Nozomanu Fushi no Boukensha – Tome 10

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Chapitre 1 : La capitale royale et l’église du ciel oriental

Partie 1

« Maalt a vraiment l’air chétif en comparaison », déclarai-je en jetant un coup d’œil au paysage de Vistelya, la capitale royale de Yaaran, depuis notre calèche. La nuit venait de tomber sur la ville.

Yaaran était un royaume reculé, mais même ainsi, la capitale était plus grande et plus prospère que les autres villes régionales. Ou peut-être que je la trouvais particulièrement éblouissante parce que je la comparais à une ville comme Maalt. Je veux dire, bien sûr, Maalt faisait de son mieux bien qu’elle soit en périphérie. Elle possédait son propre donjon et sa population était assez nombreuse. En somme, c’était un endroit agréable à vivre, mais comparé à la capitale…

« Cela va de soi, » fit remarquer Lorraine. « Mais je préfère Maalt à Vistelya. Vistelya est prospère, mais elle me rappelle trop la capitale impériale. »

« Tu as déjà dit qu’il t’était arrivé beaucoup de choses là-bas. Pourtant, Yaaran n’est pas aussi guindé que l’empire, n’est-ce pas ? »

Lorraine avait mentionné un jour que lorsqu’elle était dans l’empire, elle avait trouvé épuisante la politique constante qui accompagnait le fait d’être un membre de l’élite de la communauté des érudits. La recherche et l’érudition, en général, étaient beaucoup plus appréciées dans l’empire, mais à Yaaran, on n’entendait pas beaucoup d’histoires glorieuses sur la classe des érudits. Tout au plus, la Tour et l’Académie se chamaillaient-elles de temps à autre. C’était très stressant pour les gens de la Tour et de l’Académie, mais ce n’était même pas comparable à la politique des érudits de l’empire.

Lorraine acquiesça. « C’est vrai. Maalt est un bon exemple de l’atmosphère plus détendue qui règne à Yaaran. Il semblerait que ce soit la même chose dans la capitale. »

Pour moi, la capitale du Yaaran ressemblait à une gigantesque métropole, mais pour Lorraine, elle était encore un peu pittoresque. Mais si cela lui rendait la tâche plus facile, c’était probablement une bonne chose. Je remerciai silencieusement Yaaran d’être un pays reculé.

« Nous sommes arrivés », annonça notre chauffeur. « N’hésitez pas à aller dans votre logement. Je séjournerai dans un endroit séparé, contactez-moi lorsque vous serez prêts à retourner à Maalt », ajouta-t-il alors que nous descendions de la calèche.

Il convient de préciser que le chauffeur nous avait conduits directement à notre auberge, mais que lui et l’attelage devaient rester ailleurs. L’endroit où nous nous trouvions n’avait pas la place d’entreposer une calèche, et comme l’animal de trait était spécial, il devait être gardé dans un enclos spécialisé.

Tout compte fait, ce voyage était coûteux, mais Wolf — ou plutôt la guilde de Maalt — payait la note, ce qui n’était pas pour me déplaire. Étant donné que nous utiliserions la même calèche pour retourner à Maalt, cela devait coûter à la guilde un certain montant en frais d’hébergement supplémentaires. Wolf s’était mis en quatre pour nous traiter correctement.

« Viens, Rentt », dit Lorraine, et nous étions entrés dans l’auberge après ça.

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« Alors, cela sera un logement pour deux. Suivez-moi, s’il vous plaît », déclara la réceptionniste.

Après le départ de la réceptionniste, Lorraine murmura : « Ils n’ont pas pris la peine de demander et nous ont simplement donné une seule chambre. »

Nous n’étions plus que tous les deux. Quant à Edel, je l’avais laissé à Maalt. Ce n’était pas que je voulais l’exclure, mais la sécurité était beaucoup plus stricte à Vistelya. Comme nous allions au palais, j’avais pensé que la présence d’un monstre comme Edel pourrait poser problème. J’aurais pu prétendre que j’étais un dompteur de monstres, mais Vistelya était une ville digne de ce nom, contrairement à Maalt. Il y avait beaucoup de dompteurs de monstres dans la capitale, et s’ils avaient pris la peine d’y regarder de plus près, j’aurais pu commettre une erreur.

Si j’avais su que je serais à Vistelya, j’aurais demandé à mon père à Hathara plus d’informations sur le domptage des monstres, mais je pourrais toujours le faire la prochaine fois. De plus, il avait des monstres bizarres dans sa ménagerie, et je n’étais pas sûr que ses connaissances me feraient passer pour un dompteur normal. En fin de compte, j’étais sûr d’avoir pris la bonne décision en laissant Edel à la maison.

« Nous devions ressembler à des frères et sœurs ou à un couple marié », avais-je répondu.

Lorraine avait rit. « Un couple marié, peut-être, mais des frères et sœurs ? Nous ne nous ressemblons pas du tout. »

« C’est vrai. »

De mon vivant, nos visages ne se ressemblaient pas du tout, mais les différences étaient encore plus marquées maintenant que je portais un masque de crâne. En fait, je serais plus inquiet si un employé d’auberge disait que nous nous ressemblons. Il y avait de fortes chances qu’ils pensent que nous étions mariés.

« Agissions-nous comme un couple marié ? » avais-je demandé.

Lorraine marqua une pause, puis répondit calmement : « Je ne pense pas que ce soit le cas, mais c’est difficile à dire. On ne peut pas vraiment le dire à moins de le regarder de l’extérieur. »

« Veux-tu que je prenne des chambres séparées pour nous ? » avais-je proposé.

Lorraine fronça les sourcils d’exaspération. « Nous vivons dans la même maison. Rester dans la même chambre n’est pas un grand changement, n’est-ce pas ? »

Une partie de moi voulait lui demander si elle n’avait pas peur que je tente quelque chose, mais Lorraine était une puissante mage. Elle n’avait besoin que d’une baguette pour venir à bout de la majorité des hommes de ce royaume, moi y compris. Je pouvais probablement survivre à quelques coups maintenant, mais je ne pouvais toujours pas la battre. Et comme elle l’avait fait remarquer, nous vivions déjà dans la même maison. J’avais convenu avec elle que partager une chambre d’auberge n’était pas si différent.

« Il n’y a rien à redire. Je me suis dit que j’allais quand même demander. Alors, quel lit veux-tu ? »

Heureusement, il y avait deux lits dans la chambre. Lorraine avait choisi celui qui était le plus près de la fenêtre, ce qui fait que j’allais devoir regarder le mur en allant me coucher.

Quoi qu’il en soit, il était temps de se reposer pour la journée et de se préparer pour demain. Nous devions d’abord nous rendre à la guilde, mais… Peut-être devrions-nous d’abord acheter des souvenirs ? Je m’étais dit que je réglerais les détails avec Lorraine dans la matinée.

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Cela faisait longtemps que je n’avais pas visité la guilde de Vistelya, mais comme je m’en souvenais, elle n’avait rien à envier à celle de Maalt. Le bâtiment lui-même était plus solide et assez grand pour abriter le grand nombre d’aventuriers qui habitaient la capitale. La dernière fois que j’étais venu, je n’avais pas pu voir l’intérieur, mais cette fois-ci, j’avais repéré des portes d’ascenseur.

C’était logique. L’immeuble comptait cinq étages, et ce serait une sacrée tâche que d’emprunter les escaliers à chaque fois. Ce serait une chose si les étages supérieurs étaient rarement utilisés, mais j’étais presque sûr que le bureau du maître de la guilde se trouvait au dernier étage, ce qui rendrait un trajet quotidien sur cinq étages un peu pénible.

« On m’a dit que le Grand Maître de la Guilde de Yaaran est assez âgé », dit Lorraine. « Même s’il a déjà été un aventurier, il n’est sûrement plus actif à cet âge. »

Lorraine avait raison. J’avais entendu dire que l’actuel grand maître de la guilde occupait déjà ce poste lorsque Wolf avait été recruté dans la guilde. J’avais aussi entendu dire que le grand maître de la guilde était un ancien aventurier, mais j’étais sûr d’avoir aussi entendu dire que c’était il y a plus de cinquante ans. Même s’il avait pris sa retraite dans la trentaine, il devait avoir plus de quatre-vingts ans à l’heure actuelle. Les aventuriers étaient nettement plus résistants que les gens normaux en raison de leur physique et de leur réserve de mana, mais être un aventurier actif à quatre-vingts ans, c’était un peu exagéré.

« Mais il y a des exceptions à cette règle, comme Gharb. Ce n’est donc pas impossible », avais-je noté.

J’avais pensé à Gharb, la femme médecin et mage en chef de ma ville natale. Elle commençait à prendre de l’âge, mais elle était toujours aussi forte. Si elle décidait de devenir aventurière maintenant, elle commencerait à la classe Argent, et dans ce cas, elle me surpasserait instantanément. Elle était ma mentore, alors ça allait.

« Maintenant que tu le dis, je pense que c’est vrai », déclara Lorraine. « Mon mentor est similaire. Je suis sûre qu’il s’amuse dans l’empire. »

« La personne à qui tu as lancé ta baguette ? »

Lorraine fronça les sourcils. « J’étais jeune à l’époque. Je ne ferais pas ça maintenant. Je ne pourrais pas le faire maintenant. Je n’arrive toujours pas à oublier à quel point il était en colère… »

« J’aimerais le rencontrer. »

Il serait une excellente source d’histoires amusantes sur Lorraine, et ce serait bien de lui faire tourner la tête pour une fois. Après tout, les habitants d’Hathara lui avaient raconté toutes les histoires embarrassantes à mon sujet lorsque nous étions allés là-bas.

« Vraiment ? J’aimerais bien aller le voir, mais on ne peut pas entrer et le rencontrer comme ça. Je suis sûr que nous finirons par nous rendre à l’empire, alors nous pourrons nous y préparer le moment venu. »

Étonnamment, Lorraine s’était montrée plus réceptive à l’idée que je ne l’imaginais. Je pensais qu’elle ne voudrait pas que je rencontre son professeur, mais il semblerait que Lorraine éprouvait beaucoup de gratitude à son égard. Lorraine vivait à Maalt depuis longtemps, et même si elle retournait parfois dans l’empire, elle n’y restait jamais longtemps. Elle ne l’avait peut-être pas vu depuis une dizaine d’années, et je pouvais donc comprendre qu’elle veuille y aller.

« J’attends cela avec impatience, » avais-je dit en plaisantant. « Ah, la réceptionniste est libre. Je vais y aller. »

« Alors je vais attendre là-bas, » dit Lorraine en désignant le bar intégré à la salle des guildes.

Techniquement, il s’agissait d’une cafétéria qui proposait des en-cas légers et toutes sortes de boissons. Bien que tous les halls de guilde n’en soient pas équipés, la plupart d’entre eux en étaient pourvus. Le choix des menus et la taille des portions étaient un peu trop limités pour un vrai repas, c’était donc surtout un endroit pour faire une petite pause entre deux tâches ou pour attendre les membres d’un groupe — ce qui signifie que Lorraine l’utilisait exactement pour l’usage auquel elle était destinée.

« D’accord. Je te retrouve dans un instant », avais-je dit en me dirigeant vers la réception.

***

Partie 2

« Il est sorti ? » demandai-je en regardant la réceptionniste d’un air perplexe.

La femme derrière le bureau répondit calmement : « Oui. Je crains que Jean Seebeck ne soit actuellement indisponible. Je pense qu’il sera de retour dans quelques jours. »

« Si j’attends qu’il revienne, est-ce qu’il me verra ? »

« Bien sûr. Si je négligeais un employé de la guilde que Maître Wolf Hermann de Maalt a envoyé directement, j’aurais moi-même des ennuis. Néanmoins, je ne peux rien faire pour l’absence du grand maître de la guilde. Je suis vraiment désolée. Pourriez-vous réessayer dans cinq jours ? »

Je trouvais qu’elle était un peu trop polie envers un collègue de la guilde, mais c’était logique. La guilde des aventuriers était une organisation unique, mais chaque branche régionale était indépendante. Pour un employé de la guilde de Vistelya, un membre de la branche de Maalt était un étranger.

Cela mis à part, elle avait été respectueuse envers Wolf, l’appelant même « Maître Wolf ». Méritait-il vraiment autant de respect ? Vraiment ? Mais, à bien y réfléchir, il n’y avait pas beaucoup de gens qui étaient d’aussi bons chefs de guilde que lui, et combiné à son sens du détail et à ses capacités d’aventurier, il était peut-être l’exemple même de ce que devait être un chef de guilde. Cela expliquerait le respect qu’on lui portait. Cela dit, Maalt se trouvait au milieu de nulle part, et il était donc surprenant qu’ils reconnaissent la valeur de Wolf. Cela faisait du bien, en fait, de connaître quelqu’un que l’on traitait avec autant de respect.

Quoi qu’il en soit, la seule chose que je pouvais faire maintenant était d’attendre. Ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose, car j’avais encore une longue liste de courses à faire. J’avais prévu de les abandonner si je n’avais pas assez de temps, mais voilà qu’une bonne quantité de temps libres me tombe dessus.

J’avais fait un signe de tête à la réceptionniste et j’avais répondu : « C’est très bien. Dans cinq jours, alors ? »

« Oui. En ce qui concerne la documentation, nous la trierons et l’organiserons de notre côté, de sorte que votre rapport devrait se dérouler relativement facilement. »

La documentation en question était l’énorme pile de papiers que Wolf m’avait donnée pour que je la remette à la guilde de Vistelya. La plupart de ces documents décrivaient l’état actuel de Maalt, et on aurait pu penser que cela suffirait, mais il valait mieux que quelqu’un qui connaissait la situation fasse un rapport direct aux plus hauts responsables. C’était la raison pour laquelle Wolf m’avait envoyé ici, et c’est ce qui avait motivé la remarque de la réceptionniste.

« Merci. Je vous laisse le soin de le faire. Rendez-vous dans cinq jours. »

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« As-tu déjà terminé ? Que s’est-il passé à la réunion ? » me demanda Lorraine en m’approchant.

« Il semblerait que le grand maître de la guilde ne soit pas en ville. De toute évidence, il sera de retour dans cinq jours. »

« Pas en ville… Je suppose qu’il ne peut pas rester trop longtemps au même endroit. J’avais pourtant entendu dire qu’il ne pouvait pas quitter la capitale longtemps…, » déclara Lorraine d’un air perplexe.

J’acquiesçai en me rappelant ce que j’avais entendu à Maalt. « Wolf a mentionné cela, mais il voulait probablement dire que le grand maître de la guilde ne pouvait pas venir dans un endroit au milieu de nulle part comme Maalt. »

Le voyage de Vistelya à Maalt prenait environ une semaine en temps normal. Étant donné que le grand maître de guilde devait s’y rendre et en revenir, une visite prendrait au moins deux semaines. Il ne pouvait pas abandonner la capitale aussi longtemps. Les villes régionales plus proches de la capitale n’étaient cependant qu’à quelques jours de voyage aller-retour, il ne serait donc pas étrange qu’il s’y rende fréquemment.

« Ah, tu marques un point, » marmonna Lorraine. « De toute façon, tu ne peux rien faire contre son absence. D’ailleurs, c’est en quelque sorte fortuit. Nous avons maintenant le temps de nous occuper de nos diverses courses avant. »

« Oui, c’est aussi ce que je pensais. »

« Notre liste de choses à faire comprend la remise de la lettre de Sœur Lillian à l’Église du Ciel Oriental, la visite du palais pour une audience avec Son Altesse, et l’achat de souvenirs pour Alize et Rina. La première chose à faire est de… »

Lorraine m’avait regardé et m’avait demandé à quoi nous devions nous attaquer en premier.

« La lettre, je pense. Je n’ai aucune idée de la durée de notre séjour au palais, mais avec la lettre, tout ce que nous avons à faire, c’est de la livrer, » suggérai-je, pensant qu’il valait mieux s’acquitter d’abord de la tâche la plus simple.

« C’est vrai. Puisque sœur Lillian m’a donné la lettre, je pourrais la remettre moi-même, mais j’imagine qu’on me demandera aussi au palais. »

« Oui. De plus, il y a quelqu’un d’autre que nous devons emmener au palais avec nous. Nous devons entrer en contact avec lui, mais le seul moyen auquel je pense est de lui laisser un message ici à la guilde. À part ça, nous pourrions essayer son repaire habituel. »

Je faisais référence au bar où nous avions rencontré Augurey la dernière fois que nous étions venus ici. Nous pourrions le rencontrer là-bas si nous y allions, mais un message laissé à la guilde parviendrait à Augurey dès son arrivée. Inversement, il pourrait recevoir le message demain, mais il pourrait être en mission à long terme en ce moment et ne le recevrait qu’à son retour. Dans ce cas, Lorraine et moi devrions nous rendre au palais sans lui, mais nous traverserions ce pont en arrivant.

« Il serait peut-être plus facile de le trouver en demandant autour de nous si quelqu’un a vu un aventurier portant des vêtements étranges. »

Lorraine l’avait dit en plaisantant, mais elle n’avait pas tort. Le sens de la mode d’Augurey le faisait sortir du lot. Mais je préférais ne le faire qu’en dernier recours.

« Nous pourrons le faire si nous ne le trouvons pas », répondis-je, « mais pour l’instant, pourquoi ne pas nous rendre à l’Église du Ciel Oriental. C’est à l’est de la capitale, non ? »

« Oui, c’est bien cela », répondit Lorraine.

Lorraine et moi avions quitté la guilde et nous étions dirigés vers l’église.

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« L’église de Maalt ressemble à une cabane délabrée », murmurai-je devant l’édifice en question.

Lorraine acquiesça. « Comme on pouvait s’y attendre. Bien que l’Église du ciel oriental ne soit pas une organisation religieuse particulièrement riche, elle reste la principale religion de Yaaran. Il est donc logique que l’église principale de la capitale soit beaucoup plus imposante que celle de Maalt. »

Le bâtiment qui s’élevait devant nous, avec ses grandes tours, brillait au-dessus de nos têtes, comme pour corroborer les propos de Lorraine. J’avais également vu un grand nombre de fidèles qui s’affairaient, mais en silence, à entrer et sortir du bâtiment. C’était un lieu animé. Je ne veux pas dire que l’église du ciel oriental à Maalt n’était pas animée, mais elle était souvent éclipsée par l’église de Lobelia.

Même ici, dans la capitale, l’Église de Lobelia commençait à étendre son influence. J’apercevais leur église pas très loin. Nous avions dû passer devant en venant ici, mais ils avaient été si agressifs dans leur évangélisation que c’en était un peu trop.

« Si vous rejoignez l’Église de Lobelia, vous aurez la garantie d’être sauvé. »

« Nous comptons un grand nombre de saints dans nos rangs, ce qui vous permettra d’obtenir des bénédictions dans cette vie également. »

« Notre eau bénite est plus abordable que celle des autres religions ! »

Tous les dix pieds environ, nous avions droit à un discours de ce genre. J’aurais voulu leur demander s’ils essayaient de convertir les gens à une religion ou de conclure une affaire, mais je savais que si je le disais à haute voix, cela déclencherait un nouveau flot de paroles. J’avais préféré les ignorer.

Malgré le fait que Lorraine se trouvait à côté de moi, personne n’avait essayé de lui vendre de choses lié à l’église de Lobelia. Cela me parut étrange et je décidai de lui en demander la raison.

« Peut-être que tu avais l’air plus crédule que moi, » répondit Lorraine. « Ils n’arrêtaient pas de jeter des coups d’œil vers moi, mais au bout de quelques secondes, ils avaient tous tendance à se disperser. »

Avais-je vraiment l’air aussi crédule ? Peut-être qu’avant d’être dévorée par un dragon, c’était le cas. Quand j’étais humain, les gens m’avaient souvent dit que j’avais l’air digne de confiance et gentil. Je suis sûr que j’avais l’air plutôt louche aujourd’hui. J’avais plutôt l’air d’une personne qui s’en prendrait à des adeptes sincères d’une foi. Quoi qu’il en soit, personne ne me dérangeait vraiment lorsque j’étais à Maalt. Ce genre de recrutement aléatoire dans la rue était rare là-bas de toute façon.

En revanche, l’Église de Lobelia, ici dans la capitale, était particulièrement avide de conversions. L’Église du ciel oriental ne faisait pas grand-chose pour répandre sa foi, si bien que l’empressement de l’Église de Lobelia à évangéliser avait créé une situation où elle empiétait régulièrement sur le territoire de l’Église du ciel oriental à Yaaran. En tant que citoyen de Yaaran, j’aurais aimé que l’Église du ciel oriental se montre un peu plus active, mais je n’étais pas un fervent adepte et je ne me sentais pas très concerné par l’issue de cette affaire.

Alors que j’en étais là de mes réflexions, Lorraine déclara : « D’accord, continuons à avancer, Rentt. On a l’air suspect à rester là. »

Elle commença à marcher vers l’église et je le suivis. Nous nous étions ensuite engouffrés dans le bâtiment par les portes ouvertes de l’entrée géante.

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L’intérieur de l’église du ciel oriental, tout comme l’extérieur, était une œuvre architecturale impressionnante, mais peut-être en raison des enseignements de l’église, elle n’était pas décorée de façon criarde ou riche. Cela ne voulait pas dire qu’il n’était pas beau — ça l’était — mais sa beauté était sobre et discrète, et les statues et les peintures murales évitaient l’ostentation au profit de la piété.

Les décorations représentaient toutes des personnages et des événements tirés des Écritures de l’Église du ciel oriental, et les fidèles priaient devant chaque statue et chaque peinture murale. Au milieu de la grande salle, des rangées interminables de grands bancs conçus pour accueillir des dizaines d’adeptes étaient alignées. Entre les bancs, une allée de moquette violette s’étendait jusqu’à l’autel. Derrière l’autel, un grand vitrail représentant l’Anjie de l’Est que l’église vénérait éclairait la pièce d’une chaude lueur. Cependant, ni l’autel ni le vitrail n’avaient pour but d’afficher la grandeur de l’église, ils étaient destinés à créer une atmosphère calme et pieuse.

« Je n’ai pas l’intention de suivre une foi particulière, mais je ressens toujours quelque chose quand je suis dans un endroit comme celui-ci », déclara Lorraine en expirant doucement.

L’Église de Lobelia était très influente dans l’empire, mais Lorraine elle-même n’était pas très croyante. Je suppose que ce qu’elle essayait de dire, c’est que cet endroit donnait envie à quelqu’un comme elle de croire en une puissance supérieure, même si ce n’était que pour un bref instant.

