui a appris l’anglais et le chinois.

Inutile de dire que Mitsuha lui avait répondu en anglais.

« Je voudrais parler. Puis-je ? » avait-il demandé.

« Hein ? Eh bien, bien sûr, si ça ne prend pas trop de temps. »

L’homme sourit : « Excellent. Que diriez-vous de discuter autour d’un déjeuner ? Laissez-nous vous emmener quelque part. »

Une voiture aussi sombre que leurs costumes se trouvait à l’arrêt derrière eux.

Il est impossible qu’une fille fragile monte là-dedans avec trois hommes à l’air louche et leur chauffeur. Pensent-ils que je ne sais pas grand-chose parce que je ne suis « pas de ce monde » ?

« Je vais devoir passer mon tour. On m’a dit que dans ce monde, il ne faut pas accompagner les gens que l’on ne connaît pas ou entrer dans leur voiture. »

Ils froncèrent les sourcils de frustration, se demandant clairement qui lui avait dit une telle chose.

« Mais ça ne me dérangerait pas de parler avec vous autour d’un thé dans cet endroit là-bas », ajouta Mitsuha tout en le pointant du doigt.

N’ayant pas le choix, les hommes acquiescèrent et suivirent Mitsuha.

Je doute qu’ils aient l’intention de me kidnapper tout de suite. Ils voulaient probablement juste établir un contact cette fois-ci. Mais on n’est jamais trop prudent.

« Euh, cet endroit est… », un des hommes s’était éclipsé, déconcerté.

Bon sang, on se fera tout de suite repérer ici. Les choses qu’ils voulaient gardées secrètes ne le resteront pas longtemps, pensa Mitsuha.

L’établissement était rempli de jeunes filles, et il y avait trois hommes en costume. Comme on pouvait s’y attendre, cela fit d’eux le centre d’attention. Ils étaient venus dans un café spécialisé dans les sucreries, et il jouissait d’une popularité décente parmi les filles du quartier.

Je l’ai évidemment choisi exprès. Ils ne peuvent rien faire de louche ici. Hahahaha !

Mitsuha se dirigea vers un coin de table et s’assit, dos au mur. En général, elle pensait qu’il valait mieux éviter les situations sans issue claire, comme les interactions avec des comploteurs des pyramides, des sectaires ou d’anciens camarades de classe entourés d’amis qu’elle ne connaissait inévitablement pas. Cependant, cette fois-ci, elle était prête à renoncer à sa prudence en raison de son pouvoir de saut dans l’autre monde et de la nature de cet établissement.

Elle appela une serveuse et commanda un ensemble de gâteaux. Deux des hommes prirent un café, tandis que le troisième demanda un sundae à la banane garni de chocolat et de crème fouettée. Les deux premiers l’avaient regardé fixement.

Oh, j’ai compris. Il voulait essayer, mais n’avait pas le courage d’y aller tout seul. Eh bien, monsieur, j’espère que vous l’apprécierez.

« Alors, de quoi voulez-vous parler ? » Mitsuha demanda, ne faisant aucun effort pour garder sa voix basse.

Elle avait l’intention d’insister sur le fait qu’elle ne les connaissait pas, elle était juste une fille qui avait été abordée par des hommes étranges qu’elle ne connaissait pas.

Sa tactique fut super efficace. Un groupe de femmes d’une vingtaine d’années regarda la table de Mitsuha avec stupeur, puis lui jeta des regards répétés en sortant son téléphone de son sac. Les hommes n’avaient pas remarqué cela, car ils regardaient Mitsuha — qui n’avait rien d’autre qu’un mur derrière elle — et ils tournaient le dos aux autres clients.

Comme prévu.

L’air un peu mal à l’aise, l’homme qui l’avait interpellée en premier commença à parler à voix basse.

« Je vais aller droit au but. Êtes-vous la princesse de l’autre monde ? »

Oui, il ne tourne pas autour du pot !

« Oui. Comment le savez-vous ? »

« Oh, très bien ! En fait, nous venons d’un pays qui souhaite établir une relation diplomatique avec le royaume de Votre Altesse. Nous pouvons même envoyer notre armée pour combattre le Roi-Démon ! »

Ouais, ouais. Vous voulez juste mettre votre pied à l’intérieur et ensuite tout prendre par la force. Mais au fait, qu’est-ce que vous voulez de ce monde ?

Les armes modernes devenaient inutiles sans ravitaillement ni entretien, et, quelle que soit leur puissance, ils se battraient sur beaucoup trop de fronts. Les raids nocturnes constants priveraient leurs soldats de sommeil, et quelqu’un pourrait s’infiltrer et empoisonner leur nourriture et leur eau. Ils auraient également du mal à stocker ces vivres, si bien qu’ils brûleraient rapidement ce qu’ils avaient et allaient mourir de faim.

***

Partie 2

« Oh, mais ce problème a déjà été réglé par les héros de ce monde. Tout ce qui reste maintenant est de s’occuper des restes, et c’est quelque chose que les gens de mon monde devraient faire eux-mêmes. », mentit Mitsuha

La surprise des hommes se lisait sur leur visage.

« Ah, vraiment ? Mais que se passera-t-il si un dragon vous attaque à nouveau ? »

« Oh, les attaques de dragons anciens sont une rareté qui arrive une fois tous les quelques siècles. Les dragons adultes sont des créatures douces et intelligentes, et ceux qui attaquent les humains sont juste des jeunes qui font des bêtises. »

C’était ce que m’avait dit un érudit de ce monde.

« Est-ce… comme ça ? »

À ce moment, leurs ordres étaient arrivés. En levant les yeux vers la serveuse et en voyant l’état du café, Mitsuha faillit s’étouffer. Le centre de rencontre pour jeunes filles était rempli de personnes qui n’avaient rien à faire là. Il y avait des hommes éparpillés dans le café, tous portant des costumes sombres et ordinaires qui n’auraient pas été remarqués ailleurs. Il n’y avait pas une seule table de libre, ces hommes avaient donc été obligés de les partager avec les clientes. Ils semblaient se sentir assez mal à l’aise à ce sujet.

Les hommes à la table de Mitsuha l’avaient également remarqué, mais ils avaient donné la priorité à la conversation. S’ils devaient laisser Mitsuha, les autres agents sauteraient sûrement sur l’occasion pour lui parler eux-mêmes. Fermant les yeux sur la situation, ils reprirent la conversation avec Mitsuha.

