Rougo ni Sonaete Isekai de 8-manmai no Kinka wo Tamemasu – Tome 1

Table des matières

***

Chapitre 1 : Mitsuha va dans un autre monde

Partie 1

Une jeune fille se tenait au sommet d’une falaise abrupte, les mains posées sur la balustrade en bois patinée qui la séparait des profondeurs en contrebas. Son regard était jeté sur l’horizon lointain. Oh, mais ne vous inquiétez pas, le suicide était la dernière chose à laquelle elle pensait.

Elle s’appelait Mitsuha Yamano. Ses cheveux noirs raides et longs tombant sur les épaules encadraient un visage jeune sans un soupçon de maquillage. Ne mesurant qu’un mètre cinquante, l’enfant de dix-huit ans était souvent prise pour une collégienne ou, ce qui est encore plus offensant, pour une élève d’école primaire.

Il y a six mois, Mitsuha avait perdu sa famille bien-aimée — sa mère, son père et son frère aîné — à la suite d’un accident bizarre, la laissant sans parents proches. Elle en avait des lointains, bien sûr, mais on pouvait compter le nombre de fois qu’ils s’étaient rencontrés sur les doigts d’une main, et il était probable qu’ils ne se reverraient plus jamais.

Après avoir géré les funérailles et autres formalités administratives, Mitsuha s’était retrouvée avec une grosse somme due à l’héritage et à l’assurance, et avec ceci, un bon nombre d’ennemis. Un oncle particulièrement avide et sa femme avaient cherché à lui arracher l’argent avec des mots cruels et de l’intimidation. Quelques indésirables de l’école de Mitsuha avaient même flâné à l’extérieur de chez elle pour essayer de prendre tout ce qu’ils pouvaient. Au moment où Mitsuha avait été en mesure de chasser tous ceux qui poursuivaient sa fortune, le fardeau mental l’avait conduit à échouer ses examens d’entrée à l’université.

Perdre toute sa famille avait été déjà assez dur en soi, mais le frère de Mitsuha — qui avait deux ans de plus qu’elle — était son idole. C’était sûrement la personne qu’elle avait le plus regretté de perdre. La douleur, le stress causé par la gestion des séquelles et le profond découragement qui avait suivi l’avaient empêché de se concentrer entièrement sur ces études. À ce moment-là, du moins, elle s’était presque entièrement remise de la douleur d’avoir échoué à ses examens.

Désireuse de changer d’air, elle avait décidé de visiter une destination touristique locale. En fait, l’appeler ainsi aurait pu être trop généreux — le « point d’observation », comme on l’appelait, n’était rien de plus que la pointe d’une côte déchiquetée. Un petit nombre de commodités modestes, comme des clôtures en bois, des jumelles à jetons et des toilettes publiques, ornaient le secteur. Mais Mitsuha n’avait besoin de rien de plus. Tout ce qu’elle voulait, c’était contempler la mer et profiter de sa tranquillité.

Par un après-midi de semaine aussi ordinaire, les seuls autres visiteurs du site étaient un couple d’étudiants, une paire de conjoints âgés et un trio de voyous à la tête épaisse et dont l’intelligence rivalisait avec les rochers en contrebas. Mitsuha, d’autre part, avait le potentiel académique d’entrer dans n’importe laquelle des innombrables universités à travers le pays. Malheureusement, une seule d’entre elles se trouvait suffisamment proche de la maison que ses parents lui avaient laissée, et ses normes d’entrée étaient extrêmement élevées. Peut-être qu’elle aurait pu les franchir si elle avait pu donner le meilleur d’elle-même, mais cet exploit s’était avéré trop difficile pour elle dans son état actuel.

À l’origine, Mitsuha n’était pas opposée à fréquenter une université éloignée de chez elle, mais maintenant qu’elle était seule, elle ne voulait plus quitter la maison de ses parents. Ils l’avaient construit à partir de rien, et avec l’absence des membres de sa famille, les souvenirs qu’ils avaient laissés derrière eux étaient trop précieux pour qu’elle les lâche. C’était cet attachement qui avait influencé le choix de Mitsuha de ne passer que les examens d’entrée de son université locale.

Et bien… Qu’est-ce que je fais maintenant ?

Mitsuha s’était demandé si elle devait réessayer les examens l’an prochain ou se concentrer plutôt sur l’obtention d’un revenu. L’hypothèque restante sur la maison de Yamano avait été remboursée à la mort de son père, et le paiement de l’assurance vie de ses parents l’avait rendue assez riche. Cependant, quatre années d’études universitaires et de frais de subsistance permettraient de puiser largement dans cette réserve.

Pour cette raison, Mitsuha avait pesé le pour et le contre quant à l’option d’entrer immédiatement sur le marché du travail. Bien qu’elle ne toucherait pas un salaire aussi élevé qu’avec un diplôme d’études universitaire, il n’y avait pas d’entreprises à proximité qui étaient si généreuses. De plus, un diplôme ne garantissait guère un emploi bien rémunéré à notre époque.

Mitsuha avait également envisagé la possibilité qu’elle puisse se marier et avoir des enfants à l’avenir. Il serait déjà assez difficile de jongler avec une famille et un emploi à temps plein, la dette de l’université ne ferait qu’empirer les choses. Tout bien considéré, l’université ne semblait tout simplement pas en valoir la peine quand l’autre option, plus viable, était de commencer à travailler et à épargner.

Ce n’est pas comme si j’allais obtenir un travail de rêve ou quoi que ce soit d’autre, se disait-elle en regardant la mer.

« Et bien, qu’avons-nous là ? Tu sèches l’école, petite dame ? »

Une voix huileuse, qui venait de derrière, l’avait fait sortir de ses pensées. Mitsuha se retourna et se retrouva coincée par trois sinistres sourires. Le délinquant qui avait parlé avait les cheveux décolorés et semblait avoir une vingtaine d’années.

« Tu veux traîner avec nous ? On va te faire passer un bon moment, t’emmener dans un endroit sympa, te chercher quelque chose à manger… et voir où ça nous mène, hein ? »

C’est reparti pour un tour. Ils pensent clairement que je suis une gamine qui sèche les cours, pensa Mitsuha, complètement dépitée. Alors que beaucoup de femmes aimaient paraître plus jeunes qu’elles ne l’étaient, Mitsuha était une adulte et ne trouvait donc aucun plaisir à être traitée comme une collégienne. Mais révéler qu’elle avait en fait dix-huit ans ne ferait que les rendre plus confiants, alors elle avait choisi de garder ce fait pour elle.

Mais était-ce vraiment important ? Le groupe d’hommes qui l’avait précédée essayait d’aller chercher une fille qu’ils croyaient être au collège, alors peut-être qu’ils ne se seraient pas du tout souciés de son âge. Bien que l’opinion de Mitsuha à l’égard de ces chasseurs de jupons était faible dès le départ, elle ne voulait pas accepter une alternative encore plus désagréable : qu’ils s’en prendraient à une élève du primaire !

Quoi qu’il en soit, ce n’était pas des gens avec qui elle voulait interagir, mais ce serait une situation difficile à fuir. Les trois délinquants assoiffés l’avaient empêchée d’avancer, et seul un plongeon vers sa mort l’attendait derrière elle. Piégée contre la clôture de bois, elle ne trouvait aucun avantage à utiliser contre eux.

Utilisant la voix la plus jeune qu’elle pouvait avoir, elle leur dit :

« Désolé, monsieur…. Je ne peux pas venir avec vous. Maman et papa viennent me chercher ! »

Mitsuha espérait que cette comédie les convaincrait, qu’elle n’était vraiment qu’une enfant qui attendait ses parents, une cible bien au-delà de la portée acceptable de ces voyous. Contre son gré, cependant, le blond scanna le périmètre pour confirmer l’absence de ses parents.

Il s’avança, la saisit par le bras et grogna :

« Viens avec nous ! »

Ses acolytes avaient également avancé, envoyant Mitsuha dans la panique. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, espérant voir l’un des passants lui donner un coup de main, mais ils faisaient tous des efforts faramineux pour ne rien voir.

Allez comprendre, personne ne veut jouer les héros. Je n’ai pas le choix. Je m’en occuperai moi-même !

Malgré son petit gabarit et son regard de chérubin, l’intelligence et la force physique de Mitsuha n’étaient pas à prendre à la légère. Et par-dessus tout, Mitsuha avait du cran. C’était cette qualité qui lui avait permis de protéger son héritage de ceux qui voulaient le saisir.

Son corps avait bougé avant qu’elle puisse penser, envoyant un coup de pied vers le haut directement dans l’aine du gars blond. Sans même faire le moindre bruit, il s’était mis à genoux, se tordant de douleur. De l’écume sortait du coin de ses lèvres, et il s’effondra rapidement, couché et immobile entre ses camarades.

« QU’EST-CE QUE TU FOUS, SALOPE ?! »

Ces paroles dignes d’un gangster étaient sorties de la bouche d’un des délinquants restants, et dans sa rage, il avait poussé Mitsuha vers l’arrière de toute sa force.

« Ah… ! »

Elle avait sursauté quand son dos était entré en contact avec la clôture en bois et qu’un bruit de fissure inquiétant avait atteint ses oreilles. Elle s’était alors retrouvée en plein vol, à la merci de la gravité.

Huuuhhhh ?!

« AAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHH ! »

Je tombe ! Je suis en train de tomber ! JE SUIS EN TRAIN DE TOMBER ! JE SUIS EN TRAIN DE TOMBEEEEEEER ! Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir ! JE NE VEUX PAS MOURIR !

Tout en criant à pleins poumons, Mitsuha avait prié du fond du cœur pour que quelqu’un l’aide.

JE NE VEUX PAS MOURIR ! JE NE VEUX PAS MOURIR !

« WAAAAAAAAAAAGHHHH ! »

Mitsuha entendit un étrange craquement, accompagné d’un cri qui n’était pas le sien, juste au moment où sa conscience la quittait.

 

***

Partie 2

« Où suis-je ? »

Mitsuha regarda autour d’elle.

De l’écorce, des feuilles, de l’herbe, beaucoup d’arbres… Oui, je suis dans une forêt. Hé, attendez, attendez une seconde ! Je viens de tomber d’une falaise ! Il n’y avait que des vagues et des rochers au fond, non ?!, pensa-t-elle, déconcertée. Mais elle n’était pas en train de se plaindre de ce nouveau développement. Se réveiller dans une forêt au hasard, ce n’est pas génial. Mais c’est bien mieux que de se transformer en traces rouges sur des rochers !

Avec de telles pensées en tête, Mitsuha se leva par réflexe et vérifia son état. Oui, « par réflexe ». Qu’il s’agisse d’une habitude ou d’une sorte d’adaptation, Mitsuha avait toujours été ainsi depuis aussi longtemps qu’elle pouvait s’en souvenir. Dans la plupart des cas, elle avait donné la priorité à l’action (on pensait pourtant qu’elle réfléchissait avant d’agir). Elle ne pensait pas que c’était tout à fait normal, mais les recherches superficielles pour identifier cette maladie n’avaient pas porté ses fruits.

Imaginez un instant qu’une balle volait vers vous. Vous auriez généralement deux choix : l’esquiver ou l’attraper. Vous ne perdriez pas votre temps à penser, Oh, regardez, il y a une balle qui arrive. Que dois-je faire ? Est-ce que je l’attrape ? Ou l’esquiver ? À gauche ? Peut-être à droite ?

D’un autre côté, vous ne feriez jamais d’actes réfléchis. Selon Mitsuha, le temps était un luxe qui permettait une réflexion et une stratégie approfondies. En un clin d’œil, vous ne pouviez compter que sur votre intuition pour traiter l’information dont vous disposiez afin de choisir la meilleure marche à suivre. Selon ses propres termes, les réflexes étaient le premier secours du mouvement. Ces réflexes se limitaient généralement à des mouvements physiques de base, mais dans son cas, ils semblaient s’appliquer à un plus large éventail d’actions, bien qu’elle n’ait pas entièrement compris pourquoi.

Un ami avait dit une fois à Mitsuha :

« Tu ne te demandes jamais pourquoi tu fais des trucs après les avoir faits, n’est-ce pas ? »

C’était ainsi que notre cher protagoniste avait reçu le surnom de « Spex », abréviation de « Spinal Reflex ».

Enlevez une lettre et ça devenait vraiment obscène, bon sang !

Peut-être que tous les êtres humains avaient la capacité de penser et de prendre des décisions en un instant, mais ils avaient omis de recourir à des processus de réflexion plus approfondis pour comprendre pourquoi ils les avaient pris.

Ah, mais nous sommes partis dans une tangente maintenant. Il est temps de la maîtriser et de revenir à ce qui compte vraiment, d’accord ?

OK, je ne suis blessée nulle part, et j’ai l’air à peu près normale. J’ai mon portefeuille, ma clé de maison… Mais qu’en est-il de la carte d’étudiant que j’ai depuis trois ans ?! Oh, c’est vrai. J’ai eu mon diplôme. Mitsuha avait également vérifié le grand sac à bandoulière qui était tombé avec elle et l’avait trouvé encore rempli de son parapluie, de mouchoirs et d’un sac d’épicerie en plastique. Ce dernier, selon elle, était particulièrement sous-évalué.

Après s’être assurée qu’elle avait tous ses membres et ses biens, Mitsuha avait vérifié son environnement. La forêt était relativement dense et la zone dans laquelle elle avait débarqué ne montrait aucun signe d’activité humaine. Elle ne voyait aucun sentier piétonnier et ne pouvait pas détecter les gens à proximité.

Je suppose que je vais devoir marcher, pensa-t-elle, alors qu’elle était déjà en marche.

Deux heures passèrent, et Mitsuha s’épuisa rapidement. Peu de rayons de lumière avaient traversé la canopée, à peine assez pour éclairer son chemin. Sans aucune idée de l’endroit où elle se dirigeait, tout ce que Mitsuha pouvait faire, c’était aller de l’avant, en évitant les arbres et les rochers sur son chemin. Elle sentait qu’il était tout à fait possible qu’elle tourne en rond, alors elle avait commencé à marquer certains des objets qu’elle voyait. Quand elle ne les voyait pas une nouvelle fois, elle interprétait cela comme un signe encourageant.

Je dois partir d’ici avant qu’il fasse nuit. Qui sait quels prédateurs vivent dans ces bois ? Je suppose que je pourrais dormir dans un arbre s’il le fallait, mais je me vois très bien me retourner et tomber de là. Je dois aussi trouver de l’eau… Y a-t-il un ruisseau ou quelque chose à proximité ? Quelques fruits juteux devraient aussi suffire.

« Bon sang, je suis fatiguée. »

Mitsuha marchait depuis environ quatre heures. Sur un bon sentier pédestre, elle ne se serait pas fatiguée aussi rapidement, mais elle se promenait à travers les sous-bois sauvages de la forêt. Ses muscles étaient devenus raides et ses pieds palpitèrent. Le soleil commençant aussi à se coucher, elle avait donc décidé de grimper dans le premier arbre acceptable qu’elle rencontrera afin de passer la nuit ici.

Bien sûr, je ne dormirai probablement pas très bien, mais venir ici la nuit, c’est du suicide. Mon corps n’y résistera pas. De plus je ne verrais plus rien dans le noir, je ne serais plus qu’une délicieuse proie pour les chasseurs nocturnes qui rôdent autour.

Le matin suivant, Mitsuha était éreintée. Elle avait repris sa marche au lever du soleil, il y a trois heures, bien qu’elle n’ait pas pu dormir de toute la nuit. Non seulement elle avait peur de tomber de l’arbre qu’elle avait choisi, mais elle ne possédait aucune couverture ou quoi que ce soit d’utile, même de loin, pour la protéger les branches dures et noueuses.

« Ah ! »

Elle avait poussé un cri aigu en entendant un bruit désagréable venir de sa cheville gauche.

Sa fatigue corporelle et sa somnolence l’avaient distraite, alors elle avait fait un faux pas et s’était tordu la cheville sur une racine. Merde, ça fait mal, jura-t-elle intérieurement.

Cependant, elle l’avait enduré. Ce n’était pas comme si elle avait le choix. Rester en place n’améliorerait pas sa situation, et ce n’était pas comme si elle pouvait guérir miraculeusement si elle se reposait. Non, elle se forcera à continuer de marcher jusqu’à ce qu’elle trouve un village ou, au minimum, un sentier pédestre. Ce ne serait pas un choix idéal pour sa jambe, mais c’était mieux que la mort.

Quelques heures de plus étaient passées depuis. Mitsuha n’était pas tombée sur de la nourriture ou de l’eau pour soulager sa faim ou sa soif, et la douleur au niveau de sa cheville gauche n’avait fait que s’intensifier. Elle avait passé tellement de temps à penser à sa situation qu’elle en avait eu assez.

Après tout, j’ai tout mon temps.

Hier, elle n’avait été inconsciente qu’une vingtaine de minutes, peut-être une demi-heure. Elle avait vérifié l’heure de sa montre au moment où elle s’était réveillée. Ce qui rendait ce fait particulier, c’était que, de la falaise où Mitsuha se trouvait avant ça, il n’y avait pas de forêt de cette taille à laquelle on pouvait raisonnablement accéder en si peu de temps. De plus, Mitsuha était tombée d’une falaise, il était donc improbable qu’elle en soit sortie indemne. Cela l’avait conduite à trois conclusions possibles :

Un : je suis morte, et c’est l’au-delà.

Deux : je suis à l’hôpital quelque part, dans le coma, et tout ça n’est qu’un rêve.

Trois : J’ai été enlevée par des extraterrestres et emmenée loin, très loin… Moi aussi, j’aime bien la science-fiction, vous savez !

Après un bref moment de contemplation, elle s’était dite à elle-même, j’aimerais vraiment que ce soit le troisième ! Je ne suis pas fan des deux autres !

Mettant de côté le mystère de son arrivée, Mitsuha avait réaffirmé son désir d’atteindre la civilisation. Si elle découvrait qu’elle était encore au Japon, elle s’adresserait à la police sinon, elle se rendrait à l’ambassade du Japon la plus proche.

Lors de son troisième jour dans la forêt, Mitsuha était très fatiguée. Elle s’était réveillée l’après-midi du premier jour, et c’était encore le matin, si bien qu’il ne s’était écoulé qu’environ une journée et demie. Désespérée et privée de nourriture et d’eau, elle avait pris un pari en mangeant des feuilles de plantes. Elle pouvait tolérer la faim, mais la soif l’avait vaincue. À ce rythme, elle sentait que la mort n’était pas loin derrière.

J’ai dû me reposer bien plus qu’hier. J’ai l’impression de trébucher sur toutes les autres pierres ou racines. Mes bras et mes jambes sont couverts de bleus, et la douleur à la cheville me rend folle. J’ai l’impression que ça s’est répandu dans le reste de mon corps. Malgré tout, elle avait fait preuve de volonté et avait continué d’avancer. Sinon, elle mourrait.

Finalement, alors que son sens du temps était parti depuis longtemps et que sa conscience s’était assombrie, elle avait fini par trouver un chemin. Il était juste assez large pour une personne, alors elle doutait presque qu’il ait été pavé par des humains.

Ne me dites pas que c’est une piste d’animaux, je vous en supplie… Cette découverte l’avait amenée à se détendre si rapidement que, après trois jours de mouvements quasi constants, ses jambes avaient enfin cédé. Elle s’était effondrée au sol et avait immédiatement perdu connaissance.

◇ ◇ ◇

« Je ne reconnais pas ce plafond », murmura Mitsuha.

Malgré sa confusion, une petite partie d’elle était ravie de pouvoir prononcer l’une des trente premières lignes qu’elle avait toujours voulu dire.

Laissez-moi réfléchir… Si je ne suis pas complètement folle à ce point, j’ai passé des jours à errer dans une forêt qui n’aurait jamais dû être là au départ, et je me suis évanouie dès que j’ai trouvé un chemin. Maintenant, je suis allongée dans le lit d’un étranger, regardant un plafond que je n’avais jamais vu auparavant.

Après avoir rectifié ses pensées, aussi bizarres soient-elles, elle se rendit compte de ce qui se passait. Elle était dans la chambre à coucher d’une cabane confortable décorée de meubles minables. Malgré l’humilité de la pièce, tout semblait propre et en ordre.

Quelqu’un m’a-t-il sauvée ? se demanda-t-elle. Son esprit était encore dans le flou, mais elle était consciente de son besoin le plus fort et le plus immédiat, elle avait faim et soif.

« De l’eau ! Quelqu’un peut me donner à manger et à boire ? »

Juste après avoir élevé la voix, Mitsuha entendit des pas précipités s’approcher de l’autre côté de la porte. Elle s’était ouverte, révélant une petite fille. Elle ne semblait pas avoir plus de dix ans, elle avait des yeux d’un bleu éclatant et des cheveux d’argent scintillants. Sa robe, bien que simple, n’avait rien fait pour diminuer son visage tout simplement adorable. Elle s’éclaira d’un sourire et cria dans une langue que Mitsuha ne comprenait pas.

Grand frère, j’ai le sentiment que nous ne sommes plus au Japon, pensa Mitsuha.

Il ne semble pas que je sois dans la sphère anglophone non plus. Je sais très bien que j’ai raté mes examens d’entrée à l’université, mais peu importe ! Je peux encore savoir quand une personne parle anglais, ainsi que quelques autres langues. Au fur et à mesure que la jeune fille gazouillait, Mitsuha avait rapidement écarté le japonais, l’anglais, le chinois, le coréen, l’allemand, le français et l’italien. L’apparence exotique de la jeune fille était le seul indice qu’elle avait, et cela lui disait simplement qu’elle ne vivait certainement pas en Asie.

Bon, dans un premier temps il y avait une question plus urgente à régler : Mitsuha était affamée et sa gorge était si sèche qu’elle pouvait à peine parler. Elle s’occuperait d’abord de ses besoins, et la communication pourrait venir après. Après avoir demandé à la jeune fille de cesser de parler, elle avait mimé ce qu’elle voulait. Elle avait mis ses mains en coupe, faisant semblant d’en boire, puis elle avait montré du doigt sa bouche en se frottant l’estomac.

Voilà, ça devrait le faire. Même un singe comprendrait le message ! Peut-être que je ne devrais pas faire ce genre de comparaison vu que cette fille m’a probablement sauvé la vie.

Toujours souriante, la jeune fille avait prononcé quelques mots en réponse, puis elle s’était retournée et avait quitté la pièce. Oui ! Elle m’a comprise ! J’espère…

Mais Mitsuha n’avait aucune raison de s’inquiéter. Après quelques minutes, la jeune fille revint avec une femme que Mitsuha présumait être sa mère, si l’on en jugeait à leurs apparences. Elles avaient apporté un pichet d’eau et deux tasses, l’une vide et l’autre pleine d’une sorte de bouillie. D’un geste de remerciement précipité, Mitsuha prit l’eau et l’avala.

« Ouf ! Je me sens de nouveau vivante ! »

Elle poussa un soupir de soulagement, puis se tourna vers ses hôtes et inclina la tête.

« Merci beaucoup de m’avoir sauvée. »

Bien qu’elles n’aient peut-être pas compris ses paroles, Mitsuha avait senti que son langage corporel était suffisant pour exprimer sa gratitude. La mère de la fillette avait semblé choquée pendant un moment, probablement à cause de la langue étrangère, mais son visage s’était ensuite détendu avec un sourire chaleureux.

D’accord, laissons les remerciements de côté… C’est l’heure de la bouffe ! Mitsuha avait attrapé la nourriture. Cela semblait être des morceaux de pain immergés dans du lait bouilli et dilué — du porridge à base de pain, pour ainsi dire. Bien que la nourriture soit simple, elle était nutritive et facile à digérer, ce qui était précisément ce dont Mitsuha avait besoin. Vu sa chaleur et la rapidité avec laquelle elles l’avaient apportée, il était clair qu’elles l’avaient préparée pour le lui servir quand elle se serait réveillée.

Quel couple de bons Samaritains ! Je devrai les remercier correctement à mon retour. Elles m’ont sauvé la vie ! Mitsuha avait pris sa décision pendant qu’elle mangeait.

Une fois nourrie, elle sentit la somnolence l’envahir. Son évanouissement antérieur et l’inconscience qui s’en était suivie étaient loin d’être des moments de repos. Nourrie et détendue, elle referma les yeux et finit par s’endormir dans le sommeil qu’elle méritait.

***

Partie 3

« Je reconnais ce plafond », murmura Mitsuha.

Bien sûr, c’était le même plafond granuleux qu’elle avait vu la dernière fois qu’elle s’était réveillée. La plus grande différence entre ce moment et maintenant, c’était qu’elle se sentait rafraîchie.

Je dois juste ignorer les coupures que j’ai partout, ma cheville tordue, et mes cuisses et mes mollets surmenés. Ce n’est pas grave. Maintenant, comment comprendre cette situation ? s’interrogea-t-elle.

Mitsuha s’était retrouvée dans un bâtiment peu sophistiqué adjacent à l’immense forêt qu’elle avait traversée. Elle avait d’abord supposé que le bâtiment brut était une sorte de cabane de montagne, mais cela semblerait être une maison assez standard pour la région. Cela l’avait amenée à conclure qu’elle se trouvait dans un village rural.

On dirait que je dois me rendre dans une ville plus grande et contacter l’ambassade. J’espère qu’ils ont des téléphones là-bas.

Tandis qu’elle réfléchissait à ses pensées, la porte s’ouvrit, et la jeune fille aux cheveux argentés d’avant entra. Elle est probablement venue me voir parce qu’elle a senti que je suis réveillée. Cette petite nymphe des bois a des sens aiguisés ! Voyant que Mitsuha était réveillée, la jeune fille était entrée, avait chargé en direction du lit et s’était précipitée vers elle. Sa tête au sommet argenté s’était directement enfoncée dans l’estomac de Mitsuha.

« GUHHHHH ! JE ME RENDS, JE ME RENDS ! »

Mitsuha avait lutté pour se libérer de l’étreinte de l’ours qui avait suivi, qui avait dangereusement mis son frêle corps en danger.

« MA COLONNE VERTÉBRALE ! TU VAS CASSER MA COLONNE ! »

Après quelques tapotements sur l’épaule, la fille avait libéré Mitsuha de son étau. Alors que Mitsuha retombait dans le lit et se tordait de douleur, son adorable agresseur inclina la tête dans la confusion.

Ce n’est donc qu’une expression d’affection, probablement une salutation locale. C’est si intense, et cela ne provenait que d’une petite fille. Un adulte m’écraserait probablement ! Mitsuha avait fait une note mentale pour esquiver si elle sentait un danger imminent.

Après s’être remise de l’étreinte mortelle, elle s’était assise sur le lit avec la fille et les deux avaient commencé à communiquer. Bien sûr, les mots s’étaient avérés infructueux, mais avec le temps, Mitsuha avait senti qu’elle pouvait obtenir l’information qu’elle recherchait par de simples gestes et expressions.

Il s’était avéré que cette fille était celle qui avait trouvé Mitsuha après qu’elle se soit évanouie sur le chemin et qu’elle avait demandé à ses parents de l’accueillir. La jeune fille avait ensuite fait visiter la maison à Mitsuha, qui était vide à l’heure actuelle.

Ses parents doivent être en train de travailler. Ou peut-être que maintenant que je me suis réveillée, ils sont allés parler de moi à quelqu’un.

Le couple avait dû sortir lorsque Mitsuha avait exprimé le désir d’aller aux toilettes. Dehors, vraiment ? Merde, on est vraiment dans la cambrousse. Elle l’avait déjà déduit, mais c’était bien au-delà de ce qu’elle avait imaginé. Il n’y avait rien dans la région à part quelques autres cabanes, qui étaient faites de bûches de bois à peine transformées.

Si je dois deviner d’où vient le terme « les bâtons », ce serait là, dit Mitsuha à elle-même. Et où sont les lampadaires et les poteaux ? Oh, j’ai compris, ils gardent l’endroit pittoresque et accueillant en utilisant des câbles souterrains, non ? Ugh, cela doit être ça ! On aurait dit qu’elle devait se mettre à trouver le chemin de la ville la plus proche.

Après leur retour à l’intérieur, Mitsuha avait repris ses tentatives de communication. La « conversation » était lente et maladroite, mais elle était surprise de voir à quel point elle était capable d’apprendre. Il était possible qu’elle n’ait pas compris certains détails, mais elle espérait qu’elle n’était pas trop loin.

Si elle avait bien compris cette fille — qui se nommait Colette — c’était une enfant unique qui vivait dans cette maison avec seulement ses parents. Ce village était presque complètement autosuffisant, survivant d’industries simples comme l’agriculture, la foresterie et la chasse. Et comme elle l’avait déjà dit, c’était Colette qui avait découvert Mitsuha inconsciente sur la piste et qui avait appelée du secours. Après cela, Colette s’était occupée d’elle, lui essuyant sa sueur, la maintenant hydratée, etc.

Attendez, c’est réellement ma bouée de sauvetage ! Mitsuha s’en était rendu compte et avait impulsivement tiré la plus jeune fille vers elle pour lui faire un câlin. Colette gloussa un peu et lui tendit la main pour la serrer dans le dos. Sentant le danger, cependant, Mitsuha l’avait repoussée par réflexe. Elle avait toujours été rapide, surtout quand il s’agissait d’une question de vie ou de mort. Alors qu’elle était assise là, se sentant en quelque sorte victorieuse, l’expression choquée de Colette commença à se hérisser de larmes.

Oh, non ! Mitsuha avait désespérément essayé de s’excuser et de la remettre de bonne humeur. Colette avait fini par lui pardonner, même si elle avait l’air un peu boudeuse. Bien jouer, Mitsuha ! T’as vraiment merdé ! jura-t-elle intérieurement. Mais quand les parents de Colette étaient revenus, elle était redevenue normale. Elle a vraiment l’air enfantine, hein ?

Maintenant que ses parents étaient à la maison, Mitsuha avait cherché à communiquer avec eux. Après tout, il n’y avait pas grand-chose à apprendre d’une fillette de huit ans. Oui, elle s’était trompée sur l’âge de Colette. Elle avait d’abord cru que la fille avait dix ans, mais elle avait découvert qu’elle avait deux ans de moins. C’était une surprise pour elle, car elle sentait que la jeune fille était plutôt mature pour quelqu’un de son âge. Pour moi, c’est celle qui m’a sauvé la vie !

Malheureusement, les tentatives de Mitsuha pour obtenir des informations supplémentaires des parents de Colette avaient été décevantes. Ils avaient apparemment travaillé à leur ferme, sans en parler à quelqu’un. Ce n’était pas comme s’ils étaient des méchants qui la gardaient captive, ils n’avaient tout simplement pas envisagé de la dénoncer aux autorités.

Quoi qu’il en soit, Mitsuha était plus que reconnaissante pour la nourriture et l’hospitalité qu’ils lui avaient offerte. En pire compagnie, elle aurait pu être vendue à des trafiquants d’êtres humains et traités comme une esclave. Tout bien considéré, elle pensait que ses hôtes étaient des gens bien et qu’ils l’avaient traitée favorablement. Ce qui l’avait vraiment déçue, cependant, c’était qu’elle n’avait pas appris plus d’eux qu’elle n’en avait appris de leur fille.

Alors qu’il y avait la barrière de la langue à considérer, Mitsuha avait fait progresser ses méthodes gestuelles grâce à des dessins. Pourtant, tout ce qu’elle avait appris à la fin, c’était que l’intelligence du couple était probablement au même niveau que celui de Colette. La fille était-elle une sorte de prodige, ou ses parents étaient-ils un peu malheureux à cet égard ? 

Mitsuha avait dessiné une simple carte du monde et avait essayé de leur demander de préciser leur emplacement, mais il semblerait qu’ils ne pouvaient même pas lire la carte. Je ne suis pas si mauvaise en dessin, n’est-ce pas ? s’inquiéta-t-elle. Elle avait alors fait semblant d’utiliser un téléphone, mais ils n’avaient fait qu’incliner la tête dans la confusion. Mitsuha supposait qu’ils étaient coincés dans une époque plus primitive, dépourvue d’appareils à boutons-poussoirs, alors elle avait dessiné un téléphone à cadran, tout en faisant de drôle de sons. Elle faisait certainement de son mieux. Attendez, c’est quoi ces applaudissements ?! Je ne suis pas un mime, bon sang !

Et c’était de cette manière qu’elle avait abandonné. Mitsuha avait décidé de rester avec la famille de Colette, l’aidant dans la maison jusqu’à ce qu’elle se rétablisse complètement. Elle emballerait alors quelques rations et partirait pour la ville. Je leur enverrai mes remerciements à mon retour du Japon. Je n’ai pas d’autre choix !

***

Chapitre 2 : Les bêtes doivent mourrir

Partie 1

Ainsi, quelques années passèrent.

En fait, cela ne faisait que trois jours. Par des crises de pantomime intense, Mitsuha avait réussi à faire comprendre aux parents de Colette ce qu’elle voulait. Du moins, elle l’espérait. D’abord, elle leur avait demandé la permission de rester en échange d’une aide à la maison. Elle les avait également informés de son intention de se rendre dans la ville la plus proche et avait demandé un approvisionnement en nourriture et en eau pour le voyage. Enfin, dans une rafale de gestes, elle avait demandé des directives pour s’y rendre.

Mitsuha avait depuis longtemps abandonné l’apprentissage de leur langue. Elle n’avait pas pu apprendre grand-chose en quelques jours. Mitsuha estimait que tant que la grande ville avait des citoyens qui parlaient japonais — ou du moins anglais — elle pourrait mettre la main sur un téléphone pour appeler l’ambassade ou quelqu’un au Japon. Elle n’aurait alors aucun problème pour rentrer chez elle, et une fois rentrée, elle ne serait plus jamais dans une autre situation où la langue locale lui serait utile. Elle enverrait des remerciements à ses bienfaiteurs, bien sûr, mais seulement avec l’aide d’un traducteur.

Une autre chose que Mitsuha avait saisie de ses discussions avec la famille, c’était qu’ils pensaient qu’elle était une enfant. Ce n’était pas du tout surprenant, surtout si l’on considérait qu’elle semblait mineure selon les normes japonaises. À leurs yeux, elle n’avait que dix ans, douze tout au mieux.

Vous savez quoi ? Je suis d’accord avec ça. En tout cas, dans la grande majorité. C’est pratique pour moi, alors je vais jouer le jeu ! Si Colette a huit ans, ça ne me dérange pas d’être son amie de douze ans.

Il s’était avéré que c’était une coutume locale pour les familles d’accueillir des orphelins ou des enfants reniés. Il n’était pas rare que ces garçons et ces filles finissent par épouser les vrais enfants des parents adoptifs une fois qu’ils avaient grandi. Cela était donc toujours considéré comme une occasion propice.

« Maintenant, tu es vraiment notre enfant ! » et tout ça.

La majorité d’entre eux s’étaient mariés dans d’autres familles, bien sûr, mais ils avaient tout de même traité ceux qui les avaient adoptés comme leurs vrais parents.

C’était un petit village, alors tout le monde ici se considérait dès le départ comme étant tous de la même famille. La mentalité derrière cette pratique pourrait se résumer ainsi :

« Il vaut mieux s’occuper des orphelins et des enfants perdus que de les remettre aux autorités. Pourquoi perdre du temps à chercher des parents qui sont partis depuis longtemps ou qui ont abandonné leurs enfants ? »

Maintenant, il était facile de comprendre pourquoi les parents de Colette étaient si gentils avec Mitsuha et ne semblaient pas considérer sa présence comme un événement important. Elle partirait bientôt de toute façon, alors ça n’avait pas tant d’importance pour elle.

Dans cet état d’esprit, pourquoi Colette a-t-elle passé une demi-journée à me raconter tout ça ? À agiter les bras comme une folle, à dessiner son arbre généalogique avec des bâtons… C’était quoi le problème ? Une fille faisant partie d’une branche généalogique quelconque avait perdu ses parents et avait été recueillie par une famille qui avait un fils. Elle avait fini par l’épouser, et maintenant ils s’occupent tous les deux de leurs parents âgés et… Attends, pourquoi me regardes-tu comme ça !?

Si vous mettiez de côté la pression déconcertante de Colette, les jours suivants de Mitsuha avaient été plutôt paisibles. Elle aidait de diverses façons, dont la cuisine. Même si la famille n’avait pas d’épices ou d’appareils modernes, Mitsuha avait appris à cuisiner auprès de sa mère alors qu’elle était à l’école primaire et en savait assez pour s’en sortir. Les plats qui en résultaient étaient si bons qu’Erene, la maîtresse de maison, était visiblement irritée.

Par contre, pour fendre du bois, c’était une tout autre histoire. Est-ce que cela compte au moins comme travaux ménagers ? N’est-ce pas quelque chose que le père était censé faire tout seul ? Après avoir murmuré de telles plaintes, Mitsuha avait rapidement appris que la préparation du bois de chauffage était en fait le travail d’Erene et de Colette. Alors qu’elle luttait pour les aider, Mitsuha avait trouvé la hache lourde et difficile à utiliser. Elle avait souvent manqué sa cible. Même quand elle touchait la cible, la lame s’était coincée dans le bois et elle n’avait pas réussi à l’arracher pour pouvoir terminer le travail.

Finalement, sa peau avait commencé à peler et ses muscles commencèrent à souffrir. Elle était essoufflée et ses jambes tremblaient sous elle. Il n’avait pas fallu longtemps avant qu’elle reçoive l’ordre de faire autre chose. Pourquoi Colette est-elle si douée pour ça ? Regarde-la faire ! Ces bûches volent…

Le lendemain, Mitsuha et Colette étaient allées dans les bois pour chercher de la nourriture. Chacune d’elles avait reçu un panier, mais Mitsuha avait fini par les porter tous les deux. Non pas parce qu’elle avait confiance en ses talents de chercheuse de nourriture, mais parce que cela permettait à Colette de se déplacer plus facilement et de travailler sa magie « enfant de la nature ». Une idée sans doute intelligente.

Attendez, c’était la forêt dans laquelle je me promenais, n’est-ce pas ? Mitsuha l’avait réalisée. C’est comme ça que Colette m’a trouvée. Je dois me faire pardonner parce que j’ai dû sûrement gâcher sa session de recherche de nourriture ! Elle se mit ainsi à ramasser le plus de plantes possible. Colette lui avait montré des échantillons de ce qu’elle devait chercher, afin qu’il n’y ait pas de problèmes… du moins le pensait-elle. Il s’était avéré qu’ils ne poussaient que dans des endroits spécifiques, et qu’il fallait savoir où chercher. Elle n’aurait eu aucune chance d’en trouver sans l’aide de Colette. Bon, ce n’est pas comme si j’allais faire carrière dans ça. C’est bon tant que je peux aider un peu.

Juste au moment où les paniers étaient pleins au tiers, Colette s’était soudainement arrêtée. Mitsuha la regarda. La plus jeune fille était devenue pâle. Elle avait fait signe à Mitsuha de poser les paniers, et c’était exactement ce qu’elle avait fait, même si elle ne savait pas pourquoi elle le faisait. Colette recula lentement d’un pas et chuchota, « Kel kolore, maltoneis... »

Oh, c’est l’une des phrases qu’ils ont fait en sorte que je l’apprenne. Alors que Mitsuha avait décidé qu’elle n’apprendrait pas la langue, elle avait mémorisé quelques mots pour rendre la communication un peu plus facile. Après tout, il était presque impossible de s’en sortir sans savoir comment dire « oui », « non », « eau », « nourriture », « faim », « donne-moi ça », etc. Les paroles de Colette signifiaient qu’il y avait bête dangereuse en proche, ce qui signifiait…

Attendez, QUOI !? Mais on m’a dit que les bêtes sont rares par ici ! Colette m’a littéralement fait un dessin pour me dire ça ! Mitsuha se sentait paniquée. « Rare » ne veut pas dire qu’il n’y en a jamais. Je suis vraiment bête. Elles avaient toutes les deux reculé silencieusement, laissant les paniers derrière elles. Mitsuha avait supposé qu’elles viendraient les chercher une fois que la bête serait partie ou traquée.

Dommage qu’il n’y ait pas moyen de sauver ce qu’on a collecté. Le produit ne séchera pas correctement dans ces conditions, donc tout sera ruiné d’ici notre retour. Peu importe. La vie est bien plus importante que quelques plantes. On doit juste s’éclipser, et… Attendez, on va au vent ! C’est vraiment mauvais !

Mais attendez une seconde. Aussi surhumaine qu’elle soit, il est impossible que Colette ait pu remarquer la bête avant qu’elle ne nous remarque, donc cela ne sert à rien de se faufiler. Alors pourquoi ne s’en prend-elle pas à nous ? N’a-t-elle pas faim ? Chasse-t-elle d’autres proies ? Est-ce un herbivore ? Oui, c’est vrai, on a affaire à un vrai thriller aux heures de grande écoute. Qu’est-ce qu’il attend, alors ? Penses-y… Réfléchis-y ! Allez, cerveau, tu es un PC bourré de connaissances aléatoires !

C’est fait. J’ai trois possibilités.

Un : il prend son temps pour s’assurer qu’on ne s’échappe pas. Mais a-t-il vraiment besoin de faire ça sachant qu’il a à faire à des enfants comme nous, n’est-ce pas ?

Deux : Il nous voit comme des jouets et joue avec nous juste pour s’amuser. Dans ce cas, il se serait montré pour essayer de nous faire peur.

Trois : Il nous utilise comme cibles d’entraînement pour ses jeunes.

Deux jeunes filles courant pieds nus n’étaient pas très rapides, elles ne pouvaient donc pas s’échapper. De plus, la bête n’aurait pas à craindre que ses petits soient blessés par une sorte de contre-attaque. Ouais, les filles humaines sont de parfaites cibles pour la première chasse des petits. Bien que l’une d’entre nous ne soit plus vraiment une « fille », mais gardons cela secret. C’était juste une supposition de la part de Mitsuha, mais il était clair qu’elles étaient en danger.

Mitsuha s’était creusé la tête pour trouver la meilleure issue. Devraient-ils gagner du temps ? Elle n’avait aucune idée de l’heure à laquelle les villageois allaient devoir venir les chercher. Peut-être à la tombée de la nuit ? Mais viendraient-ils alors ? Les parents de Colette le feraient évidemment, mais d’autres pourraient trouver ça trop dangereux. Sans parler du fait qu’elles ne tiendraient pas assez longtemps.

Mitsuha se retourna et aperçut quelques créatures qui se cachaient entre les arbres. Une grande chose ressemblant à un loup et quelques autres plus petites… J’avais raison. Ils ne peuvent pas grimper aux arbres, n’est-ce pas ? se demanda-t-elle en balayant rapidement la zone à la recherche d’arbres aux branches basses. Les loups se préparaient à faire un mouvement, alors elle s’était décidée de se rendre vers le premier arbre qu’elle voyait dans les environs.

« Colette ! »

Mitsuha cria, puis elle attrapa la main de la fille et la rapprocha d’elle. Les branches de l’arbre étaient hors de portée, trop difficiles à grimper pour les bêtes, et malgré leur minceur, elles seraient assez stables pour supporter Colette. Mitsuha la serra par les aisselles, la souleva du sol et la poussa dans l’arbre.

« Mitsuha ! »

Colette avait crié son nom et avait dit d’autres mots qu’elle ne comprenait pas. Tout en l’ignorant, Mitsuha déplaça ses mains de ses aisselles vers ses pieds et la poussa vers le haut. Elle avait vite compris ce que Mitsuha était en train de faire et avait commencé à grimper à l’arbre toute seule. Une fois qu’elle avait atteint la première branche, elle s’était assise dessus.

« Mitsuha ! »

Elle cria de nouveau, et tendit sa petite main aussi loin qu’elle pouvait le faire.

« Désolée. »

Mitsuha sourit et secoua la tête.

« Je ne suis pas douée pour grimper aux arbres, et celui-là ne nous retiendra probablement pas toutes les deux. Au revoir, ma jolie ! »

Les bêtes commencèrent lentement à s’approcher — leur proie étant restée sur place, elles avaient pu penser qu’elles abandonnaient. Confirmant ce que Mitsuha avait entrevu plus tôt, une bête adulte avait émergé à côté de trois de ses enfants. Ils ressemblaient beaucoup à des loups, alors elle avait choisi de supposer qu’il s’agissait de vrais loups.

Elle leur avait lancé un bâton pour les distraire. Celui-ci ne les avait pas touchés, mais ils avaient compris que c’était un signe d’agressivité, et de leurs lèvres sortaient en une série de grognements. Bien. On vient de passer du niveau « proie faible et facile » à « proie qui résiste ». Je vais attirer leur agressivité sur moi, alors tout ce que j’ai à faire, c’est de les emmener loin d’ici ! Elle avait ainsi couru aussi vite que possible de l’endroit où Colette était assise. Celle-ci criait : « Mitsuha, Mitsuha, Mitsuha, Mitsuha, Mitsuhaaaaaaaa ! »

Elle n’avait pas mis longtemps à se mettre à haleter. Je me lève toujours tôt, car j’ai plein de choses à faire le matin. Et je suis vite à court d’énergie, car il y a des tonnes de choses que je n’ai jamais faites. En dehors du cours de gym, mes seules séances d’entraînement étaient des matchs d’airsoft où mon frère m’a entraînée, donc je suis aussi faible que j’en ai l’air. J’ai de bons réflexes, mais je serais mauvaise dans un marathon.

Le terrain de la forêt n’était pas non plus favorable à un sprinter humain, de sorte que la bête l’avait facilement rattrapée. Il n’avait pas non plus semblé faire beaucoup d’efforts, Mitsuha s’était dit qu’il ne faisait que jouer avec elle en vue de la tuer. Seul le grand me poursuit. C’est une bonne chose, car les petits ne peuvent pas grimper à l’arbre de Colette. Ce n’était pas comme si le plus grand pouvait le faire, mais Mitsuha aurait aimé pouvoir s’en assurer en lui enlevant une de ses pattes.