 

 

Étant donné que les bénédictions des dieux et des esprits existent, je ne voyais rien de mal à croire en quelque chose, mais le fait est que les bénédictions sont souvent accordées à ceux qui n’ont pas un sens aigu de la foi. Comme Lorraine et moi possédions tous deux la divinité, nous étions tous deux des saints selon la plupart des institutions religieuses, mais si l’on me demandait si nous adorions l’esprit de ce sanctuaire, je devrais probablement répondre par la négative. J’étais reconnaissant, mais ce n’était pas la même chose que la fidélité.

***

Partie 3

« Ce n’est pas que je ne comprenne pas pourquoi, » murmurai-je, « mais comme je m’y attendais, il ne m’arrive rien, même dans un endroit comme celui-ci. Je me suis dit que contrairement à la petite église de Maalt, il pourrait se passer quelque chose ici, dans la grande église. »

Lorraine s’était tournée vers moi et m’avait regardé attentivement.

« C’est vrai, tu n’es pas différent. Bon, c’est une église, mais ce n’est pas comme si elle débordait de divinité. D’ailleurs, même si c’était le cas, tu es une bizarrerie. Tu es un mort-vivant avec ta propre divinité, il n’est donc pas très surprenant que rien ne se soit passé. »

« Oui. Si j’avais pensé que le risque était si grand, je ne serais pas entré dans l’église. »

Avant d’entrer, j’avais eu l’impression qu’il s’agissait d’un grand bâtiment impressionnant, mais je n’avais ressenti aucun malaise ni aucune peur. Mon corps étant celui d’un mort-vivant, si l’église elle-même était dangereuse pour mon espèce, j’aurais ressenti une sorte d’effroi ou de dégoût en m’approchant de l’endroit. En réalité, je n’avais rien ressenti de tel en arrivant ici.

De plus, lorsque j’avais mis les pieds à l’intérieur, il ne s’était rien passé. C’était peut-être imprudent de ma part, car si quelque chose s’était produit, ma seule option aurait été de demander à Lorraine de me traîner hors de l’édifice. J’avais déjà visité un bon nombre de lieux de culte, dont la chapelle de l’orphelinat de Maalt. Ce n’était pas une grande chapelle, mais elle m’avait permis de tester ma réaction face aux structures sacrées. Ce n’était peut-être pas si imprudent de ma part d’entrer ici comme ça.

« Cependant, cela signifie simplement que tu n’as aucun de problème avec cette église en particulier. Il est possible que des églises d’autres confessions t’affectent. Tu dois tout de même être prudent. »

Lorraine veillait à ce que je ne sois pas trop confiant, et elle avait raison, bien sûr. J’avais déjà entendu dire que les relations entre les dieux pouvaient avoir un impact sur l’équilibre des pouvoirs entre un dieu et un détenteur de divinité. Par exemple, les saints pouvaient bénéficier d’un surcroît de puissance lorsqu’ils étaient confrontés à des disciples d’un dieu que leur dieu détestait. Après tout, les dieux choisissaient généralement les mortels non pas en fonction de leur moralité, mais en fonction de l’affection qu’ils leur portaient. C’est ce que Lorraine voulait dire lorsqu’elle indiquait que cela pouvait encore poser un problème dans une autre église, même si je me sentais bien dans l’Église du Ciel oriental.

« Oui, c’est vrai. Je ferai attention. Cela mis à part, qu’en est-il de la lettre ? À qui la donner ? »

Lorsque j’avais changé de sujet, Lorraine avait sorti la lettre de son sac. La lettre était scellée à la cire et, bien qu’elle ne soit adressée à personne à l’extérieur, on avait dit à Lorraine à qui elle devait être remise. C’est elle aussi qui avait accepté le travail.

« Sœur Lillian m’a demandé de remettre cette lettre à l’abbesse Elza de l’abbaye de Yaaran du ciel oriental. »

« Elle l’envoie donc à quelqu’un de très haut placé. »

Dans l’Église du ciel oriental, l’archimandrite est le premier grade, suivi de l’abbé, du prieur, du chanoine et ainsi de suite — dix grades au total. Il existe des séparations plus précises entre les rangs, mais il s’agissait là de la hiérarchie de base. L’équivalent du Grand Père de l’Église dans l’Église de Lobelia, ou d’un pape ou d’un patriarche dans d’autres religions, était l’archabbé, de sorte qu’un abbé dans l’Église du Ciel oriental était essentiellement un cardinal ou un évêque. Un abbé pouvait même devenir un jour archimandrite.

Lillian échangeait directement des lettres avec quelqu’un de ce rang, alors était-elle plus haut placée que je ne le pensais ? Elle s’était toujours présentée comme clerc et ne nous avait jamais dit son rang exact. D’ordinaire, quelqu’un en charge d’une église dans une ville de la taille de Maalt devrait être un chanoine, au mieux. Je suppose qu’il faudrait que je pose la question à Lillian à un moment ou à un autre.

« Cela signifie peut-être simplement que l’Église du Ciel oriental n’est pas aussi enfermée dans sa hiérarchie que l’Église de Lobelia. On m’a dit que pour envoyer une lettre au Grand Père de l’Église de Lobelia, il faut être de haut rang ou accompli pour qu’il prête attention à ta démarche. »

C’était un extrême dans la direction opposée.

« Ce n’est donc pas la peine qu’un petit enfant économise son argent de poche pour payer l’affranchissement, hein ? » avais-je dit.

« Ils peuvent toujours l’envoyer », répondit Lorraine, « mais les lettres sont d’abord lues par les subordonnés du Grand Père de l’Église, qui les trient ensuite. En fin de compte, seule une poignée d’entre elles arrive sur le bureau du Grand Père de l’Église. Cela dit, il est plus probable qu’une lettre d’un enfant comme celle que tu as décrite ait une chance décente. Si l’on apprend que le Grand Père de l’Église l’a lue et y a répondu, la réputation de l’Église s’en ressentira. Dans l’empire, si tu vas dans une église à la campagne, tu verras parfois une réponse du Grand Père de l’Église encadrée et affichée sur un mur. »

« Tu sais, ce n’est pas tout à fait une mauvaise chose… mais c’est un peu sale. »

« La réalité est que nous vivons dans un monde difficile. Quoi qu’il en soit, la lettre. J’aimerais m’assurer que l’abbesse la reçoive, je ne veux pas la remettre à un prêtre au hasard pour qu’elle ne soit jamais lue. »

Lorraine regarda autour d’elle, puis appela une femme qui passait par la et qui semblait être une religieuse. Elle allait lui demander de lui amener l’abbesse Elza. Le plus simple aurait été de donner la lettre à la religieuse et de lui demander de la remettre, mais Lorraine avait pris cette tâche comme une demande en bonne et due forme. Sa fierté professionnelle d’aventurière signifiait qu’elle devait s’assurer qu’Elza reçoive la lettre. Dans ce cas, il serait imprudent de la remettre à une religieuse de passage.

« Oui ? Que puis-je faire pour vous ? Souhaitez-vous faire une prière ? Ou acheter de l’eau bénite ? Ou peut-être souhaitez-vous faire un don ? »

La religieuse était probablement en train d’énumérer des demandes potentielles, mais je n’avais pas pu m’empêcher d’entendre un peu d’espoir dans sa voix à la dernière question. Même si la religion n’était pas une question d’argent, toutes les institutions religieuses avaient besoin d’argent pour survivre. C’est compréhensible.

D’ailleurs, d’après ce que j’avais pu voir des religieux qui passaient, ils portaient tous des vêtements simples. Les religieux les plus âgés avaient manifestement porté leurs vêtements pendant longtemps, car de nombreux rapiéçages recouvraient les déchirures et les lacunes du tissu. Il était clair qu’ils n’avaient pas l’habitude de dépenser de façon frivole pour le luxe. Cela montrait à quel point l’Église du ciel oriental se souciait peu de ce genre de choses, ce qui m’avait incité à faire un don.

« J’ai l’intention de faire un don avant de rentrer chez moi, » dit Lorraine, « mais ce n’est pas pour cela que je suis ici aujourd’hui. Nous venons de la ville de Maalt et nous avons une lettre d’une religieuse qu’on nous a demandé de remettre en son nom. J’aimerais la remettre directement à la personne à qui on m’a dit de la donner. Serait-il possible que vous fassiez venir le destinataire ? »

« Ah, vous avez vraiment parcouru un long chemin. Merci d’avoir pris le temps de le faire. Je serai heureuse de vous aider. Et à qui est adressée cette lettre ? Et si possible, puis-je savoir qui l’a écrite ? »

« C’est vrai, je m’excuse. La lettre est adressée à l’abbesse Elza. Elle a été envoyée par Sœur Lillian de Maalt. Pardonnez-moi, je ne connais pas le rang de Sœur Lillian, car je n’ai jamais eu l’occasion de le lui demander… »

Lorraine était en train de décrire la tâche qui lui avait été confiée, mais les yeux de la religieuse s’écarquillèrent de surprise en entendant son nom.

« U-Une lettre de Soeur Lillian à Mère Elza !? Je comprends. Je vais aller chercher l’abbesse immédiatement ! Si vous pouviez attendre dans le salon — Vous ! Montrez à ces deux-là le salon ! »

La religieuse, qui était maintenant très inquiète, avait arrêté une jeune femme, apparemment une novice, et lui avait donné des ordres avant qu’elle ne s’éloigne.

Lorraine la regarda partir avec perplexité. « Est-ce que c’est quelque chose que j’ai dit ? »

J’avais secoué la tête. « Non, je ne crois pas. Peut-être que la fille pourrait nous aider ? »

Je m’étais tourné vers la novice qui nous servait de guide, et Lorraine acquiesça.

« Pardonnez cette question étrange, mais connaissez-vous l’abbesse Elza et la sœur Lillian ? » demande-t-elle à la jeune femme.

« Oui, je connais l’abbesse Elza. Elle est responsable de l’abbaye d’Ephas, le siège de l’Église du ciel oriental à Yaaran. Mais, mes excuses, en ce qui concerne Sœur Lillian… Je crains de ne pas la connaître. D’où vient-elle ? »

« C’est une religieuse de Maalt. »

« Ah, Maalt. Je vois. Pour être une religieuse dans un pays aussi dur, elle doit être une sacrée personne, mais j’ai bien peur de ne pas la connaître. Je vous prie de m’excuser. Je suis désolée de ne pas pouvoir vous être utile. »

Lorraine m’avait jeté un coup d’œil, mais si la fille ne savait pas, elle ne savait pas. J’avais secoué la tête.

« Je vois… » dit Lorraine avec douceur. « Je suis désolée de vous demander quelque chose de si aléatoire. Veuillez nous conduire au salon. »

◆♥♥♥◆♥♥♥◆

« Si vous voulez bien m’excuser. Elle ne devrait pas tarder à arriver. »

Après nous avoir conduits au salon, la femme avait préparé du thé avant de nous laisser seuls dans la pièce. Lorraine attendit que nous entendions ses pas s’éloigner pour prendre la parole.

« Nous ne savons toujours pas pourquoi cette prêtresse a été si surprise, n’est-ce pas ? »

« Peut-être était-elle simplement surprise qu’une lettre soit adressée à l’abbesse Elza ? Il se peut qu’elle n’écrive pas beaucoup et qu’elle ne reçoive pas beaucoup de courrier. »

« Là, es-tu sérieux ? »

Lorraine fronça les sourcils et jeta un coup d’œil dans ma direction. Je plaisantais, bien sûr. Une abbesse de l’Église du ciel oriental n’était pas seulement une figure religieuse, mais aussi une figure politique. Il était impossible qu’elle n’écrive pas beaucoup, et qu’il soit rare qu’elle reçoive des lettres. Il était donc logique de supposer que la religieuse n’avait pas été surprise par le fait que l’abbesse Elza ait reçu une lettre, mais par le fait que Lillian ait envoyé une lettre à l’abbesse.

« Je plaisante. La supposition la plus logique est que Lillian est assez importante dans l’église, n’est-ce pas ? » avais-je dit.

« Alors pourquoi cette fille n’a-t-elle pas entendu parler d’elle ? »

« Je suis sûr que nous pouvons trouver un tas de raisons, mais elle est jeune. Il ne serait pas étrange qu’elle ne sache pas encore grand-chose sur l’Église. »

« Je suppose que tu as raison… »

Bien qu’elle ait acquiescé, Lorraine ne semblait pas particulièrement convaincue par ma logique. Lorraine était une érudite dans l’âme, elle n’aimait donc pas se fier à ses intuitions et à ses suppositions, sauf pour déterminer si c’était important ou non.

Pourtant, je partageais sa curiosité au sujet de Lillian. C’était une nonne qui servait dans la campagne de Maalt, mais maintenant que j’y pense, sa présence était étrange. Après tout, elle pouvait utiliser la divinité, ce qui faisait d’elle une sainte. Il était facile d’oublier à quel point c’était impressionnant, étant donné que Lorraine, moi et même mes thralls pouvions l’utiliser s’ils le voulaient, mais c’était une capacité assez rare. Ceux qui pouvaient l’utiliser, quelle que soit l’étendue de leur pouvoir, étaient appréciés par toutes les institutions religieuses auxquelles ils appartenaient. Il était normal pour eux d’appartenir techniquement à une branche particulière de la foi mais de travailler en tant que prêtres, clercs et diacres itinérants, mais Lillian avait été assignée à une congrégation isolée. Il était facile d’imaginer qu’il y avait une histoire compliquée derrière tout cela.

***

Partie 4

« Si tu veux vraiment savoir, il faut lui demander en personne, ou peut-être demander à l’abbesse Elza que nous allons rencontrer. Mais il est difficile de dire si elles répondront à cette question ou non. »

« Hmm… Ce serait difficile. »

Lorraine croisa les bras et soupira. Étant donné que ces informations concernaient les affaires internes de l’Église du ciel oriental, il semblait peu probable qu’ils acceptent de les partager librement. Dans ce cas, nous ne pouvions pas faire grand-chose. Cependant, si nous demandions à Lillian, elle ne ferait peut-être pas d’histoires à ce sujet.

Nous avions un peu attendu, en sirotant notre thé, lorsqu’on frappa à la porte. Lorraine et moi nous étions levés et avions toutes deux dit : « Entrez. »

La porte s’ouvrit lentement et la prêtresse de tout à l’heure entra dans la pièce, suivie d’une prêtresse que je supposais être l’abbesse Elza.

La première impression que j’avais eue de l’abbesse Elza avait été qu’elle avait l’air beaucoup plus jeune que je ne l’aurais cru. Un abbé était l’équivalent des cardinaux et des évêques dans d’autres religions, et c’était l’un des postes les plus importants dans l’Église du ciel oriental. Lorsque le chef suprême décédait, son successeur était choisi parmi les détenteurs de ce titre.

Les personnes choisies pour ces fonctions devaient répondre à un grand nombre d’exigences allant du caractère personnel à l’éducation en passant par l’expérience et, par conséquent, elles devaient souvent avoir un certain âge. Malgré cela, l’abbesse Elza était extrêmement jeune. Comme je n’avais pas appris à identifier l’âge d’une femme au premier coup d’œil, je ne pouvais pas dire avec certitude quel âge elle avait, mais au moins, elle semblait assez jeune pour que certains disent qu’elle avait une vingtaine d’années, alors que d’autres diraient qu’elle était encore à la fin de l’adolescence.

Je m’étais dit que je ne risquais rien en disant qu’elle avait une vingtaine d’années. Ce n’était pas qu’elle avait perdu tous ses traits enfantins, mais elle faisait preuve d’une certaine intelligence et d’une maturité, ainsi que d’un calme qu’aucune adolescente ne pourrait posséder. Elle avait aussi des cheveux de jais, ce qui n’était pas si rare à Yaaran, ainsi que des yeux couleur obsidienne.

L’abbesse Elza s’inclina profondément lorsqu’elle entra dans la pièce. Lorraine et moi nous étions levées et lui avions rendu son salut.

« Je vous remercie d’être venu de si loin pour me remettre ceci », dit l’abbesse Elza. « On me dit que c’est une lettre de Sœur Lillian Jean. Je suis Elza Olgado, l’abbesse en question. »

« Merci pour cette présentation polie. Je m’appelle Lorraine Vivie, une aventurière de classe Argent, et voici mon compagnon, Rentt Vivie. »

C’était Lorraine qui avait accepté cette tâche et c’était donc elle qui avait répondu à l’abbesse. Je n’étais pour ainsi dire qu’un simple accompagnateur. Cependant, j’avais accompagné Lorraine depuis Maalt, et je pensais donc avoir le droit d’être ici. De plus, du point de vue de Lillian, c’était moins le fait qu’elle ait demandé à Lorraine seule que le fait qu’elle nous avait confié la lettre à tous les deux.

En apprenant que nous partagions le même nom de famille, Elza nous avait regardées tour à tour. Lorraine comprit ce que l’abbesse voulait demander, mais elle l’écarta et continua. Il n’était pas nécessaire de clarifier les choses, car il y avait plusieurs raisons pour lesquelles nous pouvions partager un nom de famille, que ce soit parce que nous étions mariées ou parce que nous étions de la même famille. Elza laissa également sa question sans réponse et reporta son attention sur Lorraine.

« Je suis venue aujourd’hui parce que Sœur Lillian m’a confié une lettre à vous remettre directement, Abbesse Elza. La voici. » Lorraine sortit la lettre de son sac magique et la tendit à Elza.

« Une classe d’argent ? Je vois. Cela vous dérangerait-il terriblement si je l’ouvrais ici ? Je crains d’avoir hâte de voir ce qu’elle a écrit. »

Si Elza mentionnait le rang de Lorraine, c’est parce qu’en temps normal, un aventurier de classe Bronze est largement suffisant pour distribuer le courrier en toute sécurité. Peu de gens se donneraient la peine d’engager un aventurier de classe Argent pour le faire. Dans certains cas, les riches engageaient un aventurier de haut rang pour livrer une missive importante, mais Lillian était la directrice de l’orphelinat de Maalt. Elle n’était pas particulièrement riche, et Elza devait se demander pourquoi elle avait demandé à un aventurier de classe Argent de livrer la lettre.

En fait, Lorraine avait accepté le poste non pas parce que Lillian recherchait spécifiquement un aventurier de classe Argent, mais parce que Lillian connaissait Lorraine personnellement. En ce qui concerne les honoraires, Lillian avait d’abord insisté pour payer le prix fort, mais Lorraine lui avait accordé une remise puisque nous venions de toute façon par ici.

Quant à savoir pourquoi Elza voulait l’ouvrir devant nous, il y avait probablement deux raisons. D’abord, comme elle venait de le dire, elle était impatiente de voir ce qui était écrit dans la lettre elle-même. Deuxièmement, elle voulait s’assurer qu’elle lui avait bien été remise proprement.

La première raison était simplement une déclaration faite par politesse, tandis que la seconde était probablement la vraie raison. Normalement, lorsqu’un aventurier était chargé de distribuer du courrier, il n’ouvrait jamais la lettre pour en vérifier le contenu. En fait, le faire sans la permission de l’employeur était un crime. Néanmoins, certains aventuriers moins honnêtes y jetaient un coup d’œil. Ils n’étaient pas nombreux à le faire, mais il était préférable de vérifier si rien n’avait été modifié, au cas où.

Lorraine acquiesça. « Bien sûr. S’il vous plaît, faites-le. »

« Alors… Oh, mes excuses. Je ne voulais pas vous obliger à rester debout. Je vous en prie, asseyez-vous. Je vais m’asseoir à mon tour. »

À la demande d’Elza, Lorraine et moi nous étions assis sur le confortable canapé du salon. Elza s’assit après nous avoir vues nous installer, mais la nonne qui l’avait amenée resta debout et se tint tranquillement derrière l’abbesse. La nonne se tenait probablement prête à faire des tâches si Elza le jugeait nécessaire. De plus, elle était probablement là pour servir de bouclier à Elza si quelque chose arrivait. Je sentais que la nonne avait reçu un entraînement martial, mais il était difficile de dire si elle serait capable de se battre contre nous. Elle ne pourrait pas faire grand-chose si Lorraine décidait de déployer toute la puissance de sa magie.

Mais si cela arrivait, nous serions certainement capturés. Même si nous nous échappions, nous deviendrions des criminels recherchés en cavale. Je souhaitais que la religieuse se calme, car il était hors de question que nous fassions une telle chose, mais comme la prudence était de mise dans ce genre de situation, nous ne pouvions rien faire pour la religieuse.

Alors que je réfléchissais à ces questions, les yeux d’Elza s’écarquillèrent lorsqu’elle ouvrit la lettre.

« Y a-t-il un problème ? » demanda Lorraine.

Elza secoua la tête. « Non. C’est juste que j’ai senti une vieille présence familière… »

Elza psalmodie soudain un mantra sacré de l’Église du ciel oriental, et une douce lumière bleue illumina l’air autour d’elle. Comme si elle réagissait à cette lumière, la lettre de Lillian se mit à briller d’une lumière similaire, mais légèrement différente.

C’était indubitablement la lueur de la divinité. Lillian, en tant que sainte, pouvait utiliser la divinité, et il semblait qu’Elza était également une sainte. Il n’était pas nécessaire d’être un saint pour devenir un membre de haut rang d’une institution religieuse, mais le fait de posséder cette capacité permettait généralement de commencer relativement haut dans la hiérarchie. En retour, cela vous permettait de gravir les échelons plus rapidement, ce qui, en général, facilitait l’obtention d’un poste plus élevé. Du moins, c’est ce que j’avais entendu dire. Il serait logique que le rang inhabituellement élevé d’Elza pour son âge soit dû à ses capacités.

La divinité se dissipa au bout d’un moment, et le cachet de cire de la lettre tomba en poussière. Comme je n’avais jamais vu cela auparavant, j’avais jeté un coup d’œil à Lorraine pour obtenir une explication, et elle commença à expliquer dans un doux murmure.

« Il s’agit d’un sceau de bénédiction utilisé principalement par le clergé de haut rang. Elle n’est pas connue ni utilisée par le grand public. Si quelqu’un qui ne connaît pas la bonne façon d’ouvrir le sceau — c’est-à-dire quelqu’un qui n’a pas la “clé” — essaie d’ouvrir la lettre, celle-ci laisse une marque indiquant qu’elle a été ouverte sans permission. Comme la marque est faite avec la divinité, elle révèle également qui a essayé de l’ouvrir. Cependant, on m’a dit que quiconque peut utiliser la divinité peut aussi effacer la marque. »

Ce n’était pas comme si Lorraine l’avait dit si doucement qu’Elza ne pouvait pas l’entendre, et d’ailleurs, elle avait entendu l’explication de Lorraine.