« Ne serait-il pas mieux pour l’avenir de votre patrie si nous établissions des relations diplomatiques… ? »

« Лояльность к Родине. »

« Hein ?! »

Les trois hommes avaient l’air absolument sidérés.

« On m’a dit que ce sont les mots souvent prononcés par Ivanov, un héros renommé et célébré dans mon pays. Il est connu entre autres pour avoir sauvé la vie de mon arrière-grand-père. Apparemment, cela signifie “Loyauté envers la mère patrie”. »

Les trois hommes clignèrent des yeux, leurs joues rougissant.

« Il est de notre pays ! », s’écria l’un d’eux.

Tout le monde dans le café s’était retourné pour le fixer.

Maintenant, ça devient intéressant.

« Quoi ? Ivanov est de ce monde ? Le Ivanov ? »

« Oui ! Ce nom… ces mots… Il doit être de notre pays ! »

Les agents étaient aux anges.

« Alors, connaissez-vous ses armes divines légendaires ? “L’Avtomat Kalashnikov-47”, le “Tokarev”, et le “Godlightning, Arrpeegee-7” ? »

« Oui, oui, OUI ! »

Ils étaient presque en train de pleurer à ce moment-là.

« Cette rencontre a dû être déterminée par votre ancêtre et notre héros ! Nos pays devraient certainement établir une bonne relation ! »

L’homme plus âgé essaya de se pencher en avant et de prendre la main de Mitsuha, mais un autre homme l’avait brusquement interrompu.

« Puis-je avoir un moment ? », demanda-t-il.

Les agents à qui Mitsuha avait parlé jetèrent un regard furieux à l’abruti et à ses associés. D’après ce qu’il semblait, les nouvelles personnes sentaient que la conversation prenait une tournure défavorable et avaient décidé d’intervenir avant que leur concurrent ne prenne de l’avance.

« Votre Altesse, seriez-vous prêt à parler avec nous aussi ? »

Mitsuha sourit à l’intrus.

« Oui, bien sûr ! Mais je ne veux pas répéter les mêmes choses. J’aimerais vraiment que nous puissions régler tout cela en une seule fois. »

Les hommes qui l’avaient attrapée en premier serrèrent les dents de colère. Tous les autres hommes de la pièce s’étaient levés et s’étaient dirigés vers leur table, se rassemblant autour de Mitsuha. Incapables de rester là à regarder des dizaines d’hommes entourer une jeune fille, les autres clients avaient tous sorti leurs téléphones. Ils allaient vraisemblablement appeler la police. Certaines des filles s’étaient même préparées à sauver Mitsuha en saisissant des couteaux à gâteau et des fourchettes dans leurs mains.

Les hommes, cependant, étaient trop concentrés sur Mitsuha pour réaliser ce qui se passait autour d’eux. Ils avaient également supposé que les citoyens normaux ne feraient pas d’efforts pour s’impliquer dans quelque chose comme ça et feraient plutôt semblant de ne rien voir.

De plus, les hommes n’avaient pas l’impression de faire quoi que ce soit d’illégal. Et avec ces pensées en tête, ils en avaient oublié où ils étaient et comment la situation aurait pu se présenter. Entourer une fille qui ne semblait pas avoir plus de douze ans les rendait plus que suspects, au point de justifier un appel à la police.

« Eh bien, il y a maintenant beaucoup de gens. Et si vous voulez mon avis, bien trop pour cet endroit. Je pense que nous devrions parler à une date ultérieure, et dans un meilleur environnement. Je m’assurerai de rester en contact, pouvez-vous donc me donner vos coordonnées ? »

Ses interlocuteurs avaient rapidement sorti leurs cartes de visite et les avaient remises à Mitsuha. L’agent qui avait approché Mitsuha en premier avait l’air extrêmement agité, mais il croyait toujours avoir le dessus. Il s’était dit qu’il pourrait lui reparler une fois que tous les autres agents seraient partis, ou passer un accord pour se rencontrer en secret. Après tout, le bienfaiteur de son ancêtre était de son pays.

Mais au moment où cette pensée lui traversait l’esprit…

« Est-ce de là que viennent tous les appels ?! », cria quelqu’un.

C’était l’un des douze policiers qui faisaient irruption dans le café. Il y avait eu tellement d’appels concernant une fille entourée d’hommes que tout un groupe de voitures de patrouille était arrivé sur les lieux. Après avoir balayé la pièce du regard, les officiers devinrent agressifs.

« Ne bougez pas ! Petite dame, connaissez-vous ces gens ? »

Mitsuha répondit agréablement : « Non, je ne les connais pas. Ils m’ont interpellée au milieu de la rue, ils m’ont dit de monter dans leur voiture pour parler et déjeuner, mais j’avais un mauvais pressentiment, alors j’ai dit que je voulais plutôt aller ici. »

Pas un seul mot de tout cela n’était un mensonge.

Les autres clients avaient été impressionnés par le tact de la jeune fille et soulagés d’avoir fait le bon choix en signalant l’incident. Tous les agents autour de Mitsuha ne savaient plus quoi dire bouche bée. Les officiers leur lançaient des regards féroces.

Si les regards pouvaient tuer…

Après que tous les agents furent emmenés, Mitsuha fut interrogée puis relâchée. Les filles qui avaient signalé l’incident l’avaient avertie de ne pas se promener seule, puis lui offrirent un parfait.

Les agents firent l’objet d’une enquête approfondie. On vérifia leurs identités et on prit leurs empreintes digitales — ils ne s’amusaient pas beaucoup. Les seuls agents qui avaient appelé Mitsuha et l’avaient amenée au café étaient les trois premiers, et ceux qui étaient venus après avaient insisté sur le fait qu’ils n’étaient que des passants inquiets qui avaient voulu intervenir. Cependant, ils étaient toujours suspects, avaient donc été signalés à la sécurité publique.

Quant aux forces de l’ordre, elles étaient ravies d’avoir acquis autant de données sur les agents étrangers en une seule fois. Parce qu’ils avaient été capturés, les détenus avaient essentiellement perdu leur valeur en tant qu’agents. Aussi mauvais que cela puisse être, il aurait quand même été préférable de conserver leur identité que de vouloir kidnapper une petite fille.

◇ ◇ ◇

Quelques jours plus tard, tous les agents reçurent une invitation à une réunion par e-mail.