Gah, je suis déjà finie ! Je dois juste m’assurer que Colette s’échappe ! pensa-t-elle. Mais un instant plus tard, elle avait fait un faux pas, elle trébucha et s’écrasa sur un arbre voisin. Si le loup grincheux n’était pas dans le tableau, il aurait été tout droit sorti d’une comédie burlesque. Ahh, je ne veux pas mourir ! Colette ! Papa ! Maman ! Frérot ! Elle paniqua, se recroquevillant sur elle-même. Alors que les crocs mortels du loup s’approchaient, divers moments de sa vie défilaient devant ses yeux.

Le sourire de Colette, les parents de Mitsuha, son grand frère… Elle l’avait adoré, car il lui avait appris toutes sortes de choses. Elle l’aimait beaucoup et pouvait toujours compter sur lui, même s’il était très… excentrique. Cela l’avait toujours ennuyée de voir à quel point il aimait utiliser les répliques qu’il tirait de romans et à quel point il avait l’air suffisant chaque fois qu’il disait la réplique parfaite au bon moment. Mais là, face à la mort, elle se demandait ce qu’il dirait dans cette situation.

À la fin, tout ce qui sortait de ses lèvres était un « FRÉROT ! » bruyant et criard.

À ce moment-là, Mitsuha avait disparu. Le loup, les mâchoires encore ouvertes, avait enfoncé sa tête dans l’arbre. Après s’être tordu de douleur pendant un moment, il s’était levé et avait bougé brusquement sa tête d’un côté à l’autre dans une confusion totale.

***

Partie 2

Avec un bruit sourd, Mitsuha tomba sur un lit. Elle s’était matérialisée de nulle part, à environ un pied au-dessus du lit, et l’endroit où elle se trouvait maintenant la laissa stupéfaite. Non pas parce qu’elle ne le connaissait pas, loin de là. Elle avait instantanément su qu’elle était dans sa propre maison. Plus précisément, elle était assise dans la chambre de son frère Tsuyoshi.

Avant même qu’elle ait pu se demander pourquoi elle s’était retrouvée dans sa chambre et non la sienne, son corps avait sauté du lit. Elle connaissait la chambre de son frère à l’intérieur et à l’extérieur. Ses jambes l’avaient amené jusqu’au bureau, et sa main s’était frayé un chemin dans le deuxième tiroir.

Hein ? C’est la chambre de Tsuyoshi, non ? Où est le loup ? Tout cela n’était qu’un rêve ? Et Colette ?, se demandait-elle, laissée loin derrière après que ses réflexes suprêmes aient pris le dessus. C’était maintenant « Spex », et non Mitsuha qui contrôlait la situation.

Chaque fois qu’elle n’avait pas le temps de réfléchir et que chaque seconde était critique, son corps passait à l’action. Elle avait couru comme une machine bien huilée alors que ses pensées s’avançaient vers le présent.

Je porte encore des chaussures, et il y a des feuilles sur mes vêtements, et je suis dans un tel état, donc… ce n’était pas un rêve ? Cela signifie que Colette est toujours… Mitsuha essaya de redresser son esprit ébranlé. Pendant ce temps, ses doigts avaient sorti un petit sac en nylon rempli de petites boulettes. Ils avaient déchiré le sac et versé le contenu dans sa poche droite. Les pastilles étaient plus lourdes qu’elles n’en avaient l’air, surtout dans ces quantités.

Ses bras avaient arraché un objet de l’une des étagères, puis l’avaient fixé à sa ceinture. C’était un lance-pierre « Falcon II ». Bien qu’il ressemblait à première vue à un jouet, il pouvait causer autant de dommages qu’un mini-révolver de calibre 22. Tsuyoshi l’avait entraînée à l’utiliser, et c’était une bonne tireuse.

Ensuite, ils avaient ouvert un étui en verre, en sortirent un magnifique morceau de métal et l’avaient mis dans sa poche. C’était un couteau, le « Gerber Folding Sportsman II ». Tandis que ses yeux tombaient dessus, Mitsuha se souvint des paroles de son frère :

« J’ai entendu dire qu’il y a un pays où chaque garçon reçoit un couteau pliant de son père le jour de ses dix ans. Sa forme est élégante ! Son métal est scintillant ! C’est l’aura menaçante que seules les vraies armes ont ! »

Il avait dit que c’était ce qu’il avait de mieux depuis le pain tranché, mais en fait, c’était un couteau pliant assez standard.

Les jambes de Mitsuha l’avaient portée dans les escaliers et dans la cuisine. Ses mains prirent à nouveau le relais, tirant un couteau à découper d’un tiroir près de l’évier. Les couteaux à sashimi étaient plus tranchants et plus longs, mais ils n’auraient probablement pas pu passer à travers la peau de loup sans se casser, donc les couteaux à découper étaient le choix le plus fiable. Après que la lame ait été enveloppée dans un chiffon pour des raisons de sécurité, elle avait été fixée sur sa ceinture. Ses mains dignes de confiance avaient alors saisi un torchon de cuisine d’un mètre de long, l’avaient plié et l’avaient posé sur le sol. Après l’avoir rempli d’épices comme du poivre, du shichimi et du chili, elles l’avaient enroulé et l’avaient mis dans sa poche gauche.

Comment suis-je arrivé ici depuis les bois ? Non, oublie ça, maintenant je dois sauver Colette ! Mais comment ? Attends, j’appelais mon frère et j’ai fini dans sa chambre. Est-ce que ça veut dire que je peux me transporter dans les endroits que je souhaite ? Dans ce cas, j’ai besoin de quelque chose qui puisse tuer les loups.

Mais il était trop tard, son corps avait déjà fait le travail. Avant que Mitsuha ne s’en rende compte, elle avait fini de préparer tout ce dont elle pensait avoir besoin. Après s’être assurée que ses réflexes n’avaient pas faibli ou manqué quelque chose d’important, elle avait finalement repris ses pensées. Mitsuha avait appelé cette phase « Reconnaissance ».

Puis-je vraiment y retourner ? Non, devrais-je y retourner ? Est-ce que ces armes seront suffisantes contre ces loups ? Je pourrais mourir pour de bon cette fois ! Je suis de retour au Japon, saine et sauve ! Pourquoi devrais-je y aller !? Quelle raison ai-je !? Soudainement, Mitsuha se souvint de nouveau de son frère et se demanda ce qu’il dirait de tout cela.

Elle s’était rendu compte qu’elle avait commis une erreur, mais c’était trop tard, ses mots trop rauques résonnaient déjà dans sa tête.

« Chère sœur, as-tu vraiment besoin d’une raison pour sauver une jolie fille en difficulté ? »

D’accord, d’accord, tu marques un point ! Bon sang, mon frère. Tu es bruyant, et tu es un vrai emmerdeur… Mais je t’aime toujours, bon sang !

Mitsuha réapparut dans la forêt et se cogna immédiatement le front contre un arbre. On était loin d’un retour en douceur. En regardant autour d’elle, elle n’avait vu aucun signe de son assaillant canin. Il avait dû retourner vers Colette, donc le temps était compté. Comme il n’y avait pas non plus de vent, il fallait donc faire attention à ne pas faire trop de bruit. Colette va toujours bien, j’en suis sûr. Ils ne peuvent pas grimper à cet arbre, n’est-ce pas ?

Elle était retournée à l’endroit où elle avait laissé Colette, ignorant le museau pointu qui lui léchait la peau. Il lui avait fallu néanmoins plus de temps pour parcourir la distance qu’elle ne l’avait fait lors de sa diversion initiale. Une fois arrivée, elle s’était cachée derrière un arbre voisin. Les quatre loups aboyaient sur Colette. Elle avait l’air terrifiée, mais indemne. Mitsuha avait sorti le couteau pliant de sa poche, déplia la lame et la fixa soigneusement dans sa ceinture. Elle avait ensuite pris le lance-pierre dans sa main gauche et s’était servie de sa droite pour préparer des balles.

Ces balles étaient faites d’acier, ce qui était un peu inhabituel étant donné que le plomb était la norme pour les balles de lance-pierres. Selon Tsuyoshi :

« Celles-ci sont bon marché et faciles à produire en série, ce qui les rend parfaites pour l’airsoft. De plus, elles sont lourdes, mais pas assez dures pour rebondir, ce qui veut dire qu’elles piquent comme l’enfer. Mais ces bébés sont en acier ! Tire dessus de près et tu perceras ta cible. C’est la munition la plus virile qui soit ! »

Mitsuha avait des pastilles d’acier, mais comme elle était face à des bêtes ayant une peau épaisse, elle s’était rangée du côté de l’avis fervent de son frère. Chargeant une balle d’acier dans le lance-pierre, elle avait pointé son arme vers l’avant et avait tiré la balle aussi loin qu’elle le pouvait. Mitsuha pouvait sembler faible de l’extérieur, mais cela n’était dû qu’à sa taille. Elle était assez forte pour tirer le caoutchouc tendu, sa seule limite réelle était la portée.

Bien sûr, cela signifiait que ses tirs seraient plus faibles que, disons, ceux de Tsuyoshi. Elle aurait probablement dû frapper un point faible pour abattre le loup adulte, et ne pouvait qu’espérer que ses petits ne soient pas aussi résistants. Tsuyoshi possédait également une arbalète, mais elle ne l’avait jamais utilisée auparavant, et son rechargement devait probablement prendre beaucoup de temps. Donc, elle — ou Spex, peut-être — avait choisi de ne pas le prendre.

Mitsuha avait fait de son mieux pour viser soigneusement, mais ses mains tremblaient tellement qu’elle avait choisi de lâcher prise. Elle entendit le sifflement de la pastille qui volait dans l’air, puis un cri strident. L’un des enfants loup s’effondra.

L’ai-je touché à la tête ? Il n’y a pas de muscles à cet endroit, donc je suppose que cela lui a percé le crâne ou du moins lui a causé une commotion cérébrale.

Son coup était en fait destiné à l’adulte. Après tout, c’était la plus grande menace présente, alors elle voulait au moins l’affaiblir. D’un autre côté, en abattre un était suffisant. C’était bien mieux que de disparaître, en tout cas. Le grand loup n’avait aucune idée de la raison pour laquelle sa progéniture s’était effondrée, alors il courut auprès de lui, complètement perplexe. Oui, c’est toujours mon tour !

Mitsuha avait soigneusement préparé et tiré une deuxième balle. Celle-ci avait frappé l’adulte, mais seulement sur sa cuisse droite. L’animal n’avait pas du tout souffert et, bien sûr, la bête maintenant en état d’alerte avait les yeux rivés sur elle. Si le regard pouvait tuer, alors cela l’aurait tuée sur le coup. Les jeunes loups remarquèrent où l’adulte — probablement leur mère — regardait et se précipita vers elle. Leur maman avait l’air déconcertée pendant une seconde, puis elle s’était contentée de se tenir sur place, ce qui avait permis à ses petits d’aller se faire tuer. Elle pensait toujours que Mitsuha était une enfant sans défense.

Mitsuha avait rapidement tiré une troisième balle. Celui-là n’avait rien touché. On ne peut pas s’attendre à faire mouche à tous les coups. Elle avait claqué la langue avec frustration alors qu’elle préparait son quatrième tir, probablement le dernier avant qu’ils ne soient trop proches d’elle. Elle sentait qu’elle commençait à paniquer, mais la distance qu’ils avaient avec elle rendait son dernier tir plus précis et plus puissant. Smack ! L’un des deux petits restants s’était effondré. Elle l’avait touché à la gorge, un vrai point faible.

Sans même jeter un coup d’œil à son frère décédé, le dernier petit sauta au niveau des yeux. Mitsuha avait déjà jeté le lance-pierre, arraché le couteau de sa ceinture et déballé la serviette. Dotée d’une excellente vision dynamique et de bons réflexes, Mitsuha n’avait eu aucun problème à éviter le jeune loup inexpérimenté qui s’approchait d’elle. Après l’avoir fait, elle avait frappé avec son couteau et l’avait tranché au niveau du cou, l’envoyant au sol comme les deux autres. Et puis…

« AWOOOOOOOOOOO ! »

Un hurlement glaçant le sang avait résonné dans la forêt. Ses enfants avaient été tués, tous les trois. Même s’ils respiraient encore, le destin cruel n’avait montré aucune pitié pour les bêtes ayant des blessures aussi graves. Ses chers enfants, qui lui avaient été donnés par ce fort et robuste mâle alpha. Elle avait travaillé si dur pour les élever, et ils étaient si près de l’âge adulte, mais maintenant elle les avait perdus à cause d’une proie sans griffes, sans dents et sans poils.

Haine. Haine. Haine. Haine. Tuer. Tuer. Tuer. TUER, c’était tout ce qui se passait dans l’esprit de la mère loup lorsqu’elle fonçait vers Mitsuha.

La voilà qui arrive ! Mais elle s’était préparée. Elle avait en quelque sorte éliminé les jeunes, mais cela ne lui avait donné le droit qu’à un combat contre le boss. Les enfants loups étaient inexpérimentés, mais celle-ci ne l’était pas. Il ne serait pas facile de la piéger, et Mitsuha était une humaine au corps mou qui n’aurait aucune chance contre elle dans une bagarre en tête-à-tête, alors il n’y avait qu’une seule chose qu’elle pouvait faire.

Pendant que le loup chargeait, Mitsuha fixa sa prise sur le couteau dans sa main droite et mit sa main gauche dans sa poche. Un mètre 50 centimètres… un mètre… 50 centimètres… Maintenant ! Elle avait balancé sa main gauche tout en sautant vers la gauche.

« GROAAAH ! »

Le loup avait gémi et il retomba sur le sol, entouré d’un nuage d’épices. Avec leurs sens super aiguisés, les animaux sauvages ne pouvaient probablement pas supporter tout ce poivre et ce chili ! Même Mitsuha était en mauvais état, avec du liquide jaillissant de ses yeux et de ses narines.

Mais elle devait utiliser cette chance si elle voulait gagner. Luttant contre la douleur dans les yeux, le nez et la gorge, elle leva le couteau à découper et se lança sur le loup. Malheureusement, les vrais animaux sauvages avaient été bâtis pour résister aux attaques humaines. Même s’il ne pouvait ni voir ni sentir, un loup mature n’était pas assez faible pour laisser sa proie l’abattre sans se battre. Elle grinçait des dents et frappait avec ses griffes.

Mitsuha ne voyait pas un moyen sûr de s’approcher sans qu’il la griffe ou la mordille, mais elle ne pouvait pas perdre trop de temps, car l’avantage qu’elle avait obtenu de sa bombe à épices s’amenuisait chaque seconde.

Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que mon frère fer-oh, pas maintenant ! Elle avait essayé de lutter contre l’envie, mais c’était sans espoir, elle imaginait déjà ce que son frère allait faire.

Comme toujours, son cerveau avait sélectionné les bonnes pièces dans les archives « Mais que dirait Tsuyoshi ? »

« Une personne vraiment forte est férocement fière et a le courage de le montrer »

Sa voix avait résonné dans sa tête, suivie d’un :

« Sais-tu que les loups ne peuvent pas fermer leur bouche s’ils ont quelque chose coincé dans la gorge ? »

Ça semblait un fait si inutile à savoir. Jusqu’à maintenant, bien sûr !

T’as pas intérêt à t’en prendre à moi, mon frère ! Si je perds mon bras, c’est de ta faute ! Merde, à quoi je pense !?

« Pourquoi s’inquiéter de perdre un bras ou une jambe ? Tu n’as pas vu de films où les gens remplacent leurs membres par des tronçonneuses ou des mitrailleuses ? Des bras et des jambes en métal ! »

GAH ! Tu vis vraiment dans ma tête, n’est-ce pas !? Même la mort ne t’empêche pas d’être un emmerdeur ! Bon peu importe.

Mitsuha avait sauté sur le loup. Venir de l’arrière avait semblé être son meilleur choix, mais il l’avait remarquée et il avait montré ses crocs à son égard. Elle avait balancé le couteau à découper et avait évité tout dommage, puis elle l’avait attaqué. Elle était maintenant sur son dos, s’accrochant de toutes ses forces. Il ne pouvait pas l’attaquer avec ses membres dans cette position, et il ne pouvait pas tourner sa tête assez pour mordre — attends, il peut le faire !? Je ne savais pas que les cous de loup pouvaient se tordre comme ça !

Sans autre choix, elle avait fait le pari de sa vie et avait enfoncé son bras gauche profondément, profondément dans la bouche du loup.

« GEH ! »

Le loup étouffa, referma ses crocs sur le bras de Mitsuha pendant qu’il essayait frénétiquement de serrer ses mâchoires. L’humain s’accrochait à un loup, le loup avait l’humain sur lui, mais leur bataille ne faisait que commencer.

Alors qu’elle saisissait le corps du loup, Mitsuha perdit son couteau à découper. Mais malgré tout ce chaos, grâce à un miracle, elle avait toujours une arme sur elle, la belle lame que son défunt frère avait si chèrement aimée.

« G-GERBER FOLDING SPORTSMAN TWOOOOOOOO! »

Elle avait crié le nom de mémoire — elle pensait que cela lui aurait plu — car elle l’avait pris dans le revers.

Poignarder ! Poignarder ! Poignarder ! Poignarder !

C’était un petit couteau dans les mains d’une fille faible. La lame n’était pas allée en profondeur, mais s’était enfoncée suffisamment pour percer la peau et causer des dommages décents. Mitsuha avait largement dépassé ses limites maintenant, au-delà de toute montée d’adrénaline. Elle était à peine consciente et son sens de la prudence l’avait quittée depuis longtemps. Ses jambes tenaient le loup dans un étau écrasant, et avec son bras gauche dans la gueule de la bête, elle était à peu près fixée dans cette position.

Poignarder ! Poignarder ! Poignarder ! Poignarder !

J’ai mal au bras.

Poignarder ! Poignarder ! Poignarder ! Poignarder !

Je ne sens plus ma main.

Poignarder ! Poignarder ! Poignarder ! Poignarder !

Il fait sombre. Quand le soleil s’est-il couché ?

Poignarder ! Poignarder ! Poignarder ! Poignarder !

Frère… Où es-tu ? Où es-tu ?

Le loup s’était battu et s’était débattu, mais n’avait pas réussi à s’en débarrasser. La petite taille et la légèreté de la jeune fille avaient joué en sa faveur. Le bras dans sa bouche l’empêchait de respirer, sans parler des coups de couteau. Il ne pouvait pas rassembler autant de force qu’avant et sentait que quelque chose d’important sortait de son corps. Si le loup avait été capable de penser humainement, il aurait perdu la tête à cause de la panique.

C’est quoi ce truc sur moi ? Une proie ? Non ! C’est autre chose ! C’est dégoûtant ! Effrayant ! Qu’est-ce que c’est que ça !? Qu’est-ce qui se passe !? Non, non, non, non ! À l’aide ! Aide —

Peu de temps après, tout était silencieux, et rien ne bougeait. Non, deux des jeunes loups respiraient encore, mais c’était tout. Finalement, on entendit le bruit d’une petite fille qui descendait d’un arbre. Elle avait regardé d’un côté à l’autre et avait remarqué quelque chose qui l’avait rendue haletante.

C’était un loup et une fille, couchés par terre si près l’un de l’autre qu’ils étaient comme enlacés. Le sang sur la bête et le bras de la fille, qui était logé dans la bouche du loup, était suffisant pour supposer que le combat avait été fatal. La fille de l’arbre avait rapidement couru vers eux et avait vérifié si l’autre fille avait un pouls et d’autres blessures, et elle avait été soulagée de constater que son état était stable. Elle avait ensuite ramassé une lame en forme de couteau qui se trouvait à proximité, avait tué les jeunes loups qui respiraient encore et s’était enfuie au village.

Prudente et impitoyable, c’était à quoi ressemblait Colette.

***

Chapitre 3 : Le royaume de l’ambition

« Quel plafond vide », murmura Mitsuha.

Et j’essaie de faire le maximum pour m’en souvenir.

« Tu comprends ce que je dis, mon petit ? »

Euh, bien sûr, merci beaucoup. Et ne m’appelle pas petit !

« Tu comprends ce que je dis, mon petit ? »

Oh, donc c’est comme l’un de ces jeux merdiques connus pour ne pas vous laisser faire de progrès jusqu’à ce que vous disiez « oui ».

« Tu comprends ce que je dis, mon petit ? »

« Ouais, ouais ! Je comprends, c’est bon pour toi !? »

« Un seul “oui” aurait suffi, mon petit. »

La ferme ! Et arrête de m’appeler petit !

Mitsuha pensait que cela ne servirait à rien de répondre à une voix désincarnée si ce n’était qu’un rêve. Après tout ce qu’elle avait traversé, elle s’était dit qu’il était tout aussi possible que ce soit la réalité. Après tout, si c’est un rêve, je n’aurais alors rien à craindre. Mais si ce n’était pas le cas, et que je le traitais comme tel ? Oups.

« Umm, je suis Mitsuha Yamano. Et toi ? Es-tu Dieu ? »

« Hmm… Curieusement, tu n’as pas l’air surprise. Peu importe. Je suis ici devant toi pour te dire quelque chose de très important. Mais pour commencer, je ne suis pas un dieu, et je n’ai pas de nom… »

La « chose » avait ensuite révélé l’histoire de son évolution. Il savait seulement qu’il s’agissait d’une forme de vie ancienne et extrêmement rare. La « chose » avait théorisé que ses ancêtres aient été des créatures extraterrestres qui avaient évolué au-delà de la forme physique et étaient devenues des êtres faits d’énergie pure, ou de pensées, ou quelque chose de cette nature. Il n’avait pas de corps, ne connaissait pas la mort, et n’avait pas de désirs ou d’objectifs.

Honnêtement, son existence semble plutôt inutile, pensa Mitsuha.

Mais après des siècles de dérive sans but, l’être avait fait une découverte remarquable — il avait le pouvoir de voyager entre les mondes ! Armé de cette nouvelle capacité, il avait acquis son tout premier désir : un intérêt à apprendre des choses qu’il n’avait jamais connues auparavant… Une soif de connaissance ! Sa conscience avait tremblé dans l’attente d’avoir trouvé un sens à son existence.

« Ouais, ouais, va directement à l’essentiel », interrompit Mitsuha.

« Encore une fois, un simple “oui” aurait suffi. »

Quoi qu’il en soit… La « chose » avait parcouru et observé d’innombrables mondes et avait appris à connaître le concept de « plaisir ». Mais un jour fatidique, alors qu’il flottait au-dessus d’un certain monde, il avait soudainement été assailli par une sensation intense, désagréable et déroutante. Plus tard, il s’était rendu compte qu’il aurait pu endurer ce que les animaux au corps physique appelaient la « douleur ». L’expérience était tout à fait nouvelle, donc elle était intrigante, mais il se sentait aussi perplexe quant à la façon dont un être non physique pouvait ressentir la douleur.

La « chose » s’était interrogée en elle-même pour trouver une explication, et avait découvert qu’il manquait une partie de lui-même. L’agresseur inconnu était entré dans sa zone d’influence — l’équivalent d’un corps pour les formes de vie normale — et avait utilisé une puissante énergie mentale pour lui arracher une partie de son essence. L’assaillant avait ensuite voyagé dans un autre monde, mais l’arrivée de la « douleur » dans son être l’avait rendu confus et incapable de le suivre. Il avait continué à observer le monde jusqu’à ce qu’il sente que la partie manquante était à proximité. Lorsqu’il avait senti que la présence se déplaçait à nouveau dans un autre monde, la « chose » avait finalement pu le suivre.

« Hein ? C’est moi qui ai fait ça ? »

« En effet, il semblerait que cela soit le cas. Mais n’aie crainte… Je ne t’en voudrai pas pour ça. Il semblerait que l’événement ait été accidentel, et cela ne m’a pas incommodé. En fait, je pense que je devrais te remercier de m’avoir fait connaître la “douleur”. C’était tout nouveau pour moi. »

Ouf, quel soulagement ! Je pensais qu’il allait me demander de payer ses frais médicaux ou quelque chose comme ça.

« Alors, qu’est-ce que tu voulais me dire ? », demanda-t-elle.

« Oh, oui… J’ai omis de le dire. Il semblerait que ton esprit porte une telle force et intensité alors que tu as absorbé la fraction de mon énergie que tu as arrachée. »

« Hein !? Est-ce si grave que ça ? »

« Ne t’inquiète pas. Cela ne te fera aucun mal, ni au niveau physique ni au niveau mental. Cependant… »

« C-Cependant ? »

« Il semblerait que tu as acquis la capacité de voyager entre les mondes. »

HUUUUUUH !? Attendez, c’était donc ce qui s’était passé !

Mitsuha avait arraché une partie de la « chose » et avait ainsi acquis le pouvoir de voyager entre les mondes. Et à cause de son fort désir de survivre à sa chute, elle avait été propulsée dans un autre monde, emportant une partie de la « chose » avec elle. Apparemment, c’était le dernier monde que la « chose » avait visité avant la Terre. De plus, le fragment avait maintenant fusionné avec Mitsuha à tel point qu’essayer de l’enlever causerait des dommages irréparables. Ouais, je pense que je vais rester comme ça, merci !

« En fait, t’expliquer la situation et te parler de ton pouvoir n’était qu’une façon d’exprimer ma gratitude. S’il y a autre chose que tu désires ou que tu veuilles simplement savoir, alors parle. La partie de moi en toi a la capacité de te donner plus de pouvoirs. »

Tout ce que je veux, hein ? Eh bien, je… Ah !

« Pourrais-tu m’apprendre de nouvelles langues ? »

« Les langues, dis-tu ? C’est effectivement une chose importante quand on voyage entre les mondes… Très bien, très bien. Je te permettrai de comprendre et de parler les langues de ceux avec qui tu échangeras. N’oublie pas que cela se limite à la langue. Je te déconseille de chercher le pouvoir d’absorber la connaissance au-delà de cela. Le montant que tu pourrais acquérir serait trop élevé pour ton esprit faible. En plus, avoir la capacité de lire absolument n’importe quoi en réduirait l’intérêt. »

J’ai de la place dans ma tête ! Je ne suis pas stupide, bon sang ! Mitsuha s’écria intérieurement.

Néanmoins, l’être supérieur avait un but, alors elle sentait qu’il valait mieux l’écouter.

« Faisons comme ça, alors. Au fait, est-ce que le fait de se déplacer d’un monde à l’autre demande de l’endurance ou quelque chose comme ça ? Quels sont les coûts et les limites ? »

« Un coût ? Eh bien… Le fardeau que cela t’imposera ressemblera à un déplacement entre des pièces adjacentes. Répéter ce déplacement plusieurs centaines de fois te laissera assez fatigué et à bout de souffle. »

Ohh Eh bien, c’est vrai que passer d’une pièce à l’autre une centaine de fois serait épuisant — Attends, est-ce tout !!?

« D’autres questions ou demandes ? »

« Hmm, je ne pense pas… »

« Un tel manque de désir. Il y a encore de la place pour un autre pouvoir, alors permets-moi au moins de t’offrir une fonction réparatrice. »

« Des détails, s’il te plaît. »

« Elle sera faible, et donc lente, mais cela cicatrisera graduellement toutes les blessures que tu auras obtenues. Avec le temps, les membres perdus repousseront et les cicatrices disparaîtront comme si elles n’avaient jamais existé. Pense aux blessures sur ton bras gauche. Ils laisseront une marque, non ? »

Wôw ! Ça m’aiderait beaucoup ! C’est vraiment incroyable !

« J’aimerais bien obtenir un tel pouvoir de guérison, alors, s’il te plaît ! »

« Certainement. Je suis bien conscient qu’une longue vie avec des déficiences physiques est difficile. Ce n’est pas du tout un problème, et ça ne prendra qu’un instant. »

« Hehehehe ! »

« J’ai l’impression que ton attitude envers moi a changé. »

L’être avait exercé sur Mitsuha une puissance invisible et s’était ensuite préparé à partir.

« Je reviendrai te voir quand cette planète aura tourné quelques dizaines de milliers de fois. Sois en bonne santé d’ici là. »

Ce furent ses derniers mots, et il avait fallu quelques secondes à Mitsuha pour réaliser qu’il parlait de centaines d’années. Je serai morte d’ici là ! Ou est-ce que ça voulait dire autour du soleil ? Mais je serai morte de toute façon… Sa conversation avec la « chose » avait en fait été une sorte d’interférence directe dans son cerveau, et une fois qu’il était parti, elle s’était automatiquement endormie. Alors que sa conscience s’évanouissait, elle avait enfin fini par comprendre quelque chose.

« Je ne suis donc pas morte… »

◇ ◇ ◇

Je reconnais ce plafond, s’exclama Mitsuha à sa façon habituelle. Le lit aussi. Et il y a Colette, la gentille petite fille qui dort sur mes jambes. Alors, ses parents m’ont fait revenir ici, hein ? J’espère que ce n’est pas une tendance. Oh, je suis couverte d’une sorte de pansements. Ça a dû leur coûter de l’argent… Je suis désolée. Quel que soit son sentiment, il était temps pour elle de penser à ce qui allait suivre.

Ce qu’elle avait supposé être un village dans un pays en développement faisait vraiment partie d’un monde totalement différent — un monde qui était loin derrière la Terre en termes de technologie et de civilisation. Elle avait également acquis le pouvoir de voyager librement entre ce monde et la Terre.

OUAIS, JACKPOT ! Maintenant, je n’ai plus à me soucier du travail, de l’université ou de quoi que ce soit d’autre ! Ce monde doit être plein d’or et de bijoux et de toutes sortes de choses qui rapporteront de l’argent sur Terre… et les choses de la Terre pourraient valoir une fortune ici. Si j’en apportais et le vendais, je serais riche !

Mais encore une fois, si Mitsuha en faisait trop, elle risquerait de nuire au développement de l’autre monde. Si j’apportais quelque chose de trop avancé et que je le rendais populaire, tout ce qui s’y rapporte finirait par s’effondrer, parce que les fondations ne seraient pas là. Et si j’apportais quelque chose de concret, je pourrais faire effondrer l’économie ou détruire certaines industries, ce qui coûterait des emplois aux gens et les pousserait au suicide, ou peut-être même qu’ils formeraient des foules haineuses !

Elle avait aussi exclu les choses qui dépendraient tellement d’elle que les abandonner provoquerait le chaos. Les choses super influentes qui sont centrées autour de mon existence, ce sera un non franc et massif. Une autre chose qu’elle devait garder à l’esprit était que si elle attirait trop l’attention, elle pourrait être ciblée. Je dois garder les choses secrètes jusqu’à ce que j’aie trouvé du renfort. Bien sûr, elle pourrait toujours s’échapper sur Terre, mais ce ne serait qu’en dernier recours.

Et bien que la manière de pensée de Mitsuha était un peu inhabituelle, elle avait toujours été une jeune femme bien élevée et sincère. Cette attitude lui avait permis de se faire beaucoup d’amis qui l’aimaient encore beaucoup, même s’ils s’étaient éloignés à cause du travail ou de l’université. Parce qu’elle avait une telle personnalité, Mitsuha avait décidé de gagner de l’argent avec ses nouveaux pouvoirs sans déranger personne d’autre.

Mitsuha était en fait très prudente, bien que cette qualité ait souvent surpris les amis qui pensaient qu’elle n’était qu’un danger public. Elle n’hésitait pas à prendre des initiatives risquées chaque fois que c’était nécessaire, mais elle n’avait jamais pris de tels risques quand ce n’était pas le cas. C’était probablement parce qu’elle avait grandi en admirant son frère.

Quoi qu’il en soit, Mitsuha considérait que son aptitude à changer de monde pourrait disparaître un jour. Bien qu’elle ait trouvé cela peu probable, elle ne pensait pas que cela soit impossible, et elle avait donc fait ses plans en gardant cela à l’esprit. Elle établirait une base à la fois dans ce monde et sur Terre et gagnerait assez d’argent pour vivre confortablement de part et d’autre. Elle avait décidé de gagner un milliard de yens (huit millions d’euros) dans chaque monde, pour un total de deux milliards de yens (soit 16 millions d’euros).

C’était la somme que Mitsuha avait calculée afin de pouvoir vivre confortablement jusqu’à son centième anniversaire, même si l’économie devenait turbulente. Elle ne vivrait pas dans le luxe, mais un revenu annuel de vingt millions de yens (160 000 euros) était plus que suffisant pour elle. Au-delà de cela, ses gains n’auraient pas beaucoup d’importance. Elle pouvait simplement s’asseoir et faire quelque chose qu’elle aimait, comme écrire des livres ou vendre de l’artisanat fait main, même si cela ne lui rapportait pas beaucoup d’argent.

Je ne sais pas si c’est un royaume, un empire ou une république, mais je vais accumuler deux milliards et devenir une GAGNANTE À VIE ! BWAHAHAHA ! BWAAAAHAHAHAHAHA !

Ce fut la naissance de son ambition.

***

Chapitre 4 : Préparation

Partie 1

Colette s’était réveillée peu après Mitsuha, et le chaos s’en était suivi. Elle avait poussé un gémissement et s’était lancée sur Mitsuha, et bien trop rapidement pour que la fille plus âgée puisse éviter son câlin d’ours. Mitsuha avait gémi, puis commença à frapper sur son épaule dans une tentative désespérée pour signaler sa reddition. Les parents de Colette, en entendant le vacarme, s’étaient précipités dans la pièce.

« Stop, stooop ! Aïe, ça fait mal ! Tu es en train de me briser ! », cria Mitsuha.

Colette finit par lâcher prise.

« M-Mitsuha ! Tes mots ! », répondit Colette en état de choc.

Ses parents avaient l’air tout aussi abasourdis. Heureusement, Mitsuha avait déjà trouvé une explication.

« Tout d’abord, merci pour tout ce que tu as fait pour moi, Colette. En fait, j’ai appris ta langue dans mon pays. Je ne pouvais pas le parler parce que j’avais perdu la mémoire. Mais tout à l’heure, tout m’est revenu. »

« Vraiment ? Je suis si heureuse, Mitsuha ! »

Tout en pleurant fort, Colette s’accrocha de nouveau à Mitsuha. Ses parents hochèrent la tête, les yeux pleins de larmes. Ce sont des gens si gentils, pensa Mitsuha, toute souriante. Lorsque Colette s’était finalement calmée, Mitsuha avait décidé qu’il était temps de recueillir des informations.

Parce qu’elle venait d’un autre monde, Mitsuha devait être prudente lorsqu’elle parlait d’elle-même. C’était pour cette raison qu’elle avait inventé sa propre histoire : elle venait d’un pays lointain, et pour des raisons que l’on avait commodément dissimulées, elle avait traversé la mer et était venue sur ce continent. Elle avait délibérément choisi de dire « ce continent » plutôt que « ce pays », pour autant qu’elle le sache, leur région actuelle aurait pu être enclavée. Mitsuha et son groupe avaient été séparés lors d’une attaque par des bêtes sauvages, mais sinon elle ne se souvenait de pas grand-chose, seulement qu’elle s’était retrouvée dans la maison de Colette au moment où elle se réveillait.

Mitsuha ne connaissait pas non plus le système de caste de ce monde, alors elle avait évité d’utiliser le mot « noble », mais elle les avait tout de même amenés à croire qu’elle était une membre de haut rang de la société. Son choix était un peu risqué, car pour le dire de manière simple, les relations entre la noblesse et les roturiers n’étaient pas toujours bonnes, ce qui aurait pu être perturbant pour Colette et sa famille. Heureusement, ils ne semblaient pas s’en soucier.

En toute honnêteté, c’était logique, s’était dit Mitsuha. Les vêtements qu’ils m’avaient trouvés n’étaient pas du tout ceux d’un fermier, alors ils ont probablement pensé que c’était quelque chose comme ça. Sinon, il se pourrait peut-être qu’ils ne soient en conflit qu’avec la noblesse locale, et qu’ils ne se soucient pas du tout des nobles étrangers. Ou alors ils ne comprennent rien du tout, si vous voyez ce que je veux dire.

Une fois son histoire terminée, c’était au tour de Mitsuha de poser des questions sur sa situation. Je vais avoir toutes les infos dont j’ai besoin et plus encore ! Elle avait découvert qu’elle avait été inconsciente durant cinq jours. Près d’une semaine… Elle ne pouvait pas reprocher à Colette de s’inquiéter. Mitsuha n’avait aucune idée si c’était dû à l’épuisement et au choc ou si cela avait quelque chose à voir avec ce que la « chose » lui avait fait, mais elle ne se souciait pas vraiment des deux. De plus, ils n’avaient pas oublié de récupérer ses possessions — couteaux, lance-pierres et tout le reste. Comme c’est gentil.

De toute façon, les bêtes qu’ils avaient rencontrées étaient, en fait, des loups. Les villageois avaient rassemblé les cadavres et les avaient réduits en crocs, en fourrure et en viande, ne laissant pas une seule partie se perdre. Ils avaient fendu et mangé la viande, parce qu’elle aurait pourri autrement, mais les crocs et la fourrure n’avaient pas encore été utilisés. Il s’était avéré qu’ils avaient été mis de côté pour Mitsuha, avec un peu d’argent pour la viande. Aww, c’est si doux que ça va me donner des caries ! pensa-t-elle. Mais vu qu’ils croyaient tous qu’elle était sans le sou et qu’ils voulaient lui faire une faveur, il aurait été impoli de sa part de ne pas accepter. Je vais demander à quelqu’un de m’acheter les crocs et la fourrure.

Les villageois étaient extrêmement reconnaissants qu’elle a pu se débarrasser des loups avant qu’ils ne puissent blesser quelqu’un. C’était logique, surtout si l’on considérait que les animaux auraient pu facilement tuer l’une des femmes ou l’un des enfants du village. Colette, par exemple, n’aurait pas eu la moindre chance si elle avait été coincée seule. Mais Mitsuha n’était pas sûre d’avoir tué tous les loups. Ce sont des animaux de meute, n’est-ce pas ? Et vu que c’était une mère louve avec ses petits, il devrait donc y avoir un père aussi, non ?

Elle n’était pas encore convaincue que l’endroit était sûr, mais si les gens du coin le pensaient, elle n’allait pas les contrarier. Les loups d’ici étaient peut-être différents de ceux qu’elle connaissait. Peut-être qu’il était normal que les mères loups de la région emmènent leurs petits en voyage d’entraînement, ou peut-être qu’elle avait eu une séparation difficile et qu’elle ramenait les enfants dans la tanière de ses parents. Peu importe, ça n’a pas d’importance à ce stade, conclut-elle.

Une fois qu’elle avait été amenée ici, Mitsuha avait posé toutes sortes de questions sur le pays dans lequel elle se trouvait : combien valait la monnaie, qu’elle était la ville la plus proche, la capitale, son niveau de développement, etc. — bien sûr elle ne posait pas directement les questions — . Les paysans ne savaient pas grand-chose, évidemment, mais elle était satisfaite d’obtenir environ la moitié des connaissances que les paysans connaissaient par cœur. Quand elle avait terminé, elle avait une autre question qu’elle voulait vraiment poser, mais qu’elle ne pouvait pas faire : Comment se fait-il que Colette en sache plus que ses parents !?

Le troisième jour après son réveil, Mitsuha était allée à l’encontre des objections de sa petite gardienne et s’était promenée seule. Selon les villageois, lorsqu’ils l’avaient amenée des bois, elle était dans un état si terrible que Colette avait été complètement folle de rage. Mais ses blessures apparemment graves avaient guéri depuis, et maintenant on ne voyait qu’un petit bleu sur Mitsuha.

Pourtant, persuader Colette de la laisser partir seule s’était avéré être un défi. Elle avait donné plus de raisons que vous ne pouviez l’imaginer. Ce voyage solitaire était absolument positivement nécessaire pour Mitsuha. Finalement, Colette s’était repliée et était allée chercher du fourrage, même si elle avait jeté un coup d’œil en arrière au moins une douzaine de fois. Après sa disparition, Mitsuha avait vérifié si elle était vraiment seule, puis elle retourna chez elle sur Terre.

Whoa, j’ai manqué tellement d’appels, dit-elle en regardant son téléphone. Eh bien, je ne pouvais pas répondre. Tout le monde doit être mort d’inquiétude… Il vaut mieux que je leur réponde à tous.

Après ça, Mitsuha avait vérifié la boîte aux lettres. Ses factures étant toutes payées automatiquement, il n’y avait donc pas de problème. Elle s’était également rendue au poste de police local pour leur faire savoir qu’elle était saine et sauve. Ils l’avaient beaucoup aidée quand elle traitait avec son oncle et les délinquants qui essayaient de s’en prendre à son argent. Elle voulait apaiser les inquiétudes qu’ils auraient pu avoir au sujet de sa récente disparition.

Ensuite, elle avait apprécié en prenant son premier bain depuis longtemps, elle mit aussi des vêtements propres et s’était occupée de quelques autres tâches diverses. Elle ne pouvait pas laver les vêtements qu’elle portait, car cela risquerait de paraître étrangement propre, alors elle les avait laissés dans leur état actuel. Elle les enfilerait de nouveau quand elle retournerait dans l’autre monde. Il n’y avait pas non plus de raison d’aller faire du shopping puisqu’elle ne pouvait rien apporter à la maison de Colette. Tout ce qu’elle avait quand Colette l’avait trouvée, c’était un sac à bandoulière bon marché contenant un parapluie pliable, des mouchoirs en papier et un sac à provisions jetable. Patience, Mitsuha… Tu emporteras beaucoup de choses une fois que tu auras quitté le village.

Elle avait terminé ses affaires terrestres et était retournée au village bien avant le soir, mais Colette l’avait quand même interrogée sur ce qu’elle avait fait et où elle était allée. C’est quoi le problème, elle est revenue beaucoup trop vite ! Je suppose qu’elle s’est précipitée parce qu’elle s’inquiétait pour moi.

Mitsuha était tellement occupée à passer d’un monde à l’autre et à ses plans pour devenir riche qu’elle avait complètement oublié les hommes qui l’avaient approchée sur la falaise. Au moment où ils avaient poussé Mitsuha dans le vide, elle avait crié si fort que les couples voisins l’avaient vu tomber. Ils voulaient éviter d’être impliqués tant que les délinquants ne faisaient que la draguer, mais ils ne pouvaient ignorer un meurtre.

Après la chute de Mitsuha, la jeune fille du jeune couple avait poussé un cri strident, son petit ami avait pris des photos des auteurs, le vieil homme avait appelé la police, et sa femme avait pris des photos de leur voiture. C’était un travail d’équipe impressionnant. Les voyous avaient paniqué, criant que ce n’était pas de leur faute et d’autres bêtises de ce genre, puis ils avaient sauté dans leur voiture et ils s’étaient échappés. Mais avec tous les témoins et les photos, ils n’avaient pas mis longtemps à se faire prendre et arrêter. Tout le monde pensait que l’affaire était close.

Mais il s’était rapidement heurté à un mur parce qu’ils n’avaient pas pu trouver le corps de la victime. La police avait même vérifié tous les dossiers locaux à la recherche d’une personne disparue, mais n’avait trouvé personne qui correspondait à la description. Cela s’expliquait en partie par le fait que la victime était décrite comme un enfant allant à l’école primaire où au collège, de sorte que Mitsuha était complètement hors de portée des enquêteurs. Ils avaient plusieurs témoins et les aveux des criminels, mais la victime était une inconnue et son corps était introuvable. La police était perdue.

D’un autre côté, les trois hommes avaient obtenu ce qu’ils méritaient. Mitsuha serait sûrement morte sans sa collision étrange et fortuite avec l’être ancien. Le fait qu’elle ait survécu n’avait rien changé, ils avaient quand même commis un meurtre, il était donc juste de les punir comme il se doit. S’ils étaient relâchés, ils feraient sûrement la même chose et harcèleraient d’autres personnes, transformant d’autres innocents en victimes.

Après le décès de sa famille, Mitsuha avait mis fin à leur abonnement au journal. La télévision par câble et Internet étaient plus que suffisants pour elle. Les journaux se seraient aussi empilés rapidement, et elle n’aurait pas pu se donner la peine de les retirer, sans compter que le facteur les entassait toujours dans la boîte aux lettres comme s’il empaillait ses rêves brisés, pour que les gens puissent savoir si Mitsuha était à la maison ou non. Si certains types louches avaient découvert qu’elle n’était pas là aussi souvent, sa propriété aurait été en danger.

***

Partie 2

Mitsuha n’était pas sur Terre lorsque l’incident de la falaise faisait la une des journaux, et même lors de cette dernière visite, elle avait été trop occupée à répondre à tous ses messages manqués pour regarder la télévision ou naviguer sur le Web. Elle n’avait pas eu l’occasion de voir l’histoire, et à son retour, tous les médias l’avaient complètement abandonnée. Mitsuha n’avait jamais entendu parler de l’enquête et n’avait même pas rappelé les hommes présents sur les lieux.

De retour dans l’autre monde, il était presque temps pour Mitsuha d’aller de l’avant. Sept jours s’étaient écoulés depuis son bref retour à la maison, et ses blessures avaient si bien guéri qu’elle avait dû cacher le fait qu’elles ne laissaient pas une seule cicatrice. Certains villageois avaient volontiers acheté les crocs de loup et la fourrure. Apparemment, les peaux de loups juvéniles étaient des marchandises de qualité, elles ne présentaient pas autant de dommages que la peau d’adulte, de sorte que les trois peaux que Mitsuha avait vendues lui avaient rapporté une jolie somme. Les acheteurs avaient aussi parlé de raffiner les matériaux et de les vendre à la ville voisine. Vous avez donc un contact avec une ville, se dit-elle.

Dotée de ses fonds nouvellement acquis, Mitsuha pouvait maintenant dire à tout le monde qu’elle voulait partir en voyage. Elle avait prévu de se rendre à la ville où résidait le seigneur local, puis de se rendre à la capitale à partir de là. D’après ce qu’elle avait appris, la ville du seigneur local n’était pas si impressionnante. Bien qu’elle ne soit pas aussi rurale que ce village, elle correspondait pourtant assez bien à l’image du village. Néanmoins, c’était la ville la plus développée de la région, le point de départ pour les calèches allant à la capitale et, surtout, le lieu où vivait le seigneur local.