« Je suis impressionnée que vous en ayez connaissance. Vous avez raison. Lillian a perdu la capacité d’utiliser la divinité il y a quelque temps, cela fait donc des années qu’elle ne m’a pas envoyé de lettre de cette façon. »

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Lillian avait-elle perdu la capacité d’utiliser la divinité ? La première chose qui m’était venue à l’esprit est qu’elle avait développé la maladie de la malice accumulatrice, mais quand je repense à ces événements, Lillian elle-même n’avait appris qu’elle était atteinte de cette maladie que lorsqu’elle avait été soignée. Il serait étrange que l’abbesse Elza, qui n’avait pas eu de nouvelles de Lillian depuis longtemps et qui se trouvait dans la capitale depuis tout ce temps, soit au courant.

Cependant, il ne serait peut-être pas si étrange qu’Elza ait recueilli des informations d’une manière ou d’une autre que Lillian elle-même ne connaissait pas. Les mots d’Elza ne semblaient pas avoir cette connotation. Elle semblait plutôt insinuer que Lillian avait perdu la capacité d’utiliser la divinité avant de développer la maladie de la malice accumulatrice. Cela expliquerait pourquoi une sainte comme Lillian, qui avait la précieuse capacité d’utiliser la divinité, avait été nommée directrice d’un orphelinat à Maalt, un trou perdu parmi les trous perdus.

« Je ne sais pas si vous le savez, » poursuit Elza, « mais Lillian était religieuse à l’abbaye d’Ephas jusqu’à il y a une dizaine d’années. Elle est devenue religieuse à l’âge de quinze ans, et même à cet âge, elle avait un don puissant pour la divinité. Elle était considérée comme une sainte prometteuse qui porterait l’avenir de l’Église sur ses épaules. »

Aha, il y avait donc une bonne raison pour que Lillian ait été affectée à un endroit aussi rural que Maalt. Eh bien, non, Maalt n’était pas rural. C’était une ville frontalière relativement prospère. Et même si je voulais le souligner, ce n’était pas Elza qui avait qualifié Maalt d’arriéré, alors je ne pouvais rien dire.

« Et pourtant, elle a été affectée à Maalt ? » demanda Lorraine. « Je ne veux pas jeter l’opprobre sur ma propre ville, mais Maalt est une ville de campagne comparée à la capitale. Ce n’est pas l’endroit idéal pour une sainte qui a autant de talent. »

Une partie de moi était un peu blessée que même Lorraine soit aussi dédaigneuse à l’égard de Maalt, mais elle venait de l’empire et était une citadine née et élevée, alors je ne pouvais pas vraiment la blâmer. J’étais donc le seul campagnard ici. Je ressentis un léger sentiment d’infériorité et décidai de me tenir à l’écart de la conversation pour le moment.

Contrairement à mes réflexions intérieures fantaisistes, leur conversation s’était poursuivie sur un ton sérieux. J’étais peut-être un peu trop gaffeuse. Quoi qu’il en soit, tout cela se passait dans ma tête, on pouvait donc me pardonner de m’amuser un peu dans mon propre monde, n’est-ce pas ?

« Pas du tout », répondit Elza. « On m’a dit que Maalt est l’une des parties les plus prospères de la frontière. En particulier, depuis peu, elle est considérée comme une terre prometteuse avec la naissance d’un nouveau donjon. Beaucoup disent qu’elle ne sera plus considérée comme une frontière ou un arrière-pays à l’avenir. »

Elza avait fait l’éloge de Maalt avec l’assurance de quelqu’un qui vient d’une grande ville. J’avais du mal à retenir mes larmes, la façon dont elle avait formulé sa déclaration avec douceur et tact était un baume pour ma fragile fierté nationale. J’avais décidé à ce moment-là que j’accepterais volontiers toute tâche que l’abbesse Elza pourrait me confier.

***

Partie 5

Blague à part, j’étais presque sûr que la prédiction d’Elza était juste. Aujourd’hui encore, la Tour et l’Académie rôdaient autour de la ville. Je ne savais pas à quel point les découvertes du donjon seraient utiles, mais des observations seraient menées sur le long terme. De plus, un donjon nouvellement créé était une découverte extrêmement rare. Il nécessiterait un projet de recherche à grande échelle qui exigerait la construction de centres de recherche avancés et d’institutions académiques dans la ville elle-même. Il était facile d’imaginer que les aventuriers et les travailleurs afflueraient vers la ville dans le cadre de ce projet.

Il était clair que la ville serait en plein essor à l’avenir et que Maalt rejoindrait les rangs des grandes villes du monde. Je ne savais pas si cela irait aussi loin, mais j’espérais que ce serait le cas. D’un autre côté, si la croissance démographique qui résulterait de ces développements présentait des avantages, elle avait aussi des inconvénients. Il est difficile de dire que la croissance ne sera qu’une bonne chose. Les ruelles pourraient s’appauvrir et devenir des bidonvilles, ou bien il pourrait en résulter une augmentation des conflits et des crimes.

On en voyait déjà les signes. La querelle entre les étudiants de l’Académie et le marchand que nous avons vu précédemment, et les disputes entre les chercheurs de la Tour et les aventuriers que nous avons vus avant de partir, n’étaient sans doute que le début de la situation. Cela ne ferait que donner de plus en plus de travail à Wolf. Ce n’était pas mon problème, mais je devais pouvoir l’aider un peu.

 

 

« Comme vous l’avez dit, abbesse Elza, il est vrai que Maalt est en train de devenir prospère, » dit Lorraine. « Cependant, ce n’était probablement pas le cas lorsque Sœur Lillian y a été affectée. »

Elza acquiesça. « Oui, c’est exact. »

« Alors pourquoi... Non, je suis désolée, je ne veux pas être indiscrète… »

Lorraine se retint, estimant manifestement qu’elle pourrait s’immiscer dans les affaires privées de Lillian, mais Elza répondit à sa question non formulée.

« Non, j’en ai peut-être trop dit. Je devrais m’excuser auprès de Lillian plus tard. Mais j’ai l’impression de vous avoir donné une image incomplète. Pour donner un peu plus de détails, la raison pour laquelle Lillian est allée à Maalt n’était pas due à quelque chose qu’elle avait fait, mais à des conflits internes au sein de notre foi. »

C’était une histoire courante, mais elle n’était pas typique de l’Église du ciel oriental. Ou plutôt, ce n’était pas le genre de chose qui était rendue publique, même si elle se produisait. On en entendait plus souvent parler lorsqu’il s’agissait d’autres religions, mais…

Elza poursuivit : « C’est pourquoi je me suis toujours sentie coupable. J’ai essayé de rester en contact avec Lillian même après son départ pour Maalt, mais Lillian elle-même m’a dit que tout contact avec elle serait mauvais pour moi et, à un certain moment, elle a cessé de me contacter. Cette lettre est la première que je reçois d’elle depuis longtemps. Je lirai attentivement son contenu plus tard et, si possible, je lui écrirai une réponse. Bien que je ne veuille pas vous déranger, j’apprécierais que vous lui transmettiez directement la réponse. Nous pouvons en faire une demande officielle par l’intermédiaire de la guilde… »

La conversation avait pris une tournure inattendue. Il était naturel de vouloir écrire une réponse à une lettre que l’on venait de recevoir, surtout si elle provenait d’une connaissance dont on n’avait pas eu de nouvelles depuis longtemps. Il semblait que Lillian et Elza n’étaient pas seulement des connaissances ou des supérieures et subordonnées dans l’église, mais aussi des amies, et il était donc encore plus compréhensible qu’Elza veuille envoyer une réponse à Lillian.

Cela soulevait une question. Lillian et Elza avaient-elles à peu près le même âge ? Lillian était une femme corpulente d’âge moyen qui semblait avoir une quarantaine d’années, mais Elza parlait comme si elle avait connu Lillian lorsqu’elle était adolescente. J’avais lutté contre l’envie de demander à Elza : « Quel âge avez-vous ? » car je savais bien que la seule chose qui attendait une telle question était la douleur.

J’avais vu cela arriver trop souvent à mes compagnons d’aventure qui avaient posé la même question à des aventurières chevronnées à la taverne. Ils avaient reçu un ou deux poings en guise de réponse et s’étaient retrouvés avec une belle bouchée de terre pour accompagner leur ale. Après avoir vu cela se produire plusieurs fois, j’avais appris la précieuse leçon de ne pas demander leur âge aux femmes. Non pas que cela m’ait complètement empêché de le faire, même aujourd’hui. Peut-être que j’avais juste besoin de plus de discipline.

Quoi qu’il en soit, je devais lui donner une réponse… Puisque nous devions retourner à Maalt, cela ne devrait pas poser de problème. Lorraine devait être d’accord, car elle me jeta un coup d’œil pour vérifier avant de répondre à Elza.

« Dans ce cas, nous n’avons aucun problème à accepter votre tâche. J’ai l’intention de rester dans la capitale pendant un certain temps, ce qui signifie que toute lettre destinée à Sœur Lillian ne sera livrée qu’à mon retour. Si cela vous convient… »

« Oui. Ce n’est pas une affaire urgente, alors ça ira. Je vous contacterai par l’intermédiaire de la guilde une fois la lettre terminée. Merci d’avoir accepté ce travail. »

◆♥♥♥◆♥♥♥◆

Lorraine et moi avions ensuite fait chacun un don avant de quitter l’abbaye d’Ephas, la grande abbaye de la branche de Yaaran de l’Église du ciel oriental. Alors que Lorraine faisait des dons de temps en temps, il était rare que je fasse des dons, mais maintenant que j’avais enfin un peu d’argent, j’avais pu en faire un aujourd’hui. Je n’avais que quelques pièces d’argent à ma disposition, mais c’était suffisant pour subvenir aux besoins d’une famille pendant un mois, ce n’était donc pas un petit don. Bon, d’accord, c’était peut-être assez pour vingt pains.

Je n’avais aucune idée du montant donné par Lorraine, mais le don moyen d’un fidèle de l’église s’élevait tout au plus à quelques pièces de cuivre. Ce chiffre augmentait lorsque les aventuriers s’en mêlaient, mais les revenus de l’aventure coulaient comme de l’eau de roche, de sorte que c’était presque inévitable. L’aventure rapportait beaucoup d’argent, mais c’était aussi un travail coûteux à entretenir. Les armes, les armures et les outils suffisaient à me donner des maux de tête lorsque je devais établir mon budget. Même les aventuriers de rang inférieur gagnaient bien leur vie, mais pour beaucoup d’entre eux, une fois l’équipement et l’entretien pris en compte, ils avaient tendance à perdre des revenus plutôt qu’à en gagner. Le seul moyen pour les aventuriers de trouver une sécurité financière était de travailler dur et de devenir plus forts.

Peu après notre départ de l’abbaye, Lorraine déclara : « Il ne reste plus qu’à acheter des cadeaux pour les autres et à obtenir une audience avec Son Altesse. »

« C’est vrai, mais je pense que les cadeaux peuvent attendre que nous soyons prêts à partir. La liste de Rina contient surtout des choses qui se gâtent rapidement… »

« Pour les aliments, la magie peut aider à les conserver, mais même dans ce cas, il vaut mieux attendre. »

Elle ne parlait pas de manipuler le temps et l’espace, mais simplement d’utiliser la magie pour refroidir les choses ou enlever l’humidité. Ce n’est pas que la magie de manipulation de l’espace-temps n’existe pas, mais elle est beaucoup plus difficile à utiliser que d’autres types de sorts. Elle n’était pas destinée à un usage courant.

Peut-être serait-il plus facile de comprendre la difficulté de ces sorts si je disais que la téléportation était pour ainsi dire une forme de magie de manipulation de l’espace-temps. Même Lorraine ne pourrait pas l’utiliser pour conserver de la nourriture. Bien sûr, elle pourrait probablement le faire avec suffisamment de préparation, de ressources et d’aide, mais ce n’est pas le genre d’effort que l’on fait pour de simples souvenirs.

Une douzaine de mages réunis dans un gigantesque cercle magique en train de psalmodier tout en versant d’énormes quantités de mana dans un gâteau aurait de quoi faire réfléchir n’importe qui sur le gaspillage de magie de haut niveau que cela représenterait. Cependant, une partie de Lorraine aurait été ravie de faire une telle chose, et je ne pouvais donc pas affirmer avec certitude qu’elle ne le ferait jamais. En y réfléchissant, j’avais envie de le faire moi-même à un moment ou à un autre. Les expériences si ridicules que personne n’avait jamais été assez fou pour les tenter auparavant avaient quelque chose de cool.

Pendant que je rêvassais à ce ridicule gaspillage de magie, Lorraine poursuivait la conversation.

« Il ne nous reste plus qu’à écouter Son Altesse. Rentt, as-tu pensé à apporter cette médaille ? »

La médaille dont parlait Lorraine était celle que nous avait donnée Nauss Ancro, le capitaine de la garde royale de Yaaran, qui protégeait la princesse lorsque nous l’avions sauvée. Elle représentait une partie de la scène décorant l’armure de Nauss — une licorne poignardant un monstre avec sa corne — qui faisait partie de son héraldique. C’était un objet magique utilisé comme forme d’identification, et il nous l’avait donné pour que nous le montrions aux gardes à la porte du palais lorsque nous voudrions une audience avec la princesse. Techniquement, il ne nous l’avait pas donné, mais prêté, donc je ne risquais pas de le perdre. Et comme j’en avais besoin pour ce voyage, je l’avais bien sûr sur moi. Je le croyais, en tout cas.

« Ahem… Je suis sûr que je l’avais là-dedans… » J’avais plongé ma main dans mon sac magique et j’avais pensé à la médaille.

« Pourquoi as-tu l’air incertain ? » interrogea Lorraine, l’air un peu inquiet.

Je voulais dire que je savais que je l’avais mis là, mais il y avait toujours la possibilité que je l’aie oublié. En tout cas, j’étais sûr de l’avoir mis là — assez sûr, en tout cas. Alors que je m’inquiétais, j’avais senti le poids du métal dans ma main et une vague de soulagement m’avait envahi. J’avais sorti ma main du sac et la médaille était là, dans ma paume.

« Aha ! »

« Oh pour l’amour de… Tu m’as inquiétée pendant une seconde », dit Lorraine avec un léger air exaspéré, mais je fis semblant de ne pas le remarquer.

« Quoi qu’il en soit, ce sceau… Il donne la chair de poule, peu importe le nombre de fois qu’on le regarde, hein ? Je suppose qu’une famille qui produit un capitaine de la garde royale doit montrer ses prouesses martiales jusque dans son héraldique. »

« Oui, c’est probablement vrai. Les nobles doivent se préoccuper des apparences. Bien sûr, ceux qui n’ont pas les moyens d’étayer ces apparences par de la substance tombent rapidement en disgrâce. Quoi qu’il en soit, grâce à cela, nous pouvons entrer dans le palais, mais nous devons encore nous inquiéter que ton identité soit découverte. »

Lorraine faisait référence au filet de détection qui vérifiait l’entrée des monstres dans la capitale. J’avais pu entrer dans la ville grâce à un objet magique de la famille Latuule, mais quand il s’agissait du palais...

« Mais es-tu sûre que tout ira bien, n’est-ce pas, Lorraine ? »

« Oui. J’ai vérifié le type d’appareils de détection qu’ils utilisent au palais et j’en ai même testé un sur toi. Aucun d’entre eux n’a réagi à ta présence, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter outre mesure. Mais il est toujours important d’être préparé, juste au cas où, c’est pourquoi j’ai emprunté un sous-fifre à Edel. »

Cela m’avait surpris. « Quand as-tu fait cela ? » avais-je demandé.

« Quand nous étions à Maalt, bien sûr. Il m’accompagnait dans la voiture. Ne l’as-tu pas remarqué ? »

« Maintenant que tu en parles, je me souviens d’avoir vu un seul puchi suri à cet endroit, mais j’ai supposé qu’il s’agissait d’un puchi sauvage. »

Les passagers clandestins Puchi suri sont fréquents lors des voyages en calèche, et je n’y avais donc pas prêté attention à l’époque. Comme je n’avais plus senti sa présence lorsque nous étions arrivés aux portes, j’avais supposé qu’il avait sauté quelque part en cours de route.

« Cela va sans dire, mais même un puchi suri, contrairement à toi, est manifestement un monstre, et nous ne pouvions pas entrer dans la capitale avec l’un d’entre eux dans la calèche. De plus, je voulais confirmer l’efficacité du dispositif de la maison Latuule, alors je lui ai donné l’objet et je l’ai fait se faufiler dans la capitale en premier. Il se promène maintenant dans le quartier des nobles pour s’assurer qu’il est possible d’aller aussi loin avec l’objet. Une fois que nous en serons sûrs, je lui ferai essayer le palais. »

Cela semblait être un plan assez précis, mais comment Lorraine avait-elle pu communiquer si bien avec Edel et les puchi suris sans que je le sache ?

Lorraine avait dû remarquer ma confusion, car elle avait ajouté : « J’ai beaucoup réfléchi à cette visite, et j’ai marmonné que je voulais m’assurer à l’avance que c’était sans danger. Edel m’a apparemment entendue parler toute seule, et il a fait venir son sous-fifre auprès de moi. J’ai eu l’impression qu’Edel me disait d’en profiter. Ce n’est pas que nous puissions parler, mais il peut hocher la tête en réponse à ce que je dis, alors quand j’ai pu confirmer que nous pouvions communiquer, je l’ai fait venir pour m’aider. »

C’était un peu trop d’indépendance, n’est-ce pas ? Ou peut-être que c’était bien parce que c’était pour mon bien.

« Mais Edel ne rate jamais une occasion », poursuit Lorraine, « et il n’a pas manqué de demander une récompense. »

« Une récompense ? »

« Oui. Tu sais, l’objet magique qui permet de régler la température à la maison ? Il en veut aussi un pour le sous-sol de l’orphelinat. C’est un petit prix à payer pour leur faire faire un travail dangereux. »

Edel était resté silencieux parce qu’il avait d’autres motivations, hein ? Ce n’est pas comme si ça me coûtait quelque chose, alors je m’étais dit que c’était bon.

« Je comprends ce qui s’est passé », avais-je dit. « Mais même si c’est réglé, c’est nous trois qui devons rendre visite à Son Altesse. »

Lorraine acquiesça. « Oui. Nous devons contacter Augurey. Je connais l’emplacement de son auberge. Pourquoi ne pas commencer par là ? »

***

Histoire parallèle : Pendant ce temps, à Maalt

« Hrrrm… »

Rina — l’apprentie de Rentt et Lorraine — se tenait debout, fronçant les sourcils, gémissant de concentration et se concentrant sur la tâche à accomplir. Elle se trouvait dans la cour du domaine de Latuule, situé dans un coin de la ville de Maalt. Non loin de là, Alize, Rentt et l’autre apprentie de Lorraine observaient Rina tandis qu’elle rassemblait du mana dans la baguette magique qu’elle tenait à la main. Lorsque la concentration de Rina atteignit son maximum, elle ouvrit les yeux et entonna un chant.

« Gie Vieros ! »

Un instant plus tard, une matière brune ressemblant à de la terre s’accumula dans l’espace vide à l’extrémité de la baguette, se transformant lentement en une flèche flottant dans les airs. Rina fit alors un geste comme si elle poussait vers l’avant. La flèche traversa l’air presque aussi vite qu’une flèche ordinaire, vola vers une cible composée de plusieurs anneaux concentriques et frappa l’anneau le plus à l’extérieur.

 

 

« Wow », marmonna Alize après que la flèche de Rina frappa.

Isaac, qui se tenait à côté d’Alize, hocha la tête en signe d’approbation. « Si l’on tient compte du fait que c’était la première fois que vous essayiez un sort accéléré, vous vous êtes bien débrouillée. Si je devais pinailler, je dirais que j’aurais aimé que vous frappiez un peu plus près du centre. »

Rina et Alize étaient en train de pratiquer leur magie. Lorraine leur avait donné une liste de tâches à accomplir pendant son absence et celle de Rentt, et sur cette liste figurait une note disant de demander à Isaac de les instruire si elles voulaient pratiquer la magie offensive. Elles avaient suivi les instructions de leur mentor et s’étaient rendues au domaine de Latuule pour demander la tutelle d’Isaac.

De façon quelque peu inattendue, Rina et Alize avaient pu entrer dans le domaine sans problème. Normalement, il fallait passer par un donjon de haies que même Rentt avait eu du mal à franchir, mais le duo avait été autorisé à sauter cette étape. Cela signifiait également qu’elles n’avaient pas reçu la récompense pour avoir traversé le Donjon — un objet magique de leur choix — mais comme aucune d’entre elles ne le savait, elles n’allaient pas s’en plaindre.

De plus, Alize étant une enfant de l’orphelinat, il aurait pu être mal vu qu’elle soit ici seule parmi les vampires et les morts-vivants, mais heureusement elle n’en avait pas conscience, elle n’avait rien remarqué d’anormal lorsqu’elle avait rencontré Isaac et les autres serviteurs qui travaillaient au domaine. C’était normal, vu que les vampires avaient passé des années, des décennies, voire des siècles à Maalt sans que personne ne découvre leur véritable identité. Même en pénétrant au cœur du manoir, il fallait être un observateur particulièrement perspicace — ce qui n’était certainement pas le cas d’Alize — pour percer leur façade.

Du point de vue d’Alize, elle était simplement entrée dans un beau domaine avec une magnifique roseraie et un personnel composé de serviteurs élégants et raffinés. Si les mères du monde entier pouvaient protester contre le fait qu’un orphelin soit en compagnie de vampires, il n’y avait aucune mère présente et donc personne pour s’y opposer.

La seule « bonne » personne qui connaissait la vérité était Rina, et elle était elle-même une pseudovampire, pas si éloignée des habitants morts-vivants du domaine. Alize était essentiellement une cible facile — une friandise que les vampires pouvaient grignoter à leur guise — mais personne ne se nourrissait d’elle.

« Monsieur Isaac, est-il aussi possible pour moi de le faire ? » demanda Alize.

Isaac sourit de ce sourire à la fois effrayant et élégant qui aurait pu le faire passer pour un vampire en compagnie de personnes plus prudentes et répondit : « Oui, éventuellement. Mais il serait difficile de le faire immédiatement. »

« Pourquoi cela ? »

« Ce que fait Mlle Rina n’est pas de la magie chantée ordinaire, mais de la magie accélérée. En général, la magie se divise en magie chantée, magie accélérée et magie silencieuse, mais les deux dernières deviennent progressivement plus difficiles. Mlle Alize, vous n’avez appris que la magie chantée jusqu’à présent, n’est-ce pas ? »

« Oui. Est-ce que c’est parce que je n’ai aucun talent de mage ? » marmonna Alize d’un air inquiet.