Oh, la princesse était donc sérieuse, pensèrent-ils.

L’invitation les avait surpris, car ils pensaient qu’elle avait inventé une histoire pour gagner du temps jusqu’à l’arrivée des agents. En y repensant, la princesse n’avait pas menti aux agents, et ce n’était pas elle qui les avait appelés.

Peut-être était-elle simplement honnête ? Peut-être qu’il n’y avait aucune malice dans tout cela, pensèrent-ils.

Évidemment, ce n’était pas le cas.

Les trois agents qui l’avaient approchée en premier lieu pensaient également quelque chose de ce genre. Après tout, rien de ce que la princesse avait dit n’était techniquement faux. Ils pensaient qu’elle ne connaissait pas les coutumes de ce monde et n’avait aucune idée de la portée de ses propres paroles. Plus important encore, le grand héros de la patrie de la princesse venait de leur pays. Il n’y avait aucune raison de douter qu’ils avaient le dessus.

« Dans trois jours à la base des mercenaires, hein ? »

◇ ◇ ◇

Trois jours s’étaient écoulés depuis l’envoi des invitations. La salle de réunion stratégique de la base de Wolfgang était presque entièrement remplie. Il y avait assez de sièges pour tous les membres de Wolfgang, mais ceux qui y étaient assis étaient des représentants de pays du monde entier. Parmi eux se trouvaient des mercenaires agissant comme gardes du corps de Mitsuha. Les pays d’origine des agents du café n’étaient pas les seuls à être représentés — Mitsuha en avait invité beaucoup d’autres.

La réunion était soudaine et non officielle, il y avait donc peu de gros bonnets parmi les participants. La plupart d’entre eux étaient des dirigeants d’agences d’information accompagnés de leurs subordonnés les plus fiables. Bien que les bureaucrates plus influents des affaires étrangères aient beaucoup de pouvoir discrétionnaire, ils ne venaient pas à de telles réunions avant que les choses n’avancent.

Une fois que tout le monde s’était réuni, Mitsuha commença.

« À toutes les personnes ici présentes, merci d’être venu jusqu’ici. Nous sommes ici pour négocier des relations diplomatiques entre mon territoire et le vôtre. Comme je l’ai mentionné dans l’invitation, nous allons commencer par un tribut d’hommage. »

Un tribut était normalement quelque chose qu’un pays plus faible donnait à un pays plus puissant, qui lui rendait ensuite quelque chose de plusieurs fois plus précieuses. Cependant, Mitsuha détourna cette tradition en sa faveur.

Les représentants lui rendaient tous hommage, mais elle ne répondait qu’à celui qui lui donnait ce qu’elle préférait. Son paiement serait surtout symbolique et n’aurait que peu de valeur, l’essentiel étant l’honneur d’avoir été choisie. Il ne donnerait pas non plus d’avantage au gagnant dans les négociations. Elle les menait bien en bateau.

Et bien que la récompense matérielle ait peu de valeur, ils étaient tous déterminés à entrer dans les bonnes grâces de la princesse extraterrestre. Bijoux, robes, titres honorifiques… les choses qu’ils avaient apportées étaient sans fin. Pour éviter les idées préconçues et garder les choses équitables, les participants n’avaient pas dit quels pays ils représentaient. Malgré cela, Mitsuha en connaissait certains sans que personne n’eût à le lui dire.

Les représentants avaient étouffé un rire en voyant un pays particulier lui présenter avec suffisance un fusil d’assaut AK-47, un pistolet Tokarev et un RPG-7. Leurs rires étaient justifiés, car il s’agissait d’armes qui avaient connu leur pic de popularité il y a bien longtemps. Elles ne valaient presque rien, mais l’homme qui les avait remises était plutôt très confiant. Pourtant, même cela n’était pas suffisant pour faire démonter Mitsuha.

Finalement, ce fut au tour d’un certain pays en voie de développement.

« Ce sont les certificats de deux vieux navires en bois et à rames. Les deux font quarante-deux pieds de long et dix pieds de large. »

Les rires résonnèrent dans la salle.

« Vraiment ?! », cria Mitsuha.

Les rires s’arrêtèrent.

« Oh, mon Dieu… Comment avez-vous su que je voulais ça ?! »

« Notre pays est un pays sans argent ni spécialités, mais nous voulions quand même vous faire plaisir, nous avons donc demandé aux mercenaires ce que vous aimeriez, et ils avaient mentionné que vous vouliez un bateau en bois. »

« Oui, oui, je le voulais ! Je le voulais vraiment ! Oh, nous pouvons enfin commencer à pêcher en mer. Ils feront l’affaire jusqu’à ce qu’on puisse commencer à fabriquer nos propres bateaux ! »

Au lieu de montrer leur richesse ou leur technologie, ces représentants lui avaient simplement donné quelque chose qu’ils pensaient qu’elle aimerait. Mitsuha avait grandement apprécié leur considération.

Petits ou pas, les pays sincères sont vraiment formidables !

En voyant son excitation, certains représentants des grands pays commencèrent à paniquer et à tenter de lui vendre des vaisseaux « plus grands et meilleurs », mais elle refusa. Elle leur dit qu’elle n’avait pas besoin de navires que ses citoyens ne pourraient pas faire fonctionner, entretenir ou utiliser comme référence pendant la construction.

Au final, le pays gagnant fut la petite nation qui lui offrit les navires. Leur prix était un couple de lapins à cornes, une décoration faite d’un étrange métal différent de tout ce qui existait sur Terre, et deux billets pour un voyage de trois jours dans l’autre monde. Les prix n’avaient aucune valeur pour Mitsuha, mais les personnes présentes dans la salle avaient le regard fixe, comme si elles tueraient pour les posséder.

Ils avaient tous compris que les bijoux et les robes n’étaient pas les bonnes stratégies, mais il était trop tard.

Ce n’est pas que je n’aime pas avoir des bijoux. Je peux les vendre pour une jolie somme. J’ai juste l’impression que développer mes terres est bien plus important que l’argent en ce moment. Bref, il est temps de terminer le rite et de commencer pour de bon.

« Maintenant, parlons. Tout d’abord, pourquoi tenez-vous tant à établir une relation diplomatique avec nous ? »

« Hein, quoi ? »

Son public n’avait pas tout à fait compris.

