Nozomanu Fushi no Boukensha – Tome 9

***

Chapitre 1 : Évaluer les capacités

Partie 1

Au domaine des Latuules, il y avait un espace appelé « la cour » qui était pris en sandwich entre le manoir lui-même et le labyrinthe de haies. Il y avait également une cour située de l’autre côté du manoir, mais un jardin et des parcelles d’herbes médicinales occupaient tout l’espace, ce qui le rendait inadapté à nos besoins.

Alors que nous nous tenions devant le labyrinthe de haies, Isaac avait expliqué. « Même si vous faites un peu de dégâts, il est assez facile de les réparer en utilisant le pouvoir du labyrinthe. Alors s’il vous plaît, n’hésitez pas à libérer vos pouvoirs comme bon vous semble. »

Je savais qu’il était un peu tard pour me poser cette question, mais je n’avais pas pu m’empêcher de demander. « J’ai entendu dire qu’un objet magique avait créé le labyrinthe de haies. Est-ce vrai ? »

« Ah, oui, c’est vrai. On m’a dit que c’était une ancienne relique conçue pour recréer artificiellement les conditions d’un vrai donjon. Cependant, il ne peut pas créer de monstres ou étendre son territoire comme le ferait un vrai donjon. »

J’étais soulagé d’entendre ça. C’était un peu effrayant de penser que c’était aussi un donjon avec un noyau de donjon.

Laura était un maître de donjon, et comme elle voulait protéger la ville de Maalt, ce n’était peut-être pas un gros problème. Mais, un jour, elle pourrait décider de se retirer de ce rôle. Laura avait vécu pendant longtemps, donc ce n’était pas quelque chose dont je devais m’inquiéter. Pourtant, mon esprit ne pouvait s’empêcher de penser au pire des scénarios. Bien sûr, même si cela se produisait, il n’y avait pas grand-chose que je puisse faire. Je pourrais prendre sa place en tant que maître du donjon. Cela ne semblait pas si mal, mais Laura avait mentionné quelque chose à propos de nombreuses contraintes liées à ce rôle. Ce n’était probablement pas une bonne idée.

« Donc, » avais-je commencé, « Ce n’est pas grave si je casse quelque chose, n’est-ce pas ? C’est bon à savoir. »

Isaac avait hoché la tête. « Oui. Alors, on commence ? D’abord, nous devrions tester vos capacités physiques et autres. »

◆◇◆◇◆

J’avais commencé par tester la force de mes bras. J’avais ramassé une pierre sur le sol et l’avais serrée dans ma main. La roche avait immédiatement craqué et éclaté avant de s’effriter en poussière dans ma prise.

« Je sais que tu as le corps d’un monstre, mais c’est quand même remarquable, » dit Lorraine en regardant de près. « Tu n’utilises aucun sort d’amélioration physique, n’est-ce pas ? »

« Non. On dirait que mon bras est un peu plus fort qu’avant. C’est un peu un problème. J’ai même écrasé une poignée de porte tout à l’heure. »

« Rentt, tu n’as pas intérêt à casser les poignées de porte chez moi, » déclara Lorraine d’un air sévère.

Ce n’est pas comme si j’avais voulu la casser. Évidemment, je n’avais pas l’intention d’écraser les poignées de porte de la maison de Lorraine, mais j’aurais eu des ennuis si je n’avais pas trouvé le moyen de me retenir.

Cela m’avait rappelé que je n’étais pas le seul à m’adapter à un nouveau corps. Quelqu’un d’autre ici s’acclimatait à sa nouvelle existence.

« Et toi, Rina ? Comment va ta force et tout ? » avais-je demandé.

« Ah, je ne l’ai pas encore testé. »

J’avais pris une autre pierre, je l’avais mise dans sa main et je lui avais dit de la serrer.

« Hrrrm ! » Elle avait vraiment fait beaucoup d’efforts, et finalement la pierre s’était brisée. « Wôw ! » dit-elle, l’air surpris. Elle n’avait probablement pas été capable de faire ça quand elle était humaine.

Il y avait plein de gens ridicules dans le monde, et ce n’était pas que personne d’autre ne pouvait casser une pierre à mains nues. J’étais presque sûr que des aventuriers de classe Mithril pouvaient réaliser cet exploit. Peut-être même que certains aventuriers de classe Or et Argent qui s’étaient fait un nom pourraient aussi le faire. Mais avant de devenir un vampire, Rina avait juste commencé comme aventurière. Elle n’aurait jamais été capable de briser un rocher.

« On dirait que tes capacités physiques ont également augmenté, » avais-je déclaré.

Isaac acquiesça. « Je crois que Miss Rina est comparable à un petit vampire. Les goules sont souvent plus fortes que ça, mais elle est quand même beaucoup plus forte qu’une personne ordinaire. Comment vous sentez-vous par rapport à votre mana ? »

Isaac avait adressé cette question à nous deux, alors Rina et moi avons décidé de tester un peu de magie. Rina, cependant, ne connaissait pas beaucoup la magie, alors j’avais décidé d’y aller en premier.

« Voyons voir. Feu, utilise mon mana comme carburant et manifeste-toi devant moi. Allumage ! »

C’était un sort de base que j’avais déjà utilisé auparavant. Mais comme il s’était comporté bizarrement la dernière fois que je l’avais lancé, tout le monde avait reculé pour me laisser de l’espace. Il s’est avéré qu’ils avaient raison d’être prudents.

 

 

« C’est plus proche de l’incendie criminel que de l’allumage, » avais-je marmonné en regardant la colonne de flammes brûler devant moi.

J’avais un peu peur que le labyrinthe de haies prenne feu, mais il n’avait fait que se consumer lorsque les flammes l’avaient approché. Était-ce parce que les plantes étaient vivantes et humides, ou était-ce autre chose ? Vu l’ampleur des flammes, j’étais presque sûr que même un arbre vivant brûlerait. Peut-être que le labyrinthe de haies avait des propriétés spéciales qui l’empêchaient de brûler.

Une fois que les flammes s’étaient calmées, les trois individus s’approchèrent. Les yeux écarquillés, Rina déclara. « Je ne peux pas utiliser un sort aussi puissant ! Tu le sais, non ? »

« Tu sembles avoir un malentendu, » expliqua Lorraine. « C’était un Allumage, un sort de base de la magie commune. Tant qu’ils ont assez de mana pour activer la magie, tout le monde devrait être capable de l’utiliser. Il n’y a aucune raison que tu ne puisses pas le lancer, Rina. »

Rina et Lorraine avaient apparemment eu tout le temps de faire connaissance pendant que je dormais. Elles semblaient plutôt à l’aise l’une avec l’autre. De toute évidence, Lorraine avait l’impression d’avoir gagné une petite sœur et un rat de laboratoire, tandis que Rina avait l’impression d’avoir gagné une grande sœur et un délicieux snack. Ça avait l’air plutôt effrayant, mais si ça ne les dérangeait pas, ça devait être bon.

Pendant que je réfléchissais, Rina avait regardé Lorraine en état de choc. « Attends, c’était de la magie de base ? Je veux dire, c’est l’incantation qu’il a utilisée, mais les sorts de base sont-ils censés être si puissants qu’ils peuvent brûler une maison entière comme celui-là ? »

« Les sorts de magie de base ont des effets très limités, mais ils ne nécessitent pas beaucoup de mana. Ils ne sont utiles que pour des choses comme les corvées banales de la maison. Eh bien, le terme est une expression imprécise dans le langage courant. Il existe un nom académique plus technique pour les désigner, mais comme seuls les érudits l’utilisent, mettons-le de côté pour le moment. En tout cas, selon cette définition, le sort de Rentt était de la magie de base, mais pas vraiment de la magie de base. »

« C’est ce que je pensais, » avais-je murmuré.

Le snack et le rat de laboratoire m’avaient regardé comme si j’avais deux têtes. Elles étaient un peu méchantes, à mon avis.

Je plaisantais seulement à propos de l’histoire du snack et du rat de laboratoire. Bien que, je me suis dit que Rina se nourrirait de Lorraine à un moment donné, et que Lorraine ferait des expériences sur Rina. De toute façon, nous devions continuer notre évaluation.

◆◇◆◇◆

Je pouvais dire que mon mana avait un peu augmenté. Pourtant, il y avait beaucoup de gens qui avaient beaucoup plus de mana que moi. Mais comparé à mon vivant, j’étais maintenant aussi fort que 150 Rentts. Eh bien, c’était juste une supposition.

En termes de classe, j’étais probablement au niveau d’un aventurier moyen de classe Or. Cependant, je n’étais toujours pas très doué en magie, et j’étais pratiquement sûr de perdre contre un mage de classe Bronze dans un vrai combat. Cela me convenait tant que je tenais compte de mes capacités générales.

« Rina, tu n’as pas besoin de te comparer à Rentt, » dit Lorraine. « Il est bizarre à bien des égards. Tu ne peux pas l’inclure dans l’échantillon, parce qu’en tant qu’aberration, il fausse la moyenne. »

Je suppose que je ne convenais pas à la comparaison, mais elle aurait pu faire preuve d’un peu plus de tact. Mais bon, ce n’était pas non plus nouveau.

Je savais que j’avais toujours été un peu bizarre, même avant de devenir mort-vivant. Par exemple, je n’étais pas très fort, mais je possédais l’esprit, le mana et la divinité. Et j’avais fait une fixation sur l’aventure en solo malgré mes faiblesses.

Normalement, la plupart des aventuriers du niveau où je me trouvais avant de mourir auraient abandonné et auraient cherché un nouveau travail. Ou bien ils se seraient regroupés avec d’autres aventuriers, travaillant à des postes appropriés à leur niveau jusqu’à ce qu’ils aient économisé suffisamment pour devenir aubergiste ou marchand. C’était la vie d’un aventurier moyen.

Toutes les personnes avec lesquelles j’étais ami et qui ne s’étaient jamais vraiment épanouies en tant qu’aventuriers avaient fini par suivre cette voie. Parfois, je me demandais comment ils allaient. Peu étaient restés à Maalt. Les aventuriers n’étaient que des vagabonds ayant besoin d’errer, peu d’entre eux s’enracinaient dans leur ville natale.

Cependant, je m’éloignais du sujet.

« Pourtant, je suis aussi un vampire mineur, ou quelque chose comme ça, alors ne suis-je pas aussi une aberration comme Rentt ? » demanda Rina à Lorraine.

Rina semblait étonnamment calme à propos de tout ça. Ou peut-être que ce n’était pas si surprenant. Même lorsqu’elle m’avait rencontré pour la première fois, elle avait été surprise et un peu timide au début, mais une fois qu’elle avait accepté qui et ce que j’étais, elle n’avait pas hésité à m’aider. Lorsque j’avais dit que je ne pouvais pas rentrer chez moi à cause de mon apparence, Rina avait insisté sur le fait que c’était possible. Quand il s’agissait d’optimisme, elle était toujours bien plus optimiste et tournée vers l’avenir que moi.

Lorraine avait réfléchi un moment et avait hoché la tête. « C’est certainement possible, étant donné que Rentt t’a donné un peu de son sang. C’est quelque chose que nous pouvons confirmer par des tests. Ce qui me fait penser… C’est un peu tard pour le demander, mais n’es-tu pas choquée ou surprise d’être devenue une vampire, Rina ? Tu sembles terriblement nonchalante à propos de tout ça. Tu n’as pas paniqué quand Isaac t’a décrite comme un petit vampire. Sur le moment, tu n’avais pas eu le temps de t’en rendre compte. Mais ce n’est certainement plus le cas aujourd’hui, n’est-ce pas ? »

« Oh. Tu sais, quand tu le dis comme ça, tu as raison, » répondit Rina. « Je suppose que normalement, je serais un peu plus confuse. Mais je connaissais déjà Rentt. Les bonnes personnes restent bonnes même si elles deviennent des monstres. Et puis, on dirait que mes émotions sont un peu plus maîtrisées maintenant. »

« Ah, donc tu avais déjà encaissé ce choc parce que tu as rencontré Rentt en tant que goule. Je crois que Rentt a mentionné quelque chose à propos de ses émotions devenant moins prononcées quand il est devenu mort-vivant. Est-ce un phénomène courant, Isaac ? »

« Oui, » confirma Isaac. « Étant donné que je suis né vampire, je n’en ai pas fait l’expérience moi-même. Cependant, cela semble se produire lorsqu’un humain devient un vampire. Cependant, ce n’est pas comme s’il perdait toutes ses émotions, ou quoi que ce soit de ce genre. Un homme que je connaissais et qui était devenu un vampire me l’a décrit. Vous devenez plus calme, et vous pensez plus rationnellement. »

***

Partie 2

« Je pensais que Rentt et Rina étaient des exemples rares, » avait remarqué Lorraine. « Y a-t-il encore des humains qui deviennent des vampires ? »

« Comme l’a noté ma maîtresse, il arrive qu’un vampire crée un partenaire en transformant un humain. Cependant, ce n’est pas un cas courant à ma connaissance. Les vampires modernes choisissent généralement leurs partenaires parmi d’autres vampires. Il y en a qui s’accouplent avec des humains sur un coup de tête, mais même dans ces cas-là, il est rare qu’ils les transforment. »

Cela signifiait que les vampires pouvaient avoir des enfants avec d’autres vampires. Je ne savais rien des vampires qui créaient un partenaire, mais de temps en temps, j’entendais des rumeurs sur ce genre de « jeu ». La plupart du temps, les rumeurs sur les enfants mi-vampires, mi-humains — les dampirs — étaient des mensonges purs et simples ou un malentendu.

Dans les villages ruraux, il arrivait que des personnes soient étiquetées par erreur comme étant des dampirs et soient ostracisées pour cela. Cependant, il s’avérait presque toujours qu’ils n’étaient pas vraiment des dampirs, mais des personnes qui avaient un œil magique spécial qu’ils ne pouvaient pas contrôler, ou des personnes qui avaient trop de mana et manifestaient inconsciemment de la magie autour d’eux. Les vrais dampirs étaient probablement aussi rares que les aventuriers de classe Mithril. Je n’en avais jamais vu un. Mais il y avait d’innombrables monstres que je n’avais jamais vus en personne.

Ces faux rapports sur des dampirs avaient tendance à attirer beaucoup d’attention, alors je faisais souvent l’effort d’enquêter pour de l’argent de poche. J’avais généralement trouvé quelque chose d’utile comme quelqu’un avec un œil magique ou quelqu’un avec trop de mana. Je ne voulais pas faire quelque chose d’effrayant comme les utiliser comme sacrifices ou transplanter leur œil magique en moi. Je le faisais parce que c’était utile pour les mages à la recherche d’apprentis ou pour les ordres chevaleresques et les armées à la recherche de recrues prometteuses. En fin de compte, très peu d’entre eux avaient vraiment ces capacités uniques.

◆◇◆◇◆

« J’aimerais bien en savoir plus sur les vampires et leur écologie, » dit Lorraine, « Mais je suppose que cela peut attendre. En tout cas, on peut supposer que la nonchalance de Rina provient d’une combinaison des effets de la transformation en vampire et du fait qu’elle connaît déjà des gens qui se sont transformés en monstres. Je suis contente qu’elle ne soit pas du genre à tomber dans une panique aveugle. »

Rina avait incliné la tête. « Qu’aurais-tu fait si j’avais paniqué ? »

« Si tu avais écouté la raison, je t’aurais fait asseoir et je t’aurais parlé de tout ça jusqu’à ce que tu comprennes. Tu es soudainement devenue une vampire, un peu de panique ou de confusion serait naturel. Mais si tu avais l’intention de déclarer que tu es devenue une vampire… »

« Et si j’avais fait ça ? »

« J’aurais pu être obligé de t’éliminer. Tu aurais été une menace. Je n’aurais pas eu le choix. »

Lorraine avait dit cela avec désinvolture, comme si elle énonçait une évidence. Cela rendait ses mots d’autant plus déconcertants. Ce n’était pas qu’elle était sans cœur. Elle tempérait juste ses émotions avec de la rationalité. Si elle n’avait que deux choix, elle choisirait immédiatement le résultat le plus important et rejetterait l’alternative.

Dans ce cas, ça aurait été un choix entre Rina et moi. Ce n’est pas qu’elle voyait Rina comme une nuisance, mais si elle n’avait pas d’autre choix, elle l’aurait éliminée.

J’étais vraiment content que Rina soit une personne aussi positive. Quand j’y pense, la plupart des gens auraient réagi un peu plus négativement aux paroles de Lorraine. Mais la sensibilité de Rina était un peu différente de la normale. Peut-être était-ce dû au fait que ses émotions étaient un peu plus modérées maintenant qu’elle était une vampire.

D’un ton parfaitement égal, Rina déclara. « Je vois. Mais est-ce que c’est quelque chose que quelqu’un ferait vraiment ? Je veux dire, si tu te promènes en criant que tu vas devenir un vampire, tu vas finir en prison ou pire, non ? Je ne suis pas pressée de mourir. Bien que, je suppose que ce n’est pas clair si un vampire est réellement vivant ou mort. »

« C’est vrai, » reconnaît Lorraine. « Mais certaines personnes ne réfléchissent pas trop et vont immédiatement demander de l’aide à l’Église, pensant qu’elle peut faire quelque chose pour elles. Je ne pouvais pas écarter cette possibilité d’emblée. »

« Ah. C’est vrai. Je pourrais voir cela arriver. »

La plupart des gens penseraient probablement que l’église pourrait les guérir s’ils devenaient morts-vivants. C’est parce que toutes les organisations religieuses considéraient les morts-vivants comme des créatures impures ou souillées. Elles étaient remplies de prêtres et de saints qui pouvaient utiliser la divinité pour cette raison. Quelqu’un qui était devenu mort-vivant s’accrochait naturellement à l’espoir qu’un tel pouvoir pouvait le guérir.

Cependant, ce n’était pas du tout le cas. La purification utilisée par les prêtres et les saints effaçait les créatures souillées de ce monde, et ne les transformait pas en humains. Ils pouvaient aider quelqu’un qui était possédé par un spectre ou autre en exorcisant le monstre, mais si le corps de la personne était déjà complètement transformé en monstre… Pour autant que je sache, il n’était pas possible d’inverser le processus. C’était une perte de temps d’essayer. En fait, c’était un peu comme se porter volontaire pour être décapité.

« Je ne ferais certainement pas ça, » avait assuré Rina à Lorraine.

« On dirait bien. Dans ce cas, je pense que tu pourrais te débrouiller. Mais nous nous sommes un peu éloignés du sujet. Nous avons besoin de voir ta magie, Rina. Tu connais l’incantation maintenant ? »

« Oui… mais je n’ai pas beaucoup de confiance dans le fait que ce sera substantiel. »

« Ce n’est pas nécessaire. Je commence à penser que la démonstration de Rentt était un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Es-tu sûre que tu peux déclencher le sort ? »

« Ce ne sera pas un problème. Bien que j’aie utilisé le mana principalement pour améliorer mon corps et mon arme, je peux encore lancer des sorts de base. Tout ce qui est plus que ça risque de sortir un peu mal. »

« À quel point ? » demanda Lorraine.

« J’ai presque tout appris de mon frère aîné, qui est un chevalier. Donc, si je suis douée pour les améliorations liées à l’épée, je n’ai pas vraiment appris d’autres magies. »

Si je me souviens bien, le frère aîné de Rina était Idoles Rogue, un chevalier de la Première Brigade du Royaume de Yaaran. Il était probablement parti travailler dans la capitale royale. Je m’étais demandé comment lui et le reste de la famille de Rina allaient réagir. Évidemment, ce serait un gros problème s’ils apprenaient qu’elle était maintenant un vampire. J’avais décidé que je devrais vérifier avec elle plus tard.

« Hm, un chevalier. Je ne sais pas pour les chevaliers de Yaaran, mais la plupart des chevaliers impériaux peuvent utiliser des sorts de niveau moyen. Eh bien, si tu peux le lancer, ça ne devrait pas être un problème. Essaie-le. »

À l’insistance de Lorraine, Rina s’était avancée. Isaac et moi avions regardé de loin. Je ne pensais pas que ce qui s’était passé avec mon sort se produirait cette fois-ci, mais… Je ne pouvais pas dire que ce ne serait pas le cas.

Rina avait commencé à chanter l’incantation. « Feu, utilise mon mana comme ton carburant et manifeste-toi devant moi. Allumage ! » Un jet de flamme de la taille d’un pouce avait jailli de la paume de Rina.

« C’est normal, » avait fait remarquer Lorraine.

Isaac avait hoché la tête et avait ajouté. « Oui, très normal. »

Ce n’était pas une déception ou autre, mais mon sort bizarre avait rendu le sort de Rina décevant. Je me sentais un peu mal à propos de ça.

Après que le feu se soit éteint, Lorraine avait demandé. « Qu’est-ce que tu as ressenti lorsque tu as essayé d’utiliser la magie ? Y avait-il une différence avec avant ? »

« Ça n’a pas semblé aussi fatigant que d’habitude. Je n’ai pas non plus l’impression d’avoir utilisé de mana. »

« Hm, oui. Pour une novice, tu as beaucoup de mana. Bien sûr, je ne sais pas ce qui est moyen pour un vampire mineur, Isaac ? » Lorraine s’était tournée vers Isaac pour confirmation.

« Laissez-moi voir. Vous devriez avoir l’impression de pouvoir lancer des magies courantes sans épuiser votre mana. Comme les vampires régénèrent également le mana beaucoup plus rapidement, vous êtes probablement égal à un mage humain de niveau moyen. »

« Les vampires mineurs sont aussi puissants ? » dit Rina, un peu surprise. « Hm. Alors ceux qui sont au-dessus d’eux doivent être plutôt intimidants. »

Cela n’avait peut-être pas l’air beaucoup, mais les mages possédaient une puissance de feu incroyable. Avec ce niveau de mana et l’entraînement pour l’utiliser, c’était plus qu’assez pour bien gagner sa vie. Bien sûr, c’était peine perdue si vous ne pouviez pas utiliser la magie.

***

Partie 3

« Donc, nous avons testé votre force physique et votre mana. Quoi d’autre ? As-tu quelque chose à ajouter, Rentt ? » m’avait demandé Lorraine.

« Voyons voir. Je suppose que parce que j’ai donné mon sang à Rina, elle est l’un de mes familiers ? »

« Ce serait vrai pour un vampire standard, » dit Lorraine en jetant un coup d’œil à Isaac.

Bien que Lorraine en sache beaucoup sur les vampires, comme nous avions un vrai vampire ici, il serait plus facile de le lui demander.

Isaac acquiesça. « Oui, je crois que c’est le cas. Le familier d’un vampire peut rompre ce lien s’il devient plus fort que son maître, mais c’est une exception. Cependant, je ne pense pas que cela soit bien connu des humains, » dit-il en regardant Lorraine.

Lorraine inclina la tête. « C’est la première fois que j’en entends parler. Je suppose que c’est parce que les humains n’ont aucun moyen de le savoir. Est-ce un phénomène courant ? »

« Pas particulièrement. C’est une chose extrêmement difficile à réaliser. Si le familier renforce ses propres capacités, son maître prend son mana et son sang, il est donc impossible pour un familier d’y parvenir par des moyens ordinaires. Si le maître veut que son familier le fasse, alors c’est possible. Mais les vampires qui peuvent se permettre de le faire sont extrêmement puissants. Le simple fait de les surpasser en puissance serait difficile en soi. »

« Je vois. » Lorraine avait fait une pause, puis avait demandé. « Que vouliez-vous dire par un maître qui prend leur mana et leur sang ? »

« Un maître peut prendre de force tout le sang ou le mana qu’un familier obtient. Il semble que les maîtres traitent les goules et les vampires mineurs comme des esclaves, mais comme les maîtres peuvent également fournir du mana ou du sang à leurs familiers, il ne s’agit pas d’une relation à sens unique. Par exemple, disons qu’un maître ayant plusieurs familiers leur fait collecter du sang, mais que la quantité de sang que chacun a pu collecter diffère. Dans ce cas, le maître peut recueillir tout le sang et le distribuer équitablement à ses familiers. Cela diminue les risques associés à une chasse ratée. »

Il semblerait qu’il y ait aussi des inconvénients à cela, mais le sang humain était assez difficile à obtenir. Puisqu’il y avait aussi des chasseurs de vampires, j’étais sûr qu’il y avait eu de nombreux cas où une chasse minutieuse s’était soldée par un échec.

« Alors puis-je aussi faire ça ? » avais-je demandé à Isaac.

« Je ne peux pas me prononcer dans un sens ou dans l’autre. Cependant, puisque vous pouvez consommer du sang et obtenir des familiers comme un vampire, votre familier aura probablement besoin de sang. Edel, le puchi suri en a besoin, oui ? Comment avez-vous géré cela jusqu’à présent ? »

J’avais donné à Edel le sang de Lorraine. Mais il était beaucoup plus petit que moi et n’avait pas besoin de tant de sang que ça. Il pouvait tenir trois jours avec une seule goutte.

Après avoir expliqué cela à Isaac, il avait répondu. « Il semble que vous n’ayez pas besoin de beaucoup de sang, ce qui doit expliquer pourquoi Edel est dans le même cas. Ça, ou peut-être qu’il vous prend du sang sans que vous le sachiez. »

Attends, qu’est-ce qu’il vient de dire ? Sans que je le sache ?

« Qu’est-ce que ça veut dire ? » avais-je demandé.

« Si le maître n’a pas fixé de restrictions, un familier peut librement lui prendre du sang et du mana. »

Isaac avait suggéré qu’Edel pourrait faire la même chose. Maintenant qu’il l’avait mentionné, je pouvais penser à quelques exemples. Il y avait des fois où Edel avait pris mon mana, mon esprit ou ma divinité sans ma permission. Cela avait dû être la même chose avec le sang. Qu’est-ce que j’étais, une cachette d’approvisionnement ? Mais si Edel pouvait le faire…

« Peux-tu aussi le faire ? » avais-je demandé à Rina.

Rina était humaine, tandis qu’Edel était un puchi suri, mais ils étaient tous deux des familiers. Il était probablement sûr de supposer que Rina pouvait faire la même chose. Ou plutôt, c’est ce que j’essayais de demander en premier lieu.

Si Rina pouvait emprunter et utiliser mon mana comme Edel, ce serait très utile. Cela augmenterait aussi ses capacités. Après tout, la chose la plus importante avec le mana était la quantité totale disponible. Puisque j’avais maintenant une assez grande réserve de mana, il serait bénéfique qu’elle puisse y puiser. Maintenant qu’elle était un monstre, on ne pouvait pas savoir qui pourrait essayer de l’attaquer. Même si nous n’étions pas techniquement des vampires, juste des pseudo-vampires, et que nous avions visuellement l’air humain, il ne fallait pas être trop prudent.

« Hrrm. Je ne sais pas. Comment puis-je essayer ? » demande Rina.

Edel, qui était assis sur mon épaule pendant tout ce temps, avait soudainement sauté sur le dessus de la tête de Rina et lui avait tapoté le front.

« Oh ! Ah, OK. Je vois. Comme, ça ? »

Rina avait commencé à se parler à elle-même. Immédiatement après, j’avais senti une partie de mon mana quitter mon corps.

« On dirait que le mana de Rina a augmenté, » murmura Lorraine.

J’avais regardé Rina. « As-tu pu le faire ? »

« Hein ? Oh, oui. Edel m’a appris comment faire. »

Apparemment, dès qu’Edel avait sauté sur sa tête, elle avait pu comprendre ce qu’il essayait de communiquer. Il lui avait ensuite appris comment me retirer du mana. Selon Rina, le conseil d’Edel était de me l’arracher sans hésitation. Je n’avais pas eu l’impression qu’elle en avait pris beaucoup, donc je suppose que c’était la bonne approche.

J’avais vérifié avec Edel quand il était retourné sur mon épaule, et il avait confirmé qu’il n’avait pas été capable de tirer beaucoup de mana de moi au début. Mais avec un peu de pratique, il n’y avait pas de réelle limite.

Cela semblait assez dangereux. Edel avait répondu à mes pensées en me disant que je pouvais limiter le débit, et que je devais donc apprendre à le contrôler de mon côté.

Était-ce mon test en tant que leur chef ? Mes subordonnés étaient un rat pompeux et une jeune femme. C’était une sorte de combinaison bizarre.

Bref, je voulais voir si Rina pouvait tirer plus que du mana, et peut-être utiliser de la divinité.

◆◇◆◇◆

« OK, donc je sais que tu peux tirer du mana de moi. Mais qu’en est-il des autres pouvoirs, l’esprit et la divinité ? »

Rina inclina la tête. « Je ne sais pas pour l’esprit, mais peut-être la divinité ? Hrm... »

Rina avait froncé les sourcils et avait commencé à se concentrer sur quelque chose. Après un moment, j’avais senti la divinité sortir de moi et entrer en elle.

Ce n’était toujours pas un grand transfert, à peu près la même quantité que je pouvais utiliser quand j’étais vivant. Le plus qu’il pouvait faire alors était de purifier l’eau. C’était extrêmement utile lors des aventures, mais c’était plutôt pathétique comparé aux miracles que les prêtres et les saints pouvaient accomplir.

J’avais eu l’impression qu’Isaac gardait une certaine distance avec Rina et moi. Était-ce parce qu’il n’aimait pas la sensation de divinité ?

« Isaac, je suppose que la divinité… »

Avant que je puisse terminer, il s’était tourné vers moi avec une expression aigre. « C’est désagréable. Contrairement à un monstre mineur, un peu de purification ne fera pas grand-chose à un vampire. Mais même dans ce cas… Comment le décrire ? J’ai l’impression d’être étouffé par la fumée. »

« Eh bien, je suppose que je vois ce que vous essayez de dire. C’est vraiment désagréable. »

Même si la divinité ne l’avait pas tué, il était toujours inconfortable à côtoyer. Pourtant, je voulais tester ce que Rina pouvait faire, donc j’avais besoin qu’il le supporte pour le moment.

Isaac semblait avoir compris sans que j’aie à le dire. « Il n’y a pas lieu d’hésiter pour moi, » avait-il dit. « À cette distance, ça ne me dérange pas beaucoup. »

Malgré le fait qu’Isaac n’aimait pas la sensation de la Divinité, Rina semblait tout à fait bien. Peut-être qu’elle n’était pas une vampire typique non plus.

« Peux-tu manipuler la divinité ? » lui avais-je demandé. « Par exemple, peux-tu l’utiliser pour purifier ou guérir, ou l’incorporer dans tes armes et armures ? »

La divinité était différente du mana. On pouvait l’utiliser intuitivement même si on ne comprenait pas sa composition ou ses mécanismes. Cependant, Rina avait emprunté ma divinité plutôt que d’utiliser la sienne. Pour la plupart des gens, la divinité était soit un pouvoir avec lequel ils étaient nés, soit une bénédiction directe d’un esprit ou d’un dieu. Mais si Edel pouvait l’utiliser, il y avait de fortes chances que Rina le puisse aussi.

« Je pense que je peux comprendre comment faire, » dit Rina. Elle regarda autour d’elle, comme si elle n’était pas sûre de ce qu’il fallait viser.

Lorraine avait ajouté : « Utilise-le au hasard. Comme ceci. » Elle avait dirigé sa divinité vers les mauvaises herbes qui poussaient à ses pieds.

Lorraine était maintenant une adepte de l’un des dieux — je crois que c’était Viro ou Gedo quelque chose — et ils l’avaient dotée de la divinité. Comme ce dieu n’était pas particulièrement puissant, Lorraine n’en avait pas beaucoup. Pourtant, elle était capable de nettoyer et de guérir légèrement. Du point de vue d’une organisation religieuse, cela faisait d’elle une sainte prêtresse. Eh bien, il n’y avait rien de particulièrement saint en elle. Au contraire, elle était plutôt une sorcière.

Les mauvaises herbes que Lorraine avait purifiées avaient poussé de quelques millimètres, et elles avaient l’air plus saines. En tant qu’engrais ambulant, Lorraine avait encore beaucoup à apprendre, mais il était facile de voir qu’un dieu des plantes l’avait bénie. Cependant, elle ne pouvait pas imprégner les objets de divinité. J’étais encore un peu unique dans ce sens.

Rina avait regardé la démonstration de Lorraine et avait hoché la tête. Elle avait dirigé la divinité vers des mauvaises herbes proches. Elles avaient également grandi de plusieurs millimètres et avaient l’air fraîches comme des marguerites. Mais comme avec Lorraine, elle n’avait pas infusé de divinité en elles.

J’avais fait de même, et les mauvaises herbes avaient poussé d’une douzaine de centimètres. Elles avaient aussi une faible dose de divinité en elles. Isaac avait froncé le nez comme s’il était tombé sur une fleur particulièrement odorante. Il semblait se débattre.

« Désolé. Je suppose que je devrais ramener ça à la maison, » avais-je proposé.

Isaac haussa les épaules. « C’est un petit coin de la cour, et je crois que ma maîtresse aimerait le voir, donc vous pouvez le laisser. » Un rire sec s’échappa de ses lèvres.

Un des hobbies de Laura était de collectionner des objets magiques rares. Dans un sens très large, mes herbes sacrées seraient admissibles. Même si, techniquement, elles ne comptent pas, elles sont probablement utiles pour fabriquer des objets magiques, il est donc logique qu’elle les veuille.

« Je suppose que je vais les laisser là. Mais si elles finissent par être un problème, faites-le-moi savoir. Je viendrai les chercher. »

Isaac avait acquiescé.

Nous avions déterminé que Rina pouvait tirer du mana et de la divinité de moi et les utiliser, mais évidemment elle ne pouvait pas faire de même avec l’esprit.

« N’y a-t-il aucun moyen pour toi d’accéder à l’esprit présent en moi ? » lui avais-je demandé.

Rina fronça les sourcils et essaya plusieurs fois, mais rien ne se passa. « On dirait que je ne peux pas, » dit-elle, ses épaules s’affaissant de déception.

Je n’avais aucune idée de la raison pour laquelle cela pouvait être le cas, mais Lorraine avait proposé une théorie. « Ce n’est qu’une hypothèse, mais il faut normalement s’entraîner pour utiliser l’esprit, non ? C’est probablement la différence. Rina savait déjà comment utiliser le mana, et la divinité est intuitive à utiliser, mais ce n’est pas le cas de l’esprit. »

C’est logique. On ne peut pas utiliser un pouvoir dont on ne sait rien. Mais dans ce cas, est-ce que ça veut dire qu’Edel connaissait déjà l’esprit avant notre rencontre ? Edel était plutôt coriace pour un puchi suri. Il était possible qu’il sache comment l’utiliser. L’esprit est basé sur la force vitale de toute créature vivante, il serait donc logique que des choses autres que les humains puissent l’utiliser.

Cela voulait probablement dire que Rina n’était pas encore habituée à ça. On pourrait travailler là-dessus. Je pourrais toujours lui apprendre à s’en servir aussi.

***

Partie 4

« Je pense que c’est tout. Non, attendez, il y a encore une chose que nous devons tester. Il se peut qu’il n’y ait aucun changement, mais ça vaut la peine de vérifier, » déclara Lorraine. J’avais incliné la tête vers elle d’un air perplexe et elle avait soupiré d’exaspération. « Les ailes. Plus précisément, tes ailes. Comme tu es beaucoup plus fort maintenant, tu pourrais très bien te lancer sur la face cachée de la lune. Nous devrions d’abord les tester dans une zone dégagée. »

J’avais oublié mes ailes. Il y avait de fortes chances que je finisse comme l’un de ces abrutis qui écrasent les doigts de quelqu’un avec une simple poignée de main. Si j’imprégnais mes ailes de mon mana et de mon esprit accrus, je pourrais m’envoler vers on ne sait où.

« D’accord, » j’avais accepté. « Faisons un essai. Oh, ça me fait penser. Les vampires n’ont généralement pas d’ailes, pas vraies, Issac ? »

« Non, ils n’en ont pas. Cependant, il y a des avians parmi le peuple-bête, par exemple. Quand ces espèces deviennent le familier d’un vampire, ce sont techniquement des vampires ailés. »

Ils étaient un peu différents de moi, puisqu’ils avaient déjà des ailes avant de devenir des vampires. Bien sûr, l’explication d’Isaac soulevait la question de savoir d’où venaient les miennes. Il semblerait qu’Isaac n’était pas sûr non plus, donc une réponse devra attendre.

« Eh bien, je suppose que je vais essayer. Ailes — Whoa. »

Quand j’avais déplié mes ailes, quelque chose de bien plus grand que ce à quoi je m’attendais avait jailli de mon dos. Je ne me souvenais pas qu’elles étaient aussi grandes. Elles mesuraient tout au plus quelques dizaines de centimètres. Cette fois, je les sentais totalement différentes. J’avais hésité à tourner la tête pour vérifier mon dos et j’avais trouvé…

« Elles sont énormes, » avais-je fait remarquer.

Elles étaient si grandes qu’une seule aile était plus longue que ma taille. Non seulement cela, mais dans le passé, elles ressemblaient plus ou moins à des ailes de chauve-souris. Maintenant, elles étaient recouvertes d’une sorte d’écailles. Les membranes étaient rouges, mais tout le reste était d’un vert terne. Elles me faisaient penser à — .

« On dirait des ailes de dragon, » avait interjeté Lorraine. « C’est fascinant. Pourquoi pousseraient-elles dans ton dos ? »

Elle avait raison. Les miens ressemblaient vraiment à celles d’un dragon. Comparés à un vrai dragon, elles étaient encore petites et peu impressionnantes, mais elles avaient l’air draconique.

« Elles ont l’air vraiment cool ! Je me demande si je peux aussi en faire pousser, » murmura Rina derrière moi.

Oh, c’est vrai. On n’avait pas encore vérifié. Il y avait une chance qu’elle puisse aussi les faire pousser.

« Parmi les plus grandes créatures, il y a ceux qu’on appelle les hommes-dragons. Je crois qu’ils ont des ailes semblables, » Isaac avait dit ça après qu’il ait étudié les miennes.

Je savais que les hommes-dragons existaient, mais je n’avais jamais rencontré leur race avant. Maalt et le royaume de Yaaran lui-même étaient en marge de la civilisation, et la population était principalement humaine.

Comparés aux autres races, les humains avaient une apparence plutôt ordinaire, sans réelle caractéristique distinctive, mais ils étaient aussi extrêmement adaptables et pouvaient vivre où ils le souhaitaient. Cet aspect, combiné à leur capacité à produire un grand nombre de descendants, était l’une de leurs forces en tant que race. Les autres races avaient tendance à être très pointilleuses sur l’endroit où elles vivaient, ou avaient besoin d’environnements spéciaux pour survivre, et n’étaient donc pas capables de se répandre dans le monde aussi facilement que les humains.

Un bon exemple de cela serait les elfes. Ils avaient du mal en dehors des forêts. Ils ne souffraient pas de « manque de forêt » ou de quelque chose du genre et en mouraient, mais ils tombaient en dépression lorsqu’ils étaient éloignés des forêts trop longtemps. Cela pouvait entamer leur volonté de vivre. Apparemment, à long terme, ils pouvaient même en mourir. Il y avait des elfes qui n’étaient pas gênés par l’éloignement des forêts, mais c’était une petite minorité.

C’est pourquoi je n’avais jamais rencontré d’homme-dragon, même si, si je me souviens bien, ils étaient extrêmement rares.

« En as-tu déjà rencontré, Lorraine ? » avais-je demandé. « Je veux dire, les hommes-dragons. »

Elle avait secoué la tête. « Non, je ne l’ai pas fait. J’ai lu qu’ils sont spéciaux, même parmi le peuple des bêtes. C’est pourquoi ils se montrent rarement aux autres races. Puisque l’empire, sans être explicitement suprématiste envers les humains, a tendance à être assez discriminatoire, les peuples-bêtes en général ne s’y rendent pas beaucoup. Isaac, et vous ? »

« Oui, plusieurs fois, mais c’était il y a assez longtemps. Cependant, nous ne nous sommes pas assis et n’avons pas conversé avec eux. Il s’agissait plutôt d’une confrontation. C’était des adversaires difficiles. »

Des adversaires difficiles ? Ça n’avait pas dû être une rencontre pacifique. Eh bien, ça avait du sens. Isaac était un vampire. J’imagine que la plupart des rencontres se terminaient par un bain de sang.

« Pouvez-vous expliquer pourquoi vous les avez combattus ? » avais-je demandé.

« Nous voulions la même chose qu’eux, et ça a dégénéré en un conflit de propriété. Pendant ce combat, des ailes leur ont poussé comme celles du dos de Rentt. J’ai entendu dire qu’ils sont extrêmement doués pour manier l’Esprit. »

Les manieurs d’Esprits s’appuyaient plus sur le combat physique que sur la magie. La plupart des hommes bêtes étaient comme ça, mais quelques races parmi eux étaient douées pour la magie, donc ce n’était pas toujours le cas. Mais ce n’était pas si important pour le moment.

« Je suppose que mes ailes ressemblent à celles d’un homme-dragon. Ce serait bien d’en rencontrer un et de le lui demander. »

Si je leur posais directement la question, ils pourraient me dire soit « Non, pas comme les nôtres, » soit « Oh, bonjour à tous les hommes-dragons ! »

Je ne l’avais pas dit sérieusement, mais Isaac avait secoué la tête, les sourcils froncés. « Non, vous devrez vous abstenir de le faire. C’est un peuple fier. Si vos ailes ne sont pas les mêmes que les leurs, ils pourraient interpréter cela comme si vous vous moquiez d’eux par imitation et vous attaquer. En outre, le fait que vous soyez un pseudo-vampire pourrait également poser problème. Comme ils sont extrêmement fiers de leur propre héritage, il est peu probable qu’ils pardonnent à un vampire d’avoir l’un de leurs traits de caractère les plus précieux. »

Ça avait l’air un peu effrayant. De plus, ça pourrait être un problème si trop de gens voyaient mes ailes. Je ne pouvais pas les utiliser sur un coup de tête. De toute façon, je ne les avais jamais beaucoup utilisées auparavant, pour la même raison, alors je n’avais pas peur de m’abstenir. Pourtant, c’était une bonne option en cas d’urgence. Je devais juste être prudent.

« Alors je suppose que je dois rendre visite au Dieu de l’évaluation, » avais-je conclu.

C’était ma seule option pour déterminer ma race et évaluer ce masque. Bien que je sois sceptique quant au fait que le Dieu de l’évaluation fasse directement l’évaluation.

« C’est la solution la plus sûre, » confirma Isaac. « Pour le moment, si nous devons donner un nom temporaire à votre race pour des raisons de commodité, je dirais que vous êtes un vampire-pseudo-homme-dragon. Non pas qu’une telle race existe. »

Isaac avait manifestement choisi le nom le plus facile pour le moment. Il y avait peut-être réfléchi, mais c’était un peu trop littéral. Je n’étais pas sûr de ce que je ressentais à ce sujet.

 

◆◇◆◇◆

En fin de compte, bien que nous ayons testé tous mes changements physiques, je n’avais rien pu découvrir de concret sur ce que j’étais devenu. Le plus important, cependant, était d’avoir une bonne idée de ce dont j’étais capable. Ou du moins, c’est ce que je me suis dit.

La prochaine chose dont nous devions discuter était la ville.

« C’est un peu tard pour en parler, mais l’expansion du donjon s’est arrêtée, non ? » avais-je demandé à Isaac.

« Oui. Je crois que c’est parce que Lady Laura le contrôle. Il n’y a eu aucun signe d’expansion depuis cet incident. Cependant… »

« Cependant ? Quel est le problème ? »

« Ce n’est pas vraiment un problème en soi. Il est préférable que vous voyiez par vous-même. Au moins, ce n’est pas un problème particulièrement grave. »

« Eh bien, si vous le dites. »

Lorraine avait remarqué mon scepticisme et m’avait fait un signe de tête pour indiquer qu’il n’y avait pas de problème immédiat. Je suppose que cela signifiait que tout allait bien.

« Et si on faisait un rapport à la guilde ? » avais-je ajouté.

« Nous n’avons pas encore fait de rapport officiel, » répondit Isaac. « Nous avons pensé qu’il était préférable de commencer par mettre notre histoire au clair. En particulier, nous aimerions garder secret le fait que Dame Laura est devenue le maître du donjon. »

Ce serait important. Si nous mentionnions quoi que ce soit à ce sujet, cela pourrait révéler par inadvertance que Laura était une vampire. Laura et Isaac connaissaient le concept de noyau de donjon, mais cette connaissance n’était pas très répandue chez les humains. Je ne les connaissais pas malgré mes longues années en tant qu’aventurier, je soupçonnais donc la guilde de ne rien savoir d’eux. Cependant, s’ils en savaient au moins quelque chose, s’ils connaissaient les caractéristiques d’un noyau, ils pouvaient deviner que Laura était une figure inhabituelle, remarquable, en quelque sorte.

De plus, Nive était toujours à Maalt. Il est clair, d’après nos échanges passés, qu’elle chasserait un vampire jusqu’au bout du monde si elle en découvrait un dans les parages.

« Je suis d’accord. Si les gens découvrent que Laura est une vampire, alors ils soupçonneront aussi que nous sommes peut-être des vampires. Mais que devons-nous dire dans le rapport ? » J’avais murmuré cette dernière partie avec un soupir.