Isaac secoua la tête et lui sourit d’un air rassurant.

« Non, ce n’est pas du tout cela. Le problème est plutôt que si vous ne prenez pas soin et ne faites pas attention à votre chant lorsque vous apprenez la magie pour la première fois, vous finirez par développer des habitudes étranges en tant que lanceur de sorts. En d’autres termes, la magie chantée est l’équivalent des formes dans le maniement de l’épée. Le style d’un épéiste dépend en grande partie du fait qu’il commence par maîtriser ces formes ou qu’il les abandonne complètement. Dans le premier cas, il s’agit d’un épéiste d’une école particulière, tandis que dans le second cas, il s’agit d’un combattant totalement autodidacte. Ce n’est pas comme si l’un des deux processus aboutissait toujours à un guerrier plus fort, mais le premier est une façon plus efficace d’apprendre, n’est-ce pas ? »

Alize acquiesça, la description lui rappelant quelque chose.

« Cela me rappelle que Rentt est très doué pour manipuler le mana, mais le professeur Lorraine a dit qu’il y avait quelque chose d’effrayant là-dedans. »

« Héhé. Je comprends ce qu’elle veut dire. Rentt est comme le combattant autodidacte dont j’ai parlé. Cependant, Rentt a l’intention de réapprendre les bases, de sorte que tout en conservant les avantages de son propre style autodidacte, il obtiendra également une certaine cohérence en les apprenant. Il comprend la valeur de la maîtrise des bases. »

« Vous avez raison. Il apprend avec le professeur Lorraine tout comme moi. »

« En ce qui concerne la magie que Mlle Rina vient d’utiliser, elle maîtrise déjà la magie chantée. Elle essaie la magie accélérée pour passer à l’étape suivante de son entraînement. Comme elle semble trouver la magie de terre particulièrement difficile, le Gie Vieros lui est également utile pour pratiquer ce type de magie. Quant à vous, Mlle Alize, vous avez le temps. Allez-y doucement et concentrez-vous d’abord sur le perfectionnement de votre magie chantée. Je serai là pour veiller à ce que vous ne tiriez pas de mauvaises leçons de votre pratique, alors ne vous inquiétez pas de faire des erreurs en cours de route. »

« Oui, monsieur ! »

Alors qu’Isaac semblait enseigner à la paire comment utiliser la magie, tout ce qu’il faisait en réalité était de veiller à ce qu’aucune d’entre elles ne fasse quelque chose de trop dangereux, offrant de petits conseils en cours de route. Elles apprenaient toujours selon les instructions de Lorraine, qui restait donc leur professeur pour ce qui était de la théorie et des fondements.

Les deux femmes avaient donc poursuivi leur entraînement…

***

Chapitre 2 : Vers le palais

Partie 1

« Ah, nous y voilà. »

Nous nous étions arrêtés devant une auberge à l’aspect plutôt usé, mais ce n’était pas comme si le bâtiment était en mauvais état. Il était bien entretenu et propre, même s’il était vieux. Il donnait l’impression d’être une institution bien établie dans cette partie de la ville.

« L’enseigne indique “Auberge du repos du faucon”. Ce doit être l’endroit », murmura Lorraine après avoir vérifié le bout de papier que lui avait donné Augurey.

Nous étions entrés dans l’auberge, et à l’intérieur nous avions trouvé le maître d’hôtel et sa femme en train de travailler. À la réception, il y avait une jeune fille qui devait être leur fille. Les auberges comme celle-ci étaient généralement des entreprises familiales. Bien sûr, les établissements haut de gamme destinés aux aventuriers de haut rang étaient généralement gérés par des maisons marchandes bien établies, mais la plupart des établissements de cette envergure étaient gérés par une famille.

Augurey était un aventurier de classe Argent, et j’étais sûr qu’il aurait pu s’installer dans un endroit plus cher s’il l’avait voulu, mais les gens préféraient généralement l’environnement auquel ils sont habitués. Il est probable qu’il ait fréquenté cette auberge avant même de devenir un aventurier de classe argent et qu’il ait préféré y rester.

« Bienvenue. Êtes-vous ici pour louer une chambre aujourd’hui ? » demanda la jeune fille alors que nous nous approchions de la réception.

Je secouai la tête. « Non, nous sommes ici pour voir quelqu’un. On m’a dit qu’un aventurier nommé Augurey restait ici. »

La jeune fille hocha la tête, comme si notre apparence lui paraissait logique. « Monsieur Augurey est dans la chambre trois. Je ne crois pas qu’il soit sorti aujourd’hui. Voulez-vous que j’aille le chercher ? »

« Inutile de vous inquiéter. Nous irons le voir. Cela pose-t-il un problème ? »

« Pas du tout. Je vous en prie. Ce sera la pièce à droite au bout du couloir. »

Lorraine et moi avions échangé un signe de tête et nous nous étions dirigés vers la salle spécifiée.

J’avais frappé avec légèreté mes articulations contre la porte en bois.

« Hm ? Un invité ? Je ne me souviens pas avoir prévu quelque chose pour aujourd’hui… »

Nous avions entendu une voix parler toute seule de l’autre côté, puis la porte s’était ouverte. Je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était un peu imprudent puisqu’il ne savait pas qui se trouvait de l’autre côté, mais il n’y avait pas beaucoup de gens qui pouvaient représenter une menace pour un aventurier — et encore moins si l’aventurier était de classe Argent. Je ne dirais pas que c’était sage, mais ce n’était pas un problème pour lui. Ce serait différent s’il se trouvait dans une situation où il savait que quelqu’un voulait l’assassiner, mais je doutais que ce soit le cas en ce moment.

Lorsque la porte s’ouvrit, nous fûmes accueillis par la vue d’Augurey habillé de façon aussi voyante que dans mes souvenirs. Il portait des vêtements à volants aux couleurs de l’arc-en-ciel, un chapeau avec une plume de paon géante et une épée à la hanche dont la poignée était ornée de motifs colorés. En d’autres termes, il n’avait pas changé depuis la dernière fois que je l’avais vu.

Malgré ses goûts vestimentaires douteux, les traits de son visage étaient bien dessinés et, s’il s’habillait un peu plus raisonnablement, il serait tout à fait séduisant. Il avait même un air cultivé qui laissait penser qu’il pouvait être le descendant d’une maison noble. Cela mis à part, si l’on se fie à sa tenue actuelle, il fallait en conclure qu’il avait pris un coup de trop sur la tête. Pourquoi aimait-il s’habiller ainsi ? C’est un mystère dont personne ne connaît la réponse.

Alors qu’Augurey se tenait là, la porte ouverte, son expression se transforma en surprise. « Rentt ! Et Lorraine aussi ! » s’exclama-t-il bruyamment.

 

 

« Oui, ça fait un moment, » avais-je dit. « Bon, peut-être pas si longtemps que ça, mais en tout cas, ça fait vraiment longtemps qu’on ne s’est pas vus habillés normalement comme ça. »

La dernière fois que nous l’avions vu, nous étions habillés à la dernière mode impériale, mais cette fois-ci, nous étions habillés normalement — à part mon masque, bien sûr.

Lorraine regarda Augurey d’un air légèrement exaspéré. « La personne devant moi n’est pas habillée normalement… »

Augurey avait l’air confus, comme s’il ne savait pas de quoi Lorraine parlait. Je ne savais pas s’il jouait ou si sa réaction était sérieuse, mais si je devais deviner, il feignait l’inconscience. Malgré les apparences, Augurey avait les pieds sur terre et était intelligent. Il n’était pas du genre à ne pas comprendre à quel point son sens de la mode était unique. Le fait qu’il s’habille ainsi malgré tout signifiait sans doute qu’il y avait une raison à cela, mais ce n’était peut-être que sa préférence personnelle, alors il était peut-être inutile de poursuivre dans cette voie.

« Vous êtes vraiment venus à l’improviste, mais je suis content de vous voir. Je commençais à être à court d’excuses. »

Augurey avait l’air inhabituellement fatigué, et j’avais une bonne idée de la cause de cette fatigue.

« Je suppose que le palais a insisté, non ? » demanda Lorraine.

« Eh bien, oui. Pourquoi ne pas s’asseoir et en parler ? Entrez donc. C’est un peu en désordre, mais il y a assez de place pour que nous puissions tous les trois nous détendre et discuter. »

Il semblerait que la supposition de Lorraine ait été juste. Comme nous étions venus voir Augurey pour cette même raison, c’était une transition pratique pour nous. Nous avions acquiescé et étions entrés dans sa chambre.

◆♥♥♥◆♥♥♥◆

« Donc. Cela fait un moment que cet incident s’est produit… »

Augurey semblait demander quelle était notre excuse pour avoir pris autant de temps. C’était compréhensible. Nous avions dit à Nauss Ancro que nous passerions plus tard, sans préciser de date, et nous avions également mentionné que nous avions besoin de quelques jours pour régler d’autres affaires. Tout bien considéré, il était logique que la famille royale pense qu’il ne faudrait que quelques jours avant que nous ne venions pour une audience. Comme nous ne nous étions pas présentés dans ce délai, ils avaient commencé à harceler celui d’entre nous dont ils savaient qu’il vivait dans la capitale. Nous avions évidemment laissé Augurey dans une position délicate.

« Oui, je suis désolé, » m’étais-je excusé. « Nous avons dû faire face à beaucoup de choses. »

J’avais ensuite décrit les événements qui s’étaient produits à Maalt, dans la mesure où j’avais pu le faire. Augurey savait déjà que j’étais un monstre. De plus, il avait signé un contrat magique qui l’empêchait de parler de tout ce qui pouvait nous nuire sans notre permission. C’est pourquoi je lui avais raconté l’essentiel de ce qui s’était passé. Comme nous ne savions pas exactement ce que nous pouvions lui dire sur les Latuules, j’avais laissé cette partie dans l’ombre. En gros, je lui avais dit que nous avions reçu l’aide d’un puissant vampire.

Après avoir entendu l’histoire, Augurey parut satisfait. « On dirait que tu t’es attiré pas mal d’ennuis. Mais encore une fois, tu as des ennuis depuis que tu t’es transformé en monstre. Compte tenu de ce qui s’est passé, je ne peux pas te reprocher d’avoir mis autant de temps à te manifester. Les choses ont été assez difficiles pour moi, mais comparé à toi, je me faisais juste harceler par le palais. Ce n’était pas grand-chose, tout compte fait. » Il nous fit un signe de tête en signe de compréhension.

« Quand tu parles de harcèlement, quel genre de choses faisaient-ils ? » avais-je demandé. Je voulais savoir s’ils se contentaient de le harceler ou s’ils le menaçaient de quelque chose de plus lourd, comme une véritable punition. D’après ce que je pouvais voir du comportement d’Augurey, c’était probablement la première hypothèse.

« Tout au plus, ils demandent à savoir combien de temps nous allons les faire attendre », répondit Augurey. « Cela dit, les jours entre chaque messager ont commencé à s’espacer, et je me sentais de plus en plus coupable à chaque fois que je devais refuser un messager. Même si j’ai toujours dit que je ferais en sorte de vous amener tous les deux, ils me demandaient quand ce serait le cas. J’ai failli me donner un ulcère à force de répéter le même échange stressant. »

Cela ne semblait pas si facile à gérer, honnêtement. Quant à savoir si cela avait causé à Augurey une grande angoisse mentale, c’est une autre question. C’était peut-être un peu stressant, mais Augurey était le genre d’homme à quitter le royaume si les choses commençaient à devenir sérieuses. Il n’était pas du genre à se sentir écrasé par la pression et à se pendre. Néanmoins, notre absence prolongée lui avait causé un stress excessif.

« Je suis désolé », m’étais-je excusé à nouveau. « J’aimerais qu’il y ait quelque chose que nous puissions faire pour nous rattraper. »

Je me sentais coupable de le laisser porter tout ce fardeau. D’un autre côté, je ne me sentais pas coupable d’avoir commis le crime d’entrer dans la capitale en tant que monstre. Ce n’est pas comme si je pouvais y faire quelque chose, de toute façon.

Augurey sourit, comme s’il attendait mon commentaire. « Oh, vraiment ! J’ai justement ce qu’il te faut pour m’aider… »

Il avait commencé à énumérer les travaux qui nécessitaient la présence d’un groupe. Il n’avait pas hésité le moins du monde, mais c’est parce que nous nous connaissions tous les deux très bien.

Augurey se tourna alors vers Lorraine comme s’il lui posait la question la plus naturelle du monde. « Lorraine, tu aideras aussi, n’est-ce pas ? »

« Je suppose que je n’ai pas le choix. J’ai une part de responsabilité dans cette affaire. J’écouterai ta demande, » dit-elle avec une note de résignation.

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« Maintenant que j’ai reçu une juste récompense pour mon travail, » commença Augurey.

« Je ne peux m’empêcher de penser que je me suis fait plumer », avais-je murmuré.

« Des choses différentes, en fait. Un tout autre sujet. Le problème, c’est la visite du palais. Même si nous pouvons facilement entrer grâce à la médaille qu’on t’a donnée, es-tu sûr que ton corps… spécial ne posera pas de problèmes ? Le palais dispose d’un équipement de détection impressionnant. »

Augurey avait l’air sincèrement inquiet, mais nous avions déjà abordé cette question.

« Nous avons testé tous les appareils de détection utilisés par le palais royal, » répondit Lorraine, « et aucun n’a réagi. Il n’y a pas le moindre problème. »

Augurey fit de son mieux pour cacher son choc. « Je suis à peu près sûr que les informations sur les appareils utilisés par le palais ne sont pas publiques. Comment l’avez-vous découvert ? »

Sa réaction était parfaitement compréhensible. Après tout, Lorraine avait affirmé avec assurance et clarté que tout allait bien. Elle n’était pas du genre à faire des déclarations assurées lorsqu’elle n’était pas certaine ou qu’elle avait des doutes, et de toute évidence, j’avais pris l’habitude de croire totalement qu’une chose était un fait si elle était prête à l’affirmer. Si j’appelais cela l’expression de ma confiance en elle, cela sonnait bien, mais j’avais peut-être simplement confié les réflexions difficiles à la jeune femme et cessé de penser par moi-même. Comme j’avais tendance à commettre des erreurs d’inattention à des moments importants, j’aurais probablement dû être plus prudent. Je veux dire que c’est exactement comme ça que j’avais été avalé par un dragon. Mais malgré toutes mes précautions, je ne pouvais m’empêcher de faire inconsciemment et implicitement confiance à Lorraine.

***

Partie 2

« Grâce à mes relations et à mes connaissances en tant qu’érudite », répondit Lorraine. « Bien sûr, même dans ce cas, il y a une chance que mes connaissances ne soient pas complètes, alors je suis actuellement en train de les confirmer. En fait, très bien… »

« Confirmer ? » Alors qu’Augurey penchait la tête d’un air perplexe, un coup fut frappé contre la latte de bois placée dans l’encadrement de la fenêtre. « J’ai beaucoup d’invités aujourd’hui. Mais pourquoi d’ici ? Nous sommes au deuxième étage. »

Augurey nous avait regardés, demandant silencieusement s’il pouvait l’ouvrir. Il était prévenant, car la conversation que nous avions était loin d’être normale.

J’avais acquiescé. Je n’avais aucune idée de qui se trouvait à la fenêtre, mais si c’était quelqu’un d’indésirable, nous n’aurions qu’à le chasser. Lorraine acquiesça également, et Augurey s’approcha de la fenêtre et l’ouvrit.

« Hm ? Il n’y a personne ici… ? »

« Non, il semblerait que l’invité me cherchait plutôt que toi », expliqua Lorraine en s’approchant de la fenêtre. Elle regarda en bas à droite, presque à l’extrémité de l’appui, et mit ses mains en coupe comme pour recueillir de l’eau. Quelque chose sauta alors dans ses paumes.

« C’est un puchi suri », dit Augurey avec une légère note de surprise. « Lorraine, quand as-tu commencé à garder des monstres comme animaux de compagnie ? Oh, je suppose que Rentt fait partie de ce hobby… »

Augurey semblait tirer des conclusions étranges dans sa tête, alors je m’étais empressé d’intervenir : « Attends, attends un peu ! Ce n’est pas du tout ça ! »

Augurey gloussa et répondit : « Je plaisante. En tout cas, il semble que le puchi suri obéisse parfaitement à Lorraine. Est-elle devenue dompteuse de monstres ? »

Lorraine secoua lentement la tête et me fit un geste du menton. « Non, c’est l’un des familiers de Rentt. Je l’emprunte pour l’instant. »

« Un familier. Cela montre bien que Rentt est un véritable monstre. Mais cela ne semble pas si grave quand je pense que les dompteurs de monstres contrôlent aussi des monstres en tant que serviteurs. On dit que les cavaliers gobelins utilisent les mêmes méthodes que les dompteurs de monstres, et la frontière entre les monstres, les familiers et les animaux de compagnie peut être ambiguë. C’est quelque chose que je me souviens d’avoir entendu dire par Lorraine il y a longtemps. »

Pendant un instant, j’avais été impressionné par le niveau de connaissances d’Augurey, mais il s’est avéré qu’il n’avait fait que régurgiter ce que Lorraine lui avait dit.

En général, la différence entre les familiers et les monstres serviles était que les propriétaires contrôlaient leurs familiers avec leur propre mana, tandis que les dompteurs de monstres entraînaient leurs monstres serviles, comme les chevaux et les animaux de compagnie, pour qu’ils obéissent aux ordres. Quoi qu’il en soit, il semblerait que les dompteurs de monstres aient également des liens magiques avec leurs monstres serviles, de sorte qu’ils n’étaient pas totalement différents, juste une différence dans le degré de contrôle par le mana. Même les experts n’étaient pas certains de la distinction exacte, et il s’agissait d’une de ces choses pour lesquelles il n’était pas vraiment possible de donner des définitions précises.

« Alors pourquoi ce familier a-t-il frappé à la porte de ma chambre… ou plutôt à la fenêtre ? »

« C’est lui qui a fait la confirmation dont j’ai parlé tout à l’heure », dit Lorraine. « Rentt, peux-tu dire ce qu’il dit à propos des résultats du test ? »

La raison pour laquelle Lorraine me posait la question était qu’elle ne pouvait pas échanger directement des pensées avec le puchi suri, alors que moi je pouvais le faire.

« Alors, comment ça s’est passé ? »

Lorsque j’avais envoyé ces mots avec mon esprit, j’avais reçu une réponse.

« Pas de problème. Je suis entré dans les appartements privés du roi. »

C’était court et précis. Peut-être que ce puchi suri était du genre calme et concis ? Les réponses d’Edel étaient généralement beaucoup plus bruyantes et vagues. Il avait un air presque d’un grognard. C’était difficile à décrire, car il ne l’exprimait pas avec des mots, mais ses pensées reflétaient en quelque sorte sa personnalité.

« On dirait que tout allait bien », avais-je dit à Lorraine.

◆♥♥♥◆♥♥♥◆

« Je m’appelle Rentt. »

Lorsque je m’étais présenté, l’un des deux soldats qui montaient la garde devant le pont de pierre bien construit menant au château avait froncé les sourcils en signe de suspicion. Je ne pouvais pas lui en vouloir, c’était sûrement la première fois qu’il entendait mon nom.

« D’où venez-vous ? Que voulez-vous ? »

Lorraine, Augurey et moi étions tous là. Hier, après avoir discuté un peu plus longuement, nous avions écourté notre réunion, et aujourd’hui, nous nous étions rendus au palais.

J’étais un peu nerveux lorsque nous étions passés du quartier des roturiers au quartier des nobles, mais comme l’avait dit le sous-fifre d’Edel, aucun des dispositifs de détection ne s’était déclenché, et nous avions pu nous rendre au palais sans incident. Bien que les gardes qui veillaient devant les domaines nobles m’aient regardé avec méfiance, il s’agissait de serviteurs qui relevaient de la maison noble en question plutôt que du palais et qui n’étaient pas du genre à quitter leur poste pour courir après un passant légèrement suspect.

J’étais sûr qu’ils auraient prévenu les autorités et qu’ils m’auraient poursuivi si j’avais brandi une arme ou tiré de la magie en criant : « Craignez les morts-vivants ! Je suis ici pour détruire cette ville au nom du grand seigneur vampire Laura Latuule ! » Mais je ne ferais jamais une chose pareille. Cela retournerait tout le royaume de Yaaran contre moi. Attendez, le plus effrayant serait d’avoir la maison Latuule comme ennemie. Mais ce qui était encore plus effrayant, c’est que je n’étais pas sûr que cela les retournerait contre moi. J’avais l’impression que Laura pourrait glousser et dire quelque chose comme : « Si vous voulez jouer comme ça, faites ce que vous voulez. Ça a l’air amusant. » Isaac se plierait volontiers à ses désirs. C’était une pensée effrayante.

De plus, je ne pouvais pas m’imaginer gagner contre eux. C’était une tâche tellement ardue que je pourrais même renoncer à mon rêve d’enfant de devenir un aventurier de classe Mithril si combattre la Maison Latuule était l’une des conditions requises. Je plaisante. Peut-être.

J’avais réfléchi à ces pensées stupides dans ma tête tout en parlant à la sentinelle.

« Je suis un aventurier de classe Bronze. Je suis venu voir Son Altesse, la princesse Jia Regina Yaaran. Je ne suis pas là pour causer des ennuis. Pourriez-vous me laisser passer ? »

Je ne faisais qu’expliquer pourquoi j’étais ici, mais la sentinelle m’avait regardé d’un air soupçonneux et avait continué à m’interroger. Ses soupçons étaient fondés, j’étais, après tout, un monstre, et un mort-vivant de surcroît — le plus détesté et le plus méfiant de tous les monstres de ce monde. La conception populaire des morts-vivants était qu’il s’agissait soit de mages qui avaient vendu leur âme au mal, soit de personnes qui étaient mortes avec une telle colère et une telle haine qu’elles étaient restées dans les parages juste pour se venger. En gros, ils étaient aussi mauvais qu’on pouvait l’imaginer. Le garde n’avait aucun moyen de savoir que j’étais mort-vivant.