Après sa rencontre avec les loups, Mitsuha s’était liée d’amitié avec d’autres villageois que Colette, ce qui l’avait aidée à apprendre beaucoup plus. Tous avaient pris soin de la remercier, et les aînés — pensant qu’elle ne pouvait pas bouger à cause de ses blessures — s’assirent pour discuter avec elle. Les villageois ne savaient pas grand-chose individuellement, mais une fois qu’elle avait tout rassemblé, elle avait obtenu une quantité impressionnante d’informations. En fin de compte, elle avait appris à mieux connaître la ville voisine et la famille du seigneur local que toute autre personne présente.

Je vais commencer par embobiner le seigneur, décida Mitsuha.

Selon les villageois, c’était une personne étonnamment bonne pour un noble. Il chérissait ses sujets, n’hésitait pas à reporter les impôts en cas de mauvaises récoltes… En gros, les gens avaient touché le jackpot avec lui. En plus de cela, il était comte, ce qui signifiait qu’il avait aussi beaucoup d’influence dans la capitale. Après tout, si vous ignoriez les ducs, qui étaient de sang royal, les seuls au-dessus des comtes étaient les marquis.

La ville est à environ dix-huit milles de là, pensa Mitsuha. Du moins, c’est ce que je pense d’après ce que les villageois m’ont dit. Mais s’ils couraient à la vitesse de 19 km à l’heure, alors ces trente kilomètres pourraient facilement être faits ! Ugh, d’accord, assez de ça. Pour l’instant, je dois me concentrer sur le fait de gagner les faveurs du comte pour pouvoir me rendre à la capitale en calèche. J’ai vraiment besoin de son soutien.

Quoi ? Vous vous demandez comment je vais payer la voiture et me débrouiller dans la capitale ? Bien sûr, l’argent que j’ai ici ne suffira pas, mais encore une fois, c’est là que le compte entre en jeu.

De plus, elle n’avait pas encore surmonté son plus gros obstacle.

« NON, NON, NON, NOON ! », hurla Colette.

« NE PARS PAS ! »

Mitsuha ne pouvait pas se résoudre à blâmer la fille. Elles avaient toutes les deux sauvé la vie de l’autre, et il n’y avait pas beaucoup de filles de son âge dans le village. Si Colette n’était pas en train de chercher de la nourriture, elle était partout avec Mitsuha, surtout après que cette dernière eut subi de graves blessures.

« Désolée, mais je dois y aller », lui dit Mitsuha.

« Je voulais faire ça depuis le début. En plus, mon peuple et moi avions convenu de nous retrouver dans la capitale si quelque chose tournait mal. »

« M,mais, mais… ! »

Colette ne voulait tout simplement pas céder. Même ses parents n’avaient pas réussi à la calmer.

« Très bien, alors faisons une promesse. Quand je serai installée dans la capitale, je reviendrai te raconter tout ça. Et si jamais tu y vas, je m’assurerai de te voir quoiqu’il arrive. »

Colette gémissait, mais se calmait lentement.

« Tu es une fille intelligente. Tu sais que tu ne peux pas m’arrêter, hein ? Alors, s’il te plaît… Fais-moi un beau sourire. Je penserai à toi tout le temps jusqu’à ce que je te revoie, et je ne veux pas me souvenir de toi comme ça. »

« Hic… »

Colette avait poussé un autre sanglot, puis elle força ses lèvres vacillantes à sourire. Son père, Tobias, s’émerveilla à cette vue.

« Cette fille est pratiquement une séductrice ! », chuchota-t-il.

C’est vrai, c’est impoli !

Le lendemain matin, les villageois avaient vu Mitsuha partir, elle avait finalement pris le chemin en direction de la ville. Elle avait un sac rempli de nécessités : un gallon d’eau et quatre repas, dont deux légers. Les villageois s’étaient dit que, puisque le voyage prendrait une journée entière pour un adulte, cela prendrait deux jours pour Mitsuha. Ils avaient rempli son sac en conséquence, sans même laisser un pouce pour autre chose.

Mitsuha n’avait pas apporté grand-chose en premier lieu, mais les villageois avaient essayé de la charger de couvertures et d’autres fournitures. Si elle les avait apportées, elle n’aurait pas pu se tenir debout, et encore moins marcher. Certaines personnes avaient même proposé de l’accompagner, mais elle avait fermement refusé. Ce serait vraiment mauvais pour moi.

Quoi qu’il en soit, elle avait plus ou moins dû quitter le village de force. On lui avait dit qu’il était rare que quelqu’un aille en ville. Que le voyage aller-retour prendrait deux jours, trois si vous y passiez une nuit. C’était tout simplement trop loin pour que quiconque puisse s’y rendre sans avoir des affaires sérieuses à régler. Séjourner dans l’une des auberges de la ville était aussi un petit luxe. Le village était en grande partie autosuffisant, de sorte que les gens d’ici ne gagnaient pas assez d’argent pour pouvoir se payer une chambre, de la nourriture et des marchandises.

En fin de compte, personne n’allait en ville sans une très bonne raison. Tout ce qu’ils ne pouvaient pas se procurer dans le village pouvait souvent être acheté auprès des marchands ambulants qui passaient de temps en temps. Ils acceptaient même les demandes et faisaient de leur mieux pour apporter les articles lors de leur prochaine visite.

Mitsuha était bien consciente du fait qu’elle pouvait choisir de ne pas aller en ville, et ils ne le sauraient pas. Si certains villageois décidaient de partir de cette façon dans quelques semaines ou quelques mois, elle doutait qu’ils se promènent en demandant des nouvelles d’elle. Même s’ils le faisaient, ils n’apprendraient rien parce qu’elle n’y serait jamais arrivée. Ce n’est pas comme si je n’avais pas prévu d’aller en ville, pensait-elle. Je vais juste être complètement en retard.

Mitsuha avait maintenant une parfaite compréhension de son mouvement transcontinental, le « saut du monde », comme elle aimait l’appeler. La « chose » avait installé cette compréhension directement dans son cerveau. D’après le manuel intangible, la première zone vers laquelle elle avait sauté avait été déterminée au hasard, mais maintenant elle pouvait aller où elle voulait.

Il y avait une mise en garde : elle ne pouvait se rendre qu’à un endroit qu’elle pouvait imaginer, ce qui, dans ce cas-ci, signifiait un endroit qu’elle avait déjà visité auparavant. Elle pouvait sauter d’un endroit à l’autre en utilisant l’autre monde comme tremplin. Pour cela, elle devait d’abord s’y rendre en utilisant les méthodes normales, mais une fois cela fait, elle pouvait s’y rendre quand elle le voulait. Donc pour l’instant, Mitsuha alla directement en ville, puis revint sur Terre pour faire quelques préparatifs. Après tout, il ne serait pas facile de s’approcher du seigneur et de s’assurer un chemin vers la capitale.

Une fois qu’elle avait parcouru une bonne distance à pied depuis le village, Mitsuha se rendit dans sa maison, sauta sur son scooter de confiance, Scooty, puis revint avec dans l’autre monde. Le chemin entre le village et la ville n’était que peu emprunté, les témoins n’étaient donc pas un problème. Même si quelqu’un la rencontrait, elle pourrait revenir sur Terre.

Le terrain n’étant pas très plat, elle ne pouvait donc pas rouler à pleine vitesse, mais elle était arrivée à la périphérie de la ville après seulement une heure de route. Elle n’avait rencontré personne en chemin, tout se passait donc comme prévu.

Ça suffit pour aujourd’hui, Scooty. Je ferai le reste du chemin à pied à mon retour. Maintenant, il est temps de s’activer ! Mitsuha était rentrée chez elle et avait décidé de porter des vêtements décontractés. Elle s’était rendue à pied à la gare et avait pris le train jusqu’à la ville la plus proche possédant une base militaire américaine. Certains Américains étaient également présents, probablement des militaires affectés à la base. On dirait que je n’ai pas besoin d’attendre d’être là pour ce rôle, se dit-elle.

« Excusez-moi. »

Elle avait adressé ses paroles à l’homme le plus intelligent qui soit. Elle avait simplement demandé si le train s’arrêterait à la première ville qui lui venait à l’esprit, l’avait remercié quand il avait répondu et se mit à marcher jusqu’à la voiture voisine. Elle était ensuite sortie à l’arrêt suivant et était retournée à son point de départ. Grâce à cela, Mitsuha avait acquis la capacité de parler, d’écrire et de comprendre l’anglais.

Pourquoi avait-elle choisi cet homme en particulier, demandez-vous ? Eh bien, elle avait utilisé son aptitude à « scanné » le cerveau de la personne à qui elle parlait afin de copier son langage. Normalement, elle serait en mesure d’en apprendre le plus possible sur une langue en interagissant avec de nombreux locuteurs différents, mais comme elle avait un choix limité, elle s’était efforcée de choisir la personne la mieux informée qu’elle avait vue.

Une fois rentrée chez elle, Mitsuha s’était connectée à Internet et avait commencé à faire des recherches. Les mots-clés, les résultats, les sites — tout était en anglais, et elle en avait visionné une multitude de pages dans le cadre de sa préparation.

***

Partie 3

À une centaine de kilomètres de là se trouvait le quartier général d’une petite organisation mercenaire. Le groupe jouissait d’une réputation relativement enviable. Par rapport aux standards mercenaires, bien évidemment.

« Capitaine. Vous avez de la visite », rapporte l’un des mercenaires, qui ouvrit la porte d’un bureau d’apparence ordinaire.

« Je suis presque sûr que je n’avais pas de rendez-vous aujourd’hui », répondit le responsable.

« C’est une visite inopinée. Êtes-vous d’accord ? »

Le capitaine avait pris un moment pour y réfléchir. Ils n’étaient pas en mission majeure, et l’argent résultant des missions mineures pouvait s’accumuler et aider à couvrir les frais de fonctionnement de l’escouade.

« J’arrive dans une seconde… Emmenez-les à la salle de réception. »

« Bien reçu. Héhé, vous serez surpris. »

« Qu’est-ce qu’il y a ? C’est une nana sexy ou quoi ? »

« Hmm… On peut dire ça. »

Ouais, c’est vrai. Il n’y a pas moyen qu’une femme comme ça puisse venir dans un endroit comme celui-là, pensa-t-il avec incrédulité en se rendant à la salle de réception. Cependant, quand il ouvrit la porte et vit qui l’attendait à l’intérieur, sa mâchoire faillit tomber.

Mon gars ne mentait pas après tout. Merde, je suis vraiment surpris. Il avait regardé la visiteuse dans les yeux. Elle était loin d’être une « fille canon », mais « jolie fille » semblait bien lui convenir.

« Enchantée de vous rencontrer », commença la fille.

« Je m’appelle Mitsuha, et j’ai une requête pour vous… »

Son invitée ressemblait à un écolier du primaire. Elle avait des cheveux noirs soyeux, des yeux sombres et mystiques et un visage bien proportionné, semblable à celui d’une poupée. Le capitaine avait écouté l’intégralité de son monologue avant de prendre la parole.

« Alors, vous me dites que vous voulez apprendre à utiliser des armes légères, vous entraîner au tir, vous entraîner au combat au couteau et à l’épée courte, et qu’on vous achète tout ce qu’il faut pour, hein ? »

Enfant ou pas, c’était une cliente. Et c’était lui qui dirigeait ici, donc il était évident qu’il savait comment parler affaires, même s’il était effrayé par la situation. La fille hocha la tête en réponse.

« Les armes de poing restent la priorité des priorités. En particulier, j’aimerais en avoir un petit que je pourrais porter avec moi en tout temps pour me défendre, un pistolet puissant de grande capacité que je pourrais utiliser comme arme principale, un revolver léger que je pourrais utiliser si les autres se coinçaient, un jeu d’étuis pour les trois, ainsi qu’une formation sur comment les utiliser. Tout le reste est secondaire. L’entraînement au couteau et à l’épée ne sera peut-être pas très utile… alors n’hésitez pas à les passer sous silence. Supposons que c’est juste pour l’intimidation. »

« Il est dit ici que vous voulez aussi apprendre à utiliser des mitrailleuses, des fusils d’assaut, des armes de tireurs d’élite, des grenades et des lance-grenades… Petite dame, qu’est-ce que vous cherchez à faire comme coup ? »

Il n’avait pas pu s’empêcher d’élever la voix. Merde, j’ai perdu mon calme.

« Je ne prévois rien de tel... ! Ce n’est que de la légitime défense. Mon pays est actuellement en proie à des troubles, voyez-vous… Oh, et bien sûr, je paierai d’avance. »

D’où diable es-tu !? Les voyous de ton pays possèdent des tanks ou quoi !?

« Ah, j’ai beaucoup de yens japonais qui traînent en ce moment », avait-elle fait remarquer.

« Ça vous dérangerait si je vous paie avec ça ? »

« Bien sûr, le yen est au moins une valeur bien plus forte que le yuan », avait répondu le mercenaire.

« Mais il y aura cependant des frais quand on le convertira en dollars… Vous allez aussi couvrir ça, n’est-ce pas ? »

« Oh, mais bien sûr. Ça ne me dérange pas du tout. Ah, mais je peux passer à l’utilisation de pièces d’or. Accepteriez-vous aussi ? »

Des pièces d’or ? Sérieusement, qui diable es-tu ? S’il avait pu lever un sourcil plus haut, il l’aurait fait.

« Je n’ai rien contre, mais de quel genre de pièce d’or on parle ? Krugers ? Maples ? »

« Non. Il s’agira de pièce sans nom provenant d’un pays sans nom. Pensez à la valeur de l’or qu’elles contiennent. Je vous apporterai un échantillon plus tôt que prévu, pour que vous puissiez l’évaluer. Mais… »

« Mais ? »

« Gardez à l’esprit que vous devrez peut-être convertir une centaine de ces pièces, non un millier. »

Après qu’ils se soient mis d’accord, la fille était partie. Elle était louche… non… bizarre, mais je devrais accepter ce boulot. Quelqu’un doit couvrir les frais de la brigade, bon sang ! Le capitaine était presque sûr d’avoir fait le bon choix, mais pour une raison quelconque, la main tenant sa cigarette tremblait encore. Il avait ordonné à un de ses subordonnés de la suivre. Maintenant, je dois attendre qu’il revienne.

« Je suis de retour, Capitaine », avait dit l’homme en question en arrivant.

Uhh, ok, c’était un peu trop rapide.

« Comment ça s’est passé ? »

« Désolé, mais… Je l’ai perdue. »

Quoi ? Quoi ? Elle s’était débarrassée de ce type ?

« Je l’ai vue tourner au coin de la rue en sortant de la base, mais quand je l’ai poursuivie, elle était partie. J’ai regardé autour de moi, mais je ne l’ai trouvée nulle part. »

« Qu’est-ce que c’est que ces conneries !? Il n’y a plus de virages à des kilomètres à la ronde ! »

Son subordonné n’avait pas donné de réponse. Il n’avait rien d’autre à dire non plus. Mec, je suppose que j’ai vraiment besoin de prendre les armes, pensa-t-il en regardant les objets sur son bureau. Il y avait un épais rouleau de yen et un morceau de papier avec les mensurations de Mitsuha dessus. Ils avaient besoin de sa taille pour savoir quel genre d’étuis lui donner.

Une taille A, hein…

◇ ◇ ◇

Purée, c’était vraiment stressant ! pensa Mitsuha.

Sa conversation avec le chef des mercenaires, c’était la première fois qu’elle parlait à quelqu’un en anglais en dehors de ses cours. De plus, son statut d’étranger et de mercenaire ne l’avait pas du tout aidée à se calmer.

Garder le rôle d’une dame de grande classe était vraiment difficile ! J’étais complètement trempé de sueur ! Une fois ses affaires terminées, elle avait disparu de la base des mercenaires. Ils avaient peut-être envoyé quelqu’un pour la suivre, mais ça n’avait pas d’importance. Elle était sortie par la porte d’entrée, avait tourné à droite et s’était téléportée.

Elle avait choisi ce groupe particulier après des heures de recherche en ligne. Elle avait été surprise de voir à quel point les groupes de mercenaires étaient variés. Certains étaient énormes, d’autres petits, certains étaient intègres, d’autres encore se comportaient comme des ordures, et ainsi de suite… D’un autre côté, c’était peut-être étrange d’appeler les mercenaires « intègre ». Pourtant, elle avait opté pour celui qui paraissait le plus honnête de tous.

Si elle avait senti qu’elle faisait une erreur, elle n’avait qu’à faire machine arrière. Rester hors de leur radar semblait assez facile. Et s’ils essayaient de me capturer ou de me violer, je les écraserais. Si leur armurerie était soudainement vidée, ou si leurs fonds et documents disparaissaient avec leur coffre-fort, les mercenaires auraient les mains trop occupées pour s’occuper d’une fugitive. En tant que personne voyageant entre différents mondes, je pourrais devenir une grande voleuse, une tueuse ou un terroriste… Mais ce n’est pas mon style ! Teehee ! Elle espérait seulement que cette nouvelle relation ne tournerait pas mal.

Quant à la façon dont elle était arrivée dans un autre pays si facilement… Elle avait eu une révélation.

Au départ, elle avait eu l’impression que, parce qu’elle avait besoin d’une image mentale concrète de l’endroit où elle voulait aller, elle devait l’avoir été au moins une fois. Mais il lui était venu à l’esprit de tenter une petite expérience. Elle avait absorbé des émissions de télévision, des films et des journaux télévisés qui montraient un lieu spécifique, puis avait vérifié une photo satellite de ce lieu. Cela lui avait donné une image mentale aussi bonne que — non, même meilleur que celle qu’elle aurait si elle l’avait vue en personne.

Le résultat ? Un succès total.

Mitsuha pourrait maintenant aller à de nombreux endroits différents en dehors du Japon. Cependant, elle ne pouvait utiliser cette tactique que sur Terre. Après tout, il n’y avait pas de photos ou de satellites dans l’autre monde, ce qui signifiait qu’elle devrait se rendre à destination au moins une fois. Comme c’était horrible.

Je suis en train de dépenser l’argent de maman et papa… Mais finalement, c’est comme n’importe quel investissement initial. C’est une dépense nécessaire.

Ses pensées s’étaient dirigées vers un collier sur la table. C’était un vrai produit de luxe. Le collier était orné de perles d’un centimètre d’épaisseur et lui avait coûté plus d’un million de yens (8000 euros). C’était en fait sa meilleure arme, donc elle n’avait pas pu se contenter de quelque chose de bon marché.

Juste à côté se trouvait un couteau pliant Gerber. Pas celui que Tsuyoshi avait laissé derrière lui, mais un nouveau qu’elle venait d’acheter. Il y avait aussi un couteau suisse et un couteau de chasse Randall. Sur un cintre voisin, il y avait une robe de grande valeur — et en fait assez chère —, associée à une paire de chaussures à talons. En outre, il y avait quelques ensembles de vêtements de rechange, ainsi que quelques accessoires. Mitsuha avait soigneusement mis tout dans un grand sac à dos, s’était habillée et s’était équipé tout ce qu’elle pouvait.

Très bien ! On déménage !

Très vite, elle se retrouva devant une grande porte. Prenant une grande respiration, elle s’était préparée. Il était enfin temps de passer à l’étape suivante de son plan. Elle avait saisi le heurtoir et avait frappé à la porte, ce qui avait créé de gros bruits sourds. Bien que personne ne puisse l’entendre, elle cria en elle-même.

Il y a quelqu’un !

***

Chapitre 5 : Si les perles sont une arme, Mitsuha est une Arme de Destruction Massive!

Partie 1

« Maître Bozes, vous avez de la visite », annonça le majordome.

« Quoi ? J’étais sûr que je n’avais pas de tels arrangements aujourd’hui », répondit le comte Bozes. Sa curiosité était piquée. Stefan était un majordome fiable qui avait servi la famille Bozes pendant plus de deux générations. Il n’était pas du genre à faire des erreurs absurdes et il n’était pas du genre à annoncer l’arrivée de visiteurs importuns et indignes de confiance.

A-t-il peut-être jugé l’invité digne de m’être présenté ? se demanda le comte. Bien, je vais faire confiance en son jugement.

« Très bien. Laissez-les entrer dans la salle de réception, je les rejoindrais dès que je serai prêt », a-t-il ordonné.

Mais Stefan s’est attardé.

« Dois appeler votre dame et vos enfants ? », demanda-t-il.

Quoi ? Il dit que ma famille devrait se joindre à moi !? Qu’est-ce qu’il pense ?

« Appelle-les, alors. »

« Comme vous le voulez. »

J’ai choisi de faire confiance en son jugement, et je le ferai jusqu’à la fin.

Assez rapidement, le comte se trouva dans la salle de réception, accompagné de toute la famille Bozes : sa femme, Iris, son premier-né, Alexis, son deuxième fils, Théodore, et sa fille, Béatrice. Leur salle de réception faisait pâle figure par rapport à la grandeur des salles de réception du palais royal. Une grande table, plutôt simple, entourée de chaises meublait la pièce.

Convoquer la famille pour rencontrer un invité qui n’avait pas été prévenu, c’était du jamais vu. La femme et les enfants du comte Bozes semblaient déconcertés et mal à l’aise. Il ne leur avait rien dit, car il s’était fait prendre au dépourvu. Mais c’était une chose sur laquelle il ne pouvait tout simplement pas parler. J’espère que ce n’est pas une erreur, Stefan.

Finalement, le majordome conduisit l’invité à l’intérieur.

« Voici Dame Mitsuha von Yamano. Elle vient du Japon. La dame prétend être venue saluer le comte Bozes. »

La fille l’avait énormément surpris. Elle avait des cheveux noirs soyeux et bien soignés, un visage comme celui d’une poupée et des vêtements comme il n’en avait jamais vu auparavant. Le vêtement avait l’air confortable et avait de nombreuses poches, tandis que la ceinture qu’elle portait supportait des couteaux et d’autres outils curieux. Il n’avait jamais entendu parler de son pays, mais il se demandait comment une noble dame — une fille d’à peine plus de dix ans — avait fini par voyager sans suite. Il était furieux. Non pas contre la fille, mais contre ses parents et toute sa maisonnée qui l’avait laissée faire.

Pourquoi ne l’avaient-ils pas arrêtée ? Comment avaient-ils pu permettre ça !?

« Enchantée de vous rencontrer. Je suis Mitsuha von Yamano », dit-elle pour se présenter.

« Comme je venais d’un pays lointain, j’ai pensé que je devais me présenter au seigneur de la région, alors j’ai imploré votre majordome afin qu’il puisse m’accorder une audience avec vous. Mes excuses pour cette décision si audacieuse. »

Un discours si raffiné à un si jeune âge, s’émerveilla le comte. Je peux comprendre pourquoi Stefan lui a permis d’entrer.

« Je vois. Le long voyage jusqu’ici a dû être épuisant », avait-il répondu.

« N’hésitez pas à vous reposer ici aussi longtemps que vous en aurez besoin. Maintenant, si je peux demander… Pourquoi, si vous venez d’un pays si lointain, avez-vous choisi de faire appel à nous plutôt qu’au noble de la capitale ? »

C’était la norme pour les étrangers de se diriger directement vers la capitale. Il ne voyait pas une seule raison de s’arrêter dans une ville comme celle-ci.

« Oui, je peux comprendre pourquoi c’est curieux. En me rendant à la capitale, j’ai été attaqué par des bêtes sauvages, et les gens de cette région m’ont sauvé la vie. Je suis venu vous informer de leurs actions et vous exprimer mon immense gratitude. »

« Quoi ? Vraiment !? », dit-il avec surprise.

Comme c’est délicieux ! Plutôt que de piller ou de tuer, mon peuple a fait des pieds et des mains pour aider une étrangère qui vient maintenant exprimer ses remerciements. Et mes enfants sont aussi là pour le voir. Quelle belle journée ! Le comte se réjouissait tandis que Dame Mitsuha avait sorti quelque chose de sa poche.

« Bien qu’il s’agisse d’une maigre offrande, il y a quelque chose que j’aimerais que vous ayez », avait-elle dit.

« Ça vient aussi de mon pays. Veuillez l’accepter en gage de ma gratitude. »

Stefan lui prit l’objet et l’apporta au comte.

« Qu’est-ce que c’est… ? », se demanda-t-il à haute voix.

Son poids imposant indiquait que c’était métallique, mais il avait une couleur brillante et un toucher élégant. C’était un objet élaboré qu’il n’avait jamais vu auparavant. Il n’imaginait pas à quoi cela servait, mais il comprenait que c’était l’œuvre d’un maître artisan.

« C’est un couteau pliable et polyvalent », avait ajouté la fille.

« Un couteau !? Ça !? », s’exclama-t-il.

Il était détaillé et semblait valoir une petite fortune, mais il ne pouvait pas s’imaginer à quel point cet objet aussi difficile à prendre en main n’était en fait qu’un couteau, et encore moins un couteau pliable.

« Oui. Bien que ce ne soit pas le genre de couteau qu’on utilise au combat », expliqua-t-elle.

« C’est plus un outil qu’une arme. Il y a plusieurs petits outils cachés à l’intérieur : une lame, des ciseaux et une lime, entre autres. Vous le comprendrez si vous pincez le côté avec les ongles et si vous le tirez vers vous. »

Le comte avait fait ce qu’on lui avait dit et avait réussi à sortir les outils.

« Tant de détails », dit-il, alors qu’il était stupéfait par l’objet.

Il n’était pas seul, ses enfants l’entouraient, le regardant avec une grande curiosité.

« C’est vraiment remarquable. Je sens que je dois donner quelque chose en retour. Dame Mitsuha, que comptez-vous faire ensuite ? »

« J’ai l’intention de me rendre à la capitale d’ici. »

« Vous ne devez pas le faire ! »

Il se leva brusquement, élevant la voix.

« Il fera bientôt nuit ! Sans parler du fait qu’un enfant comme vous ne devrait jamais partir seul pour de si longs voyages ! Je ne peux pas permettre ça ! »

Il avait laissé tomber son ton noble et trop poli pour crier, mais c’était le cadet de ses soucis.

« Attendez trois jours », avait-il ajouté.

« Une calèche en direction de la capitale arrivera. Vous pourriez la prendre. »

« C’est assez embarrassant, alors pardonnez-moi, mais… Je ne crois pas avoir assez d’argent pour payer la calèche… »

Hein ? La réponse inattendue de Dame Mitsuha l’avait rendu sans voix. Une fille vêtue de si beaux vêtements, qui vient de me remercier avec un outil valant des douzaines de pièces d’or, ne peut pas se permettre une simple calèche ? Oh, bien sûr… Elle et son groupe étant séparés, ce sont sûrement eux qui détenaient les fonds. C’est logique, aucune fille noble ayant un groupe ne paie jamais les choses par elle-même.

« Ce soir, vous pouvez rester ici », déclara le comte.

« Et j’attends une explication plus tard. »

Il voulait qu’elle se repose avant de se joindre à eux pour le dîner, alors il avait ordonné à Stefan de la conduire à la chambre d’amis. Juste après leur départ, il avait posé ses coudes sur la table et ses mains sur la tête.

« Chéri », sa femme lui parla.

« Désolé, mais permets-moi de rassembler mes pensées », l’avait-il interrompu en fronçant les sourcils. Iris sourit faiblement et conduisit les enfants hors de la pièce. Le comte Bozes, tout seul, se demanda : « Qui est cette fille ? »

Le majordome des Bozes avait vu Mitsuha dans la chambre d’amis. Bien qu’elle montrait une expression sans prétention, elle souriait à l’intérieur, se disant, Victoire !

Une fois seule, Mitsuha avait commencé à sortir ses affaires de son sac à dos. La robe soigneusement emballée, les chaussures à talons protégés par du matériel d’emballage, le couteau pliant rangé dans son étui et le luxueux collier de perles qui attirait le regard. Les préparatifs se déroulaient à merveille.

Je suis une nouvelle Mitsuha maintenant, pensa-t-elle. Je ne suis plus Mitsuha Yamano, mais Mitsuha von Yamano… Une fille de la noblesse venant d’un pays lointain ! Je jouerai le rôle d’une héroïne courageuse qui cache sa véritable identité pour vivre comme une roturière dans ce pays ! Attendez, non, je ne vais pas simplement « jouer le rôle »… Je deviendrai véritablement ça ! Elle s’était convaincue avec de telles pensées tandis qu’elle se regardait dans un miroir.

Mitsuha avait abandonné l’idée d’essayer de jouer la roturière normale dès le premier jour. Elle n’aurait pas pu agir comme une fermière, même si elle l’avait voulu. Ils l’auraient soupçonnée dès qu’ils auraient vu ses mains propres et sans taches.

Quelques heures plus tard, Stefan était venu escorter Mitsuha au salon. En la voyant, il avait été tellement sidéré qu’il avait accidentellement émis un cri de surprise. C’était peut-être la plus grande gaffe que le maître d’hôtel à la volonté de fer ait jamais commise.

« Maître Bozes, j’ai amené Dame Mitsuha », dit Stefan.

« Excellent. Conduisez-la à sa place. »

Contrairement à l’audience précédente entre Mitsuha et eux, il s’agissait d’un dîner familial informel et non un dîner officiel avec un invité. Il n’y avait pas besoin d’utiliser un langage embelli.

Au moment où Mitsuha entra dans la salle, toute la famille Bozes oublia brièvement comment respirer. Elle était vêtue d’une robe d’un blanc éclatant et pur, des chaussures émaillées et d’un collier de perles d’une valeur inimaginable. Cependant, tout cela n’était que des acteurs secondaires qui s’efforçaient de mettre en valeur la beauté de la jeune fille. Tout le monde était silencieux, et on avait l’impression que le temps s’était arrêté.

Soudainement, un bruit brisa le charme. Stefan avait fait un pas particulièrement fort, ramenant le comte à la réalité. Les autres ne tardèrent pas à suivre, quoique maladroitement. Iris, en particulier, ne pouvait pas quitter le collier des yeux.

« Merci beaucoup à tous de m’avoir invitée », dit Mitsuha en soulevant l’ourlet de sa jupe et en s’abaissant d’une simple révérence. Elle avait ensuite pris place dans la chaise que Stefan lui avait présentée.

« Faites comme chez vous », dit le comte, qui s’appelait Klaus Bozes.

« Une fois de plus, bienvenue au manoir des Bozes. C’est une réunion de famille. Pas besoin de vous préoccuper des bonnes manières et autres, et n’hésitez pas à dîner à votre guise. Si vous êtes trop tendue, la nourriture ne sera pas aussi bonne. »

Mitsuha avait simplement répondu avec un sourire.

Pendant qu’ils mangeaient, ils ne parlaient que des choses les plus inoffensives. Klaus s’était excusé de ne pas avoir présenté sa famille lors de la première réunion et avait procédé de la sorte. Mieux vaut tard que jamais, bien sûr. Ils s’étaient mis à discuter des spécialités du comté, des endroits qui vendaient les meilleurs aliments, et ainsi de suite.

***

Partie 2

C’était amusant, mais pas vraiment fructueux. Mais après le dîner, avec seulement du thé, de l’alcool et des collations sur la table, il était enfin temps de mettre le sujet principal sur la table. Tout le monde était tendu, y compris Mitsuha.

« Maintenant, Lady Mitsuha », lui demande Klaus.

« O-Oui !? », lui avait-elle répondu.

« Oh, pas besoin d’avoir une telle réaction. Relax, ce n’est rien de grave. »

« Entendu », répondit-elle, toujours tendue. Se détendre n’était pas vraiment facile dans cette situation.

« Maintenant, pourriez-vous me dire qui vous êtes vraiment ? Si possible, j’aimerais une réponse honnête. »

Voilà, on y est !, pensa Mitsuha.

« Je viens effectivement d’un pays lointain », commença-t-elle.

« Je me suis présentée en utilisant mon nom de famille pour obtenir une audience, mais maintenant que je suis à l’étranger, le statut social que j’avais dans mon pays natal est presque vide de sens. »

Rien de tout ça n’était un mensonge. Elle venait en effet d’un pays très lointain et avait utilisé son nom de famille pour rencontrer le comte, que ce nom soit réel ou non. Mais à partir de ce moment, les vannes de ses mensonges étaient grandes ouvertes.

« Quant à savoir pourquoi j’ai quitté mon pays, eh bien… Il y avait un conflit pour savoir qui serait l’héritier. Mon père est décédé des suites d’une maladie, et il était évident que mon jeune frère, sage et gentil, prendrait sa place. Cependant, certains imbéciles ont insisté sur le fait que j’étais la meilleure candidate. Donc, avant qu’ils ne puissent faire de moi leur successeur et commettre des actes répréhensibles, j’ai laissé une lettre écrite à la hâte et ma maison derrière moi.

Je crois qu’ils avaient l’intention de faire de moi l’héritier afin de me forcer à épouser l’un de leurs fils et éventuellement usurper le nom de ma famille. Si j’étais restée à proximité, j’aurais pris le risque d’être capturé, e alors j’ai navigué vers ce continent. Je n’ai apporté que quelques effets personnels, dont ce collier, un souvenir de ma mère. »

Mitsuha avait raconté son histoire de manière raffinée.

Oh, je pense que je peux comprendre ceux qui ont insisté pour qu’elle soit l’héritière, pensa Klaus. Ils doivent être bouleversés qu’elle se soit enfuie à cause d’eux… Il avait pitié des vassaux inexistants.

« Quoi qu’il en soit, je ne peux plus y retourner, alors j’ai décidé d’essayer de vivre dans ce pays », avait poursuivi Mitsuha.

« Si je vends le souvenir de ma mère, je devrais avoir les fonds dont j’ai besoin… »

« VOUS… QUE VOUS VENDIEZ CAAA !? », hurla Iris.

« Savez-vous quel genre de collier c’est !? »

« Ah, oui. Ce sont de vraies perles, donc j’imagine qu’elles ont beaucoup de valeur. Vous insinuez que ce sont des fausses ? »

« Huh …!? Vous ne comprenez vraiment pas ! »

Iris était si agitée qu’elle avait commencé à frapper la table.

« Écoutez, ma fille, les prix des perles sont très variés. La valeur change en fonction de la couleur, de la forme, de la taille, de l’épaisseur de la nacre, et plus encore. Maintenant, pensez à votre collier ! Les perles sont parmi les plus grandes en taille, et sont presque parfaitement sphériques ! La couleur profonde me dit tout sur l’épaisseur de la nacre !

Et en plus il y en a un set complet !! Une ou deux perles suffisent amplement ! Vous pourriez en faire de belles bagues, des boucles d’oreilles, des épingles à cheveux, ou des broches justes avec cela. Mais un collier entier, fait de ces perles de haute qualité !? Qu’est-ce que c’est que ces bêtises !? Savez-vous combien de coquillages vous devez ouvrir pour trouver une perle !? Et combien de ces perles conviendraient à de tels accessoires !? Un collier fait des plus belles et les plus éclatantes perles que vous puissiez avoir !? Impossible ! Cela ne devrait tout simplement pas exister ! »

Elle avait encore frappé la table.

En voyant leur douce mère devenir si menaçante, les enfants avaient eu peur.

« Dame Iris, voulez-vous l’avoir… ? », demanda Mitsuha.

Son offre explosive avait transformé Iris en pierre. Elle regarda lentement et d’une manière rigide Klaus. Les mouvements tectoniques dans son cou étaient pratiquement audibles.

Klaus pâlit et demanda :

« I, Iris, quel serait le prix pour ça ? »

« Le prix ? Absurde. Encore une fois, c’est quelque chose qui ne devrait pas exister. C’est un trésor inestimable et unique en son genre. C’est un symbole de statut dont vous pouvez vous vanter n’importe où dans le monde, et personne ne pourra espérer vous égaler. C’est un trésor de rêve, et l’histoire se souviendrait de vous comme la personne qui l’avait possédé. Croyez-vous vraiment qu’un roi ou un marchand fortuné s’opposerait à se séparer de ses richesses pour cela ?

Oh, et gardez à l’esprit que vous ne devez pas l’apporter aux enchères. Les gens essayeraient de vous le prendre de force et n’hésiteraient pas à tuer pour l’obtenir. Et celle qui l’a présenté — vous — serait kidnappée le même jour, puis interrogée violemment sur l’endroit où vous l’avez eu. »

HEIN ! C’EST BIEN PLUS IMPORTANT QUE CE QUE JE PENSAIS !

Mitsuha frissonna devant les paroles de la dame. Elle avait acheté le collier en supposant que les perles de culture n’existaient pas ici et qu’elles se vendraient donc à un bon prix, mais c’était au-delà de ce qu’elle aurait pu imaginer. Elle savait qu’un accessoire bon marché dans un monde pouvait être un véritable trésor dans l’autre, mais elle n’avait aucune idée qu’un collier de perles de culture serait aussi puissant.

J’aurais dû opter pour un collier à 300 000 à 500 000 yens (2430 à 4050 euros), pas pour un collier luxe à 1,3 million de yens (10 530 euros). Ou peut-être que j’aurais dû choisir des pierres artificielles… Mitsuha avait essayé de garder à l’esprit que certains types de bijoux pouvaient perturber le marché et qu’elle pouvait être traquée pour en trouver la source. C’était pour cela qu’elle l’avait apporté directement au manoir des Bozes, pour le garder hors du marché.

Cet échange est mon pari décisif, pensait-elle. J’étais sûre que je m’en sortirais avec assez d’argent et d’alliés pour avoir ma propre maison. C’était pourquoi j’avais opté pour le plus cher que j’avais pu trouver, et… Ah !

« Dame Iris… Et si je le casse afin d’en vendre les perles ! »

Mitsuha avait immédiatement été abattue par le regard foudroyant d’Iris.

« LE BRISER !? C’EST UN TRÉSOR DIVIN DIGNE DES DÉESSES ! VOULEZ-VOUS VOUS ATTIRER LA COLÈRE CÉLESTE ? »

Qu’est-ce que je suis censée faire maintenant !? Après un bref silence, elle décida d’essayer à nouveau de le vendre. Elle n’avait pas le choix.

« Mais que dois-je faire si je ne peux pas le vendre ? Je n’ai pas d’argent et je ne peux compter sur personne dans ce pays. Je serai dans une impasse. Aussi joli soit-il, ce collier ne m’est d’aucune utilité. Je préfère avoir les moyens de subvenir à mes besoins ! »

« Mais n’est-ce pas un souvenir de ta mère ? », demanda le comte.

« Maman ne voudrait pas que je m’y accroche si fort que j’en meurs de faim. Elle préférerait que je le vende afin que je puisse vivre une vie heureuse. »

« H, Hmm, je suppose que c’est vrai… »

Le comte faisait de son mieux pour empêcher toute vente de l’objet, mais son argument l’avait fait taire.

« C’est pourquoi j’aimerais que Dame Iris l’ait. Personne n’obligerait une comtesse à lui dire d’où il vient, et il n’apparaîtra pas sur le marché, donc il n’y aura pas de bouleversement. »

« Mais le prix… »

Le comte se raidit. Il était temps pour elle d’aller droit au but.

« Je n’ai besoin que d’assez d’argent pour ouvrir un magasin dans la capitale. Je peux m’occuper du reste moi-même ! »

« Mais Mitsuha, vous… »

Dame Iris avait l’air complètement décontenancé, mais Mitsuha ne pouvait pas s’arrêter maintenant. Elle avait déjà un plan.

« C’est très bien. Et puis, » dit-elle en levant les yeux vers elle, « Je veux vraiment que vous l’ayez. Si jamais j’ai besoin de me souvenir de ma mère, vous pourrez me serrer dans vos bras en le portant et… »

Elle se tut tout en baissant ses yeux. Dame Iris trembla, des larmes lui montèrent aux yeux.

« Oh, Mitsuha ! »

Elle s’était précipitée, sa chaise était tombée alors qu’elle serrait Mitsuha dans ses bras.

« Dame Iris… »

Oui ! Ça marche ! pensa Mitsuha. Ces nobles n’avaient aucun téléviseur, peu de livres qu’ils pouvaient lire pour s’amuser, et à peine d’autres formes de divertissement. Leur seul accès aux romances était par le biais de pièces de théâtre — des événements rares, même pour les élites — et d’histoires de leurs mères ou de leurs infirmières au moment du coucher. Ils n’avaient à peu près aucune résistance aux romances classique, alors ils s’étaient rapidement accrochés à la sienne.

Bien sûr, les Bozes n’étaient pas des imbéciles. En fait, ils étaient tout à fait capables. Mais comme on l’avait dit à Mitsuha, toutes les personnes de cette famille étaient gentilles et généreuses. Peut-être que Mitsuha aurait choisi une autre voie si celle-ci présentait des inconvénients, mais il n’y en avait pas. La situation actuelle était avantageuse pour toutes les parties concernées.

***

Partie 3

Après que tout le monde se soit calmé et que la salle soit redevenue paisible, les trois enfants, qui n’avaient pu se résoudre à parler au nom de leur père ou de leur mère enragée, avaient finalement rejoint la conversation. Ils mouraient d’envie de parler à Mitsuha.

« Mitsuha, tes beaux cheveux noirs, tes yeux sombres et mystificateurs… », dit l’aîné.

« Ce doivent être des cadeaux d’une déesse, qui t’a été accordée à toi seule… »

« Ah, la plupart des gens de mon pays ressemblent à ça. »

Alexis, le premier-né avait atteint l’âge de dix-sept ans quand il fut été abattu en quelques secondes. Dites une prière pour lui, si vous le voulez bien.

« Mitsuha, ce couteau polyvalent que tu as donné à papa est tout simplement incroyable. As-tu apporté autre chose de ton pays ? », demanda Théodore.

C’était le benjamin, il était âgé de quinze ans. On pouvait dire qu’il était prudent rien qu’en regardant son visage. Dans un RPG, il serait sans aucun doute un mage.

« Oh, j’ai aussi un couteau pliant ordinaire », dit Mitsuha avant de soulever sa robe, afin de retirer le couteau d’une ceinture de cuisse et de le poser sur la table.

« Le voilà. »

« M,Mitsuha ! »

Béatrice pleurait, tandis qu’Alexis et Théodore rougissaient comme des betteraves. Hein ? Ai-je fait quelque chose ?

« C’est pointu, alors fais attention. »

Mitsuha déplia le couteau et le tendit à Théodore.

« Wow », il avait sursauté. Le tranchant et la beauté de la lame, le détail de la poignée, la portabilité et la sécurité de la lame grâce à sa pliabilité… Tout cela était réuni et l’avait laissé stupéfait.

« Ah, veux-tu l’avoir ? », lui demanda Mitsuha.

« Hein ? »

« Je le garde pour ma protection, mais j’en ai un autre. Veux-tu l’acheter pour une pièce d’or ? »

« Oui, s’il te plaît ! »

Il n’avait pas hésité un instant.

Les conversations pendant le dîner avaient donné à Mitsuha une idée assez correcte de la valeur de la monnaie locale. Elle en avait aussi parlé aux villageois, mais elle ne se sentait pas entièrement confiante dans leur sensibilité fiscale. Sans vouloir vous offenser, bien sûr.

Bref, elle avait estimé qu’une pièce d’or valait environ 100 000 yens japonais (810 euros). J’ai juste vendu ce couteau pour un peu moins de dix fois sa valeur d’origine, alors je dirais que je suis assez généreuse ici, s’exclama-t-elle, satisfaite. Du moins selon les standards de mon magasin. Je suis sûre que de toute façon une pièce d’or n’est pas grand-chose pour un garçon noble. Considère ça comme un rabais pour mon premier client, fiston.

Attendez une seconde, j’ai apporté une arme au dîner d’une noble famille ! Ai-je merdé ? Elle avait rapidement scanné son entourage. Oh, eh bien, ils n’ont pas l’air si dérangés que ça. Bien que Mitsuha n’y avait pas prêté beaucoup d’attention, on pouvait objectivement dire que c’était une très mauvaise décision. Sa grâce salvatrice, c’était que cela s’était passé dans ce foyer particulier. Tout le monde ici pensait que Mitsuha était une jolie petite fille, mais fragile. Quelqu’un comme elle avait sûrement besoin d’une arme pour se défendre, non ? C’était ainsi que raisonnaient les Bozes, mais si d’autres nobles avaient été là, ils n’auraient pas été aussi cléments.

La lueur dans les yeux de son frère avait dû rendre Alexis jaloux. Il s’était approché de Mitsuha et lui avait demandé la chose suivante :

« Hé, as-tu d’autres choses !? As-tu d’autres trucs !? »

« Hrmm... »

Rien ne m’était venu à l’esprit au début.

« Je ne peux vraiment pas vendre l’autre, car j’en ai besoin pour me défendre pendant mon voyage. S’il y a autre chose de mon pays dont je peux me débarrasser, ce sont mes sous-vêtements de rechange ! »

« VENDU ! », cria-t-il en réfléchissant.

Il avait immédiatement été confronté à plusieurs regards glaciaux.

« Alexis… », dit Dame Iris en le fixant.

« Cher frère… », Béatrice s’était jointe à elle.

La froideur de leur réaction combinée avait gelé Alexis en place. Il valait peut-être la peine de noter que le comte Bozes avait ouvert la bouche et presque dit exactement la même chose que son fils aîné, mais qu’il soupirait maintenant de soulagement de ne pas l’avoir fait. Il y a des limites que vous ne pouvez pas franchir, comte !, pensa Mitsuha en le regardant. De toute façon…

« Ça fera cinq pièces d’argent, s’il te plaît. »

« Vous les vendez vraiment !? », s’exclamèrent les Bozes à l’unisson. Théodore était la seule exception.

« Je paierais une petite pièce d’or », avait-il dit, augmentant le prix comme s’il s’agissait d’une vente aux enchères.

Eh bien, il est certain que personne ne l’avait vu venir celle-là, pensa Mitsuha. Cependant, grâce à l’intervention de Lady Iris, la vente n’avait jamais eu lieu, elle n’avait donc pas reçu sa petite pièce d’or. Ça aurait fait environ 10 000 yens (81 euros)… C’est vraiment dommage. Sachez que les sous-vêtements n’ont pas été utilisés !

« Au fait, tu as dit que tu ouvrirais un magasin dans la capitale. Quel genre de magasin, très chère ? », demanda Béatrice.