« Tu as peut-être trop réfléchi, » avait proposé Lorraine. « Après tout, tu as dit à Wolf que tu allais chercher Shumini. Le plus simple serait de dire que les choses se sont arrangées quand tu l’as vaincu. »

C’était une explication extrêmement simple, mais c’était la vérité. Wolf ne poserait probablement pas trop de questions si je lui disais que nous avions vaincu Shumini et que nous avions laissé de côté toutes les parties concernant le noyau du donjon et le maître du donjon. Laura avait restauré la paix dans la ville en absorbant le noyau, mais Wolf penserait que c’était parce que Shumini était mort. Les choses étaient revenues à la normale, donc il n’y avait pas beaucoup de place pour la suspicion. Pourtant, le donjon était toujours là sous la ville, et j’étais sûr que la guilde enverrait ses propres équipes pour enquêter. Cependant, Laura avait le noyau, et elle en était le maître. Examiner le donjon ne révélerait rien d’autre.

« Ouais, allons-y avec ça, » avais-je dit, en hochant la tête. « Isaac, ça vous convient aussi ? »

« Cela semble bien. Quant à Mlle Rina, vous pourriez noter que vous l’avez trouvée ligotée dans une arrière-salle. Vous pourriez dire que vous l’avez trouvée par hasard, mais Mlle Rina était là parce que Shumini l’avait capturée, non ? »

Isaac avait regardé Rina, et elle avait répondu. « C’est vrai. J’ai soudainement perdu le contact avec les deux membres de mon groupe, alors je suis partie à leur recherche. C’est alors qu’il m’a capturée. Il s’est ensuite nourri de mon sang. Le temps que je réalise ce qui s’était passé, vous m’avez trouvée. »

Donc Shumini avait capturé Raiz et Lola en premier. J’avais demandé à Rina des détails, et elle avait expliqué qu’ils avaient utilisé une auberge comme base. Aucun des deux n’était revenu cette nuit-là, alors elle était partie à leur recherche, mais Shumini l’avait capturée et transformée en vampire.

« Dans ce cas, » dis-je, « l’auberge que vous avez utilisée doit se demander pourquoi votre groupe n’est pas revenu. On ne peut pas ne pas parler de sa capture. Il serait plus facile de dire qu’elle a été capturée, mais qu’elle va bien. »

Nous aurions pu noter que je l’avais rencontrée par hasard, mais comme il y avait des gens qui savaient qu’elle avait disparu depuis un certain temps, cela pourrait devenir un problème. Ils pourraient décider de vérifier eux-mêmes cette partie de la ville. Construire un mensonge qui soit aussi proche de la vérité que possible fonctionnerait bien mieux. Il était vrai qu’elle avait été capturée, et cela expliquait parfaitement sa disparition. On omettrait simplement de dire que Rina était devenue une vampire et que Laura était devenue le maître du donjon.

« Très bien. Je répondrai de cette façon quand on me demandera, » dit Rina. « Mais je ne sais pas si quelqu’un va me demander quoi que ce soit pour commencer. »

C’était probablement vrai. Cela peut paraître dur, mais peu de gens se soucieraient de la disparition d’un aventurier. Tout au plus, ils supposeraient que l’aventurier a fini par mourir quelque part et traiteraient cela comme une tragédie quotidienne. Quant à la guilde, à moins qu’il ne s’agisse de quelqu’un d’extrêmement important ou de quelqu’un dont elle avait besoin pour une raison particulière, elle ne se souciait pas de rechercher les aventuriers disparus. Rina ne faisait pas partie de ceux qu’ils recherchaient.

« Mais les circonstances sont un peu différentes cette fois-ci, » avais-je fait remarquer. « Les gens se sont transformés en monstres, et quelques aventuriers se sont transformés en thralls. Si un aventurier qui a disparu depuis un certain temps réapparaît soudainement, ils poseront au moins quelques questions. »

Ils vérifiaient soigneusement que l’aventurier n’était pas un monstre ou un thrall. Il serait terrifiant que des vampires et des thralls se promènent et travaillent comme aventuriers. Il est vrai que c’est ce que j’avais fait, et que Rina fera de même à partir de maintenant.

« Quand tu le dis comme ça… » Rina s’était arrêtée un instant, puis elle avait dit. « Oui, tu as raison. Je vais m’assurer de ne rien dévoiler. »

« Alors je suppose que nous devrions faire un rapport à la guilde. Notre histoire sera celle que nous venons de discuter, et pour ce qui est des détails… nous les trouverons une fois sur place. »

Ça s’arrangerait. Je veux dire, il n’y avait pas vraiment de raison de se méfier de nous. Wolf avait cependant un don pour flairer les choses. J’avais essayé de me convaincre que tout irait bien.

***

Chapitre 2 : Chasseurs de vampires et confirmation

Partie 1

Puisque Isaac avait déjà accepté de nous enseigner plus de compétences vampiriques, nous avions décidé que cela pouvait attendre après notre rapport à la guilde. Wolf serait sans doute agité si nous attendions trop longtemps.

Maalt avait déjà repris sa routine quotidienne, ce n’était peut-être pas une tâche urgente, mais je voulais m’en occuper dès que possible. Nous avions déjà passé en revue les trous potentiels dans notre histoire, donc tout irait bien. Quant à Isaac, nous avions décidé qu’il ne nous accompagnerait pas. Nive était probablement encore là, et elle avait un talent incroyable pour démasquer les vampires. Dès qu’elle croiserait Isaac, elle l’accueillerait avec un feu sacré.

On pourrait en dire autant de Rina, mais comme moi, elle n’était pas particulièrement gênée par la divinité. Pour les vampires ordinaires, la divinité n’était pas si mauvaise qu’elle les vaporise immédiatement. Ils se remettaient des blessures qu’elle causait, mais cela prenait plus de temps, et ils souffraient de brûlures légères rien qu’au contact. Puisque Rina n’avait pas eu d’effets de ce genre en canalisant la divinité, il était probable que le feu sacré de Nive ne l’exposerait pas.

Ce serait mieux si Nive ne faisait pas ça du tout, mais elle n’était pas du genre à écouter même si je lui disais de ne pas le faire. Tant que nous sommes en ville, nous ne pouvons pas complètement éviter de la rencontrer par hasard si elle est toujours là. Si c’était le cas, je devais être avec Rina quand nous la verrions. Quoi qu’il arrive, nous serions ensemble dans cette situation.

« Tout bien considéré, il n’y a pas autant de désordre que je l’avais pensé, » avais-je dit alors que nous nous dirigions vers la guilde.

Après ce qui s’était passé, je supposais que les habitants de la ville seraient encore paniqués ou choqués. Cependant, il n’y avait aucun signe de cela, pour autant que je puisse voir. Leurs expressions n’étaient pas particulièrement troubles, et ils se comportaient comme ils le feraient après une catastrophe naturelle ordinaire comme un tremblement de terre ou un ouragan. Ils réparaient les bâtiments et nettoyaient les débris que les monstres, les thralls et les aventuriers avaient causés. Il y avait quelque chose d’un peu étrange dans tout cela.

« Parler avec les gens de la ville devrait t’éclaircir sur la situation, » avait suggéré Lorraine.

Sa déclaration était ambiguë, mais j’avais décidé de suivre son conseil et d’aborder l’un des résidents de passage.

« Ah, ça. Quelque chose à propos d’un nouveau donjon sous la ville, non ? Mais les monstres ne sortent pas si souvent que ça. Eh, mettez ça sur le compte de la malchance. »

J’avais demandé à un autre résident, et il m’avait répondu. « Des monstres ? On dirait que certains sont sortis du donjon. Je connais quelques personnes qui en ont été victimes, mais on ne peut rien y faire. De plus, il y aura des paiements d’aide venant de sa seigneurie. Ce sera suffisant pour réparer la boutique, donc pas de problème. »

Une autre encore avait dit. « Les monstres ont eu mon mari. Mais il se battait pour nous protéger, j’en suis sûre. Je dois juste m’en souvenir et continuer à vivre, pour lui. Les femmes maaltesiennes sont dures. »

Tous ceux à qui j’avais demandé avaient dit clairement qu’il y avait eu beaucoup de dégâts dans la ville, mais…

« Aucun d’entre eux n’a mentionné que les habitants de la ville s’étaient transformés en monstres. »

Lorsque le donjon était apparu, il avait transformé un certain nombre de Maaltesiens en monstres. Les aventuriers n’avaient eu d’autre choix que de les tuer, mais ils l’avaient fait avec des expressions douloureuses. Tels étaient les faits. Pourtant, personne de la ville n’en avait parlé. Était-ce simplement trop tragique pour en parler ?

Alors que je passais en revue toutes les possibilités dans ma tête, Lorraine avait ajouté. « Eh bien, c’est une question un peu complexe. Il semblerait que personne ne se souvienne que certains de leurs concitoyens se soient transformés en monstres. Ils semblent penser que les monstres sont sortis en masse du donjon et ont tué ces gens. »

« Mais toi et Rentt vous vous souvenez de ce qui s’est passé, non ? » Rina avait fait cette remarque. « C’est tellement étrange. Isaac s’est également souvenu. »

Elle n’avait pas tort. Lorraine et moi pouvions parfaitement nous souvenir de ces événements. Et pourtant…

Isaac pensait que c’était grâce aux efforts de Laura en tant que maître du donjon. Les habitants pouvaient accepter le fait que des monstres avaient attaqué et qu’ils avaient maintenant un donjon sous leur ville, mais ils ne pouvaient pas accepter que leurs propres familles et amis se soient transformés en monstres et les aient attaqués. Alors Laura avait fait de petites altérations dans leurs souvenirs. Apparemment, les puissants maîtres du donjon peuvent faire ça. C’était en fait une révélation plutôt effrayante, mais c’était peut-être pour le mieux cette fois-ci.

Comme Laura était encore inconsciente, nous ne pouvions pas en être certains, mais Isaac avait probablement voulu dire que c’était la possibilité la plus probable. Je ne pouvais certainement pas penser à quelqu’un d’autre qui pourrait réaliser un tel exploit. C’était dans son caractère, vu l’importance qu’elle accordait aux habitants de la ville. Si c’était le cas, je suppose que c’était bien. Je veux dire, bien sûr, ce n’était pas vraiment bien qu’un maître du donjon puisse altérer sélectivement la mémoire des gens. Il n’y avait pas besoin d’être un génie pour savoir à quel point c’était impressionnant et effrayant. Mais quand même, c’était une de ces choses qui ne méritaient pas qu’on s’y attarde.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’on peut y faire ? La tuer ? Je ne pouvais pas me résoudre à penser à ça. C’est grâce à Laura que Maalt avait survécu relativement intact. Sans elle, la ville aurait cessé d’exister, ne devenant qu’un donjon géant. Tant qu’elle avait l’intention de protéger Maalt, je pensais que les choses pouvaient rester en l’état.

Si un jour Laura devait changer d’avis, je ne l’affronterais pas. La seule chose que je pourrais faire serait de prier les dieux pour qu’une telle situation ne se produise jamais. Je ne pouvais même pas imaginer comment je pourrais la battre au combat. Elle était tellement plus puissante que n’importe lequel d’entre nous. Même si nous nous unissions et attaquions tous en même temps, nous n’aurions aucune chance.

« Il faudrait demander à Laura quand elle se réveille ce qu’un maître du donjon peut faire. Mais ça ne changera pas grand-chose, » avais-je dit à Lorraine.

« Il semble que les maîtres de donjon soient plus puissants que je ne le pensais. Ou est-ce quelque chose de spécifique à Laura ? Peut-être qu’il y a des limites en quelque sorte. C’est quelque chose que j’aimerais lui demander. »

Laura avait parlé de limites, mais nous n’avions aucune idée de ce qu’elles pouvaient être. Le grand pouvoir d’un maître du donjon a un prix, celui de vivre avec ces contraintes. Mais nous devions attendre que Laura se réveille pour les découvrir.

Nous avions continué notre conversation jusqu’à ce que nous arrivions à la guilde.

 

◆◇◆◇◆

La guilde était plutôt occupée à l’intérieur quand nous étions arrivés. Bien sûr, elle l’était, vu ce qui s’était passé. Du paiement des primes pour les thralls et les monstres à l’achat des cristaux magiques provenant de ces monstres, la guilde était bien occupée. Les employés derrière le comptoir accomplissaient leurs tâches à la hâte, triant des piles de papier. Un simple coup d’œil à leur visage suffisait pour voir que la lumière s’était éteinte dans leurs yeux. Une fois cette ruée terminée, ils pourraient très bien rentrer chez eux en titubant, s’effondrer sur le sol dans une stupeur épuisante, et dormir pendant des jours.

Au milieu de ce chaos, j’avais entendu une voix derrière moi.

« Rentt ! Lorraine et… Rina ? Je suis heureuse de voir que vous allez bien. »

Lorsque je m’étais retourné, Sheila, la réceptionniste de la guilde, était au courant de notre situation. Ses yeux étaient ternis par l’épuisement et on aurait dit qu’elle allait s’effondrer à cause de la fatigue qui suintait pratiquement de ses pores.

 

 

« On dirait que tu as un sacré problème sur les bras, Sheila, » avais-je dit avec sympathie.

Sheila avait secoué la tête. « Comparé à tous ceux qui ont combattu les monstres, ce n’est rien. Bien que nous aurions besoin de quelques mains supplémentaires, » murmura-t-elle, sa voix semblant mince et fatiguée.

Il n’y avait pas vraiment quelque chose que je pouvais faire pour aider. C’était le travail de la guilde, et vu comme ils étaient occupés, ils se faisaient probablement de l’argent dans le processus.

Les cristaux magiques des thralls se vendaient à un bon prix sur le marché, et les diverses matières premières qu’ils récoltaient étaient également très demandées. Il y avait aussi beaucoup de matières premières provenant des autres monstres qui pouvaient être utilisées pour reconstruire la ville, donc les affaires étaient en plein essor à la guilde dans un avenir proche. Quant à savoir si les employés en bénéficieraient, c’était une autre question, un mystère que seuls les plus hauts placés dans la chaîne et peut-être les dieux eux-mêmes connaissaient. Tout dépendait de Wolf.

« Bonne chance, » avais-je dit à Sheila. « Bien que j’aimerais célébrer le fait que nous ayons pu nous revoir, nous avons des informations dont Wolf devrait être informé. Sais-tu où il pourrait être ? »

« Oh, c’est en partie pour cela que je suis venue te parler. Le maître de la guilde est dans son bureau, alors, va le rejoindre. »

J’avais fait un signe de tête à Sheila et je m’étais dirigé vers le bureau de Wolf.

***

Partie 2

Dès que j’avais ouvert la porte du bureau, Wolf avait levé la tête et m’avait dit. « Alors, tu t’es enfin décidé à montrer ta sale gueule ? »

Bien qu’il n’ait que son œil droit, son regard était plus vif que jamais. Cependant, il n’était pas du tout intimidant. Je suppose que c’est parce que nous lui avions déjà expliqué diverses choses par le passé et qu’il nous considérait comme faisant partie de son troupeau. Malgré tout, je ne pouvais pas baisser ma garde. J’avais toujours l’intention d’omettre tout ce qui concernait Laura dans notre rapport.

Le bureau de Wolf était empilé avec tant de paperasse que je m’étais retrouvé impressionné par la hauteur de la pile. J’avais supposé que tout cela nécessitait la signature directe du maître de la guilde. C’est à ce moment que j’avais juré que je ne deviendrais moi-même jamais un maître de guilde.

« Ouais. As-tu une minute ? » avais-je demandé. « Je suis venu faire mon rapport. Cependant, tu as l’air plutôt occupé. »

Nos nouvelles n’étaient pas urgentes, et s’il voulait que nous revenions plus tard, ce n’était pas un problème. Il ne semblait pas y avoir de menaces immédiates pour la ville, donc il n’y aurait pas de mal si mon rapport était un peu en retard.

Sans hésiter, Wolf avait dit. « Non, cette pile peut attendre. Je vais l’écouter maintenant. Tu dois me parler seul à seul ou… ? »

Son œil droit s’était tourné vers Lorraine et Rina. Ce n’est pas qu’il voulait qu’elles partent, mais il voulait s’assurer qu’elles pouvaient écouter une conversation au cours de laquelle mon secret pourrait être dévoilé. J’étais sûr qu’il avait compris que j’en avais expliqué une partie à Lorraine, mais peut-être avait-il supposé que je n’avais pas tout dit à Rina.

J’avais secoué la tête. « Non, c’est bon. Elles savent toutes les deux. »

J’avais insisté sur certains mots, et l’œil unique de Wolf s’était agrandi de surprise. « Dans ce cas, elles sont libres de rester. Assure-toi de bien fermer cette porte, jeune fille, » avait-il dit à Rina, qui était entrée la dernière.

La porte était encore un peu entrouverte, alors Rina s’était empressée de la refermer derrière elle.

 

◆◇◆◇◆

Wolf était allé droit au but. « Donc, je peux supposer que le monstre dont tu as parlé pendant tout ce grabuge est mort ? »

« Ouais. On s’est occupé de lui. Voici la preuve. »

J’avais sorti un cristal magique. Shumini s’était presque entièrement transformé en cendres, mais celui-ci se trouvait à l’intérieur. Isaac ayant été proche de Shumini, je le lui avais offert, mais il l’avait remis entre mes mains en me disant que j’en aurais besoin comme preuve et qu’il ne m’en voudrait pas si je décidais de le vendre après. Shumini était presque comme un harceleur pour lui, donc il ne voulait probablement pas de ses souvenirs. Ou peut-être que je réfléchissais trop.

Wolf avait pris le cristal magique et avait dit « Eh bien. Celui-ci est d’une grande beauté. On n’en trouve pas souvent de cette taille. Ça a dû être un sacré adversaire. » Il avait l’air impressionné.

Bien que la taille ne soit pas toujours le facteur déterminant du prix, un cristal aussi grand que celui-ci apparaît rarement sur le marché. La couleur, la clarté et la quantité de mana qu’il contenait permettaient également de savoir qu’il était de haute qualité. Mesurer la quantité spécifique de mana nécessitait un outil spécialement conçu à cet effet, mais vous pouviez avoir une idée générale de la quantité contenue à l’intérieur après en avoir manipulé quelques-uns.

Quant à la taille exacte, celui-ci était environ deux classes plus grandes que le cristal que j’avais obtenu du squelette géant. Celui-ci était équivalent à la classe Or, mais on peut dire que le cristal de Shumini était équivalent à la classe Platine. Néanmoins, étant donné que le cristal d’un squelette géant atteint cette taille en collectant et en comprimant le mana pendant des années, voire des décennies, le fait que celui de Shumini ait atteint cette taille quelques heures seulement après être devenu un monstre prouvait à quel point il était puissant. Cela, ou le pouvoir qui avait créé le donjon était extraordinairement puissant.

Quoi qu’il en soit, il n’y avait aucun doute que ce cristal atteindra un prix élevé. Non pas que je l’ai apporté ici pour le vendre, mais puisque Isaac avait donné sa bénédiction pour le faire…

 

◆◇◆◇◆

« Très bien, commençons par l’état de la ville. »

Wolf avait commencé à expliquer ce qui s’était passé après que nous ayons vaincu Shumini — plus exactement, ce qui s’était passé après que nous ayons vaincu Shumini et que Laura ait retiré le noyau du donjon de Rina.

« Tout d’abord, les thralls qui sévissaient dans la ville sont soudainement devenus léthargiques. C’était beaucoup plus facile de les tuer. Nous devrions avoir vaincu la plupart d’entre eux. Il pourrait y avoir quelques traînards qui se cachent, mais ils ne représentent plus un grand risque maintenant. Selon Nive, quand les thralls perdent le maître qui les contrôle, leur intelligence chute souvent. Je suppose que c’est ce qui s’est passé quand vous avez achevé Shumini. »

Comme je l’avais prévu, Nive était de retour en ville. Je l’avais vu s’approcher des murs de la ville, donc ce n’était pas vraiment une erreur de supposer qu’elle était revenue maintenant que la barrière entourant la ville avait disparu.

« Que fait Nive maintenant ? » avais-je demandé.

« Elle est en train de traquer le dernier des thralls. C’est bien qu’elle fasse le travail sans qu’on le lui demande, mais elle avait l’air un peu de mauvaise humeur. Quelque chose à propos de l’absence de vampires. »

Alors que les thralls étaient des vampires en quelque sorte, Nive parlait vraisemblablement de vampires inférieurs et supérieurs. En particulier, elle voulait dire la classe de Shumini et plus. Elle avait dit qu’elle avait du flair pour ce genre de choses, donc elle devait savoir instinctivement que Shumini avait disparu. De plus, la ville n’avait plus la tension qui accompagnait la présence de Shumini.

J’avais l’impression qu’elle m’en voudrait si je la croisais. J’espérais vraiment que je ne la rencontrerais pas.

Wolf avait poursuivi. « Quant au reste, les monstres qui sont apparus dans la ville ont soudainement disparu. Je suppose que c’est aussi à cause de la mort de Shumini. C’était un peu après que les thralls aient ralenti, mais je ne vois pas d’autre raison. Quelque chose vous vient à l’esprit ? »

J’avais secoué la tête. « Non, rien de particulier. »

J’avais dit un mensonge blanc. Cela avait été déclenché non pas par la mort de Shumini, mais par le noyau du donjon. Lorsque Laura avait retiré le noyau de Rina et l’avait absorbé elle-même, elle avait fait disparaître les monstres. Il semblerait que la raison pour laquelle les habitants de la ville s’étaient transformés en monstres en premier lieu était due au donjon, donc je ne pouvais pas penser à une autre raison pour qu’ils disparaissent. Mais comme le fait de le révéler aurait causé toutes sortes de problèmes, je n’allais pas le mentionner.

« J’ai compris. Bref, les monstres sont aussi partis. La ville est en train de revenir à la normale. Il y a encore des dégâts persistants sur les bâtiments, et il y a des blessés à soigner, mais il semble qu’ils aient pris les choses en main. Le seigneur et le conseil ont versé des fonds de secours, et pour les blessés, les églises ont envoyé quelques prêtres et prêtresses. Nous avons également envoyé quelques personnes de la guilde. Maalt reviendra à la normale en un rien de temps. »

L’incident récent avait été assez grave, mais le fait que la guérison ne prendrait pas longtemps témoignait de la ténacité des résidents. Enfin, ça en faisait partie, mais j’étais sûr que la manipulation de la mémoire par Laura en était la raison principale. Même pour des gens aussi résistants que les Maaltesiens, il serait difficile de rester si vous pensiez que votre voisin pouvait se transformer en monstre à tout moment.

Si c’était juste une attaque de monstre aléatoire, ça pouvait arriver n’importe où dans le monde. Ce n’était pas quelque chose que vous pouviez éviter en déménageant. C’est pourquoi tout le monde était prêt à s’unir et à se rassembler autour de la communauté, en traitant leur chagrin et en essayant d’aller de l’avant malgré les difficultés. Il y avait aussi un donjon sous la ville maintenant.

Lorraine intervient : « En parlant de la ville, de la situation en dessous… »

Elle ne l’appelait pas « donjon », car cela aurait éveillé les soupçons. Si la plupart des habitants de la ville semblaient déjà connaître son existence, il n’était pas nécessaire de révéler que nous le savions aussi.

« Oui, nous sommes en train de l’examiner, » répondit Wolf. « Bien que tout le monde ait conclu que c’était un donjon. Les monstres qui en sortent ont déclenché toute cette agitation. Tout se met en place si cette hypothèse est juste. Nous n’avons aucune idée de la façon dont ils se sont soudainement formés, mais tous les mécanismes qui les sous-tendent ne sont encore que des théories. On ne peut rien y faire. L’hypothèse actuelle est que Shumini a commencé ses activités dans cette ville parce qu’il avait une idée de la formation du donjon. »

Wolf n’avait pas tout à fait raison, mais il n’était pas si loin non plus. La seule raison pour laquelle ils ne considéraient pas la possibilité que Shumini ait créé le donjon était que personne ne croyait que c’était possible.

Si l’apparition des donjons avait fait l’objet de nombreux débats, la plupart des chercheurs avaient conclu qu’ils étaient apparus naturellement. Plusieurs donjons soutenaient également cette théorie. Cependant, d’après l’explication de Laura, il en existait de nombreux types différents. Cela signifiait que certains étaient apparus naturellement et d’autres avaient été créés artificiellement. Mais il faudrait que je parle à Laura pour obtenir des informations plus détaillées.

« Nous avons également confirmé qu’il y a des monstres qui se promènent à l’intérieur. Mais quand nous les avons conduits à l’entrée, ils n’ont montré aucun signe de vouloir partir. On m’a dit que l’invasion de monstres était due à l’instabilité inhérente à un donjon nouvellement manifesté. Vous savez quelque chose à ce sujet ? »

« Oui, » dit Lorraine, répondant à la question de Wolf. « Mais il n’y a pas grand-chose de plus à dire à ce sujet. Lorsqu’un donjon se manifeste, son existence est instable, alors divers événements étranges se produisent à l’intérieur et autour de lui. Par exemple, s’il se manifeste dans une ville, il peut absorber une partie de la ville et modifier complètement son architecture. S’il se manifeste dans une forêt ou une montagne, il transforme la faune locale en monstres. Un exemple plus inhabituel serait — Non, je m’égare. En tout cas, je suis d’accord pour dire que les monstres de Maalt faisaient partie de ce processus. »

Je m’étais demandé quel était son exemple inhabituel. Peut-être qu’un donjon avait absorbé une ville entière. Peut-être pensait-elle à la cité antique que nous avions visitée. Bien sûr, c’était une autre chose dont nous ne pouvions pas parler. J’avais l’impression que nous accumulions des secrets que nous ne pouvions révéler à personne.

Il semblerait que l’hésitation de Lorraine n’ait pas déclenché les soupçons de Wolf pour l’instant. Il lui arrivait souvent de déblatérer sur quelque chose et de s’arrêter soudainement au milieu d’une phrase.

« Eh bien, je pense que c’est à peu près tout, » dit Wolf. « Je ne suis pas un érudit, donc je ne connais pas les détails et je ne m’en soucie pas, je laisse cela aux experts. Mais les choses vont commencer à bouger à Maalt. Après tout, nous avons un nouveau donjon. »

***

Partie 3

Pourquoi un nouveau donjon ajouterait-il à la charge de travail de la guilde ? D’abord, il y aurait un afflux de nouveaux aventuriers. Bien que les donjons génèrent toujours de nouveaux matériaux, il y avait une limite au nombre qu’ils pouvaient produire. S’il y avait trop d’aventuriers travaillant dans la même zone, le donjon pourrait manquer de ressources à collecter. Cela dit, il était presque impossible de manquer de monstres.

Ce n’était cependant pas le cas des divers trésors éparpillés dans le donjon. Ils n’étaient pas faciles à trouver, et plus il y avait d’aventuriers dans un donjon, plus les chances de trouver quelque chose étaient faibles. Les aventuriers gagnaient généralement leur pain quotidien en chassant des monstres et en vendant leurs cristaux magiques et leurs matières premières, mais ces mêmes aventuriers rêvaient aussi de devenir riches en trouvant un objet magique rare et en le vendant sur le marché. Il était extraordinairement rare de rencontrer un objet suffisamment précieux pour prendre sa retraite, mais le simple espoir de faire fortune était l’une des principales motivations des aventuriers. Évidemment, les chances de découvrir un tel trésor diminuaient lorsque des foules d’aventuriers envahissaient un donjon.

Sans parler du fait qu’il serait extrêmement frustrant qu’un nouveau venu fasse soudainement fortune dans un donjon que vous parcouriez depuis des lustres. Afin d’éviter que ce genre de chose ne se produise, la guilde avait l’habitude d’ajuster subrepticement le nombre d’aventuriers dans un donjon donné. Mais comme Maalt avait maintenant un autre donjon, la ville pouvait gérer un grand afflux d’aventuriers. La guilde n’avait pas encore une bonne idée de sa taille, mais selon l’échelle, peut-être quelques centaines d’aventuriers se déplaceraient vers la ville.

C’est pourquoi Wolf avait dit qu’il allait être occupé. Puisqu’un donjon récemment formé était un territoire inexploré avec de nouveaux trésors et monstres, il était préférable de s’y rendre tôt. Il y aurait une ruée initiale d’aventuriers, suivie d’une forte baisse et d’une augmentation progressive jusqu’à une population stable. La guilde ne serait probablement occupée que pendant les six premiers mois à un an, mais quand même…

« Les chercheurs et les érudits seront parmi les nouveaux venus, » nota Lorraine. « Nous sommes peut-être en marge de la civilisation, mais les donjons nouvellement formés sont un phénomène rare. Moi aussi, je veux en faire une étude approfondie. »

Les recherches de Lorraine portaient sur les monstres et les donjons, je pouvais donc comprendre son désir. De plus, elle était profondément impliquée dans la création de ce donjon, ce qu’aucun chercheur ordinaire n’aurait pu faire, même s’il l’avait voulu. Il ne fait aucun doute qu’elle voulait aller là-bas, sortir Laura de son sommeil, et la bombarder de questions. Non pas qu’elle puisse faire ça.

Wolf avait fait un signe de tête à Lorraine. « Oui, je suis sûr qu’il y aura des gens comme ça qui viendront. Il y a une prestigieuse Académie et une Tour dans la capitale royale, ce qui signifie qu’il y aura des professeurs et des mages de là-bas. Mais ils sont généralement parrainés par l’État, et je suis sûr qu’ils auront des chevaliers et autres pour les protéger. La guilde n’aura probablement pas grand-chose à faire là-bas. Du moins, c’est mon intuition. J’ai l’intention de prendre des mesures, cependant, justes au cas où je me tromperais. »

L’académie était un établissement d’enseignement supérieur géré par le royaume. L’élite des savants et des bureaucrates de Yaaran faisait partie de ses anciens élèves. Tous les étudiants apprenaient la magie, c’est pourquoi on l’appelait parfois l’Académie de magie, mais son nom officiel était simplement l’Académie. La plupart des étudiants étaient des enfants de familles nobles et de riches maisons marchandes, mais les roturiers doués étaient également autorisés à y participer. Il n’y avait pas de réelles restrictions en termes d’âge, mais la plupart des étudiants étaient de jeunes gens dans leur adolescence.

La Tour, quant à elle, était une organisation de recherche pour les mages. Son nom différait selon le pays, et certains pays avaient plusieurs organisations concurrentes. Les mages de Yaaran étaient moins particuliers, aussi la Tour désignait-elle ici celle de la capitale. Bien qu’il y ait techniquement différentes divisions au sein de sa structure — comme des laboratoires de recherche dédiés à l’étude des monstres, de différentes branches de la magie et des donjons —, elles faisaient toutes partie d’une seule et même organisation et étaient généralement appelées « La Tour. »

Dans d’autres pays, l’empire en particulier, le mot « Tour » désignait des organisations multiples et variées, mais… cela ne nous concernait pas vraiment.

« J’ai entendu dire que les gens de l’Académie et de la Tour sont tous un peu excentriques, » avais-je dit. « J’espère que rien de bizarre n’arrivera. »

Wolf fronça les sourcils. « C’est aussi ce que j’espère. Mais si quelque chose arrive, je compte sur vous pour y faire face. »

Sa remarque m’avait fait frissonner d’effroi. Les personnes affiliées à l’Académie ou à la Tour étaient soit influentes, soit avaient des amis haut placés. Je préférais ne pas avoir affaire à eux. Mais parfois, c’était inévitable. Les nobles de Yaaran étaient dans l’ensemble raisonnables, et tant que vous passiez par les canaux appropriés, ils ne vous feraient probablement rien de trop dur. Il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Ou du moins, je l’espérais.

« Pour ma part, j’espère que vous n’aurez pas besoin de moi, » avais-je ajouté.

« Oh, allez. Tu es un employé, donc tu dois travailler un peu. Mais de toute façon, c’est à peu près tout. Vouliez-vous parler de quelque chose d’autre ? »

Je n’avais rien, et il semblait que Lorraine n’avait rien non plus.

Rina, de son côté, avait demandé. « Hum, qu’est-il arrivé aux aventuriers qu’ils ont trouvés dans le donjon de la Nouvelle Lune ? »

Ah oui, c’est vrai. Ce qui était arrivé à Raiz et Lola, le couple qui avait passé l’examen d’ascension de classe Bronze avec moi. Ils étaient maintenant dans un groupe avec Rina. À ce moment-là, je dormais et nous n’avions pas encore mis au point notre histoire. Nous devions aussi vérifier les nouvelles capacités de Rina d’abord, donc elle n’avait pas encore pu revenir en ville. Elle ne savait toujours pas ce qui leur était arrivé à tous les deux. Quand je les avais vus dans le donjon, je m’étais assuré de les aider et de vérifier qu’ils pouvaient se déplacer. J’avais demandé aux aventuriers vétérans de les emmener en ville, ils devraient donc être quelque part dans Maalt.

Wolf, comme il sied à un maître de guilde, avait compris immédiatement. « Ah, eux. Vous êtes Rina, non ? Vous voulez savoir comment les membres de votre groupe, Raiz et Lola, se portent, oui ? »

La précision avec laquelle il avait répondu était impressionnante. Il avait même appris tous les groupes de débutants. Comme ces groupes pouvaient facilement mourir, la plupart des maîtres de guilde n’avaient qu’une idée générale des groupes de débutants dans leur ville. En se basant uniquement sur sa connaissance des aventuriers de la ville, Wolf était un maître de guilde unique et admirable.

Lorsque Rina acquiesça, Wolf répondit. « Ceux qui ont été trouvés au donjon de la Nouvelle Lune ont été envoyés dans des cliniques gérées par la guilde pour être soignés, donc… Une seconde, je vais chercher la liste. C’est parti. Ils sont à la clinique Kohm. Voici l’emplacement, » dit-il en indiquant la clinique sur une carte.

 

◆◇◆◇◆

Nous avions décidé de nous rendre à la clinique Kohm. Lorsque j’avais trouvé Raiz et Lola dans le donjon, je n’avais pas eu l’impression qu’ils étaient gravement blessés, mais ils étaient sévèrement affaiblis. Si la magie de guérison et la divinité pouvaient soigner les blessures, elles ne pouvaient pas remédier à la faim ou à l’épuisement. La seule façon de s’en remettre était de manger et de se reposer.

Peu importe la quantité de soins reçus, si votre corps était à sa limite, vous mourriez quand même. Ou du moins, c’était une possibilité distincte. C’est pourquoi il était inutile d’utiliser un sort de guérison sur une personne mourant de vieillesse. Comme nous ne connaissions pas les détails de leur état, nous étions toujours inquiets pour Raiz et Lola.

« C’est ça, hein ? » demanda Rina.

Nous étions arrivés à la Clinique Kohm. Elle se trouvait à une dizaine de minutes à pied de la guilde et était située un peu à l’écart de la rue principale de la ville, donc un peu à l’écart de l’agitation du centre-ville. Comme la clinique était destinée aux malades et aux blessés, ils avaient probablement besoin d’un endroit relativement paisible et calme. Mais comme elle traitait généralement un nombre assez important de patients chaque jour, elle était tout de même proche des rues principales de la ville au cas où ils auraient soudainement besoin de se ravitailler.

Disons qu’un aventurier avait été empoisonné par un monstre dont le venin est inhabituel. Si les sorts de guérison pouvaient gérer un bon nombre de ces cas, il fallait parfois faire appel à un herboriste compétent. Cependant, les herboristes utilisaient des matières premières pour créer leurs traitements, et une clinique ne pouvait en garder qu’une certaine quantité en stock. Lorsqu’ils avaient besoin d’un ingrédient rare qui n’était pas stocké sur place, un accès rapide au quartier du marché principal était nécessaire. Il était bon d’avoir des magasins à proximité qui pouvaient fournir des matériaux rares en cas d’urgence.

La clinique Kohm est un bâtiment d’un étage qui semblait un peu plus plat que ceux qui l’entourent. La plupart des bâtiments avaient au moins deux étages, mais quelques-uns en avaient trois. Il semblerait que la clinique n’ait pas utilisé son terrain de manière efficace, mais c’était probablement par égard pour les patients. La plupart ne seraient pas capables de monter des escaliers. Ils pourraient installer un ascenseur magique, comme une certaine maison de marchand, mais ceux-ci étaient extrêmement rares et chers. Même s’il s’agissait d’une clinique sponsorisée par la guilde, ce genre d’équipement était encore hors de portée. Dans l’ensemble, ce type de construction était idéal.

« Donc, nous allons — Quoi !? »

Alors que j’étais sur le point d’entrer dans la clinique, je m’étais tourné pour parler à Lorraine et Rina derrière moi, quand j’avais remarqué que Rina était en feu. Le feu ne la consumait pas avec les flammes rouges habituelles, c’était plutôt une flamme bleu-blanc qui l’enveloppait doucement, comme une aura. De toute évidence, Rina ne se rendait pas compte qu’elle était en feu, et elle avait penché la tête alors que je la fixais, les yeux écarquillés.

Ça veut dire que Rina ne pouvait pas le voir ? Rien que ça m’avait permis de comprendre ce qui se passait. Ce n’était pas des flammes ordinaires. C’était le feu sacré. Et il n’y avait qu’une seule personne dans tout Maalt qui pouvait le manier.

Lorraine pouvait également voir les flammes, elle m’avait jeté un regard et avait soupiré d’exaspération. Il était clair que nous étions arrivés à la même conclusion.

Alors que nous jetons un coup d’œil autour de nous, une voix déçue déclara. « Hein !? C’est bizarre ! Tu n’es pas un vampire ? »

Un chasseur de vampires aux cheveux gris et aux yeux rouges, armés jusqu’aux dents, était sorti de derrière un coin et s’était dirigé vers nous. C’était Nive Maris. Elle avait manifestement survécu à la bataille, car son corps ne présentait aucune trace de blessure.

 

 

« C’est une sacrée salutation, Nive, » avais-je dit. « Tu n’aurais pas pu dire “bonjour” avant d’essayer ça ? »

Nive cherchait des vampires en utilisant le Feu Sacré. Comme je m’y attendais, Rina ne semblait pas affectée par le feu, mais il était tout de même choquant de voir l’un de mes compagnons se transformer soudainement en flammes bleu-blanc.

J’avais dit à Nive de me prévenir d’abord, mais elle avait secoué la tête et répondu nonchalamment. « Si je faisais ça, le vampire s’enfuirait. Je n’avais pas le choix. Je sais, c’est impoli de faire ça à l’improviste. Mais quand il s’agit du risque contre les bonnes manières, eh bien… »

J’avais compris ce qu’elle disait, mais j’étais encore irrité. Je ne pouvais pas dire si c’était parce qu’elle nous avait soupçonnés ou parce que je me sentais un peu coupable d’être, en fait, une sorte de monstre pseudovampire. En considérant les intérêts de l’humanité dans son ensemble, je devais admettre que Nive avait raison. Cependant…

« Je comprends ce que tu essaies de dire. Mais de toute façon, pourquoi es-tu ici ? En parlant de ça, c’est étrange de te voir sans Myullias. »

Nive n’avait pas une seule blessure sur elle, alors que faisait-elle dans une clinique de soins ? Pour ce qui est de Myullias, j’avais toujours pensé qu’elles étaient livrées en kit.

« Malgré tout, Dame Myullias est toujours une sainte, » expliqua Nive. « Elle se trouve actuellement à l’église de Lobelia, où elle fait un sermon pour réconforter les personnes touchées par le récent incident. De plus, puisqu’elle est techniquement une sainte, elle joue le rôle de guérisseuse, de purificatrice, etc. Je crains que nous ne soyons confrontées à une pluie soudaine. »

Nive avait pris soin d’inclure des petites remarques comme « techniquement une sainte » et la boutade sur la pluie — le genre de choses qui auraient énervé Myullias si elle avait été là — mais je devais admettre qu’elle avait raison. Je n’avais jamais vraiment vu Myullias agir comme une sainte. Je me doutais cependant qu’elle m’enverrait promener si je lui disais ça.

« Et, pourquoi es-tu ici ? » avais-je demandé à nouveau. « Tu ne l’as pas expliqué. »

« Ah, je te demande pardon. Il y a des aventuriers ici qui ont été capturés par des vampires, non ? Je suis venue vérifier s’ils sont toujours sous l’emprise du vampire. Si tu te souviens, j’étais un peu trop occupée pour vérifier à ce moment-là. Et puis, parfois, ils ont l’air bien à première vue, mais ils finissent par être captivés. C’est pourquoi je suis ici. »

***

Partie 4

Nive n’avait rien dit de scandaleux, et il y avait des histoires de gens qui détruisaient leur propre village même après le départ de la horde de vampires. Les chasseurs de vampires avaient omis de vérifier si l’un des villageois avait été transformé en vampire. Il était important de confirmer que les victimes supposées n’étaient pas secrètement captivées. Mais…

« Peux-tu éteindre ça maintenant ? » avais-je demandé à Nive en regardant Rina.

Avec une note de surprise, Nive dit. « Oh, c’est vrai. Je ne pensais pas que ce serait un problème si elle ne pouvait pas le voir, alors j’ai oublié. Je m’en excuse. »

Nive leva sa paume et fit un mouvement d’étouffement. Les flammes bleu-blanc qui entouraient Rina diminuèrent lentement jusqu’à ce qu’elles s’éteignent avec un bruit de souffle.

Bien qu’elle ne pouvait pas voir les flammes, Rina les avait entendues s’éteindre. « Qu’est-ce que c’était !? Qu’est-ce que c’était ! » demanda-t-elle, légèrement paniquée.

Il semble que le feu sacré ne l’ait pas vraiment affectée, donc je suppose que c’est bon.

« Alors qu’est-ce qui t’a fait suspecter Rina ? » demanda Lorraine à Nive.

« Parce qu’elle est avec Rentt, bien sûr. Je plaisante ! Ne me regardez pas comme ça. J’ai entendu dire que Rina était avec toi quand tu es sorti du nouveau donjon, alors j’ai pensé que tu l’avais sauvée après que le vampire l’ait enlevée. J’ai senti que je devais mettre le feu à tout ce qui était suspect. C’est un risque professionnel, j’en ai peur. »

Nive avait vraiment un nez aiguisé pour ce genre de choses. Ou peut-être qu’elle avait juste un remarquable réseau d’informations. Il se pourrait qu’elle ait simplement entendu des rumeurs, mais Nive avait toujours cette aura de vouloir fouiller dans nos affaires. Je soupçonnais que des aventuriers ou des habitants qui nous avaient vus quitter la maison en question avaient dit quelque chose. Étant donné que quatre individus étaient entrés et que cinq étaient ressortis, je suppose que cette suspicion était justifiée. Pourtant, la plupart des gens auraient considéré cela comme une légère bizarrerie.

La tête de Nive, par contre, était câblée pour penser, « Oh, hey, ça pourrait être un vampire ». Une partie de moi souhaitait que son processus de pensée soit plus normal, mais comme ses intuitions étaient étonnamment précises, je ne pouvais pas vraiment me plaindre.

Il y avait aussi une partie de moi qui voulait déclarer avec suffisance que deux d’entre nous étaient en fait des vampires. Il n’y avait cependant aucun moyen de le dire. Ils essaieraient probablement de me tuer — « ils » étant Nive, Laura et Isaac. Pour être honnête, j’étais effrayé à l’idée de ne pas avoir la moindre chance contre eux dans un combat.

Je pensais m’être un peu amélioré, mais tout le monde autour de moi était encore plus fort, y compris Lorraine. Même si ses capacités physiques étaient loin d’atteindre mon niveau, sa puissance de feu pure en tant que mage et sa capacité à se protéger avec des sorts comme un bouclier, elle était beaucoup plus forte. J’étais presque sûr qu’elle pouvait me battre sans subir la moindre égratignure. Je suppose que le chemin pour devenir un grand aventurier est encore long et difficile pour moi.

« Dans ce cas, peut-on considérer que tes soupçons sont levés ? » avais-je demandé à Nive. Si elle faisait cette déclaration ici, cela éviterait des problèmes plus tard.

« Oh, oui. Pas de problème du tout. Mes excuses, Mlle Rina. Voulez-vous que je vous dédommage ? Quand j’ai essayé avec Rentt, je lui ai payé vingt pièces de platine. »

« V-Vingt pièces de platine !? C’est… Quoi ? »

Rina m’avait regardé comme si j’étais une sorte de voleur ou d’escroc, mais je n’avais rien demandé.

« Rina, que ce soit clair, je n’ai jamais exigé cette somme. Nive a juste continué à empiler les pièces. »

Elle avait augmenté le nombre de pièces si rapidement que j’avais l’impression qu’elle essayait littéralement de me noyer dans une mer de pièces. Techniquement, elle m’avait acheté les matériaux de tarasque, donc ce n’était pas comme si elle m’avait simplement donné les pièces. Malgré tout, c’était une somme ridicule.

« Allez-vous demander un paiement, Mlle Rina ? » demande Nive.

Rina secoua la tête. « Non. Je veux dire, est-ce que vous m’avez fait quelque chose qui nécessite une restitution ? »

Oh, c’est vrai. Je ne l’avais pas encore expliqué à Rina. C’était la faute de Nive, alors j’avais regardé Nive attentivement. D’ailleurs, je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’elle était extrêmement belle. Avait-elle vraiment besoin de cette beauté ? C’était un mystère.

Finalement, Nive laissa échapper un soupir, comme si elle avait perdu le concours de regard. « Sans entrer dans les détails, j’ai testé pour voir si vous étiez devenue une vampire, Mlle Rina. »

« Oh. Je m’en doutais en écoutant la conversation, mais comment ? Je n’ai rien ressenti. »

« Pour faire simple, je vous ai mis le feu. Comme ça. »

Nive avait dirigé un jet de feu sacré vers moi. Elle le faisait assez lentement pour que je puisse l’éviter si je le voulais, probablement parce que je m’étais plaint qu’elle le lançait sortie de nulle part. Je suppose que dans son livre, ce n’était pas « sorti de nulle part » si c’était assez lent pour que je puisse l’éviter. C’était une drôle de logique. De toute façon, le feu sacré n’allait rien me faire, donc ce n’était pas un problème s’il me touchait.