« Un simple aventurier de classe Bronze vient voir Son Altesse ? Je ne dirai pas que c’est impossible, mais je n’ai pas connaissance de visiteurs de ce genre prévus aujourd’hui. »

Le fait qu’il ait sincèrement pris en considération mon histoire malgré mon apparence montrait à quel point il prenait son travail au sérieux et traitait les gens avec sincérité en tant que représentant de son employeur. J’étais sûr que dans beaucoup d’autres pays, il m’aurait simplement congédié et chassé. À sa place, si un homme à l’allure bizarre comme moi se présentait en disant qu’il avait des affaires à voir avec une princesse, je ne le laisserais jamais entrer dans le palais. J’avais pourtant un atout dans ma manche pour renverser la situation. Ou plutôt, j’aurais dû commencer la conversation par là.

J’avais commencé à fouiller dans ma poche. Bien que j’aie mon sac magique avec moi, j’avais déjà sorti la médaille en prévision de cette situation, car il serait plus facile de la sortir — presto — en cas de besoin.

Et donc — presto — je n’avais pas été en mesure de sortir instantanément la médaille. Je pensais qu’elle était là, quelque part. J’avais continué à chercher, mais il était évident que je ne me rendais pas service en restant là à fouiller dans ma poche. La sentinelle commença lentement à saisir l’épée accrochée à sa hanche.

Merde, ce n’est pas bon. Je devais la trouver rapidement, ou…

Ma main trouva ce qui semblait être le bon objet, et je le tirai de ma poche avec ardeur, ce qui incita le garde à faire la même chose avec son épée. Il avait dû penser que je sortais une arme quelconque, mais ce que je tenais dans ma main n’en était pas une.

 

 

« Une médaille ? » dit la sentinelle à voix haute. Il rengaina son épée et continua comme s’il n’avait jamais sorti son arme. « Ce qui veut dire que vous avez une introduction de noble. C’est une arnaque courante. Certains bons à rien parviennent à convaincre un noble rural crédule de leur donner une médaille portant le sceau de la famille afin qu’ils puissent voir l’un des membres de la famille royale. Vous êtes donc l’un d’entre eux, hein ? Attendez, attendez… »

Le garde regarda la médaille de plus près pendant qu’il parlait et reconnut enfin l’écusson qui y figurait. Son ton monta soudain d’une demi-octave.

« Attendez, c’est le sceau du Marquis d’Ancro ! Et cette version est la version personnelle de Lord Nauss… »

Je ne m’en étais pas rendu compte, car je n’avais pas pris le temps d’examiner attentivement la médaille, mais il semblait que le sceau qui y figurait permettait également d’identifier chaque membre de cette noble maison. C’était la première fois que l’on me donnait… Oh, attendez, on me l’avait seulement prêtée. Quoi qu’il en soit, c’était la première fois que quelqu’un me prêtait quelque chose de ce genre. Je ne savais rien des médailles, car je n’avais jamais eu l’occasion d’en apprendre davantage à leur sujet.

La seule grande maison noble de Maalt était son dirigeant, le vicomte Lottnel, et ce n’était pas comme si j’étais proche du vicomte lui-même. Tout au plus avais-je assisté aux fêtes qu’il organisait de temps à autre pour rencontrer les aventuriers de Maalt et l’avais-je regardé de loin. Lors d’une telle fête, le vicomte n’avait pas le temps de parler à une personne de classe Bronze comme moi, et il était généralement trop occupé à parler à d’autres participants comme le maître de la guilde, Wolf, ou le chef d’un groupe qui avait des liens étroits avec la guilde. Même si j’avais voulu lui parler, son entourage m’aurait probablement repoussé.

En fait, je ne faisais pas partie des bons cercles sociaux pour avoir une relation significative avec un noble comme lui. Il pourrait y avoir des opportunités dans le futur, peut-être. Après tout, j’avais entendu dire que le vicomte Lottnel entretenait des relations étroites avec la maison Latuule, et en ce moment, j’étais assez proche de la maison Latuule. Pourtant, ce n’était pas comme si j’avais besoin d’y penser pour le moment.

« Comment avez-vous… obtenu cela ? »

Le garde devait vraiment vouloir me demander comment j’avais réussi à voler la médaille à Nauss, mais il avait en quelque sorte avalé cette accusation et terminé calmement sa question.

« Un jour, j’ai vu Son Altesse et le Seigneur Nauss se faire attaquer par des monstres », expliquai-je. « Je savais que je ne pouvais pas les abandonner, alors je suis allé les aider. Ces deux-là étaient avec moi à ce moment-là. »

J’avais fait un geste vers Lorraine et Augurey.

« Oh, donc vous êtes… Oui, j’ai entendu parler de vous. J’ai aussi entendu dire que vous n’étiez pas venu malgré l’invitation, alors j’avais oublié tout l’incident parce que je pensais que vous n’alliez jamais venir. »

Le garde était un peu narquois, mais il semblait aussi dire la vérité. Toutes les personnes invitées au palais ne s’y rendaient pas. Par exemple, ceux qui avaient des squelettes dans leur placard ne se présentaient pas forcément, car ils voulaient éviter que ces squelettes ne soient révélés au grand jour. J’étais en quelque sorte un exemple brillant de cela, même si, techniquement, j’étais le squelette dans mon placard. Je n’aurais eu d’autre choix que de fuir à toutes jambes si les dispositifs de sécurité m’avaient détecté.

Il y avait des exemples moins extrêmes que moi, comme des marchands qui avaient été des bandits célèbres ou des aventuriers célèbres qui s’étaient enfuis d’une maison noble et opéraient sous un faux nom. Même si c’était un honneur d’être invité au palais, ce genre de personnes n’aurait jamais osé venir. C’est pourquoi la sentinelle nous avait classés dans la même catégorie et l’avait oublié. En fait, il aurait dû être félicité pour avoir conservé quelques informations sur nous dans un coin de sa tête.

« Notre retard était justifié. Nous ne l’avons pas fait exprès. Nous aimerions certainement nous excuser directement auprès de Son Altesse et du Seigneur Nauss. Nous laisserez-vous passer ? »

Le garde acquiesça. « Très bien. Mais si je vous laisse simplement entrer tous les trois, vous finirez par répéter le même échange à l’intérieur. Je vais vous accompagner jusqu’à ce que nous trouvions un serviteur pour vous indiquer le chemin. »

Il nous avait ensuite poliment accompagnés jusqu’à l’entrée du palais.

***

Partie 3

« Ah. J’avais entendu dire que vous alliez enfin venir, et c’est le cas ! »

Alors que nous attendions dans l’un des salons du palais destinés aux invités de classe inférieure, la porte s’était soudainement ouverte et un homme que nous avions reconnu avait franchi la porte avec un salut enjoué : Nauss Ancro, le capitaine de la garde royale du royaume de Yaaran. Il était d’âge moyen et équipé de la tête aux pieds d’une armure d’argent brillante.

Bien que le garde soit déjà retourné à son poste, il nous avait dit en venant que Nauss était le chef de la maison Ancro et qu’il avait une bonne réputation parmi la noblesse. Cela dit, il n’était pas particulièrement puissant en termes d’influence, talonnant le vice-roi, le duc Lukas Bader, le marquis Marcel Viesel, chef de la faction du premier prince, et la comtesse Gisel Georgiou, de la faction de la première princesse, pour ce qui est de la reconnaissance du nom. Il n’avait pas de réalisations particulièrement remarquables, mais il était manifestement connu comme un homme loyal et de bonne moralité.

Si j’avais entendu parler des autres nobles cités par le garde, je ne me souvenais pas d’avoir entendu le nom de Nauss très souvent. Même si nous, aventuriers, aimions la liberté et n’aimions pas l’autorité, étant donné que nous devions vivre dans ce pays, nous ne pouvions pas éviter d’interagir avec les nobles ou leurs relations d’une manière ou d’une autre. Nous parlions des nobles de temps en temps, mais je ne me souvenais pas que Nauss ait jamais été mentionné dans ces conversations.

De plus, Maalt était si loin de la capitale que nous avions rarement l’occasion de parler de ce genre de choses. Au mieux, nous en parlions une fois tous les six mois environ. Je m’étais dit que Lorraine pouvait être une exception, et quand je l’avais regardée, son expression m’avait dit qu’elle connaissait déjà les bases sur Nauss. Si elle n’avait rien dit, c’est parce que, d’après ce que m’avait dit le garde, Nauss n’était pas quelqu’un de particulièrement répréhensible. Ou peut-être que Lorraine m’avait laissé juger Nauss par moi-même.

Je n’étais pas sûr pour Augurey, mais il avait probablement cherché Nauss pendant que nous étions occupés à Maalt, et ils s’étaient peut-être même rencontrés pendant cette période. Le fait qu’Augurey ne nous ait donné aucun avertissement avant la rencontre m’indiquait que Nauss n’était pas excessivement sensible aux questions d’étiquette. Et ce n’était pas comme si Lorraine et moi étions complètement incultes et manquions de manières. Si Augurey avait été avec des aventuriers plus rustres, il aurait pu donner des conseils sur la façon d’agir ou de parler en présence de la noblesse.

« Seigneur Ancro. Comme je l’avais promis, je les ai amenés au palais, » dit Augurey avec grandiloquence.

Nauss devait être celui qui avait demandé à Augurey de lui rendre visite. Alors qu’Augurey agissait avec assurance comme si tout s’était déroulé comme prévu, le fait est qu’Augurey avait bluffé et gagné du temps. Ses manières et son ton ne trahissaient rien de tout cela. En fait, ils démontraient qu’Augurey était un acteur étonnamment doué. Il avait toujours eu tendance à gesticuler et à parler de façon grandiloquente, comme un artiste. En ce sens, il agissait peut-être exactement comme on pouvait s’y attendre.

« Augurey, je vous prie de m’excuser d’avoir douté de vous. Vous devez comprendre. Tout était si ambigu — la date d’arrivée du couple, l’endroit où ils vivaient, et même leurs noms. Vous ne pouvez pas me reprocher de me demander s’il n’y a pas quelque chose de plus derrière tout cela. »

Selon l’auditeur, les excuses de Nauss auraient pu sonner comme une insulte voilée, et la plupart des roturiers se seraient prosternés devant lui et auraient imploré son pardon à ce moment-là, mais une fois de plus, Augurey avait conservé son attitude débonnaire.

« C’est juste, monseigneur. Pourtant, ces deux-là sont bel et bien ici. S’ils avaient quelque chose à cacher, ils ne viendraient pas dans un endroit comme celui-ci. »

En fait, j’avais une tonne de choses à cacher. Comme le fait que j’étais un monstre et un mort-vivant. Et que je connaissais les vampires. Et que j’avais un moyen de me rendre instantanément à la capitale. J’étais à peu près certain que n’importe laquelle de ces choses me vaudrait la mort, ou peut-être quelque chose de pire — sans parler de toutes ces choses combinées. Malgré tout, Lorraine et moi avions gardé notre expression égale et avions suivi leur conversation d’un signe de tête.

Nauss sourit à Augurey et répondit : « En effet, vous avez raison. Ce palais est équipé de nombreuses protections. Un criminel ne peut pas y entrer facilement, et nous avons même des objets magiques capables de détecter les mauvaises intentions. J’ai bien peur de ne pas pouvoir vous donner de détails, mais de nombreuses autres protections sont en place. Mais puisque vous êtes tous les trois présents malgré cela, c’est la preuve que vous n’avez rien à cacher ou à vous sentir honteux. »

Il est vrai que je n’étais pas un criminel et que je n’avais pas l’intention de faire du mal à qui que ce soit dans le palais. Je ne savais pas quelles autres détections ils avaient pu mettre en place, mais comme elles ne réagissaient pas à ma présence, cela signifiait que Nauss avait raison. Quant à la détection des monstres, pour une raison ou une autre, elle n’avait pas réagi à ma présence.

C’était le plus gros problème, mais nous ne pouvions pas dire : « Hé, je suis un monstre, mais vos appareils n’ont pas réagi. Vous devriez changer de fournisseur d’appareils ! Si vous agissez maintenant, la grande alchimiste Lorraine Vivie se fera un plaisir de vous fournir un ensemble d’appareils magiques de détection de monstres construits selon de nouveaux principes pour seulement cinq pièces de platine ! Cinq pièces de platine, quelle affaire ! Et si vous achetez maintenant… »

Nous n’étions pas des vendeurs à la sauvette. Je veux dire que je m’étais laissé prendre par ce genre d’argumentaire quelques fois dans le passé et que j’avais fini par faire un achat inutile. Mais il ne s’agissait pas de grosses escroqueries. Il s’agissait plutôt de se rendre compte que le « prix en promo » était juste le prix normal, ou que l’article était un peu plus petit que d’habitude — des petites choses insignifiantes comme ça.

« Tout à fait. Maintenant, Lord Ancro, si c’est possible, aujourd’hui nous aimerions simplement vous présenter nos respects, m’lord, et ensuite partir », dit Augurey d’un ton décontracté.

Il nous demandait en fait si nous pouvions partir. Pour notre part, ce serait plus facile s’il s’avérait que tout ce qu’ils voulaient, c’était nous voir au palais, puis nous laisser partir, mais…

« Certainement pas. Nous n’avons pas encore pu vous remercier comme il se doit. Et Son Altesse a hâte de vous revoir tous les trois. Moi, Nauss Ancro, je ne pourrais certainement pas continuer à utiliser le titre de marquis si je devais simplement vous laisser partir. »

Eh bien, cet espoir s’était envolé. Bien sûr, c’était toujours l’issue la plus probable, et Augurey n’avait pas demandé à être excusé en pensant qu’on nous laisserait partir, mais Augurey était vraiment doué pour tendre ce genre de pièges dans les conversations. Il pouvait vous amener à donner votre accord avant que vous ne puissiez vraiment y réfléchir. De toute évidence, cela n’allait pas fonctionner avec un noble habitué à ce genre de jeux de mots subtils tous les jours. Bon sang. Ça marchait si bien avec les simples aventuriers !

« Vous nous honorez, monseigneur. Alors, avons-nous une prochaine audience avec Son Altesse ? » demanda Augurey.

« Oui, c’est ce qui est prévu. Il n’y a pas lieu d’être nerveux. Comme je l’ai déjà dit, Son Altesse est une femme solide et gracieuse. »

Le fait qu’elle ait pris la peine d’inviter des aventuriers au palais pour les remercier en était la preuve. C’était juste que, de notre point de vue, être ici était un peu gênant par rapport à nos critères d’aventuriers. Il s’agissait simplement d’une lacune dans nos visions du monde, et nous ne pouvions rien y faire.

J’avais espéré que la princesse serait assez aimable pour nous laisser rentrer chez nous, mais je n’allais pas me faire de faux espoirs pour l’instant.

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Nauss frappa légèrement à une porte géante. « Pardonnez-moi, Votre Altesse. C’est moi, Nauss. J’ai amené des invités pour vous. »

De chaque côté de la porte, deux grands chevaliers entièrement équipés montaient la garde. Nous nous tenions droit comme un i derrière Nauss afin de passer le plus inaperçus possible. Non, attendez… J’étais le seul à faire cela. Ni Lorraine ni Augurey ne semblaient particulièrement perturbés. Ils étaient à l’aise et se comportaient comme d’habitude.

Avaient-ils l’habitude de rendre visite à des membres de la famille royale ? Maintenant que j’y pense, ils étaient tous deux des aventuriers de classe Argent, donc ils avaient probablement travaillé directement pour des nobles de haut rang par le passé. Cela m’avait rappelé l’énorme différence d’expérience entre eux et moi.

Ce n’est pas que cela me dérange beaucoup, mais j’avais vraiment besoin d’atteindre bientôt le rang Argent. Je n’avais pas pu accepter assez de boulots pour remplir les conditions requises pour l’examen d’ascension à cause de tout ce qui s’était passé ces derniers temps, mais je m’étais dit que je devais accepter un tas de boulots quand j’aurais du temps libre pour pouvoir me présenter à l’examen. À ce moment-là, je m’étais juré de le faire.

Je n’étais pas sûr d’avoir les compétences nécessaires pour réussir l’examen, mais je ne le saurais pas tant que je ne l’aurais pas passé. Je veux dire que je pouvais maintenant affronter des monstres de classe Argent, et selon la situation, je pouvais même vaincre des monstres de classe Or, comme la tarasque, qui était réservée aux aventuriers de classe Or et plus. C’était en partie parce qu’elle nécessitait des préparations spéciales pour traiter son venin, mais il se trouve que j’étais immunisé contre les poisons. C’est pourquoi j’avais pensé que j’étais peut-être d’un niveau de classe Argent. Ou alors, je ne pouvais affronter que des monstres de classe Bronze supérieure. Je n’étais pas très confiant à ce sujet.

Alors que je me remettais en question, quelqu’un avait répondu de l’autre côté de la porte.

« Nauss, entrez. »

« Alors, si vous voulez bien nous excuser », dit Nauss en ouvrant la porte. Il était entré, puis avait tenu la porte ouverte en nous faisant signe de le suivre, et nous étions entrés dans la pièce après lui.

***

Partie 4

Lorsque nous étions entrés, une jeune fille de quinze ou seize ans habillée de manière très élaborée nous avait accueillis. Sa tenue n’était peut-être pas si élaborée que cela, étant donné qu’elle faisait partie de la royauté, mais elle était certainement plus fantaisiste que celle d’un roturier.

Il va sans dire que cette fille était Jia Regina Yaaran, la deuxième princesse du royaume de Yaaran. On dirait qu’elle n’avait pas beaucoup changé depuis la dernière fois que je l’avais vue.

Une fois à l’intérieur, Nauss commença à expliquer qui nous étions. « Votre Altesse, voici les aventuriers qui sont venus nous aider lorsque nous avons été attaqués sur la route. »

Nauss avait ensuite jeté un bref coup d’œil dans notre direction, ce qui était sa façon de nous dire de nous présenter. Je m’étais demandé si je devais commencer, mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, Lorraine avait commencé son introduction.

« C’est un honneur d’être en votre présence, Votre Altesse. Je m’appelle Lorraine Vivie, une humble érudite qui gagne sa vie dans la ville de Maalt. »

Les mouvements de Lorraine étaient également extrêmement élégants, ce qui me rappelait une fois de plus qu’elle venait de l’empire, le plus grand pays du continent.

Après que Lorraine eut terminé sa présentation, la princesse pencha la tête d’un air perplexe. « Une érudite ? N’êtes-vous pas une aventurière ? »

« Je suis aussi une aventurière, Votre Altesse, mais c’est techniquement une occupation secondaire. Ma véritable profession est celle d’érudite. »

« Je vois. »

La princesse, satisfaite de l’explication de Lorraine, lui fit un léger signe de tête. Elle resta ensuite silencieuse, indiquant que nous devions continuer nos présentations. Alors que je me préparais à passer à la suite, Augurey me devança.

« C’est un honneur d’être en votre présence, Votre Altesse. Je m’appelle Augurey et je suis un aventurier. J’ai un nom plus officiel, mais il est long et difficile à prononcer sans bégayer. Je ne souhaite guère vous soumettre à un spectacle aussi embarrassant, aussi je vous prie de me pardonner de me présenter aussi simplement. »

La présentation d’Augurey était plutôt informelle et, dans certains contextes, elle aurait pu paraître irrespectueuse, mais la princesse et le marquis souriaient tous deux, ce qui m’indiquait qu’ils la trouvaient acceptable. La manière dont les nobles traçaient la frontière entre la familiarité et le manque de respect était vague, et différait selon les individus et les régions, mais il semblerait qu’Augurey savait où se situait la limite à Yaaran.

La princesse s’adressa alors à Augurey. « Oh là là. Avoir un nom aussi long… Est-ce une tradition de votre peuple ? »

« Oui, c’est bien cela, Votre Altesse. Pour ma part, j’aurais préféré un nom plus court et plus facile à prononcer, mais je crains de ne pas avoir pu le communiquer à mes parents avant ma naissance, et je ne pouvais pas simplement me débarrasser de mon propre nom. C’est pourquoi j’ai choisi de me présenter avec la partie la plus simple et la plus courte de mon nom, pour le bien des autres. Bien entendu, si vous souhaitez connaître mon nom complet, je serai ravie de répondre à votre Altesse, mais dans ce cas, je vous recommande de demander du thé et des sucreries. Je ferai de mon mieux pour finir de réciter mon nom avant que vous ne finissiez votre thé. »

« Il a… Non, vous n’avez pas à vous inquiéter. Nauss, c’est bon, oui ? »

Nauss acquiesça. « Si c’est ce que vous souhaitez, Votre Altesse. »

Une partie de moi se demandait si c’était vraiment bien, mais la guilde avait déjà vérifié ses antécédents lorsqu’elle avait fait de lui un aventurier de classe Argent. Elle ne révélait pas d’informations personnelles sur un aventurier juste parce qu’un noble l’exigeait, mais elle transmettait souvent des informations de base, surtout si la demande venait du palais.

Bien que la guilde soit techniquement une organisation indépendante, elle n’était pas complètement à l’abri de l’implication du gouvernement et ne pouvait pas se permettre d’ignorer les ordres du gouvernement. Les guildes avaient également des liens avec celles situées dans d’autres pays, et si un pays essayait de pousser la guilde trop loin, elle pouvait opposer une certaine résistance. Il s’agissait en quelque sorte d’un exercice d’équilibre. Quelles que soient les relations entre la guilde et le royaume, il était clair que les antécédents d’Augurey n’avaient rien de répréhensible.

Ensuite, la princesse Jia tourna son regard vers moi. Lorraine et Augurey firent de même. Je me sentais nerveux lorsque je commençai enfin à me présenter.

« C’est un honneur d’être en votre présence, Votre Altesse. Je suis Rentt Vivie, un aventurier de rang Bronze. C’est un plaisir de faire votre connaissance. »

Mon introduction fut courte et simple, d’une part parce que j’avais peur de trébucher sur mes mots et d’autre part parce que j’étais le moins bien placé ici. Je n’avais rien à lui expliquer. De plus, même si je surestimais peut-être mon importance, je ne voulais pas attirer la curiosité de la princesse. Après tout, je portais déjà un masque bizarre. Je m’étais dit qu’il valait mieux rester discret. Mais mes efforts n’avaient servi à rien.

« Vous êtes un aventurier de rang Bronze ? » demanda la princesse. « Pourtant, vous êtes dans un groupe avec deux aventuriers de classe Argent ? Et votre masque… Y a-t-il une raison importante à cela ? De plus, vous partagez le même nom de famille que Mlle Lorraine, peut-être avez-vous un lien avec elle ? »

Malgré mes efforts, elle m’avait soumis à un barrage de questions. C’étaient toutes des questions compréhensibles, cependant, et j’avais reçu les mêmes à plusieurs reprises depuis que j’étais devenu un mort-vivant, alors je m’étais dit qu’il ne serait pas trop difficile d’y répondre.