« Tout d’abord, bien que j’ai eu un statut remarquable dans un pays, je suis maintenant sous l’aile d’un autre. Ils m’ont donné un petit territoire à gérer, mais c’est tout. En fait, je n’ai de réel pouvoir que dans mon propre pays. Je ne peux pas négocier avec d’autres pays, conclure des contrats ou inviter des militaires sur nos terres sans la permission expresse de Sa Majesté le roi. »

Ils avaient tous eu l’impression que Mitsuha était la princesse actuelle, aussi ses paroles furent pour eux un choc.

« Mais… qu’en est-il de la bataille contre l’armée du Roi-Démon ? »

« À l’époque, nous étions à court de temps et d’options, j’ai donc dû engager des volontaires… des héros de ce monde. Leur récompense n’était rien d’autre que de la gratitude. Aujourd’hui, je ne suis qu’un dirigeant local de bas niveau. »

« Alors qu’en est-il des relations diplomatiques ?! »

« Encore une fois, je n’ai pas le droit de prendre de telles décisions, et je ne peux certainement pas autoriser les gens d’autres pays à nous rendre visite », répondit-elle d’un ton posé.

Ils commençaient tous à réaliser que les circonstances étaient complètement différentes de ce qu’ils avaient imaginé.

« Alors, pourriez-vous faire un effort pour nous présenter au roi ? »

« De quoi avez-vous l’intention de lui parler ? »

« De quoi, des choses comme la diplomatie, les ambassades, et le commerce, bien sûr. »

« Et comment feriez-vous cela ? »

« Hein ? »

« Je n’ai vraiment aucune idée de la façon dont vous prévoyez de commercer ou d’envoyer vos ambassadeurs. Vos pays ont-ils beaucoup de personnes capables de sauter d’un monde à l’autre ? Et ont-ils la capacité de conserver leur force vitale lorsqu’ils transportent des objets ou d’autres personnes ? »

La salle s’était tue.

***

Partie 3

« Oh, vous pensiez que j’allais tout transporter pour vous ? Cela me tuerait en un rien de temps. Et que feriez-vous si je mourais ? »

Après quelques instants, quelqu’un prit la parole.

« Euh… est-ce que quelqu’un d’autre a ce pouvoir ? »

« Mon pouvoir m’a été donné par un dieu errant qui est passé par mon monde. Je suis la seule à pouvoir le faire, et je ne peux pas le révéler sans y avoir réfléchi ».

La réponse de Mitsuha ne laissait aucune place à l’espoir.

« Umm, vous pouvez les récupérer. »

En entendant parler des troubles entourant les sauts mondiaux à grande échelle, le représentant qui lui avait donné les bateaux tenta de lui rendre ses billets.

Il n’y a aucune chance qu’il soit un agent. Il est trop gentil pour ça, pensa-t-elle

« Ne vous inquiétez pas pour ça. Le fardeau de prendre une ou deux personnes avec moi se récupère avec le temps. Et les navires sont plus que suffisamment précieux pour que je sacrifie un peu de ma force vitale. »

En entendant cela, un homme s’était levé.

« Alors s’il vous plaît, emmenez-nous dans votre pays ! En tant qu’homme de la patrie du héros, je veux que nous établissions un contact et formions une alliance ! »

Les autres n’avaient aucune idée de ce dont il parlait. Il les avait ignorés et continua : « C’est sûrement ce qu’il y a de mieux à la fois pour le bien de votre patrie et de la Russie ! »

« “Russie” ? Est-ce le nom de votre pays ? », demanda Mitsuha.

L’homme se rendit compte qu’il ne l’avait pas encore dit. Il doit travailler dans les renseignements. Il a probablement pris l’habitude d’éviter de dire son nom ou celui de son pays à la légère, pensa-t-elle.

« Oui, désolé de ne pas l’avoir dit avant, mais mon pays s’appelle la “Fédération de Russie” ! »

« Attendez, quoi ? »

Mitsuha feignit la surprise. Le représentant russe ne savait pas quoi penser de son expression.

« Vous m’avez trompé ! Ce n’est pas de là que vient le Grand Héros Ivanov ! »

Il tressaillit devant sa soudaine sortie, attendant ses prochains mots.

« Le pays d’Ivanov s’appelait “Union des Républiques Socialistes Soviétiques” ! »

« Ohh, oui, c’est l’ancien nom de la Fédération de Russie. Il a simplement été changé », répondit-il.

« Hein ? Avez-vous simplement changé le nom ? Vous n’avez pas eu d’invasion, de rébellion, d’usurpation ou autre ? »

« Non. Notre pays était la Russie au début, mais il a ensuite fusionné avec quelques autres pour devenir l’Union soviétique. Puis il est redevenu la Russie. »

Mitsuha simula le soulagement.

« Ah, donc c’est ça. Notre héros a dit qu’il était de la région “Ukraine” de l’URSS. Donc maintenant c’est la région de l’Ukraine de la Fédération de Russie… Je vois, je vois. »

Immédiatement, quelques représentants s’étouffèrent avec leurs boissons ou les recrachèrent. Puis vinrent les chuchotements.

« Ukraine… »

« Invasion de la Crimée… »

Mitsuha désigna l’un d’entre eux.

« Vous, là ! S’il vous plaît, dites-moi de quoi ils parlent ! »

L’homme retint un gloussement et fit de son mieux pour expliquer.

« Eh bien, l’Ukraine est un pays qui a souvent été oppressé par la Russie dans son histoire. Il y a eu un grand massacre à l’époque. Même récemment, la Russie a envahi la péninsule ukrainienne de Crimée, mettant le pays en état de guerre. »

Le représentant russe jeta un regard furieux à l’orateur tandis que Mitsuha regardait le Russe avec des yeux de marbre. Tout était bien sûr planifié.

Bien sûr que j’étais au courant pour l’Ukraine.

« Vous m’avez menti. »

« Err, non ! Ce n’est pas ce que je… »

Sa voix s’était éteinte.

Maintenant qu’elle l’avait publiquement humilié, elle pouvait complètement ignorer tout ce qu’il disait. Aux yeux de son public, il avait essayé de tromper la princesse, et il appartenait à une nation qui avait opprimé la patrie de son héros.

Il semblerait que les Russes seraient les plus tenaces de la bande, alors j’ai trouvé une raison de les ignorer. Et mon plan a parfaitement fonctionné. Vive moi !