Le feu sacré m’avait frappé et enveloppé, comme si mon corps entier était en feu.

Rina s’était mise à crier : « Tu es en feu ! De l’eau ! Nous avons besoin d’eau ! »

« Non, il ne fait pas chaud du tout, donc c’est bon. Je veux dire, tu étais comme ça jusqu’à il y a peu de temps. »

« Hein !? Quoiiiiiiii !? »

« C’est une flamme spéciale créée par la divinité, » expliqua Nive. « Les gens ordinaires ne souffriront d’aucune blessure ou brûlure en la touchant. Cependant, les vampires trouvent la chaleur insupportable, et elle les brûle également. À moins d’être des vampires extrêmement faibles, ils ne mourront pas de ces flammes, mais… Ce n’est pas important. L’important, c’est qu’en mettant le feu à quelqu’un avec ça, je peux savoir en un clin d’œil si c’est un vampire. »

« En un coup d’œil ? Ah… »

Rina avait l’air de vouloir faire un commentaire sur cette partie. J’avais compris ce qu’elle voulait dire, qu’il y avait une personne de type vampire ici. Elle voulait peut-être même ajouter qu’elle était pareille. Mais elle ne pouvait pas le dire, alors elle avait dit à demi-mot : « Je vois, » comme si elle lisait sur une carte.

Fais au moins plus d’efforts ! pensais-je.

 

◆◇◆◇◆

« Raiz, Lola ! Allez-vous bien ? »

Une fois que nous étions entrés dans la clinique, un employé nous avait conduits à l’une des salles de traitement. Dès que Rina les avait aperçus, elle les avait appelés en courant. Je m’étais demandé pendant un moment si elle n’était pas trop bruyante, craignant de déranger les autres patients, mais alors qu’il y avait plusieurs lits dans la salle, seuls deux étaient occupés.

« Oh, Rina ! » Raiz s’était exclamé. « Nous allons bien, mais nous étions inquiets pour toi quand nous avons perdu le contact. »

« Où étais-tu ? Je craignais que nous t’ayons causé des ennuis en disparaissant soudainement, » ajouta Lola.

 

 

Les vampires les avaient enlevés alors qu’ils étaient séparés de Rina, ils ne savaient donc pas qu’elle avait également été kidnappée et qu’elle était en bien plus grand danger qu’eux.

« C’est ma réplique ! Mais je suis contente que vous alliez bien. Si vous ne pouviez pas me joindre, c’est parce que le vampire m’avait aussi enlevée. Ces deux-là, Rentt et Mlle Lorraine, m’ont sauvée. »

Nive n’était pas présente lorsque nous avions sauvé Rina, elle n’avait donc pas participé à la présentation. Bien sûr, il y avait deux autres personnes qui avaient participé à ce sauvetage, mais comme elles n’étaient pas là, Rina avait dû décider d’en faire abstraction pour le moment. Elle avait probablement aussi considéré qu’il serait gênant que Nive commence à s’intéresser aux détails. Au moins, j’étais sûr que Rina avait compris que Nive était la pire ennemie d’un vampire. Le problème était que Rina n’était pas une très bonne actrice. Mais comme elle n’était pas en train de jouer pour le moment, j’espérais que tout irait bien.

« Rentt ? Oh ! Rentt ! Vous avez sauvé Rina ? » demanda Raiz.

« Monsieur Rentt, merci beaucoup, » ajouta Lola. « Non seulement vous nous avez sauvés, mais vous avez aussi sauvé Rina. »

Ils étaient surpris de me voir ici, mais ils n’étaient pas particulièrement surpris que j’aie sauvé Rina. Ils savaient que je m’occupais des vampires. Cependant, je ne pouvais pas prendre trop de crédit. C’est Nive qui avait fait le plus pendant ce combat. Quant à Rina, son sauvetage était dû aux efforts de personnes autres que moi.

« C’est arrivé comme ça, et je n’ai pas fait grand-chose, » avais-je dit. « Pas besoin de me remercier. En tout cas, je suis content que vous alliez bien tous les trois. Alors, vous vous souvenez de Lorraine ? Elle était là quand nous vous avons secourus tous les deux. C’est mon… amie. J’espère que vous vous entendrez avec elle. »

Lorraine s’avança. « Je m’appelle Lorraine. Je n’ai pas eu le temps de me présenter dans le donjon de la Nouvelle Lune, mais Rentt m’a beaucoup parlé de vous deux. Quant à moi, je suis une érudite et une mage. Je suis aussi une aventurière de classe Argent. C’est un plaisir de vous rencontrer. » Elle leur avait ensuite tendu la main.

Raiz fixa Lorraine, les yeux écarquillés par la révélation qu’elle était une aventurière de classe Argent. Lola, elle, avait examiné le visage et le corps de Lorraine avant de jeter un coup d’œil sur le sien. J’avais une assez bonne idée de ce qu’elle pensait.

« Oh, un mage ? Et de classe Argent en plus ? Wôw ! Hum, j’aimerais bien être un aventurier de classe Argent un jour ! Je suis encore de classe Bronze, mais… avez-vous des conseils pour atteindre plus vite la classe Argent !? »

Raiz agissait clairement différemment quand il interagissait avec moi. En serrant la main de Lorraine, il lui avait parlé avec respect. C’était fondamentalement un culte du héros. Est-ce que je manquais à ce point de sérieux ? Je portais un masque étrange et une robe louche… Ouais, je n’en avais pas. J’avais juste l’air effrayant.

***

Partie 5

Lorraine sourit doucement à Raiz en se tournant pour serrer la main de Lola. « J’ai bien peur de ne pas avoir beaucoup de conseils à donner à ce sujet. Je n’ai pas atteint la classe Argent grâce à un quelconque effort de ma part. Je me suis simplement qualifiée pour cette classe alors que je poursuivais mes études. Mes capacités ont été testées, mais c’est à peu près tout. Si vous voulez apprendre comment devenir un aventurier de classe Argent ou plus, alors je crois qu’elle serait une meilleure professeur. »

Lorraine avait fait un geste vers Nive, qui observait Raiz et Lola depuis le fond de la pièce.

Alors qu’une partie de moi trouvait que cela ne correspondait pas au caractère de Nive d’être si réservée et tactueuse, c’était naturel étant donné ce pour quoi elle était ici. Elle essayait probablement d’observer Raiz et Lola à leur insu. Nive était la harceleuse d’un harceleur, le genre qui m’avait examiné de près à mon insu. Elle se fâcherait cependant si je disais ça.

Si mon impression de Nive était qu’elle était plutôt tendue lorsqu’il s’agissait de vampires, elle était calme et indulgente dans toutes les autres situations. Pour cette raison, malgré toutes les choses que je n’aimais pas chez elle, je ne pouvais pas me résoudre à la chasser.

« Oui, oui, un plaisir de vous rencontrer pour la première fois, » dit Nive. « Enfin, pas exactement. Mais puisque c’est la première fois que nous nous présentons, je m’appelle Nive Maris. Je suis une aventurière, et malgré les apparences, je suis de classe Or. Je suis ravie de vous rencontrer tous les deux. »

Nive avait semblé enjouée, mais son sourire n’atteignait pas ses yeux. Ce serait difficile à voir, cependant, à moins d’avoir traversé un bon nombre de situations mortelles. Mais elle était plutôt douée pour cacher ses intentions. Pour preuve, ni Raiz ni Lola ne semblaient se douter de quoi que ce soit à son sujet. Raiz était encore plus excité en entendant « Classe Or », tandis que Lola semblait avoir pris la beauté excessive de Nive comme un nouveau coup à sa confiance en elle.

Au moins, ils l’avaient reconnue du donjon. C’est logique. Il n’était pas exagéré de dire que Nive les avait sauvés tous les deux. Mais comme son comportement actuel était tellement différent de celui qu’elle avait lorsqu’elle combattait les vampires, il leur avait fallu un moment pour réaliser qu’elle était la même personne.

« C’est vous qui avez combattu ces deux vampires ? » demanda Raiz. « Et aussi, classe Or !? Sainte… À votre âge !? Et vous êtes une fille en plus ! »

Le commentaire de Raiz pouvait sembler sexiste, mais il ne l’avait pas voulu ainsi. La force physique était importante pour un aventurier. Même si les sorts et les techniques spirituelles pouvaient améliorer vos capacités physiques, en termes de force de base, les hommes étaient plus forts que les femmes. C’est pourquoi il y avait plus d’hommes que de femmes dans les rangs supérieurs de la communauté des aventuriers. Au moins dans la guilde, les aventurières étaient souvent considérées comme une classe inférieure aux aventuriers masculins.

En réalité, il n’était pas rare de voir un aventurier masculin se faire botter le cul parce qu’il avait sous-estimé une aventurière accomplie. Les aventuriers intelligents ou même simplement expérimentés ne se jugeaient jamais en fonction de leur sexe. Cependant, les débutants se basaient généralement sur les opinions sociales qu’ils avaient acquises avant de devenir aventuriers. Leur supposition que les femmes sont physiquement plus faibles que les hommes les avaient souvent freinés. Jusqu’à ce qu’ils apprennent à se débarrasser de leurs préjugés, ils commettaient une myriade d’erreurs.

Je ne pense pas que Raiz rentrait dans l’une ou l’autre des catégories. Il avait probablement juste cherché un moyen de complimenter Nive pour ses accomplissements. De plus, il était le seul homme de son groupe. Il ne serait pas dans un groupe composé principalement de femmes s’il pensait qu’elles étaient inférieures en tant qu’aventuriers.

« Je ne peux pas dire que je suis si jeune que ça, » répondit Nive, « mais j’ai fait beaucoup d’efforts. J’ai travaillé longtemps en tant que chasseur de vampires et j’ai progressivement développé mes capacités grâce à l’expérience. »

 

◆◇◆◇◆

« Oui. Chasser des vampires n’a pas l’air facile, » murmura Raiz pour lui-même. Ses épaules s’étaient affaissées.

Sa réaction était facile à comprendre. Demander à des aventuriers de classe Bronze fraîchement promus de chasser des vampires était presque aussi mauvais que de leur demander de chasser des dragons. Les deux options étaient hors de portée. Bien que mes critères aient été faussés parce que Nive donnait l’impression que c’était facile, la chasse aux vampires était un travail dangereux que même les aventuriers de haut niveau abordaient avec prudence. Ce n’était pas quelque chose qu’un aventurier ordinaire pouvait entreprendre avec désinvolture.

De plus, les vampires étaient extrêmement doués pour cacher leur existence, et il était pratiquement impossible de les retrouver une fois qu’ils s’étaient perdus dans la foule. Même si vous pouviez les affronter, un petit vampire était au moins égal à un aventurier moyen de classe Argent. De plus, ils peuvent constamment créer des thralls s’ils étaient laissés tranquilles. En supposant que vous ayez la chance d’en trouver un, ils pouvaient réduire un village ou une ville en un paysage d’enfer chaotique si vous ne les approchiez pas avec la bonne tactique. Il s’agissait d’une cible très difficile à atteindre, et les aventuriers de classe inférieure ne peuvent pas la chasser sur un coup de tête.

Nive n’avait pu le faire que parce qu’elle avait la capacité de repérer les vampires. De plus, elle comprenait mieux les vampires que n’importe quelle autre personne vivante. Elle avait une ténacité de terrier et un esprit analytique pour soutenir sa chasse obsessionnelle. Peu d’aventuriers débutants avaient cette combinaison de traits, d’où la déception de Raiz.

« Raiz, ce n’est pas comme si tu devais te précipiter et te mettre en danger, » dit Lola, le rassurant. « Nous devrions juste être patients et monter une marche après l’autre. Tu te souviens de ce que Monsieur Rentt nous a dit ? »

J’avais vraiment dit ça ? J’avais peut-être dit quelque chose au cours d’une conversation informelle, mais je ne m’en souvenais pas. Si je l’avais fait, je ne l’aurais pas dit de façon désinvolte. C’est vraiment ce que je ressentais. Après tout, j’avais passé dix ans à gravir lentement mais sûrement les échelons.

Même si j’étais devenu plus fort grâce à des événements étranges et uniques, l’effort constant était le moyen le plus efficace de s’améliorer. Ce serait différent si vous aviez un talent ou une capacité extraordinaire, mais si vous attendiez vaguement que le talent vous donne un coup de pouce, vous pourriez très bien terminer votre carrière sans arriver là où vous vouliez être.

« Hrm, une bonne observation. Je suis tout à fait d’accord, Rentt, » dit Nive, me félicitant de manière inattendue. « Bien sûr, si tu pouvais chasser les vampires, tu ferais quelque chose de grand pour le monde et pour l’humanité dans son ensemble. Mais les vampires sont mes proies, alors peut-être vaut-il mieux que tu acquières de l’expérience d’une autre manière. Trouve un travail qui correspond à ton niveau de compétence et accomplis-le régulièrement. Répète-le ainsi. Cela manque certainement de panache, mais c’est le meilleur moyen de devenir un aventurier complet et compétent. Le plus grand obstacle pour un nouvel aventurier est la confiance exagérée et le désir de gloire. La plus grande priorité est de surmonter ces choses. »

Nive m’avait offert de très bons conseils. J’étais habitué à ce qu’elle agisse comme si elle avait quelques vis en moins. Je pouvais dire que Lorraine pensait la même chose en voyant son expression lorsqu’elle étudiait Nive. En même temps, il y avait aussi un soupçon d’admiration, comme si Lorraine était impressionnée que Nive soit une aventurière de haut rang.

Raiz et Lola semblaient profondément émus par les paroles de Nive.

« Je vois. Donc ce que Rentt a dit était vrai. Faisons le travail et continuons d’essayer, Lola. »

« Mm-hmm. Ne vous poussez pas trop fort. »

Lola regardait Nive comme si elle était reconnaissante pour ce que Nive avait dit. Je suppose que Raiz avait tendance à aller trop loin. Lola avait dû être soulagée d’entendre un conseil qui pourrait freiner le pire de l’impulsivité de Raiz.

Nive continua. « Ce qui m’amène à mon propos. Je veux que vous deux continuiez à grandir en tant que prochaine génération d’aventuriers. Cependant, il y a quelque chose que je veux confirmer. »

Nive était sur le point d’expliquer ce qu’elle allait faire. C’était inattendu. Peut-être était-ce parce que les deux semblaient inconscients, au mieux. Il y avait une possibilité qu’ils deviennent des vampires avec le temps, mais pour l’instant, on ne pouvait pas savoir. Aucun des deux n’avait réalisé qu’ils pourraient finir par devenir des vampires. S’ils étaient devenus des vampires et qu’ils en étaient conscients, ils auraient fui. Mais comme ils n’en avaient aucune idée… Eh bien, au moins Nive était cohérente.

« Confirmer ? Que voulez-vous confirmer ? » demanda Raiz.

« Que vous deux n’êtes pas devenus des vampires. Vous avez été enlevés par des vampires, non ? Il y a une petite chance que vous ayez été captivés pendant le processus. Je voudrais lever tout doute. »

Nive souriait, et d’après les apparences, elle était polie. Cependant, les émotions qui se reflétaient dans ses iris rouges étaient tout autres.

Je ne voudrais pas être le sujet de ce regard, mais il semblait que Raiz et Lola ne sentaient rien d’anormal. C’est une bonne chose. Ils auraient voulu s’enfuir s’ils avaient pu sentir l’hostilité voilée de Nive.

Ni Raiz ni Lola n’étaient conscients du poids de leur situation, et ils avaient échangé des regards avant de répondre sans artifice.

« C’est bon. Lola est d’accord avec ça aussi, non ? »

« Ouais. Tant que ça ne fait pas mal. »

Nive tendit la paume de sa main et invoqua une flamme bleu-blanc. « Ça ne fera pas de mal s’il n’y a pas de problème. Puisque vous êtes d’accord, pardonnez-moi. »

Une boule de feu de la taille d’une tête humaine dansait au sommet de sa paume. Raiz et Lola avaient regardé Nive avec curiosité alors qu’elle tournait sa paume vers le haut. Les flammes bleu-blanc les avaient engloutis, comme pour les consumer, mais aucun d’eux n’avait réagi. Ils avaient senti que quelque chose était peut-être différent et avaient incliné la tête avec curiosité, mais cela s’était arrêté là. Ils n’avaient pas mal et ne brûlaient pas, donc tout allait bien.

Nive avait l’air un peu découragée, mais il semblait qu’elle avait pensé que la possibilité était faible au départ. Elle hocha la tête, puis tourna à nouveau sa paume vers le couple, faisant signe de la main d’éteindre les flammes. Les flammes laissèrent échapper un doux grésillement alors qu’elles s’éteignaient.

« Merci beaucoup, » dit Nive à Raiz et Lola. « Il n’y avait pas de problème particulier. Vous deux devriez être à l’abri de toute influence vampirique supplémentaire. » Elle leur avait adressé un sourire doux et serein.

***

Partie 6

« Tu n’as pas besoin d’avoir l’air si déçu, » avais-je dit à Nive.

Elle se tourna vers moi et haussa les épaules. « Je vis pour chasser les vampires, tu sais. Bien sûr, je serais contrariée si je pensais être sur le point d’en tuer, pour finalement ne rien avoir. Non pas que je veuille que les gens se transforment en vampires. C’est vraiment mieux qu’ils ne le fassent pas. »

La dernière remarque de Nive était étonnamment rationnelle. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’elle n’était pas aussi mauvaise que les gens le disaient. C’est juste qu’elle avait une obsession anormale de tuer des vampires.

Actuellement, Nive, Lorraine et moi étions à l’extérieur de la chambre de Raiz et Lola à la clinique. Rina était à l’intérieur avec les membres de son groupe. Nous nous étions dit qu’ils avaient beaucoup de choses à rattraper, alors nous étions sortis. Ils devaient aussi discuter de ce qu’ils allaient faire à partir de maintenant. La présence d’étrangers rendrait les choses un peu plus gênantes.

Lorraine et moi nous demandions s’ils allaient aborder l’état actuel de Rina. Je connaissais assez bien les personnalités de Raiz et de Lola grâce à mes interactions avec eux pendant l’examen d’ascension de la classe Bronze, mais même à ce moment-là, je supposais que Rina omettrait de dire qu’elle était maintenant un monstre. Il serait peut-être bon de leur révéler le secret à un moment donné. Mais pour l’instant, c’était un fardeau trop lourd à porter pour une paire d’aventuriers de classe Bronze.

Raiz et Lola étaient aussi assez jeunes pour que je préfère qu’ils aiment encore l’aventure. Peut-être serait-il préférable d’attendre qu’ils soient aussi blasés que moi. Non, ça pourrait être pire en fait. Ils pourraient divulguer l’information à quelqu’un pour de l’argent. En tout cas, c’est ce que je ferais.

« Oh, en parlant de vampires, » interrompit Lorraine en s’adressant à Nive, « As-tu tué celui que tu as croisé dans le donjon de la Nouvelle Lune ? »

Oh ouais, nous n’avions pas pris la peine de demander à Nive à ce sujet.

« Oui, j’ai fait en sorte de le tuer. Comme je voulais lui poser beaucoup de questions, j’ai arrêté mes attaques pendant qu’il pouvait encore répondre, mais je dois le reconnaître à l’ennemi. Il a choisi la mort et s’est transformé en cendres. En gros, je n’ai rien pu en tirer. C’est dommage. C’est pourquoi j’avais placé mes espoirs dans le boss de Maalt, mais ce mur… C’était une terrible déception. » Ses épaules s’étaient affaissées dans une rare démonstration de tristesse.

Je pouvais comprendre comment ça pouvait être horrible pour quelqu’un dans la position de Nive. Elle avait passé beaucoup de temps et d’argent à se préparer à l’apparition du vampire, pour que ce soit nous qui l’emportions à la fin. Je doute que Nive se soit souciée du mérite, mais puisqu’elle voulait tant tuer des vampires, ça aurait pu être la même chose.

« Je ne peux que m’excuser sur ce point. Nous n’avons pas trouvé grand-chose non plus, » avais-je répondu.

Ce n’était pas vraiment un mensonge. Nous savions que Shumini avait créé un donjon et essayé d’en devenir le maître, mais nous ne savions pas pourquoi il s’était donné la peine de le faire. Y avait-il un avantage particulier à être un maître de donjon ? Ou y avait-il une autre raison ? Il n’y avait aucun moyen de le savoir. Nous pourrions demander à Laura, mais elle était en train de se reposer. Nous n’avions aucune idée de quand elle se réveillerait. Les nobles dames, après tout, apprécient leur sommeil.

« Non, ce n’est pas ta faute, Monsieur Rentt, » dit Nive en secouant la tête. « J’ai simplement mal évalué la situation. J’aurais dû laisser le donjon de la Nouvelle Lune tel qu’il était et me diriger directement vers Maalt. Cependant, si je l’avais fait, des aventuriers comme Raiz et Lola auraient été des victimes. Je n’ai pas pu tuer le chef vampire, mais tu l’as eu à la fin, Monsieur Rentt. C’était probablement mieux ainsi, donc je n’ai pas à me plaindre à ce sujet. Mais je regrette de ne pas avoir pu les tuer moi-même. »

« Peut-être la prochaine fois, » avais-je dit. « Mais j’espère qu’il n’y aura pas de prochaine fois. »

J’avais dit ça en plaisantant, mais Nive avait hoché la tête sérieusement et avait ajouté. « Oui, personne ne devrait être entraîné dans les machinations d’un vampire une seconde fois. Cependant, cette ville devrait se porter bien pendant un certain temps. »

Je m’étais demandé comment elle pouvait en être aussi sûre. J’avais incliné la tête vers elle d’un air interrogateur.

Nive avait compris mon scepticisme et m’avait expliqué. « C’est une chose si c’est juste un vampire moyen, mais quand un grand vampire meurt quelque part, les autres vampires ont tendance à éviter cet endroit. Ils ont sans doute une sorte de réseau de communication. Normalement, on pourrait penser qu’ils veulent se venger des humains qui ont tué leurs proches, mais ils sont plus intelligents que ça. C’est en partie ce qui fait d’eux des proies si difficiles. Et c’est aussi pourquoi ils ont été capables de se cacher dans l’obscurité aussi longtemps qu’ils l’ont fait et de survivre. Donc, pour le moment en tout cas, cette ville est sûre. »

C’est donc ce qu’elle voulait dire. Shumini était un grand vampire, donc si Nive avait raison, les vampires ne reviendraient pas à Maalt de sitôt. Néanmoins, il fallait être prudent. Mais Wolf pouvait gérer ces détails, donc ce n’était pas quelque chose dont je devais m’inquiéter.

« Cela signifie-t-il que tu vas quitter Maalt, Nive ? » avais-je demandé.

Elle vivait essentiellement pour tuer des vampires, donc j’avais supposé qu’elle ne resterait pas dans les parages quand il y avait peu de chances d’en rencontrer un. Je ne voulais pas dire que je voulais qu’elle quitte la ville… pas vraiment.

En dehors de son obsession pour les vampires, Nive était une aventurière extrêmement compétente. Je me sentais coupable de lui cacher des choses. Ce serait mieux si elle n’était plus là, mais c’était juste à cause de mes circonstances personnelles. Pour les Maaltesians, Nive était utile.

Cependant, Nive avait répondu. « Je pense qu’il est temps de partir. Je suis intriguée par ce nouveau donjon, mais la plupart des questions sur ce genre de choses restent sans réponse. Je ne suis pas un expert, et ce n’est pas en l’examinant que je vais en apprendre plus sur les vampires. J’ai l’intention de quitter discrètement la ville avant que les gens de l’Académie et de la Tour ne commencent à affluer. »

 

◆◇◆◇◆

« Je suis désolé d’entendre ça, » avais-je dit. « J’espérais que tu resterais un peu plus longtemps et que tu te ferais un nom ici à Maalt. »

Quand j’avais dit cela, Nive m’avait regardé fixement dans les yeux, avait soupiré et avait haussé les épaules. « Ce n’est pas un mensonge total, mais ce n’est pas ce que tu ressens vraiment, Monsieur Rentt. Mais ce n’est pas grave. Je suis une femme occupée. Il y a encore beaucoup de vampires à tuer. Je ne te manquerai pas trop quand je partirai. Bien que, je suppose que les choses seraient différentes si tu es réellement un vampire… »

Nive s’était rapprochée de moi, s’arrêtant avec son visage à quelques centimètres du mien, et avait secoué la tête. « C’est vraiment étrange. Pourquoi n’es-tu pas un vampire, Monsieur Rentt ? »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? » avais-je demandé.

« Exactement ce à quoi ça ressemble. Je sais que nous avons réglé ça il y a longtemps, mais j’étais convaincue que tu en étais un, Monsieur Rentt. »

« C’était à cause de mes activités suspectes et autres, n’est-ce pas ? »

« C’était une partie du problème. Mais au final, c’était l’intuition. Pas la raison, pas le feu sacré, mais mon intuition. Elle ne m’a jamais fait défaut auparavant. Jusqu’à ce que je te rencontre, bien sûr. C’est pourquoi, Monsieur Rentt, je t’ai toujours à l’œil. »

Elle avait commencé à se rapprocher encore plus. La porte de la clinique s’était ouverte et Rina avait sorti sa tête. Elle nous avait regardés, Nive et moi. Le temps s’était arrêté pendant un instant.

 

 

« Hein ? Rentt, toi et Mlle Nive êtes… ensemble !? M-M-Mlle Lorraine ! Êtes-vous d’accord avec ça !? » déclara Rina en criant. Elle avait saisi Lorraine par les épaules et commença à la secouer d’avant en arrière.

L’expression de Lorraine était difficile à décrire alors qu’elle laissait Rina la secouer. « Bien, ou pas… Je ne pense pas… c’est ce que tu penses… C’est… »

« Alors qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’un homme et une femme peuvent faire d’autre si près l’un de l’autre ? À part, tu sais, le B-B-B — »

« B ? »

« Par exemple… un baiser. »

« Hmm. Je ne sais pas. Le feront-ils ? Rina, on va voir s’ils le feront, » dit Lorraine d’un ton taquin.

Nive se tourna vers moi. « Hm, allons-y, Monsieur Rentt ? Je n’y vois pas d’inconvénient. »

« Mais moi oui. Recule, s’il te plaît. »

J’avais pris Nive par les épaules et l’avais repoussée. Je ne savais pas si elle plaisantait ou non, mais elle avait légèrement plissé les lèvres, ce qui était d’autant plus troublant. J’avais l’impression que si elle m’embrassait, elle allait aspirer toute la vie en moi. Sérieusement. Je veux dire, je devrais être celui qui fait la succion, mais… Je ne peux même pas imaginer lui faire ça.

Pour une raison inconnue, Rina avait eu l’air déçu, tandis que Lorraine gloussait.

« Allez, ne me fais pas ça, Lorraine, » l’avais-je suppliée.

Elle avait répondu en plaisantant, « Oh, mais c’était divertissant. Rina en sait plus sur ces choses que je ne le pensais. As-tu été déçue ? » avait-elle demandé à Rina.

Rina avait rougi et avait balbutié : « Rien de tout cela ! Hum, donc vous deux… n’êtes pas dans une relation comme ça ? »

Si l’on considérait que Rina continuait de poser cette question, elle en savait vraiment plus sur le sujet que je ne le pensais. Ça ou elle était juste très curieuse.

« Cela ne me dérangerait certainement pas si c’était le cas, » ronronna Nive.

« S’il te plaît, arrête. C’est difficile de dire quand tu plaisantes, et ça me fout la trouille. »

« Tu n’as vraiment pas le sens de l’humour, n’est-ce pas, Monsieur Rentt ? » déclara Nive en secouant la tête. « Je vais arrêter maintenant. Il y a trop de gens qui m’en voudraient si je poussais les choses plus loin. Mademoiselle Rina, vous nous avez surpris par hasard au moment où je me suis rapprochée de lui. Il n’y a rien d’autre à dire. »

« Oh, je vois… »

Encore une fois, je m’étais demandé pourquoi Rina était si déçue. Si Nive et moi étions un jour dans ce genre de relation, les émotions conflictuelles seraient le dernier de nos problèmes. Nous étions simplement trop différents. Du moins, c’est ce que je ressentais. Cependant, je ne pouvais pas vraiment le dire avec précision. Appelons ça mon intuition.

« D’ailleurs, si nous étions dans ce genre de relation, » poursuit Nive, « nous ne le ferions pas en public. Nous le ferions discrètement et en privé. Même s’embrasser devant Mlle Lorraine serait exagéré. »

« Oh, c’est logique. Mais j’ai entendu dire que certaines personnes aimaient ce genre de choses, » se dit Rina.

« Mlle Rina, vous ne jouez pas l’idiote, n’est-ce pas ? Je commence à croire que c’est le cas ici. »

« Non, non, non ! Ce n’est pas vrai ! Du tout ! »

Je suppose que Nive et Rina avaient des personnalités compatibles parce qu’elles s’entendaient bien en ce moment. C’est juste moi, ou Nive était en fait sur la défensive ici ? C’était inattendu.

Laissant les deux femmes à leur badinage, Lorraine s’était approchée de moi. « Et qu’est-ce que tu as ressenti en fait ? C’est peut-être une chasseuse de vampires folle et obsédée, mais c’est une beauté de classe mondiale. Es-tu sûr que tu n’étais pas heureux que son visage soit si proche du tien ? »

Lorraine avait plaisanté, mais j’avais immédiatement secoué la tête. « J’ai plutôt eu l’impression qu’un dragon s’approchait de moi pour m’attaquer avec son souffle. »

« Oh, ah, mes condoléances. »

« D’ailleurs, je ne me sens pas très bien dans ce domaine en ce moment. Cependant, je ne dirai rien du tout. »

Nous avions échangé des mots dans un murmure. Cependant, nous nous étions assurés de rester suffisamment vagues pour que cela n’ait pas d’importance si Nive nous entendait.

« Ah, oui, c’est vrai, » avait convenu Lorraine. « C’est intéressant que Rina soit si fascinée par le sujet. »

Lorraine avait raison. Comme Rina était une pseudo-vampire comme moi, j’avais supposé que ses émotions et ses désirs étaient plus modérés. Était-ce parce qu’elle venait juste de devenir une vampire ? Ou parce que Shumini avait essayé de la transformer dans l’intention expresse d’en faire sa compagne ? Dans mon cas, j’avais commencé comme un squelette. Peut-être mes sentiments étaient-ils moins intenses parce que j’avais été coupé de tous mes désirs vivants et que j’en subissais encore les conséquences. Si c’est le cas, ces différents désirs pourraient revenir, même s’ils étaient quelque peu atténués.

« Peut-être qu’elle est juste à cet âge, » avait suggéré Lorraine. « Ses amis sont aussi “plus que des amis, moins que des amants”, tu te souviens ? »

« Raiza et Lola ? Je vois. »

Alors que nous poursuivions notre discussion, Nive et Rina avaient terminé leur conversation.

« Bien, je vais prendre congé. Je quitterai la ville demain, alors vous êtes plus que bienvenu pour venir me dire au revoir. Adieu. » Sur ce, Nive avait quitté la clinique.

Je ne la comprenais vraiment pas parfois. Vais-je aller la voir partir ? Ouais, j’avais vraiment hésité à y aller.

***

Chapitre 3 : Techniques vampiriques

Partie 1

« Tout s’est-il bien passé à la guilde ? » avait demandé Isaac alors que nous étions dans la cour.

Après avoir fait nos adieux à Nive, nous étions retournés au domaine de Latuule pour le moment. Nous n’avions encore appris aucune des techniques spéciales propres aux vampires. De plus, il serait plus facile pour Isaac de nous enseigner à tous les deux en même temps. Lorraine était libre de rentrer chez elle, mais elle avait insisté pour venir, faisant remarquer que c’était une occasion rare de voir des capacités vampiriques en action.

J’avais compris son point de vue. Nous avions vu des vampires utiliser ces capacités dans le donjon de la Nouvelle Lune, mais nous étions en pleine bataille. Ce n’est pas comme s’ils s’étaient arrêtés pour expliquer les mécanismes derrière ça. Nos connaissances étaient au mieux vagues.

En général, c’était ce que la plupart des gens savaient sur les vampires. Nive en savait certainement plus, mais elle était un peu trop bien informée. J’étais certain qu’elle était la plus proche de comprendre la vérité à leur sujet. Elle était un bon exemple de la façon dont, avec suffisamment de détermination, les humains pouvaient faire à peu près tout. Bien sûr, elle n’était pas très humaine. Elle serait cependant furieuse si elle m’entendait dire ça.

« Oui, il n’y a pas eu de problèmes majeurs, » avais-je répondu. « Je pensais qu’il y aurait beaucoup plus de questions, mais Wolf connaît déjà mon secret. Il a probablement pensé que je n’aurais plus rien à cacher à ce stade. De plus, tout ce qui se passe à Maalt en ce moment est sans précédent. Même s’il avait voulu en demander plus, il n’avait tout simplement pas assez d’informations pour pouvoir aller plus loin. »

Quelle était la probabilité que quelqu’un comprenne tout sans rien savoir des événements récents ? Elle devait être proche de zéro. Nous ne savions que parce que nous étions impliqués depuis le tout début. C’était juste le fruit du hasard.

Aussi affûté que soit Wolf, il lui faudrait une sorte de vision d’oracle pour relier les points. Il savait seulement que des thralls avaient attaqué la ville, que des vampires étaient apparus et qu’un nouveau donjon était soudainement apparu sous la ville.

« Je vois, » dit Isaac en hochant la tête. « Oui, même la guilde ne peut pas recueillir des informations sur des sujets dont elle ne connaît rien. De plus, Maître Wolf est un pragmatique. Il est plus susceptible de donner la priorité aux questions qu’il peut traiter. »

« Quand vous le dites comme ça… ouais. C’est comme ça que c’était. »

Wolf avait surtout parlé de la façon de gérer le nouveau donjon, de la façon dont les choses allaient changer à Maalt et de la façon dont la guilde allait faire face à ces évolutions. Pour lui, il était plus important de déterminer ce qu’il fallait faire à partir de maintenant plutôt que de s’attarder sur les détails ou la cause. C’était vraiment pragmatique. Sans doute aimerait-il tout savoir si c’était possible, mais même les chercheurs spécialisés ne connaissent pas tout des donjons. Nive, elle aussi, était prête à laisser les autres découvrir les détails. Ce n’était pas quelque chose qu’un maître de guilde pouvait découvrir simplement en faisant des efforts.

« Je pense que l’on peut dire que nous pouvons être tranquilles pour l’instant, » avait déclaré Lorraine. « Il pourrait y avoir des problèmes une fois que des aventuriers d’autres régions et des élites de la capitale viendront à Maalt, mais pour le moment, Rentt et Rina devraient en apprendre le plus possible sur leurs nouvelles capacités. Isaac, vous ferez des démonstrations de techniques vampiriques, oui ? »

Lorraine n’avait pas pu contenir son enthousiasme, et Isaac avait laissé échapper un petit rire sec. « Oui, c’était la promesse. Tout d’abord, commençons par ceci. »

Immédiatement après qu’Isaac ait fini de parler, son corps s’était éparpillé comme s’il avait explosé. Mais il n’avait pas vraiment explosé. J’avais regardé de plus près et j’avais pu voir que son corps s’était transformé en plusieurs animaux noirs de jais qui s’étaient ensuite envolés.

« La Division. Peut-être la capacité vampirique la plus remarquable, » dit Lorraine, intensément intéressée.

Le corps d’Isaac s’était divisé en plusieurs petites chauves-souris, et elles volaient dans la zone. Il semblait que toutes les chauves-souris avaient une masse, mais elles avaient l’air un peu floues, comme si elles allaient disparaître à tout moment. Lorsque j’avais voulu en toucher une, ma main l’avait traversée. J’avais l’impression d’avoir touché quelque chose, mais… c’était difficile à dire. C’était comme essayer de saisir du sable qui avait été projeté en l’air.

Rina et Lorraine essaient elles aussi de toucher les chauves-souris, mais elles ne parviennent pas à en attraper une. Rina semblait s’amuser à poursuivre les chauves-souris, et les yeux de Lorraine brillaient d’une joie enfantine. Il était pratiquement inédit de voir un vampire utiliser la Division et être autorisé à toucher les animaux divisés, sa réaction était donc compréhensible.

Après que les chauves-souris aient volé pendant un certain temps, elles s’étaient lentement rassemblées en un seul endroit et avaient commencé à former la silhouette d’un être humain. Puis, en un instant, les chauves-souris s’étaient mélangées et Isaac se tenait là une fois de plus.

« Comment était-ce ? Bien que je sache que Rentt et Lorraine aient déjà vu cela auparavant. »

« C’est quand même surprenant, » dit Lorraine en hochant la tête. « Cela m’a permis de mieux comprendre ce qui rend les vampires si dangereux. Sous cette forme, un mage n’a d’autre choix que de piéger tous les animaux dans une pièce fermée et d’essayer de les incinérer tous en même temps. »

Sa description semblait un peu effrayante, mais en général, les vampires étaient des ennemis. Il était logique qu’elle se concentre, avant tout, sur la façon de les combattre. Laura et Isaac étaient des exceptions plutôt que la règle.

« Même si vous le faisiez, la plupart des vampires peuvent se ranimer plusieurs fois, ce serait donc difficile. Les combats contre les vampires ont tendance à se transformer en batailles d’usure, » expliqua Isaac.

 

◆◇◆◇◆

« Cependant, c’est seulement si vous les combattez de manière conventionnelle. Il existe, en fait, d’autres méthodes, » déclara Isaac. Lorsque nous avions incliné la tête vers lui, il avait ajouté : « Par exemple, la divinité. Nous y sommes particulièrement faibles. Elle nous brûle, et si elle est imprégnée dans une arme, elle peut faire d’immenses dégâts. Mais ce n’est pas suffisant pour nous tuer. Tout au plus, elle ralentit le processus et diminue le nombre de fois où nous pouvons nous régénérer. »

En y repensant, Isaac n’avait pas aimé être près de l’arbre pseudo-saint que Lorraine avait créé. Bien qu’il ne soit pas très grand, la divinité s’en dégageait quand même. Cependant, Isaac l’avait laissé pousser dans la cour et n’avait pas cherché à s’en approcher. Il avait vraiment dû trouver ça désagréable. Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander pourquoi il ne l’avait pas simplement arrachée et jetée, mais je suppose que sa loyauté envers Laura était plus importante. Cependant, ce fut une grande découverte d’apprendre que l’on pouvait réduire le nombre de fois qu’un vampire pouvait se régénérer. Après tout, si on ne pouvait pas le faire, on se retrouvait dans une bataille sans fin.

Ça devait être ce que Nive faisait dans le donjon de la Nouvelle Lune. Nive était bien plus douée que moi pour utiliser la divinité, alors honnêtement, je ne pouvais pas dire quand elle l’utilisait. Son Feu sacré était évident, mais elle n’utilisait généralement pas la divinité de cette façon lorsqu’elle combattait des vampires. Étant donné que même moi, je pouvais cacher ma divinité dans une certaine mesure, il était impossible que Nive, avec sa plus grande expérience, ne puisse pas cacher la sienne. Ça doit être ça.

La raison pour laquelle les vampires avaient été si choqués pendant ce combat était qu’ils venaient d’apprendre qu’il y avait une limite à leur régénération, et que leurs réserves s’épuisaient plus vite que prévu. Tout cela était dû à la divinité de Nive. Le fait qu’elle les ait démoralisés et qu’elle ait brisé leur volonté sans le mentionner en disait long sur sa personnalité tordue.

Je suppose que c’était bien. Je savais déjà qu’elle avait une personnalité… problématique. Mais elle réservait généralement cela aux vampires. Elle n’était pas si mauvaise avec tous les autres.

« Y a-t-il quelque chose d’autre que la divinité qui fonctionne ? » demande Lorraine.

« Il y a ceci, par exemple. » Isaac avait soudainement sorti une épée de l’air.

Il avait seulement balancé son bras, mais… D’où cela venait-il ? Était-ce une sorte de tour de passe-passe ? Isaac était-il un magicien ? Non, ça ne peut pas être ça.

Pour être clair, un magicien est quelqu’un qui peut faire des exploits apparemment magiques sans utiliser la magie. Ils faisaient souvent des choses que la magie ne pouvait pas faire, en utilisant un tour de passe-passe ou un autre. Une fois que vous connaissiez les mécanismes derrière leurs tours, c’était souvent décevant. Mais comme c’était divertissant à regarder, il y avait pas mal de magiciens qui allaient de ville en ville comme amuseurs publics.

Bref, revenons à l’épée qu’Isaac venait de retirer.

« Est-ce… l’épée que vous avez utilisée contre Shumini ? Elle semblait beaucoup plus grande à l’époque. »

Isaac tenait une fine épée d’attaque, c’est pourquoi j’avais été pris au dépourvu. Mais quand Isaac avait saisi la poignée de toute sa force, la lame avait commencé à grandir jusqu’à ce qu’elle devienne la grande épée qu’il portait à l’époque. La lame elle-même était rouge.

Bon sang, c’est une épée qui a l’air cool. Mais qu’est-ce que c’est ? Une sorte d’épée magique ?

***

Partie 2

Je n’étais pas le seul à être curieux. Lorraine avait demandé : « Cette arme… Est-ce une épée magique ? J’ai vu des épées dont les lames s’agrandissent lorsqu’elles sont imprégnées de mana, mais… »

Oh, elles existent ? Eh bien, les forgerons ont créé diverses armes magiques par essais et erreurs. On pouvait probablement supposer que quelqu’un, quelque part, avait déjà réussi à fabriquer une épée avec toutes les propriétés que l’on pouvait imaginer. Reste à savoir si ces enchantements sont réellement efficaces.

En ce sens, l’épée d’Isaac n’était pas particulièrement inhabituelle. Mais ce qui avait attiré mon attention, c’est le fait qu’elle soit soudainement apparue dans la main d’Isaac. Était-ce l’un des enchantements ? Si oui, cela signifiait qu’il pouvait téléporter seulement une partie de l’arme. Je n’avais pas compris.

Isaac avait senti notre confusion et avait commencé à expliquer. « C’est une arme spéciale connue sous le nom de San Arms. C’est une lame de mana fabriquée par un forgeron vampirique. En utilisant le sang du manieur, celui-ci peut le stocker dans son corps. Avec cette arme, vous pouvez infliger des dégâts même à un vampire comme s’il s’agissait d’un humain ordinaire. »

San Arms. Il y avait des armes comme ça ? Puisqu’il l’avait appelé une lame de mana, ça devait être une sorte d’épée magique.

Une lame de mana et une épée magique étaient légèrement différentes. « Épée magique » était un terme général pour les armes enchantées par la magie, tandis qu’une lame de mana faisait référence à des armes particulièrement puissantes de ce type. J’étais sûr que Lorraine me dirait que j’étais imprécis et qu’il existait une définition plus technique, mais la plupart des aventuriers ne mettraient jamais la main sur une lame de mana. Elles n’étaient pas exactement un objet commun. De plus, elles pouvaient coûter des dizaines, voire des centaines de pièces de platine. Même moi, je ne pourrais pas en acheter une en ce moment.

Mon épée actuelle n’était qu’une épée magique. C’était une arme simple qui pouvait manipuler le mana, l’esprit et la divinité. Clope ne serait cependant pas d’accord avec cette description. C’était, sans aucun doute, une épée de qualité, alors s’en plaindre serait ingrat. De plus, si Clope avait les matériaux et l’argent, il pourrait très certainement fabriquer une lame de mana.

« Les forgerons vampiriques peuvent donc fabriquer des lames de mana, » murmura Lorraine, qui semblait surprise.

La plupart du temps, les lames de mana étaient des objets de donjon de haut niveau ou d’anciens artefacts qui avaient été découverts quelque part. Ou bien elles apparaissaient occasionnellement dans une vente aux enchères. Elles étaient extrêmement difficiles à fabriquer à partir de rien et presque impossibles à reproduire, je comprenais donc la surprise de Lorraine.

Isaac avait poursuivi : « Pour autant que je sache, il n’y a qu’un seul forgeron vampirique qui peut produire de telles armes, et personne ne peut copier ses techniques. Ce n’est pas quelque chose que les vampires dans leur ensemble peuvent produire. Ce seul individu est juste une exception exceptionnellement talentueuse. »

 

◆◇◆◇◆

« On s’est éloigné du sujet. Dois-je vous apprendre à utiliser la Division ? » dit Isaac avec désinvolture, comme s’il nous demandait de balancer un bâton. Quand il avait vu notre hésitation, il avait gloussé et avait dit, « Ce n’est pas si difficile, au moins pour les vampires moyens ou plus. Même les vampires inférieurs peuvent l’utiliser avec suffisamment d’effort, donc je pense que Mlle Rina peut aussi le faire. Le seul problème serait s’il s’avérait que vous êtes d’une race qui ne peut pas utiliser la Division. Cependant, nous ne le saurons qu’une fois que vous l’aurez essayé. »

Cette dernière partie ne me dérangeait pas, car il n’y avait rien que nous puissions faire si c’était le cas. Nous ne savions pas si Rina et moi étions une variation vampirique, une race extrêmement proche des vampires par nature, ou une race complètement différente. Nous étions les mêmes en ce sens que nous devions nous nourrir de sang humain, et nous avions des capacités de régénération qui rivalisaient avec celles des vampires. Nous étions probablement soit une variation, soit une race similaire qui pouvait utiliser des capacités similaires.