« Permettez-moi de clarifier les choses, Votre Altesse. Tout d’abord, pourquoi un aventurier de classe Bronze comme moi fait-il un groupe avec deux aventuriers de classe Argent... »

« Oui ? »

« Autrefois, nous travaillions tous les trois principalement à partir de la ville de Maalt. De plus, je connais Lorraine depuis que nous sommes tous deux de jeunes aventuriers, et j’ai rencontré Augurey alors qu’il était encore de classe Bronze. Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, nous étions tous des pairs. »

Mais ce n’était plus le cas. La promotion d’Augurey à la classe Argent avait été un peu choquante, mais ce n’était pas parce qu’il n’avait pas le talent ou qu’il n’avait pas d’avenir en tant qu’aventurier. Je savais qu’il finirait par obtenir cette promotion, et je m’y étais préparé. C’est juste que c’était arrivé beaucoup plus tôt que je ne l’avais imaginé.

Je n’étais pas particulièrement jaloux de lui. Je m’étais habitué à ce que mes compagnons d’aventure de classe Bronze me dépassent au cours des dix dernières années. D’ailleurs, mon rêve était de devenir de classe Mithril, le rang des autres n’avait jamais été mon centre d’intérêt.

« Je vois. Mais il est un peu inhabituel que vous soyez toujours dans le même groupe, n’est-ce pas ? » demanda la princesse.

C’était tout à fait vrai. Lorraine et moi, c’était une chose, mais Augurey opérait désormais depuis la capitale. Cela devait paraître encore plus étrange à la princesse, car elle n’était pas au courant de ces détails. Il n’était pas rare que les groupes se dissolvent lorsque leurs membres changeaient de rang. Cela n’avait rien à voir avec le fait que les aventuriers étaient déloyaux ou sans cœur, mais cela avait tendance à causer des problèmes s’il y avait une trop grande différence entre les niveaux de compétence des membres.

Il n’est pas bon que les membres les plus forts d’un groupe consacrent la majeure partie de leurs efforts à protéger les membres les plus faibles au beau milieu d’un travail. Cela signifiait qu’ils ne pouvaient pas se concentrer sur la tâche à accomplir. La guilde elle-même devait penser que les groupes de niveau mixte étaient un problème, car elle était relativement proactive en présentant les gens à de nouveaux groupes ou en aidant les groupes à recruter de nouveaux membres. En revanche, elle n’avait jamais fait ce genre de choses pour les aventuriers. La guilde pensait probablement qu’il était plus efficace de laisser l’attrition réduire le grand nombre de nouveaux venus. Le monde était rude.

« Je crois que vous faites allusion au fait que nous étions ensemble lorsque nous sommes venus à votre secours, Votre Altesse », avais-je répondu.

« C’est bien cela. »

« À l’époque, nous ne formions qu’un groupe temporaire. D’ordinaire, nous travaillons séparément. Lorraine et moi opérons à partir de Maalt, tandis qu’Augurey opère à partir de la capitale. Nous ne sommes pas un groupe permanent, Votre Altesse. »

La princesse acquiesça. Il semblait que l’explication avait mis fin à la question dans son esprit. Elle avait sans doute d’autres questions à poser à ce sujet, mais comme je ne voulais pas qu’elle s’immisce dans nos affaires, j’avais décidé de continuer.

« Quant au masque de crâne… »

Elle frappa avec goût ses mains l’une contre l’autre. « Oui ! J’étais particulièrement curieuse de le savoir ! »

J’avais réussi à changer de sujet. Je voulais surtout éviter de répondre à la question de savoir pourquoi nous étions venus de Maalt à la capitale. Je pouvais toujours mentir à ce sujet, mais je voulais être le plus sincère possible. Je ne voulais pas que nous ayons des ennuis s’ils découvraient que nous avions menti.

Pourtant, la princesse semblait terriblement intéressée par mon masque. Les aventuriers portaient souvent des masques, mais peu d’entre eux choisissaient un masque de crâne aussi effrayant que celui-ci. Je ne pouvais pas dire que personne ne le ferait, mais j’étais sûr que la grande majorité ne le ferait pas. Tout au plus en avais-je vu un ou deux se promener à Maalt.

Les masques normaux étaient courants, honnêtement — des choses comme des oiseaux, des chats ou des chiens. Il y avait des masques plus bizarres, comme des masques vraiment abstraits qui n’avaient pas vraiment de motifs, mais les aventuriers qui portaient ces masques étaient les plus bizarres. Il valait mieux les éviter dans la mesure du possible.

Attendez… Est-ce que cela signifie que les gens me regardent de cette façon ? Il y avait de fortes chances que ce soit le cas. Je n’étais pas sûr d’être heureux d’apprendre cela à mon sujet, mais quoi qu’il en soit, je devais continuer.

« Quant à mon masque… Je m’excuse, mais il n’y a rien de particulièrement compliqué dans le fait que je le porte. »

« Vraiment ? »

« Oui. Lorsque j’ai été blessé au visage, j’ai décidé de le cacher jusqu’à ce que je puisse le soigner à l’aide de magie de guérison ou de potions. J’ai demandé un masque approprié à une connaissance, et c’est celui qu’on m’a apporté. »

« Et votre blessure ? » demanda la princesse.

Elle devait demander si elle n’était pas encore guérie, mais la réponse à cette question était également claire.

« Non, c’est déjà guéri, Votre Altesse. »

Elle pencha la tête d’un air interrogateur. « Alors pourquoi… ? »

« Ce masque a quelque chose d’étrange et je ne peux pas l’enlever. »

« Vous voulez dire que c’est un objet maudit ? » intervint Nauss. Son expression montrait clairement qu’il n’était pas content que je l’aie porté au palais.

Je secouais la tête. « Non, cela ne semble pas être le cas. S’il était vraiment maudit, je n’aurais pas pu le porter dans le palais, n’est-ce pas ? » Nous étions dans le palais royal, il devait donc y avoir un certain nombre de contre-mesures en place qui n’existaient pas ailleurs contre les objets maudits.

« Oui, en effet. Mais il n’y a pas d’absolu. Cela s’est passé il y a bien longtemps, mais des malfrats ont introduit un puissant objet maudit dans le palais. »

« Je n’en avais aucune idée. »

***

Partie 5

La vérité, c’est que j’étais un peu un voyou ici. J’étais un monstre. Le fait que j’aie pu entrer dans le palais signifiait que des exceptions pouvaient passer à travers les protections. Néanmoins, Nauss ne faisait que décrire un exemple du passé, et j’avais donc supposé qu’il parlait simplement d’une exception rare.

« Mais ce n’est pas mon cas », avais-je expliqué. « Et ce masque… Il est manifestement plus proche d’un objet sacré. »

« Un objet sacré ? » demanda Nauss.

« Même si ce n’est pas grand-chose, je suis imprégné de divinité. »

J’avais alors libéré une petite quantité de divinité et l’avais rendue visible. C’était quelque chose que j’avais appris à faire récemment, à peu près au moment où j’avais appris les techniques vampiriques. J’avais l’impression qu’il y avait des points communs entre elles et la divinité, mais je ne pouvais pas dire ce qu’elles avaient exactement en commun.

Nauss acquiesça. « C’est en effet l’éclat de la divinité. »

« Elle m’a été donnée parce que j’ai décidé, sur un coup de tête, de réparer un sanctuaire qui était tombé en ruine. L’esprit de l’autel m’a donné la bénédiction de la divinité en guise de remerciement. C’est pourquoi elle est si faible. Mais j’ai pu parler à l’esprit une seconde fois, et quand je l’ai interrogé sur le masque, il m’a dit qu’il s’agissait d’un objet sacré. Malheureusement, l’esprit m’a aussi dit qu’il ne pouvait pas me donner plus de détails à ce sujet. »

Une partie de moi souhaitait toujours une explication plus détaillée de la part de l’esprit, mais les dieux et les esprits étaient inconstants. Je ne pouvais rien y faire.

« Un objet sacré… » Visiblement surprise par mon explication, la princesse regarde curieusement dans ma direction. Attendez, elle était plus que curieuse. « Nauss, c’est peut-être… »

Son Altesse avait ensuite jeté un coup d’œil à Nauss, qui avait saisi une sorte de message dans son regard. Je voyais bien qu’ils communiquaient par leurs expressions, mais je n’arrivais pas à savoir ce qu’ils disaient exactement. Je me tournai vers Lorraine et Augurey, mais ils étaient tout aussi perdus que moi. J’avais parlé de l’esprit et du masque parce que l’esprit n’avait rien d’extraordinaire et que je ne savais pas grand-chose sur le masque, mais je me demandais si je n’avais pas dit quelque chose de faux.

◆♥♥♥◆♥♥♥◆

Après avoir échangé un regard avec Nauss, la princesse se tourna vers nous et inclina la tête. « J’ai une requête à vous faire à tous les trois. S’il vous plaît, voulez-vous m’aider ? »

Bien que le Yaaran soit un royaume assez informel, le système de classes y était aussi strict que partout ailleurs. Alors que la noblesse de classe inférieure pouvait parfois se mêler aux roturiers en tant que quasi-égaux, et qu’un noble excentrique de classe supérieure pouvait ici et là faire des choses comme travailler comme bûcheron avec ses sujets dans les montagnes, un membre de la famille royale ne courberait pas l’échine devant des aventuriers pour leur demander de l’aide. Pourtant, c’est exactement ce que la princesse était en train de faire.

Nous avions tous les trois réagi en paniquant légèrement.

« Votre Altesse, levez la tête, s’il vous plaît ! » m’exclamai-je, mais la princesse était déterminée à tenir le cap. Il lui fallut un certain temps pour se relever de sa révérence.

J’étais persuadée que cela nous causerait un tas d’ennuis, mais je ne pouvais rien faire pour l’en empêcher. La seule chose que je pouvais faire était d’être reconnaissant qu’elle n’essaie pas d’utiliser son autorité pour nous forcer à faire quelque chose pour elle.

« Nous serions heureux de vous aider, Votre Altesse, » commença Augurey, « mais nous ne pouvons pas dire oui sans savoir ce que vous voulez nous demander. Vous ne nous demanderez certainement pas de trouver la fin de l’arc-en-ciel ou de ramener le fumier d’un dragon. Je crains que cela ne dépasse même nos capacités. »

Augurey avait tenté de désamorcer la tension par l’humour. Il n’y avait pas moyen de trouver la fin de l’arc-en-ciel, et quant au fumier de dragon, il n’existait pas, je suppose ? Techniquement, je pourrais être considéré comme tel. Je ne savais pas d’où j’avais été expulsé après avoir été mangé, alors il était certainement possible que ce soit ma sortie. Quoi qu’il en soit, je ne devrais pas laisser mes pensées aller dans cette direction.

« Oui, je suppose que vous avez raison. Je m’excuse. J’ai laissé ma précipitation prendre le dessus, » marmonna la princesse.

« Inutile de vous excuser, Votre Altesse. Cela dit, il semble que ce soit le fait que Rentt ait qualifié son masque d’objet sacré qui ait attiré votre attention. »

Augurey avait continué à guider la conversation avec tact. Il avait raison, et c’est à ce moment-là que la conversation, ou plutôt l’atmosphère, avait dérapé.

« Je crains que ce ne soit un récit un peu long. Voulez-vous m’écouter le raconter ? » demanda la princesse.

Nous n’avions pas perdu de temps pour acquiescer tous les trois. Ce n’était pas comme si nous avions une autre option, et cela pourrait finir par causer des problèmes plus tard si nous n’écoutions pas maintenant. On pourrait dire que c’était l’écoute qui posait problème, mais comme nous étions déjà ici, nous n’avions pas d’autre choix que de découvrir ce qui se passait.

« Très bien », répondit Augurey.

◆♥♥♥◆♥♥♥◆

« Connaissez-vous tous Sa Majesté, l’actuel roi de Yaaran ? » demanda la princesse.

« Oui, Sa Majesté, Karsten Reshon Yaaran, » répondit Lorraine. « Je crois que depuis cette année, il a soixante-cinq ans. »

« Vous avez raison. »

Il fallait laisser ça à Lorraine, car elle connaissait non seulement son nom, mais aussi son âge. Soixante-cinq ans, c’est tout de même un âge relativement élevé. La plupart des rois mouraient avant d’atteindre la soixantaine, et très rarement de causes naturelles. Ceux qui mouraient de vieillesse étaient les plus heureux. Cela dit, une bonne partie des rois de Yaaran étaient morts soit de vieillesse, soit de vraies maladies — et non de poison déguisé en maladie. Naturellement, cette information avait été diffusée par le gouvernement lui-même, de sorte que pour nous, simples roturiers, il était impossible de savoir si c’était vraiment le cas.

« Il était encore en bonne santé, » expliqua la princesse, « et il remplissait avec enthousiasme ses fonctions de souverain. On espérait qu’il continuerait à le faire, et on disait qu’il régnerait encore dix ans. »

Oh, merde. Elle était sur le point de dire quelque chose que les civils normaux comme nous n’étaient pas censés savoir. Mais comme nous ne pouvions rien faire pour l’arrêter, nous nous étions résignés à l’inévitable tandis que la princesse continuait.

« Cependant, la santé de Sa Majesté s’est récemment détériorée et, si les choses continuent ainsi, il se peut qu’il ne passe même pas l’année. »

Et maintenant, nous le savions, ce qui signifiait que nous ne pouvions pas quitter le palais. Ils allaient nous enchaîner dans un donjon et nous allions passer le reste de notre vie à pleurer en nous nourrissant de pain rassis et peu appétissant. C’est du moins l’image qui m’était venue à l’esprit, mais je m’étais dit qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. S’ils devaient faire ça, il aurait été plus simple de ne rien nous dire dès le départ.

Bien sûr, si nous refusions la demande de Son Altesse, nous pourrions finir par vivre ainsi, au moins jusqu’à la mort du roi. Mais nous nous en sortirions probablement. Dans le pire des cas, il nous suffirait de quitter le palais, puis d’utiliser la magie de téléportation pour fuir vers un autre pays. Nous savions déjà qu’un royaume de la taille de Yaaran ne pouvait pas poursuivre les gens qui fuyaient le pays. J’avais peut-être un peu trop négligé les capacités du Yaaran, mais je doute que nous ayons assez de valeur pour mériter un tel effort.

« Quelle en est la cause ? » demanda Lorraine. Elle l’avait fait spécifiquement parce que cela nous aiderait à comprendre le cœur de la question — ce que Son Altesse voulait que nous fassions. Je n’avais pas la moindre idée de la façon dont nous pourrions être impliqués.

Son Altesse évita de répondre directement à la question de Lorraine et elle déclara plutôt : « Dans ce royaume, un nouveau souverain doit hériter de deux objets s’il veut monter sur le trône : la couronne du royaume et le sceptre du royaume. »

« Oui, je les ai déjà vus, » reprit Augurey, « lorsqu’ils étaient exposés au temple. Je me souviens aussi que la couronne était une pièce d’artisanat exquise. Le sceptre, quant à lui, était étonnamment simple pour une relique d’État. »

« Oui, c’est exact. La couronne a été fabriquée par des nains dans un passé lointain, mais le sceptre est un cadeau des hauts elfes. »

Les hauts elfes régnaient sur le Pays du Vénérable Arbre Sacré, où ils étaient assimilés à des membres de la famille royale. Cependant, aussi spécial que puisse être un roi humain, il était tout aussi humain que le commun des mortels. Les hauts elfes étaient différents en ce sens qu’ils formaient une race distincte, considérée comme supérieure aux elfes qu’ils gouvernaient. En outre, les hauts elfes avaient une longévité extraordinaire. Ils étaient des liens vivants avec l’histoire, ce qui rendait leur existence précieuse.

Par ailleurs, si l’on se penche sur l’histoire, on s’aperçoit que les humains s’étaient déjà battus contre les hauts elfes par le passé. Une fois, les humains avaient tenté d’asservir les elfes. Ils s’étaient également battus pour des conflits religieux, qui s’étaient terminés par des religions humaines déclarant que les hauts elfes étaient inférieurs aux humains. En bref, les relations entre les humains et les hauts elfes avaient été longues et compliquées. Il ne faisait cependant aucun doute qu’ils étaient d’habiles artisans d’objets magiques et que des reliques précieuses attribuées à ces artisans étaient disséminées dans le monde entier. Le sceptre du royaume de Yaaran devait être l’une de ces reliques.

« Quel est donc le rapport entre le sceptre et la santé de Sa Majesté ? » demanda Lorraine.

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« Lorsque le véritable roi du royaume possède le sceptre, il atténue l’énergie impure qui existe à Yaaran. Cela n’a pas beaucoup d’effet sur les endroits tels que les donjons et les terres qui les entourent, et les effets s’affaiblissent avec la distance, mais même dans ce cas… »

Son Altesse avait donné l’impression que c’était simple, mais le pouvoir du sceptre était remarquable. Tout dépendait de ce qu’elle entendait précisément par énergie impure, mais cela piquait ma curiosité, ainsi que celle de Lorraine en tant que chercheuse.

« Vous avez dit qu’il atténuait l’énergie impure, mais cela peut signifier beaucoup de choses selon le contexte, » dit Lorraine, demandant sans détour ce que nous pensions tous. « Cela peut être interprété comme un affaiblissement des monstres, mais aussi comme une dispersion des maladies ou des toxines. Il peut aussi simplement purifier l’air. Puis-je vous demander quels sont les pouvoirs exacts du sceptre ? »

Son Altesse acquiesça. « On dit qu’il empêche la naissance de monstres morts-vivants et qu’il réduit leurs pouvoirs. Bien sûr, cela se limite aux cas où les corps sont correctement enterrés. Il ne peut rien faire si les corps sont simplement laissés là où ils tombent, et ses effets ne s’étendent pas aux donjons et à leurs environs. Grâce aux pouvoirs du sceptre, il n’y a presque plus de squelettes ni de morts-vivants dans les cimetières de la capitale. Il arrive que des squelettes apparaissent dans des endroits éloignés de la capitale, mais il est rare que des morts-vivants puissants naissent à Yaaran même. Cela répond-il à votre question ? »

« Oui, je vous remercie. Je n’avais pas la moindre idée que le sceptre avait de telles capacités, mais maintenant que vous en parlez, les squelettes sont rares dans cette région. »

Nous les rencontrions parfois autour de Maalt, mais Maalt était loin de la capitale, ce qui signifiait simplement que Maalt était si rural que même les pouvoirs du sceptre n’y étaient pas très utiles. Néanmoins, si le sceptre considérait Maalt comme un trou perdu, cela me donnait envie de le briser. Mais je ne le ferais pas. Ils feraient bien pire que de m’arrêter si je le faisais.

***

Partie 6

« Ce sont les pouvoirs du sceptre, » ajouta la princesse. « Malheureusement, il n’existe pas d’objet magique qui génère des effets sans aucun coût. Tout comme il faut de l’eau pour faire tourner une roue, il faut du mana pour faire fonctionner un objet magique. Dans le cas du sceptre, l’énergie nécessaire est l’énergie vitale du roi. »

« C’est troublant… » marmonna Augurey en gémissant. Je comprenais ce qu’il ressentait. Étant donné qu’il protégeait le royaume, la force vitale du roi était un échange approprié, mais il semblait maintenant que c’était pratiquement un objet maudit.

« À l’origine, il ne demandait pas grand-chose à son utilisateur », expliqua la princesse. « Tout au plus, son utilisation provoquait-elle une heure de fatigue. Mais c’est désormais un objet dangereux qui tente de saper sans cesse la force vitale de Sa Majesté. »

« Comment est-ce arrivé ? » demanda Lorraine.

« D’après le mage de la cour, le sceptre a été usé par de longues années d’utilisation intensive et supporte maintenant trop de contraintes. Je l’ai vu de mes propres yeux, et le sceptre a effectivement des fissures sur toute sa surface. »

« Je suppose que cela signifie que l’efficacité de sa conversion énergétique s’est considérablement détériorée. Je crée moi-même des objets magiques simples ici et là, mais même les objets simples se fissurent s’ils sont utilisés trop souvent sans entretien, et cela peut me prendre tellement de mana que même moi, en tant que créateur, je serai prise par surprise. »

« En effet. Malheureusement, Sa Majesté ne cessera pas d’alimenter le sceptre avec sa force vitale, car elle affirme que si elle le fait, des tragédies se produiront dans tout le royaume. Il est certain que si les effets du sceptre s’estompent, les pouvoirs des monstres morts-vivants augmenteront ainsi que leur taux de création, mais beaucoup de ses conseillers notent que les guildes et les compagnies de chevaliers du royaume peuvent combattre ces effets dans une certaine mesure et ont exhorté le roi à cesser d’utiliser le sceptre. »

Il semblerait que le roi ait décidé de ne pas écouter ce conseil, car la princesse secoua tristement la tête.

En réalité, si Sa Majesté cessait d’utiliser le sceptre et que les morts-vivants commençaient à apparaître en plus grand nombre, et s’ils devenaient plus forts, il serait difficile d’y faire face. L’une des raisons pour lesquelles Yaaran était relativement paisible et stable était la rareté des monstres le long de ses routes principales.

Dans la plupart des pays, les grands axes routiers étaient des lieux de ponte pour les morts-vivants. Après tout, de nombreuses personnes mouraient sur la route, sans parler des animaux et des monstres qui y trouvaient également la mort. Si le sceptre réduisait le taux de création de morts-vivants à partir de ces cadavres, même s’il n’était pas particulièrement puissant, il était facile d’imaginer ce qui se passerait s’il disparaissait. Il y aurait beaucoup plus de morts le long des routes, ce qui ralentirait la circulation. Les marchands auraient besoin de beaucoup plus de gardes lors de leurs déplacements, ce qui aurait un impact majeur sur l’économie.

Il ne suffit pas de dire au roi de ne plus utiliser le sceptre. Il en résulterait peut-être une économie florissante pour les aventuriers, mais je ne voudrais pas que cela se fasse aux dépens d’un tas d’innocents. Les conseillers royaux et nobles du roi ne cherchaient pas non plus à augmenter le nombre de victimes le long des routes. Ils estimaient simplement que la vie et la santé du roi étaient prioritaires et qu’il valait mieux qu’il cesse d’utiliser le sceptre. De toute évidence, le roi était un homme extrêmement sérieux et honorable dans l’exercice de ses fonctions. Ou alors, il y avait une autre motivation. Quoi qu’il en soit, cela ne change rien au fait qu’il continuait à utiliser le sceptre.