Âgée de treize ans, elle était la plus jeune enfant et la seule fille. Ses cheveux dorés et ses yeux azur lui donnaient l’air d’une fille noble exemplaire, mais au lieu d’être du type « rose épineuse », elle était plutôt adorable.

Elle semble penser que je suis plus jeune qu’elle, et je ne peux pas lui en vouloir. Elle est à peu près aussi grande que moi, peut-être un peu plus grande, et elle a déjà au moins un bonnet C… Mitsuha pleurait tellement intérieurement qu’elle n’avait pas pu s’empêcher de pleurer. C’est dû à ma race, OK !? Elle est blanche, je suis asiatique ! Vous ne comparez pas les chihuahuas et les golden retrievers, n’est-ce pas !? C’est la même chose ! Ce n’est pas la peine ! Compris !? Ses pensées étaient si intenses qu’elle s’était mise à haleter. C,Calme-toi, Mitsuha ! Respire profondément ! Inspire… et expire ! Inspire… et expire !

« J’envisage d’ouvrir un magasin général », dit-elle.

« Un magasin général ? », Béatrice avait l’air perplexe.

« Oui. Je vendrais des bibelots, du maquillage, de jolis accessoires… Surtout des choses amusantes pour les filles, avec quelques articles pratiques en plus. J’aimerais aussi avoir un coin-conseil où je pourrais partager les connaissances de mon pays. »

« Wôw, ça a l’air génial ! Mais qu’entends-tu par “coin-conseil” ? »

« D’après ce que je peux voir, ce pays est très différent du mien. Donc, si les gens d’ici ont un problème sérieux qui a déjà été résolu dans mon pays, je pense que je pourrais les aider en leur donnant la solution. »

« C’est certainement intrigant », avait dit le comte Bozes.

Oh ? Est-ce qu’il serait possible qu’une affaire le tracasse ? pensa Mitsuha, avant de demander :

« Y a-t-il quelque chose qui vous tracasse, comte ? »

« Hmm, je dirais que oui. », répondit-il, apparemment perdu dans ses pensées.

Au bout d’un moment, il fit un sourire tendu et forcé.

« Pour aucune raison perceptible, les deux dernières récoltes dans notre région ont donné moins de blé qu’auparavant. Mais je doute qu’on puisse y faire quelque chose. »

« Hein ? N’est-ce pas juste des dégâts liés à la répétition des cultures et à un manque d’engrais ? »

« Quoi ? »

Il la dévisageait, stupéfait.

Mitsuha avait expliqué que cultiver sans cesse les mêmes cultures consommait les mêmes nutriments et épuisait le sol. Il devait utiliser quelques autres cultures et « tourner » entre elles. Il devait aussi fertiliser les champs en les utilisant comme pâturages, ou en les recouvrant d’une couche de compost ou d’humus. Elle n’avait donné aucun nom de culture et avait omis beaucoup de détails — cette information avait bien sûr un prix.

Le comte paya sans hésiter et posa question après question. Toutes les paroles avaient séché la gorge de Mitsuha, alors elle s’était mise à boire. Leur conversation avait pris une tangente et ils se mirent à traiter d’autres sujets.

« Vous devez développer une spécialité locale ! Vous avez deux options : soit vous faites quelque chose qui ne peut être fait que dans le comté de Bozes, soit vous faites quelque chose qui est bien meilleur que la concurrence ! Vous devez faire de votre nom une marque !

Augmentez les tarifs et vous gagnerez moins d’argent avec les impôts ! C’est du bon sens ! Accroître la demande intérieure ! Augmentez votre pouvoir d’achat ! Et attirer les marchands ! MARCHANDS !

Songez aux inventions ! Inventez quelque chose et produisez-le en masse ! Pensons à quelque chose tout de suite ! »

La fin de la conversation n’allait à première vue nulle part, et la voix de Mitsuha semblait se faire plus fort.

Il y a quelque chose qui cloche chez elle, pensa Iris, qui se rendit vite compte que Mitsuha ne tenait pas un verre de thé ou de jus, mais un verre de vin à la place. Cependant, incapable de nier la valeur des paroles de la jeune fille, elle feignait l’ignorance. C’était l’épouse d’un noble jusqu’à la moelle.

« Mitsuha, tu as une sacrée bonne descente ! » s’écria le comte Bozes, qui était aussi un peu ivre.

« Oh, allons donc Père ! Ah… », Mitsuha gela sur place.

Pourquoi ai-je dit ça ? Ma langue a-t-elle fourché ? Je m’amuse tellement, c’est comme si je me trouvais encore avec ma famille. Je n’avais pas pleuré quand c’était arrivé… J’avais pourtant tenu le coup assez bien. Et aussi pendant les funérailles. Et maintenant, je…

En un rien de temps, Mitsuha se mit à verse des larmes.

« C’est bon, ça ne me dérange pas si tu m’appelles “Père” », dit Klaus en l’embrassant doucement. Mitsuha s’agrippa à son torse virile et pleura comme un bébé jusqu’à ce qu’elle soit épuisée au point de s’endormir.

***

Partie 4

Je ne reconnais pas ce plafond, pensa Mitsuha. Cette blague devient lassante, hein ? Elle était maintenant seule dans la chambre d’amis, enterrée sous les draps de son lit. S’ils n’étaient pas au courant, quelqu’un aurait pu penser que c’était une prisonnière. Et elle l’était, d’une certaine façon, considérant qu’elle s’était enfermée dans sa chambre par pure gêne.

J’ai vraiment pleuré ! Des gémissements, des pleurnichardes, et tout le reste avec! Je suis maintenant une femme adulte qui s’est mise à pleurer contre le torse d’un homme ! Bien sûr, le comte est un bon et gentil gentilhomme à tout égard… Et tout le monde semble avoir officiellement déclaré que j’avais douze ans, alors peut-être que ce n’était pas si mal.

La voiture qui se dirigeait vers la capitale devait arriver dans deux jours plus tard, alors elle avait simplement prévu d’attendre son départ. Cette situation était trop délicate pour qu’elle puisse revenir sur Terre. Elle avait le temps, mais elle ne pouvait pas prendre le risque qu’ils découvrent qu’elle s’était volatilisée. Quoi qu’il en soit, elle avait tout ce dont elle avait besoin avec elle, elle n’avait donc pas l’impression que le problème était réel.

Voyons voir, deux couteaux, une épée courte, trois armes de poing avec chargeur de rechange… Hm ? Vous vous demandez pourquoi j’ai deux couteaux alors que j’ai dit à Alexis que je n’en avais qu’un ? Je parlais des couteaux pliants que j’avais cachés sur moi pour me défendre. Celui que j’ai mentionné était le couteau de chasse Randall que j’avais mis dans ma ceinture pour que tout le monde puisse le voir.

Hein ? Vous pensez que j’ai trop d’armes ? Allez, j’ai besoin de tout ça au cas où je serais attaquée par des bandits ou des monstres en chemin ! Le revolver me sera utile au moment où les autres armes seront coincées, et les armes cachées me seront utiles si je me fais attaquer quand je me changerais. Le couteau de chasse est là pour les cas d’urgence, mais il a d’autres utilisations aussi, comme trancher les oreilles de gobelin et tout ça… Quoi ? Quoi ? On n’a pas de telles quêtes ici ? D’accord, c’est bon !

L’épée courte, c’était juste pour le spectacle. Les gens de ce monde ne verraient probablement pas les armes de poing comme des armes, de sorte que Mitsuha ne pouvait pas être sûre qu’elle ne serait pas la cible, disons, de marchands d’esclaves qui la considéreraient comme une proie facile. L’épée était donc là pour dire aux gens : « Bas les pattes ! »

Oh, et voilà mon entraînement, bien sûr!

Revenons à quelques jours en arrière, lorsque Mitsuha était retournée dans le bureau du capitaine de l’organisation mercenaire privée « Wolfgang ».

« Voilà, mademoiselle », avait dit le capitaine à son entrée. Quelle salutation !

« Je suis là, capitaine », répondit-elle.

Ses mots le firent soupirer et baisser la tête. C’était un groupe de mercenaires, mais il n’était que « capitaine ». Personne ne l’avait appelé par son nom. Faire fuiter les vrais noms des mercenaires à l’extérieur n’est probablement pas une bonne chose, s’était dit Mitsuha. Peut-être qu’ils seraient heureux quand leur groupe deviendra célèbre ? Je n’en ai aucune idée.

« La préparation est terminée. Suivez-moi », dit-il tout en l’emmenant au stand de tir.

« Whoa! », lâcha-t-elle.

En voyant les armes sur la grande table, Mitsuha était si excitée qu’elle ne pouvait pas se contenir.

« C’est ce que vous avez commandé », avait expliqué le capitaine.

« Tout d’abord, l’épée décorative courte. Cette arme est nouvelle, pas une antiquité. Les antiquités sont fragiles et feront un trou dans votre portefeuille. Elle est vendue avec son fourreau, alors mettez-la à votre ceinture. Ça ne servira pas à grand-chose dans un combat, mais comme vous utiliserez vos autres armes, vous n’en aurez pas besoin. »

Mm, tout cela me semble correct. Je ne devrais pas avoir de problème à le tenir, de toute façon, pensa-t-elle.

« Ensuite, l’arme d’autodéfense, un Walther PPS. Il est petit et pèse un peu plus d’une livre (500 grammes). Il utilise des balles de 9 millimètres et vous pouvez en mettre huit dans le chargeur. Neuf si on compte celle qui est dans la chambre. Cela fait le travail dans la plupart des situations d’urgence. Si vous voulez quelque chose d’encore plus léger, il y a des canons de calibre 22, mais ils n’ont pas beaucoup de punch. Celui-ci est populaire parmi les femmes qui cherchent à se défendre. »

Oui, ça m’a l’air d’aller.

« Maintenant, votre arme principale, un Beretta 93 R. Il pèse deux livres et demie (1250 grammes), cette arme est plus lourde, mais elle utilise des chargeurs de quinze et vingt balles, plus la balle dans la chambre. Cette arme est de calibre 9mm. Le plus gros type de tir que vous puissiez faire avec cette arme est le mode rafale à trois balles. Vous pouvez passer du simple tir à la rafale comme ça. »

Il avait fait une petite démonstration.

« Allez-y à fond et vous allez manquer de munitions en une seconde, mais cela fonctionnera à merveille si vous avez besoin de tuer quelqu’un au moment où une bataille commence. Conservez-le en mode rafale et passez en mode de tir unique lorsque vous en aurez besoin. »

Oho. Oui, c’est un peu lourd, mais j’aime le mode rafale. Bon choix, capitaine !

« Et ça, c’est le revolver. C’est un calibre 38 », dit-il, sans ajouter un mot de plus.

Hein ? C’est tout ? Détestes-tu autant les révolvers ?

« Vous pouvez utiliser vos chargeurs de rechange pour jouer avec différentes balles. Il y a des balles perforantes, elles traversent des gilets pare-balles. Les pointes creuses peuvent neutraliser la cible même si vous manquez ses points critiques. Si vous utilisez un fusil, il y a des FMJ, et les mitrailleuses ont des traceurs et des balles perforantes incendiaires. »

O-Oui…

« Maintenant, essayez de le mettre dans son étui et de le mettre en place. Ensuite, il est temps de passer aux instructions et de s’entraîner au tir. Je vais vous dire comment vous occuper d’eux et vous donner quelques trucs à garder à l’esprit. On s’occupera de l’entretien pour vous. Apportez-les ici après les avoir beaucoup utilisés ou quand vous sentez que c’est le moment. »

En d’autres termes, Mitsuha n’aurait pas pu être mieux préparée pour le voyage. Ah ! J’aurais dû apporter des grenades aussi ! J’ai merdé !

Hein ? Vous vous demandez si je pourrais vraiment tuer des gens avec ça ? Bien sûr que je le pourrais. Avais-je une raison de ne pas le faire ? Je ne tuerais pas des gens normaux, bien sûr. C’est évident. Mais si quelqu’un avait essayé de me tuer, pourquoi l’épargnerais-je ? Vous attendriez-vous à ce que je respecte leur vie et que je me laisse mourir à la place ? Quelle blague !

Eh quoi, croyez-vous que je pourrais les attacher et leur parler sévèrement ? Ils m’attaqueraient à nouveau dès qu’ils se libéreraient. Sinon, ils s’en prendraient à quelqu’un d’autre. Combien de bonnes et honnêtes personnes seraient blessées ? Tout ce qui leur arriverait serait de ma faute. Si des innocents étaient tués, je serais leur meurtrière. Les ordures qui ont pris le mauvais chemin dans la vie ne sont plus des humains — ce sont des bêtes qu’il vaut mieux abattre.

Oh, et tuer des soldats ennemis me convient, même si ce ne sont pas des ordures.

Ils pourraient être de bons maris et de bons pères qui ne font que veiller sur leur famille, mais si’ils choisissent ce métier et s’approchent de quelqu’un avec l’intention de la tuer, elles ne pourraient pas vraiment se plaindre si c’était lui qui se faisait tuer. Bien sûr, certains se battent parce qu’ils ont été enrôlés ou quelque chose comme ça, et je compatis, mais à la fin, ma vie est importante et je ne veux pas mourir, donc je n’ai pas vraiment le choix.

J’ai vu des films où le personnage principal hésitait à tuer l’ennemi. Qu’est-ce que c’était que ça ? Allait-il bien dans sa tête ? Était-ce une marque de sa stupidité ? C’était encore pire quand leur hésitation causait la mort de leur ami ou de leur amant, entraînant encore plus de misère, de regrets, et euh… En gros, ils auraient dû garder cette pensée une fois qu’ils avaient tué l’ennemi, non ?

Quoi ? Non ? Ok…

“Mitsuha ! C’est l’heure du déjeuner !”

La voix d’une fille avait fait sortir Mitsuha de ses pensées délirantes et l’avait ramené dans la réalité. Celui qui l’appelait n’était pas le majordome, il craignait peut-être de réveiller une fille qui s’était endormie en pleurant. Si c’était le cas, il excellait certainement dans son travail.

Ce sera Sebastian pour toi, pensa Mitsuha. Oh ? Il s’appelle Stefan ? C’est dommage.

Le déjeuner avait été une expérience inconfortable. Ne vous inquiétez pas, tout le monde était encore très gentil avec Mitsuha. Ils n’avaient même pas mentionné les événements d’hier… mais leur regard l’avait rendue encore plus pénible. Elle était si mortifiée qu’elle ne pouvait même pas regarder le comte. Pour qu’elle se sente plus à l’aise, il avait soulevé toutes sortes de points de discussion.

***

Partie 5

Hein ? Des inventions ? La production de sel ? Des recherches sur des desserts ? Whoa, whoa, whoa, quelle genre de choses ai-je pu dire hier !? Faites comme si vous n’aviez rien entendu ! Hein ? Lequel est-ce que j’aime le plus ? De quoi ? De quoi ? Oh, vos fils… OK. Je ne suis intéressé par aucun des deux en ce moment. Rappelez-moi s’il vous plaît, n’ont-ils pas noué de lien depuis si longtemps que tu as peur que le puits se dessèche.

Quoi ? Quoi ? Pourquoi faites-vous la gueule, vous deux ? Oh, au fait, ça ne me dérange pas d’emmener la petite Béatrice. Hein ? Vous ne voulez pas qu’on t’appelle « petite » ? Vous savez que je serais votre grande sœur si j’épousais un de vos frères, non ? Quoi ? Vous allez arrêter ça quoiqu’il arrive ? Eh bien, faites de votre mieux. Je vais vous encourager.

Après le déjeuner, il y eut un tumulte. Pourquoi, me demandez-vous ? Pour Mitsuha, en fait. Le comte voulait parler d’agriculture, de foresterie, de taxes et de produits locaux. Lady Iris voulait faire du cosplay avec elle en utilisant les vieux vêtements de Béatrice. Alexis l’avait invitée pour une longue et pittoresque balade, mais elle n’était jamais montée à cheval.

Quant aux plus jeunes enfants… Théodore voulait en savoir plus sur les couteaux. Mitsuha connaissait certaines choses, comme le forgeage, l’alliage, les pourcentages de carbone et les prix. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se demander ceci : quel genre de gars insiste pour parler de couteau à une fille ? Béatrice, d’un autre côté, voulait simplement avoir une discussion de filles. C’était compréhensible, car il n’y avait probablement pas d’autres filles nobles de son âge dans le comté.

Très bien, il est temps d’essayer de vendre ces sous-vêtements (inutilisés) à nouveau. Petite pièce d’or, me voilà !

Beaucoup de choses se produisirent jusqu’au moment où il était enfin temps pour Mitsuha de se rendre dans la capitale. Oh, au cas où vous seriez curieux, ils discutèrent entre eux et ils prirent la décision de se la partager. Elle avait passé du temps avec l’un, puis l’autre, jusqu’à ce que tout le monde ait eu son tour. Elle avait à peine réussi à faire une pause.

Aussi, pourquoi diable Stefan s’était-il joint à la discussion sur le partage ? C’était un majordome, non ?

Quoi qu’il en soit, comme nous l’avions établi, divers événements s’étaient produits, et il était maintenant temps pour elle de partir.

« Prenez soin de vous, Mitsuha. Et essayez de ne pas vous lier avec des hommes suspects », déclara Dame Iris.

Oh, ne vous inquiétez pas, je me suis déjà beaucoup entraîné avec Alexis, se dit Mitsuha à elle-même

« Nous irons aussi à la capitale. N’oubliez pas de m’attendre », dit l’homme suspect en question. La saison des bals, un temps où les nobles se réunissaient dans la capitale pour diverses fêtes et occasions, approchait.

Je suis contente que ce ne soit pas maintenant, Alexis…

« Parlez-moi de votre pays la prochaine fois », dit Théodore.

Celui-ci s’intéressait beaucoup à la technologie.

Dommage que je ne puisse rien lui dire d’important. Pas encore, en tout cas. La patience est une vertu, petit !

« Quand je viendrai à la capitale, laissez-moi vous faire visiter tous les bons restaurants de la ville ! », dit Béatrice.

La fille semblait avoir bon l’appétit.

Le dernier, mais certainement pas le moindre, était le comte.

« Soyez prudente sur la route », dit-il.

« J’ai donné à votre escorte une lettre officielle demandant qu’on vous donne l’argent dont vous avez besoin. Il y a une limite, bien sûr, mais vous devriez pouvoir acheter autre chose qu’un palais luxueux. »

Je ne vous remercierai jamais assez, pensa Mitsuha.

Elle avait maintenant assez d’argent pour le voyage et tout ce dont elle avait besoin tout de suite. Elle avait aussi des pièces d’or qu’elle pouvait donner au capitaine. Elle mourait d’envie de savoir combien elles valaient sur Terre.

« Faites bon voyage. »

Stefan l’avait vue partir avec salut, elle se dirigea vers la voiture en compagnie de sa suite.

Oui… ma suite.

Les Bozes ne l’avaient tout simplement pas autorisée à voyager seule. Elle avait fait valoir le fait qu’elle sera avec plusieurs autres passagers à l’intérieur de la voiture, mais ils avaient quand même refusé. La saison des bals étant proche, ils voulaient aussi envoyer deux de leurs serviteurs en plus pour préparer la maison et s’étaient dit qu’ils feraient aussi bien d’aller avec elle. L’une était une femme de ménage d’une vingtaine d’années et l’autre un garde du corps d’une trentaine d’années. Le voyage durant une semaine, cela permettra à Mitsuha d’avoir quelqu’un à qui parler.

La calèche n’était pas le genre de décoration habituel utilisé par les nobles, c’était un chariot couvert qui pouvait accueillir un bon nombre de personnes. Il était tiré par deux chevaux et ressemblait à l'un de ses chariots bâchés peut être que vous pourriez voir dans les westerns. Outre les deux cochers qui la conduisaient à tour de rôle, il y avait sept passagers : Mitsuha est son groupe de trois personnes, un marchand d’âges moyen, plutôt grassouillet, une jeune mère avec sa fille et un jeune homme habillé comme un aventurier.

Aventurier !? N’est-ce pas un vrai boulot, bon sang ? Mitsuha se réprimanda rapidement pour son fantasme lorsqu’elle réalisa qu’il était probablement un garde du corps. Mais ça pourrait facilement juste être un passager. Quoi qu’il en soit, le voyage sera long. Mitsuha espérait discuter avec eux pour recueillir des informations, alors elle s’était dit qu’elle le découvrirait tôt ou tard.

Quelques heures s’étaient écoulées. Mitsuha en était venue à réaliser que son groupe — elle-même, une servante et un garde du corps — ressemblait clairement à une fille noble et à sa suite. Elle pouvait dire que les autres passagers étaient perplexes quant à la raison pour laquelle elle n’utilisait pas sa propre voiture, elle l’avait vu dans leurs yeux. Pire encore, ils l’évitaient activement ou prétendaient qu’elle n’était pas du tout là. Ugh, allez, bon sang!

Sept jours plus tard, ils étaient arrivés à la capitale. Et deviner quoi ? Il ne s’était rien passé de mal ! Nous n’avions pas du tout été attaqués par des bandits ni par des monstres affamés ! C’est dans un sens logique. Si des attaques de bandits se produisaient tout le temps, personne ne voyagerait ou ne ferait des échanges. Ouaip ! Je le savais ! Cependant, ce n’était pas comme si le fait d’accumuler les protections n’avait pas de sens. Elle était certaine qu’elles seraient utiles tôt ou tard.

La voiture avait ramassé et déposé de nombreuses personnes en cours de route. Pendant que Mitsuha discutait avec la bonne et le garde du corps, les autres avaient réalisé qu’elle était inoffensive et qu’elle ressemblait à une roturière, alors ils avaient aussi brisé la glace. Elle avait pu apprendre beaucoup du marchand. Elle avait même eu envie de lui faire quelques faveurs quand elle deviendra riche. Lui aussi était attaché à la capitale.

Une fois qu’ils avaient quitté la voiture, les préposés de Mitsuha l’avaient suivi au lieu de se rendre directement dans le manoir du comte — ce qui était les ordres du comte. Ils ne pouvaient pas la quitter avant qu’elle ne soit arrivée à l’auberge. Quel papa poule, pensa Mitsuha. Il avait d’abord insisté pour qu’elle reste dans la capitale et n’acceptait pas un non comme réponse. L’amener à la laisser aller où elle voulait était un travail éreintant. Elle avait dû prononcer des phrases aussi banales que :

« Je ne peux pas devenir indépendante de cette façon ! Je veux vivre comme un roturier, pas comme un noble ! »

Pourquoi a-t-il agi comme s’il avait un pouvoir sur moi, de toute façon ? Je suis resté chez lui quelques jours et je lui ai vendu un collier. Pour pas cher, aussi ! Hmph ! Bien que… oui, je voulais m’assurer d’avoir verrouillé son soutien. Mais attendez, c’est lui qui a recommandé l’auberge. J’espère que ce n’est pas une auberge pour noble qui coûte un bras et une jambe, n’est-ce pas ?

À la surprise de Mitsuha, c’était une auberge assez normale destinée aux roturiers. Il s’était avéré que la dame responsable du lieu était originaire du comté de Bozes et qu’elle connaissait le comte. Pour lui, c’était juste une auberge bon marché et fiable. La femme de chambre et le garde du corps avaient attendu jusqu’à ce qu’elle arrive, afin de remettre la lettre au propriétaire et se rendre au manoir des Bozes.

Très bien, je peux maintenant retourner sur Terre autant que je le veux ! Il est temps de passer aux choses sérieuses… Trouvons un endroit où je peux faire fortune !

***

Chapitre 6 : Un endroit qui m’appartient

Partie 1

L’auberge ressemblait à n’importe quelle autre auberge. L’hôtesse était une dame dynamique mariée à un chef silencieux qui excellait dans son travail. Ils avaient une fille de sept ans à qui il manquait visiblement des oreilles de chat, ce qui était vraiment dommage.

La fille ressemblait beaucoup à Colette, selon Mitsuha. Malheureusement, il était encore trop tôt pour lui rendre visite, le moment aurait été mal choisi.

Rien ne m’empêche de m’amuser avec cette beauté ! Oh, elle est trop occupée à aider ? D’accord… soupira-t-elle.

Mitsuha était allée dans sa chambre, avait rassemblé ses affaires, et s’était rendue sur Terre pour les déposer, puis elle retourna à l’auberge avec de nouvelles provisions. La robe et les chaussures avaient rempli leur fonction, alors elle les avait laissées à la maison en faveur de sous-vêtements de rechange et de nécessités quotidiennes. Réputée ou non, Mitsuha pensait que l’auberge n’était sûrement pas à l’abri des voleurs.

Cela ne me dérangerait pas trop si mon savon ou mes sous-vêtements se faisaient pincer, mais c’est une autre histoire pour cette robe. Elle m’a coûté beaucoup d’argent !

Mitsuha s’était habillée comme une roturière afin de se promener en ville. Stratégie 101 : gagnez un avantage en vous familiarisant avec les habitants !

Elle avait deviné que les routes principales seraient sûres pendant la journée, mais elle portait une arme de poing dans son étui à bandoulière et un couteau dans sa cuissarde, au cas où. Je devrai probablement faire plus attention une fois que j’aurai commencé à me démarquer.

L’endroit avait vraiment donné l’impression à Mitsuha que c’était la capitale. Même si ce monde était encore en développement, elle trouvait les bâtiments impressionnants. Elle avait trouvé les brochettes de viande assez savoureuses aussi, bien qu’elle avait choisi de ne pas penser à ce qu’elles contenaient. Elle évita les ruelles sombres et les bidonvilles. Elle n’avait pas besoin de clichés, de rencontres qui mettraient sa vie en danger.

Quand le soleil se coucha, Mitsuha était retournée à l’auberge. Le dîner était… louable, peut-être ? Beaucoup d’efforts y avaient été consacrés, mais les épices étant tellement hors de portée que le repas avait un goût fade. Ce n’était pas mauvais en soi, mais elle trouvait qu’il manquait quelque chose. Ah ! Je peux juste apporter quelques épices de la maison, pensa Mitsuha en nettoyant son assiette. Elle retourna ensuite dans sa chambre, rentra à la maison et prit la douche la plus rafraîchissante qu’il soit.

Après le déjeuner du lendemain, elle n’avait pas perdu de temps pour aller voir l’agent immobilier. Bien qu’il devait sans doute être tôt, elle s’était réveillée si tard qu’elle avait failli manquer le petit déjeuner, alors elle était presque certaine que le magasin serait ouvert. Elle avait dû demander son chemin plusieurs fois, mais elle avait fini par trouver le bon endroit. Il portait le sceau d’approbation du comte, donc elle n’avait sûrement pas à s’inquiéter. Quoi qu’il en soit, elle entra doucement. Elle aurait pu faire irruption comme si l’endroit lui appartenait, mais c’était comme une habitude maintenant.

« Soyez la bienvenue ! », dit le jeune homme derrière le comptoir.

Évidemment, ce n’étaient pas les mots qui sortaient de sa bouche, mais c’était ainsi que le cerveau de Mitsuha les avait traités.

« Bienvenue dans notre établissement. En quoi puis-je vous aider ? »

Wôw, il me traite comme un client même si je ressemble à un enfant, pensa Mitsuha. Il est doué pour ça. Je savais que je pouvais compter sur vous, comte Bozes ! Légèrement impressionnée, elle lui tendit une enveloppe.

« Umm, je voudrais une boutique ayant des pièces d’habitation attachées, s’il vous plaît. Tenez, j’ai une lettre de recommandation. »

L’employé l’avait prise et avait jeté un coup d’œil au nom au dos. Aussitôt, son visage pâlit. Il demanda à Mitsuha d’attendre un moment, puis se dépêcha de franchir la porte derrière lui.

Wôw, regardez-le aller… La parole d’un comte est vraiment efficace, pensa-t-elle.

Quelques instants plus tard, il avait été remplacé par un homme beaucoup plus âgé. Ce monsieur était lui aussi un peu paniqué, mais il avait gardé son sang-froid en disant :

« Mes excuses pour le retard. Je suis Lutz Zoltan, le propriétaire. Bienvenue dans mon humble établissement. En quoi puis-je vous être utile ? »

Le grand manitou en personne, hein ? pensa Mitsuha. C’était logique. Cette lettre prouve que j’ai des liens avec un noble assez puissant.

« Enchantée de vous rencontrer, monsieur », répondit-elle courtoisement.

« J’aimerais ouvrir une boutique. »

« Oui, c’est écrit dans la lettre. Nous avons plusieurs propriétés qui pourraient répondre à vos besoins. Pouvons-nous avoir des détails ? »

Il l’avait conduit dans un salon plus loin à l’intérieur du bâtiment. Les clients normaux étaient très probablement traités au comptoir, donc c’était sûrement un traitement VIP.

Peut-être qu’ils m’offriront des bonbons ?

Ils l’avaient fait, et Mitsuha les avait trouvés en très grande majorité… bof bof. Elle pensait qu’ils devaient être bons selon les normes du monde, mais ils ne pouvaient même pas se comparer aux desserts japonais. Son visage avait peut-être révélé son manque d’enthousiasme, mais M. Zoltan n’avait pas l’air contrarié. Il avait probablement supposé qu’elle mangeait de meilleurs bonbons tous les jours. Ou il aurait pu être trop tendu pour s’en soucier.

« Voici ce que nous avons à notre disposition », avait-il dit en présentant et en expliquant les options qui s’offraient à elle.

Dans un premier temps, Mitsuha décida que tout ce qui se trouvait dans le quartier noble devait être exclu.

Bien sûr, c’est sûrement un endroit paisible, et la clientèle serait bonne, mais ces prix sont insensés, et je ne veux pas avoir affaire à des nobles tout le temps. Il n’y aurait pas beaucoup de roturiers non plus. Ce n’est pas comme si je n’aimais pas les nobles. Je sais qu’il y a des gens bons et mauvais dans toutes les classes, de la royauté aux esclaves. Mais j’ai l’impression que je m’ennuierais et que je me fatiguerais assez vite si je devais traiter avec des nobles toute la journée. Ce n’est pas un vrai magasin sans le soutien occasionnel d’un nigaud naïf. Uh-huh.

On ne lui avait rien recommandé qui soit proche des bidonvilles pour commencer, alors, à l’exclusion du quartier noble, il lui restait des propriétés dans le quartier des roturiers. Elle pouvait choisir d’être plus proche du centre ou plus proche des nobles.

Hmmmm… Je suis presque sûre que j’aurai besoin de l’argent des nobles si je veux faire fortune, pensa-t-elle. Il y a aussi de la bonne nourriture dans le coin. Et non, ce n’est pas pour ça que je me suis promenée en ville hier ! Honnêtement !

« Puis-je jeter un coup d’œil à celle-ci, à celle-ci et à celle-ci ? », demanda-t-elle.

« Certainement », dit M. Zoltan.

« Voudriez-vous partir tout de suite ? »

« Oui, s’il vous plaît », répondit-elle

Les deux se préparèrent à partir. Mais cependant pas avant que Mitsuha ait mis le reste des bonbons dans sa poche.

Hein ? Pourquoi la serveuse avait-elle l’air si triste ? Attendez ! Allaient-ils prendre les bonbons restants ? Utiliser deux fois les mêmes bonbons n’était peut-être pas idéal pour la réputation de l’établissement, alors il n’était pas inhabituel de penser qu’ils donneraient les restes aux membres du personnel ou aux enfants. J’ai vraiment merdé… Désolée ! Je me rattraperai avec des bonbons japonais, promis !

Peu de temps après, Mitsuha et M. Zoltan étaient arrivés devant le premier magasin qu’elle avait choisi. Il est bien situé, observa Mitsuha. Le fait d’être près de la route principale signifie que j’aurais un bon flux de clients, mais ça a l’air si étroit. En plus, je ne veux pas trop de clients. Ça m’épuiserait. Je me contenterais d’une clientèle modeste qui ne me connaît que grâce au bon vieux bouche-à-oreille. Mon modèle d’affaires sera « Gros profits, rendements lents »… ! OK, ça n’a pas l’air génial.

Immédiatement après avoir vu la deuxième propriété, Mitsuha se dit à elle-même : M. Zoltan pense-t-il que je suis un multimillionnaire ? Qu’est-ce que je ferais de quelque chose d’aussi énorme !? Quoi, pense-t-il que je vais en faire un orphelinat afin que les enfants travaillent pour moi ? Me prend-il pour une sainte philanthrope ? Non, ce n’est pas moi ! Je passe mon tour ! Suivant !

M. Zoltan l’emmena devant le troisième bâtiment, qui était un peu à l’écart de la route principale. Il n’y avait pas beaucoup de gens qui passaient par là, et la région avait clairement connu des jours meilleurs. Il s’agissait d’un bâtiment en briques de trois étages qui abritait autrefois une auberge et un restaurant.

Comme tout établissement de ce genre, il possédait aussi une cour arrière, avec un puits. La pièce qui était autrefois la salle à manger était un bon endroit pour Mitsuha afin d’exposer ses marchandises, tandis que la cuisine avait un drain, ce qui signifiait qu’elle pouvait installer une salle de bain. Dans l’ensemble, ce lieu semblait parfaitement adapté à ses besoins. Le premier était trop petit, le second était trop grand, ce dernier était à la bonne taille. C’était une technique de vente de base et fiable. M. Zoltan savait vraiment comment faire.

« Je le prends ! », dit-elle comme une petite fille capricieuse qui achète des bonbons bon marché. Ce n’était pas le ton le plus approprié, car il devait probablement coûter des centaines de pièces d’or.

Ah, mais au fait… J’ai complètement oublié d’en demander le prix !

***

Partie 2

« Bienvenue, Mademoiselle ! », cria une foule de serviteurs à l’unisson.

« Bonjour… », répondit Mitsuha, un peu décontenancée.

M. Zoltan, par contre, était encore frigorifié. Elle lui avait demandé de l’accompagner pour discuter du paiement dans le manoir du comte Bozes, et à leur arrivée, ils avaient été accueillis par une foule de serviteurs.

M. Zoltan transpirait tellement que Mitsuha se sentait coupable. Il pourrait penser que je suis la fille du comte. Une servante les conduisit à la salle de réception, où ils rencontrèrent un homme à l’aura raffinée.

« Enchanté de faire votre connaissance. Je suis Rufus, le majordome », dit-il, bien qu’il n’ait dirigé son introduction que vers M. Zoltan. Mitsuha ne savait pas pourquoi il l’avait exclue, mais elle avait choisi de s’en désintéresser. Le majordome lui fit face et lui demanda :

« Mademoiselle, qui est cet homme, si je puis me permettre ? »

« Oh, voici M. Lutz Zoltan, un agent immobilier. J’achète l’une de ses propriétés pour en faire mon magasin. »

« Je vois. Maître Lutz, merci de faire affaire avec Mademoiselle Mitsuha. »

« S’il vous plaît, ce n’est pas la peine ! », dit M. Zoltan avec humilité.

Au cours de son entretien personnel avec Mitsuha, Stefan lui avait dit que les majordomes des nobles influents étaient assez puissants pour ne pas avoir à se soucier d’un quelconque vendeur. Il lui avait aussi parlé de Rufus en lui disant :

« Bien qu’assez jeune, il n’est pas mauvais du tout. »

Toutefois, il avait souligné que Rufus ne devrait jamais entendre parler de ses compliments. Mitsuha ne savait pas pourquoi elle avait prêté serment de garder le secret, mais elle pensait que c’était une forme d’éloge parmi les majordomes.

« Oh, mon Dieu. Mademoiselle, vos cheveux ont l’air un peu négligés », nota Rufus.

« Bertha, faites en sorte que cela soit corrigé dans les meilleurs délais ! »

« Compris ! », cria la bonne en question.

H-Huuuuh ? Mais nous étions sur le point de conclure un marché, pensa Mitsuha.

La bonne l’avait traînée par la main et l’avait assise dans une loge avant qu’elle ne puisse protester. Après avoir subi un bon peignage, elle avait finalement été autorisée à retourner à la salle de réception. Hein ? Pourquoi M. Zoltan me donne-t-il l’impression d’être mourant ? Est-ce qu’il respire au moins ?

« Ohh, Mademoiselle, bon retour parmi nous. Je vois qu’elle a fait un travail merveilleux avec vos cheveux. Vous avez l’air en pleine forme. Maintenant, où en étions-nous... Le prix, oui ? Combien vaut donc cette maison, M. Zoltan ? »

Le vendeur semblait encore privé de la plupart de ses points de vie. Désespéré dans sa voix, il avait dit : « Deux cent quatre-vingts pièces d’or ! »

Hein ? C’est si bon marché ! Quelle affaire ! se dit Mitsuha à elle-même. Il avait été convenu que la famille des Bozes paierait directement M. Zoltan. Lorsque Mitsuha avait demandé de l’argent pour des rénovations, elle avait reçu vingt pièces d’or, ce qui avait porté les dépenses totales à trois cents. Quelle belle somme !

Mitsuha avait vu M. Zoltan devant le manoir. Il l’avait informée qu’il rédigerait les documents et les enverrait à une date ultérieure, puis lui avait donné la clé de la maison. Elle était maintenant libre d’entrer et de sortir comme bon lui semblerait. Normalement, elle aurait hésité à signer un contrat sans d’abord vérifier les documents, mais comme Rufus et beaucoup d’autres serviteurs avaient été témoins de la signature, elle n’était pas du tout inquiète. Un vendeur professionnel savait ce qu’il se passerait s’il enfreignait les conditions.

C’est génial d’avoir un sponsor !

◇ ◇ ◇

« Bonjour ! »

Mitsuha avait appelé, et la réponse vint presque immédiatement.

Un homme lunatique et tendineux — qui aurait pu être d’âge moyen ou âgé — était sorti de l’arrière-boutique.

« Yeh ? Qu’est-ce que tu veux ? », demanda-t-il sèchement.

Mitsuha avait mis les pieds dans une menuiserie. Après s’être séparée de M. Zoltan, elle avait essayé de trouver quelqu’un à qui elle pourrait confier ses rénovations. Elle s’était alors demandé : oh oui, M. Zoltan doit connaître quelqu’un ! On vient de se séparer, mais je suis sûr que ça ne le dérangera pas si je vais le voir encore un peu. Je ne connais pas encore beaucoup de monde, alors je dois utiliser le petit réseau que j’ai !

Elle était retournée au Japon, avait acheté des bonbons occidentaux de haute qualité et s’était dirigée vers l’établissement de Lutz. Les bonbons, bien sûr, étaient un souvenir pour la fille. L’offre l’avait prise au dépourvu, mais Mitsuha l’avait persuadée d’une manière ou d’une autre de l’accepter et de faire appeler M. Zoltan.

« Pourriez-vous m’indiquer quelqu’un qui est bon dans ce qu’il fait, qui est fier de son travail et qui a l’esprit suffisamment ouvert pour essayer de nouvelles choses ? »

Elle ne savait pas pourquoi il avait hésité à l’aider. Cependant, elle n’avait pas reculé, et il avait fini par céder, à la condition qu’elle ne lui fasse que cette seule demande.

« Si je vous mets en contact avec quelqu’un, puis-je vous demander de ne pas marchander leurs tarifs ? »

« Hein ? Je ne le ferais jamais. Essayer de réduire le coût d’un artisan est une insulte à son métier. La qualité de l’exécution mérite une compensation appropriée », avait-elle dit, ajoutant qu’elle paierait directement cette fois-ci.

Après cela, M. Zoltan s’était enfin détendu et lui avait indiqué un ouvrier fiable.

C’était quoi tout ça, d’ailleurs ? se demanda Mitsuha. Est-ce que le marchandage a fait remonter de mauvais souvenirs ou quelque chose comme ça ?

« J’aimerais que vous les construisiez pour moi, s’il vous plaît ! », dit-elle en étalant quelques documents sur la table.

Kunz, le charpentier, les regarda avec admiration.

« Qu… Qu’est-ce donc… ? »

La première source de son choc avait été le papier lui-même. Il était mince, lisse et résistant en même temps, ce qui devait certainement être une rareté dans ce pays.

« Attendez, ce - ! »

Sa mâchoire tomba encore plus bas quand il vit les détails nets des images (qui étaient des photos) et l’écriture étrangère. Le coup de grâce avait été donné par les meubles exposés sur les photos. Chaque pièce était aussi nouvelle que belle.

« Cette chose est une table !? Et c’est une… armoire ? Et ça, c’est… »

« Ah, je n’ai pas besoin de celle-là », interrompit Mitsuha, lui montrant les meubles qu’elle avait besoin.

« J’ai besoin de ça, de ces étagères, et de ces vitrines à exposition. J’aimerais aussi des sécurités sur mes portes et fenêtres. Comme ceux-là, voyez-vous ? Je fournirai les pièces métalliques moi-même. J’aurai aussi besoin de ces supports pour les réservoirs d’eau. Vous pouvez voir à quoi ils ressemblent sur cette photo, je veux dire, le dessin. Vous voyez comme ils sont grands ? J’aimerais aussi que la salle de bain soit installée près de ma cuisine. Je m’occuperai de l’eau moi-même, alors divisez la pièce. Je vous en dirai plus quand on y sera, et — »

« … Je le prends », marmonna Kunz.

Ses yeux étaient fixés sur les dizaines de feuilles que Mitsuha avait imprimées à partir de son ordinateur. Il les avait tellement serrées qu’elle crut qu’il allait les déchirer.

« Mais on n’a même pas parlé des financements… »

« J’ai dit, je le prends. JE PRENDS CE BOULOT ! »

Eh bien, peu importe. Il est motivé, et c’est suffisant pour moi, pensa Mitsuha.

« Ces documents resteront avec moi, entendez-vous ? »

Hein ? C’est ce que tu voulais ?

« Bien sûr », elle avait accepté.

« Ce ne sont que des échantillons. Je vous apporterai quelque chose de plus détaillé plus tard. Et si vous voulez, je peux même vous donner des plans pour des meubles et des trucs qui n’ont rien à voir avec ma commande. »

Elle pensait qu’elle pouvait lui en donner autant. Les conceptions de base n’étaient pas une technologie extraterrestre futuriste. Mais elle leur laissait les méthodes et la durabilité entièrement entre leurs mains.

« Je vais le faire », déclara l’artisan.

« Je rattraperai ces génies même si c’est la dernière chose que je fais ! »

Wôw, il est vraiment excité, hein ?

Vous vous souvenez quand j’ai dit que je n’apporterais rien qui pourrait affecter l’avenir de ce monde ? Eh bien, j’ai menti ! Je plaisante, je ne vendrais rien de tout ça, mais il n’y a pas de mal si c’est juste pour moi, n’est-ce pas ? Il n’y a pas de problème à ce que j’utilise quelque chose qui ne dépend pas de moi. Même si les gens tombaient sur la technologie que j’ai en tête, ils ne pourraient pas l’analyser, et encore moins la rétroconcevoir. En plus, je ne veux vraiment pas y aller à moitié avec la sécurité.

Je dois aussi faire attention à ce que je mets sur le marché. Ce doit être quelque chose qui ne créera pas de problèmes si je disparaissais soudainement. Petits objets luxueux, petits outils pratiques… ce genre de choses. Les gens pourraient être tristes de les voir partir avec moi, mais cela ne leur causerait pas vraiment de problèmes. Oh, et je ne veux pas trop attirer l’attention des gens puissants. Cela compliquerait les choses, surtout si ces « gens puissants » comprenaient des marchands importants.

Oh, eh bien. Quoi qu’il arrive, ça arrivera. Si les choses tournent mal, je peux réessayer dans un autre pays ou faire une très grosse vente et ensuite me barrer d’ici. Non pas que ce soit l’idéal. Si possible, je veux faire fortune à un rythme confortable, en m’amusant avec tout le monde. Hein ? Ça ne sera jamais aussi lisse ? OK…

Quoi qu’il en soit, il était temps pour Mitsuha de rassembler certaines choses et de mettre en œuvre la phase suivante de son plan. D’où viennent-ils, me demandez-vous ? De sa maison sur Terre.

Normalement, elle aurait été contente de revenir, mais elle sentait que l’épreuve était épuisante. Huh. Je viens de réaliser qu’on ne peut pas lancer le sort « drainage » sans le sort « pleuvoir », s’était-elle dit. C’était assez ironique. Sottises mises à part, la voiture de sa famille était partie avec eux, de sorte que la place de parking des Yamano était toujours vacante. Mitsuha l’utilisait maintenant pour les livraisons, donc elle était occupée par un flux constant d’expéditions de magasins de rénovation, de grands magasins, de détaillants en ligne, etc.

Mitsuha avait acheté à un vendeur de carburant six gros réservoirs de propane. Elle les avait divisés en trois groupes de deux, en accrochant des tuyaux factices à l’extérieur de sa maison pour donner l’impression qu’ils étaient en service. Six bonbonnes de propane, c’était un peu trop pour une maison moyenne, mais elle avait convaincu le vendeur qu’elle en avait besoin pour l’alimentation de son nouveau travail à domicile. Elle le connaissait depuis longtemps, alors il était probablement un peu indulgent avec elle.

Elle utilisait du propane pour le four, la cuisinière et le bain dans son magasin, mais elle avait une raison différente d’utiliser deux réservoirs de cette taille à la fois — l’électricité. C’était l’épine dorsale de la vie moderne, et un générateur de propane était le meilleur moyen pour elle de l’obtenir dans l’autre monde. En réalité, les bouteilles de propane supplémentaires étaient des pièces de rechange qu’elle pouvait apporter à la capitale chaque fois qu’il n’y en avait plus.

Les génératrices à essence et au diesel avaient beaucoup de problèmes : elles étaient bruyantes, difficiles à remplir, mauvaises pour l’environnement, consommaient du carburant dangereux et pouvaient causer des inquiétudes si elles fonctionnaient trop longtemps. Ils ne pouvaient même pas se comparer aux générateurs à propane.

***

Partie 3

Bien sûr, Mitsuha n’avait pas négligé l’installation des panneaux solaires et une grosse batterie, ainsi qu’un système de contrôle de l’énergie électrique. Ce dernier était essentiellement un standard téléphonique pour l’aider à gérer ses multiples méthodes de production et de stockage de l’électricité.