« Alors, comment ça marche ? » avais-je demandé à Isaac.

Contrairement à la magie, l’esprit et la divinité, vous ne pouviez pas essayer la Division sans connaître l’approche générale. C’était la même chose que de ne pas être capable de cuisiner des plats même basiques sans savoir comment utiliser un couteau et comment utiliser les différents assaisonnements. Lorraine avait une fois essayé de couper une pomme de terre avec un couteau de cuisine en utilisant ses deux mains. Elle avait réussi à la couper en deux, mais elle avait fendu la planche à découper en deux. Je suppose que tous les débutants passent par là, quel que soit le domaine.

« La première chose à travailler est la formation de l’image. Pensez à votre corps comme à une collection de quelque chose d’autre. Quant à savoir ce qu’est ce “quelque chose d’autre”, cela dépend de la personne. Dans mon cas, les chauves-souris étaient la chose la plus facile à imaginer, c’est pourquoi ma division ressemble à ça. »

Isaac avait utilisé la Division sur le bout de son doigt, qui s’était transformé en trois chauves-souris qui s’étaient envolées avant de revenir et de se reformer dans son doigt.

« Ah, donc il est possible de faire une division partielle ? » demande Lorraine.

« Dans tous les cas, la division partielle est la façon dont nous commençons. Il est plus difficile de l’utiliser sur votre corps entier. Puisque votre conscience et votre point de vue se dispersent dans plusieurs corps, il est difficile de rester concentré. Mais si vous ne divisez qu’une seule partie du corps, c’est comme si vous regardiez dans différentes directions en même temps. Il est beaucoup plus facile de s’acclimater à la sensation de cette façon. »

Même si je comprenais ce qu’il disait, j’avais l’impression d’être désorienté et peut-être même d’avoir le mal des transports. Mais peut-être que c’était similaire à ce que je ressentais lorsque je contrôlais le dirigeable miniature. Cela allait diviser mon point de vue en deux. Et ma conscience aussi ?

« C’est un peu effrayant d’y penser, » avais-je dit.

« Il n’y a pas grand-chose à craindre, » m’avait assuré Isaac. « Si un débutant s’y essayait seul, il pourrait se retrouver si dispersé que sa conscience s’évaporerait complètement et qu’il disparaîtrait, mais je suis ici en tant que manieur plus expérimenté. Si vous êtes en danger, je peux vous forcer à reprendre une seule forme. »

Ça a juste rendu le tout encore plus effrayant. Tu pourrais disparaître si tu échouais ? Je n’étais pas seulement hésitant maintenant.

Isaac avait vu que j’étais inquiet et avait ajouté : « Oh, pour ce qui est de vous ramener de force à une forme unique, je ne peux le faire que lorsque vous commencez, donc il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Une fois que vous aurez appris à contrôler votre propre Division, personne ne pourra interférer avec elle. »

Je n’étais pas inquiet à ce sujet, mais j’avais décidé de ne pas le dire à haute voix. Je savais que j’essayais juste de sauver un peu de dignité. Mais de toute façon, ce serait une compétence utile à apprendre. Même si c’était effrayant, je devais le faire. Il n’y avait aucune raison de se tourmenter pour ça.

« Bon, je suppose que je vais essayer. Qui doit y aller en premier ? Rina ou moi ? »

Isaac s’était arrêté un moment avant de dire : « Demandons à Mlle Rina d’essayer d’abord. Honnêtement, dans votre cas, Rentt, vos pouvoirs semblent être un peu instables, donc je ne peux pas dire ce qui pourrait arriver. »

« En effet, c’est vrai. Il y a eu l’incident avec le sort d’allumage, » dit Lorraine en accord.

J’avais utilisé un sort qui était censé produire une petite étincelle, mais j’avais créé une colonne de feu géante. C’était vraiment difficile de dire ce qui se passerait si j’essayais la Division. Pourtant, ma magie de l’eau était décente. Pourquoi mon sort d’allumage avait-il réagi de cette façon ? Je n’arrivais pas à le comprendre. Eh bien, c’était bien. Au moins, je pouvais faire ma propre eau potable. Je vais laisser Rina s’occuper de l’allumage des feux de camp à partir de maintenant. Si je le faisais, je finirais par être un pyromane plutôt qu’un campeur.

« Même si je déteste l’admettre, ça semble être la bonne décision. Ok, alors. Rina, tu es prête ? » avais-je demandé.

Rina avait hoché la tête avec enthousiasme. « Oui ! Je vais faire de mon mieux ! »

Il n’y avait pas d’inquiétude dans sa voix. Il semblait qu’elle avait beaucoup plus de culot que moi. Mais c’était vrai depuis le premier jour de notre rencontre. Rina avait insisté sur le fait que je pouvais aller en ville malgré mon apparence. C’était peut-être un peu imprudent d’agir ainsi, mais parfois les aventuriers avaient besoin de ce genre de courage. Bien sûr, le courage en excès pouvait très bien vous tuer. Rina était assez difficile à tuer maintenant, donc cela avait marché, tout bien considéré.

« Devrions-nous essayer, Mlle Rina ? » demande Isaac. Lorsqu’elle avait hoché la tête, il lui avait dit : « Essayez de faire ce que j’ai expliqué plus tôt. D’abord, considérez votre corps comme une collection de quelque chose d’autre. Ensuite, imaginez que le bout de votre doigt peut bouger tout seul. Puisque votre inconscient affecte également votre forme, ce qui apparaît du bout de votre doigt peut être différent de ce que vous avez imaginé, mais ne paniquez pas, et essayez simplement de traiter ce nouvel objet comme une partie de vous-même. »

Rina avait dû déployer les ailes de son imagination en écoutant Isaac. Elle avait fermé les yeux et s’était concentrée. Et, quelques instants plus tard, c'était arrivé.

***

Partie 3

Le contour du bout du doigt de Rina commença à vaciller, comme si la frontière entre son corps et le monde qui l’entourait commençait à se brouiller. Puis il se transforma en une brume noire, ressemblant de plus en plus à une ombre avant de s’éloigner soudainement.

La main entière de Rina avait disparu. L’objet qui s’était détaché avait commencé à tourner autour d’elle.

« Elle l’a fait, » déclara Isaac.

Rina avait réussi à effectuer une Division partielle, la toute première étape dans la maîtrise de l’art lui-même. Cependant, elle n’avait pas réagi aux mots d’Isaac. Ou plutôt, elle n’en était pas capable. Ses yeux fixaient le vide et la sueur s’écoulait de ses pores. Il semblerait que le maintien de la Division ait obligé toute son attention à être focalisé sur ça.

« Est-ce qu’elle va bien ? » avais-je demandé à Isaac.

« Tout le monde réagit comme ça au début, » avait-il répondu. « Il faut juste continuer à le faire et s’habituer à cette sensation. Pourtant, sa division est inhabituelle. »

Isaac avait regardé l’objet qui s’était détaché de Rina. Lorraine et moi nous étions également tournés pour regarder.

« Hm ? Est-ce un chat ? » demanda Lorraine en inclinant la tête.

Avec ses lignes gracieuses, sa longue queue et ses oreilles pointues, c’était sans aucun doute un chat. Quoi qu’il en soit, il ne ressemblait pas à un vrai chat, mais à l’ombre d’un chat devenu vivant. Si c’était un vrai chat, il aurait eu des yeux qui brillaient dans le noir et une langue rose qui sortait de sa bouche. Ce chat n’avait aucune de ces caractéristiques. Il était entièrement noir, de ses membres à ses oreilles.

Par curiosité, j’avais demandé : « Ça n’a pas l’air très réel. Est-ce que c’est censé ressembler à ça ? »

« Au fur et à mesure qu’elle s’y habituera, il commencera à ressembler davantage à la réalité. Par exemple… »

Isaac avait divisé le bout de son propre doigt. Un instant plus tard, il avait formé une chauve-souris qui, contrairement aux exemples précédents, ressemblait exactement à une vraie chauve-souris en chair et en os. Elle avait des yeux et une bouche, et en regardant de plus près, elle avait aussi de la fourrure. En fait, si je ne l’avais pas su à l’avance, je n’aurais pas été capable de dire que c’était une partie d’Isaac.

« Cette version reste la plus facile à réaliser, » poursuit Isaac. Les détails de la chauve-souris s’estompèrent et elle se transforma en un simulacre de chauve-souris.

« Hm, c’est intéressant, » murmura Lorraine. « J’aimerais bien essayer, mais ce n’est probablement pas possible pour un humain normal, » dit-elle d’un ton légèrement envieux.

Eh bien, oui. Ce serait effrayant si un humain normal pouvait le faire. Ou peut-être que ce serait amusant s’ils le pouvaient. Bien sûr, on pouvait se demander si Lorraine était un humain normal. Cependant, je ne lui aurais jamais dit ça en face.

« J’ai bien peur que vous deviez accepter vos limites, » avait déclaré Isaac en regardant Rina. « Ah, on dirait qu’elle s’approche de sa limite. Mlle Rina, vous m’entendez ? Si vous le pouvez, essayez de retourner le chat dans votre main. Concentrez-vous sur cette image. »

Rina n’avait pas montré qu’elle l’avait entendu, mais le chat qui errait autour d’elle avait soudainement changé de direction. Il était à quelques pas d’elle, mais il s’était lentement approché d’elle avant de bondir vers son bras. Au moment où le chat avait atteint le poignet de Rina, il avait lentement vacillé et s’était dissipé, se fondant en elle. En un clin d’œil, sa main était redevenue normale.

Jusqu’alors, Rina regardait fixement dans le vide, mais elle s’était soudainement effondrée sur place. Lorraine et moi avions couru pour la soutenir. Sa respiration était laborieuse, et elle semblait fatiguée.

« Hé, ça va ? » demanda Lorraine, inquiète.

J’avais ajouté : « Il vaudrait mieux que tu t’allonges. »

Bien que ses traits soient trempés de sueur, elle avait répondu d’une voix ferme : « Non, c’est bon. J’ai juste l’impression d’avoir couru de toutes mes forces. Je vais m’en sortir avec un peu de repos. Je pense que… »

Ah, donc ça ressemblait à un sprint — ou quelque chose qui brûlait à peu près la même quantité d’énergie physique. Elle était juste très fatiguée parce qu’elle n’était pas habituée à l’effort. Du moins, je pensais que c’était pour ça qu’elle était fatiguée.

Les vampires que nous avions rencontrés dans le donjon de la Nouvelle Lune s’étaient également sentis vidés après avoir utilisé la Division, mais moins que Rina. Je suppose qu’ils pouvaient résister parce qu’ils avaient déjà pratiqué la technique. Même dans ce cas, comme Nive l’avait expliqué, il y avait une limite à la durée pendant laquelle ils pouvaient la maintenir. Ce n’était pas une capacité toute puissante qui vous rendait immunisé contre les dommages.

« Est-ce que le repos est suffisant pour qu’elle récupère ? » avais-je demandé à Isaac.

« Oui. Comme c’était sa première fois, il est préférable qu’elle prenne un repos assez long, mais il n’y aura pas d’effets durables. Cependant, il faudra qu’elle s’y exerce plusieurs fois pour en avoir le cœur net, il faudra donc qu’elle réessaie pendant que les sensations sont encore fraîches dans son esprit. »

Donc elle devrait le répéter avant de se remettre complètement. Ça semblait dur. Non pas que je sache à quel point c’était dur… encore.

J’avais commencé à me demander ce que ça faisait, alors j’avais demandé à Rina : « Que penses-tu de la Division maintenant que tu l’as essayée ? »

Je me sentais un peu mal de l’interroger alors qu’elle était fatiguée, mais elle n’avait pas l’air d’être fatiguée au point de ne pas pouvoir tenir une conversation.

« Je me suis sentie un peu perdue. J’avais vraiment l’impression de regarder des choses différentes avec chaque œil. Et j’avais l’impression que j’étais deux. Je veux dire, ils étaient tous les deux moi, mais comme je regardais autre chose à un endroit légèrement différent, mes pensées ont commencé à diverger. C’est vraiment difficile de se rappeler que vous êtes tous la même personne. »

Cela avait dû être complètement étranger à un humain. Je n’étais plus un humain, mais c’était définitivement quelque chose que je devais expérimenter pour vraiment comprendre.

Lorraine avait écouté les explications de Rina avec intérêt. On aurait dit qu’elle avait mille questions à poser, mais elle ne pouvait manifestement pas se résoudre à soumettre Rina à un tel interrogatoire alors qu’elle était si épuisée. Une courte conversation est une chose, mais les demandes de Lorraine avaient tendance à s’éterniser, et elle aimait les détails précis. Cela pouvait être une expérience épuisante.

« Quoi qu’il en soit, » intervint Isaac, l’air grave, « il semble que Miss Rina ait franchi le premier obstacle. Si elle continue à s’entraîner, elle devrait également être capable de maîtriser la Division de tout son corps. Elle s’y met rapidement. Une élève prometteuse, je dirais. »

Une élève prometteuse ? Qu’est-ce que ça veut dire pour une sorte de vampire ? Comme si elle pouvait devenir un Seigneur-Démon ? J’avais entendu dire qu’il n’y avait pas de Seigneur-Démon vampire, donc en fait ça pourrait être un bon objectif. Une image de Rina se prélassant sur un trône dans un château situé au sommet d’une montagne, faisant tourbillonner du sang dans son verre comme du vin alors qu’une foule de beaux jeunes hommes nus jusqu’à la taille l’entouraient, me vint à l’esprit…

Ok, c’était vraiment une pensée bizarre. Bien que, peut-être qu’elle serait bien dans ce rôle. Non, je plaisantais juste.

 

◆◇◆◇◆

« On dirait que Rina n’aura pas de problème, » déclara Lorraine. « Si elle continue comme ça, elle sera capable de maîtriser d’autres capacités vampiriques. Bien que l’on puisse se demander si c’est une bonne chose. »

Je savais ce qu’elle essayait de dire. Ce n’est pas comme si Rina avait voulu devenir une pseudo-vampire. Elle n’avait pas non plus mentionné son désir d’en devenir un exemplaire puissant. Donc le fait de savoir si c’était une bonne chose d’avoir ce talent prometteur restait à voir. Cela dit, Rina était une aventurière. Le simple fait qu’elle soit devenue plus forte méritait d’être célébré.

Ce serait un problème si Rina trouvait un jour un moyen de redevenir humaine. Il n’y avait aucun moyen de savoir si elle pouvait conserver ses capacités monstrueuses actuelles. Mais il n’y avait aucune raison de s’inquiéter de cela pour le moment. Peut-être viendrait-il un jour où elle devrait choisir entre sa force et sa race, mais si cela arrivait, ce serait à elle de faire ce choix.

« Vivre en tant que vampire n’est pas non plus si mal, » répondit Isaac. « Vous ne mourrez pas de vieillesse. Cependant, il y a un ennui indescriptible qui vient du fait d’être laissé derrière quand les temps changent, et rester dans un seul endroit peut causer des problèmes, donc je ne peux pas dire avec certitude que c’est une vie formidable. Les réponses à ces questions ne se trouvent pas en une seule nuit, alors Rina devra se débattre avec elles elle-même. »

Isaac avait fait une pause pendant un moment avant de dire : « Testons votre division, Rentt. Êtes-vous prêt ? »

J’avais hoché la tête avec confiance. Je m’étais déjà retrouvé dans d’innombrables situations bizarres, alors je n’étais plus effrayé par ce niveau d’incertitude. J’espérais quand même que rien de trop bizarre ne se produirait. Mais tout ce que je ferais serait d’utiliser la Division, donc même si quelque chose de vraiment étrange se produisait, je finirais juste par me diviser en l’ombre d’une créature étrange. Je ne voulais pas me transformer en cafard ou autre, mais ce serait le pire, non ?

« Maintenant que vous êtes mentalement préparée, commençons. Vous avez déjà entendu comment faire lorsque je l’ai décrit à Mlle Rina, il ne vous reste donc plus qu’à essayer. Vous vous souvenez, n’est-ce pas ? »

Oui, même moi, avec ma capacité d’attention d’un oiseau, je pouvais encore me souvenir de quelque chose que j’avais entendu il y a dix minutes. D’abord, je devais imaginer mon corps comme une collection d’objets séparés. Si je me souviens bien, je devais les considérer comme des entités indépendantes, et ensuite je devais être capable de me diviser. Juste au cas où, j’avais quand même confirmé les étapes avec Isaac.

« Oui, c’est exactement ça. La question importante est de savoir en quoi vous vous imaginez vous diviser. Puisque vous avez vu mes chauves-souris et le chat de Mlle Rina, ça devrait être assez facile ? »

« C’est vrai. J’ai l’impression d’avoir une idée approximative de la façon dont ça fonctionne. »

Maintenant que je devais y réfléchir, je n’étais pas sûr de ce que cette créature devait être. Je savais que j’étais vraiment indécis quand il s’agissait de ce genre de choses. Peut-être un chien, puisque Rina était un chat ? Ok, peut-être que c’était un peu trop irréfléchi. Oh, puisque j’avais Edel, peut-être une souris ? Mais encore une fois, une souris ne peut pas voler. Je savais, grâce à mon expérience avec le dirigeable, que je trouvais la liberté en planant dans le ciel bleu. Mais je pouvais déjà voler tout seul, alors je ne savais pas s’il y avait une raison d’être obsédé par ce détail. Gah, c’était beaucoup plus difficile que je ne le pensais !

« Oh, ça me fait penser à un truc, » dit Lorraine comme si elle était soudainement frappée par une pensée, « toi et Rina avez toutes deux utilisé des animaux pour vos images, mais est-il possible d’imaginer autre chose ? Une plante, par exemple. »

« Ce n’est pas impossible, mais comme la forme est fixe une fois que vous l’utilisez, ce ne serait pas judicieux, » répondit Isaac.

Isaac avait voulu dire cela comme un avertissement, mais en écoutant leur échange, je n’arrivais pas à me sortir de la tête l’image de moi en arbre. Au moment où j’avais senti le bout de mon doigt changer, j’avais compris mon erreur. Mon doigt avait vacillé, puis quelque chose avait commencé à pousser à partir de lui.

Hé, ce n’était pas… Oh non. Branches, feuilles…

J’avais essayé de l’arrêter, mais la transformation s’était déjà propagée dans mon bras. Mon bras entier était devenu une branche. Moi, le tas d’engrais ambulant, j’allais finir par devenir moi-même une plante. Ça ressemblait à une blague, mais ce n’était pas drôle.

J’étais maintenant une collection de plantes. Donc mon corps devenait une forêt ? Attends, une forêt a des animaux, comme des oiseaux, des lapins et d’autres choses. Et selon l’endroit où se trouve la forêt, il peut même y avoir des dragons.

Une fois que mon processus de pensée avait atteint ce point, j’avais vu des ombres de lapins et d’oiseaux voler à partir de mon autre bras. Je voyais tout cela à travers deux perspectives différentes, et j’avais été frappé par un bref sentiment de vertige, mais je m’étais rapidement habitué à cette sensation. Le fait d’avoir déjà vécu une expérience similaire avec la maquette de dirigeable avait dû m’aider.

Cela m’avait fait penser à quelque chose. J’étais censé m’imaginer comme une collection de quelque chose, mais rien ne disait que je devais être une seule chose. Isaac ne l’avait peut-être pas mentionné parce que c’était évident pour lui, mais il semblait que j’étais capable de le faire, donc il n’y avait pas de mal.

J’avais continué mon remue-méninges. Par exemple, toutes les plantes n’étaient pas enracinées dans le sol. C’était utile de se transformer en quelque chose d’autre, mais ce serait vraiment gênant si je ne pouvais pas bouger du tout. Heureusement, il y avait des arbres qui pouvaient se déplacer tout seuls. Il y avait des ents et des esprits d’arbres comme les dryades. Donc, même si je me transformais en plante, il était parfaitement raisonnable que je puisse encore bouger.

Mon imagination avait commencé à transformer mon corps en un collage d’objets vraiment bizarre. Lorraine, Isaac et Rina étaient tous sous le choc en regardant ma transformation. Mais une fois que cela avait commencé, il n’y avait rien que je puisse faire pour l’arrêter.

J’avais continué à me diviser dans la direction où mes pensées me menaient…

***

Chapitre 4 : Interlude : Isaac le vampire

Il avait été dit que la Division montrait l’individualité d’un vampire. Il fallait se considérer comme une collection de quelque chose d’autre, et il était impossible que tout le monde partage la même image de ce quelque chose. Tout comme les humains avaient leurs traits individuels, les vampires aussi. Pourtant, la plupart s’en tenaient à quelques grandes tendances.

Par exemple, il était courant de se diviser en chauve-souris. C’est parce qu’ils avaient vu beaucoup de leurs professeurs ou de leurs ancêtres se transformer en chauve-souris lors de la démonstration de la Division. Tout comme j’étais en train d’apprendre aux autres comment diviser, tout le monde avait appris la capacité de quelqu’un avec plus d’expérience. Il était tout à fait naturel de se fixer sur l’exemple qu’on avait vu en premier.

Néanmoins, rien n’exigeait que la forme soit une chauve-souris. Lorsque nous avions appris à nous diviser, on nous avait dit que nous pouvions choisir ce que nous voulions. Rina était devenue un chat, mais il y avait aussi des exemples d’autres animaux. Mais pour Rina, même lorsqu’elle apprendrait à diviser son corps en entier, toutes ses formes seront des chats. C’est ainsi que la Division fonctionnait. Peu importe le nombre de corps que je créais, ils seraient tous des chauves-souris.

Mais de quoi ai-je été témoin ?

Rentt. Rentt Faina.

D’abord, il s’était transformé en arbre. Cela, bien qu’extrêmement rare, n’était pas inconcevable. C’était à l’individu de décider de ce qu’il voulait devenir, il était donc parfaitement plausible de devenir un arbre si on le souhaitait. Mais comme la mobilité dépendait en grande partie de la forme elle-même, c’était presque inouï. Pour le moins, je n’avais jamais vu un vampire se transformer en plante.

J’avais trouvé que le choix de Rentt montrait à quel point il était inhabituel. Mais c’était bien. Le problème était ce qui se passait après.

Rentt avait dû se rendre compte de l’inconvénient de cette forme, car son expression s’était transformée en une expression de panique.

La toute première transformation était extrêmement importante, et une fois que vous aviez imaginé votre forme divisée, il était extrêmement difficile d’en changer. Ce n’était pas impossible, mais une fois que vous vous êtes divisé en quelque chose, votre esprit se tournait vers la même chose par habitude. Changer cela demandait une quantité énorme d’efforts et de technique, donc choisir la bonne forme au départ était essentiel.

Néanmoins, si vous étiez trop préoccupé par cette question, vous pouviez échouer à diviser, c’était donc un équilibre difficile à trouver. C’est pourquoi l’enseignant ou le mentor faisait d’abord la démonstration de sa propre division, fournissant ainsi un exemple facile à suivre pour l’élève et soulageant un peu la pression du choix. C’est pourquoi, comme je l’avais noté plus tôt, la plupart des vampires s’étaient transformés en chauve-souris.

Il y avait eu des exceptions, et parmi celles-ci, la plupart avaient choisi des animaux différents. Pratiquement aucun vampire n’avait tenté quelque chose de particulièrement différent. Et pourtant, voici Rentt Faina, tentant de diviser davantage son corps végétal.

Quelque chose d’autre avait commencé à voler de son bras. En regardant de plus près, j’avais vu des lapins et des oiseaux. Au début, c’était des silhouettes noires et ombragées, tout à fait normales pour un débutant, mais au fur et à mesure qu’elles se déplaçaient autour de Rentt, elles étaient devenues de plus en plus nettes, jusqu’à ce qu’il soit presque impossible de les distinguer des vrais oiseaux.

Puis d’autres choses avaient commencé à apparaître — des sangliers, de petits dragons, des souris. Pendant ce temps, son corps commençait à se tordre en une masse sombre, comme s’il devenait une forêt lugubre et maudite. Il avait maintenant plusieurs fois sa taille originale, rappelant le corps monstrueux de Shumini.

J’avais honnêtement pensé qu’il avait échoué, alors j’étais sur le point d’intervenir. Cependant, les différents animaux qui s’agitaient autour de moi s’étaient soudainement arrêtés, comme s’ils étaient convoqués par quelque chose, et étaient retournés dans la forêt. Une fois qu’ils étaient tous de retour, la forêt elle-même avait commencé à rétrécir.

La verdure lumineuse s’était transformée en ombres d’un noir d’encre et avait commencé à se fondre dans une silhouette humanoïde. Les animaux semblaient essayer de se libérer de la silhouette de Rentt, mais cela ne dura que quelques instants. Progressivement, sa forme se stabilisa. Puis la silhouette noire s’était finalement fondue à nouveau en Rentt Faina — ce qui signifiait qu’il n’avait pas échoué.

Oui, Rentt Faina avait réussi à utiliser la Division. Bien qu’il se soit transformé en une masse chaotique, divisant sa conscience en plusieurs dizaines de formes, il les avait toutes contrôlées, les renvoyant dans son corps d’origine et se ramenant à l’existence. Seuls les vampires qui pouvaient utiliser la Division pouvaient comprendre la difficulté de l’exploit qu’il venait d’accomplir. Il y avait des histoires de vampires rares, extrêmement talentueux, qui avaient réussi à utiliser des techniques de Division complexes dès le début, mais comme je ne m’attendais pas à ce que Rentt soit l’un d’entre eux, j’avais été choqué.

Peut-être que c’était un peu une bénédiction mitigée. Le fait qu’il ait accompli un tel exploit n’était pas un indicateur de compétence en soi. Comment pourrais-je le décrire ? Cela signifiait qu’il pouvait contrôler précisément la quantité d’énergie à utiliser, mais ce n’était pas lié à sa réserve de mana ou d’esprit. Ce n’était pas pour dire que c’était inutile. Le contrôle est important pour la Division, donc ce que Rentt avait fait était vraiment admirable. Nous ne connaissions pas l’ampleur de son potentiel, mais ce serait un plaisir de le voir grandir dans ses pouvoirs.

D’un autre côté, comment devais-je interpréter la nature inhabituelle de sa Division ? Était-ce parce que Rentt n’était pas un vampire standard ? Mais si c’est le cas, Rina avait un avantage sur lui. Pourtant, sa Division était standard. Y avait-il une autre cause, alors ? Je ne le savais pas.

« Ouf, j’ai réussi à le faire. Isaac, comment était-ce ? Est-ce que je l’ai bien fait ? » demanda Rentt, inconscient de ma confusion.

Je n’avais pas de réponse précise à sa question, alors j’avais simplement dit : « Oui, vous avez pu le faire. Cependant, c’était une Division très étrange. Ne pouviez-vous pas le faire normalement ? »

Mes mots étaient sortis un peu plus tranchants que je ne l’avais prévu. J’avais dû laisser mes sentiments contradictoires se glisser dans mon ton. Personne ne peut m’en vouloir pour ça.

◆◇◆◇◆

Pour une raison inconnue, Isaac me fixait d’un air exaspéré. Je m’étais brièvement demandé ce que j’avais fait de mal, mais de toute évidence, ce n’était pas le problème. Je lui avais demandé pourquoi il me regardait ainsi et il m’avait expliqué que c’était parce qu’il était inhabituel d’accomplir une division complète du corps au premier essai et qu’il était extraordinairement rare de se transformer en plusieurs animaux et plantes.

Contrôler les différents objets était similaire au contrôle de la magie ou de l’esprit, cela m’était donc venu naturellement. Mon manque de pouvoir dans ces domaines m’avait obligé à apprendre à les réguler avec précision. Néanmoins, il m’avait semblé étrange que mes perspectives et ma conscience se divisent en plusieurs corps.

Mais peu importe le nombre de fois où je m’étais divisé, j’étais toujours moi, donc ce n’était pas si difficile de me ramener dans un seul corps et une seule conscience. C’était comme si une conscience supérieure contrôlait tout, et qu’il suffisait de tout rassembler en elle. Mais si vous me demandiez comment faire, je ne pourrais que vous répondre que c’est ainsi que je l’avais imaginé.

Quand j’avais expliqué cela, Lorraine avait dit : « Ah, je vois. C’est donc comme si tu divisais tes multiples consciences en un commandant et des soldats. Je peux imaginer comment cela maintiendrait la cohérence même si ta conscience était divisée en plusieurs corps. Mais je pourrais aussi voir ces soldats prendre soudainement les choses en main. »

« C’est une méthode standard, en fait, » expliqua Isaac. « Il existe d’autres méthodes, mais celle-ci est simple et la plus efficace. Comme vous l’avez supposé, il arrive que les parties commencent à agir de leur propre chef, c’est donc une méthode très difficile pour diviser votre corps entier. Pourtant, il semble que Rentt ait réussi à contrôler la situation en utilisant sa forte volonté et sa force brute. Normalement, cette méthode est réservée à deux ou trois parties seulement. »

C’était donc une technique pour contrôler une division partielle. Vous transformez la partie humaine de vous en commandant et les parties détachées en soldats. Mais pour les raisons mentionnées par Lorraine, ce n’était pas adapté à la Division complète du corps. Néanmoins, j’avais réussi à le faire, donc il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire.

« Mlle Rina, vous feriez mieux d’éviter d’imiter cette méthode, » dit gravement Isaac. « Il est préférable de construire progressivement votre compétence par la pratique. Les aberrations comme Rentt ne sont pas des modèles utiles. »

« Je comprends. De plus, ce n’est pas comme si je pensais pouvoir l’imiter ! »

Pourquoi parlait-elle de moi comme si j’étais un excentrique bizarre ? C’était un peu blessant, mais il y avait un tas de choses bizarres chez moi. Étant donné que j’étais passé du statut de squelette à celui de vampire, pour finalement découvrir que je n’étais pas tout à fait un vampire, je savais que j’étais un étrange mélange d’humain et de monstre. Je n’avais pas le droit de prétendre que j’étais normal. Cependant, Rina était aussi un monstre maintenant. Je pensais qu’elle éclaterait en sanglots si je le disais, alors je n’allais pas le dire à voix haute. En plus, c’était mon amie.

« Bref, je suppose que ça veut dire que tu es un vrai vampire maintenant ? Tu as toujours été difficile à tuer, mais maintenant, je pense que nous pouvons conclure que tu es pratiquement impossible à tuer, » déclara Lorraine avec désinvolture.

En termes d’endurance, mon corps continuait à se régénérer lorsqu’il était endommagé, même sans la Division. J’étais beaucoup plus difficile à tuer que l’humain moyen, et maintenant que j’avais la Division à mon actif, même moi, je pouvais réparer n’importe quelle perte.

Je m’éloignais de plus en plus de l’humain. Mon but initial n’était-il pas de trouver un moyen de redevenir humain ? Une partie de moi se sentait en conflit avec le fait que j’avais tant changé, mais comme cela signifiait que j’étais plus difficile à tuer pour le moment, je supposais que je devais vivre avec pour le moment.

« Oui, la plupart des méthodes ne peuvent pas vous détruire, mais vous ne devriez pas trop dépendre de ces capacités, » avait prévenu Isaac. « Il y a plusieurs façons d’infliger de sérieux dégâts à un vampire. Il est très dangereux de penser que vous pouvez encaisser n’importe quelle attaque et survivre. La plus grande cause de décès chez les vampires nouvellement créés est qu’ils perdent leur sens du danger. »

« Vous avez un exemple ? » demanda Lorraine.

« Les exemples les plus courants sont ceux qui se déchaînent, faisant ce qu’ils veulent parce qu’ils ont l’impression de ne pas pouvoir mourir, pour finir par être la cible d’un utilisateur de divinité. Les armes imprégnées de divinité ne vous détruisent pas nécessairement au contact, mais vous pouvez sentir qu’elles sont plus efficaces que les armes ordinaires. Cela provoque généralement plus de panique et de confusion que la normale, et avant que vous ne le sachiez, vous êtes mort sans avoir opposé de résistance notable. C’est certainement l’une des façons les plus tristes pour un vampire de trouver la mort. »

Des choses similaires arrivaient tout le temps aux aventuriers. Un aventurier fraîchement promu pouvait prendre son ascension de classe comme une augmentation de force et s’aventurer trop profondément dans un donjon et mourir. Il semblerait que ce genre de chose était identique, que vous soyez un humain ou un vampire. Mais puisque ce n’était qu’une des façons les plus tristes pour un vampire de trouver la mort, il semblait qu’il y avait de pires façons de mourir ? Il y avait aussi beaucoup de façons de les faire souffrir.

Quand j’avais commencé à penser à la façon de torturer un vampire, beaucoup de choses m’étaient venues à l’esprit. J’avais décidé d’arrêter ce train de pensées. C’était bien trop effrayant.

« Donc je ne devrais pas être trop arrogant juste parce que je peux utiliser la Division, n’est-ce pas ? Alors je ferai attention, » m’étais-je murmuré.

« Ce serait mieux, » dit Isaac. « C’est le secret d’une longue vie. Maintenant, cela sera tout pour la Division. Il y a d’autres capacités vampiriques, et bien que je veuille vous les enseigner, il est préférable que vous maîtrisiez d’abord la Division. Ils devront attendre la prochaine fois. »

J’avais pensé qu’il valait mieux tout apprendre en même temps si nous devions tous les apprendre, alors j’avais regardé Isaac d’un air interrogateur.

Il avait remarqué mon expression et avait répondu : « Je comprends votre point de vue, mais il y a plusieurs techniques qui supposent une certaine maîtrise de la Division. Même pour les capacités qui ne l’exigent pas, quand on entasse trop rapidement de la connaissance, il est facile de manquer les subtilités de leur utilisation. En outre, Mlle Rina semble ne pas pouvoir en supporter davantage aujourd’hui. »

Bien que décevantes, les raisons d’Isaac étaient logiques. J’avais convenu qu’il était préférable d’attendre. Je pouvais utiliser la Division dans une certaine mesure, mais je ne pouvais pas dire que je le faisais parfaitement. Selon Isaac, une fois que vous l’avez maîtrisé, cela vient naturellement sans beaucoup de pensée consciente ou de concentration. Ouais, ça a du sens. Sinon, ça ne serait pas très utile en combat. Il semblerait que j’allais m’entraîner avec Rina pendant un certain temps.

***

Chapitre 4 : La Tour et l’Académie

Partie 1

Le lendemain matin, Lorraine, Rina et moi, nous étions allées à l’arrêt des calèches. Comme la dernière fois que j’étais ici, il y avait un large éventail de « chevaux » disponibles, et ils étaient toujours amusants à regarder. Mais il y avait quelques différences par rapport à avant.

« Il y a beaucoup de calèches ici, » fit remarquer Rina. « Peut-être que Maalt a besoin de beaucoup de choses. »

Alors que cet arrêt n’était pas vraiment désert la dernière fois, il y avait beaucoup de place pour d’autres calèches. Maintenant, l’arrêt était encombré. Je suppose que les cargaisons arrivaient de toutes sortes d’endroits.

Comme Rina l’avait noté, Maalt avait besoin d’un large éventail de matériaux et de fournitures. Ils avaient besoin de matériaux de construction pour réparer les bâtiments et les routes détruits par l’apparition du donjon. De plus, il n’y avait pas assez d’ouvriers à Maalt, donc ils avaient besoin d’individus valides pour aider à la reconstruction. Cela avait entraîné une augmentation de la demande de produits de première nécessité comme la nourriture et les vêtements.

Maalt étant une ville frontière, elle était en grande partie autosuffisante, sauf lorsqu’il s’agissait d’articles spécialisés ou de produits de luxe. Mais maintenant, la ville n’avait d’autre choix que d’importer des fournitures de toute la région, ce qui augmentait considérablement le flux de personnes et d’objets.

« On dirait qu’il y a aussi plus d’aventuriers ici pour explorer le nouveau donjon, » observa Lorraine. « Il y a aussi plus de chercheurs qui vont et viennent. Bien qu’il n’y en ait pas beaucoup de l’Empire, j’en ai rencontré plusieurs que j’ai connus dans la capitale royale. Un donjon fraîchement créé est un plaisir rare pour eux. De plus, même si ce sont des gens de la Tour ou de l’Académie qui mènent les études et les enquêtes, beaucoup de gens sont ici pour jeter un coup d’œil pendant leur visite. »

Lorraine était une universitaire excentrique qui avait quitté l’Empire pour s’installer dans une ville isolée comme Maalt. Bien qu’elle soit ici depuis dix ans, elle n’était pas complètement dépourvue de connaissances parmi ses pairs. C’était logique, cependant. Si elle était plutôt désordonnée dans sa vie quotidienne, elle était toujours prompte à répondre à des choses comme des lettres. Sa sténographie était si difficile à lire que c’était presque comme si elle codait ses messages, mais lorsqu’elle s’asseyait pour former soigneusement une lettre, elle écrivait dans une écriture soignée, élégante et féminine.

Elle avait un bon nombre d’associés parmi les érudits du royaume de Yaaran, et de temps en temps, elle se rendait à la capitale pour échanger des informations ou débattre de divers sujets d’intérêt. Néanmoins, ils connaissaient quelqu’un d’aussi inhabituel que Lorraine. Ils étaient également inhabituels à leur manière, et beaucoup travaillaient en dehors du courant principal de l’érudition de Yaaran.

La Tour et l’Académie étaient les centres de recherche centraux du royaume de Yaaran, et la plupart des enquêtes commençaient sous leur direction. Par exemple, s’il y avait quelque chose d’anormal, comme notre donjon récemment créé, les chercheurs de la Tour ou de l’Académie engageaient tous les aventuriers fiables comme escorte afin qu’ils puissent entrer dans le donjon et l’étudier. Mais cela rendait souvent difficile pour les autres de mener leurs propres enquêtes.

Lorraine était un spécimen rare en ce sens qu’elle était à la fois une érudite et une aventurière. Ces deux parcours professionnels étaient extrêmement difficiles. Il était difficile de devenir un aventurier de première classe ou un érudit de première classe, et il était presque impossible de concilier les deux et de produire des résultats notables. Lorraine n’était qu’une exception. C’est pourquoi elle avait mentionné que ses connaissances étaient venues la voir en faisant un peu de tourisme. Elles voulaient probablement entrer dans le donjon et enquêter elles-mêmes, mais il y avait peu de chances qu’elles soient autorisées à le faire. Je me suis dit qu’ils venaient quand même ici parce qu’ils aimaient la recherche et qu’ils voulaient en capter la moindre trace. Je pouvais comprendre pourquoi ils s’entendaient bien avec Lorraine.

« Je ne sais pas pour la Tour, » dit Rina, l’air fatigué, « mais les étudiants de l’Académie peuvent être un peu prétentieux. C’était plutôt affreux. Je ne m’entends pas avec eux. »

J’avais incliné la tête d’un air perplexe et j’avais demandé : « As-tu déjà rencontré des étudiants de l’Académie, Rina ? »

« Eh bien, avec mes antécédents familiaux, j’ai eu une amie d’enfance qui a fréquenté l’Académie. Elle était gentille et douce, mais ses camarades de classe étaient plutôt horribles. »

Ah, oui. Rina était originaire de la capitale royale, et son frère aîné Idoles Rogue était un jeune chevalier prometteur. Je ne savais rien de précis, comme le titre exact de sa famille, mais ils étaient d’origine noble. Comme il fallait soit beaucoup d’argent, soit beaucoup de talent pour entrer à l’Académie, la majorité de ses étudiants étaient issus de familles nobles ou marchandes. Il ne fait aucun doute qu’un bon nombre d’entre eux avaient une personnalité peu agréable. Bien sûr, ils n’étaient pas tous comme ça. La plupart des nobles de Yaaran étaient magnanimes et humbles, en partie parce que le royaume lui-même était considéré comme une région reculée et en partie parce qu’ils vénéraient l’Église du ciel oriental.

De plus, tout le monde commençait par être immature, et si l’on se base sur l’âge moyen des étudiants qui étaient entrés à l’Académie, la plupart d’entre eux avaient commencé en plein milieu de la puberté — leurs années de rébellion. Les ego sont souvent gonflés à cet âge. Je me doutais qu’ils en sortiraient au moment de l’obtention de leur diplôme, mais je n’avais jamais vécu cela. Je ne savais pas comment c’était réellement. Je voulais visiter l’Académie un jour, mais un aventurier de bas rang comme moi n’aurait jamais la permission. C’était vraiment dommage.

« “Plutôt affreux”, dans quel sens ? » demanda Lorraine à Rina.

« Je crois avoir mentionné que je travaillais comme aventurière dans la capitale. Je suis tombée sur mon amie alors que j’étais en mission. Je faisais de mon mieux pour éviter toute connaissance, mais… »

« Si vous vivez dans la même ville, vous aurez beau être prudent, vous tomberez tôt ou tard sur une connaissance, » plaisanta Lorraine.

« Ouais. Ça n’aurait pas été trop grave si ça s’était arrêté là, mais à l’époque, mon équipement était tout abîmé et j’avais l’air plutôt en loques. »

« Comme la première fois que je t’ai rencontré ? » avais-je demandé. « C’est un peu inévitable quand on est un nouvel aventurier. »

Quand j’avais rencontré Rina pour la première fois, il était clair qu’elle faisait attention à son apparence. Ses vêtements étaient lavés, et elle se tenait propre. Elle n’avait pas l’air trop mal à mon avis, mais ses affaires étaient un peu vieilles, et certaines semblaient assez usées. Quoi qu’il en soit, beaucoup d’aventuriers avaient une apparence pire. Il y avait même un aventurier occasionnel qui sentait un peu le renfermé quand il passait devant. Peu importe à quel point les vêtements de Rina étaient usés, le fait qu’elle les gardait propres la rendait bien meilleure qu’eux. Mais peut-être que ceux qui sentaient mauvais étaient simplement paresseux ou négligents. Toujours est-il que Rina devait avoir l’air différente pour les nobles vivant dans la capitale, et encore plus pour ceux qui étaient assez riches pour fréquenter l’Académie.

 

◆◇◆◇◆

« Je suppose que c’est logique, mais quand mon amie m’a vue, elle s’est vraiment inquiétée de mon état. »

Si vous trouviez soudainement un ami errant en haillons, alors que quelques mois auparavant vous alliez dans des cafés chics et preniez le thé l’après-midi ensemble, vous seriez naturellement inquiet. Mais pour cela, il faut que vous soyez vraiment un ami. Si je rencontrais quelqu’un que je détestais dans cet état, je rirais probablement. L’occasion serait trop délicieuse. Peut-être que j’étais une personne affreuse ? Eh bien, il n’y a pas grand-chose à faire pour ça. De plus, il n’y avait pas beaucoup de gens que je détestais à ce point.

« Si elle s’inquiétait pour toi, qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? » demanda Lorraine. « Tu lui expliquerais la situation, et bien que cela puisse être un peu gênant, vous pourriez ensuite prendre des chemins différents. »

Il était courant de croiser un ami, de réaliser que vous viviez désormais dans des mondes différents et, au final, de se séparer. Cela arrivait plus fréquemment quand on devenait aventurier, surtout pour quelqu’un comme Rina, qui était passée de noble à aventurière. Pour les personnes comme moi, qui étaient passées du statut de villageois à celui d’aventurier, la situation était généralement inverse. Même si vous n’aviez qu’une connaissance rudimentaire du mana ou de l’esprit, que vous appreniez à vous battre et que vous gagniez votre vie en chassant des monstres, vous gagniez beaucoup plus d’argent que le villageois moyen.

Malheureusement, beaucoup d’aventuriers avaient laissé cela leur monter à la tête, traitant leurs anciennes connaissances comme si elles étaient indignes d’eux. Mais c’était une mauvaise idée à long terme. Vous ne pouviez pas rester un aventurier jusqu’à votre mort. Bien que je me sois souvent juré de partir à l’aventure jusqu’à mon dernier souffle, ce n’était pas si simple. Après tout, les aventuriers connaissaient bien la mort. C’était un métier extrêmement dangereux.

D’une certaine manière, il valait mieux mourir pendant que vous étiez encore un aventurier. Le problème, c’est quand on ne meurt pas, mais qu’on ne peut pas continuer à travailler, par exemple si on se blesse gravement en combattant et qu’on perd un membre. Mais cela ne veut pas dire que vous n’avez pas de chance. Les membres de l’Église de haut rang pouvaient faire repousser les membres perdus. Cependant, il fallait faire un don énorme pour recevoir ce niveau de guérison. Ce prix était bien trop élevé pour la plupart des aventuriers qui vivaient au jour le jour. De plus, si l’on négligeait trop longtemps la perte, elle devenait permanente. J’avais entendu dire qu’il y avait des personnes saintes qui pouvaient même réparer ce genre de blessure, mais leur prix était astronomique. Pour un aventurier normal avec ce genre de blessure, il était presque impossible de la faire réparer.

Lorsque cela se produit, l’aventurier — ou l’ancien aventurier — n’avait plus qu’une poignée d’options. L’option la plus simple était de retourner dans sa ville natale. Mais cela n’était possible que si l’on avait entretenu des relations cordiales avec les habitants de la ville. Même dans ce cas, il y avait beaucoup d’ex-aventuriers qui trouvaient la vie dans leur ancien village gênant et étrangement inconfortable. Si vous vous étiez vanté d’être impressionnant et riche avant votre blessure, vous pouviez oublier de rentrer chez vous.