« Pardonnez-moi de dire cela, mais si cela signifie qu’il ne peut survivre qu’une année ou deux, ne devrions-nous pas trouver une solution plus permanente ? » J’avais essayé d’être un peu plus vague dans ma formulation, car ce serait une lèse-majesté de dire carrément : « Vous devez penser à ce qui se passera après sa mort. »

Je n’avais peut-être pas été assez vague pour certains, mais la princesse ne s’en était pas offusquée. En fait, elle avait interprété ma question différemment.

« Vous avez tout à fait raison, et c’était la raison de notre voyage au pays du Vénérable Arbre Sacré. »

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« Ce voyage ? » demandai-je en penchant la tête.

« Celui où vous êtes venus tous les trois nous sauver », répondit la princesse.

Ah, c’était vraiment la seule façon de décrire cet incident. Je m’étais alors souvenu que nous n’avions pas demandé où allaient la princesse et son entourage. Ce n’est pas comme si nous en avions discuté au préalable, mais nous avions tous les trois décidé qu’il valait mieux ne pas se laisser entraîner dans d’autres complications. Je suppose que le désir d’éviter les problèmes inutiles était ce qui nous caractérisait en tant que roturier.

« Puis-je supposer que vous étiez sur le chemin du retour de la Terre du Vénérable Arbre Sacré ? » demanda Lorraine.

La princesse acquiesça. « C’est exact, mais nous avons été attaqués plusieurs fois en chemin, et lorsque nous avons atteint cet endroit, Nauss et les autres gardes royaux étaient épuisés. C’est pourquoi nous avions besoin de votre aide. »

À l’époque, Nauss et les autres étaient tellement épuisés qu’il était difficile de croire qu’ils étaient des gardes royaux. Je m’étais demandé pourquoi ils s’étaient si mal battus, mais j’avais compris que c’était le résultat d’une longue série de batailles. Attendez, cela veut-il dire… ?

« Les elfes du Pays du Vénérable Arbre Sacré vous ont-ils attaqués ? » demandai-je. « Ça a l’air d’avoir des conséquences effrayantes. » Je me souvenais que Nive avait été attaquée plusieurs fois lorsqu’elle s’y était rendue pour obtenir une baguette.

« Non, certainement pas », insista la princesse. « Les elfes sont peut-être un peu xénophobes, mais ce sont au fond des gens très pacifiques. Cela ne les empêche pas de prendre les armes quand les circonstances l’exigent, mais ils sont trop civilisés pour attaquer soudainement la royauté d’un autre royaume. »

Je suppose que c’est vrai. S’ils faisaient une telle chose, le meilleur scénario serait une guerre entre les pays. Même si Yaaran était plus rural, il pouvait quand même mobiliser une armée assez importante. Même les elfes ne se risqueraient pas à déclencher une guerre contre le royaume.

« Alors pourquoi ? » avais-je demandé.

« En toute honnêteté, nous ne savons pas qui nous a attaqués. Les attaquants varient. Parfois, il s’agissait de monstres, puis de bandits, puis de mercenaires. Cependant — . »

« Permettez-moi d’expliquer les détails », déclara Nauss avant que Son Altesse ne puisse continuer.

« Merci, Nauss. » Plutôt que de se vexer, la princesse laissa Nauss prendre les rênes.

Alors que je me demandais pourquoi elle faisait cela, Nauss déclara : « Je vais expliquer nos spéculations. Il serait problématique que Son Altesse prononce les mots. »

Nauss avait l’air prudent, et il avait attendu que nous ayons acquiescé avant de continuer. Ce n’était pas qu’il nous faisait implicitement confiance, il le faisait pour pouvoir prendre la responsabilité des éventuelles retombées. Il était difficile de dire comment nous devions interpréter cela, mais dans ce cas, nous finirions dans le donjon, alors je n’allais certainement pas le dire à quelqu’un d’autre.

« Nous n’avons pas de preuves irréfutables, mais nous avons de fortes raisons de soupçonner que les attaques ont été organisées par Son Altesse, le premier prince, ou par Son Altesse, la première princesse, ou peut-être par les deux. »

Je comprenais maintenant pourquoi la princesse ne pouvait pas le dire elle-même à voix haute. Les deux autres membres de la famille royale avaient un rang supérieur à celui de la princesse Jia. Le premier prince, Joachim Princeps Yaaran, et la première princesse, Nadia Regina Yaaran, étaient les frères et sœurs de la princesse Jia par le sang, mais c’est précisément pour cette raison qu’ils deviendraient ennemis dès que le roi actuel décéderait. La situation commençait à se dégrader.

« Pourquoi feraient-ils cela ? » demanda Lorraine.

C’était une bonne question. Même si l’un de ses frères et sœurs aînés, ou les deux, étaient à l’origine des attaques contre la princesse Jia, il restait à savoir pourquoi. L’explication la plus simple était qu’ils cherchaient à éliminer un prétendant rival au trône, mais la princesse Jia n’avait en premier lieu pas de prétention particulièrement forte. Même dans le cas d’une succession contestée, il était plus probable que l’un des deux enfants les plus âgés reçoive la couronne. Si l’on creusait un peu, il pourrait y avoir d’autres prétendants, comme le frère cadet du roi actuel ou d’autres descendants de la famille royale, mais même si j’étais originaire de Yaaran, je ne connaissais aucun de ces détails. Quoi qu’il en soit, cela n’avait pas beaucoup de sens de cibler la princesse Jia si tôt dans la partie.

Nauss s’empressa de répondre. « C’est parce qu’il y avait une chance que la princesse Jia devienne l’héritière désignée à la suite de sa visite au Pays du Vénérable Arbre Sacré. Je crois qu’ils ont voulu tuer dans l’œuf cette éventualité. »

Si c’était le cas, il serait logique que le prince et la princesse agissent. Mais cela soulevait une autre question. Pourquoi la princesse Jia deviendrait-elle l’héritière désignée en visitant le Pays du Vénérable Arbre Sacré ?

« J’ai expliqué tout à l’heure que le sceptre arrivait en fin de vie après des années d’utilisation intensive, et que Sa Majesté continuait à l’utiliser malgré cela », dit la princesse en reprenant la parole. « Il va sans dire que ce n’est pas un résultat souhaitable. Il fallait trouver une solution, et deux possibilités semblaient les plus simples. La première serait de réparer le sceptre. Le roi pourrait alors peut-être continuer à l’utiliser. Mais comme Sa Majesté continue à l’utiliser quotidiennement, nous devrions le retirer de la capitale pendant plusieurs semaines pour le faire réparer — nous n’aurions d’autre choix que de demander aux hauts elfes de le faire pour nous — et cela aurait des conséquences désastreuses. »

C’était une relique puissante. Il n’était pas nécessaire d’être un expert en objets magiques pour savoir qu’il fallait un certain niveau de connaissances spécialisées pour la réparer, c’est pourquoi ils devaient demander aux créateurs de la relique de le faire. Mais sortir le sceptre du royaume signifiait qu’il ne serait plus utilisable pendant un certain temps et que des morts-vivants apparaîtraient partout dans Yaaran.

Ce pourrait être un pays agréable à vivre pour moi, mais ce serait certainement l’enfer pour les gens normaux. J’avais l’impression que Laura et Isaac pourraient assurer la sécurité de Maalt, mais je ne voyais pas cela partout ailleurs, donc ce n’était pas une option envisageable.

« Finalement, nous avons conclu que nous devions choisir la deuxième option : demander aux hauts elfes de fabriquer un nouveau sceptre. Le sceptre lui-même est une relique des hauts elfes, ils sont donc les seuls à pouvoir en fabriquer un nouveau. C’est pourquoi j’ai décidé de me rendre au Pays du Vénérable Arbre Sacré. »

***

Partie 7

« Les elfes ont-ils accepté de fabriquer un nouveau sceptre ? » demandai-je.

C’était la question la plus importante. Si elle était réglée, il n’y avait plus grand-chose à craindre. Une fois le nouveau sceptre achevé, le roi n’aurait plus besoin de se sacrifier. Après tout, s’il ne lui restait qu’un an à vivre, c’était parce qu’il continuait à utiliser le sceptre cassé. Puisqu’il était en assez bonne santé pour régner encore une douzaine d’années, tant qu’on lui fournirait un nouveau sceptre, il vivrait probablement jusqu’à la fin de sa vie naturelle. Même si la fatigue liée à l’utilisation du sceptre brisé avait réduit son espérance de vie, cela donnerait au royaume le temps de planifier. Au moins, cela éviterait la perspective d’une bataille de succession sanglante dans environ un an.

La princesse acquiesça. « Oui, techniquement. Cependant, ils ont posé quelques conditions… »

D’un côté, je savais qu’il y aurait des conditions, mais de l’autre, j’étais surpris qu’ils aient accepté de le faire. Les elfes étaient connus pour être des isolationnistes, et ils n’aimaient pas interagir avec d’autres personnes. Il y avait des exceptions, comme celle que j’avais rencontrée, mais j’étais sûre que les elfes la considéraient comme une excentrique. Je veux dire que sa personnalité à elle seule l’aurait fait passer pour une personne étrange, même parmi les humains. Elle n’était pas l’exemple type d’un elfe.

Après une courte pause, Augurey demanda : « Des conditions ? Quelles sont les conditions qu’ils ont posées ? Ont-ils peut-être exigé la cession de terres ? »

Maintenant que j’y pense, je ne voyais pas beaucoup de choses que les elfes pourraient vouloir en échange. Ils avaient une vision de la vie très différente de celle des humains. Bien que l’argent et la terre soient les formes les plus élémentaires de richesse, si je devais dire si les elfes convoitaient ce genre de choses, je dirais qu’ils ne les convoitaient pas. Augurey ne croyait pas non plus sérieusement que les elfes avaient exigé des terres et avait juste utilisé cela comme un exemple de ce qu’ils pouvaient demander.

Comme prévu, la princesse secoua la tête. « Non, ils ne s’intéressaient pas à ce genre de choses. Ils ont demandé, en gros, deux choses. Premièrement, qu’ils déterminent les ingrédients entrant dans la composition du sceptre. C’est moins une condition qu’une nécessité, étant donné qu’ils sont mieux informés sur la façon de fabriquer un tel objet. Quant à l’autre… avant d’en parler, connaissez-vous l’Arbre sacré ? »

En fait, Lorraine était plus intéressée par les matériaux utilisés pour la fabrication du sceptre, mais elle décida qu’il serait plus prudent de répondre simplement à la question de la princesse.

« Oui. Ils appellent même leur pays le Pays du Vénérable Arbre Sacré. L’arbre sacré est le pilier de la nation des elfes, qu’ils protègent et dont ils chantent les louanges par-dessus tout. Malheureusement, je ne l’ai jamais vu de mes propres yeux, mais j’ai entendu dire qu’il était imprégné d’une énorme quantité de divinité et que même une simple feuille de l’arbre s’échangeait à des prix astronomiques. Pour les aventuriers, l’arbre vaut littéralement son pesant d’or. »

C’est peut-être une façon grossière de présenter les choses, mais c’est exactement ce qu’était l’arbre pour des gens comme nous. J’étais sûr que les elfes considéreraient cela comme le comble du blasphème, mais comme il n’y avait pas d’elfes ici…

« En effet, » poursuivit la princesse, « parmi les humains, les rois du royaume de Yaaran sont peut-être les seuls à l’avoir vue. Je ne l’ai vu moi-même qu’une seule fois, lorsque Sa Majesté m’a emmenée visiter le pays. »

Lorraine avait l’air surprise. « Je ne savais pas que les relations entre les deux pays étaient si étroites. »

Elle se pencha vers moi et me chuchota à l’oreille : « On dit que les elfes ne montrent l’Arbre sacré à personne, pas même aux rois des pays les plus importants. Même l’empereur n’a pas réussi à persuader les elfes de le faire. Il aurait pu les y contraindre s’il l’avait voulu, mais il aurait fallu pour cela déclencher une guerre. C’est aussi important que ça pour les elfes. »

Cela signifiait-il que la famille royale de Yaaran avait un lien spécial et étroit avec les elfes ? Ou bien cette relation n’existait-elle qu’entre le roi lui-même et les elfes ? Si l’on considère que la princesse Jia avait pu se rendre au Pays du Vénérable Arbre Sacré, parler aux hauts elfes et leur demander de fabriquer un nouveau sceptre, les membres de la famille royale devaient avoir de bonnes relations avec eux. De plus, le sceptre original avait été offert par les hauts elfes dans un passé lointain. Il était facile d’imaginer qu’il existait une sorte de lien entre les deux groupes.

« Lorsque je l’ai vu, j’ai compris comment un pays entier pouvait vénérer cet arbre. Comme je suis une adepte de l’Église du ciel oriental, je ne pouvais pas simplement vénérer ou prier l’arbre, mais son éclat, sa présence et l’aura de pureté qu’il dégageaient pouvaient convaincre qu’il s’agissait d’un dieu en soi. »

Qu’est-ce qu’un dieu ? La définition dépendait de la religion, il n’y avait donc pas de définition simple, mais la princesse avait ressenti quelque chose de surnaturel dans l’arbre sacré. Il y a des choses dans ce monde qui vous rendent silencieux et admiratifs. Le dragon que j’avais croisé en était une, et il était clair que l’Arbre Sacré faisait également partie de cette catégorie. Je me sentais un peu impatient en attendant que la princesse continue.

« On m’a dit que certains elfes pouvaient même entendre la voix de l’Arbre sacré. Les hauts elfes, en particulier, peuvent distinguer des mots distincts. »

« C’est la première fois que j’entends parler de telles choses », fit remarquer Lorraine.

La princesse nous parlait de choses si secrètes que même Lorraine, qui en savait bien plus que quiconque ici, n’en avait pas entendu parler. Je commençais à craindre que, même si nous écoutions la demande de la princesse, nous ne soyons pas autorisés à partir d’ici. Nous avions probablement entendu trop de choses pour reprendre une vie normale.

« C’est quelque chose que je n’ai appris que lors de ma récente visite », expliqua la princesse. « On m’a dit que la voix de l’arbre sacré ressemble à une chanson pour les elfes. On m’a également dit que ces chants étaient ensuite enregistrés sous forme de musique. En dehors du pays du Vénérable Arbre Sacré, les elfes transportent toujours un instrument de musique lorsqu’ils voyagent, et les chansons qu’ils jouent ont une sonorité mystique. J’ai été très heureuse d’apprendre les racines de cette musique. »

Vous pouviez rencontrer des bardes elfiques de temps à autre. Ils ne restaient pas longtemps au même endroit, mais passaient souvent de quelques jours à un mois dans un même pub, gagnant de l’argent en jouant avant de reprendre leur route. Ils n’étaient pas particulièrement doués pour la conversation, même s’ils jouaient de la musique avec tant d’éloquence, et la plupart d’entre eux n’étaient pas bavards même si on s’adressait à eux, de sorte que je n’avais jamais eu de conversation détaillée avec l’un d’entre eux. Leurs chants provenaient donc de l’Arbre sacré ? C’était intéressant d’apprendre cela, mais ce n’était pas très pertinent pour l’instant.

« Je m’excuse de m’être égarée, » dit la princesse. « Le sujet sur lequel je voulais me concentrer était le fait que les elfes peuvent entendre les paroles de l’Arbre sacré. On m’a dit qu’il était rare d’entendre des mots, mais ils ont récemment entendu ce qui suit. Pour paraphraser, on leur a dit qu’ » un humain viendra avec des liens avec celui qui possède un objet sacré. Amenez celui qui possède l’objet sacré à l’arbre ». »

Augurey et Lorraine s’étaient retournés pour regarder mon masque, et j’avais mis la main dessus.

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« Un humain viendra avec des liens vers celui qui possède un objet sacré. Amenez celui qui possède l’objet sacré à l’arbre. »

En l’absence de contexte, cela paraîtrait vague et absurde. Les dieux et les esprits émettaient parfois des prophéties, mais elles étaient rarement aussi claires que les conversations entre mortels. Il existe de nombreuses explications à cela, allant du fait qu’il y a des limites à l’interaction directe des dieux et des esprits avec le monde, au fait qu’il y a des règles strictes entre les dieux qui se disputent l’influence. Cela pouvait aussi être dû au fait que l’avenir n’était jamais gravé dans la pierre, et que les dieux appréciaient cette incertitude et laissaient donc les choses à l’interprétation des mortels. La raison privilégiée dépendait de la religion à laquelle on adhérait, mais comme elles avaient toutes ce point commun, cela signifiait probablement que les dieux et les esprits parlaient en énigmes.

J’avais techniquement reçu une prophétie d’un esprit, mais elle était également vague et difficile à interpréter. Peut-être que c’était différent si on créait un réceptacle pour l’esprit et qu’on se prosternait devant lui pour lui demander conseil, mais si je faisais quelque chose de ce genre maintenant, tout le monde penserait que je suis devenu fou. J’essaierai peut-être plus tard.

Oh, mais j’avais besoin de composants spéciaux. Ce genre de chose nécessite un matériau infusé par l’homme, mais je n’avais plus le bois d’arbuste que j’avais utilisé la dernière fois. Je devais me procurer un nouveau matériau, et comme le réceptacle devait avoir la forme d’une personne, il serait plus facile d’utiliser une sorte de bois. L’argile pourrait faire l’affaire, mais les monstres en bois ou en argile ne sont pas légion. Il faudrait que j’aille là où ces monstres vivaient pour en trouver. Je suppose que je pourrais toujours l’acheter, mais j’avais du mal à me sortir de l’esprit de l’aventurier qui pense qu’il est moins cher de rassembler les matériaux soi-même.

Je n’étais pas obligé de le faire tout de suite. De plus, l’esprit en question était censé être une petite scission d’un esprit plus grand. Si l’Arbre Sacré était un dieu, mon esprit était à peine considéré comme divin. Il y avait fort à parier que je n’obtiendrais pas beaucoup d’informations utiles.

Le sens des paroles de l’Arbre sacré était de toute façon clair sans aucune clarification. Si nous supposons que l’« humain » de cette prophétie était la princesse Jia, alors celui qui possédait l’objet sacré, c’était moi, et l’Arbre sacré voulait que la princesse m’amène à lui. Oh là là ! Quel mal de tête ! J’en avais immédiatement conclu qu’il valait mieux éviter de s’impliquer.

« Je vois. Sur la base de ces mots, il semble que je corresponde aux termes proposés par l’Arbre sacré — . »

« Presque certainement ! » La princesse s’était penchée en avant avec enthousiasme, nous encourageant à approuver l’observation.

Elle était un peu plus énergique que ce à quoi je m’attendais. Je pensais qu’elle était beaucoup plus calme et posée, mais je suppose que les émotions exacerbées faisaient ressortir sa personnalité. Et maintenant que j’y pense, elle avait aussi pratiquement sauté de son carrosse après l’attaque du monstre, alors je suppose que c’était dans la nature des choses.

J’avais essayé de ne pas me laisser intimider par son enthousiasme et j’avais continué : « Malheureusement, mon masque n’est que “proche” d’un objet sacré, et il n’est pas certain qu’il en soit réellement un. Peut-être serait-il imprudent d’apporter un objet qui n’est pas explicitement sacré à quelque chose d’aussi divin que l’Arbre Sacré ? »

Techniquement, on m’avait dit que le masque était probablement un objet sacré, alors j’avais gardé ma formulation dans les limites de la vérité. Après tout, il ne serait pas bon qu’il y ait une sorte d’objet magique qui détecte les mensonges dans le palais. Mais ils ne vérifieraient pas chacune de mes déclarations.

D’après ce que Lorraine m’avait dit, s’il était possible de créer un détecteur de mensonges, il était difficile de dire à quel point ils étaient fiables, car les gens voyaient rarement les choses en des termes aussi tranchés que la vérité et le mensonge. Les détails précis étaient un peu trop pointus pour que je les comprenne, mais j’avais pu saisir l’essentiel de ce qu’elle disait.

***

Partie 8

Il est courant qu’à force de répéter un mensonge, on finisse par y croire soi-même. Il arrivait que des aventuriers perdent un camarade au cours d’une mission, sans pouvoir retrouver le corps, et qu’ils se persuadent alors que ce camarade était toujours en vie quelque part. Si vous interrogez quelqu’un comme ça avec un détecteur de mensonges, même si vous lui demandez si son camarade est mort, le détecteur de mensonges ne sera pas capable de dire que l’affirmation de l’aventurier est un mensonge.

C’est du moins ainsi que j’avais interprété l’explication de Lorraine. Même si des détecteurs de mensonges plus précis avaient été trouvés dans un donjon, les installer au palais démontrerait une impitoyabilité dans la politique de la cour que les nobles auraient du mal à avaler. Je n’aime pas dire cela, mais pour les nobles de la cour, tout leur travail consiste à mentir pour vivre. Cela mettrait un sérieux coup de frein à leur mode de vie si on vérifiait les faits à chaque fois qu’ils parlaient. Bref, tout ça pour dire qu’il était peu probable qu’ils découvrent que j’avais été un peu trompé au sujet de mon masque.

La princesse prit un moment pour réfléchir, puis elle déclara : « C’est peut-être vrai. Le haut elfe m’a dit que j’étais l’humaine décrite dans la prophétie, mais quand j’ai demandé qui était la personne avec l’objet sacré, il m’a seulement dit que je le saurais quand je la rencontrerais. »

Cette formulation était délicate. La princesse avait dû comprendre que j’étais la personne de la prophétie lorsqu’elle avait découvert que je possédais un objet qui pourrait être un objet sacré. En un sens, elle l’avait su dès qu’elle m’avait rencontré, mais elle avait aussi hésité après ma critique. Peut-être n’avait-elle pas su après m’avoir rencontré. Il semblait que la formulation vague du haut elfe et de l’Arbre Sacré jouait en ma faveur. Lorraine et Augurey s’en rendirent compte et se joignirent à moi pour m’aider.

« Nous ne pouvons pas nier la possibilité que Rentt soit celui décrit dans la prophétie, » dit Lorraine. « Mais si Rentt se rendait au Pays du Vénérable Arbre Sacré et qu’il s’avérait que ce n’est pas lui, cela pourrait nuire aux relations entre le royaume et les elfes. Il est peut-être préférable de procéder avec prudence. »

Augurey ajouta : « Il est possible que quelqu’un possédant un véritable objet sacré, plutôt que celui de Rentt, apparaisse bientôt. Si les relations avec les elfes ne sont pas idéales à ce moment-là, cela pourrait rendre la situation bien plus compliquée que nécessaire. Il vaut mieux ne pas tirer de conclusions hâtives. »

On aurait presque dit qu’ils me prenaient pour une sorte de faussaire, mais ils avaient raison. Des actions douteuses comme le fait d’emmener une personne étrange à l’Arbre sacré pourraient nuire aux bonnes relations que le royaume entretient actuellement avec les elfes.