Elle avait fait installer les panneaux solaires sur le toit pour qu’ils ne se démarquent pas. Le toit plat et ouvert — par opposition à un toit ordinaire à pointes — était une autre bonne chose au sujet de l’immeuble en brique qu’elle avait acheté. Les anciens propriétaires l’avaient utilisé pour suspendre leur linge.

Pour se divertir, Mitsuha avait apporté un téléviseur DEL qui ne consommait pas trop d’énergie, ainsi que plusieurs consoles de jeux. Étant donné que je vais passer beaucoup de temps dans l’autre monde, j’en aurai besoin pour regarder les achats dans mon carnet de commandes et jouer aux jeux vidéo. Une fille doit avoir un moyen de se détendre les jours calmes.

Elle avait acheté des barreaux en métal pour les fenêtres, ainsi que d’autres équipements de sécurité, et les avait transportés — ou simplement « transférés » — dans l’autre monde. Les marchandises qu’elle vendrait resteraient à la maison un peu plus longtemps. Elle était allée faire du shopping dans des magasins de rabais et avait acheté toutes sortes d’articles bon marché et utiles. Tout un tas d’entre eux se vendrait pour plusieurs pièces d’argent — des milliers de yens — chacun. D’autres valaient probablement une petite pièce d’or chacun. C’était un véritable trésor.

Mitsuha avait également fabriqué des cachettes pour dissimuler ses gains : une à la maison et une au magasin. Elle les appelait les « poches profondes ». Comme la zone autour du magasin n’était pas si paisible, et parce qu’elle était souvent loin de chez elle, elle avait besoin d’endroits sûrs pour garder son argent. Les faire était un jeu d’enfant. D’abord, elle avait fait l’acquisition d’un grand contenant de plastique et d’un tuyau de PVC de vingt pieds de long.

Ensuite, elle avait ouvert le plancher et avait sauté d’un monde à l’autre, tout en imaginant la Terre en dessous sous la forme d’un trou de vingt pieds de profondeur avec un espace ouvert au fond. Dans l’autre monde, elle était apparue à côté d’un morceau de terre ayant la forme d’un très grand cylindre de terre qui en sortait. Ensuite, elle avait sauté de nouveau dans le conteneur ayant le tuyau, en s’assurant qu’ils apparaissaient dans le trou qu’elle avait créé — avec le conteneur au fond, bien sûr — et le tour est joué. Succès !

Elle y avait pensé en parcourant le « mode d’emploi » interne qui lui avait été donné par l’être sans forme à côté de ses pouvoirs de guérison. Bien que son pouvoir ne puisse pas être utilisé pour transférer seulement un objet, elle pourrait apporter des choses s’ils étaient collés à elle. Elle n’avait même pas besoin de les toucher directement, ce qui était logique. Si elle devait toucher à tout ce qu’elle voulait transférer, elle se montrerait à la fin d’un transfert en sous-vêtements et en chemise, laissant les manteaux, jupes, chaussures et articles dans ses poches. Quelle tragédie ça aurait été ! À ce moment-là, elle avait suffisamment expérimenté ses pouvoirs pour en comprendre le processus.

Quand ces coffres seront pleins, je vais vraiment savourer le son que font les pièces de monnaie en les jetant dans le tuyau ! pensa-t-elle joyeusement.

Voler son stock d’or exigerait la connaissance des « poches profondes », creuser un trou de vingt pieds sans que personne ne s’en aperçoive, puis soulever l’or de cette profondeur sans utiliser aucune machine lourde.

Il ne pourrait pas entrer dans la maison, après tout. Le bruit, la manipulation de la terre déterrée, le danger du passage des personnes, les délais… C’était vraiment impossible pour tout le monde sauf Mitsuha. Elle pourrait simplement le transférer.

Même si quelqu’un découvrait les tuyaux, il n’aurait aucune idée qu’ils étaient à vingt pieds de profondeur et qu’ils contenaient un mine d’or au fond. Et si Mitsuha perdait sa capacité de sauter dans son monde, elle pourrait embaucher des gens pour la déterrer. Si elle n’avait pas à cacher le travail ou à le faire dans un délai limité, elle serait réunie avec ses pièces en quelques jours. Les deux mondes étaient assez avancés pour avoir au moins une bonne capacité de creusage.

Elle avait également fréquenté l’auto-école, puisqu’elle n’avait qu’un permis de conduire de scooter. Évidemment, elle n’avait pas besoin d’un permis ou d’une carte grise pour utiliser une voiture dans l’autre monde, mais elle devrait en acheter une sur Terre, elle devra aussi penser ensuite à l’entretien et les vidanges d’huile. Dans l’ensemble, c’était un investissement qui en valait la peine. En fait, Mitsuha n’avait pas l’intention de conduire Scooty ou une voiture dans l’autre monde. Cela la mettrait trop en valeur. Elle avait l’intention de les utiliser uniquement pour faire du shopping au Japon, mais elle était prête à faire une exception si la situation l’exige.

Les rénovateurs avaient rencontré des problèmes de temps en temps, mais ils faisaient des progrès décents. Pendant qu’ils étaient occupés, Mitsuha avait profité de l’occasion pour transférer ses marchandises au deuxième étage. Elle avait prévu de mettre en place des systèmes de sécurité pour ce niveau par la suite. Elle avait choisi le troisième étage pour ses quartiers personnels. C’était un déménagement qui privilégiait la sécurité à la commodité.

Elle avait entreposé une échelle de corde et d’autres outils d’évacuation sur le toit et prévoyait d’entreposer un sac à dos rempli de fournitures d’urgence ailleurs. C’était des préparatifs au cas où elle embaucherait des employés. Si l’endroit subissait un raid ou une attaque similaire et qu’elle ne pouvait pas sauter à cause d’eux, elle aurait besoin d’une alternative fiable. Mitsuha était une personne prudente et lâche qui était inquiète jusqu’à la moelle. Elle porterait cette revendication dans sa tombe, même si ses pairs n’étaient pas tous unanimement d’accord.

Après les préparatifs de sa boutique, Mitsuha se transféra à la base de mercenaires et se hâta de demander au capitaine ce qu’elle mourait d’envie de savoir.

« Bonjour, capitaine ! Alors, as-tu vérifié la valeur ? »

« Bordel, pourquoi ai-je toujours l’impression que tu sors de nulle part… ? Oui, on l’a fait évaluer. La pureté est de 90 %. Chacune d’elle vaut environ deux cent trente dollars sur le marché actuel, y compris les frais. »

230 dollars… C’est environ 25 000 yens (200 euros), pensa Mitsuha. C’est bien moins que ce à quoi je m’attendais. En plus, ça gâche mes calculs. D’après les prix de la nourriture et de la pension, Mitsuha avait estimé la valeur d’une pièce de monnaie à au moins 100 000 yens (800 euros). Ah, attendez. Je n’avais pas tort — c’est juste que les gens sur Terre accordent des valeurs différentes aux choses. Les Terriens ont beaucoup de dépenses — taxes, loyer, électricité, gaz, eau, voitures, divertissement, vêtements, nourriture, éducation, associations de quartier, etc.

Les gens de l’autre monde en ont beaucoup moins. Les gens qui ont une maison paient des impôts, puis il y a de la nourriture, des vêtements, du bois de chauffage, et… de l’alcool, peut-être ? De toute façon, ils n’ont pas à payer autant que les gens sur Terre. Bien qu’ils aient des revenus plus faibles… Si le revenu mensuel d’une famille de quatre personnes est de deux pièces d’or, alors oui, une pièce d’or vaut 100 000 yens. Mais le taux de change entre l’argent de ce monde et l’argent de la Terre est de 25 000 yens. C’est tout ce qu’il y a à faire.

Comparer les prix des produits de base entre les mondes était stupide. Dans l’autre monde, les récoltes étaient beaucoup moins chères, alors que les vêtements, la vaisselle, les ingrédients rares et les produits de luxe étaient absurdement chers. Les normes variaient énormément selon ce que vous aviez comparé. En fin de compte, de telles comparaisons n’avaient aucun sens, et Mitsuha ne pouvait sûrement pas dire si elle devrait vivre dans ce monde plutôt que dans l’autre.

Donc, comme j’aurais besoin d’un milliard de yens (8 millions d’euros) pour vivre au Japon jusqu’à mes 100 ans, il me faudrait 40 000 pièces d’or. Quant à l’autre monde… si je voulais vivre en mangeant de la bonne nourriture, en portant des vêtements confortables, en veillant tard et en achetant les nouveaux produits ménagers — une vie standard au Japon, mais en y vivant bien — il me faudrait aussi 40 000 pièces d’or, pour un total de 80 000. C’est mon objectif final… J’économiserai ces 80 000 pièces d’or et j’aurai une retraite paisible et heureuse !

*Point final *

S’il vous plaît, surveillez bien les autres œuvres de Mlle Mitsuha !

… OUAIS, D’ACCORD !

Quoi qu’il en soit, je suppose que dans l’autre monde, une pièce d’or vaut 100 000 yens, une petite pièce d’or vaut environ 10 000, une pièce d’argent vaut mille, et une petite pièce d’argent vaut cent. Et puisqu’une pièce d’or vaut 25 000 yens sur Terre, je dois faire une différence entre ma façon de penser à l’argent dans ce monde et dans l’autre.

Je vais devoir fixer des prix assez élevés, je n’ai pas vraiment le choix. Si mes affaires sont trop bon marché, elles s’envoleront des étagères et je n’aurai pas une seconde pour respirer. Sans parler de l’impact que cela aura sur le monde. Mais je ne veux pas non plus que mes biens me coûtent un bras et une jambe. Je suis sûre que j’aurais encore des gens prêts à payer pour les acheter, ce serait donc un moyen rapide et facile de faire fortune, mais le magasin général de Mitsuha n’a rien à voir avec ça !

Si je voulais faire quelque chose comme ça, je ferais le tour du monde pour vendre des perles et des pierres précieuses artificielles à des prix insensés. Ensuite, je pourrais me déguiser, changer de nom, embaucher des gens et amasser rapidement assez d’argent pour mener une vie confortable. Mais je ne ferai pas ça. Voulez-vous savoir pourquoi ?

Ce serait beaucoup trop ennuyeux ! La vie n’est pas qu’une question d’argent. Il en faut juste assez pour que ce soit amusant. C’est difficile de ne pas en avoir assez, alors « assez » est tout ce dont j’ai besoin. Mais à quoi cela servirait si je ne les gagnais pas sans m’amuser ? La vraie richesse, ce sont les amis qu’on se fait en chemin… ou quelque chose comme ça. Quoi qu’il en soit, si je peux, je veux obtenir l’argent à un rythme tranquille. Et heureusement, mon pouvoir rend ça très facile. Je vais partager ses bénédictions et passer un bon moment en le faisant ! Mais si ça m’amène des ennemis, je vais devoir les écraser. Je ne peux laisser personne menacer ce bonheur.

« Est-ce bon pour vous ? » demanda brusquement le capitaine.

« Hein ? Avec quoi ? », Mitsuha avait été ramenée au présent.

« En rêvassant. J’ai eu un long moment d’absence, désolée. »

Oups… Désolé !

« Bref, allons-y. »

« J’arrive ! »

Aujourd’hui, c’était une séance d’entraînement au fusil d’assaut. Mitsuha avait d’ailleurs depuis longtemps abandonné les grenades. Ses lancers faisaient en sorte qu’elles étaient au final toujours trop proches d’elle, alors les soldats qui l’entraînaient lui interdirent de les toucher. Je ne pourrais les manipuler que dans des jeux RPG ou quelque chose comme ça.

Surveillez bien le prochain travail de Mlle Mitsuha, « RPG-22 » !

Arrête cette blague, DOA (Dead Or Alive)

***

Chapitre 7 : Le magasin général de Mitsuha

Partie 1

Enfin, il était temps pour Mitsuha d’ouvrir les portes de son magasin. Les rénovations s’étaient déroulées sans accroc. L’intérieur du magasin avait tout ce dont elle avait besoin, y compris des étagères, des rideaux et de l’éclairage. Ses marchandises étaient toutes en place, leur prix était fixé et elle avait écrit des descriptifs. Pendant les heures d’ouverture, son système de sécurité était réglé sur « off ». L’espace de vie de Mitsuha était également prêt à être occupé.

Le générateur de propane avait été mis à l’œuvre, aidant à fournir de l’électricité à l’endroit. La société d’énergie solaire avait insisté pour installer les panneaux elle-même, mais Mitsuha avait affirmé qu’elle les utiliserait sur une île lointaine et qu’elle n’avait besoin que de savoir comment les installer elle-même. Avec l’aide de Kunz et de ses ouvriers, les mettre en place avait été un jeu d’enfant.

La salle de bains avait été étonnamment facile à construire. La cuisine ayant déjà un drain, il suffisait donc de construire une cloison en bois et de mettre la baignoire en place. Même la mise en place d’un approvisionnement régulier en eau chaude s’était avérée être un travail rapide pour les charpentiers. Mitsuha avait été vraiment impressionnée. Cette installation leur est totalement étrangère, mais avec un plan et une petite explication, ils ont tout fait à la perfection. Les artisans sont géniaux !

Une fois tout cela terminé, Mitsuha avait distribué des ensembles de serviettes gratuites à ses voisins d’à côté et aux trois foyers de l’autre côté de la route. Ils avaient trouvé la jeune fille qui tenait un magasin aussi impressionnante que le moelleux des serviettes. Toujours désireuse de faire une vente, Mitsuha n’avait pas oublié de mentionner qu’elles seraient disponibles dans son magasin.

Elle était aussi rentrée chez elle et avait imprimé plusieurs douzaines de dépliants sur son ordinateur. À son retour, elle les avait accrochés à l’extérieur de ses restaurants préférés, dans l’agence de M. Zoltan et dans quelques autres endroits. Elle avait écrit les lettres à la main avec sa souris. Le résultat était désordonné, mais un peu attachant. Quoi qu’il en soit, tout était en ordre, et le jour de la grande ouverture était arrivé.

Étourdie d’enthousiasme, elle s’était assise derrière le comptoir, où elle pouvait surveiller l’ensemble de l’aire de vente. Elle ouvrirait à l’équivalent japonais de dix heures, et fermerait à seize heures. Il n’y avait pas de pause pour le déjeuner, alors elle planifiait ses repas : elle mangerait un brunch rassasiant avant d’ouvrir chaque jour, puis prendrait un somptueux repas peu après la fermeture. Les dîners tardifs vous font prendre du poids plus rapidement, avait-elle rationalisé. Bien que j’aie peut-être besoin de plus de viande sur moi… dans certains endroits… Attends, non, tais-toi !

Mitsuha était aussi la seule membre du personnel, donc si la nature l’appelait, elle devrait attendre qu’il n’y ait plus de clients pour raccrocher une pancarte « Je reviens bientôt ». S’il y avait encore des clients à ce moment-là, cependant, elle n’aurait qu’à se retenir.

Très bien, tout le monde ! annonça-t-elle dans son esprit. Le magasin général de Mitsuha est maintenant ouvert !

OK, il est onze heures maintenant. Pas un seul client jusqu’à présent… Eh bien, c’est seulement le premier jour, donc les nouvelles n’ont probablement pas encore été diffusées. Et en plus, ce sont les heures de travail. Peut-être que j’inviterai des gens quand ce sera l’heure du déjeuner ?

Une heure, toujours pas de clients.

Trois heures, toujours pas de clients.

Quatre heures, toujours pas de clients… et il était temps de fermer. Mitsuha s’était effondrée sur le comptoir. Eh bien, encore une fois, c’est juste le premier jour ! Et ce n’est pas comme si je tenais un supermarché, je n’ai pas non plus fait d’annonce dans les journaux ni faite des promos d’ouverture et tout le reste !

La tendance s’était répétée le deuxième jour.

Onze heures, toujours pas de clients.

Une heure, toujours pas de clients.

Trois heures, toujours pas de clients.

Quatre heures, toujours pas de clients… et il était temps de fermer. Mitsuha s’était encore effondrée sur le comptoir. Dois-je prolonger mes heures d’ouverture pour attirer les gens qui rentrent du travail ? Non, c’est inacceptable ! Je veux dire, je devrais travailler encore plus ! Cela ne peut tout simplement pas arriver ! Mais que puis-je faire d’autre ? Hrm… Je viens de commencer et je suis déjà dans le pétrin… Je penserai à une nouvelle stratégie si la même chose se produit demain.

Troisième jour.

Onze heures, toujours pas de clients.

Une heure, toujours pas de clients.

Trois heures, toujours pas de clients.

Seigneur tout-puissant, aidez-moi !

Ding-a-ling !

ENFIN !, pensa Mitsuha, soulagée.

« BIENVENUE ! »

Elle avait accueilli avec joie ses premiers clients : un trio de filles en civil, mais bien entretenues.

« Cet endroit est nouveau, n’est-ce pas ? », demanda l’une d’elles.

« Oui, madame ! On a ouvert il y a à peine deux jours ! Regardez autour de vous ! Prenez votre temps ! »

Reste calme, Mitsuha ! Elles partiront si tu es trop insistante, pensa-t-elle, faisant un effort pour se calmer. À l’extérieur, du moins, son cœur battait à tout rompre en les regardant se promener. Elles s’étaient dirigées vers une section où se trouvaient des outils ménagers pratiques.

« Qu’est-ce que c’est ? Un ustensile pour retirer les écailles des poissons », demanda l’une des filles, perplexe.

« Absolument ! L’écaillage deviendra un véritable jeu d’enfant. Préparer un repas de poisson n’aura jamais été aussi facile ! », Mitsuha avait essayé de vendre le produit, mais…

« P-Poisson ? »

« Tu enlèves les écailles ? »

Elles semblaient encore plus perplexes. Hein ? Qu’est-ce qu’il y a de si bizarre ? se demanda-t-elle. Mais les filles n’avaient pas prêté attention à sa confusion, et avaient simplement échangé des regards avant de parcourir une autre étagère. Ustensiles de cuisine, lampes de poche, horloges, fournitures d’écriture… Beaucoup de choses semblaient les intéresser, mais Mitsuha pouvait dire qu’elles n’avaient aucune intention d’en acheter. Alors qu’elles se dirigeaient vers le joli coin des accessoires, Mitsuha pria, Ne me déçois pas maintenant… Merde ! Bon sang ! Elles l’ont fait ! Ensuite, il y a le…

Juste au moment où Mitsuha serrait les dents, les filles s’étaient arrêtées.

« Shampooing… ? », un membre du trio avait incliné la tête.

Très bien, c’est parti pour le business !

« Exactement ! », Mitsuha avait sauté sur l’occasion.

« C’est un liquide magique qui nettoie, répare et hydrate vos cheveux ! Un must pour chaque fille ! »

Ce monde avait des pains de savon, mais ils étaient primitifs, inefficaces, n’avaient pas un arôme agréable et coûtaient tellement cher que seuls les nobles et autres gens riches pouvaient se les payer. Faire fondre les barres était tout ce qu’ils pouvaient faire pour se laver les cheveux, et c’était trop luxueux pour un roturier typique. C’était là qu’intervenait mon produit unique en son genre et en édition limitée : une grosse bouteille de shampooing liquide à pompe !

« Mais huit pièces d’argent, c’est trop cher », murmura l’une des filles.

Mitsuha était, dans une certaine mesure, d’accord. Après tout, c’était un monde où un séjour d’une nuit dans une auberge moyenne, repas compris, coûtait quatre ou cinq pièces d’argent. Mais le shampooing devant eux était en avance sur tous les savons disponibles sur le marché, donc il devait y avoir un juste prix. Quand Mitsuha était chez les Bozes, Béatrice s’était plainte du fait que son savon était fragile et s’était épuisé trop rapidement. Ooh, je devrais lui en faire cadeau, pensa-t-elle, puis m’adresser à la fille qui semblait la plus intéressée.

« Je vous recommande vivement de l’acheter, mademoiselle. Une seule bouteille peut être utilisée des dizaines de fois ! Vu la beauté et la douceur de vos cheveux, c’est une belle affaire. »

« Des dizaines de fois !? »

Si je devais deviner, je dirais que ce sont des servantes ou quelque chose comme ça. Elles ne doivent pas avoir beaucoup de temps pour leur toilette personnelle, mais elles n’ont pas non plus le droit d’avoir mauvaise mine. Aucune d’entre elles n’avait les cheveux longs, probablement pour faciliter et accélérer les soins et le coiffage. Cela signifie qu’elles pourraient utiliser la bouteille encore plus souvent. En plus, elles n’auraient pas à perdre leur temps à faire fondre du savon.

« Oui ! Je le jure sur la réputation de mon magasin ! », déclara Mitsuha.

Les filles bavardaient entre elles pendant un moment, puis la fille avec la bouteille à la main s’était penchée pour la remettre sur le… OH NON !

« S’il vous plaît, attendez ! Souhaitez-vous une démonstration ? Je vais vous montrer ce qu’il peut faire ! Gratuitement ! »

Les filles se regardaient.

« Qu’en penses-tu ? », demanda l’une d’elles.

« Je suis curieuse, mais il est déjà si tard… »

« Ouais, on n’a pas beaucoup de demi-journées. On avait dit qu’on irait chercher de la bonne nourriture cette fois. »

Pendant ce temps, Mitsuha hurlait en elle-même. J’ai attendu mes premiers clients pendant DEUX JOURS et maintenant ils s’éloignent de moi ! Je suis à bout de nerfs… J’ai l’impression que je vais être ruinée si je les laisse partir. Je dois faire tout ce que je peux pour les garder ici !

« Attendez ! », leur avait-elle crié.

« Je vous préparerai aussi un repas. Je vous garantis que ce sera délicieux ! Rien d’autre dans cette ville ne sera comparable. Et ce sera gratuit ! Alors s’il vous plaît, essayez mes produits ! »

Les filles avaient probablement eu un peu pitié d’elle en la voyant désespérée. On pouvait voir dans leurs expressions qu’elles avaient du mal à refuser. Enfin, l’une d’elles avait pris la parole.

« OK... Je vais essayer. »

Cool ! avait applaudi Mitsuha. Avoir l’apparence d’un enfant m’a été utile pour une fois !

« Par ici, s’il vous plaît ! »

Elle avait mis une pancarte à l’avant pour dissuader les gens de se présenter, avait fermé la porte à clé et avait conduit les filles dans la cuisine. Après avoir demandé à son volontaire de se déshabiller, Mitsuha s’était un peu déshabillée, activa les systèmes d’eau chaude, alluma la douche tout en s’assurant que la température était exactement la bonne.

« Hein ? Qu’est-ce que c’est !? De minces ruisseaux d’eau chaude ? Qu’est-ce qui se passe !? »

La fille maintenant nue, Anke, ne pouvait pas retenir sa surprise.

Les deux autres regardaient à l’intérieur, les yeux grands ouverts.

« Asseyez-vous ici, s’il vous plaît », lui dit Mitsuha.

Toujours sous le choc, elle avait écouté et s’était assise sur la chaise de la salle de bain.

« Eep », s’exclama-t-elle quand l’eau lui toucha la tête, mais son sursaut s’était vite transformé en plaisir. Les bains étaient un luxe pour les roturiers de ce monde. Au mieux, leur routine d’hygiène consistait à se frotter avec des serviettes trempées dans des bols de lavage, puis à tordre les serviettes et à s’essuyer les cheveux avec elles. Ce mauvais processus de nettoyage avait été la cause de l’éclat huileux de la plupart des roturiers.

Se doucher sous un courant d’eau chaude comme celui-ci était rare, même pour les filles nobles. C’est l’heure du baptême, pensa Mitsuha.

Le shampooing avait également servi de revitalisant. Mitsuha utilisait elle-même un 2-en-1, mais cela ne la dérangeait pas d’acheter des produits séparés. Toute la famille Yamano avait toujours utilisé le même shampooing féminin 2 en 1. En acheter chacun un avait semblé être une perte de temps et d’argent. Son père et Tsuyoshi pensaient la même chose, alors les quatre Yamano se lavaient avec la même bouteille.

Maintenant, revenons à l’affaire qui nous occupe. Mitsuha arrêta la douche, versa du shampooing et se prépara à laver les cheveux d’Anke. Ne perdant plus de temps, elle avait commencé à frotter la tête de la fille. Elle est si sale que ça ne mousse pas. Mitsuha l’avait encore rincée, puis avait recommencé à frotter. Agh ! Toujours pas de mousse ! La troisième fois sera la bonne. Elle rinça à nouveau, frotta et… Eureka !

« Je suis désolée. D’habitude, une seule utilisation fait l’affaire, mais vos cheveux étaient si sales que j’ai dû le faire trois fois. », avait-elle dit

La franchise de Mitsuha avait fait monter des larmes dans les yeux d’Anke.

« Oups ! Je… Je suis vraiment désolée ! », Mitsuha s’écria en toute hâte.

« Laissez-moi me faire pardonner avec un essai gratuit de gel douche ! »

Elle avait encore rincé la fille, puis s’était précipitée pour aller le chercher. Mitsuha n’avait cependant pas l’intention de transformer son magasin général en une sorte de salon de beauté mousseux, alors elle en avait simplement mis dans les mains d’Anke et lui avait dit de se laver.

« Wh-Whoa ! Mmm, ça sent si bon ! »

Une fois la démonstration terminée, Mitsuha avait remis une serviette de bain au volontaire. Elle s’était légèrement essuyée avant de sortir un sèche-cheveux. Tandis qu’Anke se précipitait sur la douceur de la serviette, Mitsuha avait mis le sèche-linge en marche par derrière elle.

« AAAHHHHH ! »

Elle avait d’abord poussé un cri, puis s’était détendue, car elle avait trouvé cela non seulement inoffensif, mais extrêmement apaisant.

« Sérieusement, c’est quoi cet endroit ? C’est incroyable… », marmonna l’une des deux autres, qui regardait encore.

Elles s’appelaient Britta et Carla, et elles avaient l’air complètement sidérées.

Peu de temps après, toutes les trois s’étaient tenues devant les marchandises de Mitsuha, clairement dépitée. Elles convoitaient toutes le shampooing, mais ne voulaient pas non plus se passer du gel douche. Les deux étaient au prix de huit pièces d’argent, mais chaque fille n’en avait que douze, neuf ou dix pièces d’argent. Même les plus riches d’entre elles ne pouvaient acheter qu’un seul produit.

Toujours aussi perspicace, Mitsuha avait vu leur dilemme et avait proposé une solution.

« Et si vous mettiez huit pièces d’argent chacune, en achetiez une de chaque, et les partagiez ensuite entre vous ? »

« Hein ? Mais il y aura huit pièces d’argent en trop. »

Britta avait plissé les sourcils.

Mitsuha les avait emmenés ailleurs et leur avait présenté une boîte en velours d’un peu moins d’un pied de long de chaque côté (30 cm). À l’intérieur, il y avait des bagues brillantes, des bracelets, des colliers, des broches et d’autres babioles.

***

Partie 2

« Chacune de ces pièces coûte huit pièces d’argent également ! »

Leurs yeux brillaient. C’est comme ça que l’on fait des affaires, pensa Mitsuha.

« Attendez ici, s’il vous plaît », dit-elle en les guidant vers une table à manger dans le coin de la cuisine.

Elle avait ensuite disposé une grande casserole sur la cuisinière. Mitsuha avait préparé la table pour accueillir les futurs invités, mais l’occasion s’était présentée beaucoup plus tôt que prévu. Les rénovations avaient vraiment rafraîchi la cuisine autrefois simple, créant une ambiance propice pour manger. Elle avait allumé la cuisinière à gaz avant l’affaire du shampooing, donc l’eau bouillait depuis un certain temps.

Lorsque Mitsuha s’était éloignée du groupe, les trois filles avaient commencé à chuchoter entre elles.

« Qu’est-ce que c’est ? Du feu ? », demanda Anke.

« Anke, tu ne dis rien d’autre que “qu’est-ce que c’est”, “qu’est-ce que c’est” depuis qu’elle a commencé à te laver », dit Carla.

« Qu’est-ce que je suis censée dire d’autre ? »

« Regarde tes cheveux, cependant… Argh, j’ai merdé ! J’aurais dû me porter volontaire. »

« Tu l’utiliseras aussi, Carla. »

« Oh, regarde ! Les cheveux de cette fille sont aussi vraiment lisses. J’aurais dû savoir que ce shampooing était bon quand j’ai vu ce brillant. »

« Ouais. C’est ce que nous avons appris dans l’une de nos leçons », s’était jointe Britta.

« Les serviteurs de nobles doivent juger rapidement d’après ce qu’ils savent de leur environnement. »

« Wow, Britta. Tu t’en souviens ? »

« Tu es probablement la seule à ne pas avoir retenu. »

Pendant qu’elles discutaient, Mitsuha apporta le premier plat. Elle avait été incroyablement rapide — quelques minutes seulement s’étaient écoulées depuis qu’elle s’était dirigée vers le poêle.

« Notre premier plat est une soupe appelée minestrone. »

« Hein ? Avez-vous fait de la soupe si vite ? », dit Anke.

Elles étaient surprises et quelque peu hésitantes à le manger, mais leur faim et leur curiosité avaient pris le dessus.

« C’est délicieux ! »

L’éloge aurait pu venir de n’importe laquelle d’entre elles. Le goût de la soupe était si fort et si profond qu’elles n’arrivaient pas à croire qu’une petite fille l’ait fait en quelques minutes seulement. C’était encore mieux que les repas qu’elles prenaient dans le manoir où elles travaillaient. Leur étonnement n’avait rien changé à leur faim, cependant, et au moment où elles avaient nettoyé leurs assiettes avec voracité, un nouveau plat était en train d’être placé devant eux.

Comment est-elle si rapide ? Elle a juste décidé qu’elle allait nous faire à manger il y a peu ! se demandèrent-elles alors que Mitsuha posait les assiettes.

« Du radis blanc bouilli et de l’ambre — un poisson de la mer », avait-elle déclaré.

« Hein !? DU P, POISSON !? »

« Oui, et alors ? »

« R-Rien ! Rien du tout ! »

Britta agita les mains.

Mitsuha ne savait pas quoi penser de leur réaction. Qu’est-ce que cela veut dire… ? C’est quoi le problème entre ces filles et les poissons ? C’est un tabou ou quoi ? Ai-je merdé ? Eh bien, elles le mangent, donc c’est probablement bon. Elle sentait ses soucis se dissiper en les regardant se régaler. C’est bon de voir qu’elles ont aimé la soupe en conserve et l’amberjack cuit à l’étouffer. Passons au plat suivant !

Mitsuha avait sorti un plat après l’autre.

« C’est du rosbif. Trempez-le dans cette sauce avant de manger. »

C’était censé être pour moi. Bien sûr, c’est juste un dîner peu cher que l’on peut voir à la télé, mais j’aime vraiment ça ! Hnngh… Elle se plaignait du sacrifice, mais pensait que son travail était plus important.

« Voici un autre plat de bœuf pour vous, mais cette fois il est bouilli », dit-elle.

Le bœuf était joliment épicé et présenté dans des boîtes de conserve. Mitsuha avait dû en ouvrir six, car une portion individuelle ne suffisait pas.

« Essayez ce risotto ! »

Le risotto était aussi un produit à faire bouillir tel quel. Elle en avait cuisiné et en avait assemblé deux pour les filles.

Quand Mitsuha était retournée préparer plus de nourriture, Carla avait chuchoté.

« Hé, c’est juste moi, ou est-ce que toute la nourriture vient de cette… marmite ? »

« AHHHH ! Ne dis pas ça ! J’essayais de l’ignorer ! », dit Britta, un peu pâle.

« C’est bon, c’est une bonne sorcière. Elle doit l’être », marmonna Anke à elle-même.

L’assaut culinaire de Mitsuha allait bon train.

« C’est du ragoût de bœuf. »

Encore une nourriture en sachet du magasin de rabais.

« Et pour finir, votre dessert : la glace. »

C’était un pack de six glaces glacées Chateraise, pour être précis. La marque de desserts était connue pour sa haute qualité et son bas prix, elle était donc parfaite pour ses besoins. Mitsuha les avait sortis du réfrigérateur, avait enlevé les bâtonnets, les avait mis dans des verres et les avait servis avec des cuillères. Une seule bouchée suffisait pour que les filles soient perdues.

« Qu’est-ce que c’est !? Il fait si froid ! Si doux ! Si bon ! »

« C’est… incroyable ! »

L’une d’elles était si stupéfaite qu’elle n’avait pas dit un mot.

« On va couronner tout ça d’un peu d’étonnement », dit-elle.

« Une boisson chaude est parfaite après un dessert froid. »

C’était un saké sucré lyophilisé que l’on pouvait préparer en ajoutant simplement de l’eau chaude. Facile, délicieux, bon marché, durable, et peut-être même bon pour vous, c’était l’un des favoris de Mitsuha.

« Avez-vous aimé la nourriture ? », demanda-t-elle, tout sourire.

Leur déjeuner était enfin terminé.

Les trois filles hochèrent la tête.

« Oui, oui. Vous ne mentiez pas… C’était le meilleur repas que j’aie jamais mangé. »

« Umm, c’est ce chaudron a-OUCH ! »

La question de Carla avait été raccourcie par Anke et Britta, qui avaient marché discrètement sur ses pieds.

« Merci pour tout », dit Anke alors qu’elles se préparaient à partir.

« Ah, attendez un moment s’il vous plaît. » Mitsuha les avait retenues.

« Voici un petit quelque chose à partager avec vos collègues, vos amis ou votre famille ! Enlevez l’emballage avant de manger ! »

Elle leur tendit un pot mince, transparent et étrangement léger, rempli de ce qui ressemblait à des œufs d’argent et d’or.

« D’accord… », répondit Britta humblement.

Sur ce, les trois partirent, berçant leurs achats et le contenant d’amandes au chocolat emballées dans du papier d’aluminium.

Mitsuha avait célébré immédiatement après leur départ. Oui ! J’ai eu mes premiers clients et fait ma première vente ! Cela m’a coûté quelques-uns de mes plats cuisinés, mais cette vente en valait la peine. Cela me faisait un peu peur de ne pas avoir beaucoup de variété et de leur donner que du bœuf, mais les saveurs étaient si différentes qu’elles ne s’y intéressaient même pas. J’ai dû cependant en utiliser plusieurs de chaque… Pas un seul paquet où l’on pouvait en avoir assez. Maintenant, si elles rentrent et qu’elles passent le mot, mon magasin pourra exploser en popularité !

Ah, mais je ne suis pas sûre de vouloir trop d’affaires. Si je suis trop occupée, je n’aurai pas le temps d’aller aux toilettes ! Teehee !

« Eh bien ? », demanda Anke peu de temps après leur départ.

« Eh bien… », dit Carla.

« Et s’il y avait des insectes bizarres à l’intérieur ? Quand tu les manges, ils rampent dans ton cerveau et prennent le contrôle de ton — »

« NE DIS PAS ÇA ! », dit Britta en pleurant.

« Eh bien ? », demanda Anke encore une fois.

« Eh bien… »

« J’ai l’impression que si l’on ne fait pas ce qu’elle a dit, quelque chose de mal va arriver. »

« Comment ça, Britta ? »

« Distribue-les, comme elle nous l’a dit. »

« Mais tout le monde le fera… »

« Ça devrait aller tant qu’on suit ses instructions. Nous les remettrons à Marcel, nous prendrons nos visages les plus sérieux et nous lui dirons qu’ils viennent d’une étrangère. Nous ne mentirions pas, mais nous n’irions pas à l’encontre de ce qu’elle nous a dit de faire. Elle nous a demandé de “partager avec un collègue”, non ? En plus, Marcel est notre chef cuisinier ! Il saura s’il y a quelque chose de bizarre chez eux ! »

Anke avec ses cheveux soyeux, Britta avec une nouvelle broche brillante sur la poitrine, et Carla, tenant les amandes en chocolat, elles acquiescèrent d’un signe de tête. Elles espéraient que Marcel les comprendrait à leur retour au manoir.

◇ ◇ ◇

« Wow ! », s’exclama Marcel.

Bien sûr, n’importe qui aurait fait la même chose s’il avait été approché par trois femmes au visage si effrayant. Ai-je fait quelque chose de mal !?

« On a reçu ça d’un étranger ! », déclara l’une d’elles, poussant quelque chose de totalement étranger pour elle.

« Elle a dit qu’il faut enlever l’emballage et les manger. »

Alors c’est de la nourriture, c’est ça ? Marcel n’avait pas eu le courage de les refuser ou de fuir la scène. Il ouvrit le récipient, le tendit avec effroi vers l’intérieur et sortit l’un des objets. Puis, après l’avoir regardé fixement pendant un certain temps, il en retira l’emballage.

« C’est marron », dit-il.

« Cela possède une saveur riche et sucrée… »

L’odeur était nouvelle pour lui. Intrigué, il le renifla, le regarda de tous les côtés. Il n’avait jamais rien vu de tel. Finalement, il lui donna un coup de langue.

« EEK ! », les filles crièrent à l’unisson.

« Pourquoi criez-vous toutes !? »

Il le craqua, puis se pencha pour manger un morceau.

« AHHH ! Il l’a mangé ! Il l’a vraiment mangé ! »

« Qu’est-ce qui ne va pas chez vous trois ? Attendez, qu’est-ce que c’est que ça !? Amer ? Sucré ? Cette texture, cette odeur, ce goût… C’est unique en son genre ! D’où sortez-vous ça ? »

Marcel avait été interrompu par une voix venant de derrière.

« Vous êtes tous si bruyants. De quoi s’agit-il ? »

« M, madame… »

Ils s’étaient humiliés eux-mêmes.

Peu de temps après, le groupe était assis autour d’une table dans le salon. Les propriétaires du manoir, le vicomte Matheus von Ryner et son épouse, Amalia, qui s’étaient exprimés plus tôt, étaient maintenant présents. En plus de ces deux-là, il y avait le chef cuisinier des Ryners — Marcel — et les trois filles, soit un total de six personnes.

Les Ryners étaient nouveaux dans la noblesse, n’ayant atteint leur statut que dans la dernière génération. Pour cette raison, il n’y avait pas une grosse barrière sociale entre eux et leurs serviteurs, et ils n’avaient rien contre le fait de converser d’égal à égal. Ils n’avaient même pas été gênés quand le personnel s’était laissé emporter et que leur étiquette était passée par la fenêtre.

« Alors, vous dites qu’elle vous l’a donné ? », demanda la dame.

« Oui, oui… »

« Qu’en penses-tu, chéri ? »

Le vicomte Ryner avait incliné la tête à la question de sa femme.

« Hmm… Et vous pensez que cette fille était une sorcière ? »

« C’est une bonne sorcière ! Certainement ! », Anke avait atténué son propos.

« Du moins, je le pense. »

Elle était sans doute satisfaite de ses cheveux lisses.

« Êtes-vous sûre que c’est du poisson frais qu’elle vous a donné ? Pas séché, pas fumé, pas mariné ? », demanda Marcel, encore dubitatif.

« Oui, quand j’étais petite, je suis allée dans un village au bord de la mer et j’ai mangé du poisson frais. Le sien avait le même goût. L’autre nourriture était délicieuse aussi ! », dit Britta.

Carla acquiesça d’un signe de tête. Marcel avait l’impression qu’elles avaient juste snobé sa cuisine, ses épaules tombaient un peu.

Matheus secoua la tête.

« Je ne peux pas dire que je le crois. Le village de pêcheurs le plus proche est à dix jours de voyage en chariot. Même une diligence prendrait au moins une semaine. Disons que si vous aviez une charrette robuste et légère, que vous preniez une petite charge et que vous remplaciez constamment le cheval et le chauffeur. Et si on ne faisait pas un seul arrêt, ça prendrait au moins trois jours. Sans oublier que cette méthode ferait du poisson un véritable luxe. Cela coûterait une douzaine de pièces d’argent chacun. Et ça ne marcherait qu’en hiver, quand il y a de la neige et de la glace pour les conserver au froid, ce qui est impossible à cette époque de l’année ! Il n’est pas question non plus de faire bouillir le poisson et de le garder au chaud sur le chemin du retour. Ça prendrait trop de temps, et tu le ferais trop cuire. Il ne serait même pas comestible. »

Marcel acquiesça de la tête. Bien sûr, un chef savait ce genre de choses.

« Bien que je suppose qu’il n’y a pas de raison d’en faire trop. »

Comme la conversation était dans une impasse, Amalia avait changé de sujet.

« Au fait, Anke. Pour quelles raisons vos cheveux sont si soyeux et qu’ils sentent si bon… ? »

« Oh, oui ! C’est grâce à ces produits magiques dont on vous a parlé. »

« Magique, dites-vous ? Laissez-moi-les utiliser. »

« Hein ? »

Les trois filles lui jetèrent un coup d’œil. Amalia avait les cheveux longs, alors elle utiliserait une bonne partie de leurs précieux produits.

« Je paierai pour eux ! Seize pièces d’argent ne sont rien pour moi ! Je vous les rendrai même après une seule utilisation », s’exclama-t-elle.

Les filles n’avaient rien contre ces conditions. Bien qu’étant ses servantes, elles ne pouvaient pas refuser même si elles le voulaient.

« Et Britta, à propos de cette broche… ? »

« Oh, c’est ce que j’ai acheté avec mes huit pièces d’argent. »

« C’est beaucoup trop bon marché pour quelque chose de cette qualité ! »

« C’est parce que c’est artificiel, du moins c’est ce qu’elle m’a dit. »

« Bien sûr que c’est fait par l’homme. C’est une broche ! Êtes-vous en train de dire que Dieu a fait toutes les autres ? »

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. Cette gemme n’est pas réelle, il a été fait par des gens. »

« Un faux ? Ça !? »

Amalia n’en croyait pas ses yeux, mais elle se demandait aussi pourquoi la soi-disant sorcière admettait qu’elle vendait des produits contrefaits. Il n’y avait aucun mérite à faire tout le contraire, en fait.

« Eh bien, ça ne coûte rien de le faire avec de la magie… », marmonna-t-elle.

« Maître Ryner, avec un tel pouvoir, acquérir des ingrédients et des recettes rares serait simple ! », dit Marcel en faisant face au vicomte

« En effet. Il serait sage de lui demander de l’aide. Je vous confie tout cela, Marcel. »

« Entendu, monsieur ! »

Le chef inclina la tête et partit.

***

Chapitre 8 : Débutante

Partie 1

Le quatrième jour ouvrable, à dix heures et quart du matin, la cloche de Mitsuha sonna.

Ding-a-ling !

Super ! Un client tout de suite après l’ouverture !

Elle avait accueilli son client avec le sourire.

« Bienvenue ! »

L’homme qui était entré fit un brusque signe de tête, puis se promena dans le magasin. Il était potelé et avait l’air d’avoir la trentaine. Pour quelqu’un d’aussi jeune, son ventre est assez massif, pensa Mitsuha. C’est soit un gros bonnet, soit un gros mangeur qui ne fait pas trop d’exercice.

Après avoir pris connaissance de l’aménagement du magasin, l’homme s’était dirigé vers la section des ustensiles de cuisine. Il avait examiné une écailleuse avec une expression curieuse, mais il l’avait remis immédiatement après. Quand il avait vu le prochain objet d’intérêt — un couteau de cuisine — ses yeux s’étaient élargis. Le prix, cependant, l’avait fait dégonfler un peu.

Ce couteau est l’une des meilleures choses que j’ai à vendre. J’ai dépensé 58 000 yens dessus, et je ne le vends que pour deux pièces d’or et cinq petites pièces d’or… connaissant les taux de change entre les mondes, je rentrerais à peine dans mes frais.

C’est de toute façon moins un produit qu’une décoration. « Regarde ! Nous savons ce qui est raffiné ! Nous avons des produits de haute qualité » et tout cela. Cela ne me dérangerait pas si je vendais celui-là. J’ai vu une émission une fois sur la façon dont ils sont faits. Chacun est forgé à la main avec soin. C’était une super émission télé… Ça m’avait vraiment ému !

Mitsuha le regarda prendre le couteau et passer à un autre produit. Attends, hein ? Il l’achète !? Joli ! Il a l’œil pour la qualité ! Cela me rend un peu heureuse, même si je n’en tirerai pas grand-chose.

Peu de temps après, l’homme apporta une pile de marchandises au comptoir.

« Excusez-moi, j’ai quelques questions. », dit-il

Oh ? On ne part pas encore, n’est-ce pas ?

« Demandez toujours ! Et n’hésitez pas à utiliser ce panier. »

N’ayant probablement jamais vu une telle chose, il avait placé ses articles dans le panier le plus haut avec une expression déconcertée.

« D’abord, j’aimerais vous poser une question au sujet de l’écailleuse. Pourquoi le vendez-vous ? »

Hein ? Y a-t-il un problème avec ça ?

« Parce que c’est utile. Avec ceci l’écaillage devient un jeu d’enfant, donc c’est un super cadeau pour les ménagères… », dit-elle, perplexe

Le choc sur son visage était clair.

« Petite dame, avez-vous une idée de la distance qui nous sépare de la mer ? Tout le poisson ici est soit séché, mariné ou fumé. Aucune personne n’aura besoin qu’on enlève les écailles ! »

Oh non ! J’ai merdé ! Cela n’a rien à faire ici ! C’est pour ça que les filles étaient si bizarres…

« J’aimerais aussi savoir comment les utiliser », avait-il dit en montrant le panier du doigt.

Oh, donc il n’achète pas encore. C’est vraiment dommage. Et puis, il n’y a presque rien d’autre que du matériel de cuisine là-dedans… Il doit être chef ou quelque chose comme ça.

« Certainement », commença-t-elle.

« C’est un éplucheur, le nom dit tout. Vous l’utilisez comme ça. Il rend le pelage si facile, même un enfant peut le faire ! Franchement, c’est injuste pour les cuisiniers expérimentés. »

Stupéfié, l’homme ne pouvait qu’écouter.

« C’est un sablier. Quand vous le retournez, le sable tombe au fond. Il lui faut toujours le même temps pour s’épuiser. Cela nous permet de savoir depuis combien de temps on fait bouillir quelque chose. Je les ai en plusieurs tailles, dont trois, cinq et dix minutes.