« Maintenant, revenons à la question de la diplomatie. Même si nous commencions à commercer, nous ne pourrions rien échanger en grande quantité. Je suis sûre que vous pensez pouvoir faire un profit sur quelque chose d’insignifiant, mais je connais le marché de ce monde, donc vendre quelque chose comme des briquets jetables pour une pièce d’or chacun ne marcherait pas.

Ensuite, il y a ce que nous avons à offrir : du blé à petits grains et de mauvaise qualité, de maigres quantités de poisson, du gibier brut qui ne répond probablement pas aux normes de sécurité de ce monde… Il n’y a pas de demande pour tout cela ici, hein ?

Je ne peux pas permettre le commerce incontrôlé des biens de ce monde, ou de vider mon monde de son argent et de ses pierres précieuses. Cela pourrait détruire des industries ou l’économie dans son ensemble, et vous pourriez difficilement appeler cela du commerce. Il n’y a aucune garantie que je n’aurai pas un accident ou que je ne tomberai pas malade quelque part, je n’ai donc pas l’intention de prendre le rôle lourd de médiateur et de cheval de trait, en allant relier des pays entiers.

Cela étant dit, que voulez-vous que je fasse ? Faites en sorte que ce ne soit pas au détriment de moi ou des nations de mon monde. »

Quelques murmures se firent entendre dans la salle, mais sinon, personne ne semblait avoir d’idées.

Ce fut alors que le représentant d’un autre petit pays prit la parole.

« Umm, seriez-vous en mesure de nous donner des échantillons de minerai et d’animaux ? »

Les autres s’illuminèrent. Des animaux inconnus, des métaux non découverts… Ces seuls éléments pouvaient générer d’immenses quantités de richesses. Même le dragon que Wolfgang avait amené dans ce monde était encore une mine d’or de découvertes.

« Oh, je suis d’accord sur ce point. Très bien, je vais donner quelques échantillons à votre pays et à celui qui m’a donné les navires. S’il vous plaît, revenez me voir si vous découvrez quelque chose. », dit Mitsuha.

« O-Oui, certainement ! »

Les deux personnes qui recevraient les échantillons étaient ravies, laissant les autres dans l’amertume et la perplexité.

« Attendez, s’il vous plaît ! Vous avez besoin d’une technologie avancée pour manipuler les animaux correctement ! Vous devriez les donner aux grandes puissances. Notre infrastructure de prévention des épidémies pourrait gérer toute bactérie ou tout parasite étranger potentiel qu’ils pourraient avoir ! », dit le représentant américain.

« Oh, il n’y a pas besoin de s’inquiéter à ce sujet. Je m’assure toujours de sauter sans bactéries, virus ou parasites malveillants. Vous auriez seulement à empêcher les animaux de s’échapper et de se multiplier dans la nature. »

Mitsuha révéla ce fait comme si c’était sans importance.

C’était la raison pour laquelle elle ne s’inquiétait jamais de propager des agents pathogènes chaque fois qu’elle sautait. Le manuel de saut dans le monde que « l’être » avait installé dans son cerveau traitait ce sujet en détail.

« Elle peut faire quoi ? », dirent quelques personnes.

L’un des membres du public — un homme âgé — s’était levé. Il n’avait pas l’air de faire partie d’une agence de renseignement. La meilleure supposition de Mitsuha était qu’il travaillait dans les affaires étrangères.

« Votre Altesse, humm… Si une personne souffrant d’une infection, d’une maladie virale, d’un poison ou d’une substance toxique sautait dans un autre monde avec vous et que vous faisiez en sorte que les agents pathogènes et tout ce qui est nocif restent derrière… que lui arriverait-il ? »

« Quoi ? »

C’était au tour de Mitsuha d’être surprise. Elle n’y avait même pas pensé.

La personne malade sauterait dans l’autre monde, laissant ses agents pathogènes et ses substances nocives derrière elle, non ? Ahh ! J’aurais dû y penser quand Margaret était malade !

Mitsuha s’était pris la tête dans les mains, une ambiance pesante enveloppa alors la pièce.

Oh non ! Si ça se propage, ça va secouer la terre ! Je ne suis pas idiote au point de ne pas voir les implications potentielles de mon saut dans le monde sur les personnes malades. Je dois m’assurer qu’ils ne disent pas un mot à qui que ce soit ! Mais comment ? Ce sont des agents secrets du monde entier !

« Tout le monde, écoutez ! Il ne s’est rien passé à l’instant, d’accord ? Vous n’avez rien entendu ! », dit Mitsuha d’une voix brisée.

Des perles de sueur perlaient sur son front.

« J’interdis à quiconque ici de mentionner cela à qui que ce soit, même s’il s’agit de votre supérieur ou de quelqu’un d’encore plus haut que lui !

Si l’une des élites de vos pays me contacte à ce sujet, je mettrai votre nation sur une liste noire mondiale afin que vous ne puissiez pas avoir de technologie ou d’informations liées à l’autre monde. Et si votre pays tente d’en obtenir malgré tout, il sera traité de la même manière. Vous n’aurez pas accès aux recherches concernant le dragon ou quoi que ce soit d’autre, et vous n’aurez pas le droit d’interagir avec moi. Toute personne essayant de servir de médiateur pour vous recevra le même traitement. Cependant… »

Mitsuha prit une profonde inspiration.

« … Si vous gardez tous ce secret, et que quelque chose arrive à l’un des membres de votre famille, je promets d’essayer le traitement du saut de monde sur eux. Mais si le secret est divulgué, je reviendrai sur ma promesse, car votre silence sous serment n’aura plus de sens après cela. Si cela se produit, je n’utiliserai jamais, jamais mon saut dans le monde pour traiter l’un d’entre vous, vos familles, vos représentants du gouvernement ou vos agents d’information. »

Elle s’était arrêtée pour réfléchir un moment.

« Oh, mais ça ne me dérangerait pas de recommencer à récompenser votre silence à une condition : le coupable de la fuite et tous ceux qui ont entendu le secret doivent être morts, et je dois recevoir la preuve concrète qu’il n’y avait plus aucun enregistrement ou quoi que ce soit. »

Un silence suivit cela.