Leurs arguments trouvèrent un écho auprès de la princesse, qui commença à s’entretenir avec Nauss. Après une courte conversation, ils parvinrent à une conclusion.

« C’est comme vous le dites », conclut la princesse. « J’allais peut-être un peu vite en besogne. Il reste que Sa Majesté n’a plus beaucoup de temps devant elle, mais ce n’est certainement pas le moment de tirer des conclusions hâtives et de compliquer le problème. »

Elle avait accepté l’argument de Lorraine et Augurey, mais cela ne signifiait pas que j’étais libre.

« Néanmoins, Monsieur Vivie, la possibilité que vous soyez l’homme de la situation demeure, c’est pourquoi j’aimerais disposer d’une méthode pour vous contacter en cas de besoin. Avez-vous des objections ? »

C’était une demande, mais j’étais sûr qu’il s’agissait d’un ordre. C’était le meilleur résultat que je pouvais espérer.

« Non, Votre Altesse », avais-je répondu.

Ensuite, Lorraine et moi avions donné à Nauss nos coordonnées. Plus précisément, nous lui avions donné nos numéros d’enregistrement à la guilde — j’avais donné le numéro de Rentt Vivie — et notre adresse à Maalt. Nous avions également mentionné que nous étions ici pour un travail et que nous allions quitter la capitale dans quelques jours. Nauss avait indiqué qu’il aurait préféré que nous restions dans la capitale pour le moment, mais qu’étant donné qu’il ne pouvait pas nous donner de délai précis, il était prêt à nous laisser partir.

C’est ainsi que nous avions pu terminer notre visite au palais. Il y avait encore de fortes chances qu’on nous rappelle, mais je pourrais toujours m’en préoccuper une fois que nous aurions terminé notre liste de choses à faire.

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« Maintenant que nous avons réglé le plus gros problème, nous avons quelques jours sans rien de prévu », avais-je dit lorsque nous étions retournés au logement d’Augurey.

Nous aurions pu aller à notre auberge, mais celle d’Augurey était plus confortable. Son expérience de travail dans la capitale avait porté ses fruits, il connaissait donc les meilleures auberges pour s’y installer. Même s’il avait choisi cette auberge peu de temps après son arrivée dans la capitale, il avait sûrement essayé plusieurs logements lorsqu’il s’était installé ici.

Même s’il s’agissait d’une auberge, il s’en servait comme base d’opérations depuis un certain temps. Il s’était installé dans cette chambre, et un certain nombre de ses propres affaires traînaient ici et là. Certains aubergistes n’aimaient pas que leurs clients fassent ce genre de choses, mais la plupart d’entre eux n’y attachaient pas d’importance. C’était en partie parce qu’ils étaient tolérants et hospitaliers, mais souvent ils signaient des contrats avec les aventuriers disant qu’ils pouvaient avoir les choses dans la chambre si l’aventurier mourait, donc cela pouvait tourner à leur avantage.

C’était un rappel brutal du caractère impitoyable de l’aventure, mais c’était un fait que les aventuriers mouraient souvent, et le genre de choses qu’ils gardaient dans leurs chambres pouvaient être précieuses. Il s’agissait généralement d’un assortiment varié de choses : armes et armures de rechange, cristaux magiques et objets magiques. Dans certaines des pires auberges, les aubergistes vous accueilleraient avec déception si vous reveniez en un seul morceau. Bien sûr, je ne voudrais pas louer une chambre dans un tel endroit, surtout pour une longue période.

« Ah oui, c’est vrai. Vous devez attendre le retour du grand maître de la guilde, n’est-ce pas ? » demanda Augurey.

Je lui avais déjà expliqué toute la situation. De nombreux emplois exigent la confidentialité, mais lorsque j’avais conclu ce contrat particulier, j’avais obtenu la permission de Wolf de partager les bases de ma tâche, tant que je ne disais pas au monde entier que j’étais ici pour emmener le grand maître de la guilde à Maalt.

Il y avait plusieurs raisons à cela, mais la plus importante était que je ne pouvais rien dire qui risquait d’attirer l’attention. Si d’autres aventuriers me voyaient me promener avec le grand maître de la guilde, ils pourraient penser que je le suivais pour m’attirer ses faveurs ou que je faisais partie d’un entourage bizarre. Cela ne m’arriverait pas à Maalt, mais ici, dans la capitale, les aventuriers étaient généralement plus ambitieux et donc plus sensibles à ce genre de choses.

En fait, Wolf s’était arrangé pour que si quelqu’un venait me demander pourquoi j’étais avec le grand maître de la guilde, je puisse simplement dire : « Oh, je suis ici pour escorter le grand maître de la guilde jusqu’à Maalt. Quant à moi, je ne suis qu’un aventurier. Je ne suis qu’un aventurier qui travaille dans une ville paumée. J’ai hâte d’y retourner et de manger du ragoût d’insectes. »

Malgré les apparences, Wolf était doué pour faire attention à ce genre d’indices sociaux. Oh, et pour information, je ne mangeais pas souvent de ragoût d’insectes, mais j’y étais beaucoup plus désensibilisé que les jeunes citadins de la capitale. J’aurais parfaitement accepté d’en manger si on m’avait mis au défi de le faire pour prouver que je venais de la campagne.

« Exactement », répondit Lorraine. « Il est sorti pour le moment. Augurey, l’as-tu déjà rencontré ? »

Lorraine n’avait jamais rencontré le grand maître de la guilde de Yaaran, elle voulait donc en savoir plus sur lui. Je devais admettre que moi aussi, je voulais en savoir plus. C’était en partie par simple curiosité, mais aussi à cause de l’âge avancé du grand maître de la guilde, et j’avais donc voulu organiser un voyage qu’il pourrait supporter.

Augurey marqua une pause, puis déclara : « J’ai déjà rencontré le vieux Jean. Il a l’habitude d’apparaître au hasard. On le surprend parfois en train d’errer dans la ville, puis on le voit s’enfuir dans une direction bizarre, et un employé de la guilde se précipite à sa poursuite. »

« Hm ? Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda Lorraine en penchant la tête sur le côté.

Elle comprenait ce qu’Augurey voulait dire, mais elle ne pouvait pas imaginer le genre de situation où cela se produirait. Pourquoi le grand maître de la guilde s’enfuirait-il alors qu’un employé de la guilde se dépêche de le rattraper ? Je m’étais posé la même question.

« C’est comme ça qu’il est », expliqua Augurey. « Il arrive que je doive lui rendre des comptes et qu’un employé me dise qu’il est dans son bureau. Mais quand j’y vais, je constate que le bureau est vide et qu’il y a une pile de documents inachevés sur son bureau. Lorsque je le signale à l’employé de la guilde, il devient tout pâle, donne des instructions à la hâte et envoie tous les employés dans la ville à sa recherche. C’est presque quotidien, j’imagine ? Je me suis parfois demandé pourquoi il occupait le poste de grand maître de la guilde. »

À l’entendre, le grand maître de la guilde était tout simplement immature et n’aimait pas faire son travail. Lorraine parvint à la même conclusion, mais elle trouva aussi d’autres problèmes dans cette situation.

« Attends, mais j’ai aussi entendu dire qu’il s’était occupé de catastrophes majeures en dirigeant de nombreux maîtres de guilde de Yaaran lors d’incidents comme l’émeute d’Ansallen, le tsunami du roi gobelin de Deneb et l’éruption du mont Jarlis. C’est grâce à Jean Seebeck qu’ils ont été réglés avec un minimum de dégâts. Cependant, je ne connais pas les détails, car tout cela s’est passé avant ma naissance. »

Ces trois incidents étaient célèbres. L’émeute d’Ansallen s’était produite lorsqu’une secte d’un nouveau culte s’était retranchée dans une ville et avait invoqué une énorme horde de monstres puissants. Quelque chose avait mal tourné avec le cercle d’invocation, ce qui avait eu pour effet d’invoquer continuellement des monstres. D’après ce que j’avais entendu dire, c’était un véritable gâchis.

Le tsunami du roi gobelin de Deneb s’était produit lorsqu’un grand nombre de gobelins avaient afflué sur Deneb, mais à une échelle bien plus grande que d’habitude. Personne ne connaissait les chiffres exacts, mais j’avais entendu dire qu’ils se situaient entre trente et soixante-dix mille gobelins. D’autres affirmaient qu’ils étaient plus proches des deux cent mille.

L’éruption du mont Jarlis avait commencé lorsqu’un dragon rouge avait fait son nid dans le volcan, et parce que sa présence avait renforcé les esprits du feu dans le volcan, celui-ci était entré en éruption. À l’époque, plusieurs villes et villages se trouvaient à proximité du mont Jarlis, et les dégâts auraient été immenses si l’éruption n’avait pas été maîtrisée. Le pire des dégâts avait été évité en mobilisant un grand nombre de mages pour rediriger le flux de lave.

Dans tous ces cas, on disait que Jean Seebeck, l’actuel grand maître de la guilde de Yaaran, avait pris les choses en main et empêché le pire de se produire.

Augurey frappa ses mains l’une contre l’autre et, avec un sourire forcé, dit : « Oui, c’est exactement ça. Il est extraordinaire quand il s’agit de gérer des situations d’urgence, alors la guilde veut l’empêcher d’abandonner quoi qu’il arrive. Lui-même veut prendre sa retraite depuis un moment, mais beaucoup de gens le vénèrent, alors ils supportent ses frasques… »

***

Chapitre 3 : Un travail avec Augurey

Partie 1

« Les employés de la guilde ont dit qu’il serait de retour dans cinq jours, mais sera-t-il vraiment de retour d’ici là ? » demandai-je.

C’est du grand maître de la guilde dont nous parlions. Je comprendrais qu’il soit si occupé que je doive attendre pour le voir, mais ce serait différent si on me disait de revenir dans cinq jours parce que le grand maître de la guilde était un excentrique qui avait tendance à partir au hasard et qu’on n’était pas sûr de la date de son retour. L’employée de la guilde avait semblé confiante quant à la date, mais elle était peut-être en train de croiser nerveusement les doigts sous son bureau lorsqu’elle l’avait dit.

« Il sera de retour dans cinq jours ! J’espère… »

C’est peut-être le sous-texte qui m’avait échappé lors de cette conversation. Il était difficile d’être au bas de l’échelle. Mais comme seuls les employés d’élite de la guilde de Yaaran travaillaient dans la capitale, je suppose qu’ils n’étaient pas tout à fait au bas de l’échelle.

« Qui sait ? S’ils vous disent de revenir dans cinq jours, il faudra y aller, mais il ne faut pas se faire trop d’illusions », avait prévenu Augurey.

« Je pense que je commence à comprendre pourquoi Wolf a été si évasif sur ce sujet », avais-je murmuré.

« Il ne voulait probablement pas s’en occuper. »

C’était sans doute le plus clair de l’histoire. Il n’est pas étonnant que Wolf ait eu l’air étrangement mal à l’aise pendant tout le processus. J’avais décidé de lui dire ce que j’en pensais quand je serais de retour à Maalt.

« Mais pour ma part, » dit Augurey en souriant, « Je suis reconnaissant à Wolf de vous avoir envoyés. C’est grâce à lui que j’ai pu vous voir tous les deux et que j’ai pu me débarrasser de toute cette histoire de palais et de l’énorme stress qu’elle m’a causé. Et il semble que je vais pouvoir faire un travail que je ne peux pas assumer seul. »

Le fait est que nous aurions de toute façon dû visiter la capitale à un moment ou à un autre. De plus, je voulais avoir une vraie conversation avec Augurey au lieu de celle que nous avions eue à la hâte lorsque nous avions sauvé la princesse, alors à cet égard, je devrais être reconnaissant. Peut-être que je ne me plaindrai pas à Wolf après tout. Non, je pourrais toujours lui faire la leçon et le remercier ensuite.

« Un travail, donc. Augurey, tu es de classe Argent maintenant, alors ne devrais-tu pas être capable de t’occuper de la plupart des tâches en solo ? » demanda Lorraine. « Même si tu ne peux pas le faire seul, tu peux demander des membres temporaires pour un groupe pour la durée de ce travail spécifique. »

Lorraine avait fait valoir un bon point. Même si Augurey avait besoin de former un groupe pour s’occuper du travail qu’il avait en tête, ce n’était pas comme s’il fallait que ce soit Lorraine et moi qui aidions. Je n’étais qu’un aventurier de classe Bronze après tout, et même si Lorraine était compétente et bien informée, elle ne connaissait pas aussi bien les environs de la capitale que les aventuriers locaux. J’étais d’accord avec elle pour dire qu’il serait plus efficace de travailler avec des aventuriers habitués au terrain.

« Cela conviendrait pour un travail normal », dit Augurey en secouant la tête, « mais le travail que j’ai accepté est un travail que la plupart des aventuriers d’ici ne font pas très souvent. Est-ce que le fait de le comparer à la collecte de la garance d’esprit de feu que nous avons faite la dernière fois aiderait à lui donner plus de contexte ? »

Lorsque nous étions arrivés déguisés à la capitale, nous avions accepté un travail avec Augurey. Techniquement, c’était un travail pour Augurey, qui avait besoin d’une plante spécifique pour teindre ses vêtements, mais ce n’était pas tout.

« Ah, ça. Cela a-t-il permis de sauver la mère de la jeune fille ? » demanda Lorraine en se remémorant le travail.

Augurey cligna des yeux, surpris. « Hein… ? Comment avez-vous… ? »

« Je t’ai vu dans la rue principale quand nous revenions. J’ai trouvé cela admirable, » dit Lorraine sans la moindre ironie.

« Non, c’était… » Augurey baissa les yeux comme s’il était soudain frappé de timidité. « J’ai juste pensé que nous avions rassemblé trop de choses pour les utiliser uniquement pour la teinture. C’est tout. Oh, la mère de la petite fille va mieux. Elle est tombée malade parce qu’elle avait des problèmes de circulation. Le guérisseur a dit qu’il lui fallait de la garance d’esprit de feu pour la soigner. »

En plus d’être utile pour teindre les vêtements, la garance d’esprit de feu avait également un usage médicinal. Ou plutôt, c’était son utilisation principale. Cependant, je n’y avais pas vraiment réfléchi à l’époque, car Augurey avait insisté pour teindre ses vêtements d’une couleur spécifique. Il s’est avéré que cette fois-là aussi, c’était plutôt comme médicament qu’on en avait besoin.

« Tu nous trouves trop gentils, mais je suis sûre que tu es aussi mauvais que nous », commenta Lorraine.

« Eh, je suppose que c’est bien un aventurier maaltesien comme on en trouve souvent. Je suis sûr que n’importe quel aventurier de Maalt aurait fait la même chose. »

J’espérais qu’il avait raison, mais je n’en étais pas si sûr.

« Le travail que tu veux nous confier est-il mal payé et s’agit-il d’un travail bénévole pour quelqu’un dans le besoin ? » avais-je demandé.

« Non, pas cette fois », répondit Augurey. « La dernière fois était une exception. Si j’ai mentionné ce travail, c’est parce que celui-ci requiert également un œil pour trouver des matériaux que l’aventurier moyen de la capitale n’aurait pas repérés. Je ne dis pas qu’il y a du mal à faire de la charité de temps en temps, mais heureusement, il y a des gens bizarres, même dans la capitale, qui sont prêts à le faire. Vous n’avez pas à vous inquiéter de ce côté-là. Le problème avec la garance d’esprit de feu, c’est que personne ne voulait accepter ce travail parce qu’il ne savait pas comment la trouver. »

« Je vois. Que sont les tâches dont tu parlais avant ? » demanda Lorraine.

« Voyons… Attraper un aqua hathur vivant, et je suppose ramasser de l’argile sur des golems lutéum ? Dans les deux cas, il faut couper les voies d’évacuation du monstre. Il y en avait aussi une sur le lin des wyvernes. J’ai eu du mal à trouver comment m’en occuper, mais si tu es là, Lorraine, nous pourrons le faire grâce à ta magie. »

J’avais senti mon cœur sombrer quand Augurey avait énuméré une litanie d’emplois. « Attends, as-tu l’intention de faire tout cela avec nous ? »

« Bien sûr. Je veux dire, vous avez les prochains jours de congé, n’est-ce pas ? Un timing parfait, je dirais. Ce n’est pas comme si vous aviez l’intention de passer la journée à dormir dans votre auberge, n’est-ce pas ? Les aventuriers ont une durée de vie courte, il faut donc gagner de l’argent tant qu’on le peut. »

D’une manière générale, il avait raison, mais cela semblait représenter une énorme quantité de travail. Cependant, il nous restait quatre jours avant que le grand maître de la guilde ne retourne à la capitale, et nous avions donc beaucoup de temps devant nous. Je suppose que ce serait une bonne façon de passer le temps. Lorraine et moi avions échangé un regard, et après avoir tous deux laissé échapper un petit rire sec, nous avions décidé d’accepter la proposition d’Augurey.

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« Oh ? Maître Rentt ? Que puis-je faire pour vous aujourd’hui ? Le grand maître de la guilde n’est pas encore rentré », m’avait dit la réceptionniste de la guilde en m’approchant.

Elle devait se souvenir de mon visage, ou plutôt de mon apparence, lors de ma dernière visite. Il serait difficile d’oublier l’homme effrayant portant un masque de crâne et une robe, mais les aventuriers étaient un groupe très diversifié. Nous allions des dandys colorés comme Augurey aux types sombres et ténébreux comme moi. Il y avait beaucoup d’excentriques qui semblaient avoir des histoires bien plus intéressantes que la mienne, ce qui signifiait que la réceptionniste qui s’était souvenue de moi était vraiment bonne dans son travail.

Mais c’était peut-être en partie parce que ma dernière visite remontait à peu de temps. Maintenant que j’en savais plus sur le grand maître de guilde, je pouvais voir que la réceptionniste était un peu nerveuse lorsqu’elle mentionnait que le grand maître de guilde n’était pas encore revenu. Il semblait qu’Augurey avait vu juste, et la réceptionniste n’était pas sûre qu’il reviendrait à l’heure prévue.

Même si j’étais techniquement ici en tant qu’employé de la guilde, les liens entre les branches de la guilde n’étaient pas très forts. Il y avait sûrement des choses qu’ils ne voulaient pas que les étrangers sachent. Je suppose donc que les aventuriers de la capitale et même les aventuriers de la vieille école des autres régions pourraient nous raconter d’autres histoires. Je n’en avais pas entendu parler, car notre génération n’avait pas eu à faire face à des catastrophes majeures. Je savais par de vieilles histoires qu’il s’agissait d’une légende, mais je n’avais rien vécu de près, et je n’avais pas non plus une bonne idée de sa personnalité.

Quoi qu’il en soit, j’avais décidé qu’en tant qu’employé de la guilde, j’essaierais au moins d’atténuer temporairement son anxiété quant aux allées et venues du grand maître de la guilde.

Je lui répondis, aussi rassurant que possible : « Non, je sais déjà qu’il n’est pas encore rentré. J’ai une vieille connaissance parmi les aventuriers ici, et il m’a raconté des histoires sur le grand maître de la guilde. Ça doit être difficile de faire face à ça. »

La réceptionniste avait eu l’air surprise, puis avait soupiré de soulagement. « Je vois. Alors, permettez-moi d’être honnête. Je ne peux vraiment pas vous dire avec certitude s’il sera vraiment de retour dans quatre jours. Il a promis qu’il serait “certainement” de retour d’ici là, mais… »

« On ne peut pas vraiment se fier à sa parole. Je suis d’accord avec vous sur ce point. » J’avais soupiré, mais la réceptionniste avait reculé, alors j’avais changé de ton et j’avais changé de sujet. « Cela dit, je ne suis pas là pour vous harceler sur ce sujet. »

« Alors, qu’est-ce qui vous amène ici aujourd’hui ? »

« Comme je l’ai déjà dit, j’ai une connaissance parmi les aventuriers ici. Augurey. »

Lorsque j’avais appelé son nom, Augurey avait ramassé plusieurs annonces sur le tableau d’affichage et s’était dirigé vers moi pour me rejoindre. Lorraine l’accompagnait également.

Voyant cela, la réceptionniste acquiesça. « Ah, c’est logique. Si je me souviens bien, Maître Augurey travaillait à Maalt. Le connaissez-vous depuis cette époque ? »

« Oui, c’est vrai. Après avoir rattrapé le temps perdu, nous avons parlé du bon vieux temps et nous avons décidé de prendre quelques emplois ensemble puisque nous avons du temps jusqu’au retour du grand maître de la guilde. Nous n’irons probablement pas très loin, mais autant profiter de ce temps. »

L’expression de la réceptionniste s’était éclaircie. Je suppose qu’elle était contente que je n’aie pas l’intention de l’interroger sur le grand maître de la guilde. Ça, et le fait que nous allions travailler ensemble lui seraient également favorables.

« Je vais vous enregistrer en tant que groupe temporaire », dit-elle. « Si vous pouvez juste remplir les informations nécessaires, je peux commencer le processus immédiatement. De plus, vous êtes les bienvenus pour faire patienter le grand maître de la guilde. Même si cela ne dure que quelques jours, ce sera de sa propre faute s’il s’éloigne. Soyez assurés que nous le surveillerons correctement à son retour. »

Nous parlions de son patron, mais si vous ne connaissiez pas le contexte de cette conversation, vous penseriez que nous parlions d’une sorte de criminel. C’était la faute du grand maître de la guilde qui s’éloignait régulièrement, mais…

quoi qu’il en soit, même si nous avions été autorisés à prendre notre temps, j’avais l’intention de rentrer à l’heure prévue. Si je traînais trop, je risquais d’être entraîné dans d’autres complications liées au palais. Je voulais éviter cela à tout prix.

J’avais pris le formulaire d’inscription temporaire de groupe auprès de la réceptionniste et je m’étais tourné vers Augurey et Lorraine pour en discuter. Il n’y avait pas grand-chose à dire. Tout ce que nous avions à faire, c’était de revoir les principes de base.

« Est-ce que le fait de diviser les récompenses en trois parties est acceptable ? » avais-je demandé.

« Oui, c’est bien », répondirent Augurey et Lorraine.

Je n’étais pas sûr que ce soit juste, alors j’avais dit : « Je suis toujours de classe Bronze. Mon tarif ne devrait-il pas être inférieur au vôtre ? »

Augurey déclara. « Si nous ne parlions que de classe, ce serait la pratique habituelle, puisque cela signifierait qu’il y a un écart dans les capacités de combat. Mais d’après ce que j’ai pu constater en combattant ensemble l’autre jour, je n’ai pas eu l’impression d’être meilleur que toi. »

« Vraiment ? »

***

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