Ah, celui-ci est un ouvre-boîtes. Il ouvre des “boîtes”, c’est-à-dire des récipients de stockage qui permettent de conserver les aliments pendant des années. Vous pouvez aussi en manger directement. Vous trouverez des conserves là-bas. »

La plupart des boîtes de conserve de nos jours n’avaient pas besoin d’un ouvre-boîtes, mais le magasin à prix réduit où Mitsuha avait acheté la plupart d’entre elles en nécessitait un. Elle avait également pensé que les boîtes de conserve dépendantes de l’ouvre-boîtes étaient la première étape logique pour les introduire dans ce monde.

Plus elle lui expliquait, plus une rougeur se répandait sur son visage. Enfin, l’homme avait pris la parole.

« S’il vous plaît, parlez-moi de ça. Pourquoi est-ce si cher ? »

Il avait posé le couteau sur le comptoir.

« Ah, parce que ce n’est pas un jouet d’enfant. On ne l’a pas fait en versant du fer fondu dans un moule. », dit-elle, sentant une opportunité de vendre un produit cher.

« Quoi ? »

L’homme lui lança un regard mécontent, se sentant peut-être un peu défié par son ton.

« C’est un chef-d’œuvre réalisé pendant d’innombrables jours par plusieurs hommes — non, des démons — qui ont passé des décennies à perfectionner l’art de la forge des couteaux de cuisine ! C’est à la fois un instrument et une œuvre d’art ! C’est l’accomplissement ultime des “Démons de l’acier” ! »

« Démons de l’acier… », dit-il en avalant sa salive.

« Vous voyez ici ? Il a été forgé à plusieurs reprises. L’union entre l’acier doux et l’acier dur l’a rendu si parfait. Cet exploit miraculeux a donné naissance à un couteau à la fois aiguisé et robuste ! »

Ses mains, qui tenaient la lame, tremblaient.

Mitsuha poursuit : « Honnêtement, je ne gagnerai aucun profit en le vendant, mais c’est notre devoir en tant que commerçants de transmettre ces chefs-d’œuvre d’artisans aux chefs. Si c’est trop bon marché, les artisans ne pourraient pas gagner leur vie, mais si c’est trop cher, les chefs ne pourraient pas se le permettre. C’est un cas où nous devrions nous sacrifier pour le bien commun. N’êtes-vous pas d’accord ? »

« Je vais le prendre ! », cria l’homme, les larmes coulant de ses yeux.

Merci beaucoup !

Après avoir retrouvé son sang-froid, il avait repris la parole.

« Au fait, j’aimerais parler au commerçant. Puis-je ? »

« Euh, bien sûr, allez-y », dit-elle.

« Alors… pourriez-vous les appeler pour moi ? »

« Euh, comme je l’ai dit, allez-y. Parlons. »

« O, Ohhh, je vois. Aussi jeune que vous soyez, vous êtes la seule au comptoir, donc je suppose que ça fait de vous la commerçante. Mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Je voudrais parler au propriétaire de cet endroit. Le directeur, pas à une employée. »

Je ne peux pas lui en vouloir pour ça, pensa-t-elle en haussant les épaules.

« Monsieur, ce magasin est à moi. Je l’ai acheté, remodelé et remplis les étagères. Je suis à la fois propriétaire et commerçant ! »

Elle était, essentiellement, la version commerciale d’un restaurateur.

Après avoir pris le temps de traiter sa réponse, il rajouta :

« Très bien, alors… Vendez-vous du poisson frais ? »

C’est pour ça qu’il est là. Les trois filles ont quelque chose à voir avec ça ?

« Qu’est-ce qui vous a donné cette idée ? »

« C’est parce que le trio d’Anke nous l’a dit. »

« Qui est-ce ? »

« Les trois filles qui étaient ici hier. »

Ah, c’était donc elles. J’avais complètement oublié leurs noms. Mais bon, elles m’ont fait de la pub ! Alors merci beaucoup ! Bon, passons…

« Oh, ces trois-là ? C’étaie mes premiers clients, alors je les ai un peu dorlotés. Ça m’a mis dans le rouge, haha… »

« Je vois. Elles étaient vraiment ravies de vos produits et de la nourriture », dit l’homme.

Uh-huh, bien sûr qu’elles l’ont fait ! Continuez comme ça, les filles ! Vous avez aussi remarqué que j’ai dit que c’était un cas spécial ? Maintenant, j’ai été clair : ce genre de service est généralement plus cher. Je suis tellement douée pour ça !

« Alors, pourquoi cet intérêt pour le poisson ? D’après ce que vous m’avez dit, ce n’est pas un produit star ici… »

L’homme avait alors commencé à lui parler de sa situation. Il s’appelait Marcel. Il était le chef de cuisine du vicomte Ryner, le même homme qui employait Anke et son équipe. À seulement trente-six ans, Marcel était un peu jeune pour son rôle, mais il avait les compétences et la confiance dont il avait besoin pour réussir.

Jusqu’à récemment, il travaillait comme second d’un chef vieillissant. Son supérieur était soudainement tombé malade, alors il avait pris sa retraite et s’était installé dans une ville de campagne pour vivre avec la famille de sa fille. Il s’agissait d’un changement brusque, mais pas tout à fait inattendu. Par conséquent, Marcel avait été promu chef cuisinier, un poste enviable pour quelqu’un de son âge.

Peu de temps après, cependant, ils avaient été confrontés à un obstacle majeur : l’arrivée à l’âge adulte de la fille des Ryner, Lady Adelaide. Quand les dames nobles atteignent leurs quinze ans, elles devaient faire leurs débuts publics dans la haute société. Cet événement servait également de fête d’anniversaire et devait être organisé par chaque famille noble pendant la première saison des bals après l’anniversaire de leur fille.

Les bals des débutantes allaient grandement influencer l’avenir et la position des filles dans la haute société, de sorte que les familles n’épargnèrent aucune dépense pour elles. De la robe à la nourriture, tout devait être parfait. L’argent dépensé pourrait facilement atteindre le double de la richesse d’une famille commune, le tout pour une seule nuit.

Si l’ancien chef cuisinier était toujours responsable, tout se serait bien passé. Cet homme était un vétéran qui avait travaillé dans des cuisines nobles toute sa vie. Mais il était maintenant à la retraite, et bien que Marcel ait été compétent — probablement l’un des meilleurs de sa promotion — il n’avait presque aucune expérience de telles soirées.

Lors des dernières réceptions des Ryner, Marcel avait suivi les ordres du chef cuisinier, il n’avait donc pas eu la chance d’apprendre la composition du menu, la gestion du temps ou l’improvisation. Le vieil homme avait prévu de lui apprendre ces choses pendant les débuts d’Adélaïde, mais sa maladie soudaine avait rendu cela impossible.

Les fêtes d’anniversaire n’étaient jamais trop fantasques, ce sera donc la plus grande fête au manoir des Ryner depuis le mariage du vicomte actuel. Et comme les Ryners étaient une « maison relativement nouvelle », ils étaient déjà méprisés par les autres familles. L’échec n’était pas une option, car cela ne fera qu’empirer les choses. Lady Adelaide sera la risée de tous, et le nom de famille sera déshonoré à jamais.

« Mais je ne sais pas si je peux le faire. Je sais que je suis meilleur qu’un chef moyen, mais comparé aux vétérans des grandes maisons nobles ou aux talents du palais royal, je ne suis guère plus qu’un débutant ! Je ne peux m’empêcher de penser que j’apporterai la honte au vicomte Ryner et à sa fille. C’est pathétique, je sais, mais ça me fait peur… », poursuivit-il.

Il baissa la tête. Réussissant ainsi à la faire paraître plus petite.

« Donc, vous vous êtes dit que vous alliez essayer de leur faire manger quelque chose qu’ils ne pourront pas trouver ici, du poisson », avait dit Mitsuha.

« Oui, précisément. »

Elle avait pris un moment pour réfléchir. Hrmm… Je pourrais lui vendre le poisson et en rester là. Je gagnerais bien ma vie et je l’aiderais, tout le monde serait content. Mais… quel est cet étrange sentiment dans mon cœur ?

Oh, je sais ce que c’est… C’est l’excitation. Cela pourrait être très amusant !

Mitsuha avait une politique personnelle qui ne lui permettait pas d’ignorer ce genre de choses.

« Un moment, s’il vous plaît, » dit-elle, puis elle verrouilla la porte, ferma les rideaux et posa une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Fermé en raison d’un contrat spécial ».

Qui aurait cru que ce panneau serait utile si tôt ?

Moins d’une heure après l’ouverture, elle fermait boutique. Elle était retournée au comptoir et avait enlevé un autre panneau, celui-ci n’étant que partiellement terminé.

« Je vais aussi commencer ce service tout de suite », dit Mitsuha en le lui montrant.

On pouvait y lire :

« De l’amour à l’exploitation de votre terre, le magasin général de Mitsuha vous dira comment réussir ! Contre rémunération, bien sûr. »

***

Partie 2

Après avoir expliqué son plan, Mitsuha avait dit à Marcel :

« Nous aurons une dégustation de nourriture et de boissons ce soir. Venez et amenez trois autres personnes, y compris quelqu’un qui a un pouvoir décisionnel. Oh, et n’oubliez pas d’apporter aussi votre appétit. »

Il était parti aussitôt après, emportant avec lui son nouveau couteau et d’autres achats.

Selon Marcel, la vedette de la réception était la débutante elle-même, mais après son introduction en tant qu’épouse potentielle, l’accent avait été mis sur les échanges entre les nobles. Les jeunes bavarderaient entre eux tandis que les adultes discuteraient… des choses d’adultes. Pour cette raison, ils n’avaient pas prévu de spectacles ou de cérémonies, de sorte que la qualité de la fête était basée principalement sur la nourriture. Lady Adélaïde et sa robe viendraient ensuite, puis tout le reste. Mitsuha pouvait voir pourquoi Marcel était si inquiet — il était responsable de la partie la plus importante de la réception.

Dès qu’il fut parti, Mitsuha était retournée au Japon, s’était changée et était sortie. Il y avait une fille avec qui elle était amie depuis la maternelle, qu’elle appelait « Micchan ». Micchan était allée à l’université en ville. Mitsuha allait dans cette direction, mais ce n’était pas pour rencontrer son amie d’enfance.

Finalement, Mitsuha arriva à l’entrée de la maison de Micchan, qui était aussi un magasin d’alcool, et lança un « Bonjour ! » tonitruant. Elle faisait ça depuis la maternelle, donc la famille de Micchan et leurs voisins y étaient habitués.

Comme d’habitude, elle avait été accueillie par le père de Micchan.

« Michiko n’est pas là », dit-il.

Oui, je sais.

« Je suis venue te voir, en fait. »

« Eh bien, c’est une agréable surprise. Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Vends-moi de l’alcool. »

« Hein !? »

Le persuader de l’aider s’était avéré être un dur labeur, mais Mitsuha y était finalement parvenue. Le père de Micchan avait accepté d’envoyer l’alcool chez elle une fois la commande remplie.

Vous vous demandez comment je l’ai convaincu ? Je lui ai dit que j’avais eu la chance d’aider à organiser une fête pour un étranger, alors je devais apporter des échantillons de nourriture et de boissons pour qu’ils puissent essayer. C’était fondamentalement la vérité, n’est-ce pas ? Je veux dire, le vieux de Micchan est malin, donc il verrait à travers tous les mensonges faciles. Je lui ai aussi dit que j’en achèterais beaucoup plus s’ils l’aimaient. C’est ce qui a dû l’influencer. Et ce n’est pas comme si j’allais en boire moi-même. Vraiment.

Après s’être occupée des boissons, Mitsuha alla acheter de la nourriture ayant une longue durée de conservation : des plats déshydratés, des conserves, des fruits, et ainsi de suite. Elle avait aussi pris de la crème glacée et l’avait mise au congélateur. Quant aux plats d’accompagnement frais et prêts à servir, elle s’en soucierait plus tard dans la soirée.

Elle avait commandé du poisson de haute qualité au magasin de sushi voisin, puis avait commandé de la soupe à emporter et d’autres plats de son restaurant français préféré. Après tout cela, elle était restée à la maison jusqu’à ce qu’il soit temps d’acheter les choses restantes et d’aller récupérer ses commandes.

◇ ◇ ◇

Ce soir-là, Mitsuha accueillit ses invités.

« Bienvenue ! »

Comme elle l’avait demandé, Marcel avait amené trois personnes avec lui. Deux d’entre elles étaient évidemment le vicomte et son épouse, tandis que la troisième était une femme d’une vingtaine d’années. Marcel avait dit à Mitsuha qu’elle était son second. Pour elle, les femmes chefs étaient rares. Si elle avait atteint ce rang dans la cuisine d’un noble, elle devait être vraiment bonne.

Elle les avait conduits à la table située dans la cuisine et s’était présentée.

« Faites comme chez vous. Je suis Mitsuha Yamano, la propriétaire du magasin. »

Ils étaient restés silencieux. Jusqu’à présent, ce n’était rien d’autre qu’une invitation faite par Marcel à ses amis pour dans un endroit qui lui plaisait. Les problèmes familiaux n’étaient pas d’actualité pour l’instant. Nous n’en parlerons que si nous franchissons la première étape, pensa Mitsuha.

« Aujourd’hui, je vais vous apporter une variété d’aliments à goûter. Pour cette raison, il n’y aura pas d’ordre spécifique. J’apporterai les choses dès qu’elles seront prêtes. Les portions sont petites, mais il y aura beaucoup de nourriture sur seulement quelques plateaux. Mangez-les à votre propre rythme. Concentrez-vous sur la dégustation. Ne vous forcez pas à tout manger ou vous n’aurez pas de place pour les autres plats. »

Tous les quatre acquiescèrent d’un signe de tête.

Allons droit au but.

« Tout d’abord, un consommé », dit-elle en posant les bols sur la table. Pour cette fois, au moins, chaque invité avait eu son propre plat. Il venait de Sucre, le restaurant français.

Merci pour votre dur labeur, Chef Kanai !

Le groupe avait un visage impassible depuis le moment où ils étaient entrés dans le magasin, mais une seule bouffée de la soupe les avait fait ramollir. Et le goût ? Il était plus riche que les nobles eux-mêmes. Ils n’avaient pas dit un mot, car ils étaient beaucoup trop occupés à vider leurs bols.

« J’apporterai le reste. Essayez ce qu’il vous plaît ! »

Alors Mitsuha commença à apporter les plats.

Il y avait de la cuisine de toute la Terre - française, chinoise, japonaise, fusion, etc. Certains plats provenaient de bons restaurants, tandis que d’autres étaient de simples plats d’accompagnement, des plats déshydratés et des produits en conserve du supermarché. Bien sûr, Mitsuha n’avait pas oublié de préparer les sushis et autres plats de poisson.

Puis vint l’alcool. Bière, vin, whisky, brandy et saké, entre autres. Néanmoins, il n’y avait pas de shochu ou de cocktails. Elle s’était assurée de leur donner un avertissement à propos des liqueurs plus fortes.

Elle s’attendait à être confrontée à un flot incessant de questions, mais tout le monde mangeait et buvait sans rien dire.

Ça me fait un peu flipper…

Au fur et à mesure que sa compagnie mangeait, ils ralentirent le rythme et avaient finalement commencé à poser des questions.

« Tout cela vient d’un pays étranger, n’est-ce pas ? », demanda le vicomte.

Whoa! Il va droit au but, hein !?

« Oui, tout cela vient de mon pays et de ses voisins », répondit-elle.

« Qui l’a préparé ? »

Déjà avec le deuxième !

« Certains de mes compatriotes. »

Ce n’était pas du tout un mensonge.

« Où sont-ils maintenant ? »

« Ils ont pris leur retraite et vivent maintenant en paix dans ce pays. Les convaincre de me donner ces échantillons a été un travail difficile ! J’ai dû promettre de ne plus jamais demander une telle faveur. »

« Je vois… »

« Mais alors comment va-t-on apprendre à faire tout ça !? », Marcel s’était joint à la discussion.

Ouais, ça ne servirait à rien s’il ne pouvait pas.

« Je peux vous donner les recettes. Vous pouvez les utiliser pour vous entraîner jusqu’à ce que vous obteniez un résultat intéressant. J’ai fait ce dîner pour que vous mémorisiez le goût. »

Marcel et son commandant en second grimacèrent.

« Et les ingrédients ? Pouvez-vous nous dire comment vous les avez amenés ici ? », demanda le vicomte.

Oh, eh bien…

« Laissez-moi m’en occuper. C’est mon boulot, après tout ! Des conseils amoureux aux conseils territoriaux, le magasin général de Mitsuha a tout ce qu’il vous faut ! Cette fois, je ne vous vends pas mon aide. Je vous vends une consultation ! Bien sûr, vous devrez couvrir les frais. »

« Pfft… Hahahaha… HAHAHAHAHAHA ! »

Le vicomte éclata de rire.

« Dame Mitsuha, permettez-moi d’engager vos services. J’ai besoin que vous nous fournissiez les ingrédients et que vous nous appreniez à préparer la nourriture. »

On dirait que j’ai réussi. Je veux dire, bien sûr que je l’ai fait. Je suis presque sûr que je l’avais dans le sac avec la soupe. Je peux gagner beaucoup d’argent si j’accepte, mais…

« JE REFUSE ! »

Le visage du vicomte s’était figé alors qu’il souriait.

« Oh, ne vous inquiétez pas, je vais certainement vous aider à cuisiner. Mais ce serait plutôt ennuyeux. », avait ajouté Mitsuha.

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »

« Je veux que vous me laissiez m’occuper de la robe et du spectacle. On ne m’appelait pas “Le Plombier de l’Opéra” à l’école primaire pour rien ! »

« Spectacle ? »

Il avait complètement ignoré les parties « école primaire » et « Le Plombier de l’Opéra ». Ce n’est pas comme si je voulais qu’il pose des questions à ce sujet.

Le groupe s’était ensuite mis à parler pendant un long moment. Le vicomte finit par accepter de laisser la majeure partie de la fête entre les mains de Mitsuha, mais seulement sous certaines conditions, par exemple en exigeant qu’elle fasse de fréquents rapports d’étape, fournisse des descriptions détaillées et qu’elle dirige les répétitions.

Je suppose que c’est juste qu’il soit si strict. Cet événement est beaucoup trop important pour qu’il adopte une approche de laisser-faire et qu’il laisse les choses entre les mains d’une étrangère. S’il avait été assez stupide pour faire ça, je n’aurais pas accepté le poste.

Marcel et son commandant en second m’avaient supplié de ramener les restes à la maison, alors Mitsuha s’était rendue à la maison et leur avait acheté des sacs en plastique.

Mangez tant que c’est bon, se dit-elle en les distribuant. Si tu veux, je trouverai une raison pour t’en avoir d’autres.

Ils n’ont cependant pas besoin d’être si désespérés. Ce n’est pas comme s’ils devaient apprendre à faire tout ça. Ils auront toujours leurs plats locaux habituels, et j’apporterai tous les desserts. Ils étaient censés choisir ce qui ferait le meilleur effet… Ils étaient assez excités, alors j’imagine que c’était entré par une oreille et sorti par l’autre.

Le vicomte prit tout l’alcool restant et en demanda beaucoup, beaucoup plus. Mitsuha avait fait une note mentale pour apporter la bonne nouvelle au père de Micchan. Le bal d’un noble ne serait pas convenable sans nourriture et sans boisson, alors les hôtes avaient tendance à en acheter beaucoup plus qu’il n’en fallait. Il avait beaucoup à faire.

Je vais devoir lui dire d’augmenter l’argent de poche de Micchan ! pensa-t-elle gaiement.

Juste au moment où Mitsuha pensait que la réunion était terminée, la vicomtesse saisit son épaule et lui fit un regard intense. Heureusement, elle ne voulait que du shampooing et un gel douche. Mitsuha lui avait apporté certains des produits de luxe destinés aux nobles et avait même vendu le shampooing et le revitalisant séparément.

Honnêtement, je suis en train de l’arnaquer.

Naturellement, ses marges bénéficiaires sur les produits de première nécessité destinés aux filles les plus communes étaient beaucoup plus minces. En raison des taux de change entre les mondes, Mitsuha avait dû au moins quadrupler la valeur d’origine lors de l’évaluation de ses marchandises. Par exemple, si quelque chose lui coûtait mille yens au Japon (8 euro), elle devait fixer le prix dans ce monde à quatre pièces d’argent pour atteindre l’équilibre — ce qui équivalait à quatre mille yens dans notre monde (32 euro). Compenser cela en gonflant les prix des articles pour les nobles était tout à fait juste, fort heureusement. De toute façon, les sangs bleus apprécieraient probablement d’avoir leurs propres articles de luxe. Tout le monde était gagnant.

Hein ? Vous vous demandez pourquoi j’ai vendu du shampooing à des roturiers pour seulement huit pièces d’argent ? Oh, allez, c’est une affaire de « gros profits sur le long terme » ! Le fait de viser dix, voir vingt fois le prix d’origine est la norme, alors doubler ou tripler le prix n’est pas un problème. Quoi ? Maintenant, avez-vous peur que je mette les savonniers sur la paille ? Je ne vends pas du savon, juste du shampooing et du gel douche. Les gens achèteront quand même ces produits pour faire leur lessive ou se laver les mains et le visage.

De plus, le bonheur des filles du monde entier est évidemment plus important que le sort de certaines industries. Pensez-y !

Le lendemain, Mitsuha était retournée au Japon et s’était mise au travail. D’abord, elle s’était rendue chez une couturière, celle-là même où Mitsuha avait commandée une robe destinée à étourdir la famille Bozes. La modiste était une femme légèrement dégénérée et folle de cosplay. Elle était un peu trop âgée pour avoir ce passe-temps, alors elle avait plutôt vécu par procuration avec ses clientes en jouant à se déguiser avec elles. Tout ça pour son travail, bien sûr. Elle était en fait très habile dans son métier, à tel point qu’elle avait ouvert son propre établissement. Bien qu’il était difficile de dire si elle se concentrait sur les affaires ou le plaisir, l’argent affluait.

Après l’entrée de Mitsuha dans la boutique, elle s’était assurée de flatter la propriétaire, lui expliquant comment la robe avait été très utile et avait joué un rôle énorme dans son obtention d’un parrainage. La femme plus âgée était ravie de l’entendre. Mitsuha avait alors commencé une nouvelle commande pour Adélaïde. En apprenant qu’elle allait pouvoir mettre ses talents sur la robe de débutante d’une noble dame étrangère, la couturière avait soudainement pressé Mitsuha.

« Q, q, quel honneur ! Quel bonheur ! », s’exclama-t-elle.

Mitsuha avait même promis de rapporter quelques photos de l’événement, ce qui lui avait valu une réduction. La couturière avait demandé les mesures d’Adélaïde et, si possible, de pouvoir la rencontrer. Cela l’aidera à concevoir la robe parfaite de la fille.

C’est tout ce qu’il y a à faire, non ? Elle ne lui fera rien de bizarre, n’est-ce pas ?, se demanda Mitsuha. On ne sait jamais avec cette dame.

Elle voulait aussi voir des exemples de robes du pays d’Adélaïde. Après tout, les normes sont importantes. Mitsuha avait décidé de s’occuper de cette partie plus tard. Après quelques aller-retour, elles s’étaient mises d’accord pour la confection de trois robes. Elles avaient également échangé des idées à propos du spectacle. Une de ses suggestions en particulier avait piqué l’intérêt de Mitsuha.

Je suppose qu’il va aussi falloir que j’achète une fausse épée maintenant.

Une fois ses affaires avec la modiste terminées, Mitsuha s’était rendue dans un magasin d’électronique. Elle ne trouvait pas ce qu’elle cherchait sur les étagères, mais elle avait vite découvert qu’elle pouvait les commander à la place.

Voyons voir… J’aurai besoin d’ampoules LED, de câbles et de tout le reste… J’aurai les piles un autre jour… Caméras de cinéma, haut-parleurs sans fil, projecteurs…

Vous croyez que je vais trop loin ? C’est pas possible ! Je ne peux pas tout gâcher, alors je suis aussi minutieuse que possible ! C’est la même chose que d’en faire trop sur la nourriture et les boissons… Je suis en train de prendre l’exemple des nobles. Je fais actuellement un trou dans mon portefeuille, mais une fois que ce sera fini, je rentrerais dans mes frais, et même plus !

Pour l’instant, je ne vais pas utiliser mes poches profondes. Au lieu de cela, je vais demander au capitaine d’échanger mes yens contre des dollars et de stocker l’argent dans un compte bancaire étranger. Je reviendrai aux trous lorsque j’aurais récupéré ce que j’aurais engagé dans cet investissement.

***

Partie 3

« J’emprunte mademoiselle, si ça ne vous dérange pas », dit Mitsuha alors qu’elle conduisait Adélaïde dans une calèche.

Deux gardes du corps étaient présents, et leur destination était sa base, le magasin général de Mitsuha. C’était près du quartier noble, alors ils y étaient arrivés en un rien de temps. Le cocher s’était arrêté juste devant et avait attendu qu’ils entrent.

Mitsuha avait fait asseoir les gardes du corps au premier étage. Les hommes avaient essayé de contester, mais ils n’avaient pas pu dire un mot quand Mitsuha avait mentionné qu’elle allait devoir déshabiller Adélaïde afin de prendre ses mesures. Elle leur avait assuré qu’elles ne quitteraient pas le bâtiment non plus, c’était donc vraiment une question insignifiante.

Elle les apaisa encore avec quelques verres, puis amena Adélaïde au deuxième étage. Avant d’entrer dans la pièce, Mitsuha lui avait bandé les yeux. La jeune fille avait d’abord été prise au dépourvu, mais détendue lorsque Mitsuha lui avait dit que la prochaine étape exigerait juste un peu de magie.

Alors qu’elle ouvrait la porte, Mitsuha arriva sur Terre avec Adélaïde en remorque.

« Bonjour ! », avait-elle crié.

Elle était, bien sûr, entrée dans la boutique de la fanatique de la couture susmentionnée.

« Wôw, wow, wow, wow ! », une voix était venue de derrière le comptoir.

Et voilà la directrice loufoque !, pensa Mitsuha en enlevant le bandeau d’Adélaïde.

« ÇA, C’EST CE QUE J’APPELLE UNE BEAUTÉ ! »

Bon sang, calme-toi, madame…

Adélaïde avait l’impression qu’il ne s’agissait que d’une autre pièce du magasin général de Mitsuha, donc son expression effrayée était due à cette… créature.

« Prenez ces mesures, s’il vous plaît. Vous ne voudriez pas vous tromper avec la fille d’un noble étranger. Ils feront voler ta tête. Je veux dire, réellement… », dit Mitsuha sans hésiter

La couturière déglutit, puis sortit son ruban à mesurer. Pendant qu’elle travaillait, elle et Adélaïde bavardaient entre elles avec Mitsuha comme interprète. Adélaïde passa tout son temps déconcertée, alors que la dame était de bonne humeur. Les deux parties avaient fini par être satisfaites à la fin.

Avant de se séparer, Mitsuha avait donné une carte mémoire à la couturière. Elle contenait des photos de robes de toutes les robes de la capitale d’Adélaïde, Amalia.

C’étaient celles qui étaient exposées dans les boutiques de nobles, ainsi que de celles portées par les amies d’Adélaïde qui avaient déjà fait leurs bals des débutantes. Elles les avaient volontiers montrés quand Mitsuha faisait l’éloge de leurs vêtements. Elle avait pris les devants et pris quelques photos. Certaines des filles avaient même insisté pour les mettre, et ces photos avaient complètement fait perdre la tête à la dame.

Les deux filles étaient parties par le même chemin. De retour au premier étage, Adélaïde avait demandé à visiter le magasin. Elle l’aimait tellement que Mitsuha s’était sentie obligée de lui donner un petit accessoire à rapporter à la maison.

Peu importe, pensa Mitsuha. Je vais mettre ça sur l’ardoise des Ryners.

Elle avait aussi offert à Adélaïde un petit gâteau du réfrigérateur. La noble fille l’avait trouvé délicieux, bien sûr, mais le frigo lui-même l’avait rendue curieuse. Mitsuha avait simplement dit que c’était une boîte magique et lui avait dit de n’en parler à personne. Pendant tout ce temps, les gardes du corps regardaient fixement.

Je ne leur en veux vraiment pas. J’espérais gagner quelques pièces de plus en les tentant avec ce raccourci, mais je ne suis pas sûre que cela fonctionne.

◇ ◇ ◇

Mitsuha logeait au manoir du vicomte Ryner depuis un certain temps déjà. Cependant, elle passait la plupart de son temps dans la cuisine. Elle avait distribué des recettes, mais comme elle était la seule à pouvoir les lire, elle avait dû s’impliquer davantage. Mitsuha lisait les recettes à haute voix et le personnel de cuisine prenait des notes.

Vous savez, je n’en ai peut-être pas l’air, mais je suis une bonne cuisinière, se disait-elle. Je sais comment faire la plupart des plats des livres de cuisine moyens, j’ai les bases, et je sais comment faire des ajustements. C’est logique que je sois la patronne de cette opération.

Marcel avait choisi plusieurs plats de la Terre qu’il trouvait savoureux, percutants et faciles à préparer en grande quantité. Lui et son équipe s’entraînaient maintenant à les confectionner.

Actuellement, ils s’entraînaient en confectionnant quelques portions par recette. Mais s’ils en voulaient cent fois plus, ce ne serait pas aussi simple que d’utiliser cent fois plus d’ingrédients. Le monde culinaire exigeait plus de tact. Il était important de tenir compte de facteurs comme la propagation des flammes, l’équilibre du mélange et les relations entre les ingrédients. Dans de nombreux cas, il ne suffisait pas de suivre une recette. Il fallait que tu développes ta sensibilité.

Et bien, si ce n’est pas galère, pensa Mitsuha. Son air avait changé quand elle s’était rendu compte que Marcel et tout le monde dans la cuisine avaient commencé à l’appeler « Maître ».

« Maître »… ? O-Oh et bien, est-ce mal d’aimer entendre ce genre de compliment!?

◇ ◇ ◇

Le voilà ! Le grand jour !

Quoi ? Croyez-vous que ce soit soudain ? Croyez-moi, il y a vingt jours, je croyais avoir tout le temps devant moi, mais le temps a filé et maintenant nous y voilà. En plus de tout ce que j’avais à faire comme commande, il y avait les cours de cuisine, la gestion de la salle des fêtes, les répétitions… Les choses sont devenues si mouvementées que c’était flou.

Ah ! Merde, je n’ai pas ouvert le magasin depuis des jours ! Oh, eh bien. Les Ryners et leurs hommes étaient mes seuls clients de toute façon.

… Wôw, quelle triste pensée ! Eh bien, je vais faire connaître mon nom avec ce travail. Ouaip.

Au cours des dernières semaines, Mitsuha avait également obtenu son permis de conduire. Pour les voitures à transmission manuelle, en plus. Elle avait supposé qu’un jour elle utiliserait une voiture dans ce monde, et puisqu’il n’y avait pas de routes appropriées, les voitures manuelles seraient un meilleur choix que les automatiques. C’était cependant quelque chose qu’il fallait reporter pour une date ultérieure. Elle avait déjà acheté sa première voiture, une sous-compacte Japonaise avec transmission automatique et beaucoup d’espace dans le coffre. Elle ne l’avait achetée que pour se rendre dans les magasins voisins et en revenir, plutôt que pour de longs trajets.

De plus, peu importe à quel point elle avait essayé de régler le siège, elle n’arrivait tout simplement pas à atteindre les pédales des grosses voitures. La conduite était possible, mais elle pouvait à peine voir par-dessus le volant. Si elle avait pris la route dans une telle posture, ça aurait causé un accident en quelques minutes.

Pour les préparatifs de la salle des fêtes, elle avait fait demander à Kunz de l’aider. Il avait déjà une bonne compréhension de ce qu’étaient ses demandes, c’était aussi un artisan qualifié. Et bien sûr, il avait fait un excellent travail sur les rénovations. Il les avait même faits à bas prix, en insistant sur le fait qu’il n’était pas là pour l’argent. Ce projet stimulant l’avait enthousiasmé et, surtout, c’était lorsque ses clients étaient satisfaits de son travail qu’il se sentait le plus épanoui.

Par respect pour sa mentalité, Mitsuha avait décidé de lui donner une récompense supplémentaire : des livres d’architecture d’intérieur et de construction qu’elle avait achetés dans une librairie d’occasion. Ils avaient l’air si vieux qu’ils auraient pu être écrits en cunéiforme, et avaient été extrêmement bon marché.

Kunz les avait tellement aimées qu’il l’avait traitée de déesse.

Oui, félicite-moi encore plus ! pensa-t-elle.

Ainsi donc, la fête était prête. Il était maintenant temps pour les invités d’arriver.

Parmi les invités se trouvait un certain comte nommé Albert von Bader. Comme les autres convives, il avait été invité au manoir pour assister à la première célébration d’Adélaïde. Il était l’un des rares à ne pas mépriser les Ryner en les considérant comme de nouveaux riches malvenus.

Le père du vicomte Ryner avait travaillé pour assurer la prospérité de leur famille. Les familles nobles de longue date n’avaient fait que téter le respect gagné par les exploits de leurs ancêtres. D’une certaine façon, cela rendait le vicomte Ryner plus digne de sa noblesse que les vieux nobles complaisants. De plus, il était encore plus difficile pour un roturier de devenir un noble de nos jours qu’il ne l’avait été dans le passé. Malgré cela, son père avait gravi les échelons jusqu’à celui de vicomte, sautant complètement le rang de baron.

Je ne peux qu’imaginer à quel point il était brillant, pensa Albert von Bader.

La rumeur disait que l’actuel vicomte Ryner était aussi une excellente personne et qu’il avait une jolie fille.

Il est peut-être sage d’établir une relation avec eux. Cette façon de penser est peut-être inappropriée… Mais s’il arrivait quelque chose à leur fils unique avant qu’il puisse se marier, sa fille commencerait probablement à chercher un époux. Je devrais envisager de pousser mon troisième ou quatrième fils à jouer ce rôle.

Tout en considérant les possibilités, le comte Bader suivit les serviteurs et entra dans le hall principal des Ryners.

Oh ? Il ne semble pas y avoir beaucoup de nourriture sur les tables, pensa-t-il. Je sais très bien qu’ils seront remplacés dès que cela commencera à se vider, mais cette quantité semble peu élevée de toute façon. Est-ce intentionnel ?

Bien qu’il ait trouvé cela curieux, il avait décidé de ne pas y penser beaucoup. Il prit simplement du vin lorsqu’on lui en offrit, soulagea sa gorge sèche, et s’en alla se mêler à certaines de ses nobles connaissances.

Peu de temps après, l’animateur avait commencé son introduction. Le vicomte Ryner se tint sur la petite scène devant la salle, remercia ses invités d’être venus et présenta sa fille, Adélaïde… bien que celle-ci fût étonnamment absente. Le vicomte Ryner s’était retiré de la scène après avoir dit ce qu’il avait à dire.

Que se passe-t-il ici ?, se demandait le comte Bader. Il ne devait certainement pas être le seul.

Juste un instant plus tard, l’endroit où le vicomte se trouvait avait été inondé de fumée.

Les invités les plus proches de la scène avaient d’abord été alarmés, croyant qu’il s’agissait d’une sorte d’incendie, mais ils avaient rapidement remarqué que la fumée se répandait d’une manière étrange, elle semblait affluer des côtés de la scène. Par contre, les domestiques étaient infaillibles, ce qui signifiait que cela faisait partie du spectacle. Bien que certains invités aient exprimé leur confusion, il n’y avait pas eu de véritable panique.

***

Partie 4

À l’exception de ceux qui cherchaient des conjoints pour leurs fils, la plupart des nobles considéraient ces sortes de fêtes comme de simples rassemblements ennuyeux auxquels ils assistaient par obligation, par courtoisie ou par habitude. Voir quelque chose de si nouveau intrigua tout le monde, y compris Albert von Bader.

La fumée s’était amincie au fur et à mesure qu’elle s’écoulait sur la scène, créant une couche sur le sol. Les nobles en attrapaient des sarments, qui trouvaient étrange que le fait d’en respirer ne les étouffe pas, et qu’elle n’eût pas du tout une odeur de fumée. D’un autre côté, cela leur donnait un peu froid.

Une voix avait retenti.

« Bonsoir ! Merci beaucoup à tous d’être venus. Sans plus attendre, je vous offre le trésor de la famille Ryner, la charmante fée des fleurs… Lady Adelaide ! Régalez vos yeux devant sa forme adorable ! »

C’était une voix de fille, qui semblait venir de partout et de nulle part à la fois. Elle ne criait pas, mais ses paroles étaient étrangement fortes — assez pour résonner dans toute la salle.

« Regardez notre Lady faire ses débuts ! »

Soudainement, un paysage était apparu sur le mur blanc de devant.

Quoi !? La mâchoire du comte Bader s’était ouverte.

Les autres invités avaient été tout aussi étonnés. C’était un spectacle bizarre à voir — le mur était maintenant une sorte de peinture illuminée, et montrait un beau jardin plein de fées dansantes. Mélangée à la fumée laiteuse, la scène n’était rien d’autre que fantastique.

Puis, une fille s’était révélée derrière les rideaux.

« QUOOOOI ! »

Le cri d’étonnement collectif de la foule avait atteint tous les coins de la salle.

La fée des fleurs, vêtue d’une robe blanche, dansait avec légèreté sur la scène, émerveillant petits et grands. La beauté et le charme de la jeune fille étaient assez éblouissants, mais la robe qu’elle portait était d’une classe à part. La soie était de la plus haute qualité, et le design était nouveau, frappant et immaculé. Le public n’avait jamais rien vu de tel. Certaines parties scintillaient à mesure qu’elle bougeait, et ils ne pouvaient que supposer qu’elle était éblouie par les pierres précieuses.

(image du manga)

La jeune fille s’était arrêtée au milieu de la scène et avait fait face à la foule.

« Lequel d’entre vous m’emmènera ? », demanda-t-elle avec coquetterie.

C’était tout à fait les mots qui pourraient faire déclencher un coup de cœur. Les garçons regardaient avec des visages rougis Lady Adelaide s’éloigner derrière le rideau de l’autre côté. Même les hommes, malgré leurs nombreuses rencontres avec toutes sortes de beautés, avaient été légèrement charmés.

Très bien ! Jusqu’ici, tout va bien !, se dit Mitsuha tout en applaudissant. Elle était au bord de la scène, microphone à la main.

Il y avait des haut-parleurs des deux côtés, beaucoup de neige carbonique arrosée d’eau chaude et un projecteur relié à un ordinateur portable. C’était un projecteur qui pouvait être envoyé sur le côté plutôt que sur l’avant. Toute cette technologie était alimentée par une batterie que Mitsuha avait achetée au magasin de rénovation. En raison de quelques problèmes liés au micro et au refus d’Adelaide de faire entendre sa voix, Mitsuha était devenue à la fois la narratrice et le maître de cérémonie. Quant à l’arrière-plan projeté, c’était une scène féerique qu’elle avait trouvée au hasard sur Internet.

En ce moment, les servantes changeaient le costume d’Adelaide. Elles s’étaient cassé le dos à l’entraînement pour rendre le processus le plus rapide possible.

C’est probablement le bon moment, pensa Mitsuha, tout en changeant la projection. L’image était maintenant celle d’une demeure noble. Elle s’était ensuite glissée dans sa narration.

« Le seigneur est parti. Une horde de bandits profite de cette occasion pour saccager le fief. La plupart des soldats sont partis avec le seigneur, ne laissant derrière eux que la dame et une petite troupe… »

Ohh, ils ont changé le décor ! Le comte Bader applaudit, complètement captivé. Les autres invités semblaient partager ce sentiment. Je me demande cependant comment ils ont pu changer le décor…

Adelaide était remontée sur scène, vêtue cette fois d’un costume différent : une robe blindée de couleur bleue. Elle tenait maladroitement une épée gainée à la main. Elle était aussi ornée que les lames décoratives les plus prisées. Elle était suivie par un vieil homme qui était peut-être son majordome. Ils s’étaient arrêtés au milieu de la scène.

La voix de Mitsuha résonna à nouveau dans toute la pièce.

« Milady, les brigands ont lancé une attaque contre un village voisin ! »

« On y va. Dites aux soldats restants de se préparer à marcher. »

« Mais Milady, nous ne devons pas ! Ils devraient être gardés ici en cas d’urgence ! Et aussi, s’il vous arrivait quelque chose… »

« N’est-ce pas une urgence !? C’est mon devoir de protéger notre peuple en l’absence de mon mari ! »

Mitsuha avait prononcé ces lignes familières avec un enthousiasme brûlant. Adelaide et le maître d’hôtel étaient synchro avec ses mots.

« Très bien… Je ne me mettrai pas en travers de votre chemin. Gardons-les à l’écart à la rivière et gagnons du temps jusqu’au retour de notre Seigneur. Je serai, bien sûr, à vos côtés. »

« Je vous remercie. Au fait, puis-je vous demander quelque chose ? »

« Oui, madame ? »

« Gagner du temps, c’est bien, mais ça ne vous dérange pas si je les tue tous, n’est-ce pas ? »

La réplique était en troisième position sur la liste des choses que Mitsuha avait toujours voulu dire. Avoir enfin une raison de le faire l’avait envoyée sur la lune. Oh, si seulement mon frère était là pour voir ça… !

La foule s’est levée, poussant des acclamations. Adelaide avait saisi sa lame des deux mains, la poussa sur le sol et elle fit face le public avec une expression digne.

« Je vous le demande… Êtes-vous mon âme sœur ? »

Le rugissement de la foule avait atteint son plus haut niveau. La pièce était terminée et les deux personnages avaient quitté la scène.

Succès ! Je suis si contente d’avoir acheter cet Excalibur pour 18 000 yens (150 euros) à Akihabara !, pensa Mitsuha en les regardant. Adelaide avait tellement aimé cette épée qu’elle avait demandé à la garder, ce qui ne dérangeait nullement Mitsuha. Elle ne pouvait pas couper, mais elle était véritablement en métal. Son poids en fera probablement fait un bon outil d’exercice.

Adelaide changea encore une fois de costumes. Cette robe était normale, car elle devait se déplacer et se mêler à ses invités. Elle n’avait pas mis longtemps à sortir. Elle portait une jolie robe rose parfaite pour une fille de son âge.

La couturière avait travaillé extrêmement dur sur celui-ci. Matériau, design, couture, chaque aspect était rempli de son âme… peut-être même trop. Elle avait décidé qu’elle ne recevrait plus jamais un travail de ce calibre. C’était littéralement l’œuvre de toute une vie, et elle l’avait traitée comme telle.

« À partir d’aujourd’hui, je ne suis plus une fée. Je vais maintenant faire de mon mieux en tant que membre de la haute société. J’espère qu’on s’entendra bien ! », dit Adelaide.

Elle quitta la scène et se dirigea vers la foule, accueillie par une tempête d’applaudissements. Les jeunes nobles l’entourèrent et firent un véritable vacarme.

C’est fait ! Quel spectacle !, pensa Mitsuha avec satisfaction. Bon travail, Adelaide ! Il ne leur restait plus qu’à compléter tout cela avec de la bonne nourriture.

Mitsuha attrapa son microphone fermement.

« Maintenant, détendez-vous et profitez de votre soirée. Il y a sur votre table des plats de votre pays, mais vous trouverez à l’arrière des aliments exotiques venus d’un pays lointain. Si vous vous sentez audacieux, n’hésitez pas à les essayer ! Il y a aussi une sélection de boissons étrangères. La puissance de chaque boisson est indiquée. Vous devriez les essayer avec la quantité appropriée d’eau ou de glace. »

C’est pour ça qu’il y a si peu de choses sur la table, pensa le comte Bader. La nourriture étrangère n’est après tout pas appréciée par tout le monde. Bien pensé…

Sachant qu’il pouvait manger les plats standard à tout moment, il était allé goûter la nourriture exotique avant de se perdre dans la conversation. Mais la nourriture sur la table l’avait fait s’arrêter net.

Qu, qu,quoi !? C’est… du poisson !? Et du poisson frais, non séché ? Et ces morceaux de poissons sur la glace semblent crus… Mais c’est impossible !

Les autres nobles regardaient aussi les assiettes avec incrédulité et nervosité. Après tout, c’était quelque chose qui n’aurait pas dû être là. Personne ne voulait y toucher, et tout le monde savait pourquoi.

Sont-ils comestibles ? Sont-ils pourris ? Se demandait le comte Bader, mais celui-ci avait vu suffisamment de poissons pour savoir qu’ils étaient frais.

Pourtant, le doute collectif était trop fort, et personne n’était disposé à les essayer. Le comte Bader, cependant, avait vu là une occasion de faire une petite faveur aux Ryners.

Et voilà, j’y vais ! C’est à toi de briller, Albert von Bader ! Il avait rassemblé son courage alors qu’il s’approchait d’une assiette. Il prit un petit échantillon de tous les fruits de mer qu’il pouvait trouver, y compris du poisson frit, du poisson bouilli et du riz garni de poisson cru, et apporta le premier morceau sur ses lèvres. Son héroïsme lui avait valu les éloges de ses compagnons nobles.

« Délicieux… », s’étonna le comte, qui se précipita pour en prendre encore plus.

Le reste de la meute, après avoir vu l’un de ses membres survivre à l’épreuve, s’était avancé pour l’essayer par eux-mêmes.

« C’est vraiment… »

« Superbe ! »

Ça n’avait fait qu’empirer à partir de là. La nourriture — poisson ou autre — avait commencé à disparaître comme si elle était démodée, tout cela afin que les domestiques apportent de quoi le remplacer. Ils avaient rapidement été remarqués et rejoints par les jeunes des environs d’Adelaide, ainsi que par les dames qui bavardaient paresseusement.

Super, tout se passe bien ! pensa Mitsuha. Trop bien, en fait. Je n’arrive pas à me débarrasser de l’impression que quelque chose de mauvais est sur le point d’arri —

Sortie de nulle part, une main s’était agrippée à son épaule et l’avait gelée sur place.