C’est pourquoi c’était une mauvaise idée de devenir trop arrogant en tant qu’aventurier. La guilde prenait soin de le mentionner aux nouveaux aventuriers, mais la plupart étaient trop occupés à faire la fête pour vraiment écouter. Les choses étaient cependant un peu mieux à Maalt. Un bon nombre d’aventuriers de la guilde avaient fini par se retirer dans leur ville natale. Mais c’était un peu hors sujet.

« C’est ce que j’essayais de faire, » avait expliqué Rina, « mais elle était un peu comme une mère poule. Elle a commencé à demander des choses comme : “Est-ce que tu manges bien ?”, “Est-ce que tu veux que je répare tes vêtements usés ?” et “Où est-ce que tu habites ?”. Je ne pouvais pas m’en détacher. »

Alors qu’elle racontait l’histoire, les lèvres de Rina s’étaient relevées en un léger sourire. Elle avait dû apprécier l’inquiétude de son amie.

***

Partie 2

Lorraine avait répondu : « Je vois. C’est une bonne amie, même si elle se comportait plus comme ta mère que comme ta camarade. »

« Oui. C’est pourquoi j’étais heureuse de l’avoir rencontrée, même si c’était un peu gênant. Mais alors que nous étions en train de parler, quelques autres élèves de l’Académie se sont approchés depuis l’autre côté de la rue. »

Rina avait soupiré en expliquant ce qui s’était passé.

« Je comprends. Ils se sont moqués d’elle parce qu’elle te parlait, non ? » avais-je demandé.

Ça devait être la réponse. Je veux dire, c’était un cas commun. Je ne pouvais pas me rappeler combien de fois les autres s’étaient moqués de moi pour la même raison. J’avais eu droit à toutes sortes de conneries. Certains m’avaient dit d’arrêter d’être un aventurier, d’autres m’avaient dit d’arrêter avec mon attitude. C’était épuisant à entendre. Ce n’est pas comme si j’avais fait des efforts pour approcher ces gens. Ils m’avaient toujours trouvé, d’une manière ou d’une autre. Si je leur répondais, ils simulaient l’indignation, insistant sur le fait qu’ils n’avaient rien dit de tel. Leurs yeux vides s’éteignaient et ils commençaient à me crier dessus.

C’était tellement frustrant d’avoir affaire à des gens comme ça, mais je n’avais pas d’autre choix que d’accepter leur existence. Ni eux ni leur entourage n’essayaient de corriger leur personnalité. De temps en temps, certains se rendaient compte de leurs échecs et essayaient de faire mieux, mais ils étaient vraiment la minorité.

« Oui, » avait répondu Rina avec un soupir. « Ils ont commencé à parler de mon apparence, puis à mettre mon amie dans le même sac que moi parce qu’elle me parlait. J’étais impressionnée qu’ils puissent parler autant sans que leur bouche ne se fatigue. »

« Ne te laisse pas impressionner par ça, » avais-je plaisanté.

« Ce sont des étudiants de l’Académie, non ? » avait interjeté Lorraine. « Je suis sûre qu’ils débattent pendant les cours. Quand on a l’habitude d’argumenter, on devient bien meilleur. »

Le commentaire de Lorraine était un peu étrange. Une partie de moi pensait que son explication était logique, mais qu’elle ne comprenait pas l’essentiel.

« N’as-tu pas répliqué ? » avais-je demandé, pensant que ça aurait été mentalement difficile de rester là et d’encaisser.

Rina avait secoué la tête. « Ça aurait été une perte de temps. Mais mon amie avait quelques répliques de choix à leur adresser. À la fin, les étudiants de l’Académie ont perdu la discussion. Il semble que mon amie était l’une des meilleures élèves de l’école, et lorsqu’elle l’a mentionné, ils n’ont pas eu de véritable réponse. »

« Ah. Donc celui qui a la meilleure éthique de travail a gagné à la fin. Merveilleux, » avait commenté Lorraine.

Une fois de plus, Lorraine avait été impressionnée par un détail étrange. D’après la description de Rina, son amie n’était pas du genre à fuir, mais plutôt du genre à s’affirmer et à protéger.

« Je comprends pourquoi tu n’aimes pas les gens de l’Académie, » avais-je ajouté.

 

◆◇◆◇◆

« Nous ne sommes pas là pour accueillir les gens de la Tour ou de l’Académie, » affirma Lorraine. « Inutile de t’en préoccuper. »

Puisque j’étais techniquement un employé de la guilde, il y avait une chance que Wolf puisse me confier ce genre de tâche, mais ce n’était pas la raison pour laquelle nous étions ici aujourd’hui. Alors pourquoi étions-nous venus à la halte routière ? C’était évident.

« Oh ? Si ce n’est pas Rentt et ses amis. Êtes-vous vraiment venus me dire au revoir ? Je suis choquée, » Nive Maris, l’infâme chasseuse de vampires, nous avait parlé.

Comme il nous avait dit qu’elle partait demain matin, nous étions venus l’accompagner malgré nos sentiments mitigés. Elle avait rendu la vie à Maalt un peu plus tendue que je ne le souhaitais, mais elle nous avait aussi donné beaucoup d’informations, et ses conseils nous avaient été utiles plus d’une fois. En particulier, il aurait été beaucoup plus difficile de gérer les divers incidents liés aux vampires sans elle. Laura et Isaac auraient peut-être pu s’en occuper eux-mêmes, mais nous aurions alors dû faire face à un grand groupe de vampires mineurs et à leurs capacités de régénération.

Si les aventuriers de Maalt avaient su que les vampires finissaient par cesser de se régénérer ou que ceux nouvellement créés avaient des problèmes d’endurance, les choses auraient pu se terminer différemment. D’un autre côté, s’ils n’avaient pas tué les jeunes vampires au moment où ils l’avaient fait, les plans de Shumini auraient pu se dérouler plus facilement. Si cela s’était produit, Maalt aurait été consumé par le donjon.

Au moins, la présence de Nive avait joué en faveur de Maalt. C’est pourquoi j’avais pensé que nous devions au moins lui dire au revoir. Il y avait des moments où je la trouvais ennuyeuse, mais c’était acceptable. De plus, ses intuitions étaient plus ou moins justes. Mais si vous voulez savoir si Rina et moi étions des vampires ordinaires, je devrais dire que non.

« Nous avons le droit de venir te voir partir, n’est-ce pas ? Tu as dit qu’on pouvait, » avais-je répondu.

« Oui, mais je sais que tu ne m’aimes pas vraiment, Rentt. Je suis surprise de te voir ici. Peut-être es-tu vraiment tombé amoureux de moi ? »

« Non. »

« Tu n’avais pas besoin de le nier si vite… »

Je ne savais pas si elle plaisantait ou non, mais Nive avait l’air un peu découragée. Je doutais cependant qu’elle soit réellement déçue. Sa personnalité était aussi éloignée du romantisme qu’elle pouvait l’être.

« Eh bien, vous voilà. Permettez-moi de vous remercier. Je pensais que Lady Myullias serait la seule ici. »

J’avais regardé sur le côté et j’avais vu Myullias Raiza, une sainte de l’Église de Lobelia. Elle avait l’air bien, avec ses cheveux argentés encadrant ses beaux traits, mais je pouvais voir une légère ombre de fatigue sur son visage.

Ces derniers temps, toutes les organisations religieuses, y compris l’Église de Lobelia, étaient occupées. Les prêtres et les clercs couraient partout dans la ville. Il n’y avait probablement pas de fin à la liste des choses qu’ils devaient faire, comme réconforter, guérir et prêcher les habitants de Maalt. J’étais sûr que Myullias avait encore beaucoup de travail sur ses épaules. Le fait qu’elle soit ici devait signifier qu’elle avait une certaine affection pour Nive.

Alors que je pensais cela, Myullias s’écria un peu vivement : « Dans mon cas, je suis obligée d’être ici par ordre du Grand Père de l’Église. Et je ne suis pas là pour vous dire au revoir, je viens avec vous ! »

 

 

Son comportement était loin de l’image démonstrative et pure d’une sainte. Il n’était cependant pas déplacé, car telle était la personnalité réelle de Myullias.

Nive regarda Myullias et dit : « Tu n’as pas besoin de faire des pieds et des mains pour m’accompagner. D’ailleurs, il est clair que tu es là pour me surveiller. Pourquoi moi, aventurière respectueuse des lois, devrais-je accepter qu’une Sainte de l’Église de Lobelia me mette sous surveillance ? »

« Je ne sais pas vraiment, mais… De toute façon, c’est un ordre. Alors, s’il vous plaît, abandonnez maintenant. Vous ne voudriez pas que l’Église de Lobelia vous traite comme un apostat. »

« Oh là là. Alors, fais comme tu le veux. Veux-tu aussi venir, Rentt ? Chasser des vampires peut être assez stimulant et divertissant. »

J’étais sûr que ça pouvait l’être, mais ça semblait aussi effrayant et dangereux. Errer dans le monde et chasser des êtres comme Shumini, c’était pratiquement du suicide. Je me disais qu’un jour, je devrais être capable de tuer un tel monstre tout seul, mais c’était encore loin. C’était peut-être plus sûr avec Nive comme compagnon, mais c’était une chose de s’inquiéter de rencontrer des monstres, c’était une tout autre chose de s’inquiéter qu’elle me tue dans mon sommeil. Donc, non.

J’avais secoué la tête. « Je vais passer cette fois. Mais ce n’est pas comme si je resterais toujours à Maalt. Je suis sûr que nous nous retrouverons un jour. »

Mais j’espérais que ce ne serait pas de sitôt. J’avais ravalé ces derniers mots, mais Nive semblait les avoir entendus de toute façon.

« Le destin nous réunira à nouveau. J’attends ce jour avec impatience. Oh ? »

Nive se tourna vers un groupe de carrosses qui faisaient leur chemin vers la halte routière. Il y en avait une dizaine en ligne, toutes décorées de la même façon. Ils étaient manifestement chers et bien faits, et les chevaux qui les tiraient étaient de puissants animaux de trait.

« On dirait qu’ils sont enfin arrivés. Ces carrosses viennent de l’Académie, » murmura Lorraine.

Nive acquiesça. « Oui, c’est ce qu’il semblerait. La Tour finira par arriver, mais ils ont probablement plus d’équipement à transporter, donc ça leur prendra quelques jours de plus. »

La Tour était davantage axée sur la recherche, tandis que l’Académie était, à la base, une institution éducative. Il est certain que la Tour apporterait beaucoup plus de matériel d’étude spécialisé. Les objets magiques de précision étaient généralement grands et fragiles, et même s’ils étaient démontés, il fallait du temps pour les transporter. Alors que les deux groupes avaient probablement quitté la capitale à peu près en même temps, l’Académie était arrivée à Maalt en premier.

« Il n’empêche qu’ils sont nombreux, » murmura Nive d’un air menaçant en observant la caravane. « Considérable. Il pourrait y avoir des problèmes à l’horizon. Ce serait bien de rester, mais… il n’y a plus de vampires ici. »

Après qu’elle ait dit ça, je n’avais pas pu m’empêcher de me sentir un peu anxieux quant à l’avenir de Maalt.

 

◆◇◆◇◆

« Puisque nous sommes destinés à nous revoir, je suppose que tu vas me raconter les festivités à venir, Rentt. Il est temps pour moi de partir, alors je vais te dire au revoir ici. »

J’aurais vraiment préféré ne pas être condamné à la revoir, mais l’intuition de Nive était assez juste. Je m’étais fait la remarque d’être prudent.

Lorsque je m’étais tourné dans la direction où Nive regardait, j’avais vu un homme debout devant un carrosse, l’air irrité. Nive l’avait regardé en parlant, donc il devait s’agir de la calèche de Myullias, et cet homme devait être le conducteur, ou quelque chose de proche.

J’avais compris qu’il était affilié à l’Église de Lobelia d’une certaine manière, car il regardait Myullias avec respect. J’avais aussi remarqué que la calèche portait le symbole de l’église. Il n’avait pas l’air particulièrement cher, mais il était tout de même mieux que le carrosse moyen. C’était assurément hors de ma gamme de prix.

Depuis que j’avais dépensé autant pour mon sac magique, j’avais dû serrer les cordons de ma bourse. Même si je m’en sortais beaucoup mieux que par le passé, je ne pouvais pas prévoir quand j’aurais une dépense imprévue. Pour un aventurier, plus le monstre est puissant, plus il est coûteux de l’éliminer. Se faire un nom exigeait une certaine épargne. Malgré cela, il y avait beaucoup d’aventuriers qui avaient pris l’habitude de vivre au jour le jour. Sans compter qu’il était plus cool d’être ce genre d’aventurier.

Peut-être que je devrais aussi essayer de vivre comme ça. Je l’avais brièvement envisagé, mais j’étais trop prudent pour vivre de cette façon, alors j’avais immédiatement rejeté cette idée.

« C’était un peu plus facile que prévu, » avais-je dit à Nive, « Mais je sens que nous allons nous revoir. Alors au moins, reste prudente jusque là. »

***

Partie 3

Sincèrement, j’espérais qu’elle se débatte assez pour oublier de me tuer dans mon sommeil. Cependant, je ne pouvais pas vraiment dire ça à voix haute.

« C’est vraiment une chose normale à dire. Ça ne te ressemble pas particulièrement, mais je suppose que c’est juste par politesse. Pas besoin de s’inquiéter. La seule chose qui pourrait me déprimer, c’est qu’il n’y ait plus de vampires à tuer. »

« Uh-huh. »

On aurait presque dit qu’elle disait que ça n’arriverait pas avant ma mort, mais… Non, j’étais comme un vampire, mais je n’en étais pas vraiment un. Ou alors j’avais essayé de me convaincre.

Nive et Myullias avaient salué en montant dans leur calèche, et elles étaient parties avec si peu de fanfare qu’il était facile d’oublier la tempête qu’elles avaient déclenchée pendant leur séjour à Maalt.

« Je suppose que c’est un poids en moins sur nos épaules, » avait murmuré Lorraine en les regardant s’éloigner.

« Je ne sais pas. La prédiction de Nive, sa prophétie, suggère qu’il va y avoir des problèmes. »

« Malheureusement, elle a probablement raison. La Tour, l’Académie et un donjon sont tous réunis en un seul endroit. Avec tous ces gens qui affluent dans la ville, il va forcément se passer quelque chose. Mais ne pouvez-vous pas au moins vous détendre en sachant que Rina et toi ne serez pas soupçonnés d’être des vampires ? »

« Je l’espère, mais si les événements récents m’ont appris quelque chose, c’est que les intuitions aiguisées ne manquent pas. Je ne peux pas vraiment baisser ma garde. »

Dans le cas de Nive, elle avait renforcé son intuition avec l’expérience et les déductions logiques. Je ne pensais pas que nous verrions quelqu’un d’aussi mauvais qu’elle de sitôt, mais cela ne signifiait pas que je devais cesser d’être prudent.

« Je comprends qu’il ne faut pas baisser la garde, mais qu’est-ce qu’on est censé faire, au juste ? Je n’ai aucune expérience en la matière, donc je n’en ai pas la moindre idée, » dit Rina en fronçant les sourcils.

C’est logique. J’étais mort-vivant depuis un moment, j’avais appris ce qui rendait les gens méfiants. Rina n’était morte-vivante que depuis quelques jours. C’était le genre de choses que je devais lui apprendre. Ce n’était pas particulièrement compliqué non plus.

« D’abord, ne va pas te promener au milieu de la nuit, » avais-je dit.

J’espérais que ça allait sans dire. Les gens comme nous qui se promènent en pleine nuit étaient suspects. Ce genre d’activité attirait l’attention de gens comme Nive.

« Hm, oui, c’est logique. Quoi d’autre ? »

« Voyons voir. L’autre chose est d’être aussi amical que possible. La plupart des gens pensent que les morts-vivants sont moroses. Assure-toi de faire un effort pour saluer énergiquement les gens chaque matin. »

Je faisais ça depuis que je vivais dans la maison de Lorraine. Ce n’était pas comme si j’interagissais profondément avec quelqu’un, cependant, je saluais simplement les gens du quartier si je les croisais en brûlant les ordures ou autre. J’interagissais aussi avec les vieilles dames quand je faisais mes courses au marché ou autre.

« Les salutations sont l’une des parties fondamentales de l’être humain ! » ajouta Rina.

« Exactement. Voyons ce qu’il y a d’autre… »

Après avoir enseigné à Rina les bases de l’intégration dans la société humaine, Lorraine m’avait regardé et avait murmuré : « C’est le conseil que l’on donnerait à un enfant qui s’éloigne de chez lui pour la première fois. »

Ça ne ressemblait pas à ça, n’est-ce pas ? Lorsque j’avais regardé Rina pour avoir une confirmation, elle était en train de noter mes conseils dans son carnet, un objet magique que Lorraine avait fabriqué et lui avait donné. Il aurait été cher à acheter.

J’avais jeté un coup d’œil par-dessus son épaule et j’avais regardé son contenu. « Ne sors pas la nuit ! » « Les salutations sont importantes ! » et « Sois gentille avec tes voisins ! etc. » Tout était écrit en jolies lettres pétillantes.

 

 

On aurait dit des avertissements pour un enfant. Je regardais de Rina à Lorraine et je remarquai qu’elle gloussait. Une partie de moi voulait se plaindre de son attitude, mais si nos positions étaient inversées, je me moquerais probablement aussi d’elle.

« Mais, je ne me trompe pas, n’est-ce pas ? » avais-je demandé juste pour être sûr.

« Non, tu n’as pas tort. Les gens de notre quartier pensent que tu n’es qu’un agréable pique-assiette qui vit chez moi. »

C’était bien que personne ne me soupçonne, mais… un agréable pique-assiette ? Cela pourrait ruiner la réputation des morts-vivants. Pas que ça me dérange.

Au moment où je pensais cela, un cri de colère avait retenti dans la gare routière.

« Vous ! Comment comptez-vous répondre de ça !? »

 

◆◇◆◇◆

« Que se passe-t-il ? » demanda Lorraine en se tournant dans la direction des cris.

Rina et moi nous étions aussi retournés. Nous avions vu un jeune homme portant une robe qui semblait chère et un homme d’âge moyen qui ressemblait à un marchand ambulant.

« Un enfant ? » avais-je murmuré.

Lorraine acquiesça. « C’est ce qu’il semblerait. Il a l’air d’avoir une dizaine d’années. Il est assez hautain pour son âge, mais… Ah, cette robe me dit quelque chose. Tu l’as vu aussi, n’est-ce pas, Rina ? »

« C’est l’uniforme de l’Académie, » confirma Rina. « Il est probablement arrivé dans l’une des calèches de tout à l’heure. » Son expression était troublée, peut-être parce que cette vue lui rappelait le souvenir des étudiants impolis de l’Académie.

C’était la première fois que je voyais un uniforme de l’Académie. Il fallait s’y attendre, car il était rare qu’un roturier comme moi voie quelqu’un de l’Académie. Je suppose que j’aurais pu en voir lorsque j’étais dans la capitale il y a quelque temps, mais je ne me rappelle pas en avoir vu. C’est peut-être parce que j’étais habillé bizarrement et que je ne faisais pas attention à l’apparence des autres.

« C’est un bel uniforme, hein ? » avais-je fait remarquer. D’un côté, il s’agissait simplement d’un uniforme bien taillé, à l’apparence coûteuse, mais les vêtements avaient également l’air agréables, de mon point de vue d’aventurier.

« Oui. Il est fait de laine de mana renforcée par l’alchimie, et il y a plusieurs cercles magiques cousus dessus avec de la soie. Un étudiant de l’Académie doit faire face à divers dangers, comme la pratique de la magie ou les expériences chimiques, de sorte qu’un vêtement largement utile est préférable. C’est un objet magique magnifiquement créé. »

Une partie de moi était impressionnée que Lorraine puisse en dire autant à distance, mais l’alchimie était sa spécialité. Quant à moi, j’avais juste vaguement ressenti du mana. Je ne pouvais pas voir le flux de la magie ou comprendre la configuration des cercles magiques comme Lorraine le pouvait. Pourtant, je pouvais en dire beaucoup malgré mon manque de connaissances. Par exemple, l’uniforme semblait pouvoir résister à la magie. Le tissu résisterait probablement aussi aux coups d’armes.

« Combien penses-tu que ça coûte ? » avais-je demandé.

« Voyons voir. À ce niveau, environ cinquante pièces d’or. Si tu voulais un niveau de protection similaire, il serait moins cher d’acheter une armure ordinaire. »

« Cinquante pièces d’or ? » La mâchoire de Rina s’était décrochée.

C’était une grosse somme. On pouvait rester dans une auberge bon marché pendant environ deux ans avec cette somme. Je pouvais me le permettre maintenant, mais je ne pensais pas pouvoir me résoudre à acheter un ensemble. Ma robe actuelle était de très bonne qualité, et je n’avais pas besoin d’une telle chose. Mais si je n’avais pas eu ma robe, j’aurais peut-être pensé différemment. J’aurais eu du mal à mettre et à enlever une armure chaque fois que je me promenais dans la ville. Dans ce sens, les robes étaient beaucoup plus faciles. Elles étaient aussi légères. Mais si j’achetais cet uniforme, je serais un homme impudent se faisant passer pour un étudiant de l’Académie.

Il était en fait assez courant que les hommes s’habillent comme des chevaliers alors qu’ils n’en sont pas, ou que les femmes s’habillent comme des nonnes à la taverne alors qu’elles n’en sont pas. Je serais la même chose que ces gens. Ils étaient aussi plus révélateurs que la vraie chose. Ils s’amusaient juste. Selon la situation, de vrais chevaliers ou de vraies nonnes pourraient passer et les arrêter ou les dénoncer. Cependant, tout cela dépendait du jugement du propriétaire de la taverne.

« Maintenant, en ce qui concerne l’ado… Ah. »

J’avais tourné mon attention vers le garçon et le marchand.

« Comment allez-vous vous occuper de ma robe ? » Le garçon déclara ça à l’homme d’âge moyen.

L’homme était perdu. Il avait l’air un peu exaspéré en disant : « Comment ça ? Comment vais-je faire ? Je vous ai juste bousculé. Je me suis déjà excusé pour cela. Allez-vous demander que je vous paie parce que c’est sale ? »

« Non, pas parce que c’est sale. Parce que vous l’avez cassé. Vous ne le savez peut-être pas, mais c’est un uniforme de l’Académie ! C’est une belle pièce d’artisanat avec des améliorations magiques de haute qualité. Mais vous… »

« Des améliorations magiques de haute qualité ? Il n’y a aucune chance que ça se casse à cause d’une petite bosse. Peut-être que vous avez un faux ? »

« Comment osez-vous ! »

La dispute avait rapidement dégénéré, et un public avait commencé à se rassembler.

Bien que Maalt soit une ville relativement paisible, les querelles étaient courantes. Les aventuriers se comportaient mieux ici que dans les autres villes, mais ils restaient des ruffians dans l’âme. Chaque jour, des disputes et des bagarres se produisaient quelque part dans Maalt. Et lorsque celles-ci éclatent, les spectateurs se rassemblent et encouragent les participants tout en pariant sur l’issue.

La rencontre entre le garçon et l’homme d’âge moyen était sur le point de dégénérer en ce genre de spectacle public, mais…

« Excusez-moi ! Laissez-moi passer ! »

Une jeune femme avait traversé la foule et s’était frayé un chemin jusqu’au centre. Elle était également vêtue d’un uniforme de l’Académie, ce qui indiquait clairement qu’elle y était étudiante. Cela signifie-t-il qu’elle était ici pour aider le garçon ?

Beaucoup d’étudiants de l’Académie pouvaient utiliser la magie. Bien qu’il soit possible d’être admis sans cette capacité, il était plus facile d’y parvenir si l’on savait utiliser la magie. Parmi les familles suffisamment riches pour payer les frais de scolarité, il était relativement courant que les enfants aient une aptitude pour la magie.

Deux étudiants de l’Académie représentaient une menace assez importante, du moins pour le pauvre marchand d’âge moyen. Il va sans dire que les mages sont dangereux. Ils pouvaient engloutir une personne dans les flammes avec juste une courte incantation. Cette situation pourrait nécessiter une intervention extérieure.

Tout le monde autour de nous semblait arriver à la même conclusion. Cependant, la jeune femme nous avait tous surpris.

« Noel. Noel Kreuge ! Arrête de te battre avec des civils ! Tu portes atteinte à la réputation de l’Académie tout entière ! » avait-elle crié.

***

Partie 4

Contrairement au garçon, qui était ouvertement arrogant, la fille semblait beaucoup plus stoïque et sérieuse. Les accessoires qu’elle portait en plus de sa robe, comme les boucles d’oreilles qui pendaient à ses oreilles et le fin bracelet qui dépassait de sa manche, indiquaient qu’elle était issue d’une famille aisée.

« Ça doit être bien d’être riche, de porter des choses aussi exquises, » dit Lorraine après un bref coup d’œil aux bijoux de la fille. « Ses boucles d’oreilles améliorent le mana, et le bracelet augmente les défenses magiques. Ce ne sont pas de simples ajouts fonctionnels, ce sont des accessoires finement travaillés, magnifiquement conçus. C’est peut-être une noble ? »

« La plupart des étudiants de l’Académie sont des nobles, donc ce n’est pas vraiment inhabituel, » avais-je dit.

En général, les aventuriers économisent régulièrement de l’argent pour pouvoir remplacer leur équipement par de meilleures versions. Les nobles, en revanche, n’avaient pas besoin de faire cela. Ils pouvaient se permettre de commencer avec un équipement de haute qualité. Cependant, de nombreux objets nécessitaient un certain niveau de compétence pour être utilisés, si bien que leurs possessions étaient souvent plus fantaisistes que fonctionnelles.

D’un autre côté, de puissants objets améliorant le mana étaient inutiles — pour ne pas dire dangereux — pour un mage inexpérimenté. C’était comme donner à un faible épéiste une lourde épée. Un mage novice pouvait facilement perdre le contrôle de sa magie et mourir dans un accident. De plus. Si vous portez trop d’objets qui influencent le flux de mana, ils peuvent finir par interférer les uns avec les autres, et vous finirez mal. Le fait que la fille portait une robe, des boucles d’oreilles et un bracelet signifiait qu’elle était au moins assez compétente pour équilibrer les trois sans problème.

Il fut un temps où Lorraine portait des anneaux magiques à tous ses doigts et orteils, cinq boucles d’oreille à chaque oreille, dix couches de robes et cinq chapeaux empilés sur sa tête. Bien sûr, le premier sort qu’elle avait lancé dans cet état avait provoqué une énorme explosion. Bien qu’elle ait échoué de façon spectaculaire, elle avait réussi à contrôler tous ces objets pendant près de trente secondes. Cela lui avait demandé une quantité ridicule d’efforts, donc on pouvait se demander si cela serait utile en combat réel. Peut-être que cela fonctionnerait dans des situations qui nécessitent une grande puissance de feu pendant seulement une fraction de seconde.

De toute façon, il était injuste pour la jeune fille de la comparer à une érudite folle comme Lorraine.

Lorraine et moi discutions tranquillement quand j’avais remarqué que Rina était devenue étrangement silencieuse. J’avais regardé sur le côté et je l’avais trouvée en train de fixer attentivement le garçon et la fille de l’Académie avec un air choqué.

C’était inhabituel pour Rina d’avoir l’air si surprise. Après tout, elle n’était pas une mauviette. Elle m’avait accepté calmement alors que je n’étais qu’un tas d’os, et elle avait même trouvé un moyen de me faire entrer en douce dans la ville. C’était difficile de l’effrayer. D’accord, elle était toujours plus expressive que Lorraine ou moi, donc d’une certaine manière, elle était souvent surprise par une chose ou une autre, mais il était rare de la voir réduite au silence.

« Rina, qu’est-ce qu’il y a ? » avais-je demandé.

Rina avait repris conscience, mais elle avait gardé les yeux sur le garçon et la fille en s’exclamant : « La fille ! C’est l’amie dont je parlais tout à l’heure ! »

 

◆◇◆◇◆

« Reste en dehors de ça, Élise Georges, » dit le garçon. « Je suis occupé à parler à ce marchand. Je n’ai pas le temps de m’occuper de toi maintenant. »

D’après ce qu’ils s’étaient dit jusqu’à présent, j’avais compris que le garçon s’appelait Noel et la fille Élise.

Agacé, Noel regarda Élise et fit un signe de la main comme pour la faire fuir. Les yeux d’Élise s’étaient rétrécis et elle l’avait regardé avec insistance.

« Toi… ! »

 

 

J’avais senti le mana couler dans le corps d’Élise. Cependant, elle ne se préparait pas à lancer un sort. C’était juste une réponse naturelle déclenchée par son état émotionnel. Comme les émotions pouvaient affecter la force de votre mana et le timing de votre sort, les mages expérimentés s’entraînent à éviter cela. Ainsi, Élise n’était probablement encore qu’une apprentie. Bien qu’elle soit compétente, il était compréhensible qu’elle ne puisse pas le contrôler.

Alors que nous regardons le garçon et la fille se chamailler, Lorraine se frotta le menton et murmura : « L’amie de Rina, hein ? Alors c’est une mauvaise situation. »

« Vraiment ? » avais-je demandé. « Je veux dire, quoiqu’il se passe, ils ne vont pas commencer à se jeter des sorts ici. Et même s’ils le faisaient, nous pourrions y faire face. »

Tirer des sorts puissants au milieu d’une ville était interdit. À Yaaran et dans la plupart des autres pays, c’était la loi. Il y avait des exceptions occasionnelles, mais j’espérais qu’ils ne seraient pas assez imprudents pour déclencher une bataille de magie ici. De plus, j’étais presque sûr que l’Académie était fière de l’intelligence et de la bienséance de ses étudiants.

Mais là encore, les querelles entre aventuriers étaient monnaie courante, et on les laissait souvent dégénérer au point que la garde municipale devait intervenir. Ainsi, à moins qu’ils ne détruisent les biens de la ville ou ne blessent des passants innocents, les bagarres étaient rarement traitées comme un crime majeur. Pour cette raison, les aventuriers n’avaient aucun scrupule à se battre entre eux. Ce n’est pas qu’ils ignoraient la loi, mais ils ne se préoccupaient que du strict minimum requis pour vivre en société. C’est pourquoi tout le monde traitait les aventuriers comme de vulgaires ruffians.

En se basant sur cela, même si Noel et Élise commençaient à lancer des sorts ici, ils n’auraient probablement pas beaucoup de problèmes. Cela mettrait en danger les spectateurs, mais Lorraine pourrait mettre en place une barrière magique ou autre. De plus, j’avais déjà regardé s’il y avait d’autres mages dans le coin. Il y avait quelques aventuriers mages dans les environs, donc ils interviendraient probablement. Je ne pensais pas que la situation était particulièrement dangereuse.

Mais Lorraine secoua la tête et déclara : « Les enfants de l’académie sont une chose. Mais regarde ce que le marchand a sur sa hanche. »

« Oh, ça vient de la République Maritime d’Ariana. C’est donc de là que vient le marchand. »

Il y avait une dague accrochée à la ceinture du marchand. À en juger par sa taille et sa conception, elle n’était pas destinée au combat, mais plutôt à l’exhibition. Deux crêtes clairement visibles avaient été sculptées dans la poignée. J’avais déjà vu l’un d’eux avant. C’était le blason de la République Maritime d’Ariana. Le dessin consistait en un dragon marin étranglant une pieuvre géante en plein océan.

La République Maritime d’Ariana était un pays côtier qui prospérait principalement grâce au commerce maritime. Par conséquent, un certain nombre de ses citoyens étaient des marchands, et c’est pourquoi on pouvait les trouver dans presque tous les pays du continent. Cependant, je ne voyais pas en quoi c’était un problème en ce moment.

« L’autre blason montre qu’il appartient à la guilde des marchands d’Ariana, » expliqua Lorraine. « Ces poignards ne sont donnés qu’à ceux qui ont une certaine stature dans la guilde. Se disputer avec lui pourrait être dangereux. Et comme ce sont des étrangers, on pourrait les laisser à leur conflit, mais… »

La guilde des marchands d’Ariana avait la réputation de faire n’importe quoi pour gagner de l’argent. Elle employait un grand nombre de mercenaires et d’aventuriers puissants, et on disait qu’elle faisait même appel à des assassins à l’occasion. C’était une organisation dangereuse, entourée de faits nébuleux et de rumeurs inquiétantes. Ils n’étaient pas un problème si vous traitiez avec eux selon les règles normales de la société, mais les combattre exigeait un certain niveau d’engagement.

Lorraine avait voulu dire qu’il était extrêmement risqué de déclencher par inadvertance une bagarre avec eux, même par ignorance. Mais puisque l’amie de Rina était maintenant impliquée, elle disait aussi que nous ne pouvions pas simplement l’ignorer.

« N’est-ce pas un peu risqué d’intervenir après autant de querelles ? » avais-je fait remarquer.

J’aimerais bien intervenir, mais Noel et le marchand n’avaient pas l’air d’être prêts à faire la paix. Nous pourrions juste causer plus de problèmes et finir dans la querelle nous-mêmes.

« Je pense que ça devrait aller. J’ai remarqué quelque chose quand j’ai regardé la robe du garçon. Mais c’est la question importante. Rina, préfères-tu les aider ? »

Rina avait hoché la tête attentivement et avait répondu : « Oui, si c’est possible. Est-ce que ça serait bien ? »

 

◆◇◆◇◆

« Calme-toi, Élise. Tu n’as sûrement pas l’intention de commencer à lancer des sorts dans un espace comme celui-ci. »

Noel, qui semblait avoir une dizaine d’années, avait inopinément tenté d’avertir Élise. Cependant, son ton et son attitude l’avaient fait paraître extrêmement arrogant, et ses paroles avaient été contre-productives.

Quand Élise n’avait montré aucun signe de recul, Noel avait essayé à nouveau, en disant, « Ne comprends-tu pas que j’essaie de t’empêcher de te battre quelques minutes seulement après ton arrivée à Maalt !? Le doyen a insisté pour que nous nous comportions bien, et pourtant tu… »

Heureusement que rien d’important n’était encore arrivé. Peut-être avaient-ils plus de retenue que je ne le pensais ? Néanmoins, cela ne changeait rien au fait qu’ils étaient actuellement le centre d’attention. Peut-être n’étaient-ils pas si préoccupés par la foule qui se rassemblait parce qu’ils étaient nobles. Moi, un simple roturier, je ne pourrais jamais penser comme ça.

Pendant que je réfléchissais à l’attitude des nobles, Lorraine s’était frayé un chemin à travers la foule et s’était placée à l’avant, face au marchand et aux deux étudiants de l’Académie. Elle aurait pu faire sauter les gens hors de son chemin avec de la magie, mais cela n’aurait fait que jeter de l’huile sur le feu. Elle était prévenante en ne le faisant pas.

« Vous tous, attendez un moment, » dit-elle alors que les trois la regardent d’un air soupçonneux.

C’est tout à fait le genre de Lorraine de rester calme même lorsqu’elle est une étrangère qui apparaît soudainement au milieu d’une dispute.

« Qui êtes-vous ? Une Maaltesienne ? » demanda Élise.

« Oui. »

« Alors pourquoi vous mêlez-vous de ça ? Je suis sûre que vous pouvez voir que nous sommes de l’Académie. »

Élise sous-entendait qu’étant donné que la plupart des étudiants de l’Académie étaient des mages, et que même ceux qui ne l’étaient pas avaient reçu un entraînement au combat, il était extrêmement dangereux pour un civil ordinaire de s’impliquer. Elle veillait à la sécurité de Lorraine. Naturellement, elle n’avait pas à s’inquiéter. Lorraine allait bien.

« Je comprends, » poursuit Lorraine, « Je suis là pour vous. »

Lorraine s’était approchée de Noel. Noel avait essayé de reculer, mais Lorraine était trop rapide pour lui. Elle s’était approchée et avait touché sa robe. Je pensais que Noel allait dire quelque chose, mais il était resté silencieux de façon inattendue. Même Élise semblait stupéfaite par sa réaction.

Lorraine avait passé quelques instants à observer la robe de Noel, puis elle avait dit : « Comme je le pensais. Vos affirmations sont correctes. »

À voix basse, Rina m’avait demandé : « Attends, il disait la vérité ? Alors le marchand a vraiment abîmé sa robe ? »

« Lorraine a mentionné plus tôt qu’elle avait remarqué quelque chose. Elle devait faire référence à la robe du garçon. Mais euh, je n’avais pas remarqué qu’elle était endommagée. Je sens que les améliorations sont toujours actives. »

Je ne pouvais pas voir le mana comme Lorraine le pouvait, mais je pouvais vaguement dire quand un sort était activé ou quel pouvait être son effet. Mes sens m’avaient dit qu’il y avait encore de la magie sur la robe du garçon. Maintenant que j’y pense, c’était un peu plus faible que sur la robe de la fille. Peut-être ? Non, pas plus faible…

« Attends, qu’est-ce que vous voulez dire ? Comment pouvez-vous le dire ? » demanda Élise. Elle était tout aussi déconcertée que Rina et moi.

« Je n’en ai peut-être pas l’air, mais je suis une alchimiste. Ce serait une chose si je ne faisais que regarder de loin, mais maintenant que j’ai touché et inspecté sa robe, c’est assez facile à voir. »

Lorraine le savait déjà, car elle pouvait littéralement voir le mana avec son œil magique. Mais le dire en public ne ferait que compliquer les choses, alors elle avait inventé une excuse plausible. J’étais le seul ici à connaître la vérité.

« Une alchimiste ? Alors ce que Noel disait… »

« Il avait raison. Ce qui veut dire que dans ce cas, c’est vous qui cherchez la bagarre. C’est compréhensible, cependant, étant donné les circonstances. Vous auriez pu formuler les choses avec plus de tact, jeune homme. »

Bien qu’il ait laissé Lorraine toucher sa robe, Noel avait soudainement retrouvé son attitude arrogante. Il avait arraché sa robe de l’emprise de Lorraine en disant : « Vos conseils sont inutiles. Je ne faisais que dire la vérité. »

Lorraine soupira et secoua la tête.

J’espérais que ce serait la fin de tout ça, mais les choses ne sont jamais aussi simples. Bien que Lorraine ait mis Noel et Élise sur la même longueur d’onde, elle n’avait pas résolu la cause réelle de l’agitation.

« A -Attendez, attendez ! » hurla le marchand. « Ça veut-il dire que c’est de ma faute !? Allons donc. Vous ne pouvez pas débarquer comme ça et lancer des accusations comme ça ! »

Le fait que Noel ait raison signifiait que le marchand était dans l’erreur. S’il n’avait vraiment rien fait à la robe de Noel, alors ce serait une accusation insultante.

Lorraine s’était approchée du marchand et lui avait murmuré quelque chose à l’oreille. Toute l’émotion sur son visage était tombée en un battement de cœur et il était devenu blanc comme un linge. Après quelques secondes, il avait hoché la tête, son corps entier tremblant.

« Alors, que vas-tu faire ? » demanda Lorraine pour insister.

« J’enverrai plus tard un dédommagement à l’Académie pour les dommages causés. Je suis vraiment désolé de vous déranger, » déclara le marchand, à la surprise générale.

Lorraine s’était retournée vers Noel. « Et vous ? » demanda-t-elle, comme pour le pousser à bout.

Les sourcils de Noel se froncèrent, et il avait l’air d’avoir mordu dans un fruit particulièrement amer, mais il semblerait ensuite avaler ce qu’il allait dire.

« Cela me convient parfaitement. Le doyen a insisté pour que nous nous comportions d’une manière digne d’un étudiant de l’Académie pendant que nous sommes à Maalt. »

Lorraine s’était ensuite tournée vers Élise, l’incitant à répondre elle aussi.

« Je n’ai rien à ajouter. Oh, mais une chose, Noel. J’ai eu tort. Je vais me rattraper. »

« Hrmph. Élise Georges, si tu veux m’acheter quelque chose, alors augmente d’abord tes notes. Et apprends à juger de la force de quelqu’un en face de toi. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser. »

Noel avait quitté l’arrêt de calèche. La tension dans l’air s’était dissipée, et les spectateurs s’étaient dispersés. Les seuls qui restaient étaient Rina, Lorraine, Élise et moi. Le marchand s’était également éloigné.

Maintenant que la zone était quelque peu déserte, Élise avait finalement remarqué Rina et s’était écriée : « Rina ! ? Qu’est-ce que tu fais ici !? »

***

Partie 5

« Ah, c’est donc pour ça que tu es là, » dit Élise en soupirant. « Donc ces deux-là sont tes mentors ? »

Nous étions maintenant en train de nous détendre dans un café dans un autre quartier de Maalt. L’ancienne camarade de classe de Rina, Élise Georges, nous avait également rejoints.

Rina avait pris quelques libertés avec son explication. Plus précisément, elle avait omis de dire qu’elle était tombée sur un mystérieux squelette, qu’elle avait failli devenir un maître de donjon et qu’elle n’était plus humaine. Cependant, ce n’était pas comme si elle mentait.

« Oui, » répondit Rina. « Je suis venue de la capitale, et les choses n’allaient pas bien. Mais après que Monsieur Rentt m’ait sauvée dans le donjon, j’ai enfin appris à prendre soin de moi. Mlle Lorraine est une mage extraordinaire, et j’ai l’intention de commencer à apprendre la magie avec elle bientôt. »

Rina n’avait pas exprimé d’intérêt pour la magie auparavant, mais elle avait appris à utiliser la Division. Nous avions décidé qu’il serait bon pour elle d’en apprendre plus sur la magie et d’être capable de l’utiliser dans une certaine mesure. Si quelqu’un la voyait utiliser une capacité vampirique, elle pourrait la faire passer pour un sort. Mais pour cela, elle devait comprendre ce que la magie pouvait et ne pouvait pas faire.

La magie ne pouvait pas reproduire les effets de la Division, mais comme elle pouvait projeter des ombres et autres, c’était une excuse plausible. Si quelqu’un mentionnait ensuite qu’il n’avait pas senti de mana, elle devrait dire qu’elle était vraiment bonne pour le cacher. Ce n’était pas une grande explication, mais c’était suffisant. Rina dissimulerait ses capacités vampiriques autant que possible, mais il était bon de se préparer à cette éventualité.

« Hein. Alors vous êtes un mage, » commenta Élise. « C’est pourquoi vous étiez si imperturbable quand vous nous avez approchés. Et Noel a dit quelque chose à propos d’apprendre à reconnaître la force d’une personne… Oh, ça veut dire que vous êtes une mage très puissante, Mlle Lorraine ? »

Lorraine inclina la tête. « Non, pas vraiment. Je suis surtout une érudite. Je ne pratique la magie que pendant mon temps libre. »

J’avais envie de crier « Menteuse ! », mais c’était vrai qu’elle était d’abord une érudite et ensuite une mage. Le problème, c’était sa remarque sur le fait qu’elle n’était pas si puissante que ça. Eh bien, je suppose qu’elle était juste modeste.

En vérité, il n’était pas si facile de savoir au premier coup d’œil quelle était la force d’un mage. S’ils libéraient leur mana et le laissaient s’écouler d’eux comme une aura, je serais capable de sentir à quel point ils sont intimidants, mais personne avec une quelconque compétence ne ferait quelque chose d’aussi évident. Il arrivait parfois qu’un mage fasse cela pour effrayer son adversaire, mais la plupart des mages cachaient généralement l’étendue de leurs réserves de mana. Lorraine cachait toujours son mana. C’était beaucoup plus sûr pour elle de cette façon.

Élise savait aussi que les mages cachaient souvent leur mana, elle avait donc regardé Lorraine avec scepticisme. « Vraiment ? Mais sinon, Noel n’aurait pas dit ça. »

« Oh, oui, ce garçon. Il est clair que vous ne vous entendez pas, mais y a-t-il une cause à ce désaccord ? » demanda Lorraine, changeant immédiatement de sujet.

« Désaccord ? Ce n’est pas vraiment si grave. Nous nous battons toujours pour les meilleures notes de l’Académie. C’est juste que notre rivalité s’est intensifiée et que notre relation a fini ainsi. Malheureusement, je n’ai jamais été capable de le battre. »

« C’est donc un très bon élève malgré son âge. »

« Oui, c’est certainement vrai, mais… Il a tendance à regarder les gens de haut, juste un peu, donc les incidents comme ce qui s’est passé plus tôt sont assez réguliers. »

« Un peu » ? Je ne devais pas être le seul à vouloir intervenir. Mais Lorraine et moi étions assez matures pour nous abstenir de dire ce que nous pensions.

Rina, en revanche, n’avait pas eu de scrupules. « Ce n’était pas du tout “un petit peu” ! Il était vraiment grossier ! »

Rina avait probablement été si directe parce qu’elle était furieuse qu’il ait pris Élise de haut. Il avait donné l’impression de la narguer avec arrogance, mais selon la façon dont on interprétait sa déclaration, on avait aussi l’impression qu’il respectait à contrecœur les compétences d’Élise. Au moins, il semblait accepter qu’Élise soit la plus compétente après lui. Cependant, il y avait toujours une partie de Rina qui pouvait être un peu enfantine, donc elle était plus susceptible de se concentrer sur le revers de la médaille que sur le compliment.

« Oui, bien sûr, » avait convenu Élise, « mais d’habitude il y a plus de logique derrière ses plaintes. C’est pourquoi j’ai été surprise qu’il hurle sur un marchand. Oh, ça me rappelle quelque chose. Que s’est-il réellement passé, Mlle Lorraine ? Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé. »

« Oh, oui, bien sûr. Quant à ça… Le marchand a déformé la magie de la robe de Noel. En conséquence, la robe était moins efficace. C’est tout ce que c’était. »

Nous le savions déjà. C’était ce que Noel avait accusé le marchand de faire en premier lieu. Ce que je voulais savoir c’était la cause.