Les représentants échangèrent des regards. Ils savaient qu’ils étaient tous fichus si l’un d’entre eux rapportait cela à ses supérieurs, et tous tenaient à leur famille. Alors que les vétérans des agences de renseignement seraient capables de garder le silence, les gratte-papiers et les politiciens — qui ne seraient plus que des civils s’ils perdaient les élections — sauteraient sur l’occasion en un clin d’œil, et peut-être même pas pour leur famille. Ils sentiraient juste l’argent qu’il y a dedans.

Et si le secret s’ébruitait… ces gens-là pourraient tuer facilement. Si ce n’est pas pour eux-mêmes, alors ce sera pour leurs familles.

Je suis sûre qu’ils garderont tous leur bouche fermée. En considération de l’avertissement que j’ai donné, c’est aussi dans l’intérêt de leurs pays.

Mitsuha avait ensuite tenu une réunion privée avec les deux représentants à qui elle avait promis des échantillons, et ils eurent eu une discussion animée sur les rouets et d’autres choses qui pourraient être utiles à son comté. Comme elle l’avait prévu, ses interactions avec les personnes des pays en voie de développement lui apportèrent davantage que celles des pays industrialisés. Elle était heureuse d’avoir fait l’effort de les inviter. Leurs nations avaient même envoyé des travailleurs et des ministres des affaires étrangères au lieu d’agents de renseignements. Les petits pays avaient été plus que disposés à tout faire correctement pour cette réunion.

Ensuite, Mitsuha demanda à tout le monde de la contacter uniquement par l’intermédiaire du capitaine mercenaire et d’arrêter d’essayer de la rencontrer ou de la suivre en ville. Elle poursuivit en avertissant que les pays qui défiaient ces ordres seraient complètement ignorés à partir de maintenant. Elle sentait qu’elle pouvait maintenant voyager dans les villes de la Terre en paix, et comme ils étaient convaincus qu’elle venait d’un autre monde, Mitsuha Yamano, la jeune Japonaise, serait également en sécurité.

Elle n’était pas convaincue que les grandes puissances mondiales se comporteraient bien, mais pour l’instant, sa position sur Terre était assurée, aussi décida-t-elle de se concentrer à nouveau sur son comté et ses affaires financières. À présent, elle avait séparé ses gains en tant que vicomte et l’argent qu’elle gagnait elle-même, traitant le premier comme le budget de son comté et utilisant uniquement le second pour atteindre son objectif d’économiser 80 000 pièces d’or pour sa retraite. Il s’agissait essentiellement de comptes séparés.

Le comté de Yamano n’était pas dans une position où il serait impliqué dans un combat avec un voisin. Il ne possédait pas non plus de sol fertile, de ressources souterraines ou de valeur militaire, et pour couronner le tout, il était assez petit. Mitsuha n’avait pas à s’inquiéter des dangers extérieurs, elle pouvait donc se concentrer entièrement sur le gain d’argent.

Très bien ! Je vais me rapprocher de mon objectif !

Du moins, c’était ce qu’elle pensait qu’il allait se passer.

Il n’y a pas de fin à ça, n’est-ce pas ?!

***

Interlude 1 : Famille

Colette était profondément endormie dans son lit. En prenant soin de ne pas la réveiller, Mitsuha s’était assise sur le bord et regarda le visage de la fille.

Pour Mitsuha, qui avait perdu ses parents et son frère et s’était retrouvée toute seule, Colette était sa seule famille. Mais elle savait que penser ainsi n’était que pure fantaisie. Colette avait ses propres parents, et bien que les deux soient de bonnes amies, elle n’était ici que parce qu’elles étaient employeuses et employées.

Puisque j’ai enlevé cette jeune fille à ses parents pour mon propre intérêt, cela fait de moi une méchante. Mais là encore, ils n’avaient pas l’air d’être tristes de la voir emmenée. En fait, ils étaient tous très heureux pour elle. Et comme Colette n’a que huit ans, on pourrait s’attendre à ce qu’elle se sente seule après avoir été séparée de sa famille, mais ce n’est pas non plus le cas.

Mitsuha se souvenait de l’excitation de Colette à l’idée de voir la résidence d’un noble pour la première fois, comment elle courait pour en explorer tous les recoins, comment elle jouait avec les objets que Mitsuha avait ramenés du Japon, et comment elle s’accrochait à elle, non pas par solitude ou inquiétude, mais simplement parce qu’elle était heureuse d’être avec elle. On aurait dit qu’elle ne se souciait pas du tout d’être loin de ses parents.

Euh, c’est un problème en soi !

Bien sûr, en tant que celle qui l’avait emmenée, Mitsuha n’était pas en position de commenter cela. Mitsuha avait perdu sa propre famille et avait été séparée de ses amis, Colette était donc maintenant la seule en qui Mitsuha était certaine qu’elle ne la trahirait pas. Elle s’était servie des talents de la fille — qui dépassaient largement ceux d’une fille ordinaire de huit ans — comme excuse pour amener Colette à ses côtés.

Si Mitsuha devait deviner, ses parents étaient d’accord pour se séparer de leur fille, car cela équivaudrait chez nous à envoyer leur enfant vivre dans un pensionnat d’établissement secondaire. Non seulement Mitsuha était la responsable, mais le village n’était qu’à une demi-journée de marche, et leur petite villageoise serait une candidate au titre de vassale d’un noble. Pour eux, c’était incroyable. C’était un peu comme si un prince sur un cheval blanc apparaissait devant eux et leur disait : « Tu es la princesse d’un autre pays. Je suis venu te chercher. » Même gagner à la loterie ne pouvait pas être comparé à ça. Il était donc probable que le seul choix évident était de la laisser partir.

Colette était la première personne que Mitsuha avait rencontrée dans ce monde et elle lui avait littéralement sauvé la vie. Elle était assez forte pour que Mitsuha s’inquiète de sa colonne vertébrale et de sa cage thoracique lorsqu’elle venait la serrer dans ses bras. Elle était brillante, honnête, sincère et adorable. Colette était l’amie de Mitsuha, et elle la protégerait quoi qu’il arrive. Mitsuha pensait même qu’elle pourrait tuer des milliers de personnes pour elle, si nécessaire, bien qu’elle sauterait probablement sur Terre avec elle avant de devoir faire quelque chose comme ça.

Ensuite, il y avait Sabine. Mitsuha donnerait aussi tout pour la protéger. Mais comme la fille était une princesse, elle avait des tonnes de gardes autour d’elle à tout moment. La seule façon pour Sabine de courir un réel danger serait que le pays soit envahi et que la capitale tombe. Bien sûr, si la fille le souhaitait, Mitsuha la sauverait en l’emmenant sur Terre.