« Qu’est-ce que tu fais dans ce taudis… ? »

La voix était aussi forte et féroce que l’emprise de son propriétaire.

Transpirant à grosses goûte, Mitsuha se retourna et vit nul autre que la comtesse Iris Bozes. Oh, c’est vrai… C’est une fête ! Cela signifie que la saison des bals dont ils avaient parlé a déjà commencé ! Merde, j’avais complètement oublié !

Ne donnant pas à Mitsuha une chance de parler, Lady Iris l’avait traînée à la table des Bozes.

« Mitsuha. Puis-je savoir ce qui se passe ici ? Tu as refusé de vivre avec nous, n’est-ce pas ? Alors pourquoi faut-il que l’on te retrouve ici ? »

Tes yeux me font flipper, pensa Mitsuha.

« Je suis allé à ta boutique un nombre incalculable de fois, et je l’ai trouvée fermée ! As-tu la moindre idée à quel point j’étais inquiète !? Et maintenant, je te trouve dans ce taudis ! Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Mitsuha aurait aimé qu’elle arrête d’appeler cet endroit « taudis ». Ce n’était pas bon pour la réputation des Ryners, bien que leur statut ne leur aurait pas permis de se plaindre à une comtesse. Mitsuha avait fait de l’apaisement de Lady Iris sa priorité numéro un.

« Je n’habite ni ne travaille ici ou quoi que ce soit ! Je suis juste ici pour représenter mon magasin ! J’ai fait quelques petits boulots pour eux, fait quelques livraisons… C’est ça, je le jure ! »

***

Partie 5

Lady Iris était encore éblouissante, mais la réaction avait été suffisante pour l’empêcher de laisser tranquille la fille. Le comte Bozes fit un sourire gêné à Mitsuha.

« Attendez, où est Alexis ? », demanda Mitsuha, prompte à changer de sujet.

Les seuls à la table étaient Lady Iris, le comte Bozes et Théodore. Béatrice, encore trop jeune pour faire ses débuts, était absente.

« Oh, il est là-bas avec Lady Adélaide. Hmph. Il ne change jamais… », dit Théodore.

« Ohh, je vois qu’il sait comment agir en tant que fils aîné », dit Mitsuha tout en lançant un regard ahuri sur lui.

« Je veux dire, c’est le débutant de Lady Adelaide, n’est-ce pas ? Les hommes qui ignorent la star de la soirée pour parler avec d’autres filles sont les pires, vous ne trouvez pas ? Même s’ils finissent par la détester, ils devraient au moins lui parler. C’est la chose la plus polie à faire. »

« Excusez-moi une seconde ! », dit le garçon. Celui-ci se leva de sa chaise et s’enfuit. Le comte Bozes sourit encore une fois.

« PEU IMPORTE ! Vous devez nous rendre visite dès que possible ! » déclara Lady Iris tout en élevant encore la voix.

« D’accord », répondit doucement Mitsuha.

Un instant plus tard, quelqu’un l’avait encore saisie par l’épaule.

Bon sang, qu’est-ce qui se passe maintenant !? Et pourquoi ai-je un si mauvais pressentiment ?

Elle se retourna et vit le chef en second de Marcel, une sœur d’armes qui avait bravé les jours infernaux d’entraînement à ses côtés.

« Nous avons un problème ! Il, il… »

Hein ? Elle bégaye !? Ça doit être grave !

« Il n’y a pas assez à manger ! »

« HUUUUUHHHHHHH !? On n’en a pas fait assez !? Marcel et toi avez dit qu’il nous resterait même des restes ! Que s’est-il passé !? »

Tandis que Mitsuha la pressait pour obtenir des réponses, le chef avait l’air d’être sur le point de pleurer.

« C’est comme ça que ça se passerait normalement, mais pour une raison ou une autre, personne ne s’en va ! En outre, ils discutent autour de la nourriture en ce moment, alors il y en a de moins en moins chaque minute… »

D’habitude, les nobles qui se présentaient par courtoisie s’en allaient dès que l’événement principal était terminé. Pendant ce temps, ceux qui restaient ne faisaient que grignoter la nourriture dont ils s’étaient lassés il y a longtemps, tout en mélangeant cela avec l’alcool qu’ils avaient à portée de main. Ces derniers considéraient ces événements comme des occasions de réseautage plutôt que comme des distractions, car ils offraient l’occasion d’acquérir de l’information et des liens importants. Ici, ce n’était tout simplement pas le cas. Tout le monde mangeait et traînait au gré de ses envies.

Bien sûr, nous n’aurions plus de nourriture comme celle-ci. J’en avais vraiment trop fait…

La fête avait été si bien reçue que tout le monde voulait en parler, et il n’y avait pas une seule âme qui fût partie tout de suite. Certains avaient même pensé qu’il pourrait y avoir quelque chose de plus en réserve, sans parler de tous les aliments et boissons exotiques qui les retenaient.

Le personnel de cuisine avait préparé assez de nourriture pour une fête normale. C’était en fait le double de la quantité qu’ils s’attendaient à ce que les invités consomment, mais c’était la norme pour tout événement noble. Il y avait aussi la règle empirique selon laquelle tout aliment consommé devait absolument être remplacé. Les assiettes vides étaient fondamentalement un péché. Même les assiettes dont il ne restait qu’un quart de la nourriture étaient inadmissibles, car cela donnait aux invités l’impression que les hôtes ne faisaient pas assez à manger, ce qui équivalait à une insulte. Si un tel affront se produisait ici, les Ryner seraient considérés comme des nobles si pauvres qu’ils ne pourraient pas préparer assez de nourriture pour une seule fête.

Je ne peux pas laisser ça arriver ! pensa Mitsuha. Aucun noble ne tolérera une telle chose. Et d’ailleurs, c’est la première fête d’Adélaide — son avenir en dépend !

Pour éviter qu’une telle chose ne se produise, les nobles avaient tendance à préparer des quantités obscènes de nourriture avant l’événement. Ils ne voulaient pas gaspiller de l’argent, mais c’était une mesure de sécurité mise en place pour éviter toute une vie d’embarras. Cela signifiait que toute personne qui n’avait pas réussi à préparer suffisamment de nourriture ne pourrait être considérée que comme un noble médiocre, peu importe la raison.

C’est une urgence. Je dois faire quelque chose !

« Excusez-moi un instant ! », dit Mitsuha aux Bozes.

Elle s’était ensuite enfuie à la cuisine.

Les chefs cuisiniers étaient sans vie et, s’ils n’étaient pas en train de cuisiner, ils feraient sans doute pousser des pâquerettes. Heureusement, il était encore temps. Ils manqueraient de nourriture si les choses se déroulaient comme ils l’avaient fait, mais ils n’en avaient pas encore manqué.

Mitsuha regarda autour d’elle, examinant ses options, et remarqua une boîte à moitié remplie de pommes de terre. Elle avait mémorisé le menu et savait qu’il n’était pas prévu de les utiliser, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’extra.

« Peux-tu faire bouillir de l’huile ? », demanda-t-elle à Marcel.

Sa réponse était sans vie.

« Oui… »

Reste calme, mec ! pensa Mitsuha, qui se mit ensuite à donner des ordres.

« Très bien ! Épluche ces pommes de terre ! Coupe-les et fais-les frire dans l’huile ! On a retiré quelques trucs du menu, non !? Fais ça ! Nous aurons beaucoup de bonnes nourritures, et vite ! Tu te souviens comment, hein !? Vas-y ! »

« O, oui… »

« Arrête de traîner les pieds ! N’as-tu pas promis de ne pas faire honte au vicomte et à sa fille !? Ne fais pas comme s’il n’y avait rien de plus terrifiant que de tout foutre en l’air ! »

Ses paroles dures le réveillèrent instantanément de sa stupeur, et bientôt ses yeux brillèrent de vigueur.

« Nous n’avons pas le temps d’acheter de nouveaux ingrédients, alors utilise ce que nous avons ! Vide le garde-manger ! Prends tous les ingrédients que tu n’avais pas prévu d’utiliser et apporte-les à la table ! Voyons ce que tu peux en faire ! Pense, simple, rapide et en grande quantité !

Même les plats les plus communs sont bons ! Les nobles ne feront probablement pas la différence, alors dis-leur que c’est de la cuisine étrangère ! Utilise des pelures de pommes de terre ou des graines de citrouille si tu en as besoin — fais quelque chose ! Je vais gagner du temps, alors ne le gaspille pas ! Et sors les plus grosses assiettes que tu peux ! »

Mitsuha alla chercher une grande boîte en carton dans le coin de la cuisine. Celle-ci mesurait un mètre de chaque côté. Bien que grande, la boîte était plus légère qu’elle n’en avait l’air.

« J’avais gardé ce truc pour l’after, mais je vais l’utiliser maintenant ! »

Elle avait commencé à vider la boîte, un sac après l’autre. Calamars frits, cacahuètes, amandes grillées, mélanges d’arachides et de craquelins de riz, cacahuètes à saveur de calamars, escalopes croustillantes frites avec sauce, chocolats, craquelins de riz, chips… Elle les ouvrit tous, les versa sur des assiettes et les fit sortir dans le couloir.

« C’est un peu tôt, mais on sort le dessert tout de suite ! »

Les invités qui avaient amené leurs enfants restaient souvent jusqu’à la fin, donc ils n’avaient pas encore sorti le dessert. Le faire trop tôt pourrait distraire les jeunes d’Adélaide et de tous les autres aliments, mais étant donné les circonstances, il n’y avait pas d’autre choix.

Mitsuha avait fourni la plupart des desserts. Elle n’hésiterait pas à prendre le cœur des enfants et à impressionner les Ryners. Mangez ça ! Mon arme ultime !

Elle était retournée dans le couloir et avait pris le micro.

« Mesdames et messieurs, excusez-moi de vous interrompre. Je tiens à vous informer que nous avons préparé des plats plus exotiques. Cette fois, il y a des collations, des boissons et des desserts. »

Eh bien, ça a attiré leur attention, se dit-elle.

« Essayez d’assortir les collations avec différentes boissons afin d’exciter votre palais. Le dessert, cependant, se marie le mieux avec du jus. Je crois que les messieurs ici présents apprécieront ce plat autant que les dames et les enfants. »

La foule s’était précipitée vers les collations et le dessert.

D’accord, c’est bon. S’ils sont trop occupés à boire, ils ne mangeront pas autant de nourriture. Il est aussi vrai que l’on mange moins quand on est bourré, et un bon dessert jumelé à du jus de fruits vous remplit en quelques secondes.

Pour le dessert, il y avait du gâteau, des petits gâteaux, des fruits, des pâtisseries au chocolat, des biscuits, du pudding, de la mousse, des choux à la crème, de la crème glacée — à peu près tout, vraiment. Les dames, les enfants et les adolescents avaient été impressionnés par la sélection.

Oui… Laissez le pouvoir de l’industrie de la confiserie japonaise couler à travers vous !

Après un certain temps, les serviteurs avaient apporté les pommes de terre frites, ainsi que des plats impromptus. Ils avaient été suivis par des plats qui faisaient partie du plan. D’une manière ou d’une autre, ils avaient réussi à atteindre la fin de la fête sans se mettre dans l’embarras avec des assiettes vides.

Quoi ? Vous vous demandez si la fête a été un succès ? Est-ce que c’est une question ?

***

Partie 6

Quelle merveilleuse nuit, pensa Albert von Bader alors qu’il se dirigeait vers sa voiture. Son esprit était consumé par les pensées de la fête. Tout avait commencé par une pièce de théâtre… Bien que bref, ce n’était rien de moins qu’excellent, et je n’arrive toujours pas à comprendre comment ils ont pu changer les décors.

La jeune fille elle-même était belle, et ses robes magnifiques n’avaient fait qu’ajouter à son charme. Leurs matériaux étaient de si haute qualité et leurs designs si élaborés que je ne pouvais même pas deviner leur prix. Et la nourriture et les boissons étrangères étaient excellentes et incomparables !

Je ne peux pas imaginer la richesse et les relations qu’il a fallu pour construire une telle fête. L’arrivée à l’âge adulte d’une femme peut être importante, mais qui pourrait prodiguer de telles ressources sans hésiter ? Quelle est la puissance de ces Ryners ?

Hmm, peut-être que je ne suis pas assez proche d’eux. Corriger cela sera sans aucun doute bénéfique, et si possible, j’aimerais bien avoir cette charmante jeune fille comme fille. Je vais devoir faire en sorte qu’un de mes fils tombe sous son charme…

Les chevaux galopèrent, emmenant le comte Bader dans son manoir à la capitale. Il avait ruminé sur ce qui venait de se passer, comme tous les autres invités qui avaient assisté à la fête. La plupart d’entre eux avaient été tout simplement époustouflés, mais ceux qui avaient des filles qui allaient bientôt faire leurs débuts étaient absolument désemparés.

Comment puis-je me comparer à cela ? pensaient-ils. Comment puis-je rendre les débuts de ma fille aussi impressionnants que celui-ci ? S’il vous plaît, aidez-moi… Quelqu’un… n’importe qui…

Ainsi, un certain nombre de nobles avaient demandé l’aide du vicomte Ryner et s’étaient endettés envers lui, et le magasin général de Mitsuha avait énormément profité de cette entreprise.

Quant à Mitsuha elle-même, elle s’était officiellement retirée de la planification des fêtes. Bien sûr, je vendrai des ingrédients, mais je ne m’occuperais plus jamais de l’organisation d’un tel événement. Je ne donnerais également plus de plats complets. Je veux dire, c’était vraiment pénible, et je ne veux même pas penser à ce qui aurait pu m’arriver si j’avais merdé. Pas de truc théâtral non plus. Ils peuvent s’en occuper tout seuls.

Les Ryners étaient un cas particulier. Je l’ai fait seulement parce que le vicomte, sa femme et Marcel m’avaient été recommandés par mes premiers clients. En plus, ils avaient l’air d’être des gens bien, et j’avais désespérément besoin de cette publicité. Avec ça de côté, j’ai juste besoin d’un bon vieux R&R.

Des leçons de cuisine ? Oh, pour les autres familles nobles ? Marcel peut s’en occuper.

Il y avait également eu une after-party de fortune pour Mitsuha et le personnel. Beaucoup d’ingrédients n’avaient pas été utilisés, alors les chefs avaient fait quelques expériences — faire bouillir des pelures de légumes dans de l’huile et ainsi de suite — et ils avaient tous eu beaucoup de plaisir à essayer les résultats. Naturellement, les domestiques et la famille du vicomte s’y étaient joints. Les domestiques avaient été un peu tristes de ne pas avoir pu goûter la nourriture étrangère ou les collations de Mitsuha, et ceux qui étaient en coulisses ou dans la cuisine avaient été déçus d’avoir manqué la pièce.

Je veux dire, ils ont vu les répétitions, et ils ont essayé la nourriture étrangère pendant que Marcel et son équipe s’entraînaient ! Bien que, oui, rien de tout cela n’était encore perfectionné…

Il restait aussi beaucoup d’alcool. Alors que Mitsuha n’était pas encore majeure, elle ne voyait aucune raison de respecter la loi japonaise dans un autre monde. Même Adelaide avait apprécié à sa juste valeur les boissons… aussi tragiques que cela ait été.

Je ne boirai plus jamais avec elle, fin de l’histoire ! Et ne m’en parlez même pas !

À la fin, Mitsuha avait gagné 260 pièces d’or. Apparemment, il était normal que de tels événements coûtent plus de 300 pièces d’or. Ayant vu des kimonos de luxe avec des étiquettes de prix obscènes, Mitsuha n’avait pas trouvé inhabituel que la même chose puisse arriver avec des robes. Certaines avaient même d’authentiques pierres précieuses cousues, et les prix pourraient monter en flèche à partir de là en fonction du type et de la qualité de la pierre précieuse.

De plus, la nourriture était toujours abondante et gratuite. Non seulement les nobles devaient fournir des repas de la meilleure qualité à partir d’ingrédients locaux, mais ils devaient aussi apporter quelque chose d’excitant à table pour stimuler les goûts ternes de leurs invités. L’argent en jeu était une toute nouvelle folie.

Bien que, c’est un peu compréhensible… Transporter et conserver de la nourriture est un travail difficile dans ce monde, pensa Mitusha, se sentant fière du fait que de tels problèmes ne l’avaient pas affectée.

Mais revenons à l’important : les 260 pièces d’or. Cela faisait environ 26 millions de yens dans ce monde (210 000 euros), soit 6,5 millions sur Terre (52 700 euros) — un chiffre impressionnant même si l’on tient compte des dépenses d’équipement, d’ingrédients et de vêtements. Mais encore une fois, la seule nourriture que Mitsuha avait apportée était les repas complets et les articles spécialisés comme le poisson et les collations. Les Ryners avaient fourni la plus grande partie des ingrédients.

Mitsuha avait également été payée séparément pour le poisson et les autres ingrédients utilisés pendant la formation en cuisine. Après tout, grâce à leur entraînement, ils avaient remplacé tous les repas de la famille. Même les serviteurs avaient mangé comme des rois. C’était une honte que les serviteurs ne festoieraient probablement plus jamais aussi richement. Mais l’objectif principal de Mitsuha était la grosse somme qu’elle avait gagnée grâce à cette liaison.

Mais elle avait encore des dettes envers le capitaine mercenaire, alors elle n’utilisera pas encore ses « poches profondes » pour l’instant.

Bien sûr, elle n’avait pas oublié la photographie. Elle avait personnellement formé deux domestiques à l’utilisation des appareils photo, et ils avaient consciencieusement pris des photos et des vidéos de l’événement. Mitsuha ne pouvait pas se donner la peine de choisir parmi eux, alors elle les avait toutes envoyées à la couturière.

Elle les éditera et les copiera même si je ne le lui demande pas. Ensuite, j’imprimerai des photos et je les vendrai au vicomte pour gagner encore plus d’argent !

La modiste avait aussi demandé des tirages, mais elle le ferait évidemment elle-même. Probablement grandeur nature. Je devrais lui demander de faire celles que je vais vendre au vicomte. Je suppose qu’elle les fera gratuitement.

Le lendemain de la fête, Mitsuha était si fatiguée qu’elle avait passé la journée entière à paresser dans le magasin. Elle était particulièrement heureuse d’avoir ses quartiers privés au deuxième étage. Avec cela, je n’ai pas besoin de retourner tout le temps au Japon… Je peux me détendre ici. Il y a même un bain ! Je mentirais si je disais que le bain à la maison n’était pas de meilleure qualité, mais je dois m’habituer à vivre ici.

C’est un peu plus facile à dire qu’à faire avec la salle de bain. Je veux dire, prendre soin d’un « numéro un » est facile. J’ai des toilettes occidentales, et ça tire même la chasse. Les charpentiers l’ont relié à un réservoir d’eau relié au puits par une motopompe.

Quant au « numéro deux »… Je l’ai rendu utilisable au cas où des invités viendraient, mais il y a… vous savez… la partie nettoyage. Pour l’instant, je vais juste continuer à revenir à la maison quand je dois déposer les enfants à la piscine, si vous voyez ce que je veux dire.

Deux jours plus tard, Mitsuha avait ouvert son magasin pour la première fois depuis longtemps. C’était comme d’habitude. Cela faisait si longtemps que la voisine était venue la voir.

Oh, la beauté de la sympathie humaine ! Mitsuha s’était sentie si émue qu’elle lui avait donné une autre serviette.

Quelques jours s’étaient écoulés après sa réouverture, et elle devait fermer dans trois heures.

Ding-a-ling !

Mon premier client depuis longtemps ! Mitsuha applaudissait intérieurement, bien qu’elle n’ait pas été complètement en déficit. Elle avait fait venir un nombre décent de gens pour acheter du shampooing, du shampooing et, bien sûr, du shampooing. Elle vendait d’autres produits, mais l’écrasante majorité de ses clientes étaient des filles qui achetaient du shampooing.

Le nombre de clients ne cessait d’augmenter, au moins, et elle réalisait suffisamment de ventes pour vivre sa vie quotidienne. Si vous vous souvenez bien, Mitsuha avait un bon sens quand il s’agissait de ses marges bénéficiaires. De plus, l’endroit lui appartenait, donc elle n’avait pas à s’inquiéter du loyer.

Quoi qu’il en soit, revenons à son cliente actuel… Dès qu’il était entré, l’homme s’était dirigé vers Mitsuha comme s’il était sur le sentier de la guerre.

« Donne-moi du poisson », grogna-t-il.

« Hein ? »

« J’ai dit, donne-moi du poisson ! »

« Monsieur, c’est un magasin général. Vous devriez aller à la poissonnerie à la place. »

Mitsuha ne savait pas s’il y en avait dans cette ville, mais elle pouvait supposer qu’il n’y en avait pas. À vrai dire, elle était plutôt froide avec les gens qui avaient de mauvaises attitudes.

« Arrêtez de faire l’imbécile ! J’ai fait mes recherches, et je sais que vous vendez du poisson ! Avez-vous une idée de ce qui arrivera si vous ne le faites pas tout de suite !? »

« Non. Dites-le-moi. »

« Quelle insolence… ! Ne savez-vous ce qu’il va se passer si vous refusez une demande du Seigneur?

Ne connaissez-vous vraiment pas les conséquences d’un refus d’une demande du Seigneur Turck ? »

« Quoi ? Êtes-vous le baron ? »

« Quoi… ? »

Sa question l’avait pris au dépourvu.

« C, certainement pas ! Je suis le chef cuisinier du baron Turck ! »

Ouais, je vois bien que tu n’es pas un noble. J’ai des yeux, et ils fonctionnent très bien.

« Qu’est-ce qui amène le chef cuisinier d’un baron dans mon établissement ? », demanda Mitsuha.

Le sourire qu’elle affichait pour ses clients s’estompa.

« Depuis son retour de cette maudite fête chez les Ryner, il ne fait que se plaindre de la nourriture ! Il demande qu’on lui serve ce qui a été servi à la fête. Je me suis renseigné et j’ai découvert que c’était de la nourriture étrangère qui utilisait du poisson. Je peux facilement faire de la nourriture de ce calibre tant que j’ai les ingrédients. C’est tout ce dont j’ai besoin ! »

« Ohh, eh bien… En fait, je n’ai pas “vendu” de poisson en soi. J’ai accepté la demande d’organisation intégrale de la fête, et le poisson était simplement un produit que je devais fournir pour compléter le contrat. Ce n’est pas la même chose que de vendre du poisson. »

Ce dernier craqua complètement.

« Quoi !? Arrêtez de dire n’importe quoi et fais ce que je vous dis ! Si vous ne le faites pas, je — »

« C’est quoi tout ce bruit ? »

Whoa, c’est Lady Iris ! pensa Mitsuha. Merde, j’ai complètement oublié les Bozes… encore !

« Pourquoi n’es-tu pas venue nous voir ? », demanda-t-elle agressivement.

« Oh, je… J’ai été très occupée ces derniers temps… »

« Avec cet homme, peut-être ? C’est ton client ? »

Elle avait regardé le chef cuisinier du nez. Elle baissa les yeux sur le chef cuisinier. L’apparition soudaine d’une dame visiblement noble le fit presque trembler.

« Euh, non. Pas tout à fait », dit Mitsuha, puis elle changea rapidement de ton.

« Il a dit qu’il me ferait du mal si je ne faisais pas ce qu’il disait ! Je ne sais pas ce qui va m’arriver maintenant… »

« HUH !? »

L’homme était immédiatement devenu pâle.

« Qu’est-ce que vous faites… ? »

« Quelles affaires avez-vous avec notre fille ? »

Ils avaient été rejoints par le comte Bozes lui-même.

« Eep ! », grinça le chef cuisinier.

Sentez-vous ça ? C’est la forte aura de la noblesse.

« R, rien… Je suis juste un client à la recherche d’un… »

« Il a dit qu’il travaillait pour les Turcs, et qu’il me ferait du mal si je ne faisais pas ce qu’il me demandait… »

Ah. Il s’échappe. Il ne m’a même pas laissé finir. Regardez-le partir.

« Je ne manquerai pas d’en parler au Seigneur Turck », dit le comte.

Lady Iris avait un sourire glacial sur son visage.

« Je, euhh… »

Avant que Mitsuha ne puisse se disputer, elle avait été jetée dans la voiture et emmenée au manoir des Bozes.

On peut faire demi-tour une seconde ? Je dois verrouiller la porte.

***

Chapitre 9 : Mercenaires

Partie 1

« Hé ! Ce n’est pas juste ! »

Béatrice était furieuse. 

Mitsuha avait été emmenée au manoir des Bozes situé à la capitale, où elle avait été immédiatement jugée. Le juge et le procureur n’étaient autres que la cadette des Bozes et sa fille unique, Béatrice. Mitsuha n’avait aucune défense, car Alexis et Théodore s’étaient enfuis.

« Pourquoi n’ai-je pas pu aller à la fête !? », avait-elle demandé.

« Tu as treize ans. Tu n’as pas encore atteint la majorité », répondit Mitsuha.

« Mais toute cette nourriture savoureuse ! Et ces bonbons ! »

« Désolée… »

« Et mes débuts, hein !? Tu vas te racheter en m’organisant la plus belle fête de tous les temps, hein !? »

En fin de compte, Mitsuha avait dû promettre que ses débuts seraient marqués par un défilé électrique, un feu d’artifice et des stands de nourriture, y compris ceux de takoyaki et de barbe à papa.

Espérons qu’elle l’oubliera dans les deux prochaines années.

Au dîner, elle avait été harcelée de questions.

« C’était quoi toute cette nourriture ? »

« Et ces photos ? »

« D’où sors-tu ces trucs bizarres que tu vends dans ton magasin ? »

Je savais que ça allait arriver. Je suppose qu’il est temps d’inventer quelque chose.

Mitsuha leur avait raconté l’histoire suivante : des amis qu’elle avait laissés dans son pays s’inquiétaient tellement de son bien-être qu’ils lui avaient secrètement envoyé ses affaires par bateau. Mais comme ils en envoyaient beaucoup, Mitsuha avait décidé de vendre ce qu’elle avait en trop. Elle avait ajouté que les bateaux étaient petits et rapides, et qu’ils n’apportaient le ravitaillement que la nuit.

Quelle connerie, pensa-t-elle quand elle eut fini. J’espère que mon histoire est cohérente jusqu’ici… D’un autre côté, ils goberaient probablement un petit mensonge ou deux, étant donné que j’essaie de cacher mon identité.

H-Huh ? Vous n’allez pas continuer à fouiner… ? Ouah, comte, vous êtes vraiment un homme droit. Attendez, « On a affaire à Mitsuha, après tout » ? Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire, Lady Iris !? Ah, désolée. Oublie ce que je viens de dire !

Une fois l’affaire terminée, le reste de la famille s’était joint à la conversation.

Cela va être quoi maintenant ? « Des Soldats golems artificiels ? » Hein ? Je t’en ai parlé ? Ça ne me dit rien, désolée. La production de sel ? Vous y tenez tant que ça, hein, comte ? Oh ? Votre territoire donne sur la mer ? D’accord, je vais regarder sur internet.

Alexis ? Tu m’as trouvé plus charmant qu’Adélaïde ? Quoi, c’est vrai. N’as-tu pas un problème dans la tête ? Restes à ta place, je suis plus vieux que —. Attendez. Comte ? Lady Iris ? Pourquoi l’encouragez-vous !?

Théodore et Béatrice sont de mon côté ! Vous voulez que je passe la nuit ici parce qu’il est tard ? D’accord. Je m’y attendais, de toute façon. Je vais prendre un verre de vin et ce sera tout.

Le lendemain, Mitsuha était retournée au magasin juste après le petit déjeuner. Après tout, elle devait ouvrir. Cette fille diligente ne pouvait pas quitter le travail sans raison.

Eh bien, regardez-moi le temps qu’il fait, pensa-t-elle, en regardant un mur de nuages s’approcher. Il s’en était suivi une bruine qui s’était transformée en pluie battante en un rien de temps. C’était la première pluie que Mitsuha avait jamais vue dans ce monde.

Comment tout le monde se débrouille-t-il alors qu’il ne pleut pratiquement pas ? se demanda-t-elle. Peut-être que j’en ai raté quelques-unes quand je suis allée au Japon ? Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune chance que j’aie des clients maintenant. Les locaux n’ont probablement pas de parapluies… Ah ! Je devrais peut-être commencer à les vendre moi-même !

La cloche sonna un instant plus tard, la prenant par surprise.

Des clients !? Par ce temps !?

« Désolée. Nous aimerions rester ici jusqu’à ce que la pluie passe, si ça ne vous dérange pas. », dit la femme qui venait de rentrer.

Oh. Eh bien, cela ne me dérange pas. J’aime les gens bien élevés, et elle est belle à regarder. Hmm, il y a donc trois autres personnes avec elle… Attendez, attendez une seconde !

« DES AVENTURIERS ! », Mitsuha s’écria.

« Hein ? »

Les quatre avaient plissé les sourcils à l’unisson.

Deux des membres du groupe étaient des hommes, les deux autres étaient des femmes. L’un des hommes avait les cheveux noirs et une solide musculature qui soutenait une grande épée sur son dos. La personne près de lui était un blond mince qui portait une lance. La femme qui avait parlé avait les cheveux roux et une épée à la ceinture, tandis que la fille avait les cheveux argentés, un arc sur son dos et une dague à la ceinture.

Mitsuha avait deviné que le plus grand homme approchait de la trentaine, le blond devait avoir un peu plus de vingt ans, la rousse devait avoir une vingtaine d’années et la fille moins de seize ans. Bien que petite, elle était au moins plus mûre que Béatrice, alors Mitsuha supposa qu’elle était à peu près aussi vieille qu’Adelaide. Elle avait regardé la poitrine de la jeune fille et un sentiment de camaraderie s’était emparé d’elle.

De toute façon, c’est un groupe de combattants spécialisés ! Il n’y a aucune chance qu’ils ne soient pas des aventuriers !

« En fait, nous ne sommes que des mercenaires… », avait dit l’un d’eux.

Eh bien, je me corrige.

Bien que le groupe ne soit pas venu pour acheter quoi que ce soit, ils avaient quand même jeté un coup d’œil dans le magasin, peut-être par courtoisie. Quelle qu’en soit la raison, ils avaient trouvé les produits de Mitsuha assez extraordinaires pour passer un bon moment à naviguer. Le grand homme était fasciné par les couteaux, le blond était captivé par les ustensiles de cuisine, la rousse était charmée par les accessoires et l’archère était fascinée par les outils.

« C’est si mignon », dit la rousse en regardant à travers les bibelots.

Ils n’étaient pas trop chers, mais le mercenariat n’était pas la carrière la plus lucrative en temps de paix.

La pluie ne s’était pas calmée, alors Mitsuha avait fait bouillir de l’eau et avait préparé du thé et des collations pour ses invités.

« En voulez-vous ? », demanda-t-elle.

« Hein ? Je n’ai pas d’argent… », la rousse lui répondit immédiatement.

« Oh, c’est gratuit. Je n’ai pas de clients par ce temps, mais je ne peux pas non plus partir, alors je m’ennuie un peu. Je pensais que l’on pourrait discuter. »

« Oh, dans ce cas c’est entendu ! »

« Ah, hey… »

Le plus grand homme fit un sourire tendu devant le manque de prudence de son compagnon.

Finalement, ils avaient tous accepté son invitation et l’avaient rejointe à table dans la cuisine. Il s’était avéré qu’il s’agissait tous de mercenaires du même village. L’homme aux cheveux noirs se nommait Sven et avait vingt-sept ans. Le blond se nommait Szep et avait vingt-deux ans. La rousse se nommait Gritt et avait vingt et un ans. La fille aux cheveux argentés, Ilse, avait seize ans. Mitsuha était déçue d’apprendre qu’elle n’était pas une mage.

Quelle déception !

Elle trouvait étrange qu’une jeune fille de seize ans puisse être mercenaire, mais elle considérait que c’était sa propre vision du monde qui posait problème. Tout villageois qui ne pouvait pas se nourrir avait la possibilité de devenir mercenaire ou bandit. Gritt avait ajouté qu’elle avait aussi commencé à 16 ans.

À l’heure actuelle, les guerres et les conflits locaux sont rares. La demande de mercenaires étant si faible, bon nombre d’entre eux sont devenus des bandits. Ces quatre-là, cependant, ne s’écartaient pas de la voie la plus juste et continuaient à gagner leur vie en faisant des petits boulots, de la cueillette, des collectes ou en allant à la chasse. Malheureusement, ils gagnaient si peu qu’ils ne pouvaient même pas se permettre de remplacer leurs armes endommagées, et encore moins de s’offrir un luxe quelconque.

« Alors oui, on ne peut rien t’acheter. Désolé. »

Alors qu’il se sentait désolé, Gritt mordit dans un petit pain cuit à la vapeur que Mitsuha avait servi avec le thé.

Ilse en mangea un aussi. Elle s’en remplit le visage, en fait. Mitsuha avait trouvé ça mignon. Elle ressemble à un hamster, pensa-t-elle. Bien qu’elle ne veuille probablement pas entendre ça de moi ni de personne d’autre.

Les hommes étaient réticents au début, mais ils n’avaient pas pu résister à l’attrait de la nourriture chaude et ils les avaient rapidement engloutis.

« Ne soyez pas timide. Comme je l’ai dit, je m’ennuie vraiment… Puis-je poser quelques questions ? », demanda Mitsuha.

« Tant que c’est tout ce que tu veux, alors oui, demande ! »

Ils avaient dû satisfaire à sa curiosité à propos de toutes sortes de choses : leurs voyages de cueillette et de chasse, les quêtes que leur donnaient les guildes, les ennuis et les joies inattendues durant les voyages, les objectifs pour l’avenir, et ainsi de suite.

Ça y est ! C’est ça ! pensa Mitsuha. Je sens un gros gain d’argent arrivé… et mon nez ne ment jamais !

« Est-ce que les guildes de mercenaires acceptent-ils des emplois de qui que ce soit ? », avait-elle demandé.

« Oui », Sven hocha la tête alors qu’il était en train de manger un petit pain.

« Tout ce qui compte, c’est que ce n’est pas illégal et que ça n’enfreint pas les directives de la guilde. Mais ils vous feront payer un peu plus cher. »

« Et les emplois désignés fonctionnent comme vous l’avez dit, n’est-ce pas ? »

« Exactement. »

« Alors, ça vous dirait de prendre un travail spécifique venant de moi ? »

« Huuuh ? », dirent-ils tous à la fois.

La demande de Mitsuha était simple : elle voulait qu’ils l’emmènent durant leur prochain voyage de chasse et de cueillette, pour la protéger et la soutenir tout au long du voyage. Elle avait prétendu qu’elle voulait savoir comment ces emplois étaient faits afin de pouvoir faire des réserves d’articles qui pourraient être utiles.

Le groupe avait considéré son offre. Bien qu’elle soit une enfant, Mitsuha tenait un magasin impressionnant. Ils avaient aimé que quelqu’un de son statut soit si prévenant envers les gens comme eux.

La forêt dans laquelle ils travailleraient n’était pas très loin de la capitale. Ce n’était pas très dangereux, donc il ne serait pas difficile de s’occuper d’elle. Cela ne devrait pas avoir beaucoup d’impact sur leur travail non plus. Au pire, ils pourraient avoir à porter les affaires de Mitsuha — ou la fille elle-même — mais elle était si petite que ce ne serait pas un problème.

Et le plus important, ils seraient payés. La chasse et la cueillette ne s’étaient pas toujours bien déroulées, mais ce genre de demande garantissait toujours de l’argent. La guilde prenait les paiements et les distribuait aux mercenaires une fois la tâche accomplie. De plus, la seule façon de faire échouer cette demande était de se faire attaquer et anéantir par des bandits, et quel genre de bandit pourrait attaquer des mercenaires armés et sans le sou ?

Ils avaient conclu qu’il s’agissait essentiellement d’argent facile et qu’il n’y avait rien de négatif. De plus, cela augmenterait leur réputation au sein de la guilde, puisque les demandes personnelles rendaient les mercenaires plus dignes de confiance.

***

Partie 2

De plus, ils voulaient vraiment établir un lien avec ce magasin. Le fait d’avoir potentiellement un plus grand nombre d’emplois dans l’avenir — et un plus grand nombre de ces délicieuses gâteries — était tout simplement beaucoup trop attrayant. Ce n’était véritablement même pas un choix. Les quatre se regardèrent et hochèrent la tête.

« On le prend ! », crièrent-ils à l’unisson.

Les mercenaires avaient dit à Mitsuha qu’ils partiraient dans deux jours. Une fois la pluie passée, Mitsuha fermerait le magasin et ils iraient tous à la guilde.

Oh, j’ai oublié d’en demander le salaire, pensa Sven, qui était pourtant le chef du groupe. Peu importe, ça ne me dérangera pas même si ce n’est que quelques pièces en argent. Inutile de dire que la pièce d’or qu’elle avait présentée à la guilde l’avait ému. Les choses s’améliorent vraiment !

Le lendemain, après la fermeture du magasin, Mitsuha commença à se préparer pour ce voyage de trois jours. Outre le strict nécessaire, elle bourrait son sac à dos de bric-à-brac, dont elle avait demandé l’utilité aux mercenaires à l’avance. C’était très bien, mais garder le sac à un poids qu’elle pouvait porter était un défi. Certains articles étaient légers, mais trop gros, tandis que d’autres étaient petits, mais trop lourds, et ainsi de suite.

La nourriture et l’eau étaient particulièrement lourdes. L’endroit où ils allaient s’installer était près d’un ruisseau, mais elle avait besoin d’eau pour s’y rendre. Au moins, un litre ne semblait pas suffisant. Elle ne serait probablement pas non plus capable d’utiliser son voyage entre les mondes pour s’approvisionner. L’un de leurs objectifs était de la protéger, ils la surveilleront pendant toute la durée du voyage, y compris les nuits. Essayer de retourner sur Terre dans cette situation serait trop dangereux.

Le jour du départ, Mitsuha s’était réveillée plus tôt que d’habitude. Elle avait pris un petit-déjeuner copieux, puis se rendit dans sa maison sur Terre pour aller aux toilettes, car elle ne voulait pas avoir à répondre à l’appel de la nature en cours de chemin. On lui avait dit qu’ils ne mangeraient que deux repas le premier jour, alors elle avait bien mangé le matin afin de pouvoir tenir jusqu’au soir. Elle avait néanmoins l’intention de prendre une collation ou deux.

Les voyageurs de ce monde avaient une relation délicate avec la nourriture, car elle était à la fois lourde et longue à préparer. Lors de tels voyages, ils pouvaient vivre des produits de la terre en mangeant des plantes et des animaux sauvages, mais les mercenaires préféraient ramener tout ce qu’ils pouvaient vendre, en combattant souvent la faim pour de l’argent.

À cause de tout cela, ils n’avaient apporté que le minimum absolu, puis espéraient se contenter des produits sauvages qui ne valaient pas grand-chose sur le marché. Et si ça ne marchait pas, ils se contenteraient du peu de nourriture qu’il y avait dessus. Ils avaient dit qu’ils prépareraient aussi des repas pour Mitsuha, mais elle avait refusé.

« Hé, je veux juste essayer cette nourriture ! Ne me regardez pas comme ça ! Il n’y a pas de quoi s’inquiéter ! La nourriture déshydratée est géniale ! »

Je me parle beaucoup ces derniers temps, se dit-elle. Je n’ai personne d’autre à qui parler. De toute façon… Couteau ? Check. Poignard ? Check.

Mitsuha avait renoncé à prendre l’épée courte. Elle était beaucoup trop lourde pour elle. Il y avait un monde de différence entre les épées courtes et les poignards à cet égard. La distinction entre « épée courte » et « épée longue » était en fait basée sur le type de soldat qui les utilisait — les premières étaient pour l’infanterie, tandis que les secondes étaient pour la cavalerie — donc il y avait de longues épées courtes aussi bien que de courtes épées longues. Cela signifiait essentiellement que les épées courtes étaient des armes utilisées par les fantassins adultes. Le terme « court » était assez trompeur.

Mitsuha avait besoin d’un objet deux fois moins long qu’une épée normale — un poignard, en gros, comme celui d’Ilse. Un poignard de 50 cm de long ayant une lame de 33 cm aurait été parfait. Quand elle en avait parlé au chef des mercenaires, il avait fait une grimace qui disait :

« Oui, j'ai le pressentiment que tu ne sais pas à quoi tu as affaire », à son grand dam.

***

Partie 3

Le couteau était surtout un outil générique pour la survie et le travail, y compris le dépouillement et tout le reste. Ce n’était pas comme si elle le ferait, mais elle pensait que c’était bien d’en avoir un pour les apparences. En plus, ça pourrait facilement servir d’arme.

C’est dur de faire la différence entre les couteaux et les poignards. Comme la « Dague en Mythril » dans End-All Escapade IX, ou quel que soit le nom de ce jeu… C’est clairement aussi court qu’un couteau, mais cela à la forme d’une épée. Mais la « Dague en Mythril » n’a pas l’air aussi cool. J’imagine que cela montre que la sensation l’emporte souvent sur la fonction ! pensa-t-elle, en s’équipant des deux lames et de quelques pistolets.

Quand le groupe de quatre était arrivé à la guilde des mercenaires tôt le matin, Mitsuha était déjà là, malgré le fait qu’ils étaient eux-mêmes venus tôt pour l’empêcher d’attendre.

À quel point cela l’excitait-elle !? Le groupe était à court de mots.

Ils avaient trouvé l’accoutrement de Mitsuha un peu étrange. Elle portait un haut uni avec un nombre surprenant de poches et un pantalon bleu à l’allure robuste.

C’est beaucoup mieux qu’une robe tape-à-l’œil.

Elle avait un couteau et un poignard à la taille. C’était bien, mais ils ne savaient pas quoi penser de l’objet métallique accroché à sa ceinture. Il n’était pas trop grand, mais il avait l’air assez lourd. Sur son dos, elle portait un grand sac, un petit carquois et un autre outil étrange. Il ressemblait à première vue à un arc, car il y avait une corde dessus, alors ils avaient deviné qu’il s’agissait d’une arme à distance. En outre, il y avait deux grands objets cylindriques. Ils n’avaient pas l’air si lourds, mais ils étaient certainement longs.

C’est quoi tous ces trucs ? Ce sont des trucs de fille ? Ce sac est plein de vêtements de rechange, de maquillage et de soins pour la peau ? Ils n’avaient même pas commencé, mais Sven se sentait déjà épuisé.

Une fois assemblés, ils étaient partis. Sven était un peu ému que la jeune femme ait insisté pour porter seule l’énorme charge.

Je n’ai pas beaucoup de choses sur moi, donc ça ne me dérange pas vraiment d’être une mule pour elle, pensa-t-il. Je suppose qu’elle est à un âge où elle veut faire la maline. Je vais attendre qu’elle soit fatiguée et qu’elle demande de l’aide. Mais je devrais sûrement porter du gibier sur le chemin du retour, donc je ne pourrai pas l’aider… Mais elle aura probablement moins à porter, aussi, avec la nourriture qu’elle mangera et tout.

Je ne veux même pas penser au cas où nous n’aurons pas grand-chose à porter à la fin. Mais il y a toujours son paiement, alors… Merde ! Bon sang ! Non ! Ressaisis-toi, Sven ! Ce ne sera pas toujours aussi facile !

La tendance de leur chef à trop réfléchir lui donnait toujours trop de raisons de s’inquiéter.

Après plusieurs heures de marche et quelques pauses, ils étaient arrivés à la forêt. Ils étaient partis tôt, il était encore midi. Le groupe avait croisé beaucoup de marchands et d’autres voyageurs, mais dans l’ensemble, le voyage s’était déroulé sans incident.

La seule chose dont Mitsuha avait pris note, c’était à quel point la route était largement plus peuplée que celle menant au village de Colette. Mais le sentier qui bifurquait dans la forêt était aussi vide que celle-là, et tout ce qu’elle entendait, c’était le chant des oiseaux au loin.

La présence d’un sentier pédestre indiquait au moins que les gens marchaient dans le secteur. Selon Sven, il s’agissait surtout de chasseurs, de fourragers et de mercenaires comme eux.

Le groupe marcha dans la forêt pendant une demi-heure avant de déposer ses sacs. Ils avaient choisi une clairière pas trop loin d’un ruisseau.

Ouais, ça a l’air d’être un bon endroit pour camper, pensa Mitsuha. Aller plus loin rendrait le transport de leur équipement ou de n’importe quel gibier qu’ils pourraient attraper d’autant plus fastidieux, et ce n’était pas comme s’ils gagnaient beaucoup à installer leur camp plus près du centre de la forêt.

Les mercenaires ne voulaient pas laisser la lumière du jour se gâcher, alors ils s’étaient mis à travailler tout de suite, disant qu’ils installeraient le camp dès qu’il ferait trop noir pour trouver quoi que ce soit.

Ils ne chasseraient pas aujourd’hui, puisque la viande se détériorerait au cours des deux prochains jours, alors tout le monde s’était mis à cueillir des herbes et des plantes sauvages qui se vendraient pour une jolie pièce de cuivre.

Des ignames, peut-être ? se demanda Mitsuha. Ugh, mais ils sont si difficiles à déterrer. Quand j’étais petite, j’ai essayé d’en avoir un aussi large que mon petit doigt, mais j’ai abandonné après avoir creusé, genre, cinq ou six pouces.

Elle avait suivi Gritt et lui avait demandé si elle pouvait lui apprendre les ficelles du métier pendant qu’elle se préparait à l’aider. Je lui donnerai tout ce que je trouverai, évidemment. Je ne suis pas si avide !

Il n’y avait pas d’ignames à trouver. Ils cherchaient surtout des fruits sauvages, des légumes et ce genre de choses. Il était difficile de dire si certaines de ces herbes étaient des herbes ou de la nourriture. Une fois la nuit tombée, ils étaient allés s’installer au campement.