« Mais les robes sont spécialement fabriquées à l’Académie, » ajouta Élise. « Des artisans de première classe ont tout fait, de la conception aux matériaux, en passant par les travaux d’aiguille et les enchantements. Elles ne s’abîment pas facilement. Ce serait une chose si les robes avaient affronté un monstre, mais le marchand n’a fait que rencontrer Noel. Il n’y avait rien qui semblait pouvoir faire ce genre de dégâts. »

Elle avait raison. D’ailleurs, ce n’était pas parce que le marchand faisait partie des échelons supérieurs de la guilde des marchands de l’Ariana qu’il était particulièrement habile au combat. Il n’aurait jamais pu faire autant de dégâts qu’un monstre en tombant sur Noel. De plus, Noel était un mage de l’Académie. Entre les deux, Noel et sa robe étaient plus forts.

Ce serait terrifiant si les marchands étaient aussi forts. Mais il y avait aussi les forgerons qui rassemblaient les matériaux pour fabriquer leurs propres armes, et les herboristes qui se rendaient dans des endroits dangereux pour trouver des herbes médicinales.

Alors que le marchand avait l’air d’avoir la tête sur les épaules, il n’était qu’un petit homme corpulent. Néanmoins, Lorraine prétendait que le petit homme corpulent avait endommagé la robe d’un mage de l’Académie. Mais qu’est-ce qui se passe ?

« Oui, normalement, ça n’arriverait pas. Mais… c’est différent si vous avez quelque chose comme ça. »

Lorraine récupéra un objet dans son sac et le laissa tomber, avec un bruit sourd, sur la table.

 

◆◇◆◇◆

Lorraine avait posé une petite dague sur la table. Elle était plus ornementale que fonctionnelle, et sa poignée était ornée de crêtes extrêmement complexes. Elle était différente de la dague que le marchand portait comme marque de son rang dans la guilde des marchands de l’Ariana.

« Ça a l’air cher, » avais-je murmuré par habitude.

Lorraine m’avait regardé avec une pointe d’exaspération. « Tu peux facilement t’offrir quelque chose comme ça maintenant. Mais… Je ne sais pas si tu pourrais t’en acheter un. D’ailleurs, ils ne sont pas vendus par ici, » avait-elle fait remarquer, ses mots étant lourds de sens.

« Qu’est-ce que ça… ? »

J’avais incliné la tête et regardé la dague. Mais lorsque j’avais essayé de la toucher, j’avais senti une sensation extrêmement désagréable remonter le long de mon bras. Je l’avais immédiatement lâchée.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? »

Ma réaction avait piqué la curiosité d’Élise, qui avait poliment dit « Excusez-moi » et s’était approchée pour le ramasser elle-même. Lorraine avait attrapé son poignet pour l’arrêter.

« Vous ne devriez pas le toucher. »

« Hein ? Pourquoi ? »

Lorraine avait fait un geste vers moi. « Lui et moi avons développé une certaine résistance à ce genre de choses. Si quelqu’un qui n’a aucune résistance y touche, il pourrait y avoir des effets secondaires désagréables. Le marchand l’avait enveloppé dans ceci. »

Lorraine avait sorti un tissu plié de son sac.

« Je vois, » avais-je dit en hochant la tête. « Un tissu imprégné de divinité. Donc cette dague est… »

« Oui, c’est un objet maudit. C’est en fait un crime d’en apporter un à Maalt. »

Les objets maudits étaient connus sous différents noms, comme « biens maudits », « outils du démon » et « objets de l’ombre », mais ils se référaient tous à un type d’objet spécifique, comme mon masque. Techniquement, il s’agissait plutôt d’un objet divin, donc ce n’était pas vraiment la même chose, mais j’avais vraiment pensé qu’il était maudit au début. Après tout, il ne voulait pas s’enlever. Mais encore une fois, ça s’est avéré pratique. Je n’avais pas à trouver d’excuses pour ne pas me montrer.

« Un objet maudit ! ? Ceci ? C’est la première fois que j’en vois un, mais je ne peux pas le dire en le regardant, » dit Élise en fixant la dague avec des yeux écarquillés.

J’avais trouvé cela un peu surprenant.

Lorraine aussi, car elle avait déclaré : « Je me serais attendue à ce que l’Académie les ait par douzaine dans ses stocks. »

L’Académie était un établissement d’enseignement, mais aussi un centre de recherche. Leurs études allaient des sujets académiques standards à tous les sujets impliquant la magie. Cela incluait les objets maudits, il devait donc y avoir des spécialistes dans ce domaine. Techniquement, ils tombaient sous la rubrique des objets magiques, mais leurs effets ignoraient complètement les lois de la magie. Analyser et comprendre leur fonctionnement était un champ d’étude important.

« Même pour l’Académie, les objets maudits puissants sont généralement considérés comme précieux, » expliqua Élise. « Ils ne traînent pas par terre pour que tout le monde les trouve. J’ai entendu dire que la Tour en possède un certain nombre, mais ils sont censés être stockés sous haute surveillance. Un simple étudiant ne pourrait pas y avoir accès. »

« C’est donc comme ça que ça se passe à l’Académie de Yaaran. Je vois. Alors, dans ce cas, ce serait une expérience précieuse pour vous. Puisque vous êtes là, voulez-vous le toucher ? »

« Lorraine, ne viens-tu pas de lui dire de ne pas y toucher ? Es-tu sûre ? » avais-je demandé.

« C’est bien, mais pas à l’intérieur de la ville, car je ne sais pas ce qui pourrait se passer. Je ne propose certainement pas qu’elle le touche ici. Mais Élise sera à Maalt pendant un certain temps. Si nos emplois du temps le permettent, je serai heureuse de lui fournir un endroit et une occasion de le faire. Qu’en dites-vous ? »

La proposition avait l’air effrayante, mais puisque Lorraine l’avait proposée, il n’y avait probablement pas beaucoup de danger. Je veux dire, il y avait une grande variété d’objets maudits. Ceux comme mon masque, sans possibilité d’annuler leurs effets, étaient minoritaires, et la plupart étaient assez faibles pour que les saints de l’église puissent les purifier. Certains pays avaient même traité les plus faibles comme des objets magiques ordinaires. Cette dague devait être de ce niveau, sinon Lorraine ne l’aurait pas suggérée. Quoi qu’il en soit, elle était assez faible pour qu’un tissu infusé de divinité serve de bouclier.

Élise réfléchit un instant à la proposition de Lorraine, mais sa nature d’élève de l’Académie l’emporta. Avec un regard déterminé, elle déclara : « J’aimerais beaucoup avoir cette opportunité. En ce qui concerne mon emploi du temps, je ne connaîtrai pas les détails avant d’avoir vérifié, mais dès que j’en serai certaine, je vous contacterai. » Elle n’allait pas laisser une telle opportunité d’apprentissage se perdre.

Lorraine avait acquiescé et avait donné à Élise ses coordonnées.

D’après Élise, les étudiants de l’Académie louaient une grande auberge ici à Maalt. Les gens de la Tour se joindraient à eux, mais bon, ils ne lésinaient pas sur les moyens, n’est-ce pas ? Une auberge dans une ville paumée ne coûtait pas cher à louer.

Au moment de se séparer, Élise et Rina s’étaient prises dans leur bras et s’étaient promis de sortir de temps en temps pour manger pendant qu’Élise était en ville.

Pendant que nous observions leur échange, j’avais demandé à Lorraine : « Alors, peut-on supposer que c’est la dague qui a endommagé la robes ? » Bien qu’elle me donne toujours un frisson désagréable quand je la tiens, je m’y suis habitué.

« Oui. Il perturbe probablement le flux de mana dans les objets proches. Les objets magiques ont généralement un bouclier pour éviter cela, mais celui-ci est assez puissant pour le contourner. Il n’est pas facile de recréer cet effet avec notre technologie actuelle. »

« Mais ce n’est pas impossible ? »

« Bien sûr que non. Je peux penser à plusieurs méthodes potentielles. Les robes de l’Académie ont été conçues pour résister à ces méthodes existantes, pourtant elles n’ont rien fait contre cette dague. C’est ce qui fait qu’un objet maudit est un objet maudit. Si j’arrive à comprendre comment ça marche, ça vaudrait une petite fortune, mais ça ne semble pas prometteur. »

Lorraine avait un œil magique, il n’était donc pas difficile pour elle de comprendre le mécanisme d’un objet magique ordinaire. Les objets maudits étaient cependant dans une catégorie à part.

« Alors pourquoi toi et moi pouvons nous tenir cela et ne pas être affectés ? » avais-je demandé.

« Nous avons été bénis par le dieu du sanctuaire que tu as restauré. C’est essentiellement la même chose que de le tenir avec ce tissu. Rina pourrait être bonne si elle emprunte également ta divinité, mais je ne pouvais pas le divulguer pendant notre conversation. »

C’est logique. Si nous l’avions mentionné devant Élise, cela aurait soulevé la question de savoir où Rina avait acquis la divinité. Je devrais dire à Rina certaines choses sur cette dague plus tard.

***

Histoire Annexe : Noel Kruege

Partie 1

Pourquoi dois-je faire face à cela après ce voyage tortueux de Vistelya jusqu’à cet endroit perdu ? Noel Kruege, le major de promotion présumé, se le demandait en vérifiant sa robe. Un marchand d’un quelconque pays étranger essayait actuellement de s’éloigner de lui.

Au moment où Noel était tombé sur ce marchand, il avait entendu un bruit assourdissant, comme si quelque chose avait perturbé la magie tissée dans sa robe. Lorsqu’il baissa les yeux pour vérifier, il remarqua que si sa robe fonctionnait toujours, les améliorations magiques étaient maintenant sévèrement affaiblies.

En tant qu’étudiant de l’Académie, Noel savait que des artisans talentueux avaient fabriqué les robes de l’école, et qu’elles n’étaient donc pas facilement endommagées. Cependant, le fait est que quelque chose l’avait endommagée. Elle était en parfait état jusqu’à son arrivée à Maalt, et la seule chose inhabituelle qui s’était produite depuis était sa brève rencontre avec le marchand. Il avait alors logiquement conclu que le marchand avait été la cause de la diminution soudaine de la puissance de sa robe.

D’habitude, Noel se serait adressé à l’un des membres de la faculté de l’Académie pour qu’ils puissent poursuivre cette affaire. Même s’il devait arrêter le marchand jusqu’à ce qu’un membre de la faculté puisse intervenir, il aimait à penser qu’il aurait pu régler cela pacifiquement. Malheureusement, cette fois, son self-control lui avait fait défaut. Il s’était disputé avec le marchand, et cela avait attiré l’attention de ceux qui étaient à proximité.

Noel avait réalisé qu’il avait mal géré les choses. On lui rappelait sans cesse qu’il avait l’air plutôt arrogant et on lui conseillait souvent de surveiller son ton. C’est pourquoi il s’était efforcé de contrôler ses actions et d’adoucir son discours en public. Malheureusement, la raison pour laquelle les choses étaient devenues incontrôlables était probablement que les derniers jours avaient été particulièrement stressants — même si ce n’était pas une excuse acceptable.

Pour l’instant, Noel avait décidé de rester sur ses positions. Il savait que le marchand était conscient de sa faute, vu la véhémence avec laquelle il s’était opposé. Une personne ordinaire, un roturier qui ne traitait avec les marchands que sur les étals des marchés ou dans les magasins, n’aurait peut-être pas remarqué la différence, mais Noel venait d’une maison noble respectable, d’un rang équivalent à celui d’un comte. L’état actuel de la famille n’avait pas de quoi être particulièrement fier, mais il s’agissait d’une famille accomplie qui, à son apogée, avait même produit des ministres d’État.

En raison de leur statut, sa famille avait fait et faisait encore beaucoup d’affaires avec les maisons de marchands. Ils négociaient personnellement avec ces marchands, et Noel assistait fréquemment à leurs réunions. Il n’avait jamais été impliqué dans aucune de ces transactions, mais en tant qu’héritier du titre, il les avait observées afin d’apprendre à traiter avec les marchands et de se familiariser avec leurs représentants.

C’est pourquoi, malgré son jeune âge, Noel connaissait un peu le comportement des marchands. Et en se basant sur ses connaissances, Noel avait décidé qu’il y avait quelque chose de particulièrement suspect chez celui-ci. Cependant, il n’avait toujours pas compris les détails. Comment le marchand avait-il endommagé les enchantements de sa robe ? Il était perdu.

Ce n’était pas son intention, mais Noel avait attiré l’ire du marchand. Noel avait espéré qu’en le narguant, il laisserait échapper quelque chose, mais le marchand était trop malin pour tomber dans un stratagème aussi évident. Au lieu de cela, ils avaient atteint une impasse.

Noel savait qu’il pouvait toujours se retirer et émettre une protestation formelle auprès de l’Académie. L’Académie avait suffisamment d’autorité pour s’occuper de cette affaire et elle accepterait ses revendications après avoir vérifié sa robe. Mais Noel avait le sentiment, peut-être l’intuition, que s’il choisissait cette voie, ils ne retrouveraient jamais le marchand.

Alors que Noel évaluait ses options, une jeune femme était soudainement apparue dans la foule. C’était Élise Georges. Après Noel, elle était l’un des étudiants les plus prometteurs de l’Académie. Sa personnalité pouvait cependant être légèrement abrasive. Elle était du genre à agir selon son propre sens du bien et du mal. Il n’irait pas jusqu’à dire qu’elle avait tort d’agir ainsi, mais dans cette situation, elle ne ferait que compliquer les choses.

Malheureusement, sa prémonition s’était réalisée. Ce qui avait été une dispute entre lui et le marchand était devenu une dispute entre lui et Élise.

Pendant qu’ils se chamaillaient, Noel avait jeté un coup d’œil au marchand. Il regardait la foule, à la recherche d’une ouverture pour s’échapper. Noel savait qu’à l’instant où il détournerait le regard, le marchand s’enfuirait.

Noel s’était senti dans son bon droit. Il est clair que le marchand se sentait gêné par quelque chose. Mais qu’est-ce que c’était, exactement ? Noel soupçonnait que cela avait quelque chose à voir avec les dommages causés à sa robe, mais il n’avait pas plus de détails que cela. Sa dispute avec Élise lui avait donné le temps de réfléchir à ce que le marchand cachait, mais à ce rythme…

C’est alors qu’une autre personne s’était frayé un chemin dans la foule et avait rapidement mis fin à la querelle entre Noel et Élise.

Qui est-elle ? s’était demandé Noel. Sans aucun doute, Élise pensait la même chose.

Même si Noel ne connaissait pas la femme, il pouvait dire en un coup d’œil qu’elle était une puissante magicienne. Son mana était très raffiné, et sa magie était propre et efficace. Noel était encore un apprenti à l’Académie, donc ses compétences étaient équivalentes à celles d’un mage moyen, ou peut-être en dessous de la moyenne. Un mage moyen n’aurait peut-être pas compris ce qu’il voyait, mais Noel pouvait dire qu’elle avait des sorts prêts à être lancés à tout moment. Cependant, la seule raison pour laquelle il savait qu’elle était exceptionnellement compétente était qu’elle avait un air similaire à celui de son ancien tuteur.

Avant de rejoindre l’Académie, Noel avait étudié avec un mage de haut rang de l’empire. Chaque fois que Noel essayait de sauter une leçon, le vieil homme prenait ce même air et intimidait Noel. Si Noel continuait à résister, il riait et lançait négligemment un sort sur lui. Les seuls sorts qui le touchaient étaient des sorts d’eau qui laissaient tout au plus un bleu, tout le reste se dissipait avant de l’atteindre ou le manquait complètement. Mais Noel se souvenait encore de la peur qu’il avait ressentie. Il savait que le vieil homme aurait pu facilement l’éteindre comme une bougie s’il l’avait voulu.

Noel n’avait pas particulièrement envie de se souvenir de cette sensation, mais malheureusement pour lui, cette femme avait exactement la même aura que ce vieil homme. Il n’avait pas pu bouger un muscle ou même protester quand elle avait empiété sur son espace personnel et avait attrapé sa robe.

◆◇◆◇◆

Ce développement inattendu avait fini par jouer en faveur de Noel. La femme qui était apparue de nulle part avait remarqué les dégâts sur sa robe après une brève inspection et avait obligé le marchand à admettre sa culpabilité. Elle avait accompli avec aisance tout ce que Noel espérait obtenir.

Noel avait pensé que Maalt était une ville frontière primitive et qu’elle manquerait donc de notables, mais il semblait que sa supposition était fausse. Il avait une liste de questions qu’il voulait poser à la mage, mais les mages en général étaient secrets. Il se doutait que s’il demandait, il n’apprendrait rien de valable dans un espace aussi public.

De plus, puisque la mage venait de lui demander si l’affaire était réglée, il décida qu’il valait mieux en rester là. Plus vite ils auront résolu le problème, plus vite la foule se dispersera, laissant peu de traces de ce qui s’était passé. Il avait eu sa part de querelles publiques à l’Académie, il le savait par expérience. Il n’avait jamais critiqué injustement qui que ce soit, mais à cause de son ton, de son titre et de ses notes, il avait souvent l’air en faute. Une fois qu’il s’en était rendu compte, il avait pris soin d’éviter tout conflit en général, mais il avait fait une erreur cette fois-ci.

La mage avait ensuite demandé à Élise si elle pensait que l’affaire était réglée. Élise avait simplement hoché la tête, puis s’était immédiatement excusée. Elle avait insisté sur le fait qu’elle allait se rattraper auprès de lui. C’était parfaitement dans son caractère étant donné son sens des responsabilités.

Noel comprenait pourquoi Élise avait été sceptique quant à ses accusations contre le marchand. Comme elle l’avait noté, le doyen de l’Académie les avait avertis de ne pas déshonorer l’école par leur comportement. Noel ne pensait pas avoir fait quelque chose de mal, mais il comprenait comment la dispute avait dû paraître à Élise.

Noel décida d’accepter ses excuses, mais il insista sur le fait qu’elle n’avait rien à se faire pardonner. Il ouvrit la bouche pour dire cela, mais il réalisa qu’il était encore immature et qu’il avait encore beaucoup à apprendre. Au lieu de cela, les mots qui sortaient de sa bouche empestaient le sarcasme, et il pouvait voir à l’expression d’Élise qu’il l’irritait.

La salvatrice présumée était assez intelligente pour reconnaître qu’elle était en faute, elle n’avait donc pas répondu à son incitation et s’était contentée de lui lancer un regard un peu vif.

Si Noel devait interpréter le message derrière ce regard, ça aurait été quelque chose comme « Je te le montrerai un jour. » ou quelque chose de similaire. Bien sûr, le facteur décisif n’était pas un duel magique à mort, mais une course pour obtenir les meilleures notes de l’Académie. C’était une rivalité parfaitement saine pour les étudiants.

Il va sans dire que Noel n’avait pas l’intention de perdre, mais il reconnaissait que les récents progrès scolaires d’Élise étaient impressionnants. Il avait eu un avantage parce qu’il avait étudié avec un tuteur avant de commencer à l’Académie, mais Élise avait rapidement comblé cet écart. Il devait rester concentré ou elle pourrait le dépasser. Et il avait des choses à faire à Maalt pour maintenir son avance.

En pensant au travail à venir, Noel s’était rendu à l’auberge que l’Académie avait louée.

***

Partie 2

« Noel Kruege. J’ai entendu parler de ce qui s’est passé à la halte routière. »

Dès que Noel était arrivé à l’auberge, Adélina Moska, l’un des professeurs de l’Académie venue enquêter sur le nouveau donjon de Maalt, l’avait salué. Il trouvait qu’elle avait un sens de l’ouïe fâcheux, mais la dispute avait attiré une grande foule. Et comme d’autres étudiants étaient là aussi, il aurait été étrange qu’elle n’entende pas.

Noel n’avait pas discuté et avait simplement expliqué ce qui s’était passé. L’expression d’Adélina, qui était rigide lorsqu’il avait commencé, s’était progressivement adoucie.

Les traits de son visage avaient toujours été un peu durs, et la plupart des gens décrivaient son comportement général comme glacial. Même avec son expression habituelle, elle était loin d’être douce. Elle était donc la professeur idéale pour diriger les élèves lors de cette sortie. Aucun n’était prêt à désobéir à ses instructions ou à lui répondre en face. Elle était également l’un des mages les plus compétents de la faculté de l’Académie. Les étudiants n’avaient que peu de chances contre elle si elle décidait de leur mettre la pression.

« Je vois. Je comprends maintenant ce qui s’est passé. Si c’est le cas, alors j’ai eu tort de vous réprimander. Cependant, à l’avenir, dans ce genre de situation, n’essayez pas de régler les choses par vous-même et contactez d’abord la faculté. Ce serait la meilleure solution. »

« J’ai envisagé cette option, » dit Noel, « mais il y avait quelque chose de… suspect dans le comportement du marchand. Je craignais qu’il ne s’échappe. C’est pourquoi j’ai décidé que le confronter moi-même était le meilleur choix. »

Adélina avait secoué la tête. « Il n’y aurait rien eu de mal à le laisser s’échapper. »

« Hein ? »

« Noel, la chose la plus importante à considérer est votre sécurité personnelle. Si ce marchand a des gens puissants qui le soutiennent, alors même vous, l’héritier d’un comté, ne pouvez pas sortir indemne d’un tel conflit. Si c’est l’alternative au fait de le laisser s’échapper, alors il vaut mieux le laisser partir. Je comprends que même si vous n’êtes pas aussi… têtu qu’Élise en matière d’éthique, il vous sera difficile de faire ce choix. Mais rappelez-vous, vous êtes toujours un étudiant. Tant que vous êtes à l’Académie, c’est le travail de la faculté de vous protéger. Comprenez-vous ce que je dis ? »

« Que… Oui, je le sais ! »

Noel était un peu irrité qu’elle vienne de le comparer à Élise, mais il réalisa que son besoin de justice avait été la force motrice de son comportement. Il avait agi de cette façon parce qu’il avait senti que quelque chose devait être fait pour les marchands. Mais après qu’Adélina lui ait fait remarquer que le laisser partir était une option, Noel avait reconnu qu’elle avait raison.

« Alors, c’est tout ce que je demande. Je vais terminer ma leçon ici. Cependant, en tant que membres de l’Académie, nous devons remercier officiellement la mage qui vous a aidé. »

« Je n’ai pas eu l’occasion de lui demander son nom ou son adresse. »

« Je vois. Mais comme elle était une mage si douée que vous ne pouviez pas vous permettre de lui désobéir, je suis sûre qu’elle va réapparaître en creusant un peu. Maintenant, Noel, allez-vous reposer. Nous commençons l’enquête sur le donjon demain. N’oubliez pas de vous préparer avec les autres élèves de votre équipe. »

Sa réprimande maintenant terminée, Adélina était retournée dans le hall de l’auberge. C’est là qu’elle avait attendu Noel.

Comme on pouvait voir tous ceux qui entraient dans l’auberge depuis le hall, les professeurs de l’Académie se relayaient là pour attendre l’arrivée des élèves. Ils attendaient probablement aussi de réprimander les élèves qui s’étaient mal comportés d’une manière ou d’une autre — comme Noel.

Alors que Noel se dirigeait vers la chambre qui lui avait été assignée, il ressentait une légère satisfaction à l’idée qu’Élise serait la prochaine à affronter cette épreuve. Peut-être avait-il une personnalité légèrement tordue.

◆◇◆◇◆

« Ah, te voilà, mon ami ! »

Le clic de la porte qui s’ouvrait apporta l’accueil exagéré de son camarade de l’Académie, Pierpaolo Blanca. Il avait été désigné pour être le colocataire de Noel pour cette sortie.

Ceux qui rencontraient Pierpaolo pour la première fois le considéraient comme un jeune homme étrange, longiligne, à l’attitude grandiose, voire insolente. Noel avait pensé la même chose lorsqu’il l’avait rencontré pour la première fois, mais à présent, il s’était habitué depuis longtemps aux excentricités de Pierpaolo.

Bien que l’apparence de Pierpaolo ne le suggère pas, son père était un noble avec un titre approprié. La famille Blanca, une famille de vicomtes, était riche et engagée dans le commerce. Pierpaolo était le fils aîné, et bien qu’il ne soit pas aussi doué que Noel ou Élise, il était l’un des meilleurs élèves de l’Académie.

Comme il venait d’une famille noble, Pierpaolo hériterait un jour du titre de sa famille. Noel trouvait un peu étrange qu’il soit un jour un collègue noble, mais la plupart des nobles étaient excentriques à leur manière. Les nobles de Yaaran en particulier étaient connus pour être plus bizarres que leurs homologues d’ailleurs.

Avec un soupir exaspéré, Noel demanda : « Alors ? Comment vont tes efforts ? Est-ce qu’il semble que les choses vont se dérouler sans encombre ? »

Pierpaolo hocha vigoureusement la tête. « On dirait qu’on va s’en sortir. Pour que des gens comme nous puissent entrer dans un donjon, il faut d’abord s’assurer la présence d’aventuriers. Nous pouvons utiliser la magie nous-mêmes, mais notre force et notre précision ne sont rien comparées à ceux qui gagnent leur pain quotidien en plongeant dans les donjons. De plus, nous ne sommes pas là pour nous battre. Nous devons faire ce que nous pouvons pour éviter de gaspiller notre énergie. N’est-ce pas, mon frère ? »

« Oui. Cela aura un impact sur nos notes à l’Académie. Je ne peux pas me permettre de perdre contre Élise. »

« Hm ? S’est-il passé quelque chose ? » demanda Pierpaolo en inclinant la tête. De toute évidence, il avait trouvé la soudaine touche d’enthousiasme dans le ton de Noel digne d’intérêt.

Noel avait décidé d’expliquer ce qui s’était passé à l’arrêt de calèche. Une fois qu’il eut terminé, Pierpaolo se tint le ventre et éclata de rire.

« Aha ha ha ! C’est la première chose que tu fais en arrivant ici ! ? Ils ont tellement insisté pour ne pas causer de problèmes, et pourtant tu es là à faire ça ! Bien que, étant donné les circonstances, je suppose que tu n’avais pas vraiment le choix. Mais hein, endommager la robe juste en la touchant, hein ? »

Noel pinça les lèvres et croisa les bras, mais il ne se plaignit pas. Pierpaolo était le rare élève de l’Académie qui pouvait parler à Noel sans aucun artifice, et Noel l’écoutait simplement. En bref, il était le seul ami de Noel parmi ses camarades de classe.

La plupart des gens voyaient Noel comme quelqu’un qui méprisait ceux qui n’étaient pas particulièrement doués. Il n’avait jamais eu l’intention de traiter les gens de cette façon, mais il était difficile pour lui de changer cette perception maintenant.

Le seul étudiant qui interagissait avec Noel comme un égal était Pierpaolo. Ce n’est pas parce que Noel était particulièrement modeste ou réservé avec lui. C’est simplement que Pierpaolo était beaucoup plus flamboyant et effronté que les autres élèves. Et en vérité, Noel acceptait généralement Pierpaolo comme un égal. Noel avait de meilleures notes, mais Pierpaolo avait de drôles d’informations et un bon flair pour les ragots. Ou peut-être avait-il une intuition plus aiguisée. C’était quelque chose dont Noel savait qu’il manquait, donc il pensait que c’était digne d’admiration.

« Un alchimiste compétent peut-il vraiment voir les enchantements brisés juste en touchant un objet ? » demanda Pierpaolo en pensant au mage que Noel avait mentionné.

Noel secoua la tête. « On dirait bien qu’elle le pouvait vu que toutes ses observations étaient correctes. Elle a même obtenu que le marchand s’excuse. Il va payer pour les dégâts. »

« Le marchand devait avoir quelque chose à cacher. C’est bien. Mais la mage… »

« Tu t’intéresses tant que ça à elle ? » demanda Noel.

« Eh bien, elle est assez forte pour t’effrayer, non ? »

« Je n’avais pas peur d’elle ! »

« Tu étais totalement effrayé. Et c’est une alchimiste qui a compris la composition de la robe de l’Académie d’un seul coup d’œil, non ? Ça semble un peu commode pour quelqu’un d’aussi compétent de se trouver par hasard là où tu te trouvais. »

« Penses-tu qu’il y a un tour de passe-passe ici ? »

C’était impossible. La situation était un accident complet, et il n’y avait aucun moyen pour quiconque de la mettre en scène à l’avance.

« Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. C’est juste que, qu’est-ce que quelqu’un comme ça fait dans cette ville paumée ? Je ne peux pas penser à de bonnes raisons. »

« Alors… elle est ici pour enquêter sur le donjon ? D’une organisation autre que la Tour ou l’Académie, je veux dire. »

« C’est ce que je pense, » dit Pierpaolo en hochant la tête. « Elle pourrait même être d’un autre pays. Ce n’est pas non plus quelque chose qui se limite à elle. Les donjons nouvellement formés n’apparaissent peut-être qu’une fois par décennie, voire par siècle. Nous n’avons aucune idée du genre de personnes qui vivent dans cette ville. Mieux vaut faire attention à soi. »

Pierpaolo avait seulement voulu dire qu’ils devaient être prudents de peur que d’autres personnes venues enquêter dans le donjon ne volent leurs découvertes. Et son argument était valable. Néanmoins, puisque Noel avait une dette envers cette mage, il avait décidé d’ignorer la suspicion injuste de Pierpaolo.

« Je comprends ce que tu dis, mais elle a dit qu’elle était maaltesienne. Sa présence n’était qu’une coïncidence. »

« Vraiment ? Eh bien, peut-être que je suis juste paranoïaque. Après tout, c’est un nouveau donjon. Il pourrait très bien contenir la découverte du siècle ! »

Noel savait que Pierpaolo plaisantait. Même s’il y avait quelque chose de ce genre à trouver, l’un des professeurs de l’Académie ou un chercheur de la Tour le trouverait. Les étudiants comme Noel et Pierpaolo étaient essentiellement des coursiers pour ces personnes, rassemblant de petites informations détaillées qui pouvaient glaner dans la ville. Cependant, cela n’éliminait pas entièrement la possibilité qu’ils trouvent quelque chose.

« Nous devrons nous en remettre à ta chance pour cela. Il semble que je n’aie pas beaucoup de chance ici, » murmura Noel, provoquant un nouvel éclat de rire de Pierpaolo.

***

Chapitre 5 : Une demande de la Guilde

Partie 1

« Je suppose qu’il est temps que je reprenne mon vrai travail, » avais-je dit environ trois jours après l’incident à l’arrêt de calèche.

J’avais participé à la récente émeute dans toute la ville — appelée en plaisantant la Grande Émeute Maaltesienne ou l’Affaire du Donjon Maaltesien — et ces derniers jours, j’avais récupéré de l’épuisement émotionnel après tout ce grabuge. Physiquement, je me sentais bien. Je ne savais toujours pas comment mon corps fonctionnait, mais comme j’étais mort-vivant, je ne me sentais jamais si fatigué. Malgré tout, j’avais envie de me reposer un peu, c’est pourquoi j’avais passé un peu de temps à me détendre.

Le truc, c’est que j’avais toujours été un travailleur acharné. Même quand j’étais humain, je n’avais jamais pris de vraies vacances. Alors ces trois jours d’oisiveté me donnaient envie de sortir et de faire quelque chose. Sans compter que je commençais à me sentir étrangement coupable de ne rien faire, même si personne ne me poussait à le faire. Peut-être que j’étais juste un bourreau de travail. C’était mieux que de ne pas travailler du tout, non ?

Ce n’est pas comme si je n’avais rien fait ces trois derniers jours. Je m’étais entraîné un peu avec Rina. Je veux dire, les aventuriers actifs devaient faire un peu d’exercice. Si vous ne faisiez rien du tout, il fallait quelques jours à votre corps pour se réadapter aux combats. Mais encore une fois, avais-je vraiment besoin de faire ça alors que je n’étais plus humain ? Honnêtement, je n’étais pas sûr que mon corps ait encore des aspects humains comme ceux-là. Peut-être devais-je le tester à un moment donné.

« Ton travail actuel ? Je dirais que tu as fait beaucoup de travail d’aventurier pendant les récents événements, donc tu n’as pas besoin de te pousser, » dit Lorraine en prenant son petit-déjeuner.

Je suppose qu’elle avait raison. Puisque la guilde traitait cet incident comme un travail d’urgence, je travaillais techniquement tout le temps.

« C’est vrai, mais les gens de la Tour sont arrivés hier, non ? Je veux vérifier et voir comment ça se passe à la guilde. Après tout, je suis sûr que les gens de la Tour ont l’intention de faire des explorations dans le donjon. »

« Ah, c’est vrai. Les gens de la Tour vont aller à la guilde pour chercher des aventuriers, comme l’ont fait ceux de l’Académie. J’ai entendu dire que les choses sont assez difficiles là-bas depuis l’arrivée de l’Académie. Mieux vaut être prudent. »

« Tu crois ? » avais-je demandé.

« Oui. L’entourage de l’Académie est principalement composé d’étudiants, donc leur objectif est d’assurer la sécurité des étudiants. Ils ne seront probablement pas très préoccupants, mais la Tour, c’est une autre histoire. Peu importe le pays d’où ils viennent, ils se concentrent sur leurs recherches et rien d’autre. Non pas que je puisse les critiquer pour ça. Je ne suis pas différente. Mais je suis sûre qu’il y aura des frictions entre eux et les aventuriers. »

Je m’étais inquiété de la même chose et j’avais pensé à visiter la guilde. Les deux camps étaient composés d’adultes, ils ne se battraient pas au hasard. Mais espérer qu’il n’y ait aucun conflit, c’était un peu trop demander, vu la différence entre les chercheurs et les aventuriers.

Les aventuriers étaient généralement des gens rudes et difficiles qui avaient gravi les échelons de la hiérarchie par la force et la persévérance. Les membres de la Tour étaient, pour le meilleur et pour le pire, les quelques privilégiés qui n’avaient pas vraiment l’habitude de se frotter à la société ordinaire. Ce n’est pas le cas de tout le monde, mais les gens se conformaient souvent aux stéréotypes. J’avais presque peur d’imaginer ce qui se passait à la guilde en ce moment.

« Ils ne se battront pas en duel à mort ou autre. Détends-toi. Ce ne sera pas si terrible que ça, » dit Lorraine en riant.

 

◆◇◆◇◆

« C’est quoi ce bordel ? Veux-tu répéter ça !? »

« Je le répéterai autant de fois que nécessaire ! Vous, les aventuriers, êtes responsables de l’échec de notre expédition d’hier ! La guilde nous avait dit que vous étiez fiables, mais pour en arriver là ? Notre contrat est rompu ! Résilié ! »

Des cris de colère avaient retenti dans le hall de la guilde. Il semblerait qu’une bagarre mortelle allait éclater d’une seconde à l’autre.

« C’est… pire que prévu, » avais-je murmuré presque dès que j’avais franchi la porte.

Sheila avait remarqué mon arrivée et s’était approchée.

« Il n’y a pas grand-chose à faire. C’est comme ça depuis que les gens de la Tour sont arrivés. Ceux qui crient là-bas sont tout aussi fautifs, ils finiront bien par se calmer. »

« Es-tu sûre qu’on n’a pas besoin de les arrêter ? » J’avais demandé, même si ce n’était encore qu’une prise de bec verbale.

« La plupart du temps…, » dit Sheila sans grande conviction.

Nous avions regardé la dispute pendant un moment, et lentement, le match de cris avait atteint sa conclusion.

« Non, mes excuses. Je suis allé trop loin. J’étais en colère parce que nous n’avons pas beaucoup avancé dans nos enquêtes. Vous vous êtes bien débrouillés hier. »

« Je suis aussi allé trop loin. C’est notre faute si l’un de vous a été blessé. Est-ce qu’il va mieux maintenant ? »

« Oui. Il a reçu de la magie de guérison, donc il devrait aller mieux après une journée de repos. »

Heureusement, la dispute s’était terminée à l’amiable.

« Mais si c’est comme ça tous les jours, ça doit être dur à gérer, non ? »

Sheila acquiesça. « Le maître de guilde en particulier s’est frotté les tempes toute la semaine. »

« Wolf ? Vraiment ? »

Faire fonctionner la guilde dans son état actuel donnerait à n’importe qui un mal de tête. Non seulement les employés devaient s’occuper des divers travaux liés aux donjons, mais ils devaient aussi gérer toutes les demandes de la Tour et de l’Académie. En tant que maître de guilde, Wolf avait dû travailler sans relâche depuis la dernière fois que je l’avais vu. Il pourrait se tuer à la tâche. S’il se retrouvait dans le même bateau que moi, peut-être que je pourrais lui apprendre comment gérer le fait d’être mort.

J’avais aperçu Wolf qui marmonnait pour lui-même en descendant les escaliers.

« D’accord, donc ceci… va ici, tandis que ceci… »

Il tenait d’innombrables feuilles de papier et de parchemin et semblait les trier en marchant. Je voulais lui dire de retourner à son bureau pour le faire, mais je m’étais dit qu’il était tellement occupé qu’il ne voulait pas que le temps qu’il passait à marcher soit gaspillé.

Wolf avait soudainement tourné la tête d’un côté à l’autre, étirant son cou. Son regard s’était posé sur moi. Ses yeux s’étaient illuminés… et j’avais eu un mauvais pressentiment au creux de l’estomac.

 

◆◇◆◇◆

« Yo, Rentt. Ça ne fait que quelques jours que je ne t’ai pas vue, mais j’ai l’impression que ça fait des semaines. »

Wolf s’avançait vers moi avec un sourire bien visible sur son visage. Il ressemblait à un maître de guilde qui, malgré son autorité et son importance, prenait le temps de s’enquérir d’un modeste aventurier de classe Bronze. Cependant, sous cette façade, il était un prédateur qui avait enfin trouvé sa proie. Un air d’intimidation émanait de lui.

« Je dois retourner au travail, » déclara Sheila et elle était partie.

De toute évidence, elle avait également remarqué l’aura prédatrice de Wolf et s’était immédiatement réfugiée dans son propre bureau. J’avais envie de me plaindre du manque de cœur avec lequel elle m’avait abandonné, mais étant donné que Wolf était son patron, elle s’était probablement dit que si elle restait, elle serait obligée d’essayer de me persuader elle aussi. Si c’était la raison de son départ, alors peut-être qu’elle était sage plutôt que sans cœur. Non, elle ne pouvait pas y penser si profondément.

« Peut-être que tu te sens comme ça parce que tu as regardé de la paperasse pendant si longtemps, » avais-je suggéré en jetant un coup d’œil à l’énorme pile de papiers dans les bras de Wolf. « Pourtant, tu as l’air très occupé. »

« Ouais, eh bien, la Tour et l’Académie semblent penser que la guilde est leur laquais. Le résultat est que j’ai une montagne de travail qui s’élève au-dessus de mon bureau. »

Si les gouvernements locaux — le pays ou les seigneurs régionaux — supervisaient les guildes d’aventuriers, celles-ci n’étaient pas des agences gouvernementales. Elles étaient plutôt des entités indépendantes. Les guildes avaient le potentiel de fonctionner comme une organisation armée opérant à l’échelle mondiale. C’est pourquoi les gouvernements locaux les réglementaient, afin d’éviter ce résultat. Ainsi, alors que les guildes étaient censées faire partie du même réseau, les informations étaient rarement partagées au niveau international.

Par exemple, si j’apportais ma carte d’aventurier à l’une des guildes d’aventuriers de l’Empire, le plus qu’ils sauraient de moi serait ce qui était écrit sur ma carte. J’en étais reconnaissant, car j’avais beaucoup de secrets, mais il ne fait aucun doute que cela dérangeait les responsables des guildes.

La plainte de Wolf, en substance, était qu’ils le traitaient comme un employé du gouvernement alors que son organisation ne faisait même pas partie du gouvernement.

« Désolé de te monopoliser quand tu es si occupé, oh, grand maître de guilde. Je ne voudrais pas ajouter à ta charge ici, alors je pense que je vais rentrer chez moi pour la journée… »

J’avais essayé de me retourner et de me diriger vers la sortie, mais un bras puissant m’avait attrapé par le poignet. Sa prise était si forte que même moi, avec ma force physique monstrueuse, je ne pouvais pas facilement résister. J’étais presque certain que Wolf avait menti en disant qu’il ne pouvait plus travailler comme aventurier.

Quand je m’étais retourné pour regarder, c’était Wolf qui tenait mon poignet. La paperasse qu’il tenait était maintenant jetée sur le sol. Je pouvais lire le désespoir sur les visages des employés de la guilde qui surgissaient de nulle part pour rassembler et réorganiser la pile de documents. Je ne savais pas si leurs expressions étaient dues à une acceptation résignée du comportement de Wolf ou à l’impact de leur emploi du temps actuel. C’était probablement les deux.

Les lèvres de Wolf s’étaient plissées en un sourire effrayant. « Tu ne t’attends pas à profiter d’un jour de congé dans ces circonstances, n’est-ce pas, Rentt ? Excuse-moi, employé de la guilde Rentt Vivie. »

Il n’avait pas besoin d’expliquer pourquoi il s’était corrigé. C’était évident. Je m’étais dit qu’il était inutile de résister, mais j’avais décidé d’essayer quand même.

« C’est toi qui m’as promis que je pourrais te refuser quand ce serait trop pour moi, » lui avais-je rappelé. Si j’avais accepté de devenir un employé de la guilde, c’était parce que Wolf avait dit qu’il ne me forcerait pas à travailler.

Wolf jeta un bref coup d’œil aux employés de la guilde qui l’entouraient avant de se tourner vers moi. « Regarde comme tes collègues sont surchargés de travail. N’est-ce pas le moment de montrer ton courage et de te porter volontaire pour les aider ? »

Lorsque j’avais regardé autour de moi, tous les employés me regardaient, soit au bord des larmes, soit avec une expression suppliante. Ils étaient tellement en phase que j’avais envie de leur demander s’ils étaient une troupe de théâtre. Ils faisaient en sorte qu’il soit très difficile de dire non.

« C’est parce que tu es tellement occupé que tu ne voudrais pas que quelqu’un comme moi, qui n’ai pas l’habitude du travail de bureau, vienne perturber ton rythme, n’est-ce pas ? »

J’avais lancé cette idée avec un espoir et une prière, mais Wolf avait simplement souri et dit : « Je vois. Alors j’ai juste besoin de te donner un travail que tu as déjà l’habitude de faire. Et j’ai justement ce travail en tête. »

« Comment faire pour avoir déjà un emploi prêt ? »

« Oh non, ce n’est pas que je l’attendais pour toi. C’est juste quelque chose qui me pose problème. Si tu peux t’occuper de ça, ça rendrait ma vie beaucoup plus facile. Vois ça comme un coup de main à un vieil ami. S’il te plaît ? »

Wolf avait vraiment l’air de se débattre avec quelque chose. Même moi, je ne pouvais pas me résoudre à refuser après tant de supplications. D’ailleurs, je n’étais pas si occupé que ça, c’est pourquoi j’étais ici en premier lieu.

Cela ne veut pas dire que je n’avais rien à faire du tout. Il fallait que j’aille à Vistelya à un moment donné. J’attendais que tout se calme un peu, mais vu l’état de la ville, j’étais sûr que plus j’attendrais, moins j’aurais d’opportunités. Lorraine et moi serions tranquilles si le voyage était retardé, mais ce serait un gros problème pour Augurey, qui attendait là. Ou peut-être était-il déjà en train de gérer les complications liées à mon absence.

J’avais décidé de laisser ça pour plus tard et j’avais dit : « Très bien, très bien. Que veux-tu que je fasse ? »

« Ah ! C’est ça l’idée, Rentt. Ce n’est pas l’endroit pour parler des détails, alors viens avec moi. »

L’expression de Wolf avait changé en un clin d’œil, et il s’était dirigé vers son bureau. Alors, tout ce qui s’est passé tout à l’heure, était-ce de la comédie ? J’étais toujours bloqué sur ce petit détail et j’avais envie d’argumenter, mais comme j’avais déjà accepté le poste, j’avais suivi Wolf dans son sillage.

***

Partie 2

Dès que nous étions entrés dans le bureau de Wolf, j’avais immédiatement fait le point.

« C’est quoi exactement ce travail spécial dont tu parlais ? »

Je voulais entendre les détails pour me mettre à l’aise. Puisque le travail n’avait pas été fait en pensant à moi, je n’avais pas besoin d’être sur mes gardes, mais même si Wolf avait plaisanté, il avait noté qu’il était parfaitement adapté pour moi. Il était facile d’en déduire que c’était un travail désagréable.

« Oh, ne sois pas si impatient. D’abord, es-tu au courant de l’état actuel de la guilde ? »

« Oui, c’est évident en regardant le hall d’entrée. »

« Je me suis dit que oui. Si les choses sont comme ça en bas, c’est parce que nous mettons les aventuriers en relation avec les gens de la Tour et de l’Académie. En dehors des apparences, les choses se passent plutôt bien. Ils obtiennent les forces et les gardes dont ils ont besoin pour leurs expéditions, et nous pouvons prendre l’argent des snobs de la capitale. »

« Tu parles comme un bandit, » avais-je commenté.

Même s’il l’avait formulé ainsi, on pouvait dire que la Tour et l’Académie payaient beaucoup mieux que le travail typique de guilde. Les gens de la ville pouvaient être arrogants et fiers, il fallait donc être patient pour travailler avec eux, mais même leur arrogance était supportable quand vous saviez que cela remplissait votre portefeuille.