La connaissant, elle dirait probablement que la royauté ne peut pas abandonner sa famille — non, le peuple — et s’enfuir. Je me demande si je possède une série animée qui explique ce que cela signifie pour la royauté de poursuivre sa lignée.

L’esprit de Mitsuha dériva également vers la fille des Bozes, Béatrice. Elle avait promis à la fille qu’elle organiserait son propre bal des débutantes. Il était hors de question de la laisser mourir.

Il en va de même pour Léa, la petite apprentie servante, Noëlle, la plus jeune des nouvelles servantes, toutes les autres jeunes servantes, et les vieilles — je veux dire, les servantes d’âge mûr… Je ne perdrai pas une seul d’entre elles.

Mitsuha caressa les cheveux de Colette, et ils coulèrent entre ses doigts. C’était le pouvoir du shampoing deux en un.

Colette s’était alors réveillée pour trouver quelque chose sur ses jambes.

Mitsuha…

C’était sa chère amie, qui dormait avec le haut du corps posé sur le lit de Colette. Elle avait doucement caressé la tête de Mitsuha.

Je te protégerai quoi qu’il arrive, Mitsuha. Je te porterai jusqu’au village s’il le faut, ou jusqu’à un autre pays si ce n’est pas suffisant. Je sens que je pourrais facilement tuer dix ou vingt personnes pour toi.

Sentant le poids de Mitsuha sur elle, Colette ferma paisiblement les yeux une fois de plus.

 

***

Interlude 2 : La fille mystérieuse

Des mois avaient passé depuis que la mystérieuse fille avait commencé à visiter la base de Wolfgang. Elle apparaissait toujours de nulle part, et disparaissait tout aussi brusquement. Ce n’était pas exagéré, la fille disparaissait littéralement à chaque fois. Mais ce n’était pas un fantôme : elle mangeait, utilisait la salle de bain et se mettait en colère quand on la taquinait, ce qui montrait clairement qu’elle était bien vivante.

Au début, le capitaine avait pensé qu’elle n’était qu’une noble fille ignorante d’un petit pays. Il n’était pas rare que des dames venant d’endroits dangereux veuillent apprendre à utiliser des armes à feu. C’était généralement le travail de leurs gardes du corps, mais les gardes du corps eux-mêmes pouvaient être attaqués, et il y avait des endroits où ils ne pouvaient pas accompagner la dame, comme les salles de bal, les vestiaires ou les salles de bain. La défense de la salle de bal était généralement la responsabilité de l’organisateur du bal, et le capitaine ne pouvait pas se plaindre si cela les faisait tuer, par des terroristes ou autres.

Pour cette raison, il était logique que la fille apprenne à utiliser des armes de poing. Il n’était pas sûr pour l’épée courte, puisqu’elle ne serait probablement pas utilisée, mais c’était sa prérogative si elle voulait apprendre à s’en servir. Le capitaine s’en fichait, tant qu’il avait son argent. Pour ce qu’il en savait, cela pouvait être sa façon de faire de l’exercice pour un régime, ce qui était très bien.

Cependant, le mot « armes à feu » lui avait donné l’impression que la fille voulait seulement apprendre à utiliser des armes de poing, des fusils d’assaut, et peut-être des flashbangs et des grenades assommantes pour faire fuir ses ennemis, mais elle avait en fait insisté pour qu’on lui apprenne à utiliser les dangereuses grenades à fragmentation, les mitrailleuses légères, les mitrailleuses lourdes, les lance-grenades, les mortiers, les fusils sans recul et les lance-roquettes.

Certains de ces engins ne relèvent pas du domaine des armes à feu, mais plutôt de celui de l’artillerie, pensa le capitaine.

Même si elle apprenait à utiliser ce genre d’armes, les transporter et les charger n’était pas quelque chose qui pouvait être fait par une seule personne, et surtout pas une petite fille. Mais c’était le business, et le capitaine ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’elle apprenne tant qu’elle payait.

Je m’en fous si quelque chose arrive. Je l’ai assez prévenue. Notre travail ici est terminé.

Ils avaient cependant dû lui interdire d’utiliser des grenades. Elle ne pouvait pas lancer au-delà de la zone de danger, et celles qu’elle balançait au-dessus de sa tête passaient toujours derrière elle.

Ce n’est pas une blague, bon sang ! Si ces grenades n’étaient pas fausses, cinq personnes seraient mortes ! Elle y comprit !

Il s’était surpris à soupirer bien plus que d’habitude.

Bien que cela avait pris trois fois plus de temps que d’habitude, ils avaient réussi à terminer l’entraînement.

Nous méritons un grand bravo pour avoir supporté toute cette merde !

Il avait cru que c’était fini, mais il savait maintenant à quel point c’était naïf. Le capitaine précédent lui avait dit : « Imaginez toujours le pire scénario et préparez-vous à quelque chose de trois fois pire, car c’est exactement ce que vous obtiendrez », et maintenant il savait qu’il n’avait pas pris ce conseil à cœur.

Et le jour fatidique était venu.

« Eh bien, je veux tous vous engager. Nous partirions demain matin, après-demain. Il y a environ vingt mille ennemis, monstres compris. Je vous paierai quarante mille pièces d’or, garanties… si ce n’est plus. Vous êtes partant ? »

QU’EST-CE QUE C’EST QUE CE BORDEL ?!

C’était le début de leur combat contre l’armée du Roi-Démon et ses dragons, un combat pour le destin du monde.

On est des héros. On a 60 000 pièces d’or, le titre de « Tueurs de Dragons », et un putain de dragon entier, qui nous a rapporté encore plus d’argent ! Ma petite dame, je peux vous appeler un ange ? Je dirais bien « déesse », mais vous n’avez pas les couilles pour ça ! Vous venez de me donner un coup de pied ?! Attendez, je suis désolé, allez, posez ce cendrier, voulez-vous ?! C’est lourd, très chère, et ça fait un mal de chien.

Quoi qu’il en soit, les mercenaires n’avaient plus aucun problème de fonds. En fait, ils étaient sacrément riches, et ils avaient une source de revenus garantie grâce aux brevets qui découleraient de la recherche sur les morceaux de dragon.