Si l’on peut appeler cela de la « mise en place », en tout cas, pensa Mitsuha en regardant leur lit. C’était un morceau de tissu drapé sur de l’herbe coupée qu’ils avaient répandue sur le sol. Pas besoin d’abri quand il ne pleut pas, hein ? Et euh, suis-je censée les rejoindre ? Pas moyen.

Elle s’était éloignée de plusieurs pieds, avait arraché un gros cylindre de sa ceinture et s’était mise à jouer avec. Quelques secondes plus tard, celui-ci un bruit bruyant de brassage quand il s’était ouvert et étendu.

« Quoi ? Quoi !? », Gritt sursauta de surprise.

« Ta-da ! La “tente n’importe où” ! »

Mitsuha avait fièrement présenté la tente escamotable pour une personne qu’elle avait trouvée dans la corbeille des bonnes affaires du magasin de rénovation. Il était petit, mais destiné aux adultes, ce qui le rendait assez spacieux pour quelqu’un ayant une petite taille.

« Toile d’uréthane ! »

Mitsuha parlait d’une manière grandiose, mais naturellement les mercenaires n’avaient aucune idée de ce qui se passait. Cela rendait les choses délicates. Légèrement embarrassée, Mitsuha défit l’autre cylindre et étala la toile.

Une tente et un drap isolant… Mon lit, fait en quelques secondes !

Les yeux de Sven s’étaient élargis.

« Tu crois que ça se vendrait ? », demanda Mitsuha.

« O-Oui. »

Les mercenaires avaient dit que leur repas était composé à partir de n’importe quel animal qu’ils rencontraient durant la chasse, mais ils n’avaient pas eu cette chance aujourd’hui. Survivre dans la nature était loin d’être facile. Heureusement, ils avaient trouvé des plantes comestibles, quoiqu’amères. Essayer de les vendre n’en vaudrait tout simplement pas la peine, mais elles pourraient être utilisées pour faire une soupe qui était légèrement rassasiante lorsqu’elle était jumelée au pain dur qu’ils avaient apporté. Ajouter un peu de viande séchée donnerait un peu plus de saveur au bouillon… mais pas beaucoup.

Gritt travaillait dur pour essayer d’allumer le feu afin de pouvoir faire la soupe, si on pouvait l’appeler ainsi. Elle utilisait un peu de silex, mais elle n’avait pas eu beaucoup de chance. Le bois et les feuilles étaient encore un peu humides à cause de la pluie.

« Umm, excuse-moi… »

Mitsuha se tint à côté d’elle, et elle leva les yeux.

« Puis-je le faire ? »

Gritt, une vétérante de l’allumage du feu de camp, avait du mal à s’en sortir. Mitsuha n’était pas non plus une femme au foyer qui allumait le feu tous les jours. En fait, ils avaient probablement pensé qu’elle n’avait jamais tenu un silex de sa vie. Si Gritt n’avait pas pu le faire, Mitsuha ne pourrait pas non plus, n’est-ce pas ?

En fait, elle en était plus que capable… d’allumer au moins un feu. Mais le groupe n’avait aucun moyen de le savoir, alors ils avaient supposé qu’elle n’avait aucune chance. Cependant, l’une des raisons pour lesquelles ils l’avaient amenée ici était de lui apporter leurs expériences, alors ils ne pouvaient pas ignorer sa demande.

Gritt tendit le silex vers elle et lui dit : « Bien sûr. Essaye. »

Mitsuha refusa le silex d’un signe de la main.

« Non, merci, merci. J’ai le mien. »

Elle s’accroupit, fit sortir une substance gélifiante d’un tube et y frotta quelques brindilles. Puis, elle les avait enflammés avec un briquet jetable à longue portée.

« Quoi ? Quoi ? », Gritt était sidérée.

« La science gagne ! »

Toute suffisante, Mitsuha gonfla sa poitrine… bien que ce soit à peine perceptible. La ferme, toi !

« Comment a-t-elle… ? », chuchota Sven.

À ce moment-là, Gritt avait commencé à préparer la soupe, tandis que Mitsuha préparait sa propre nourriture. Curieux de savoir ce qu’elle faisait, ils discutèrent entre eux.

L’élément particulier qui les avait rendus si perplexes était son micropoêle de camping. Il faisait à peu près la moitié de la taille d’une cartouche normale. C’était si petit qu’on pouvait voir la moitié de la cartouche de gaz. Au-dessus, une casserole d’aluminium pleine de soupe mijotait sur le feu. À côté de Mitsuha, il y avait des assiettes, des ustensiles, des boîtes de soupe vides, un paquet de petits pains aux haricots rouges miniatures valant 148 yens (1 euro) et des pêches en conserve qui avaient été versées sur un plat en aluminium.

Inutile de dire que c’était trop pour une personne.

« Le reste de ses affaires, c’est de la nourriture ? », Sven était stupéfait.

« Ah, il y a un peu trop de nourriture pour moi toute seule. Vous pensez pouvoir m’aider ? J’aimerais goûter à votre soupe en échange. »

« BIEN SÛR ! », crièrent-ils à l’unisson.

C’est tellement injuste… Je me sens comme le propriétaire d’un pub gastronomique louche.

« C’est si bon… », dit Sven après avoir goûté une cuillerée de la riche soupe.

« Quand as-tu eu le temps de faire ces trucs ? Je pensais que tu n’étais que la fille gâtée d’un noble ou d’un marchand, mais cela m’a donné tort. Tu es si forte que tu pourrais facilement tenir un restaurant branché. »

Il avait du mal à croire ce qu’il mangeait.

Désolé, mon pote, c’est du minestrone concentré que j’ai acheté au supermarché.

« Attends, c’est du pain ? C’est si doux ! Et qu’est-ce que c’est à l’intérieur !? C’est trop bon ! »

Gritt s’était bourré la bouche avec des petits pains bon marché.

***

Partie 4

Ilse grignotait sa nourriture sans dire un mot. Toujours silencieuse, cette fille. En parlant de silence, Szep n’avait pas beaucoup de présence. Mitsuha avait presque oublié qu’il était là.

Et dire que je m’attendais à ce qu’il soit un coureur de jupons comme Alexis… Oh, je comprends, il pense que je suis une enfant. C’était un peu bête de ma part, désolée.

« Eh bien ? Pensez-vous que cela se vendrait ? » demanda-t-elle. « Tout, à part le pain, peut se conserver longtemps. »

Sven prit un moment pour réfléchir avant de répondre :

« Ça dépend du prix, mais les nobles, les riches et l’armée en seraient fous. »

« Je vois. »

L’armée, hein ?

Mitsuha pensait qu’en s’impliquant dans les stocks de l’armée, elle attirerait trop l’attention sur elle. Sans parler du fait qu’elle serait si occupée qu’elle n’aurait plus de temps pour elle. Ils achèteraient probablement des milliers de choses. Elle doutait que même le comte puisse la protéger des militaires.

« Je ne peux pas fournir tant que ça », dit-elle, « Et les gens riches ont tout le temps de la bonne nourriture. Qu’ils mangent au moins de mauvais trucs durant leur voyage. Je vais essayer de les vendre à un prix abordable pour des gens comme vous. »

« Hein ? Êtes-vous folle !? Avez-vous une idée de ce que vous pourriez gagner si vous jouez bien vos cartes ? »

« C’est bon, je gagne assez avec mes autres articles. »

Hmm… Si j’achetais une boîte 150 yens sur Terre (1 euro), elle vaudrait six petites pièces d’argent — l’équivalent de 600 yens — ici (4 euros). Et si j’utilisais des prix justes au lieu d’arnaquer, je veux dire, en utilisant les marges bénéficiaires habituelles de mon magasin, je les vendrais entre huit à dix petites pièces d’argent chacune… soit 800 à 1 000 yens (entre 6 et 8 euros). C’est encore un peu trop onéreux pour remplacer le régime d’un pauvre mercenaire. Tout au plus, ce serait un luxe que l’on s’offrirait pour quelques voyages. De plus, les boîtes de conserve sont un peu lourdes, bien que les aliments lyophilisés soient encore plus chers…

Ah, et pour les CalorieMates ? Ces petites barres énergétiques japonaises seraient une bonne collation d’urgence au cas où ils auraient eu beaucoup de malchance durant leur chasse, ou s’ils se seraient perdus ou quelque chose comme ça. Je pourrais les vendre à un prix plus élevé, puisque les mercenaires ne les achèteraient pas chaque fois. Je crois que je sais ce que je leur montrerai demain matin ! J’ai déjà quelque chose en tête pour le déjeuner. Pourquoi ont-ils tous l’air si émus ? La nourriture est-elle si bonne que ça ?

Après avoir mangé, le groupe s’était assis autour du feu de camp pour bavarder. Mitsuha avait fait bouillir de l’eau et avait préparé du thé. Du thé noir au lait en poudre, pour être précis. C’était bon marché, facile à faire et savoureux, ce qui en avait fait l’un des préférés de Mitsuha. Tout le monde l’aimait, alors elle l’avait ajouté mentalement à sa liste grandissante de produits futurs.

Quand elle avait trouvé une bonne occasion, Mitsuha s’était échappée du groupe. Ayant entendu à l’avance qu’il y aurait un ruisseau à proximité, elle avait préparé un petit quelque chose pour faciliter le bain. Elle se retira dans sa tente et revêtit un bikini. Eh bien, ce n’était pas du tout voyant. En termes simples, il était difficile de se laver correctement dans un maillot de bain d’une seule pièce, alors Mitsuha avait acheté celui-ci pour cette raison. C’était purement fonctionnel.

Je ne vais pas utiliser de savon. L’eau est tout simplement trop propre pour la polluer, et se laver dans un maillot de bain est de toute façon assez pénible. Je vais juste faire une petite trempette et en finir avec ça.

Elle avait quitté la tente, serviette à la main, et avait immédiatement croisé les yeux de Szep. La coupe qu’il tenait lui avait glissé de la main.

« Jeune fille… V, vous… vous… »

« IDIOTE ! QU’EST-CE QUE VOUS PORTEZ !? », dit Gritt en criant.

« MESSIEURS, TOURNEZ-VOUS ET NE LA REGARDEZ PAS ! »

Ilse accourut et jeta son manteau autour de Mitsuha.

Hein ? Qu’est-ce qu’il se passe ? pensa Mitsuha.

« À quoi pensez-vous !? Pourquoi sortez-vous nue !? Il y a des hommes ici ! Je sais que vous êtes une enfant, mais vous n’êtes plus si jeune ! », cria Gritt, rouge comme une tomate, tandis qu’Ilse hocha furieusement la tête.

Sven et Szep s’étaient enfuis quelque part.

« Hé, c’est juste un maillot de bain. Cela ne me dérange pas de le montrer… »

« Taisez-vous ! Ce ne sont même pas des sous-vêtements ! Vous êtes nue ! »

Oh, c’est vrai. Ici, les filles portent ce que l’on appelle des « jupons » ou des « frocs ». Maintenant que j’y pense, quand j’avais essayé de vendre des sous-vêtements à Béatrice et que je lui avais montré les miens, elle s’était évanouie. Oups… Désolée, mon amie.

Après une longue séance de réprimandes, elles m’avaient laissée me baigner, mais Gritt avait surveillé les hommes pendant qu’Ilse veillait sur moi le temps que je termine.

Le lendemain, Mitsuha se réveilla avec le lever du soleil. Les mercenaires avaient prévu de sortir et de chercher leur nourriture le ventre vide, puis de prendre un brunch relativement rassasiant avant de chasser jusqu’au soir. Quand ils se réveillèrent, cependant, Mitsuha les attendait déjà avec de l’eau bouillante sur le micropoêle du camp à côté d’elle. Bon travail, petit gars ! Ils auraient dû allumer un feu pour ça, mais tu m’as facilité la tâche.

« Essayez-les, s’il vous plaît », dit-elle, en présentant deux boîtes de CalorieMates aux saveurs de fruits avec du thé.

« Ils sont très nutritifs, se conservent longtemps et sont faciles à transporter ! »

Chacun d’entre eux en avait pris un avec hésitation et l’avait essayé.

« C’est délicieux… », dit Gritt.

« Il n’y en a pas beaucoup, mais c’est… nutritif ? », ajouta Sven.

Sympas, ils aiment ça ! Oh, ils en veulent d’autres ? Je ne crois pas, non. Ils ont après tout plein de trucs à faire, dont une recherche de nourriture.

Pendant que les mercenaires s’absentaient, Mitsuha restait au camp. Mais comme ils restaient dans le coin, cela ne posait pas de problème. Hein ? Vous me demandez pourquoi je n’y vais pas ? J’en ai eu marre, d’accord ? Laissez-moi tranquille !

Ils rentrèrent avant midi, vers les dix heures. Mitsuha était bien préparée. Elle avait déjà préparé de l’eau bouillante, il ne lui restait plus qu’à ajouter quelques nouilles.

« Bon retour parmi nous ! J’ai presque fini de cuisiner ! »

Ils y étaient habitués, alors personne n’avait répondu. Quelques minutes plus tard, Mitsuha leur avait donné un plat qui ressemblait un peu à du ragoût. Mais plutôt que de leur donner des cuillères, elle tendit à chacun une fourchette.

« Qu’est-ce que c’est ? », demanda Sven.

« Une recette secrète de ma famille ! On l’appelle “Ramen en boite” ! »

Ils émirent des « oohed » et des « ahhed » de manière appropriée.

Content de voir que vous pouvez jouer le jeu maintenant.

« Bon sang, c’est quoi ce truc !? », demanda Gritt.

« C’est tellement bon ! », Sven s’était joint à nous.

C’est comme si c’était tout ce que tu pouvais dire, pensa Mitsuha amèrement. Travaillez votre vocabulaire. Cela ne voulait pas dire que les ramens instantanés ne sont pas géniaux. C’était bon marché, chaud, léger et facile à cuisiner.

Vous savez, tous ces gens qui mangent des ramens tous les jours en faisant croire qu’ils étaient complètement fauchés ? Des faussaires ! Tous ! S’ils étaient vraiment pauvres, ils prendraient des trucs en sac ou des croûtes de pain. Et n’oublions pas les germes de soja ! Ces petits gars n’avaient que 34 yens, mais ils n’en ont plus que 26 maintenant. Est-ce que les entreprises gagnent de l’argent avec ça !? Je ne peux pas vendre de ramen aux mercenaires, de toute façon… L’emballage se briserait probablement à l’intérieur de leurs sacs.

Mais, hé, j’ai trouvé un vrai produit de puissance ! Maintenant, nous allons nous reposer un peu après le brunch et commencer la chose essentielle de cette quête — la chasse !

Contrairement à ce qu’ils faisaient lorsqu’ils cherchaient de la nourriture, ils ne s’étaient pas séparés, préférant ainsi chasser en groupe. Tout le monde avait un style de combat et un champ de tir qu’ils maîtrisaient bien, alors ils choisissaient la meilleure personne en fonction de la proie qu’ils rencontraient. De plus, les proies plus grosses étaient beaucoup plus faciles à manœuvrer lorsqu’ils travaillaient ensemble. Certains animaux devaient être gardés ou entourés pour être attrapés, tandis que d’autres étaient trop fortes pour qu’une seule personne puisse les abattre. De telles bêtes pourraient valoir jusqu’à deux pièces d’or, et une seule d’entre elles ferait de ce voyage un grand succès.

Notre groupe de cinq se déplaçait rapidement et tranquillement dans la forêt, à l’affût de proies. Leur première cible était un gros oiseau perché dans un arbre au-dessus de leur tête. Ilse avait tiré sur l’animal, mais l’avait raté.

« Désolé », avait-elle dit.

Gritt lui tapota la tête, et ils reprirent leurs recherches.

C’est… un oiseau ?

Bien qu’étant une pisteuse amateur, Mitsuha trouva un autre oiseau avant tout le monde dans le groupe. Elle s’approcha de Sven, tapa sur son arbalète et chuchota :

« Puis-je l’abattre ? »

Les arcs et les flèches n’étaient pas très précis au départ, et considérant que la cible était dans un arbre, les feuilles et les angles impliqués rendraient la situation encore pire. Aussi habile qu’elle l’était, Ilse manquerait probablement encore une fois.

Sven l’avait laissée essayer. Elle ne pensait pas qu’il croyait qu’elle pouvait le tuer, mais il n’avait probablement pas peur de gâcher une occasion de satisfaire son employeur. Le fait qu’elle l’ait trouvé elle-même avait probablement quelque chose à voir avec ça.

Peu importe, pensa Mitsuha. Un sourire s’était glissé sur son visage en tirant sur la ficelle de l’arbalète.

En tant qu’archère elle-même, Ilse semblait assez curieuse au sujet de cet arc horizontal.

Une forte secousse secoua l’air lorsque la flèche métallique s’était envolée. Le bruit sourd de l’oiseau qui tombait au sol le suivait. Les mercenaires ne pouvaient pas croire ce qu’ils voyaient. Ilse, en particulier, était si stupéfaite qu’elle ne pouvait pas fermer la bouche.

Ai-je mentionné que j’ai eu un entraînement à l’arbalète à la base du capitaine ?

« Ça va directement au marché. On ne va pas le manger. »

Sven avait surmonté son choc et l’avait bien fait comprendre. C’était effectivement un vrai leader.

Quelques heures de plus s’étaient écoulées. Szep portait l’oiseau que Mitsuha avait abattu. Gritt avait déclaré qu’il devait se sentir coupable pour la nuit dernière, mais Mitsuha n’arrivait toujours pas à comprendre ses actes. Eh bien, peu importe. Nous avons déjà convenu que tout ce que nous ramassons ou attrapons ici leur est destiné, donc ce n’est pas mon travail de le porter.

Quand ils s’étaient arrêtés pour une courte pause, Mitsuha leur avait dit qu’elle allait « cueillir des fleurs » et elle était partie toute seule.

« Pour la décoration ? Je viendrai avec vous », dit l’un des mercenaires dans une profonde démonstration de stupidité. Ça lui avait valu un coup de Gritt.

Je dois aller assez loin pour ne pas être vu, entendu ou senti, et trouver un sol solide assez incliné pour qu’il s’écoule en une seule éjection, c’est-à-dire en une seule fois ! C’est mon « numéro un », ok !?

Hein ? Qu’est-ce que c’est que ce bruissement dans la brousse ! Quelque chose vient de sortir de là !

C’était clairement un animal sauvage. La créature ressemblait à un joli sanglier, mais même si ce n’était pas un sanglier, le cerveau de Mitsuha l’avait interprété comme tel. Plus important encore, il la regardait fixement. Leurs yeux s’étaient rencontrés.

***

Partie 5

Ai-je envahi son territoire ? Ou bien me voit-il comme une proie ? Ahem. Chéri, c’est moi qui chasse ici, merci beaucoup.

Il n’était pas trop grand selon les normes de l’industrie du sanglier… Non pas que Mitsuha savait si quelque chose comme ça existait. Est-ce un petit ? Un cochon d’Inde ? Un marcassin ? Ça n’a pas l’air si petit. Il a au moins l’air suffisamment grand pour m’envoyer voler. Il a déjà des défenses, alors peut-être qu’il me poignarderait ? Ou est-ce qu’il me percuterait après m’avoir jetée à terre ? Il n’a pas l’air effrayé, alors c’est peut-être un adulte ?

Avant que Mitsuha n’ait pu terminer son raisonnement, le sanglier mugit, mit les pattes sur la terre et la menaça en prenant une pose « prête à charger ». Elle ne se sentait pas obligée de traîner et d’attendre qu’il soit lancé.

Mon père venait de la cambrousse, je veux dire, de la campagne. En particulier dans cette ville où il n’était pas rare que le journal local fasse la une des journaux avec ceci : « Un sanglier sauvage fonce sur une voiture » et que des bêtes d’élevage soient grièvement blessées lors d’attaques de sangliers. Bien sûr, je ne sais que trop bien qu’il ne faut pas s’en prendre à ces animaux… Je sais exactement quoi faire !

« AAAAAAAAHHHHHHHHHHHH ! »

Elle s’était enfuie. Ou plutôt, elle avait mis les voiles.

Les sangliers ne peuvent pas faire de virages serrés, alors je dois juste courir aussi-HUH !? Il me rattrape encore ! Papa, pourquoi mentirais-tu sur quelque chose d’aussi important !? Oh, ouais… Il ne pensait probablement pas que je serais poursuivie par un sanglier un jour. Ça ne lui est probablement jamais arrivé. Il l’avait probablement entendu et l’avait accepté comme un fait sans le confirmer lui-même.

Le sanglier n’était pas très agile, mais il réduisait progressivement la distance entre eux chaque fois qu’il y avait un chemin droit. Il ne mettra pas longtemps avant de rattraper son retard. Si c’était le cas, Mitsuha vivrait bien plus qu’un moment de souffrance… Ses défenses étaient mortelles. La forêt n’était pas non plus un bon endroit pour courir, elle avait rapidement manqué d’endurance. Elle avait l’impression de pouvoir trébucher à tout moment.

C’est mauvais ! Elle avait paniqué. Mais avant de s’en rendre compte, sa main droite ouvrait l’étui sur sa taille et sortait une arme. C’était le Beretta 93R, le pistolet ayant le mode rafale à trois coups. Sa main gauche s’était jointe à elle et l’avait mis en mode semi-automatique, le mode tir unique.

Des bruits bruyants et secs avaient retenti pendant qu’elle tirait trois fois sur l’animal. Il y avait un manque d’écho perceptible. Après tout, elle n’était pas à l’intérieur, il n’y avait pas grand-chose pour que les sons réverbèrent.

Le sanglier était mort sur place. Une seule des trois balles avait manqué. Heureusement que j’étais passée en mode tir unique. J’aurais eu de la chance de le toucher une seule fois en mode rafale.

Quoi ? Vous pensez que l’utilisation d’armes à feu est injuste ? Allons, ce n’est pas comme si c’était une chasse professionnelle et le sanglier n’était pas non plus un talon d’Achille. Je cherche à survivre ici, pas à avoir un honorable « combat du siècle » ou autre. Mitsuha se précipita pour prendre deux flèches d’arbalète de son carquois avant de les enfoncer dans les blessures du sanglier.

« Que s’est-il passé !? »

Les mercenaires s’étaient précipités sur la scène et tombèrent sur Mitsuha à côté d’un sanglier avec deux flèches qui en dépassaient.

« Oh, il m’a attaqué de nulle part. J’ai paniqué et j’ai tiré, et ça a marché… », dit-elle.

Quatre paires d’yeux lui lancèrent un regard suspect.

Ah, c’est parce que l’arbalète n’était pas aussi puissante quand je l’ai utilisée devant eux.

Ils avaient pris le sanglier et l’avaient ramené au campement, pour ensuite repartir à la chasse. Gritt était resté pour éviscérer le gibier et le protéger des autres animaux. Les autres étaient sortis, Mitsuha incluse. Ilse était un choix évident, étant l’archère du groupe, mais il semblerait qu’ils reconnaissaient maintenant Mitsuha comme un atout précieux.

Ilse avait abattu un lapin et un oiseau, tandis que Mitsuha n’avait abattu qu’un seul lapin. Elle aurait pu en avoir deux, mais le deuxième s’était enfuie après qu’elle ait raté se cible. C’était vraiment dommage. Les lapins et les oiseaux se vendaient tous les deux à un prix décent, de sorte qu’ils allaient être mis sur le marché. C’était assez pour la journée, alors le groupe était retourné au camp pour la nuit.

Quand ils étaient arrivés, Gritt faisait bouillir des intestins. Ahh, ouais. Ceux-ci pourrissent assez rapidement, il est donc logique qu’ils les mangent au lieu de les rapporter. Je parie que c’est délicat. J’en mangerai aussi, bien sûr. J’aime les intestins, et ils sont très nutritifs.

Tout le monde était de bonne humeur. Bien qu’ils n’aient pas attrapé un renard ou quoi que ce soit d’autre ayant une peau chère, les deux lapins, les oiseaux et, bien sûr, le sanglier avaient largement compensé cela. Leur voyage avait été un succès, cela ne faisait aucun doute. Il y avait aussi la montagne d’herbes qu’ils avaient cueillies la veille, et ils allaient chasser à nouveau demain. Tout cela combiné avec la récompense de Mitsuha rapporterait beaucoup d’argent. Probablement pas assez pour obtenir de nouvelles armes, mais assez pour se détendre pendant un moment.

Même si c’était les intestins, tout le monde était excité, car c’était leur première viande depuis longtemps, et leur rire avait retenti jusqu’à ce qu’il fasse nuit.

Le lendemain matin…

« Hein ? De la nourriture ? Qu’est-ce que vous racontez ? Vous allez chasser, puis vous prenez un brunch, et puis on retourne tous en ville, non ? Pourquoi perdez-vous votre temps ici ? »

Attristés par la réponse froide de Mitsuha, les quatre mercenaires s’enfuirent.

Hein ? Moi ? Je m’occupe du camp. La chasse est super ennuyeuse. Je veux dire, j’ai besoin de conserver de l’énergie pour le voyage de retour. Mais je vais leur préparer quelque chose à manger.

Comme la visibilité était faible, Mitsuha avait profité de l’occasion pour bien organiser son inventaire. Elle était retournée dans sa maison avec les articles qu’elle n’utiliserait plus, comme le réchaud de camping. Elle les avait laissés là, et avait pris à la place quelques épices, comme du sel, du poivre, et d’autres herbes.

Je crois que je vais faire bouillir les restes d’intestins, avait-elle décidé. Si elle rapportait le réchaud, elle n’aurait plus l’occasion de le laisser à la maison, puisque tout le monde serait de retour avant que j’aie terminé. Elle avait donc décidé d’utiliser le poêle en pierre de Gritt.

Le quatuor était revenu bien plus tôt qu’elle ne s’y attendait. Elle avait été doublement surprise de voir le cerf qu’ils avaient apporté. Pas possible, on a du gibier maintenant ! L’Américain moyen, adorant manger du bœuf à chaque repas, se précipiterait sur cette viande légendaire !

Cet animal vaut cher. Tout le monde a l’air heureux comme un agneau ! Ugh, ouais, je sais que c’est qu’un « clam ». Mais vraiment, en quoi cela a-t-il un sens ? Imaginez un troupeau d’agneaux sautant dans un pâturage, broutant sans le moindre soin dans le monde. Ça colle mieux, n’est-ce pas ?

Whoa, j’ai pris une tangente là. Revenons à la question qui nous occupe… Quel gaspillage de bons intestins ! J’ai déjà fait du ragoût avec les tripes d’hier soir ! Il va falloir jeter ceux du cerf, même s’ils sont évidemment meilleurs… D’un autre côté, même si nous commencions à les cuire maintenant, nous serions rentrés tellement tard que nous aurions de toute façon dû jeter ses intestins.

Tout le monde avait commencé à découper le cerf. C’était trop lourd à rapporter en un seul morceau, de sorte qu’ils ne gardaient que les pièces qui valaient la peine d’être vendues. Ils jetèrent les entrailles, lui coupèrent la tête et mirent de côté les bois. Les pattes seraient utiles pour le transport, alors ils les attachaient ensemble à l’aide de lierre, puis les attachaient à une branche pour que deux personnes puissent le soulever et le transporter. C’était le travail de Sven et Szep. Gritt et Ilse portaient le sanglier, bien sûr. Quant aux oiseaux et aux lapins… Mitsuha était reconnaissante de s’être débarrassée de certaines de ses affaires quand elle en avait eu l’occasion.

« C’est tellement bon ! »

Bien sûr que cela l’est ! Il y a des tonnes d’épices là-dedans ! Ils ont du punch, n’est-ce pas !? Mangez !

Sur le chemin du retour, Mitsuha s’était rendu compte à quel point leur butin était lourd. Les autres avaient encore plus de difficultés, mais imaginer leur chargement comme un sac plein de pièces de monnaie était tout ce dont ils avaient besoin pour continuer à faire le transport. Quand ils étaient revenus en ville, il faisait déjà nuit. Ils avaient dû faire de nombreuses pauses en chemin.

Le lendemain, Mitsuha les avait rencontrés devant la guilde des mercenaires. Quand elle était arrivée, ils avaient déjà vendu leur butin à la guilde. Mitsuha avait signé le document en disant qu’ils avaient répondu à sa demande et leur avait donné une note « A », ce dont ils étaient très satisfaits. La guilde avait donné à Sven la seule pièce d’or qu’on lui avait promise, et il l’avait cachée avec grand soin.

Cette pièce d’or leur permettrait de payer quinze jours de nourriture et de loyer de leur chambre spacieuse, mais bon marché.

Mais ce qui était encore plus important, c’était la fête qu’ils allaient organiser. Ils avaient décidé de célébrer leur voyage réussi dans la nature. Entre les gains dus à la chasse et aux herbes, les mercenaires pouvaient se permettre de s’amuser. De plus, ils avaient probablement pensé que se rapprocher de Mitsuha serait bénéfique, donc ce n’était clairement pas un gaspillage d’argent.

Mitsuha était trop épuisée pour dîner la veille au soir. Les mercenaires devaient avoir connu la même situation, et tout comme elle, ils n’avaient probablement rien mangé ce matin pour laisser de la place à la nourriture de la fête. Tous les cinq étaient affamés comme des ours, donc ne perdant plus de temps, ils s’étaient dirigés vers leur endroit préféré.

Il n’est que midi, mais il doit bien être cinq heures quelque part, non ?

« À notre succès ! », Mitsuha avait levé sa bière.

« SANTÉ ! », ils avaient tous les quatre crié en réponse.

Après le toast, ils avaient commandé de plus en plus de nourriture tout en bavardant tranquillement. Ils avaient parlé de la chasse, de la nourriture… ce genre de choses. Aucun des mercenaires n’avait mentionné l’arbalète. Selon toute vraisemblance, ils avaient supposé que Mitsuha ne voulait pas en parler. Un employeur avait le droit de s’occuper de ses propres affaires privées, alors ils n’avaient pas insisté davantage.

Parmi les mercenaires, il y avait des voyous qui ne se souciaient de rien tant qu’ils étaient payés, mais le groupe de Sven était de l’autre côté du spectre. Ils prenaient à cœur les règles du mercenariat, parce que s’ils ne le faisaient pas, ils ne pouvaient pas se plaindre quand quelqu’un d’autre les enfreignait.

« Quoi qu’il en soit, les… ramen ? Et euhh, CalorieMates ? Ils sont plutôt bons », dit Gritt.

« Oui, ils le sont vraiment », acquiesça Mitsuha.

« Votre petit poêle était très utile aussi, mais il avait l’air d’être pénible à transporter. Je pense que c’est mieux d’utiliser des poêles en pierre de fortune. Ce truc est cher aussi, n’est-ce pas ? Ça consomme du carburant, et si ça casse, vous ne pouvez plus rien en faire. »

« Oh, ouais. »

***

Partie 6

Mitsuha avait beaucoup appris de ce voyage et s’était bien amusée. Si seulement faire des affaires n’était pas si dur !

« Hé, ne pensez-vous pas que ce serait génial si vous pouviez porter plus d’affaires ? »

« Bien sûr. Nous pourrions emporter plus de butin avec nous, pour gagner plus d’argent. Mais on ne peut pas acheter une voiture ou quoi que ce soit comme ça. Les coûts de maintenance sont trop élevés. Juste une voiture et quelques chevaux nous coûteraient un bras et une jambe. »

À ce moment-là, Mitsuha s’était souvenue d’un certain résultat de recherche. Il était écrit « Remorque de vélo pliable en aluminium, pneus n’éclatant pas : 37 900 yens » (310 euros). S’ils amènent l’un d’eux en voyage… Les possibilités sont infinies !

« Hé, est-ce que ce bâton d’éclairage coûte cher ? » demanda Gritt.

« Oh, pas vraiment. Surtout les plus petits. Ils peuvent être utilisés des centaines de fois, et ils ne coûtent même pas une pièce d’argent. »

« HUHHH !? », Gritt et Ilse étaient stupéfaites.

Oui, je les ai achetés au magasin discount. Chacun devrait valoir probablement une petite pièce d’argent chacun. Avec les marges de profit folles de mon magasin, ce sera donc une pièce d’argent. Et pourquoi les filles sont-elles les seules surprises ? se demanda Mitsuha. Oh, j’ai compris, elles sont les seules à s’occuper du feu et de la nourriture, hein ? Je vois comment cela marche.

Le bavardage n’avait pas cessé, mais Mitusha s’en fichait. Elle avait trouvé les sujets de conversation à la fois amusants et utiles. Soudain, elle s’était souvenue de quelque chose.

« Oh oui, regardez ça, » dit-elle en prenant un magazine de son sac et le plaçant sur la table.

« Vous vous souvenez quand vous m’avez dit que j’étais imprudente le premier soir ? Regardez ! D’où je viens, il est normal de porter ça quand je nage ! »

Les quatre avaient ouvert le magazine et avaient immédiatement jeté un coup d’œil au contenu. Des hommes et des femmes de tous âges en maillot de bain faisaient la fête dans les piscines et les plages. Une bombasse séduisante en bikini les regardait sur l’une des… pages spéciales.

À cette vue, le groupe gela sur place. Sauf Szep, dont les mains tremblantes feuilletaient les pages en mode pilote automatique.

« Pas possible… », dit Gritt.

« C’est juste… », Sven n’avait même pas pu former une phrase.

Ilse n’avait pas de mots.

Szep, cependant, était plutôt bavard.

« Hé, ce ne sont que des photos, n’est-ce pas ? Elles sont si détaillées, oui, mais ça ne peut pas être réel ! Un paradis comme celui-ci ne peut pas exister… »

Hier soir, Mitsuha était revenue sur Terre. Cela avait été une lutte, vu sa fatigue, mais elle s’était traînée dans une librairie d’occasion et avait acheté un magazine, plein de photos sexy. Mitsuha s’était assurée qu’il était à la fois bon marché et percutant. Après tout, l’honneur de sa nation était en jeu.

Même si je m’étais changée avant d’y aller, je puais encore. Pas étonnant que j’aie eu tous ces regards bizarres. Il y avait ce vieux type avec un regard méchant dans les yeux… Il me poignardait du regard, comme si l’odeur du sang l’avait fait flasher ou quelque chose comme ça. C’était quoi son problème !? J’aurais vraiment dû prendre un bain…

Après la fête, Mitsuha et les mercenaires s’étaient dit au revoir tout en espérant travailler à nouveau ensemble. L’une d’elles avait essayé d’en savoir plus sur son arbalète, mais les autres l’avaient empêché. Ce chapitre terminé, elle était retournée à son magasin.

Bon sang, je ferme trop souvent. Je devrai vraiment ouvrir demain, pensa-t-elle.

Avant qu’ils ne se séparent, Szep s’était renseigné sur le magazine. Celui-ci ayant rempli sa fonction, Mitsuha le lui avait donné.

Quelques jours plus tard, Mitsuha était retournée à l’endroit où ils avaient eu leur petite fête. Elle avait vraiment apprécié leur nourriture. Même moi, j’aime bien manger dehors de temps en temps. Cuisiner pour moi-même trop souvent draine toujours mes réserves de légumes, alors les conserver est aussi une bonne chose.

Les quatre mercenaires s’y trouvaient aussi. Mais en la voyant, ils avaient sursauté comme s’ils avaient vu un fantôme. C’est quoi cette attitude !?

« Hé, ça fait un bail. Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Ah, rien, juste, euh… »

C’était à ce moment-là qu’elle avait remarqué qu’ils avaient un équipement différent.

« Hein ? Vous avez de nouvelles armes ? Félicitations ! »

« NOUS SOMMES DÉSOLÉS ! »

Tous les quatre s’étaient inclinés et s’étaient excusés à l’unisson.

Uhhh… Quoi ? Ils ont vendu le magazine au quatrième fils d’un noble pour sept pièces d’or ? C’était plutôt bien joué de leur part. Je le leur avais donné parce que je n’en avais pas besoin. Je me fichais de savoir s’ils l’avaient jeté ou vendu.

Revendre quelque chose dont je ne connaissais pas la valeur les faisait probablement se sentir coupables, comme s’ils m’avaient escroqué ou quelque chose du genre, mais en fait, ça ne me dérange pas du tout. Mais pour atteindre ces sept pièces d’or, il faudrait que je vende 140 shampooings génériques. Je les vendais pour huit pièces d’argent chacun, mais seulement cinq d’entre eux étaient rentables. Et ces quatre-là ont obtenu cette même somme en une seule revente, hein ?

Non, vraiment, c’est bon. Je n’en pense pas grand-chose. Honnêtement. J’ai l’impression d’avoir un vaisseau sanguin qui éclate et que mon sourire est un peu raide, mais c’est probablement juste mon imagination. Ils ont l’air un peu pâles… comme s’ils frissonnaient, hein ? Non, ça doit être mon imagination.

« Très bien ! C’est vous qui m’invitez à déjeuner », avait-elle déclaré.

« Oui, madame ! »

Mitsuha continua à jouir d’une longue période de paix. Le pays dans lequel elle se trouvait était devenu son deuxième foyer. Elle était assez en sécurité dans ce monde, et les gens étaient gentils. Le monde avait sa part de mauvaises graines, mais il en était de même sur la Terre.

Ne t’en fais pas pour les détails qui vont te faire devenir chauve, je te l’ai toujours dit !

Elle voulait s’acclimater à son propre rythme, puis trouver un moyen de s’enrichir. Pour l’instant, elle menait une vie confortable et avait tout le temps du monde.

Je vais y aller doucement et apporter du bonheur à tout le monde !

… Ah, il fut un temps où elle y croyait, n’est-ce pas ? Ce n’était pas comme si tu pouvais lui en vouloir. Elle n’avait connu après tout qu’une seule nation relativement prospère. Il n’était pas possible qu’elle ait pu remarquer les activités louches de ses voisins ou qu’elle ait vu l’inscription sur le mur qui disait qu’une guerre était imminente.

Mitsuha passa ses journées à ignorer l’intrigue politique, ne sentant jamais le danger qui approchait…

***

Bonus : De l’argent facile

Mitsuha était perdue dans ses pensées.

Peut-être devrais-je vraiment trouver un moyen de gagner de l’argent rapidement et facilement. Le faire une fois ou deux ne me ferait pas mal, non ?

Bien que ses produits (hors de prix) vendus en tant que propriétaire de magasin et les informations (et les ingrédients hors de prix) qu’elle fournissait en tant que consultante lui rapportaient des revenus réguliers, Mitsuha n’était pas vraiment satisfaite de la vitesse à laquelle son patrimoine augmentait. C’était pour cette raison qu’elle avait commencé à réfléchir à des projets pour devenir riche rapidement.

Faire de la cuisine, c’est un grand non. Je serais tellement occupée que je n’aurais pas le temps de faire autre chose. Travailler du matin au soir serait trop fatiguant à mon goût. De plus, je ne peux rien faire qui puisse gâcher la progression naturelle de ce monde, vendre quoi que ce soit qui pourrait être utilisé pour la guerre ou le crime, ou quoi que ce soit qui jetterait la politique ou l’économie de ce monde dans le chaos.

Ces limitations ne lui avaient pas laissé beaucoup d’options.

Cependant, il doit y avoir quelque chose. Attends, je sais ! Les quatre mercenaires avaient obtenu sept pièces d’or pour le magazine que je leur avais donné ! Cela signifie que je peux faire vendre des magazines pornos — je veux dire, des magazines à romance !

Cela ne poserait aucun problème scientifique, de distribution ou économique avec ceux-ci, donc cela ne gâcherait pas le monde. L’acheteur et le vendeur seraient satisfaits et personne n’aurait de problème avec cela. Cela semblait être l’idée parfaite.

Elle avait décidé d’enquêter sur ses clients potentiels et de déterminer le type de prix à fixer. Il allait sans dire que le meilleur client potentiel était Szep, celui qui avait déjà obtenu un score élevé en vendant un magazine à un noble.

« Alors, je pense vendre ces produits », avait déclaré Mitsuha en présentant l’un des magazines. Elle était dans le restaurant fréquenté par Sven. Une fois sur place, elle aurait rapidement localisé les mercenaires.

En voyant le magazine porno — oups, magazine à romance, tous les quatre gelèrent sur place. Contrairement à celui qu’elle leur avait montré la dernière fois, ce magazine était ouvertement érotique. Bien que ce ne soit pas assez pour être lassé « 18 ans et plus ».

« Sauriez-vous me diriger vers quelqu’un qui l’achèterait ? »

Avant qu’elle puisse finir sa phrase, Szep — qui se tenait derrière elle — lui mit la main sur la bouche.

« Guh, mmgh! Grrrmgh… ! »

Un instant plus tard, elle cria :

« Pourquoi diable fais-tu cela !? »

Sven s’excusait abondamment, tandis que Szep affichait un visage découragé. Il y avait une marque à cinq doigts sur sa joue gauche.

« Je, je l’ai fait pour ta sécurité, tu sais ? », Szep me fit la même excuse, comme toujours, mais Mitsuha en avait assez.

Je sais qu’il ne ment pas, il l’a vraiment fait pour moi. Mais il y a des limites ! Tu ne dois pas simplement attraper une fille par-derrière et lui couvrir la bouche ! Hmph !

Selon Szep, le premier magazine était devenu un sujet d’actualité chez les nobles et avait atteint le palais royal. Certains voulaient en connaître l’origine, d’autres exigeaient plus de copies, d’autres se proposaient toujours d’acheter celui qu’elle avait apporté. Finalement, les choses avaient dégénéré au point que même l’église avait été impliquée. Ils pouvaient maintenant le déclarer hérétique, le prendre et l’utiliser eux-mêmes, ou en réclamer les droits. Quoi qu’il en soit, s’engager dans ce domaine n’était pas une décision intelligente à ce stade.

Par respect pour Szep et son désir de monopole, le gars à qui il avait vendu le magazine n’avait rien dit, mais il était possible qu’il parle un jour à quelqu’un au sujet de Szep. Si cela se produisait, Szep avait l’intention de dire qu’il l’aurait acheté auprès d’un marchand itinérant et qu’il ne savait pas d’où venait cet homme ni où il était parti. Si Mitsuha mettait quelque chose de similaire sur le marché, le mensonge protecteur de Szep serait inutile. Ainsi, il avait fait de son mieux pour la faire taire, même si cela impliquait d’utiliser la force.

Purée, ça craint, pensa Mitsuha. J’avais l’intention de vendre les magazines par l’intermédiaire de Szep. De cette façon, mon magasin ne sera officiellement pas impliqué. Ça ne me dérange pas de vendre des magazines de romance en secret, mais je ne veux pas que mon magasin soit connu pour ce genre de choses. Mon établissement est sain ! Je vends des articles pour enfants, pas pour adultes !

Quoi qu’il en soit, il semblait que Mitsuha n’avait pas d’autre choix que d’abandonner cette entreprise. C’était pourtant une si bonne idée. C’est vraiment dommage. Il vaut mieux que je laisse tomber et que je passe à autre chose !

Hmm… Les gens dans ce monde ne peuvent pas lire des livres de mon monde, et je ne peux rien vendre avec des images ou des photos montrant des technologies qu’ils n’ont pas encore acquises…

Je suppose que je pourrais copier et vendre des tableaux célèbres de la Terre, mais même si c’est un autre monde, je me sentirais mal pour les artistes originaux. Les copies mécaniques de l’art véritable ne sont rien d’autre qu’un sacrilège. Il n’y a rien de tel que de faire des travaux dérivés, comme des traductions, des adaptations, etc.

Je pourrais peut-être essayer ? Non. Je n’ai ni le temps ni le talent pour ça. Je ne sais pas dessiner, sculpter, sculpter, ou-HEY, C’EST CELA !

Quelques jours plus tard, Mitsuha s’était retrouvée dans une carrière pendant la nuit. Elle s’était concentrée sur l’extraction de la pierre qui se prêtait à la sculpture. Si vous vous demandez pourquoi elle était seule dans un endroit si dangereux, à une heure si tardive, non sans outils à la main, ne vous inquiétez pas… Vous le saurez bien assez tôt.

« Hrmmm… une Vénus de Milo avec des bras, une Vénus de Milo avec des bras… Allez ! »

Mitsuha répéta ce mantra étrange, toucha la paroi rocheuse et retourna chez elle au Japon, en emportant avec elle un morceau. Elle était immédiatement arrivée dans son garage. Pleine d’impatience, elle se tourna vers le rocher qu’elle avait apporté, s’attendant à voir une Vénus de Milo complète, mais…

« C’EST QUOI CE BORDEL !? »

Ce qu’elle avait vu était une créature vaguement féminine avec des bras ayant des angles si troublants qu’il valait mieux ne pas les décrire ici. Disons que si vous voyez ce truc la nuit, vous vous mettriez immédiatement à courir.

« Nike avec une tête, Nike avec une tête… Viens ! »

… Pourquoi est-elle devenue une harpie ? Ce doit être parce que j’essaie d’imaginer quelque chose qui n’était pas là et que j’imposais ce résultat. Cela signifie que je dois opter pour quelque chose qui est déjà terminé ! Ne suis-je pas une fille intelligente ?

« Le Penseur, le Penseur… Allez ! »

Il était assis sur une toilette avec une expression d’extase pure. Ce n’était pas un « penseur ». En fait, il n’avait pas l’air de penser à quoi que ce soit.

« David ! Allez ! »

« La petite sirène ! Viens ! »

« La Statue de la Liberté ! »

Mitsuha avait complètement oublié à quel point elle était mauvaise dans le dessin et, aussi, dans toute autre forme d’art.

Bizarre, alors que je suis plutôt bonne pour la sculpture… Quoi qu’il en soit, je vais devoir trouver autre chose. Mais je ne peux pas garder ces statues bizarres à la maison. Si quelqu’un les voit, il va penser que je suis membre d’une assemblée révérant un dieu maléfique.

Sur ce, Mitsuha les avait ramenés au magasin général.

« Excusez-moi, combien pour celui-ci ? »

Ouais ! Un client ! Qu’est-ce qu’il achète, hein… ?

« Cette sculpture de monstre maléfique est si bien faite. La laideur, l’étrangeté… C’est magnifique ! »

Mitsuha l’avait vendue assez cher, mais ne s’était pas sentie heureuse du tout.

Peu importe, je trouverai autre chose ! Passons à autre chose !

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Illustrations

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