Comme le coût de la vie était beaucoup plus élevé à Vistelya, les gens étaient habitués à payer plus cher pour les choses. Ils engageaient des aventuriers à des tarifs qui leur semblaient moyens ou bas, mais qui étaient élevés pour les aventuriers. La guilde leur avait expliqué qu’elle offrait plus que ce qui était normal à Maalt, mais les recruteurs n’avaient pas baissé leurs tarifs.

La Tour et l’Académie étaient deux institutions gérées par l’État. Leurs budgets provenaient des coffres de l’État, et s’ils devaient lésiner sur les coûts, le budget de l’année suivante risquait d’être réduit. C’est en partie pour cette raison qu’elles payaient toujours des prix de Vistelya, même à Maalt. De plus, Maalt manquait de main-d’œuvre. Il fallait des tarifs relativement élevés pour que les aventuriers envisagent même de prendre un emploi.

Dans l’ensemble, grâce au nouveau donjon, l’économie de Maalt se portait bien. Il aurait mieux valu qu’il ne soit jamais apparu et que personne ne soit mort à la suite de son apparition, mais c’était une sorte de lueur d’espoir. De plus, les Maaltesiens ne se contentaient pas de prendre les choses comme elles venaient, ils trouvaient toujours un avantage à leurs difficultés. Pour survivre dans ce monde rude, vous devez continuellement regarder vers l’avant. Les gens de la frontière étaient généralement meilleurs à cela que ceux des zones centrales du royaume.

« Nous avons pu trouver des aventuriers pour la plupart des demandes de la Tour et de l’Académie, » expliqua Wolf, « mais comme nous sommes beaucoup plus occupés que d’habitude, nous n’avons toujours pas assez de personnes pour tout le monde. Nous traitons donc une poignée de demandes en utilisant les employés de la guilde. »

Il était rare que les employés de la guilde acceptent des demandes, mais cela s’était déjà produit par le passé, généralement lorsqu’il n’y avait pas assez de personnel pour couvrir toute la demande. Les travaux de base comme la cueillette d’herbes étaient mis en veilleuse lorsque les choses étaient occupées comme maintenant. Tout le monde voulait un salaire plus élevé tant que c’était possible.

Une fois que les gens en avaient fini avec les emplois les plus rémunérateurs, ils finissaient par s’occuper des emplois moins prioritaires. La guilde laissait ces tâches pour plus tard, mais si cela avait des effets secondaires indésirables, la guilde envoyait son personnel pour s’en occuper. Jusqu’où la guilde allait pour gérer ces questions dépendait du maître de guilde et de la branche de la guilde elle-même. Wolf était du genre à surveiller ce genre de choses et à s’assurer qu’elles étaient prises en charge.

À ce stade, j’avais une bonne idée de ce que Wolf allait me demander de faire.

« Veux-tu donc que je m’occupe des tâches laissées en suspens ? Je veux dire, ça ne me dérange pas, puisque je suis bon dans ce genre de tâches. »

Avant de devenir mort-vivant, je donnais la priorité à ce genre de travail. Une fois qu’on s’y était habitué, ils étaient en fait assez rentables par rapport à l’effort qu’elles demandaient. Comme j’avais passé dix ans à les faire, je pouvais m’en occuper beaucoup plus rapidement que l’aventurier moyen. De plus, même les courses et les petits boulots les plus simples rapportaient des pièces d’argent.

Je me demandais parfois pourquoi personne d’autre ne travaillait de cette façon, mais quiconque avait été aventurier pendant si longtemps était déjà passé à des emplois mieux rémunérés. Accepter ce genre de travail n’était utile qu’aux aventuriers comme moi qui n’étaient pas capables de s’améliorer malgré des années de pratique.

Wolf avait hoché la tête et il avait dit : « Il y a ça aussi. »

« Aussi ? » avais-je demandé.

Donc ce n’était pas le travail qu’il voulait que je prenne. C’est logique. Wolf avait dit qu’il avait un travail particulier avec lequel il avait des problèmes. Il ne l’aurait pas formulé de cette façon s’il voulait juste que je m’occupe de l’arriéré des courses.

« Nous apprécierions que tu t’occupes aussi de ces courses quand tu as le temps, mais ce que j’attends vraiment de toi, c’est autre chose. Je t’ai dit que j’avais des employés de la guilde qui s’occupaient de certains travaux, oui ? Eh bien, en conséquence, nous avons pris du retard sur les tâches habituelles que ces employés sont censés faire. Nous sommes à un point où nous ne pouvons pas gérer plus de travail. Et malheureusement, ce nouveau donjon a été dévoilé à un individu qui n’aurait jamais dû l’apprendre. Donc maintenant, j’ai besoin de quelqu’un pour aller chercher un nouveau visiteur. »

C’était quelqu’un que Wolf, le maître de guilde ici à Maalt, devait accueillir personnellement. Ils étaient donc importants. Mais dans ce cas…

« Donc tu veux y aller toi-même, n’est-ce pas, Wolf ? »

Wolf secoua rapidement la tête. « Veux-tu bien jeter un coup d’œil à ces documents et répéter ça ? » La veine de son front s’était contractée.

Ma première impression de ce bureau avait été que c’était l’endroit où les gens qui détestaient la paperasse étaient damnés après leur mort. Si les yeux de Wolf étaient injectés de sang, ce n’était pas parce qu’il était en colère, mais parce qu’il n’avait pas assez dormi. Le fait que cet homme, l’incarnation même de la force physique, était à deux doigts de craquer… Je devais admettre que j’étais désolé pour lui.

« C’est bon. Ne me regarde pas avec pitié, » dit Wolf en agitant dédaigneusement la main. « Si tu fais ça, alors accepte le travail que je t’offre. »

Il ne demandait rien de vraiment terrible, alors j’avais hoché la tête, pensant que ce n’était pas si grave.

« D’accord, très bien. Ça ne me dérange pas d’aller chercher quelqu’un. Alors, qui est-ce ? »

Wolf soupira, on aurait dit qu’il avait mangé quelque chose d’aigre. « Le grand maître de la guilde du royaume de Yaaran. »

◆◇◆◇◆

« Le grand maître de guilde ? Attends, ne gère-t-il pas tous les aventuriers de Yaaran ? Es-tu sûr que je suis l’homme qu’il faut pour ce travail ? »

Puisque Wolf me disait d’aller l’accueillir, j’avais supposé qu’il s’agissait de quelqu’un d’important, mais c’était au-delà de ce que j’avais prévu. Je m’étais immédiatement demandé s’il n’aurait pas dû demander à quelqu’un d’autre plutôt qu’à un moins que rien comme moi.

« Je ne te dis pas d’aller te battre, ou de proposer des réformes majeures à la guilde ou quoi que ce soit, donc ça ne sera pas un problème, n’est-ce pas ? Tout ce que tu as à faire est de le rencontrer et de l’amener ici. Est-ce trop demander ? » demanda Wolf comme s’il me demandait de courir au magasin du coin.

Il avait peut-être raison. En fait, ce travail conviendrait parfaitement à un petit sous-fifre comme moi.

« Je comprends ce que tu essaies de dire, » ajouta Wolf. « Le grand maître de guilde est une figure presque mythique pour un aventurier ordinaire. Mais comme je l’ai dit plus tôt, j’ai cette montagne de paperasse à traiter. Et puis, j’ai aussi d’autres tâches à accomplir, je ne peux pas quitter Maalt comme ça. Tu comprends ça, hein ? À moins que… Si tu as décidé d’accepter mon offre et de devenir mon successeur, alors je serais heureux de t’enseigner les bases et de te laisser la guilde entre tes mains pendant que je vais chercher le grand maître de la guilde. Est-ce que tu préfères faire ça ? »

 

 

C’était une proposition terrifiante. J’étais sûr qu’il plaisantait, mais quand j’avais regardé de plus près, il avait un petit sourire effrayant. Son expression était difficile à lire. Était-il sérieux ou se moquait-il de moi ? Je savais que si je répondais du mauvais côté, il pourrait très bien mettre ce plan à exécution.

« Non, je refuse respectueusement, » avais-je répondu immédiatement. « Je vais y aller. Je vais aller le chercher. Mais le grand maître de guilde est dans la capitale, non ? »

Il était impossible qu’une personne aussi importante travaille dans un village perdu au milieu de nulle part. L’homme gérant de tous les aventuriers de Yaaran devait être dans la capitale, non ?

« Oui, donc tu dois faire un voyage rapide à Vistelya. Je comprends que ce n’est pas exactement “rapide”, mais je ne te dis pas de traverser une frontière ou quoi que ce soit. Avec une monture rapide, tu y arriveras en une semaine environ. Dans l’ensemble, ce serait un engagement d’environ deux semaines. Je m’assurerai que tu sois bien payé. C’est techniquement un travail d’employé, mais tu es techniquement un intérimaire, donc j’ai l’intention de te payer pour ton travail. »

C’était bon à entendre. Mais la capitale, hein ? Si j’utilisais le cercle de téléportation de l’Ancien Royaume, j’y arriverais en moins d’un jour. Ce n’était cependant pas une option. Je ne pouvais pas emmener le grand maître de la guilde à cet endroit. Je ne l’avais jamais rencontré, et je ne savais pas si je pouvais lui faire confiance. J’avais entendu dire que Wolf le tenait en haute estime, mais il fallait interagir soi-même avec les gens pour se faire une idée de leur caractère. Nous devions voyager en utilisant des méthodes normales.

C’était un peu embêtant, mais ce n’était peut-être pas une si mauvaise chose d’aller à Vistelya. J’avais une course à faire là-bas de toute façon. Je devais aller voir les gens que j’avais sauvés la dernière fois que j’étais allé à Vistelya. Je leur avais dit que je leur rendrais visite dans quelques jours, mais je leur avais aussi dit que j’étais un aventurier, alors j’espérais qu’ils me laisseraient un peu de répit. Sinon, j’espérais qu’Augurey avait traité toutes les demandes de renseignements. Néanmoins, je suppose que je devrais trouver une excuse tant que je le pouvais. Un nouveau donjon apparaissant à Maalt serait une bonne excuse.

« En tant qu’aventurier ! Il me fallait absolument voir le nouveau donjon ! Veux-tu bien me pardonner d’avoir fait passer cela en premier ? »

Est-ce que je pourrais vraiment m’en sortir avec ça ? Probablement pas. Je devrais juste compter sur leur gentillesse.

J’avais dit à Wolf : « Je partirai demain. Je dois prendre des dispositions pour une calèche. »

« Oh, donc tu acceptes le boulot ? Tu es mon sauveur. »

Wolf avait l’air soulagé. Peut-être qu’il ne voulait pas manquer de respect au grand maître de la guilde, même s’il était très occupé. D’après les rumeurs que j’avais entendues, c’est le grand maître de la guilde qui avait assigné Wolf à son poste actuel après qu’il ait été si gravement blessé qu’il ne pouvait plus continuer comme aventurier. Je suis sûr que Wolf se sentait redevable envers le grand maître de la guilde.

« Oh, nous allons organiser un transport pour toi, alors vas-y et fais tes bagages. Je m’assurerai également que les papiers dont tu as besoin soient prêts avant ton départ. »

« Tu te donnes du mal malgré ton emploi du temps chargé, n’est-ce pas ? »

Il travaillait énormément pour quelqu’un qui manquait de personnel au point d’enrôler un cadavre ambulant. Quelque chose me semblait louche, mais peut-être que j’étais paranoïaque.

« Ce n’est pas comme si le grand maître de la guilde avait le temps de rencontrer un aventurier quelconque de Maalt. Tu auras besoin de lettres d’introduction pour le voir. C’est quelque chose que je suis le seul à pouvoir préparer, donc je ne peux pas utiliser le fait que je suis occupé comme une excuse. Quant à la voiture, c’est le maximum que nous puissions faire cette fois. Prends-le comme un signe de remerciement. De plus, tu prends un travail que tu n’as aucune obligation de prendre. »

C’était tout à fait son genre de se soucier des détails qui me concernaient, même s’il avait l’air de me forcer à lui rendre service. J’avais pris ses mots pour argent comptant.

« Dans ce cas, j’accepte avec gratitude cette aide. Très bien, je dois aller me préparer. »

« Oui, merci. »

Nous avions passé en revue quelques questions administratives mineures, puis j’avais quitté le bureau de Wolf.

***

Partie 3

La porte du bureau du maître de guilde se referma avec un clic. Wolf soupira de soulagement. Il s’assura ensuite que la présence de Rentt ait complètement disparu de l’autre côté de la porte.

« Ouf. J’ai été inquiet pendant une seconde, mais j’ai réussi à le pousser à bout. Il peut être vif, donc j’avais peur qu’il comprenne à un moment donné. Mais il semble qu’il ait tout interprété de la meilleure façon possible. Merci les dieux. »

Les mots de Wolf semblaient sinistres alors qu’il se murmurait à lui-même.

« Bonne chance, Rentt. Je ne voudrais pas y aller même si j’avais du temps à perdre. »

Wolf avait posé la pile de documents qu’il transportait sur le dessus de son bureau et avait repris son travail.

 

◆◇◆◇◆

« Voyons voir. Mon épée principale, une dague pour le dépeçage, des vêtements de rechange, de la viande séchée, du sel… Ils sont tous là, non ? Bien, bien. »

Je hochai la tête en étalant mes affaires. Ce n’était pas tout ce qui se trouvait dans mon sac magique, mais c’était tout ce dont j’aurais besoin pour le voyage que j’allais entreprendre demain matin.

Parce que mon sac magique était si grand, il y avait beaucoup de choses inutiles à l’intérieur, des choses comme des pierres brillantes que j’avais ramassées quelque part et des morceaux de bois. Honnêtement, je ne savais pas pourquoi je les transportais, mais je pouvais les jeter si j’avais besoin de plus de place.

« Je déteste t’interrompre, alors que tu es si excité par ton voyage, mais cela ne te semble-t-il pas étrange ? » dit Lorraine en s’appuyant sur le seuil de la porte.

« Ouais. Je sais, sur beaucoup de points. »

« Alors pourquoi as-tu accepté sa demande et es-tu rentré directement chez toi ? »

Si Lorraine avait l’air légèrement exaspérée, elle semblait aussi résignée, car elle savait que c’était tout à fait mon genre de faire une telle chose.

« Je dois aller à la capitale de toute façon. J’ai des affaires à régler là-bas. De plus, j’ai causé beaucoup d’ennuis à Wolf, alors ça ne fera pas de mal de lui rendre service de temps en temps. »

« Je suis sûre que tu lui as fait beaucoup de faveurs, pas seulement de temps en temps. »

« Tu crois ? »

Lorraine avait probablement raison. Mais les gens avaient besoin de s’entraider pour survivre. Et le fait que Wolf me doive une faveur pourrait s’avérer utile, donc c’était comme semer des graines pour le futur.

« Bien sûr, » répondit Lorraine. « Mais le grand maître de la guilde, hein ? J’ai rencontré le grand maître de la guilde impérial, mais je n’ai pas encore rencontré celui de Yaaran. »

« Hein, vraiment ? Je pensais qu’en tant qu’aventurier de classe Argent, tu l’aurais au moins vu une fois. »

« Je ne sais pas comment c’est à Yaaran, mais les seuls aventuriers que le grand maître de la guilde de l’Empire rencontre sont de Rang Or et plus. La seule raison pour laquelle j’ai rencontré le grand maître de guilde impérial, c’est parce que je l’ai rencontré en tant qu’érudit. Et si je me souviens bien, ses gardes du corps étaient tous des aventuriers de Rang Or. »

« Je vois. »

Le grand maître de la guilde était au-dessus de tous les aventuriers du royaume. Il serait peut-être plus logique d’utiliser des aventuriers de classe Platine ou Mithril comme gardes du corps. Mais les aventuriers de ce rang étaient si rares et précieux qu’il était difficile de déterminer si eux ou le maître de la guilde étaient plus importants.

Si de nombreux maîtres de guilde étaient d’anciens aventuriers comme Wolf, ils n’étaient encore que les chefs administratifs de la guilde. Il était rare qu’ils soient des héros ou des personnalités notables. De plus, beaucoup d’aventuriers de classe Platine et Mithril étaient… excentriques. Ils n’écouteraient pas nécessairement les ordres d’un maître de guilde, et ce dernier n’aurait aucun moyen de les faire écouter. Nive Maris était encore une aventurière de Rang Or, mais elle finirait par atteindre la classe Platine. Voilà à quoi ressemblaient les aventuriers de classe Platine et Mithril.

Attends, qu’est-ce que j’admirais tant chez les aventuriers de classe Mithril ? Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander. Il y avait des gens merveilleux et admirables qui étaient de classe Mithril. Oui, c’est à ces personnes que je voulais ressembler. C’est vrai.

« Juste pour ma propre édification, qu’est-ce que tu trouves de suspect dans la demande de Wolf ? » avais-je demandé à Lorraine. Je n’allais pas refuser la demande après avoir entendu son raisonnement, mais il était quand même utile d’avoir son point de vue.

« Il y a plusieurs choses. D’abord, je ne sais pas pourquoi le grand maître de la guilde ne vient pas ici. Il pourrait par exemple prendre une belle voiture avec des gardes du corps de Rang Or. »

De temps en temps, des nobles venaient de la capitale, et c’est ainsi qu’ils voyageaient habituellement.

« Wolf a dit qu’il voulait envoyer un rapport au quartier général depuis la branche de Maalt. Il envoie régulièrement des rapports par courrier, mais il pensait qu’il serait plus facile pour quelqu’un qui connaissait bien la situation d’expliquer les détails. Je suis censé demander au grand maître de la guilde de venir à Maalt, car il pourrait y avoir divers problèmes avec le nouveau donjon. »

« C’est donc une question de forme ? » demanda Lorraine.

« C’est ce que Wolf disait. Quelqu’un d’aussi important que le grand maître de guilde a beaucoup d’engagements, il ne peut pas simplement se lever et quitter la capitale. Il a besoin d’une raison qui soit facile à présenter au public. »

« C’est un peu logique, mais ça semble toujours un peu mince… »

Je pensais avoir donné une explication raisonnable, mais Lorraine avait encore des doutes. J’aurais peut-être dû être un peu agacé par son manque d’objectivité, mais la vérité, c’est que je ressentais la même chose.

« Pas vrai ? C’est un peu forcé, » avais-je répondu.

« Donc tu penses qu’il y a une autre raison ? »

« Juste une intuition, mais oui. Je n’ai cependant aucune idée de ce que ça peut être. Peut-être que je suis juste paranoïaque, ou peut-être que c’est quelque chose dont il faut s’inquiéter. Honnêtement, je ne peux pas le savoir tant que je n’y vais pas. »

J’allais apprendre la vérité de toute façon, que cela me plaise ou non, une fois arrivé à la capitale. Puisque j’avais déjà décidé d’y aller, j’avais fondamentalement accepté ce qui allait se présenter à moi.

Lorsque j’avais expliqué cela à Lorraine, elle m’avait dit : « Si tu es d’accord, alors je vais laisser passer. La seule chose qui compte maintenant, c’est la promesse que tu dois tenir dans la capitale. »

« Depuis que nous avons sauvé cette princesse, n’est-ce pas ? Augurey et moi pouvons aller au palais par nous-mêmes, mais si nous le faisions, ils demanderaient pourquoi tu n’y es pas et nous diraient de t’amener aussi. Je pense que ce serait mieux si tu venais avec nous, Lorraine. Qu’en penses-tu ? »

« Ça ne me dérange pas de voyager à nouveau, mais qu’en est-il de Rina ? »

 

◆◇◆◇◆

Lorraine était inquiète à l’idée de laisser Rina, nouvellement morte-vivante, toute seule.

« Nous ne serons pas partis si longtemps. Nous pourrions demander à Isaac de veiller sur elle, » avais-je suggéré.

Bien que Rina ne soit pas exactement une vampire, elle en était assez proche, et Isaac était un vampire. Elle pouvait aller le voir si elle en avait besoin. Laura était actuellement endormie, elle était le pouvoir dans les coulisses.

Attends, on dirait que je fais partie d’une organisation maléfique. Laura et Isaac étaient techniquement des monstres, mais ils n’étaient pas mauvais au fond. Ils étaient un peu comme le vieil homme qui était une menace pour la société, mais qui était maintenant un membre honnête de la communauté. Quelque chose comme ça. Isaac était autrefois allié à Shumini, donc il était une menace bien plus grande qu’un jeune homme rejoignant un gang au hasard, mais c’était similaire, non ?

En tout cas, Laura et Isaac n’avaient plus pour habitude d’attaquer les gens au hasard et sans raison. Ils attaquaient cependant les gens s’ils avaient une raison. Ils étaient des vampires, donc certains combats étaient juste inévitables. Mais de toute évidence, ils n’avaient pas besoin de beaucoup de sang, et il n’y avait pas de séries de disparitions dans la ville. Il y avait eu quelques incidents au fil des ans, comme les disparitions liées à Shumini, mais Isaac et Laura étaient ici depuis des décennies, voire des siècles, et ils n’avaient été impliqués dans aucun de ces incidents. Nous étions à l’aise de laisser Rina sous leur responsabilité.

« Cela fera l’affaire pour Rina, mais qu’en est-il d’Alize ? » demanda Lorraine.

Alize était une enfant de l’orphelinat. Lorraine lui enseignait la magie, et je lui enseignais les techniques d’aventurier. Mais cela pouvait attendre. Elle n’avait pas besoin de devenir aventurière ou mage dans les prochains jours.

« Pourquoi ne pas laisser Rina s’en occuper ? » avais-je suggéré.

Rina était elle-même une aventurière. Avec ses capacités physiques accrues et ses pouvoirs surnaturels, elle s’améliorait rapidement et était l’une des jeunes stars prometteuses de… peut-être que c’était exagéré. Toujours est-il qu’en termes de magie et de compétences, elle était bien plus avancée qu’Alize.

Lorraine était très amusée par cette idée. « Oh, oui, ça pourrait être une bonne idée. Rina avait l’air de vouloir avoir un protégé à elle. »

Quand exactement Rina avait-elle ressemblé à ça ? Dernièrement, Rina avait exploré le donjon de la Lune d’eau seule, ou plutôt, avec mon familier Edel. Rina avait son propre groupe avec lequel elle devait s’aventurer, mais ils n’avaient pas encore suffisamment récupéré pour revenir. Elle profitait de cette occasion pour s’entraîner. Elle y allait généralement la nuit, donc même si elle restait techniquement chez Lorraine, elle n’était pas là à l’heure du dîner. Elle était toujours là le matin. Comme moi, elle avait besoin de très peu de sommeil maintenant. Un humain ordinaire ne pourrait pas et ne devrait pas essayer la même chose.

Bien que Lorraine et moi lui ayons enseigné des choses, les aventuriers apprenaient mieux en partant à l’aventure. Il y a des choses que l’on ne peut apprendre qu’en s’engageant dans des combats mortels avec des monstres. C’est pourquoi Rina partait seule à l’aventure. De plus, elle avait besoin de gagner sa vie en tant qu’aventurière. Compte tenu de ses capacités physiques actuelles, elle pouvait se faire de l’argent en attaquant les choses par la force brute, mais c’est tout un art de gérer efficacement les tâches.

En tant qu’aventurier, vous aviez besoin de compétences pour éviter de vous ruiner au cas où vous perdriez vos sources de revenus habituelles. Il ne s’agit pas seulement de compétences de combat. Vous deviez savoir comment disséquer un monstre et identifier les parties les plus rentables. La meilleure façon d’acquérir ces compétences est de passer du temps dans un donjon.

J’étais un peu trop inquiet pour envoyer Rina toute seule, alors j’avais demandé à Edel de l’accompagner en tant que chaperon, un membre temporaire du groupe. Rina et Edel étaient tous deux mes familiers, j’avais donc pensé qu’ils s’entendraient bien. Et, en fait, ils avaient plongé dans le donjon sans aucun problème.

Parce qu’Edel avait plus d’ancienneté en tant que mon familier et parce qu’il avait toujours été un monstre, il était un peu meilleur que Rina pour manipuler le mana. Par conséquent, il la traitait comme une apprentie, et non comme un membre du groupe. Chaque fois qu’elle revenait du donjon, elle parlait de la façon dont Edel avait pris la relève et de l’espoir qu’elle avait d’avoir un jour son propre protégé… ou quelque chose de ce genre. Mais elle me regardait toujours pendant qu’elle disait ça, une lueur d’espoir dans les yeux. Je devais admettre que je ne voulais pas avoir ces attentes sur mes épaules. Elle était comme un enfant qui voulait un petit frère ou une petite sœur. Je ne pouvais pas créer des familiers n’importe comment. Cependant, elle avait toujours l’air découragée quand je disais ça. Je ne faisais rien de mal, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir coupable.

Alize pourrait être une solution à ce problème. Elle n’était pas un familier, juste une enfant humaine, mais comme elle allait éventuellement devenir une aventurière et une mage, elle pourrait être la protégée de Rina.

« Tu penses que Rina va arrêter de te regarder comme si elle voulait un petit frère ou une petite sœur, c’est ça ? » dit Lorraine avec un petit rire.

« Oui, c’est en partie ça, » avais-je avoué.

« Ce n’est pas une mauvaise proposition. Rina a beaucoup à apprendre en tant qu’aventurière, mais Alize n’ira pas au donjon avec elle. Je suis sûre que Rina sera heureuse de former Alize si nous lui disons qu’elle viendra ici quelques jours par semaine pour lui enseigner en tant que mentor. »

« Oui, probablement. Puisqu’on s’est débarrassé de tout ça, vas-tu venir avec moi, Lorraine ? »

« Oui, je t’accompagne. D’ailleurs, en cas d’urgence, je peux revenir instantanément de la capitale. »

Elle faisait référence aux cercles de téléportation, mais c’était seulement en cas d’extrême urgence. Il y avait peu de chance que ce soit nécessaire, et nous rentrerions en calèche en temps normal.

***

Partie 4

« Es-tu prête ? » demande calmement Lorraine à Rina, qui était assise en face d’elle. Lorraine voulait savoir si Rina était prête à rencontrer sa nouvelle protégée.

Hier soir, un messager de la guilde était venu nous informer qu’ils avaient trouvé une calèche pour notre voyage. Heureusement, ils s’étaient arrangés pour que nous partions plus tard dans l’après-midi, ce qui nous laissait plus de temps pour régler nos affaires ici. Je soupçonnais Wolf d’avoir fait des pieds et des mains pour me satisfaire. Il avait probablement pensé que puisqu’il m’avait demandé de partir sans prévenir, j’aurais besoin de temps pour m’occuper de mes affaires. Wolf avait deviné juste, et comme nous ne partions pas avant midi au moins, j’étais reconnaissant pour ce temps supplémentaire.

La première chose à faire était de présenter Rina et Alize l’une à l’autre. Puis nous discuterions de la possibilité que Rina enseigne à Alize pendant notre absence. Bien que nous appelions cela une discussion, nous avions déjà décidé des détails de base. Cependant, s’il s’avérait que ni Rina ni Alize ne voulaient s’occuper de l’autre, nous allions complètement abandonner le plan. Et dans ce cas, nous devrions mettre l’entraînement d’Alize en attente pendant deux semaines. Je me sentirais coupable de la faire attendre, mais nous ferions face à cette situation si elle se présentait. Nous n’avions pas de plan de secours ou autre de toute façon.

« O-Oui, je suis prête. Tout est prêt ! » balbutia Rina. Elle n’avait pas l’air d’être prête du tout.

Nous étions actuellement au deuxième orphelinat de Maalt, où nous attendions le retour d’Alize. D’après Lillian, la directrice de l’orphelinat, Alize était partie faire des courses et ne devait pas tarder à revenir, alors nous avions décidé d’attendre. Nous avions aidé Rina à se préparer à rencontrer Alize, mais elle était encore anxieuse. Elle n’avait pas besoin d’être aussi nerveuse, mais Alize serait sa première protégée, alors je pouvais comprendre son anxiété.

Alors que je me demandais comment les choses allaient se passer, j’avais entendu frapper à la porte.

« Entrez, » avais-je dit. J’avais l’intention d’avoir l’air sûr de moi, mais la vérité était que je n’avais aucune autorité dans ma voix.

Alors que je boudais mon manque de sérieux, Alize était apparue de l’autre côté de la porte et avait salué tout le monde. Elle s’était détendue quand elle nous avait vus, Lorraine et moi, mais elle avait ensuite remarqué le visage inconnu dans la pièce. Ses sourcils s’étaient froncés et elle avait fait la grimace.

« Bonjour Rentt et Professeur Lorraine. J’ai entendu dire que des invités étaient là pour me voir, alors j’étais un peu nerveuse. »

Bien qu’elle ait dit ça, Alize n’avait pas l’air si nerveuse que ça. Elle essayait juste de se comporter au mieux. Je suppose que Lillian n’avait pas dit qui l’attendait. Ou alors elle avait envoyé un des autres enfants pour transmettre le message à Alize.

En tant que directrice de l’orphelinat, Lillian était très occupée. Elle n’avait probablement pas le temps d’attendre Alize juste pour lui donner un petit message. En plus, il n’y avait que nous. J’avais déjà dit à Lillian qu’elle n’avait pas besoin de nous traiter avec une attention particulière, et Alize nous connaissait déjà très bien.

J’avais dit à Alize : « Nous sommes techniquement des invités, mais tu n’as pas à nous adresser des titres. »

« J’ajoute un titre pour le professeur Lorraine, car c’est une grande mage. Mais Rentt… tu es juste Rentt. »

C’était un peu insultant si j’y pensais, mais Alize était franche parce qu’elle se sentait à l’aise avec nous, alors je n’allais pas la réprimander pour ça.

Lorraine avait souvent dit à Alize qu’elle n’avait pas besoin d’ajouter un titre à son nom, mais contrairement à moi, Lorraine avait une certaine gravité. Elle ne semblait pas pouvoir s’en débarrasser. Le fait qu’elle soit une érudite ne faisait que renforcer son autorité. Par contraste, je n’étais qu’un simple aventurier. Presque personne ne s’adressait à moi par un titre, alors ça allait.

« Qu’est-ce que tu sous-entends exactement ? » avais-je demandé à Alize. « Je veux dire, pas que ça ait de l’importance. »

« Ce n’est rien de grave, vraiment, mais euh… Qui est-ce ? »

Alize semblait vraiment curieuse à propos de Rina. Elle était désinvolte avec nous, mais peut-être essayait-elle de se calmer parce qu’il y avait quelqu’un dans la pièce qu’elle n’avait jamais rencontrée.

« Oh, c’est vrai. C’est Rina. Et Rina, c’est Alize, » déclara laconiquement Lorraine.

Elle était un peu trop laconique, si vous voulez mon avis. Mais ce n’était pas par manque de respect ou par grossièreté.

Rina avait pratiquement sauté de son siège pour se présenter. « Je m’appelle Rina Rupaage. Je suis une aventurière de classe Fer, et je suis une disciple de Miss Lorraine et Rentt. »

Alize gloussa doucement et dit : « Je m’appelle Alize. Je suis l’une des enfants de cet orphelinat, et j’apprends l’aventure et la magie avec Rentt et la professeur Lorraine. »

Ah, donc Lorraine avait gardé son introduction courte pour que Rina et Alize puissent se décrire avec leurs propres mots.

« En fait, vous êtes toutes les deux nos élèves, » expliqua Lorraine après les présentations. « Quant à savoir qui a l’ancienneté, c’est un peu délicat. »

Lorraine avait raison. Si l’on se base sur la durée de leurs études, Alize était la plus âgée des deux. Mais si on se basait sur la personne la plus compétente, alors ce serait Rina. De plus, Rina était plus âgée et plus impliquée dans nos affaires.

« Il n’y a pas besoin de s’inquiéter pour ça, » avais-je dit.

« Oui. Nous sommes venus ici aujourd’hui pour vous présenter l’une à l’autre, » ajouta Lorraine.

Alize avait incliné la tête.

« Lorraine et moi partons un peu, » avais-je expliqué à Alize. « Ce n’est que pour deux semaines environ, mais nous ne pourrons pas t’enseigner pendant ce temps. Nous avons donc pensé que tu pourrais t’entraîner avec Rina pendant notre absence. »

« Hein ? Où est-ce que vous allez ? » demande Alize.

« Vistelya, la capitale royale. Veux-tu que nous te ramenions des souvenirs ? »

« La capitale ? Peut-être quelque chose de savoureux… pour tout le monde ici. »

Le fait qu’Alize pense aux enfants de l’orphelinat montrait à quel point elle est gentille. Elle prenait son rôle de grande sœur au sérieux.

« D’accord, » avais-je accepté. « Alors, que penses-tu de ce que je viens de dire ? C’est juste une suggestion, donc tu n’es pas obligée de le faire si tu ne le veux pas, mais… »

« Hmm… Puis-je lui parler seul à seul un moment ? »

Lorraine et moi avions échangé un regard. Puis je m’étais tourné vers Rina. « Je crois que nous allons quitter la pièce pour un petit moment. Es-tu d’accord, Rina ? »

« Oui, ça ne me dérange pas du tout. Alize, es-tu aussi d’accord avec ça ? »

« Oui. »

Lorraine et moi les avions laissées seules dans la salle d’attente.

◆◇◆◇◆

« Oh, pourquoi restez-vous là ? Je pensais que vous parliez avec Alize. »

Lillian, qui venait de quitter son bureau, était venue nous parler. Elle avait été malade et confinée au lit jusqu’à récemment, mais il ne semblait pas y avoir de séquelles. J’étais soulagé de la voir rose et ronde.

« Oh, quant à cela, » commença Lorraine, puis elle expliqua la situation.

« Ah, je vois, » dit Lillian. « L’alchimie personnelle est importante dans ces matières. »

« Qu’en pensez-vous, Lady Lillian ? » demanda Lorraine. « Pensez-vous qu’elles vont bien s’entendre ? »

Lorraine ne s’attendait pas à une réponse complète, elle voulait juste faire la conversation. Aujourd’hui, c’était la première fois que Lillian rencontrait Rina, et leur conversation avait été brève. Elle n’aurait pas pu se faire une idée précise de la personnalité de Rina en se contentant de cela.

Lillian avait pris une seconde pour réfléchir, puis avait dit : « Mlle Rina semble être une jeune femme très honnête et pure, donc je pense qu’elle s’entendra bien avec Alize. Alize est moins franche qu’elle, mais c’est une enfant douce au fond. Je pense qu’elle pourrait être elle-même en présence de quelqu’un comme Mlle Rina, plutôt que quelqu’un de trop sérieux ou de trop sévère. »

Les observations de Lady Lillian étaient si approfondies que même Lorraine et moi avions acquiescé à ses explications.

« Votre raisonnement est très sensé, » reconnut Lorraine, « mais vous n’avez rencontré Rina qu’aujourd’hui. Je suis impressionnée par tout ce que vous pouvez dire à partir d’une si courte connaissance. »

Lillian sourit doucement. « Je suis à la tête de cet orphelinat depuis longtemps. J’ai appris à évaluer la personnalité d’une jeune personne après une brève interaction. Bien sûr, il arrive souvent que je ne puisse pas me faire une idée précise d’un enfant aussi rapidement. Je crois aussi qu’il est préférable de ne pas préjuger. Mais Mlle Rina semble très honnête et franche, et je connais Alize depuis longtemps. »

L’expérience de Lillian avait dû lui apprendre comment déterminer le caractère d’une personne avec une courte introduction. J’aurais aimé qu’elle m’apprenne à le faire. Mes capacités sociales faisaient cruellement défaut. Étant donné que j’avais toujours rôdé seul dans les donjons sombres, je n’avais pas acquis ce genre de connaissances.

Quant à Lorraine, ses compétences sociales étaient étonnamment bonnes. Ce n’était pas le cas lorsqu’elle était arrivée à Maalt — elle avait alors l’air d’une érudite typique et protégée — mais sa sociabilité s’était considérablement améliorée depuis dix ans qu’elle était ici. Je ne savais pas comment elle faisait, mais c’était peut-être une question d’intelligence. Elle était simplement capable de capter et d’absorber des choses comme les indices sociaux et les manières mieux que moi.

« C’est un soulagement de vous entendre dire ça, Lady Lillian, » avais-je dit.

« Vraiment ? Si j’avais une inquiétude, ce serait qu’elles se chamaillent pour des choses relativement mineures. »

Au moment où j’avais fait remarquer que tout irait bien, Lillian avait ajouté une observation supplémentaire avec un sourire malicieux. Cela faisait cependant partie de son charme.

Un moment plus tard, Lillian inclina la tête comme si quelque chose venait de lui passer par la tête. « Oh, ça me rappelle quelque chose. Vous allez tous les deux à la capitale, n’est-ce pas ? »

Elle avait l’air sérieuse, alors nous avions redressé nos dos et l’avions regardée directement.

« Oui, c’est vrai, » confirma Lorraine. « Y a-t-il quelque chose… ? »

Lillian avait agité les bras, l’air embarrassé. « Oh, non, non. Ce n’est pas important, donc vous n’avez pas besoin d’avoir l’air si solennel. Mais si vous avez le temps pendant votre séjour dans la capitale, j’aimerais que vous remettiez une lettre à l’Église du ciel oriental pour moi. Je vous paierai volontiers le tarif en vigueur pour ce service. »

Comme il s’agissait d’un travail, nous avions écouté attentivement. Comparée à la chasse aux monstres ou à la garde de quelqu’un, sa demande était un peu moins stressante, car nous n’aurions pas à risquer nos vies. Pourtant, cela ne signifie pas que c’était complètement sûr. Après tout, le chemin était long de Maalt à la capitale. Il y avait toujours une chance de tomber sur des bandits ou des monstres en chemin. Cependant, nous avions déjà pris en compte ces risques dans notre voyage, donc sa demande ne nous exposerait pas à des dangers supplémentaires.

J’étais prêt à accepter le travail, mais je m’étais dit que je devais quand même vérifier avec Lorraine. « Penses-tu que nous aurons le temps ? » lui avais-je demandé.

« Les installations principales de l’Église du ciel oriental se trouvent dans la capitale. La Grande Cathédrale n’est pas très loin de la guilde, donc ça ne devrait pas poser trop de problèmes. Même si cela prend une journée entière pour livrer la lettre, la demande de Wolf n’est pas si urgente. »

« Oui, tu as raison. Même en incluant le temps de voyage, nous avons un ou deux jours de plus dans notre programme en cas de problème. Ce n’est pas un problème. »

« Et comme je ne suis pas impliquée dans le travail de la guilde, je peux toujours remettre la lettre moi-même. Il n’y a pas grand-chose à craindre dans l’ensemble. »

« Oh, c’est vrai. Bon point. »

La guilde m’avait demandé de m’occuper de ce travail. Lorraine pouvait donc remettre la lettre pendant que j’étais occupé à le faire.

Lorraine s’était retournée vers Lillian et avait dit : « Comme Rentt a un travail pour la guilde, je ne sais pas s’il aura le temps, mais si vous êtes d’accord pour que je remette la lettre, alors j’accepterai volontiers votre demande. Je n’ai pas le temps de l’enregistrer auprès de la guilde, ce sera donc un contrat personnel. Est-ce que cela vous convient ? »

Lorraine avait mentionné que je n’aurais peut-être pas le temps, par précaution. Il y avait des chances que je puisse le faire, mais je ne pouvais pas le dire avec certitude. Lorraine, en revanche, pourrait certainement le faire.

« C’est plus que bien, » dit Lillian. « Vous avez tant fait pour Alize, Mlle Lorraine, alors je vous fais confiance. La lettre sera prête avant votre départ, alors pourriez-vous passer à mon bureau avant de partir ? »

« Oui, bien sûr, » répondit Lorraine.

***

Partie 5

« Oh, elles sont là. »

Après avoir terminé notre conversation avec Lillian, Lorraine et moi avions décidé d’attendre dans la chapelle de l’orphelinat. Peu après, nous avions entendu des voix venant de l’entrée. Lorsque nous nous étions retournées pour voir qui c’était, nous avions trouvé Alize et Rina debout.

« On dirait qu’elles ont fini de discuter, » avait remarqué Lorraine.

« Oui, c’est vrai. »

J’avais échangé un regard avec Lorraine, et nous nous étions levées du banc. Lorsque nous nous étions approchées d’Alize et de Rina, nous avions remarqué qu’elles avaient toutes deux l’air heureuses, il était donc facile d’imaginer que leur conversation s’était relativement bien passée.

« Vous avez fini toutes les deux ? » leur demanda Lorraine.

Elles avaient toutes deux acquiescé.

« Oui ! » s’exclama Rina avec un sourire radieux. « Nous avons décidé de travailler dur pour nous entraîner ensemble ! »

Je pensais que Rina enseignerait à Alize, et non qu’elle s’entraînerait à ses côtés, mais techniquement, Alize serait toujours en train d’apprendre. De plus, Rina s’était entraînée dur jusqu’à présent, et elle avait studieusement travaillé sur les leçons que Lorraine et moi lui avions enseignées, donc elle était clairement à la hauteur de la tâche.

« Je vois. Alors, de quoi avez-vous parlé ? » leur demanda Lorraine.

Alize avait mis son index sur ses lèvres. « C’est… un secret. »

Lorraine avait incliné la tête. « Pourquoi ? »

Alize m’avait jeté un bref coup d’œil, et Lorraine, qui était assez vive pour saisir l’allusion, m’avait ensuite fait fuir de la main. J’avais obéi en silence et m’étais assis sur un banc dans un coin de la chapelle.

 

 

Je me sentais étrangement exclu. Je les avais observées alors qu’elles commençaient à parler à voix basse. Mes oreilles s’étaient affinées, alors j’avais pensé que je pourrais peut-être les entendre même à cette distance, mais quand j’avais essayé d’écouter, je n’avais rien entendu. Je savais que ce n’était pas parce que mes oreilles avaient empiré, car je ne pouvais même pas entendre le bruissement de leurs vêtements.

En regardant de plus près, j’avais vu que Lorraine utilisait de la magie. C’était un sort de vent qui étouffait tout son provenant d’un endroit particulier. Comme elles discutaient de quelque chose de secret, il était logique que Lorraine fasse ça.

Cela dit, je me sentais encore plus isolé que tout à l’heure. J’avais légèrement serré mes genoux contre ma poitrine. J’étais cette étrange présence, tapie dans le coin d’une chapelle, vêtue d’une robe noire, portant un masque de crâne, et étreignant mes genoux. J’étais comme un démon ou une sorte d’esprit malin. Mais j’avais la divinité, alors peut-être que j’étais plus proche d’un ange.

Au bout d’un moment, j’avais entendu Lorraine dire : « Rentt, on a fini. »

J’avais levé la tête. Il n’y avait plus aucune trace de la magie du vent, elles devaient donc avoir terminé leur conversation. Je n’avais rien dit et m’étais approché d’elles en silence.

« Ne fais pas la moue, » plaisanta Lorraine, l’air un peu exaspéré. « Je suis désolée de t’avoir laissée de côté comme ça. Mais il y a des sujets que les femmes ne peuvent pas aborder en compagnie d’hommes. Tu le sais, n’est-ce pas ? »

Quand j’avais lu entre les lignes, j’avais su qu’elle disait que je devais être moins insensible.

« Non, c’est bon. Je me sentais juste un peu seul, » avais-je admis.

Cela ne m’avait pas vraiment dérangé. Après dix ans d’aventures dans des donjons, j’étais passé maître dans l’art d’être seul. Quelques minutes de plus n’allaient pas me perturber outre mesure. De toute façon, je ne faisais que jouer, ou du moins jouer la comédie. D’ailleurs, je savais déjà de quoi elles avaient parlé. Ça devait être à propos de moi. Je ne savais pas ce qu’elles avaient dit, cependant.

« Alors c’est très bien, » déclara Lorraine. « En tout cas, nous n’avons pas à nous inquiéter pour Rina et Alize. On dirait qu’on peut partir sans se soucier de quoi que ce soit. »

« Oui, c’est vrai. Nous n’avons pas vraiment le temps de traîner, alors pourquoi ne pas y aller ? » avais-je suggéré.

Lorraine avait acquiescé. Puis nous avions quitté la chapelle, nous nous étions arrêtés au bureau de Lillian pour récupérer sa lettre, et nous avions quitté l’orphelinat.

Alize voulait venir nous voir à l’arrêt de la calèche, mais en tant qu’aînée de l’orphelinat, elle avait pas mal de corvées à faire. Ce n’était pas comme si nous n’allions jamais nous revoir, alors nous avions fait nos adieux à l’entrée de l’orphelinat.

Alors que nous nous dirigions vers l’arrêt de calèche, j’avais prévenu Rina des différentes choses auxquelles elle devait faire attention pendant notre absence.

« Premièrement, assure-toi de donner la priorité à ta sécurité. Aussi, si quelque chose arrive, demande de l’aide à Isaac. Non pas que je m’attende à ce que quelque chose arrive, mais… »

Rina déclara joyeusement : « Oui, je comprends ! Oh, aussi, j’ai hâte de voir vos souvenirs ! »

Contrairement à Alize, il n’y avait aucune pudeur ou hésitation dans les paroles de Rina. Sa franchise et son honnêteté faisaient partie de son charme. Alize avait souvent l’air plus mature que son âge. Je suppose que c’est parce qu’elle avait grandi dans un orphelinat et qu’elle avait appris à garder les choses pour les autres enfants. Elle commençait à perdre cette hésitation avec nous, mais elle était encore trop déférente quand il s’agissait de ses propres désirs. Mais nous n’allions pas la forcer à demander des choses.