Ils pouvaient diviser l’argent et se séparer, mais ils savaient tous que cela ne mènerait à rien de bon. Ils étaient des bouffons conscients d’eux-mêmes qui connaissaient leur place dans le monde et leurs propres limites, ils avaient donc décidé de garder l’équipe soudée et de se détendre sans accepter de travail dangereux. Ceux d’entre eux qui étaient des amateurs de sensations fortes pouvaient se porter volontaires s’ils le souhaitaient.

Mais il y avait une chose que le capitaine trouvait plus importante.

Qui est donc cette fille ?

« Alors oui, je veux toutes vos suppositions. Nous allons commencer par… ok, Sparks. », dit-il.

Il désigna un mercenaire qui levait la main.

« C’est une Fille canon venant d’une autre dimension ! »

« Suivant ! »

« Une princesse elfe ! Regardez cette poitrine plate ! C’est forcément une elfe ! »

« Espèce de crétin ! Et si elle se montre pendant que tu dis ça ? ! Tu vas te manger la semelle d’une chaussure d’enfant taille 13 ! »

« C’est sa pointure ?! Putain de merde, c’est minuscule ! »

« Ils ne vendent pas de chaussures d’adultes à sa taille, alors elle achète des chaussures d’enfants ou les fait faire sur mesure… Bon sang, elle a râlé pour ça. »

Les mercenaires firent le serment silencieux de ne jamais lui parler de pointure.

« Je pense que c’est une sorcière d’un autre monde, une dame de noble naissance qui peut voyager entre les mondes et utiliser la magie de traduction ! Elle est venue ici il y a quelque temps et a passé beaucoup de temps à étudier, et c’est pourquoi elle connaît presque tout de ce monde ! »

Eh bien, ça semble correct, pensa le capitaine.

« Oh, je pense qu’elle connaît aussi la magie de guérison. Chaque fois qu’elle se blessait pendant l’entraînement, il n’y avait aucun signe de blessure en quelques jours. »

Je m’en doutais aussi, et ça semble possible. Ça voudrait dire qu’elle n’est pas du tout de la Terre. Elle est originaire de l’autre monde, et son apparence asiatique doit être une coïncidence. Le pays où nous sommes allés était plein de Blancs, mais elle a dit qu’elle venait d’un autre pays, qui est probablement un endroit habité par des Orientaux.

Ça m’est égal qu’elle soit asiatique, noire ou blanche. La meilleure façon de voir les choses n’est pas qu’elle soit un alien, mais qu’elle vienne d’une Terre avec une histoire différente. Les humains là-bas sont trop semblables à nous pour que ce ne soit pas le cas. Honnêtement, avec les lapins à cornes et ces foutus dragons et tout ça, ça ne serait pas bizarre que les gens là-bas aient aussi des cornes… ou genre, six bras ou quelque chose comme ça.

« Bon, pour résumer, la petite dame est une fille magique d’une planète semblable à la Terre dans une dimension semblable à la nôtre. Elle a commencé comme princesse dans un pays et est maintenant une vicomtesse dans un autre. Il est confirmé qu’elle peut utiliser trois types de magie : le voyage à travers le monde, la traduction et la guérison. Il pourrait y en avoir plus. Elle est venue ici il y a un moment, et bien qu’il y ait quelques trous, elle en sait beaucoup sur ce monde. Quelqu’un voit un problème ici ? »

Personne n’avait rien dit.

« Très bien, alors rien ne change. Si quelqu’un demande, dites qu’elle s’appelle Nanoha, et n’osez pas divulguer d’autres informations. N’envoyez même pas ses photos sur le net ! »

Certains garçons ont juste détourné le regard. Ne croyez pas que je ne vous vois pas.

Ils étaient tous arrivés à une conclusion à laquelle ils s’attendaient plus ou moins. Mitsuha avait apporté de la stabilité dans leurs vies, et ils n’avaient pas l’intention de la trahir. Ils avaient également senti qu’ils feraient encore plus d’affaires avec elle plus tard. Leurs vies étaient maintenant en sécurité, leurs poches pleines, et leurs journées calmes. Pour les mercenaires, ce genre de vie avait toujours été un rêve qu’ils n’auraient jamais cru possible. Mais maintenant qu’ils l’avaient, leur cœur était rempli d’un désir ardent pour quelque chose d’autre.

L’alcool ? Des femmes ? Les jeux d’argent ? Les voyages ? Non, ce n’était rien de tout cela.

C’est ce monde. On a une vie sûre et propre maintenant, mais je ne pense qu’à ce monde fou et dangereux. Tous ces monstres, mec. Gobelins, orcs, ogres, et des tonnes d’autres… Merde, ils avaient des dragons. DES DRAGONS !, pensait le capitaine

Je veux y retourner. J’ai besoin d’y retourner ! Mais je ne suis pas un putain de drogué de la bataille ! Du moins, je ne le pense pas. Mais je veux vraiment, vraiment retourner dans ce monde.

« Merde ! Pourquoi ai-je tellement envie d’y aller ?! »

« Tu dois faire preuve de patience, mon jeune padawan. »

Le capitaine se retourna pour voir la jeune femme qui lui souriait. Elle se gonflait de fierté, comme si elle venait de dire quelque chose qu’elle avait toujours voulu dire.

Euh, dois-je le lui demander ? Rien ne changera si elle dit non, mais si c’est un oui, alors c’est une putain d’aubaine !

« Pouvez-vous m’emmener là-bas ? »

« Non. »

« PUTAIIIIN ! »

Le capitaine était parti en courant, ignorant tout ce que la fille pouvait dire pour l’arrêter.

Tout ce que je peux faire maintenant, c’est m’enfuir !

« UUUGGGHHHHH ! »

Il regarda de son côté et vit deux autres personnes courir et crier à ses côtés. Il s’agissait de ceux qui étaient en pause lorsque Mitsuha avait appelé et qui n’avaient donc pas pu devenir des Tueurs de Dragons.

Je vois. Vous l’avez aussi demandé, hein.

« Ngh ! »

L’un d’entre eux s’était essuyé le nez en sanglotant.

« Wah… Waaah ! »

Waaagh… Ne pleure pas, bon sang… !

***

Illustrations

 

 

Fin de tome.

***

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Un commentaire :

  1. amateur_d_aeroplanes

    Triangle amoureux avec les princesses ? 🤣

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