« Rina, tu as grandi dans la capitale, n’est-ce pas ? » demanda Lorraine. « Tu n’aurais pas déjà vu ce que nous pourrions rapporter ? »

Rina était maintenant une pseudodoublure de vampire et une aventurière dans la ville paumée de Maalt, mais elle était la fille d’une famille de chevaliers originaire de la capitale. Elle avait peut-être eu beaucoup d’argent à utiliser dans le luxe pendant son enfance. Les souvenirs ne seraient pas si excitants que ça.

Je l’avais exprimé, mais Rina s’était empressée de nous corriger. « Je n’étais pas vraiment la fille d’une bonne famille ! Bien que je fasse partie d’une famille de chevaliers, une famille noble, nous n’étions pas si bien lotis. Il y a beaucoup de familles nobles comme ça, mais mes parents étaient plutôt sévères. Par contre, on avait une grande maison. »

J’avais plaisanté, car je pensais que c’était le cas. Il est vrai que plus le titre de noblesse est élevé, plus la famille a de l’argent, mais il n’est pas rare non plus que les familles situées plus bas dans la hiérarchie sociale aient plus d’argent que celles situées plus haut. Par exemple, il y avait des roturiers qui étaient plus riches que les ducs les plus haut placés. Les riches marchands en étaient un autre bon exemple.

« Dans ce cas, je suppose que tu veux qu’on t’apporte des cadeaux, » nota Lorraine. « Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? Si tu laisses faire Rentt, il t’achètera quelque chose de bizarre. »

Rina avait sorti quelque chose de sa poche. « Voilà. Si vous pouviez choisir dans cette liste, » dit-elle avec un sourire.

L’objet qu’elle m’avait tendu était un petit carnet fait de papier bon marché et rugueux. C’était l’un des carnets que Lorraine nous laissait généreusement utiliser, Rina et moi, autant que nous le veuillions. Lorraine avait même un objet magique qui déchirerait le papier en morceaux et le reformerait si nous faisions une erreur, alors nous nous en servions généreusement. Même si le papier de mauvaise qualité était bon marché, il n’était pas si bon marché que nous puissions l’utiliser de manière aussi désinvolte sans cela.

Lorraine avait regardé par-dessus mon épaule. « Ah, ceci est un plan de la capitale. Et on y trouve les noms des magasins et leurs produits connus. »

Rina avait hoché la tête avec enthousiasme. « J’ai veillé tard la nuit dernière pour le fabriquer ! C’est un guide touristique parfait pour la capitale ! »

Quand nous avions dit à Rina hier soir que nous allions dans la capitale, elle s’était précipitée dans sa chambre. Je m’étais demandé ce qu’elle faisait, mais il semblerait qu’elle était occupée à travailler sur ce petit guide.

 

◆◇◆◇◆

« Mais on ne va pas faire du tourisme, » me suis-je murmuré.

Rina avait fait de sa main un poing. « Mais il y a beaucoup d’endroits amusants dans la capitale ! Il n’y a aucun mal à les voir ! » déclare-t-elle avec conviction.

Comparée à Maalt, Vistelya était une énorme métropole. Maalt était une ville relativement grande, mais elle se trouvait encore à la périphérie du pays. Elle ne pouvait pas se comparer à Vistelya, la capitale du Royaume de Yaaran. Même les ascenseurs, dont Maalt ne disposait qu’en petit nombre, étaient monnaie courante dans la capitale. J’étais sûr que la Tour et l’Académie en possédaient, et qu’ils étaient également installés dans divers bâtiments de la ville.

Attendez, il y en avait un au siège de la guilde ? J’y étais déjà allé une fois, mais comme j’étais très pressé, je n’avais vu que le premier étage. C’était un très grand bâtiment, donc il devait y en avoir un. Non pas que j’aille dans la capitale pour voir tous les ascenseurs. Ils étaient juste extrêmement rares à Maalt, mais communs dans la capitale.

« Si nous avons le temps, » avais-je dit. « N’attends pas trop de cadeaux. »

J’aurais un peu de temps, mais il n’y avait aucune garantie. Wolf avait laissé ce travail entre mes mains. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y avait une sorte de danger qui se cachait de l’autre côté. Je n’avais aucune idée de ce qui pouvait être si dangereux dans le fait d’aller chercher quelqu’un, mais il n’y avait pas de mal à être prudent.

« Oh, si vous n’avez pas beaucoup de temps, il y a une boutique de souvenirs près de l’entrée de la capitale où vous pouvez acheter toutes ces choses en un seul endroit. »

Rina n’abandonnait vraiment pas. Comme elle avait grandi dans la capitale, elle devait avoir un certain penchant pour ça. Elle n’avait pas le mal du pays, mais je suppose qu’il y avait des choses qui lui manquent.

Lorsque j’avais demandé cela à Rina, elle avait incliné la tête et m’avait regardé d’un air absent. Son expression indiquait que ma question l’avait prise au dépourvu et que cette idée ne lui avait jamais traversé l’esprit.

« C’est peut-être ce qu’elle ressent au plus profond de son subconscient, » interrompit Lorraine, « mais elle n’en est pas vraiment consciente. Rina peut être un peu inconsciente, et elle n’est pas du genre à se prendre la tête sur quelque chose. »

Rina était comme ça depuis le jour de notre rencontre. Une personne ordinaire qui rencontrerait un mort-vivant parlant verrait la mort s’approcher et s’enfuirait ou ferait tout son possible pour le tuer. Ils ne penseraient pas qu’il pourrait être sûr de lui parler.

En outre, la plupart des gens paniqueraient intensément s’ils devenaient eux-mêmes des morts-vivants. Rina n’était pas insensible au fait qu’elle le devienne, mais cela ne semblait pas non plus la déranger outre mesure. Je n’étais pas du genre à parler, mais j’avais passé beaucoup de nuits à y penser. Cependant, j’étais semblable à Rina en ce sens que j’avais évité de réfléchir aux réalités désagréables pendant les dix années que j’avais passé coincé comme aventurier de classe Bronze. En ce sens, j’étais toujours la même personne que j’avais toujours été.

Je suppose que les personnes qui prennent ces préoccupations trop au sérieux ne sont pas adaptées à la vie — ou à la non-vie — d’une créature non morte. Peut-être que ce genre de personne aurait fini par devenir un monstre comme Shumini. Je ne pouvais pas imaginer Rina ou moi-même devenir quelque chose comme ça. Même si nous renoncions à devenir humains, nous ne ferions que chanter joyeusement dans le cimetière.

« Je suppose que c’est bon tant que Rina n’a pas le mal du pays, » avais-je dit.

« En apparence, du moins, » avait répondu Lorraine. « Je suis sûre qu’au fond d’elle-même, une partie d’elle s’ennuie de la capitale, alors le moins que l’on puisse faire est de ramener quelques souvenirs. Si tu es trop occupé, je prendrai le temps d’aller faire du shopping. »

« Ta liste de choses à faire ne cesse de s’allonger, n’est-ce pas ? » avais-je dit en m’excusant.

Les lèvres de Lorraine s’étaient élargies en un sourire confiant. « C’est quand même plus facile que ce qui t’attend, Rentt. »

Quelle chose sinistre à dire ! Bien sûr, elle essayait de dire que je devais être sur mes gardes, car nous n’avions aucune idée de ce qui pourrait se passer lorsque nous arriverions dans la capitale.

« J’espère vraiment qu’il n’y a pas d’événements bizarres qui se cachent dans mon avenir, » avais-je commenté.

« Ton corps est un aimant à problèmes ces derniers temps. Ne crois-tu pas qu’il est temps de faire la paix avec ça ? »

J’avais baissé les yeux vers le sol, découragé, mais elle avait raison. Je m’étais résigné à ce destin, et nous nous étions dirigés vers l’arrêt de calèche.

***

Partie 6

« Vous avez mis du temps à arriver. »

Quand nous étions arrivés à l’arrêt des calèches, nous avions vu Wolf qui nous attendait.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? N’es-tu pas censé être occupé ? » J’avais lâché ça sans réfléchir.

« Je suis occupé. Je travaillais en t’attendant. »

Wolf m’avait montré des papiers sur lesquels était inscrit un relevé des livraisons en provenance de la capitale. Le fait que le maître de la guilde doive lui-même s’occuper d’une tâche administrative aussi insignifiante signifiait que la guilde manquait cruellement de personnel.

Wolf avait dû deviner ce que je pensais, car il avait ajouté : « Il y a des choses dans la livraison que je devais approuver directement. D’ordinaire, je ne le ferais pas, mais… quoi qu’il en soit, voici les documents promis. »

Wolf m’avait tendu un sac en cuir avec une liasse de papiers à l’intérieur. C’était une sacrée collection de formulaires, et quand j’avais jeté un coup d’œil à l’intérieur, j’avais vu qu’ils étaient bien serrés. Je ne pouvais pas me résoudre à vérifier chaque feuille, même si je savais que je devais le faire à un moment donné.

« Je vais te faire confiance, Wolf, et les regarder dans la calèche. »

Ce n’est pas que je ne pouvais pas être dérangé. Probablement pas de toute façon.

« Ouais, fais ça. Il n’y aura pas d’erreurs, puisque j’ai fait le travail moi-même. De plus, c’est la calèche que vous prendrez cette fois. Joli, non ? »

Wolf avait montré du doigt un chariot accroché à un lézard géant appelé lézard rampant. Il était semblable à un gecko ou à un triton, mais beaucoup plus grand. Je suppose que celui-ci ressemblait plus à un triton. Non seulement ils étaient extrêmement rapides, mais ils pouvaient aussi rester immergés dans l’eau. Ils pouvaient même tirer des bateaux en cas de besoin, ce qui en faisait un animal de trait extrêmement flexible et précieux. En raison de leur apparence, ils n’étaient pas très populaires parmi les femmes, mais ils étaient largement utilisés dans l’industrie du transport. Obtenir un chariot tiré par l’un d’entre eux aurait nécessité une somme d’argent et des efforts considérables.

« Je suis impressionnée que tu en aies trouvé un à Maalt, » dit Lorraine avec une pointe d’admiration.

On ne voyait pas souvent ces animaux ici. Si je me souviens bien, c’est parce que ses lieux de reproduction sont très éloignés d’ici.

« C’était surtout une coïncidence, » ajouta Wolf. « J’ai juste eu de la chance. Mais cela devrait vous permettre de rejoindre la capitale un peu plus rapidement. Je compte sur vous. »

Nous avions fait un signe de tête à Wolf et étions montés dans la calèche.

◆◇◆◇◆

« Nous approchons de la capitale royale de Vistelya. Veuillez préparer vos papiers d’identité et tout autre document nécessaire, » annonça le chauffeur.

Cinq jours après notre départ de Maalt, nous étions enfin arrivés. En jetant un coup d’œil à l’extérieur de la voiture, j’avais vu que nous étions en ligne, attendant d’être admis dans la ville.

Le conducteur était quelqu’un que Wolf avait trouvé. C’était manifestement quelqu’un qui pouvait se taire quand c’était nécessaire. Normalement, je me serais encore demandé si je pouvais lui faire confiance, mais j’étais sûr que Wolf ne voulait pas que mon secret soit dévoilé. Il aurait choisi quelqu’un de discret, ce qui signifie que ce chauffeur était digne de confiance. Sans compter que Lorraine et moi étions sûrs d’avoir déjà vu le visage de ce chauffeur. Nous n’avions rien dit devant Wolf, cependant.

« Il y a de nombreuses barrières et installations défensives dans la capitale, notamment à partir du quartier noble. S’il vous plaît, soyez prudent, » avait plaidé le conducteur, son ton étant complètement différent de celui de tout à l’heure. Il ne ressemblait pas du tout à un conducteur de calèche de quelque part comme Maalt. Il ressemblait plus à un majordome bien entraîné.

Je lui avais fait un signe de tête. « Ouais. Mais tant qu’on a ça, on peut supposer qu’on ne les déclenchera pas, non ? » J’avais ouvert ma robe et montré un bouton cousu sur ma chemise en lin.

« Oui, » confirma le conducteur après avoir regardé. « Néanmoins, nous n’avons aucun moyen de savoir ce qui pourrait arriver si vous l’enlevez. Ça peut aller dans le quartier noble, mais au palais… On m’a également dit qu’il était très peu probable qu’ils réagissent à votre présence, Maître Rentt. »

Lorraine fit remarquer : « Nous avons déjà testé divers dispositifs de détection sur Rentt. D’après ces résultats, je dirais également qu’il ne déclencherait aucun de ces dispositifs, mais il n’y a rien de mal à prendre des précautions supplémentaires. J’avais également envisagé plusieurs mesures de mon côté, mais je suis reconnaissante d’avoir l’aide de la famille Latuule et de leur vaste collection d’objets magiques spécialisés. Mais êtes-vous sûr qu’Isaac n’attirera pas l’ire de Dame Laura plus tard, à son réveil ? »

Oui, ce chauffeur était un des serviteurs de la famille Latuule. Évidemment, il n’était pas humain. C’était un vampire inférieur et l’un des sous-fifres de Laura et Isaac. Je ne savais pas de qui il était le familier, mais de toute façon, il ne divulguerait pas mon secret. Ou plutôt, si nous étions dans une situation où il divulguerait mon secret, nous serions déjà foutus. Je ne pouvais pas battre Laura ou Isaac, ni en combat, ni en autorité, ni en puissance financière. C’est pourquoi il était préférable de ne rien soupçonner et de compter sur leur aide.

« Dame Laura vous a toujours apprécié, Maître Rentt, même avant d’entrer dans son sommeil. Je doute qu’elle réprimande qui que ce soit pour vous avoir aidé. Dame Laura est rarement en colère pour quoi que ce soit. Quelque chose d’aussi mineur que ça, même si ça allait à l’encontre de ses souhaits… Elle sourirait probablement et pardonnerait l’offense. »

Ce chauffeur avait une relation plutôt décontractée avec son maître. Mais là encore, il n’avait pas été insubordonné en aucune façon. Je suppose que c’était une sorte de confiance. Ça, ou Laura était du genre à rire et à pardonner même l’insubordination la plus totale. Je commençais à penser que c’était peut-être la dernière solution.

Je ne sais pas si c’est vrai, mais il existe une légende urbaine selon laquelle les vampires détestent l’ennui plus que tout autre chose. Si c’était vrai, alors je ne serais pas surpris d’apprendre que des vampires comme Laura pourraient être d’accord pour que ses subordonnés agissent contre sa volonté, tant que cela lui permet de se divertir. C’était effrayant d’y penser. Cela pourrait très bien signifier qu’Isaac et ce vampire mineur ne sont pas du tout dignes de confiance.

Eh bien, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter à ce sujet. Comme je l’avais dit plus tôt, je ne pouvais rien y faire, alors il valait mieux leur faire confiance. Si mes pires prédictions se réalisaient, le mieux que nous pouvons faire était de fuir à toutes jambes. Heureusement, nous avions accès à des cercles de téléportation et nous pouvions quitter la capitale, rejoindre la Cité antique et nous échapper dans un endroit si éloigné qu’il serait difficile de nous rattraper.

« C’est notre tour. Je crois que le garde-barrière va remonter le rabat et vérifier, alors veuillez montrer vos papiers d’identité à ce moment-là. »

Notre chauffeur, le vampire mineur, s’était tourné vers l’avant et avait fait avancer le chariot.

◆◇◆◇◆

« Deux passagers, hm ? »

Au bout d’un moment, comme l’avait dit le vampire mineur, le garde avait ouvert le volet de la voiture et avait jeté un coup d’œil à l’intérieur. Lorraine et moi avions vaguement souri dans sa direction. Mon sourire n’avait eu aucun effet, mais celui de Lorraine avait semblé avoir une certaine influence sur le garde. Il s’était un peu détendu.

Il n’avait pas eu le coup de foudre pour elle ou quoi que ce soit d’autre, et il n’était pas non plus stupéfait par sa beauté. Les passagers des calèches étaient généralement épuisés après un long voyage, et la plupart ne prenaient pas la peine de sourire. Beaucoup d’entre eux avaient un regard vide, voire maussade. Certains souriaient aux gardes, mais la plupart d’entre eux étaient des marchands ou autres, des gens qui voulaient éviter les soupçons des gardes.

Il était rare qu’une jeune femme comme Lorraine, qui n’était pas une marchande, leur sourie. Les jeunes femmes craignaient généralement les gardes — à bien des égards. Si celles qui vivaient dans la capitale pouvaient les regarder avec un certain respect, une jeune femme en visite en dehors de la ville qui était prête à sourire à un garde était une trouvaille rare.

« Et vous, avec le masque ? »

Il n’avait pas baissé sa garde avec moi. Je savais que j’avais l’air suspect, alors j’avais dû expliquer ma situation.

J’avais tendu ma carte d’aventurier au garde et lui avais répondu : « J’ai une grave blessure au visage. Je suis en train d’économiser pour la faire soigner. »

Le visage du garde s’était adouci, mais il avait quand même dit : « Cela vous dérangerait-il de me montrer votre visage ? Juste pour un moment. » Il avait l’air de s’excuser.

« Je ne peux pas l’enlever. Je pense qu’il est maudit. »

« Quoi ? »

Le garde m’avait regardé d’un air sceptique, alors je m’étais penché vers lui et lui avais demandé de tirer le plus fort possible. Bien qu’il ait eu l’air perplexe, il avait accepté de le faire. Il avait tiré de toutes ses forces, puis avait accepté mon explication et convenu qu’il n’y avait rien à faire.

« Eh bien, je préférerais voir votre visage, mais il semble que votre carte d’aventurier soit réelle. Je suppose que c’est bien. Maintenant, qu’est-ce qui vous amène dans la capitale ? »

« Nous sommes ici pour faire un rapport au grand maître de la guilde au nom de la guilde des aventuriers de Maalt. Je me rendrai plus tard au siège de la guilde, vous pourrez donc le confirmer auprès d’eux. »

Le quartier général de la guilde devait être très respecté ici, car le garde avait dit : « Je vois. Très bien, je confirmerai avec eux plus tard. Mais laissez-moi être clair. S’il s’avère que vous m’avez menti, cela se terminera très mal pour vous. Vous comprenez ? »

Il avait l’air légèrement intimidant, et j’étais peut-être censé me recroqueviller un peu, mais comme je ne mentais pas le moins du monde, j’avais hoché la tête sans hésiter.

« Oui, c’est bien. »

Après avoir vérifié la carte d’aventurier de Lorraine, le garde avait déclaré que nous pouvions entrer dans la ville, et notre calèche avait franchi les portes de la capitale.

***

Histoires courtes en prime

Partie 1

Une journée dans la vie de Lorraine Vivie

« Lorraine ! Je ne comprends pas cette partie ! »

« Mlle Lorraine ! Aidez-moi aussi ! »

« Lorraine ! »

Dans la pièce exiguë, plusieurs voix avaient appelé mon prénom. Nous étions réunis dans une salle de classe privée de la ville de Maalt. Je venais de temps en temps aider les étudiants dans leurs études, ils étaient donc assez familiers avec ma présence.

Comme il s’agissait d’une classe privée, il n’y avait pas de moyen facile de discipliner les élèves. Les enfants étant d’âges et de niveaux différents, il était difficile de donner à la classe un sentiment de cohésion. Dans cette situation, c’était un peu trop demander que tous les enfants se concentrent tranquillement sur leurs études.

Lorsque l’un des enfants dépassait les bornes, il m’arrivait de le réprimander. Mais comme il y avait aussi des enfants de trois ou quatre ans, élever la voix n’était pas la solution la plus sage. J’avais appris à trouver un juste équilibre dans le ton. En fin de compte, les élèves étaient prêts à écouter lorsqu’il s’agissait de quelque chose d’important, et ils prenaient tous leurs études au sérieux.

Mais je ne faisais rien de tout cela contre rémunération. Je faisais du bénévolat. Je l’avais fait parce que la communauté de Maalt était fondée sur l’entraide et que cela faisait partie de son mode de vie.

La plupart des élèves étaient des enfants de fermiers pauvres, qui n’avaient pas les moyens de fréquenter une école privée coûteuse. Techniquement, il y avait bien des frais de scolarité, mais ils étaient symboliques, et de nombreux parents envoyaient leurs enfants ici pour qu’ils aient un meilleur avenir.

J’avais estimé que c’était une bonne chose à faire. L’éducation est le moyen le plus efficace pour les pauvres de gravir les échelons de la société. Bien sûr, il y avait la possibilité de devenir un aventurier et de réussir par la force des armes, mais cette voie n’était accessible qu’à quelques privilégiés. D’ailleurs, des salles de classe très fréquentées comme celle-ci indiquaient que la ville se portait bien. Cela ne m’empêchait pas d’être confronté à une série de problèmes quotidiens.

« Lorraine ! »

Un enfant avait soudainement fait irruption dans la pièce et m’avait appelé par mon prénom. Il n’avait pas cours aujourd’hui, il n’avait donc aucune raison d’être là. Pourtant, il était là, l’air tendu.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? » lui avais-je demandé.

« Jad est tombé dans les égouts souterrains ! »

Jad, un autre de mes élèves, agissait généralement sans réfléchir et s’attirait constamment des ennuis. Ce n’était qu’un incident de plus dans une liste qui ne cessait de s’allonger. Cependant, les égouts souterrains étaient inquiétants. Tout le monde savait qu’il y avait maintenant un donjon sous Maalt, mais certaines parties de ce donjon étaient reliées aux égouts — ou plutôt générées par eux. Ils n’avaient pas encore trouvé tous les chemins qui les reliaient au donjon, et de puissants monstres y apparaissaient de temps à autre. D’ordinaire, des aventuriers compétents patrouillaient ou surveillaient les entrées des égouts, ce qui ne devrait pas poser de problème.

« Quelle entrée a-t-il utilisé ? » demandai-je.

« Nous en avons trouvé une nouvelle l’autre jour », déclara l’élève avec hésitation.

« Emmène-moi là-bas maintenant. Tous les autres, restez ici et tenez-vous bien. »

Les élèves de la classe avaient tous hoché la tête d’un air sérieux. Ils savaient à quel point les égouts étaient dangereux.

◆◇◆◇◆

« Oh, il y a vraiment une entrée ici », murmurai-je.

Nous étions dans un coin isolé de Maalt, dans une partie où de nombreux bâtiments s’étaient effondrés. Peu de gens passaient par là. Dans les débris, il y avait une petite ouverture à peine assez grande pour qu’un enfant puisse y passer. Je m’étais faufilée entre les décombres et j’avais lentement avancé en sautillant.

Gerge, le garçon qui était venu chercher mon aide, m’avait servi de guide. Il m’avait amené à ce qui était clairement une entrée d’égout, mais elle était suffisamment petite pour que personne ne l’ait encore trouvée. J’étais quelque peu impressionné que les enfants l’aient repérée, mais c’est ce qui arrive lorsque la curiosité enfantine rencontre un penchant pour les ennuis. Quoi qu’il en soit, le plus important était de retrouver Jad.

« Gerge, tu restes ici », avais-je dit.

« Hein, mais — . »

« Et si je ne reviens pas, va chercher Rentt. Est-ce compris ? »

Rentt passait aussi de temps en temps dans la salle de classe. Il était en fait très instruit à sa manière. C’était en partie parce que je l’avais forcé à apprendre certaines choses, mais c’était surtout parce qu’il reconnaissait l’importance du savoir. Il compensait ainsi ses lacunes en matière de combat et de magie. En vérité, il était un meilleur professeur pour les jeunes élèves que l’érudit moyen.

« Oui, oui. Il habite chez toi, c’est ça ? » demanda Gerge.

« Oui. Maintenant, j’y vais. »

L’air des égouts était humide, et un mince filet d’eau coulait au milieu du tunnel. Au fur et à mesure que je m’enfonçais, je sentais le mana autour de moi s’épaissir.

« J’espère qu’il n’est pas allé trop loin…, » avais-je prié.

Immédiatement après avoir murmuré cela, j’avais vu un enfant allongé face contre terre à une courte distance. Je m’étais précipitée à ses côtés. Un rapide coup d’œil m’avait confirmé qu’il s’agissait de Jad.

J’avais vérifié qu’il respirait encore et j’avais poussé un soupir de soulagement. « Il est toujours vivant. Et il n’est pas vidé, apparemment. Mais… pourquoi est-il inconscient ? »

Soudain, la réponse à ce mystère s’était matérialisée devant moi.

« Allez-vous… l’emmener ? »

Quand j’avais levé les yeux, j’avais vu la silhouette floue d’une fille en blanc. Je m’étais levée et j’avais pointé mon bâton vers l’apparition.

« J’en ai bien peur. Vous devriez partir vous aussi », avais-je suggéré.

J’avais pris soin de donner un avertissement, mais la fille en blanc avait ouvert en grand la bouche — presque de façon inhumaine — et avait crié : « Je ne vous laisserai pas faire ! Je ne vous laisserai pas faire ! JE NE VOUS LAISSERAI PAS FAIRE ! »

Sa bouche était bien plus grande que celle d’un humain, et sa gueule béante crachait des crocs qui s’élançaient vers moi. C’était une mimique, un monstre qui se faisait passer pour un humain afin de vider ses proies de leurs forces et de les dévorer. Heureusement, cette mimique semblait plutôt faible.

« Foteia Borivaas. »

J’avais lancé un seul sort de feu, qui avait consumé et incinéré la mimique. J’avais ensuite ramassé le cristal magique qui était tombé de ses restes cendrés, puis j’avais ramassé Jad et j’avais rapidement quitté les égouts. J’avais également noté mentalement de signaler cette entrée à la guilde des aventuriers.

◆◇◆◇◆

« Lorraine, tu es enfin de retour », m’accueillit Rentt lorsque j’arrivai dans la salle de classe. Bien que son masque dissimulait son visage, je pouvais dire à son attitude qu’il était fatigué.

« Oh, tu étais là, Rentt ? »

« Gerge est venu me trouver. Il était paniqué. Je me suis dit que tu allais bien, alors j’ai décidé de prendre des nouvelles des élèves. Si les choses avaient été plus sérieuses, tu aurais de toute façon trouvé un autre moyen de me contacter. »

« Je t’en suis reconnaissante. Les fruits de notre longue connaissance, hm ? »

« Alors, il va bien ? » demanda Rentt.

« Je lui ai donné une potion, il devrait bientôt se réveiller. Il n’était pas non plus particulièrement épuisé. Je vais quand même lui parler de l’idée d’aller dans les égouts. »

« Ah, il va donc se faire sermonner. Pauvre enfant », dit Rentt avec sympathie.

« Veux-tu assister à la discussion ? »

Je n’avais fait que plaisanter, mais Rentt avait ri sèchement. « Je suis un peu trop vieux pour ça, non ? »

Voilà à quoi ressemblait ma vie quotidienne à Maalt. Je l’apprécierais peut-être si ces jours se prolongeaient indéfiniment, mais ce n’était pas le cas jusqu’à présent. Même ce petit incident était assez dangereux. Maalt avait beaucoup à offrir, mais c’était tout de même dangereux. Je devais m’assurer que ces enfants le comprennent.

J’avais tranquillement renouvelé le serment que je m’étais fait à moi-même.

Le très admiré Isaac

« Oh, c’est Rentt. C’est peut-être le destin qui a voulu que nous nous rencontrions dans un endroit comme celui-ci. »

Je m’étais tourné vers la voix joyeuse, mais froide et j’avais vu un visage familier. Il s’agissait d’un homme élégant à la peau blanche et pâle, légèrement teintée de bleu, aux beaux cheveux argentés et aux yeux d’un charme surnaturel.

C’était Isaac le vampire, et il servait la famille Latuule en tant que majordome. C’est lui qui m’avait mis en contact avec Laura Latuule et qui m’avait appris à utiliser mes capacités vampiriques.

Il était relativement rare de croiser Isaac en pleine ville. Il était difficile à cerner, et s’il était souvent en train de faire des courses pour sa maîtresse, je ne l’avais presque jamais vu en ville. Je l’avais vu une ou deux fois depuis que je l’avais rencontré, mais je ne me souvenais pas l’avoir croisé auparavant.

Étant donné qu’Isaac se démarquait dans la foule, je me souviendrais de l’avoir vu même si je ne le connaissais pas, ce qui m’avait semblé quelque peu inhabituel. J’avais quelques idées sur la raison de ce phénomène. C’était un vieux vampire très puissant, bien plus puissant que moi dans tous les domaines imaginables. Quand on est aussi doué, il est facile de cacher sa présence à ceux qui sont plus faibles que soi. De plus, en tant que vampire, il était nocturne. Je ne doutais pas que l’art de rester invisible lui était facile.

Je me demandais si je le rattraperais un jour, mais je savais que ce jour risquait fort de ne jamais arriver.

« Je ne m’attendais pas à ce que vous croyiez au destin, Isaac », fis-je remarquer. Je pensais que les vampires n’étaient pas particulièrement religieux.

« Ha ha, quelle chose intéressante à dire. Peut-être que oui, peut-être que non », dit-il en inclinant la tête.

J’étais curieux de connaître le sens de ses paroles, mais il semblait qu’il n’allait pas me répondre. J’avais décidé de mettre fin à cette conversation fortuite et de m’extraire de la situation. De plus, j’avais déjà dit à Lorraine que je lui préparerais quelque chose de bon pour le dîner, et il me restait encore pas mal de courses à faire. Je devais rentrer à la maison et commencer à préparer la nourriture.

Lorsque j’avais essayé de m’excuser, Isaac avait soudain dit : « Ne soyez pas si pressé de partir, Rentt. Je vous en prie. »

« Pourquoi pas ? En fait, je suis pressé. »

« Ah bon ? Il doit bien y avoir un but à notre rencontre, alors je voulais que vous m’aidiez à faire quelque chose. »

Isaac m’avait regardé, l’air d’un chiot triste. Tous les vampires étaient beaux et magnifiques, et Isaac ne faisait pas exception. Cette expression de chien battu s’accordait très bien avec ses traits, mais ne le rendait pas adorable pour autant. Au contraire, ce regard avait un charme étrange et surnaturel.

Je pourrais facilement dire non, mais Isaac était mon mentor. Je lui devais de m’avoir appris à utiliser mes capacités vampiriques. De plus, mes mentors, une fois rentrés chez eux, m’avaient impitoyablement enfoncé dans le crâne que la demande d’un mentor était comme la parole des dieux. Je n’avais pas le choix.

« D’accord, d’accord », avais-je accepté.

◆◇◆◇◆

« Hé, Rentt ! Par ici ! »

« Attendez, jeune maître ! »

Un petit garçon courait dans la cour et me donnait des ordres. Il avait peut-être dix ans et s’appelait Frahe. Plusieurs familles de cette région étaient connues comme de grands ménages, et il faisait partie de l’une d’entre elles, la famille Muze.

C’était la destination d’Isaac, et comme il devait parler aux parents de Frahe, il m’avait demandé si je pouvais garder le garçon un moment. Je m’occupais de lui depuis ce qui me semblait être une éternité maintenant.

« Bon sang, Rentt, tu n’as pas d’endurance ! Isaac peut jouer avec moi jusqu’à ce que je sois fatigué ! »

« Impressionnant. C’est une race à part entière. » Je n’arrivais pas à imaginer Isaac jouant avec un enfant, mais je savais qu’il aurait l’air cool et calme, quoi qu’il fasse.

« Oui ! Isaac est incroyable ! Tu devrais apprendre de lui ! Mais… » L’expression de Frahe était devenue triste.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? » avais-je demandé.

« Je finirai bien par hériter du titre familial. Je ne peux m’empêcher de me demander si, le moment venu, je serai capable de faire aussi bien qu’Isaac. »

Un conseil municipal composé de membres des familles les plus puissantes de la région dirigeait la ville de Maalt, et la famille Muze en faisait partie. La famille Latuule en faisait également partie, et il semblait qu’Isaac assistait souvent aux réunions du conseil en tant que représentant de Laura. Laura ne pouvait pas physiquement assister à ces réunions puisqu’elle dormait, mais même avant cela, elle s’était rarement rendue à une réunion.

En raison de la participation d’Isaac au conseil, le jeune garçon voyait en lui un modèle à suivre. Malheureusement, il se comparait à une norme absurde.

« Il n’y a pas besoin de faire des choses comme Isaac », avais-je dit à Frahe. « Ou plutôt, je ne pense pas que ce soit possible. »

« Hein ? », s’exclama-t-il.

« Il est autre chose qu’un humain ordinaire, et si vous essayez de l’imiter, l’effort finirait par vous écraser. Je doute qu’il y ait une personne au monde qui puisse faire les choses comme lui. L’important est de faire de votre mieux et de trouver la bonne façon pour vous de servir en tant que maître de cette maison. »

Frahe avait réfléchi un instant, comme si l’idée l’avait surpris, puis acquiesça. « Rentt, tu as la tête sur les épaules ! Je te laisserai peut-être devenir mon adjudant à l’avenir ! »

Frahe s’était remis à courir dans la cour et j’avais dû le poursuivre jusqu’au coucher du soleil.

◆◇◆◇◆

« Merci beaucoup pour votre aide, Rentt. Vous m’avez sauvé la vie, » dit Isaac sur le chemin du retour.

« Vraiment ? »

« Oui. Frahe avait aussi l’air d’avoir réglé quelque chose dans sa tête. On dirait qu’il s’est débattu avec quelque chose. »

« Oh, à ce propos… » J’avais expliqué à Isaac que Frahe se sentait inférieur parce qu’il se comparait à Isaac.

« Je vois. Je n’avais jamais imaginé que ce serait le cas. Néanmoins, c’était un peu affreux de votre part de dire que je n’étais pas humain. »

« Mais c’est vrai, n’est-ce pas ? »

« Oui, mais… »

Frahe n’avait probablement pas pris mes paroles au pied de la lettre, je ne pensais donc pas que cela poserait un problème.

Isaac soupira. « Il y a des moments où je ne peux pas dire si vous êtes courageux ou simplement irréfléchi, Rentt. »

« Si je n’étais pas un peu des deux, je n’en serais pas là. »

« En effet. Vous n’avez pas tort », concéda Isaac, qui se fendit d’un sourire.

Lorsque j’étais rentré, Lorraine était furieuse que je sois sorti si tard. Ce n’était pas parce qu’elle s’inquiétait pour moi, mais plutôt parce que le dîner avait été retardé. Cependant, une fois que j’avais préparé notre repas avec les divers ingrédients coûteux que j’avais reçus de la famille Muze, Lorraine m’avait dit : « Assure-toi d’aller aider Isaac de temps en temps. Cela compense largement les efforts fournis. » Elle avait ensuite commencé à savourer son repas avec bonheur.

***

Partie 2

La table de la princesse

« Es-tu sérieux ? » demanda Lorraine, qui avait l’air d’avoir mal à la tête.

Au fond de moi, j’étais d’accord avec elle, mais tout ce que j’avais pu faire, c’est acquiescer silencieusement.

Devant nous se trouvait une vieille table usée. Elle faisait partie de la demande que j’avais acceptée et nous l’avions donc prêtée.

Il y a quelques heures, Wolf m’avait apporté un travail. Ce n’était pas tout à fait une demande officielle, mais il y avait des emplois que Wolf donnait directement à l’aventurier le plus apte. Il se trouve que cette demande était l’une d’entre elles. Il m’avait choisi parce que j’avais le plus grand nombre de connaissances à Maalt.

« Qu’est-ce que tu racontes ? » demandai-je à Wolf.

« Je veux que tu trouves l’artisan qui a fabriqué cette table. »

En suivant le regard de Wolf, j’avais vu une vieille table usée. Maintenant, tout s’explique. Je pouvais vraiment en faire autant. J’avais commencé à dresser la liste des menuisiers de la ville.

Wolf ajouta : « De toute évidence, cette table a été fabriquée il y a cinquante ans. »

« Pardon ? »

« Comme je l’ai dit, elle a cinquante ans. Le charpentier qui l’a fabriquée avait une vingtaine d’années à l’époque. »

« Cela signifierait qu’il a largement dépassé les soixante-dix ans. Il est déjà à la retraite. Trouver quelqu’un de retraité… » J’étais presque sûr que c’était impossible.

Wolf me regarda d’un air suppliant, une expression inhabituelle pour lui. « C’est exactement ça. Comme tous ceux à qui on a proposé le poste ont dit qu’ils ne pouvaient pas le faire, c’est moi qui l’ai obtenu. Je t’en prie. C’est une demande d’une princesse. C’est difficile de refuser. »

Ce n’est pas que les princesses septuagénaires n’existent pas, mais c’est tout de même difficile à imaginer.

« Elle a une vingtaine d’années », poursuit Wolf, prouvant ainsi que mon hypothèse était erronée. « Elle a hérité de la table de la propriétaire originale, sa grand-mère. Et la dernière volonté de sa grand-mère était que cette table soit rendue à son créateur. Elle a même inclus dans son testament que la princesse n’hériterait pas de ses biens si elle ne le faisait pas. »

« Oh là là, ça m’a l’air d’être un mal de tête. »

« Oui, c’est vrai. Alors s’il te plaît, fais-le pour me rendre service. »

« D’accord, d’accord », avais-je accepté.

J’avais la possibilité de refuser, mais Wolf semblait être dans l’embarras. Je m’étais dit que personne d’autre que moi n’accepterait la demande, alors j’avais décidé de l’accepter. Je m’étais également dit que je pouvais tout aussi bien demander à Lorraine de m’aider. Elle avait d’abord résisté, mais elle avait fini par céder.

« Très bien. Mais si nous faisons cela, nous devons trouver cet homme », avait-elle déclaré.

C’est ainsi qu’avait commencé notre recherche de ce charpentier.

◆◇◆◇◆

« Est-ce le bon endroit ? » demandai-je en regardant la vieille maison usée par les intempéries.

« Oui, ça devrait l’être », répondit Lorraine.

« Cela a pris moins de temps que je ne le pensais », déclara l’autre personne présente. Ses cheveux blonds dorés étaient coupés court et ses yeux brillaient d’une fierté innée. C’était une noble avec un air légèrement machiavélique, et c’était notre employeur pour ce travail.

Lorsque nous lui avions annoncé que nous avions trouvé la personne qu’elle cherchait, elle était immédiatement venue nous voir. Elle s’était montrée remarquablement rapide pour une noble.

« Il aurait peut-être mieux valu que vous attendiez que nous soyons sûrs de nous », proposa Lorraine.

La femme rit poliment. « Ma grand-mère m’a dit qu’il le nierait si on le lui demandait, alors le seul moyen d’en être certain est d’observer sa réaction lorsqu’il verra la table. »

« Est-ce pour cela que j’ai dû le porter jusqu’ici ? » demandai-je.

La table en question était attachée à mon dos. Nous l’avions apportée parce que la noble dame nous l’avait demandé.

La noble femme m’avait regardé comme si elle voulait s’excuser, mais elle continua : « Eh bien, allons-nous dire bonjour ? » Elle s’avança et ouvrit la porte de la maison.

« Eh bien, cette partie d’elle est certainement noble », avais-je raillé.

« Elles sont toutes comme ça. Mais elle est plutôt sympathique. Je dirais que c’est une bonne noble », observa Lorraine.

J’avais acquiescé. J’avais l’impression qu’elle suivait sa propre voie, mais rien n’indiquait qu’elle nous méprisait.

Nous avions ensuite suivi la femme dans la maison.

◆◇◆◇◆

« Je ne suis pas l’artisan », dit le vieil homme d’un air renfrogné, rejetant l’idée à voix basse.

La noble femme s’était tournée vers nous comme pour nous dire : « Vous voyez, je vous avais dit que cela arriverait. »

Lorraine et moi avions échangé un regard. Cela semblait être un véritable casse-tête. Je me demandais comment nous allions résoudre ce problème quand, étonnamment, la noble femme nous proposa une solution.

« Alors vous êtes d’accord pour qu’on la casse ? » demande-t-elle en regardant la table attachée à mon dos.

Avec une note de panique, le vieil homme s’exclama : « Qu’est-ce que vous dites ? N’est-ce pas un souvenir de votre grand-mère ? »

La noble femme rit. « Pas du tout. C’est mon héritage. J’en fais ce que je veux. Très bien, Rentt, préparez la masse, s’il vous plaît. »

Comme on me l’avait ordonné, j’avais sorti une masse de mon sac magique. La noble femme était plus forte qu’elle n’en avait l’air, et elle souleva le lourd outil sans effort visible. Je compris alors qu’elle savait utiliser la magie pour améliorer ses capacités physiques.

Juste avant que le marteau n’entre en contact avec la table, le vieil homme intervint.

« Attendez, s’il vous plaît ! » s’écria-t-il.

« Oh ? » dit la noble femme.

« S’il vous plaît, ne le détruisez pas. Oui, c’est moi qui l’ai fait. »

La noble posa sa masse. « Alors vous auriez dû le dire plus tôt. »

Il ne s’était rien passé de particulier par la suite. Le vieil homme avait expliqué pourquoi il avait envoyé la table à la grand-mère de la femme. Ils avaient été amants, mais la famille de cette dernière les avait forcés à se séparer. Comme il ne pouvait pas l’épouser, il avait fabriqué la table pour elle, afin qu’elle ait toujours un souvenir de lui. C’est parce qu’elle avait tenu cette promesse que nous lui avions apporté la table.

Une fois que le vieil homme eut terminé son histoire, la noble femme demanda : « Alors, comment dois-je ouvrir ceci ? »

« Qu’est-ce qu’il y a ? Personne ne vous l’a dit ? », s’étonna le vieil homme.

« C’était la dernière volonté de ma grand-mère que je vous demande directement. J’ai dû accepter cette condition lorsque j’ai hérité du titre familial. »

« Je vois. Cela lui ressemble beaucoup. Voilà, c’est comme ça qu’on l’ouvre. »

Le vieil homme déplaça les diverses protubérances situées sous la table, et le plateau s’ouvrit comme une coquille, révélant deux enveloppes à l’intérieur. L’une était adressée au vieil homme, tandis que l’autre…

« Un testament. Vous étiez donc ici pour cela ? » devina le vieil homme.

« Oui, c’est exact. Mon travail ici est terminé. Je remets la table à vos soins. »

La noble femme se tourna vers Lorraine et moi et déclara : « Venez, c’est l’heure de partir. » Puis elle quitta rapidement la maison.

Nous l’avions suivie. Lorsque je m’étais retourné pour jeter un coup d’œil derrière moi, j’avais vu le vieil homme qui pleurait en lisant la lettre qui lui était adressée.

◆◇◆◇◆

« Alors, étiez-vous vraiment ici pour obtenir ce testament ? » demandai-je à la noble.

Elle avait ri et demanda : « Oh ? Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? »

« Si tout ce que vous vouliez, c’était le testament, vous auriez pu casser cette table. »

« Si vous comprenez cela, il n’y a pas besoin de demander, n’est-ce pas ? Lorraine, cet homme est un peu rustre, n’est-ce pas ? »

« Cela fait partie de son charme, madame. »

Les femmes échangent des rires. Je me sentais légèrement irrité par leur conversation, mais leurs visages satisfaits m’avaient fait penser que j’avais été un peu rustre de poser une telle question.

Le manoir pendant la tempête

La porte du manoir s’ouvrit avec un déclic. Le maître du manoir sourit. Il pleuvait à verse dehors, et aucun invité digne de ce nom n’arriverait par ce temps, mais le maître était content pour une raison ou une autre. C’était un spectacle étrange.

Un homme encapuchonné avait franchi la porte. « Je suis désolé pour cette intrusion. Il pleut à verse à l’extérieur. Puis-je me reposer un peu ici ? »

D’ordinaire, le maître l’aurait repoussé, le soupçonnant d’être un mendiant. Mais il avait accueilli le visiteur à bras ouverts.

« Ah, bienvenue. Je vous en prie, entrez. J’ai de la soupe chaude si vous en voulez. »

L’invité sembla un peu déconcerté par cet accueil généreux, mais il nota son appréciation et se présenta.

« Je vous remercie de votre hospitalité. Je m’appelle Rentt et je suis un aventurier. Ce masque sert à cacher une cicatrice défigurante sur mon visage. Ne le laissez pas vous déranger, s’il vous plaît. »

◆◇◆◇◆

Un certain temps s’était écoulé depuis que Rentt, l’aventurier, avait mangé et s’était retiré dans la chambre d’amis.

« Il doit sûrement dormir maintenant. »

Le maître du manoir se leva de sa chaise. Il était très tard. D’habitude, il aurait déjà dormi. Au lieu de cela, il se faufila discrètement dans la chambre de Rentt. Il souleva délicatement la couverture et découvrit le cou de Rentt.

« Ah, quel bonheur ! Je ne peux plus attendre ! »

Le maître s’était jeté sur sa proie…

« Oui, je me doutais bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez vous. » Rentt avait saisi le visage du maître avec une poigne d’acier.

« Quoi !? Vous êtes réveillé !? »

« Si je suis sorti de cette façon, c’est parce que les parents des personnes qui ont disparu dans la région me l’ont demandé. Combien de personnes avez-vous attaquées ? »

« Explosion ! » Le maître du manoir, conscient de sa culpabilité, chercha d’abord à s’échapper. Mais ses efforts furent vains.

« C’est ici que ça se termine pour vous », déclara Rentt. Une profonde obscurité s’étendit alors devant lui et aspira le maître.

« Qu’est-ce que vous êtes ? » s’écria le maître.

« Je suppose, une créature plus proche des ténèbres que vous. Suis-je une créature ? Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas à vous en inquiéter. »

Sur ce, la conscience du maître s’évanouit dans l’oubli.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire