Le Dilemme d’un Archidémon – Tome 12

Table des matières

***

Prologue

« L’ANNIVERSAIRE… l’anniversaire de Néphy… !? »

L’ensemble du château trembla violemment en raison de l’agitation intérieure de son seigneur.

Une résidente cria : « Arg ! Je suis vraiment désolée, Madame… ! Hein ? » en sortant du lit.

Un autre murmura. « Hm, il semblerait qu’aujourd’hui sera une journée bruyante, » tout en touillant le plat qui mijotait.

Un troisième déclara : « Dieu merci, Mlle Gremory est en voyage d’affaires, » avec un soupir de soulagement.

Zagan était assis au centre de cette secousse, faisant face à une vieille haute elfe dans sa salle de trône… à savoir, l’Archidémon Orias.

« Oh là là, on dirait que tu ne le savais vraiment pas, » dit-elle avec un sourire troublé.

« Orias, permets-moi de te poser une question, » dit Zagan, tout en essuyant timidement la sueur froide de son front. « Se pourrait-il que dans la société normale, il y ait une sorte de coutume pour célébrer les anniversaires ? »

Le sourire de la vieille Archidémon s’était soudainement transformé en une grimace douloureuse.

« Oh… Eh bien, je suppose que j’aurais dû commencer par là. Désolée. »

« Je veux dire, ce n’est pas comme si j’étais complètement ignorant. En repensant à mes anciens jours en tant qu’orphelin, je peux dire que j’ai certainement vu quelque chose d’un peu similaire auparavant. »

De temps en temps, Zagan avait vu certains enfants recevoir du pain ou des objets hétéroclites qui pouvaient être vendus pour une somme d’argent raisonnable sans trop d’explications. Même lorsqu’il avait demandé aux autres pourquoi, ils ne lui avaient jamais répondu et s’étaient contentés de faire des grimaces comme pour lui dire de se débrouiller.

En y repensant maintenant, il s’agissait bien d’anniversaires. Cependant, dans son esprit, de telles occasions s’accompagnaient de souvenirs clairement amers, ce qui était précisément la raison pour laquelle il était confronté à une énorme crise.

Comment célèbre-t-on un anniversaire ?

Zagan ne connaissait même pas la date de son propre anniversaire, il n’avait jamais eu l’occasion de le fêter, et personne ne l’avait déjà fêté pour lui. La façon dont les orphelins faisaient les choses ne pouvait pas du tout servir de référence. La seule chose qu’il pouvait dire, c’était qu’il était typique d’offrir une sorte de cadeau.

« Ne t’inquiète pas, » dit Orias avec un hochement de tête, lisant l’immense sentiment de confusion qui traversait l’esprit de Zagan. « Ce n’est pas si compliqué. Il suffit d’offrir des paroles de félicitations et un cadeau. »

« Est-ce vraiment suffisant ? Le jour où Néphy est née est le jour le plus béni du monde, n’est-ce pas ? »

Orias plissa agréablement les yeux en entendant cela et répondit : « Je crois que ma fille est vraiment bénie que tu la tiennes en si haute estime. »

« Ne te moque pas de moi, Archidémon Orias. Je t’ai promis de rendre Néphy heureuse. Et je t’assure que je viens à peine de commencer mon travail, » déclara Zagan avec toute la majesté d’un Archidémon.

Pour une raison inconnue, Orias avait couvert son visage avec ses deux mains. On aurait dit que le bout de ses oreilles pointues était teint en rouge.

« Pourquoi détournes-tu le regard ? » demanda Zagan.

« Vous êtes tous deux bien trop éblouissants…, » marmonna Orias. Puis, elle se frappa la poitrine à plusieurs reprises pour tenter de calmer son cœur avant de se ressaisir. « L’anniversaire de ma fille est le vingt-quatre d’Arnaki. »

Arnaki était le quatrième mois de l’année. On était actuellement au début du troisième mois, Thalassa, donc il y avait beaucoup de temps pour se préparer. Pourtant, en entendant qu’elle était née ce jour-là, les yeux de Zagan s’écarquillèrent sous le choc.

« Le vingt-quatre d’Arnaki… En es-tu certaine ? » avait-il demandé.

« Euh, oui ? Y a-t-il un problème ? »

Zagan se gratta la tête, ayant un peu de mal à répondre, avant de dire : « C’est… le jour où Néphy et moi nous sommes rencontrés. »

Ou, eh bien, le jour où je l’ai achetée…

Avec le recul, il trouvait déroutant que Néphy soit tombée amoureuse d’un sorcier qui avait dépensé toute sa fortune pour l’acheter.

« Quoi… ? Vraiment ? » demanda Orias avec étonnement.

« Oui. »

« Alors peut-être as-tu déjà rempli ta promesse, » dit-elle avec un doux sourire.

« Ce qui veut dire… ? »

« Dans l’esprit de ma fille, le jour où elle t’a rencontré est le jour le plus joyeux du monde. »

Zagan sentit son visage s’échauffer en entendant ces mots inattendus.

« Un Archidémon ne devrait pas prononcer des mots aussi frivoles. Hum, je veux dire… même moi, je suis parfois embarrassé, » marmonna-t-il.

« Hein ? Oh… Je vois, » dit Orias, bien qu’elle fasse une grimace comme pour dire qu’il le lui disait bien trop tard, non pas que Zagan ait le sang-froid pour le voir, bien sûr. Elle croisa alors soudainement les bras en semblant troublée.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda Zagan.

« En parlant de l’anniversaire de ma fille, je me demande quand est née Nephteros. »

Nephteros — l’elfe noire qui était maintenant considérée comme la petite sœur de Néphy — était en fait le clone de Néphy. En tant qu’homoncule, il était peu probable qu’elle ait un anniversaire précis. Malgré tout, Zagan secoua la tête comme si ce n’était pas grave.

« C’est la vraie jumelle de Néphy. N’est-il pas normal qu’elles partagent le même anniversaire ? » dit-il.

« Oui… Tu as raison. Faisons comme ça. Son anniversaire sera donc le vingt-quatre d’Arnaki. »

« Oui. »

Même si Zagan était d’accord, des nuages sombres enveloppaient son cœur.

Un anniversaire… Mais avec le temps qu’il lui reste…

Confronté à l’impérieuse nécessité de résoudre le problème de Nephteros avant leur anniversaire, Zagan avait ressenti de manière inhabituelle quelque chose proche de l’anxiété. C’était le point de départ d’un incident en approche.

***

Chapitre 1 : L’anniversaire de ma fiancée est bien plus important que le sort du monde

Partie 1

« Regarde ça, mon frère ! J’ai appris à flotter ! »

Plusieurs heures après avoir reçu l’information choquante sur l’anniversaire de Néphy et avoir pris le petit déjeuner, une voix joyeuse résonna dans la salle du trône. Seuls Zagan, Kimaris — qui résumait les rapports pour lui à ses côtés — et un jeune garçon faisant du bruit devant eux, Furcas, se trouvaient actuellement dans la pièce.

Je veux préparer l’anniversaire de Néphy en secret et lui faire une surprise.

C’était la raison pour laquelle Zagan avait gardé le silence à ce sujet alors qu’il tentait de commencer les préparatifs, mais ses devoirs normaux ne cessaient de surgir et de s’interposer. Dans ce cas précis, il avait des demandes et des rapports de ses subordonnés, ainsi que du garçon en face de lui.

Le garçon qui s’agitait, flottant à quelques centimètres du sol, semblait avoir un peu moins de quinze ans. Il portait une chemise et un pantalon de chanvre ainsi qu’un pardessus usé. Sa tenue était complètement déplacée dans le château d’un Archidémon. En fait, il ne ressemblait guère plus qu’à un garçon parfaitement normal. Malheureusement, il était en fait l’un des sorciers à qui l’on avait confié le titre d’Archidémon. Pour preuve, le sceau de l’Archidémon brillait sur sa main droite.

« Je vois. Tant mieux pour toi, » dit Zagan en hochant la tête, ne sachant pas exactement comment se sentir dans cette situation.

« C’est ça ! C’est grâce à toi qui me l’a appris, mon frère ! »

Cela faisait trois jours qu’ils avaient sauvé ce garçon d’un certain cauchemar. Furcas y avait perdu ses souvenirs, et ils ne montraient aucun signe de résurgence. Cela dit, il possédait toujours l’Emblème de l’Archidémon, ce qui signifie qu’il possédait plus de mana que n’importe quel sorcier ordinaire. S’il retrouvait la mémoire, il était fort probable qu’il devienne un ennemi. Mais même si ce n’était pas le cas, il y avait des tonnes de raisons pour que les autres Archidémons et sorciers le manipulent.

J’ai l’impression que ce serait plus rapide de l’achever…

C’est ce que pensait Zagan, mais pour une raison ou une autre, le garçon s’était attaché à lui au point de l’appeler constamment « frère ». S’il était un canus, Furcas remuerait probablement la queue. En le voyant comme ça, l’envie de Zagan de le tuer s’était évanouie.

Furcas était donc désormais sous sa protection. À la condition qu’il reste confiné dans le château — qu’il n’en sorte qu’accompagné de Zagan, Kimaris ou autre —, il avait même reçu une formation en sorcellerie simple.

Honnêtement, même s’il n’avait aucun souvenir, son corps s’en souvenait probablement. Il apprenait à une vitesse terrifiante.

« Je n’en attendais pas moins de vous, Sire Furcas, » déclara Kimaris avec un sourire agréable. « Je ne connais personne d’autre qui ait maîtrisé la sorcellerie aussi rapidement. »

Malgré sa voix douce, Kimaris possédait un corps énorme. Il possédait un physique ferme, un visage de lion et une splendide crinière. Debout, à quelques pas du trône, il était assez imposant, mais Furcas n’en avait cure. Il avait simplement exprimé un pur plaisir.

« Merci, Kimry ! Tu as un visage effrayant, mais tu es en fait un gars très gentil ! »

« C’est normal dans ce château, » répondit Kimaris.

Eh bien, même sans souvenirs, ce garçon était toujours un Archidémon. Peut-être qu’il avait juste des nerfs d’acier.

Ce serait bien mieux s’il avait envie de vivre comme un civil normal… Avec cette pensée en tête, Zagan s’adressa au garçon.

« Réponds-moi, Furcas. Pourquoi veux-tu apprendre la sorcellerie ? J’espère que tu es conscient qu’elle n’est pas particulièrement utile si tu souhaites vivre une vie ordinaire. »

Zagan ne voulait pas donner au garçon une stimulation inutile. Si Furcas devait passer le reste de sa vie naturelle à vivre normalement, Zagan était prêt à s’occuper de lui.

Furcas l’avait regardé en clignant des yeux, confus, avant de répondre : « Hein ? Je sais déjà que je ne peux pas protéger Lilith si je ne deviens pas plus fort. »

« Juste pour que tu le saches, Lilith est aussi sous ma protection. Tant que ce sera le cas, elle ne sera pas exposée au danger. »

De façon inattendue, Furcas lança un regard d’exaspération à Zagan.

« Tu ne comprends pas, mon frère. Lilith est sûre de continuer à faire de son mieux pour t’aider, hein ? Je sais mieux que quiconque à quel point elle est une fille formidable. C’est pourquoi je dois devenir plus fort pour la protéger et la soutenir. »

Comment un type aussi sérieux et droit est-il devenu un fichu Archidémon ? pensa Zagan en se berçant la tête. Il croyait que Furcas avait dévié du droit chemin dans la vie à cause d’Alshiera, mais il n’avait pas la moindre idée de comment.

« J’ai peur de ce qui se passera au retour de Mlle Gremory…, » Kimaris murmura avec une certaine gravité.

« N’en parle pas, Kimaris. Tu me fais mal à la tête. »

La grand-mère était actuellement en voyage d’affaires, mais il était temps qu’elle revienne. Il était clair comme le jour que si elle voyait Furcas et Lilith maintenant, elle se mettrait à les suivre partout et à danser de joie. Rien de bon n’en sortirait. Furcas ne l’avait jamais rencontrée, aussi restait-il dans la confusion. Voyant cela, Zagan secoua la tête pour se ressaisir.

« Uhhh… Alors ? Comment est la vie ici ? Crois-tu que tu vas t’en sortir ? » demande-t-il.

Actuellement, Furcas n’était guère plus qu’un civil ordinaire. De ce fait, Zagan devait le considérer au même titre que Lilith et Selphy.

« Ouais ! » Furcas répondit en souriant. « Tout le monde est si gentil ! Rien ne me dérange vraiment ! Je pense que la seule chose qui vaille la peine d’être mentionnée, c’est le fait que Lilith m’évite un peu, et que son amie sirène continue de me regarder avec des yeux super froids. »

Les yeux de Zagan s’écarquillèrent à cette nouvelle totalement inattendue.

Hein ? Par sirène, il veut dire Selphy ? Pourquoi est-ce qu’elle le regarderait fixement ?

Kuroka — qui était actuellement loin pour affaires — Selphy, et Lilith étaient des amies d’enfance de Liucaon. Toutes trois d’espèces rares, elles s’entendaient bien au sein du château. Contrairement à la succube Lilith, qui était toujours remplie de soucis, la sirène Selphy était toujours si optimiste qu’elle ne parvenait presque jamais à lire l’atmosphère, même si elle parvenait souvent à remonter le moral de tous ceux qui l’entouraient. Zagan ne pouvait même pas l’imaginer agir froidement envers qui que ce soit.

Furcas ne semblait pas du tout s’interroger. Au lieu de cela, il prit simplement une expression joyeuse et irréfléchie lorsqu’il haussa soudainement le ton de sa voix.

« Qu’est-ce qui se passe maintenant… ? » demanda Zagan.

« Oh, je me demandais juste… Contre quoi te bats-tu ? Je ne sais même pas ce qu’était le monstre de la dernière fois. »

Maintenant qu’il y pense, Zagan réalisa qu’il ne lui avait rien expliqué.

J’imagine que Bifrons ou autres finiront par le manipuler si je me tais.

Il n’aimait pas avoir à le faire, mais Zagan savait qu’il valait mieux informer correctement Furcas des détails.

« Mon ennemi actuel est un sorcier nommé Shere Khan, » commença Zagan d’un ton irrité. « C’est un Archidémon, tout comme moi. Nous nous sommes affrontés au cours des derniers mois. »

Cela dit, Shere Khan n’avait fait aucun mouvement au cours du mois dernier. Au vu des rapports qu’il avait reçus de Shax et de ses autres subordonnés, Zagan pensait que l’Archidémon avait décidé de se concentrer sur le renforcement de sa force, donc Shere Khan allait probablement faire le prochain mouvement bientôt. C’était juste une question de temps.

Kimaris se taisait, une expression compliquée sur le visage. Son destin était aussi lié à celui de Shere Khan.

« Un Archidémon ? » demanda Furcas en frissonnant. « Il y a d’autres personnes comme toi ? »

Tu en es aussi un…

Zagan voulait déjà confisquer l’Emblème de l’Archidémon du garçon, mais malheureusement, c’était un système terrifiant et complexe qui employait le Célestian. Le rituel d’usurpation de propriété nécessitait le consentement de douze Archidémons, ce qui signifiait que chaque Archidémon autre que celui qui était volé devait être d’accord.

Il était bien plus rapide de tuer le propriétaire et de voler le sceau de l’Archidémon que de se donner la peine d’invoquer un tel rituel, aussi cela n’avait-il jamais été fait. Il était apparemment possible de faire en sorte que le propriétaire transfère volontairement le sceau à quelqu’un d’autre, mais avec Furcas dans son état actuel, cela s’avérait difficile. Dans ces conditions, Zagan décida de le garder à portée de main. Furcas ne pouvait pas comprendre tout cela.

« Alors, qu’est-ce que ce Shere Khan t’a fait ? » demanda Furcas.

« Il y a beaucoup de choses… D’abord, il a détruit la ville natale de Kuroka. Tu ne l’as pas rencontrée, mais c’est la fille de Raphaël. Il essaie aussi de tuer Alshiera. Oh, et il y a aussi l’affaire de Kimaris… En bref, il a causé un tort indescriptible à mes subordonnés. »

Après avoir énuméré toutes les raisons à voix haute, la rage commença à monter en Zagan, et sa voix devint involontairement rauque. Surpris par cette situation, Furcas déglutit.

« Donc, c’est un monstre… »

Les sorciers étaient fondamentalement des monstres, mais Zagan pensait qu’il n’avait pas besoin de faire appel à ce niveau de bon sens.

« Eh bien, tous ces actes me donnent une raison suffisante pour le tuer, mais il y a autre chose qu’il a fait et qui est impardonnable, » ajouta Zagan en secouant la tête.

« Il y a plus !? Quelle est la chose terrifiante qu’il a faite ? »

Zagan pointa un doigt vers le garçon tremblant et déclara avec résolution : « Ce salaud a osé interrompre mon rendez-vous avec Néphy. »

L’autre jour, les choses s’étaient enfin calmées au point de permettre à Néphy et lui de sortir ensemble, mais on les en avait empêchés. C’était déjà assez grave que le simple fait de tuer Shere Khan soit considéré comme une demi-mesure aux yeux de Zagan. Il s’agissait d’un ressentiment totalement injustifié de sa part, à la limite du complexe de persécution, mais il ne doutait pas une seule minute que tout était de la faute de Shere Khan.

« Hein… ? Votre rendez-vous ? » dit Furcas, totalement étonné. « Tu veux dire quand les amoureux sortent ensemble… non ? »

« Précisément. »

Furcas jeta un coup d’œil à Kimaris pour demander de l’aide, mais le talentueux bras droit de Zagan lui renvoya un regard nonchalant, comme pour lui dire que cela n’avait rien d’extraordinaire.

« Est-ce vraiment plus important que tes subordonnés ? » demanda Furcas, incrédule.

Il avait un très bon argument, mais Zagan fit une déclaration contraire avec toute la majesté d’un Archidémon.

« Crois-tu qu’un dévouement aussi minime soit une manière suffisante de montrer son amour ? »

Furcas se serra la poitrine et se pencha en arrière comme s’il était frappé par la foudre.

 

 

« T-Tu as raison. Si quelqu’un devait rendre Lilith triste, je le combattrais jusqu’à la mort. Je suis un tel idiot… »

Le garçon tomba à genoux en se réprimandant, ce qui fit sourire Zagan tel un père affectueux.

« Ne t’inquiète pas. L’ignorance n’est pas un crime. Cependant, rester ignorant l’est, donc tu dois étudier. As-tu compris ? »

« Hnnngh ! Je vais faire de mon mieux ! »

Sans pouvoir savoir que c’était, en fait, le moment où il commençait à s’écarter du droit chemin, Furcas étouffa ses larmes les plus sincères. Il s’essuya ensuite le visage et se leva.

« Donc après s’être occupé de ce Shere Khan, tout sera réglé !? Je vais tout donner ! » s’exclame-t-il.

« Oui… Tu peux… Bien. Va rester aux côtés de Lilith. Protège-la. »

« Laisse-moi faire ! »

Zagan ne voulait pas que le garçon fasse quelque chose d’inutile et se mette en travers du chemin, c’est pourquoi il lui avait donné cet ordre tout en détournant son regard.

Désolé, Lilith, je te donnerai une sorte de récompense plus tard.

Il se sentait un peu coupable de lui imposer une telle nuisance. À côté de lui, Kimaris semblait imaginer le chaos qui s’ensuivrait au retour de Gremory, en se serrant le ventre de douleur.

***

Partie 2

« Alors ce monstre était-il aussi un des sous-fifres de Shere Khan ? » demanda Furcas en levant la tête.

« Non… D’une certaine manière, on pourrait dire qu’il est responsable, mais c’est une question distincte. S’il était laissé en liberté, le monde entier risquait d’être détruit, sans parler de mon environnement immédiat. C’est pourquoi je m’en suis occupé. »

Zagan avait fini par la croiser, alors il n’avait pas eu d’autre choix que de faire quelque chose. Honnêtement, il n’avait été repoussé que de l’autre côté de la barrière d’Alshiera, et ce uniquement grâce à Lilith et aux autres personnes présentes. Tout ce que Zagan avait fait était de gagner du temps. Il n’avait vraiment pas le droit de prétendre qu’il s’en était occupé. Kimaris n’avait pas été présent à ce moment-là, donc cela avait également semblé attirer son attention. Il dirigea un regard acéré vers Zagan, mais ce dernier ne lui répondit pas.

Des choses qui ne doivent pas être comprises. Des choses dont on ne doit pas parler…

Ce monde était comme un rêve pour cette chose. Elle pouvait le voir de temps en temps, mais tout était vague. Même quand elle essayait de saisir le monde, il semblait que tout lui glissait entre les doigts. C’est ainsi que le monde était protégé de lui. Telle était la vraie nature de la barrière qui devait utiliser une personne aussi puissante qu’Alshiera comme sacrifice humain pour se maintenir.

Si cette chose se rendait compte qu’elle était dans un rêve, si elle commençait à rêver de manière lucide et évoluait jusqu’à un stade où elle pouvait se déplacer à sa guise, le monde serait immédiatement détruit. C’est pourquoi il était interdit à quiconque de faire des recherches sur elle et c’est la raison pour laquelle il était tabou de prononcer son nom.

Lorsque Zagan et Néphy s’étaient rencontrés à l’intérieur de ce rêve, il avait suffi de réaliser que c’était en fait un rêve pour qu’ils se mettent à rêver avec lucidité. Maintenant qu’il comprenait à moitié tout cela, Zagan devait faire l’effort de ne pas y penser plus qu’il ne l’avait déjà fait, du moins, jusqu’à ce qu’il trouve un moyen d’y faire face.

Zagan secoua la tête pour mettre de côté de telles pensées tandis que le jeune garçon regardait le plafond avec des yeux plissés.

« Tu es vraiment incroyable, mon frère. Ça ne veut-il pas dire que tu as protégé le monde ? »

« Hein ? Non, ce n’est pas vraiment comme ça que ça s’est passé… »

En fait, il avait plutôt pensé à détruire le monde qu’à le protéger, tout comme lorsqu’il avait pensé qu’un parasite s’était attaché à Foll.

Bref, est-ce que ce type va vraiment bien ? Pourquoi est-il si ému ?

C’était à Furcas d’interpréter les choses comme il l’entendait, mais Zagan avait l’impression de tromper le garçon, puisqu’il prenait tout sous un angle très positif. Cela le rendait quelque peu agité. Dans le pire des cas, il serait troublant que Furcas se rende compte que tout cela n’était qu’un malentendu et qu’il le trahisse par rancune injustifiée, alors peut-être était-ce une bonne idée de lui donner un avertissement maintenant.

Zagan se racla la gorge, puis il déclara : « Je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu t’énerves, mais réfléchis au moins toi-même à ce qui est bien ou mal. Je ne me crois pas vertueux. Si je te mettais en balance avec Néphy ou Foll, je te rejetterais sans hésiter. »

« Mais n’as-tu pas failli mourir pour sauver Lilith et moi ? » demanda Furcas en clignant des yeux.

« Euh, non, tu ne m’écoutes pas… »

Les vies de Néphy et de Foll n’étaient pas en jeu, et il estimait qu’il aurait été honteux de retourner auprès de Néphy sans rien faire. Ses raisons avaient toutes été égoïstes. Néanmoins, Furcas sourit comme si tout était clair maintenant.

« Si jamais tu m’abandonnes, cela signifie que c’est à mon tour de te sauver ! » s’était-il exclamé.

Zagan resta abasourdi par son regard innocent.

Bon sang, ce type est sans espoir. Il n’est décidément pas fait pour être sorcier. Il me rappelle… Oui, lui. Il ressemble à l’Archange en chef Ginias II, le type avec qui je me suis disputé dans la ville sainte. Je devrais peut-être parler à Stella pour que Furcas travaille là-bas…

Avec l’aide de Stella, ils pourraient faire abstraction du fait qu’il était un sorcier. On pouvait dire la même chose de Chastille et de sa faction d’unification, mais ils avaient une position difficile dans l’Église, donc un ex-Archidémon pourrait causer des problèmes majeurs dans leurs rangs. Il restait le problème de l’Emblème de l’Archidémon, mais peut-être était-ce une bonne idée de contacter Stella à ce sujet quand il en aurait le temps.

Zagan se gratta la tête en pensant à de telles choses. Kimaris, lui, laissa échapper un rire amusé.

« Ha ha ha. Vous devriez vraiment essayer d’être plus conscient de la façon dont les autres vous perçoivent, mon seigneur. »

« Hmph… Quelle impolitesse, » dit Zagan avec un soupir avant de se tourner vers Furcas. « Peu importe. Plus important encore, je dois t’avertir. Je ne pense pas qu’il apparaîtra devant toi, mais si jamais tu rencontres un sorcier nommé Bifrons, bouche-toi les oreilles, essaie de ne rien regarder et fuis. »

« Bifrons… ? Un autre de tes ennemis ? »

« Oui. Bifrons ressemble à un petit morveux, mais c’est en fait un Archidémon avec trois décennies d’expérience à son actif. Son passe-temps est de regarder les autres souffrir. Je dirais qu’il est expert pour compliquer les choses, donc il vaut mieux mourir que de s’impliquer avec ce sorcier. »

Cet Archidémon était à peu près la seule personne dont Zagan parlait avec autant de haine, peut-être en partie à cause de son échec à l’achever.

Non pas que je pense que Bifrons s’intéressera à Furcas tel qu’il est maintenant…

Bifrons semblait bien plus heureux à l’idée que les gens luttent pour leur survie dans le chaos qu’il a semé, afin de satisfaire ses désirs tout en étant une nuisance majeure pour tout le monde.

Sans aucun souvenir, et avec la puissance d’un Archidémon, Furcas pouvait peut-être être considéré comme un jouet légèrement intéressant, mais sa nature était bien plus proche d’un civil comme Lilith. C’était peut-être un comportement particulier pour un Archidémon, mais il ne possédait plus aucun facteur qui ravissait Bifrons. Même si Bifrons essayait de l’utiliser, Furcas ne parviendrait pas à retenir l’attention de l’Archidémon. Et dans le cas où Furcas serait impliqué, Bifrons ne deviendrait pas obsédé par lui comme avec Nephteros.

Dans ce sens, Bifrons est probablement déjà obsédé par Aristella…

Elle était la fille pitoyable qui était devenue la médium d’Azazel, et Bifrons avait vraiment essayé de la sauver. De leur point de vue, récupérer son cadavre aurait dû suffire, mais Bifrons avait fait bien plus que cela. Zagan n’était pas sûr qu’elle soit encore en vie, mais il espérait qu’elle ne soit pas impliquée dans quelque chose d’étrange.

Je n’ai après tout pas réussi à la sauver à l’époque.

Il se sentait au moins obligé de la sauver la prochaine fois, si l’occasion se présentait. Les pensées de Zagan s’arrêtèrent net lorsqu’il remarqua que Furcas était devenu complètement pâle.

« Il n’y a pas de raison d’avoir peur. Je dis juste que de tels bâtards existent, » dit Zagan.

« Mais… tu ne penses pas que ce Bifrons sera intéressé par Lilith ? C’est une fille tellement charmante. »

« Oh… Hmm… Eh bien, Bifrons est obsédé par quelqu’un d’autre en ce moment, donc c’est probablement bon. »

C’est ce que Zagan déclara, mais une autre idée lui était venue à l’esprit.

Cela fait plusieurs mois que Bifrons et Shere Khan ont fait équipe, ce qui signifie…

Il était temps pour eux de briser la malédiction du Phosphore Céleste que Zagan avait lancée sur Bifrons. Ça aurait tenu un peu plus longtemps si Bifrons avait été seul, mais il était hors de question qu’il aide Shere Khan par charité. On pouvait supposer que briser le Phosphore du Ciel était la condition pour qu’il offre son aide à Shere Khan, et une coopération entre deux Archidémons ne durait jamais longtemps.

Je suppose que je devrais vraiment le dire à Nephteros…

Cette fille était actuellement accablée par un problème majeur. De plus, il y avait la question de son anniversaire, ce qui signifiait que le problème devait être résolu avant.

L’impatience de Zagan semblait se faire sentir. Furcas fit un seul pas en arrière pour partir, mais il releva presque immédiatement le visage en pensant à quelque chose.

« Ah oui ! Puis-je te demander une dernière chose ? »

« Quoi ? »

« Ces Archidémons dont tu parles sont des personnes importantes, non ? Alors… qui est ce Roi aux yeux d’argent dont Alsh — je veux dire, Mlle Alshiera — parle ? »

Même sans ses souvenirs, quelque chose semblait rester en Furcas. Au moment où il avait prononcé le nom d’Alshiera, son expression était devenue quelque peu apathique.

Le Roi aux yeux d’argent… Zagan avait instinctivement détourné son regard à cette idée.

« C’est le nom d’un héros d’un pays appelé Liucaon, » répondit-il. « Si tu souhaites en savoir plus, va jeter un coup d’œil à mes archives. J’ai une collection de livres décrivant ses légendes. »

Zagan savait maintenant que cette légende était son père. Cependant, il n’avait pas réussi à rassembler des informations significatives sur lui. Au moins, deux personnes avaient porté ce nom. S’il s’agissait de la première et de la deuxième génération, cela ferait de Zagan la troisième génération du Roi aux yeux d’argent. Et dans ce cas, il serait approprié de considérer la deuxième génération comme son père, mais il n’y avait pratiquement aucun indice permettant de savoir s’il avait été le héros de Liucaon ou quelqu’un d’autre. Il n’était même pas clair à quelle époque il avait vécu.

De plus, Zagan avait mis en doute l’exactitude des légendes de Liucaon. Aucune d’entre elles ne mentionnait les séraphins, Azazel, le Seigneur-Démon, ou même Alshiera. Le seul nom qui avait un lien avec le présent était celui du père de Foll, Orobas. Soit toutes les informations importantes avaient été intentionnellement dissimulées, soit tout avait été transformé en œuvre littéraire. Même si les choses avaient été conformes à la réalité au début, il était très probable que l’histoire se soit déformée avec le temps. Zagan avait commandé tous les livres relatifs aux légendes de Liucaon, mais aucun ne contenait les informations qu’il souhaitait.

« Alors tu lis d’autres livres que des grimoires, hein ? » dit Furcas avec un air surpris.

« Bien sûr que oui. Ceux qui n’apprennent pas de l’histoire sont condamnés à la répéter. »

Zagan était un roi. Tant qu’il régnerait sur les autres, il apprendrait tout ce qu’il devait apprendre. De nombreux livres de Liucaon documentaient les connaissances de stratèges militaires et d’autres personnes de grande sagesse. De tels livres ne se trouvaient pas normalement sur le continent, où toute la littérature en circulation était gérée par l’Église, il y avait donc un intérêt à les lire, même sans tenir compte de sa recherche d’informations sur le Roi aux yeux d’argent.

Furcas hocha la tête en signe d’admiration, puis il l’inclina soudainement et il demanda : « Alors… ça veut dire que tu es de Liucaon ? »

« Qui sait ? Je ramassais des ordures à Kianoides quand j’ai pris conscience de mon environnement. Je ne sais rien de mon lieu de naissance, et je n’ai aucun intérêt pour la question. »

Zagan avait enquêté sur cette question simplement parce qu’il était probable qu’elle devienne une obstruction inutile à l’avenir. Même s’il identifiait son père, il ne pensait pas que cela le toucherait de manière significative.

Mais qui était cette personne que j’ai vue à la fin à l’intérieur de la barrière d’Alshiera… ?

Zagan était certain de ce qu’il avait vu à la fin du rêve, au moment où il était chassé de la barrière. Il y avait trois personnes qui se tenaient là : Alshiera, qui donnait une impression différente de ce qu’elle était maintenant, son vieil ami Marc, qui était le pape de l’Église jusqu’à il y a cinq ans, et enfin, un jeune homme aux yeux d’argent.

Un titre pompeux comme celui de Roi aux yeux d’argent ne convenait pas du tout au jeune homme. De plus, même si les yeux argentés étaient rares, ils n’étaient pas totalement inconnus. Fouiller une ville entière aurait probablement permis de trouver une ou deux personnes qui en étaient dotées. Néanmoins, Zagan avait une idée de l’identité de ce jeune homme.

Si je ne m’abuse, c’était la deuxième génération…

Cependant, il ne pouvait pas se fier à l’apparence des personnes avec lesquelles Zagan l’avait vu, donc il n’avait aucun moyen d’en être sûr. Il soupira à cette pensée.

« Désolé. Je n’aurais pas dû demander, non ? » dit Furcas, reculant devant le ton quelque peu direct de Zagan.

« Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, » répondit Zagan en se levant. « J’ai des affaires à régler en ville. Va te consacrer à tes études. »

« Bien ! »

Le garçon qui était autrefois un Archidémon agita la main innocemment en sortant de la salle du trône.

Au moment où Zagan s’apprêtait à partir lui aussi, il trouva un visiteur inattendu qui l’attendait.

« Monsieur Zagan, je peux vous déranger une seconde ? »

C’était une sirène qui semblait ruminer profondément quelque chose.

***

Partie 3

Au même moment, Néphy rangeait la cuisine après le petit déjeuner. Ces derniers temps, les sorciers du château prenaient des repas plus réguliers, alors tout ranger prenait beaucoup de temps. Cela dit, tout le monde mangeait toujours absolument tout ce qu’il y avait dans son assiette, il n’y avait donc jamais besoin de s’occuper des restes.

Néphy avait attaché ses cheveux blancs en un chignon pour qu’ils ne gênent pas le nettoyage. C’était quelque chose que Lilith avait fait pour elle assez souvent ces derniers temps. Elle portait sa robe ultramarine habituelle, son tablier blanc et ses bottes bénies par la sorcellerie. Avec elle dans la cuisine, il y avait Raphaël, Foll, Lilith et Alshiera.

« Oh ? Où est Selphy ? » Néphy demanda à tout le monde en réalisant que quelqu’un manquait.

« Elle a dit qu’elle devait voir Zagan, » répondit Foll.

La petite fille avait des cheveux verts, de la couleur de l’herbe du printemps, à travers lesquels dépassaient deux cornes. Ses yeux ambrés avaient pour pupilles des fentes verticales. Pour être plus précis, c’était une jeune dragonne, pas une petite fille. Elle portait sa robe indigène préférée avec les manches retroussées et un tablier semblable à celui de Néphy pour laver la vaisselle. Elle était la précieuse fille de Néphy et Zagan.

Cette fille était en fait l’un des sorciers les plus talentueux du château, probablement du monde entier. Elle pouvait nettoyer toute la vaisselle en quelques secondes seulement si elle utilisait la sorcellerie, mais elle le faisait rarement. Des moments comme ceux-ci, où elle pouvait discuter et rire avec tout le monde, étaient précieux pour elle. C’est pourquoi Néphy nettoyait aussi comme tout le monde sans avoir recours à la sorcellerie.

« Comme c’est inhabituel, » dit Néphy en hochant la tête. « Je me demande… a-t-elle quelque chose à lui demander ? »

« Oui… c’est probablement le cas, » répondit Lilith docilement. « Il semble que quelque chose la préoccupe ces derniers temps. »

Elle avait des cornes tordues surgissant de ses cheveux écarlates, des ailes comme celles d’une chauve-souris sortant de son dos, et une queue longue et étroite. C’était une charmante succube aux yeux dorés semblables à la lune. Lilith était une personne normale, totalement incapable d’utiliser la sorcellerie, dans un château de sorciers, mais elle n’était pas non plus impuissante. Après l’incident de l’autre jour, on pouvait dire qu’elle était en un sens la personne qui devait être la plus protégée.

« Habituellement, elle vient me voir dès que quelque chose la dérange…, » murmura-t-elle, avec une expression sombre planant sur elle en raison de la position compliquée dans laquelle elle se trouvait maintenant.

Néphy lui retourna un sourire ambigu.

Donc même Selphy a des choses qui l’inquiètent…

Cette fille passait son temps dans le château d’un Archidémon avec un optimisme total, sans jamais montrer la moindre timidité. Néphy ne pouvait même pas l’imaginer s’inquiéter de quoi que ce soit. Pourtant, Selphy était en fait un génie dans un seul domaine. On dit que les gens normaux ne peuvent pas comprendre les préoccupations d’un génie. Les inquiétudes de Selphy auraient pu être incompréhensibles pour elle.

« Y a-t-il quelque chose qui inquiète vraiment les filles ? »

Néphy avait sagement senti qu’elle devait garder ses pensées pour elle, mais le majordome Raphaël avait impitoyablement dit ce qu’il pensait. Il était assez grand pour qu’elle doive lever les yeux vers lui. Malgré le fait qu’il approchait de la cinquantaine, sa colonne vertébrale était parfaitement droite. Son bras gauche blindé était artificiel, mais son bras droit non blindé était toujours aussi épais. Son langage bourru pouvait le rendre difficile à comprendre, mais il était en fait sans défaut lorsqu’il s’agissait de cuisiner et de nettoyer. Le vieux monsieur était un ancien Archange. Son épée sacrée était actuellement stockée dans son bras artificiel. Zagan faisait confiance à Kimaris et Gremory en tant que sorcier, mais il accordait une confiance inégalée à Raphaël, son bras droit.

Les yeux de Lilith s’étaient élargis de façon inattendue en entendant les mots du majordome.

« En fait, elle s’inquiète un peu, vous savez ? En général, c’est pour des choses relativement insignifiantes, mais… »

« Comme quoi ? » demande Raphaël.

« Argh…, » Lilith gémit en fronçant les sourcils. « Hum… Il y a ces insectes appelés fourmis, non ? Elles emportent parfois des petits morceaux de dessert, alors elle s’est demandé ce qu’elles en font, puisque ça ne peut certainement pas être réparti entre toutes… Et comment, si elle était une fourmi, elle quitterait la colonie si elle n’avait pas une portion à chaque fois... Et puis elle se demandait comment les fourmis qui partent vivent en dehors de la colonie… »

« Comme c’est… philosophique. »

C’est la réponse que Raphaël avait trouvée après avoir désespérément essayé de lire l’atmosphère, à sa manière.

Un silence avait suivi.

Tous les regards avaient alors naturellement convergé vers Alshiera, qui était restée étrangement silencieuse pendant tout ce temps. Ou peut-être que plutôt que de rester silencieuse, c’était plutôt comme si son esprit était complètement ailleurs. Le fait qu’elle ait quand même réussi à nettoyer la vaisselle correctement était plutôt impressionnant.

Alshiera avait les mêmes yeux dorés que Lilith, ainsi que des cheveux dorés attachés en deux nattes, dont Néphy savait qu’elles cachaient ses cornes cassées. Sa peau était pâle et deux crocs perçaient ses lèvres minces. Elle était la vampire le plus fort du monde. L’effrayante peluche qu’elle portait toujours précieusement sur sa poitrine était maintenant placée sur une chaise juste à côté d’elle.

« Qu’en penses-tu, Alshiera ? » demanda Foll.

« Hein ? Oh, je n’écoutais pas. De quoi parliez-vous ? »

Alshiera avait repris ses esprits et avait incliné la tête alors que tous les autres échangeaient des regards.

« Hum, nous parlions du fait que Selphy semble agir bizarrement, » dit Néphy. « Es-tu au courant de quelque chose ? »

« Eh bien… C’est après tout une jeune fille qui grandit. Non pas que je comprenne vraiment… »

« Alshiera, s’est-il passé quelque chose ? » demanda Foll, en regardant fixement la vampire pendant tout ce temps.

« Non, hum… J’étais juste perdue dans mes pensées. »

« Si ça n’a rien à voir avec Selphy, alors est-ce à propos de ce qui s’est passé ce matin ? »

Tous les habitants du château savaient que Zagan avait fait du grabuge aux premières heures du jour. Ça devait être assez important, vu qu’il avait percé la barrière autour de la salle du trône.

« Le Roi aux yeux d’argent est aussi un garçon en pleine croissance, » répondit Alshiera en détournant discrètement son regard.

« Que s’est-il passé ? Tu as écouté à travers la barrière, n’est-ce pas ? » demanda Foll, se rapprochant soudainement et faisant plier Alshiera en arrière.

« Pourrais-tu ne pas parler de moi comme si j’étais si irrespectueuse ? »

« Mais tu as écouté leur conversation. »

Alshiera n’avait pas répondu et avait gardé le silence. Apparemment, elle avait vraiment écouté aux portes.

Néphy croisa les bras et tomba dans une profonde réflexion.

J’hésite à fouiller dans ses secrets, mais ça semble impliquer Maître Zagan.

Chaque fois que cette fille se taisait ainsi, c’était en rapport avec son devoir — c’est-à-dire en rapport avec la grande existence qui menaçait le monde entier — et sinon, c’était en rapport avec Zagan. En repensant aux circonstances récentes, Néphy était arrivée à une certaine conclusion.

« Je crois que Maître Zagan parlait à ma mère à ce moment-là. »

« Quelque chose dont Zagan et Grand-mère parlaient en secret… Alors est-ce à propos de toi, Néphy ? » ajouta Foll.

« Peut-être, mais dans ce cas, Dame Alshiera ne réagirait pas de la sorte. »

« Pourriez-vous, les filles, arrêter de lire autant dans une seule expression… ? » se plaignit Alshiera. Néphy était maintenant certaine d’être sur la bonne voie.

« Néphy, penses-tu à quelque chose ? » demanda Foll en levant les yeux vers elle tout en lavant un plat.

« Voyons voir… La seule chose qui me vient à l’esprit est que cela fait presque un an que j’ai rencontré Maître Zagan. »

Personne n’avait négligé le fait qu’Alshiera avait de nouveau détourné son regard.

« On dirait que nous sommes proches du cœur du problème, » fit remarquer Néphy.

« Hm ? » murmura soudainement Lilith avec un regard curieux.

« Quelque chose ne va pas, Lilith ? »

« Je veux dire, cela fait environ un an que tu as rencontré Son Altesse, non ? »

« Oui. »

« Je me demandais juste quand était son anniversaire… »

Néphy avait clairement vu Alshiera tressaillir sur place en entendant cela.

« Je vois… »

L’elfe afficha un doux sourire, puis recula comme si elle glissait sur le sol et referma silencieusement la porte de la cuisine.

« Pourquoi fermes-tu la porte ? » demanda Alshiera.

Ce n’était pas comme si cela pouvait réellement empêcher Alshiera de partir. La vampire était sur le point de se transformer en une nuée de chauves-souris, mais Foll lui avait fermement agrippé les épaules et l’avait arrêtée. Enfin, Raphaël dégaina son épée sacrée comme s’il voulait soudainement la polir, puis la planta dans le sol. D’après ce que Néphy apprendra plus tard, il s’agissait apparemment d’une barrière anti-morts-vivants que seuls les Archanges pouvaient utiliser.

Néphy était prête à déchaîner le mysticisme céleste à tout moment. Même le vampire le plus fort du monde ne pourrait pas facilement briser ce siège. Avec la tension soudaine dans la pièce, la seule non-combattante, Lilith, laissa échapper un cri silencieux, mais ce n’était qu’une banalité.

« C’est magistral, Lilith, » dit Néphy en tapant dans ses mains et en hochant la tête. « Nous ne l’aurions pas remarqué de nous-mêmes. »

« Augh… Uhhh… Vous avez tort. Je-je ne voulais pas… »

Après avoir fait l’éloge de la succube, qui tremblait violemment et avait les yeux pleins de larmes, Néphy et toutes les autres personnes présentes dans la pièce avaient entouré Alshiera.

« Et maintenant, si nous parlions un peu ? » demanda-t-elle au vampire.

« Je me sens soudainement un peu effrayée par vous, mais… »

Il est étrange de parler du teint d’un vampire, mais c’était comme si Alshiera avait pâli en fixant un trou dans le sol. Si elle avait été capable de transpirer, elle aurait eu une sueur froide coulant sur son visage.

Néphy pensait qu’elle comprenait au moins la nature d’Alshiera après avoir passé autant de temps avec elle, même si ce n’était pas dans la même mesure que Zagan. Si elle ne voulait vraiment pas parler, ou si elle ne pouvait pas, elle n’aurait pas réagi comme ça. Après tout, elle aurait pu facilement s’échapper avant d’être encerclée. Dans ce cas, Alshiera voulait vraiment le dire à tout le monde ou croyait qu’elle devait le faire.

Cela signifie-t-il qu’il lui est simplement difficile de le dire elle-même, je me le demande ?

Eh bien, tant qu’elle avait l’intention d’en parler, cela signifiait qu’elle avait juste besoin d’une petite poussée dans le dos pour se lancer. Néphy joignit ses mains devant sa poitrine en signe de supplication, puis sourit en inclinant légèrement la tête.

« Permettez-moi d’aller droit au but. Connaissez-vous la date exacte de l’anniversaire de Maître Zagan ? »

C’était plus une poussée du haut d’une falaise qu’une petite poussée dans le dos. Les yeux lunaires d’Alshiera tournaient en rond dans un mouvement de panique, mais après un court moment, elle abandonna finalement.

« Je veux bien vous le dire… mais j’ai une condition. »

« Bien sûr. Qu’est-ce que c’est ? »

« Ne soyez pas indiscrète et n’essayez pas de deviner pourquoi je le sais. C’est ma condition. »

C’était apparemment la raison pour laquelle elle n’avait pas parlé immédiatement.

 

 

Cela ne me dérange pas vraiment, tant que cela ne devient pas un obstacle pour Maître Zagan… pensa Néphy, puis échangea un regard avec les autres. Raphaël et Foll avaient vu son regard et lui avaient retourné un signe de tête. Lilith… Eh bien, elle semblait s’être évanouie lors de cette situation imprévisible, il était donc inutile de lui poser la question.

Après avoir confirmé cela, Néphy avait fait un signe de tête à Alshiera et avait dit, « Très bien. Je vous promets que nous ne serons pas indiscrets et que nous n’y penserons même pas. »

« Merci… » Alshiera marmonna en reprenant calmement sa respiration — non pas qu’elle respire vraiment ou quoi que ce soit — puis dit : « Le Roi aux yeux d’argent est né le 9 de Thalassa. »

« Le 9 de Thalassa… ? » répéta Néphy.

Ce n’est pas ce mois-ci ? Quel jour sommes-nous déjà… ?

Les yeux de Néphy s’étaient ouverts en grand et elle avait pratiquement crié : « C’est dans une semaine ! »

Si Alshiera ne les avait pas informés, elle l’aurait complètement manqué. Néphy était tellement secouée par ce fait que des mauvaises herbes avaient commencé à pousser entre les fissures des carreaux de pierre à ses pieds.

« Néphy, calme-toi. Les mauvaises herbes poussent, » dit Foll.

L’ignorant complètement, Néphy s’approcha de Lilith à pas vertigineux et incertains, puis la saisit par les épaules.

« Argh ! Qu-Qu-Qu-Qu’est-ce que c’est !? »

« Lilith ! Dis-moi s’il te plaît ! Qu’est-ce que tu fais pour fêter un anniversaire !? »

« H-H-H-Hein !? »

Lilith était complètement perplexe, tandis qu’Alshiera restait à bercer sa tête.

« Tu ne sais pas non plus… ? » murmura-t-elle à Néphy.

« Oh, non, je ne sais pas. J’ai entendu parler de telles festivités dans le village, mais ces jours-là, je n’étais jamais autorisée à sortir de la cave… »

Évidemment, Néphy n’avait aucun moyen de savoir quand était son propre anniversaire.

***

Partie 4

Hein ? Cela signifie-t-il que Maître Zagan et sa mère parlaient de…

Cependant, Néphy venait de promettre de ne pas être indiscrète ni même de penser aux détails. La conversation entre ces deux-là pouvait être considérée comme indiscrète, alors Néphy avait consciemment mis un terme à ces pensées. Pour cette raison, elle avait forcé un sourire, laissant tout le monde complètement abasourdi.

« Quelle vie difficile… ! » avait gémi Foll.

Cela avait également ramené Lilith à ses sens.

« Hmm, dans mon cas, j’ai généralement des vêtements, des accessoires et autres, » dit la succube. « Regardez, j’ai même reçu cette bague d’Alshiera quand j’ai eu 5 ans. »

Lilith leva la main, montrant un anneau d’or orné d’un écusson délicatement sculpté. En voyant cela, Néphy et Foll avaient retenu leur souffle.

« C’est incroyable…, » dit Néphy. « Même moi, j’en ressens une forte bénédiction dont on ne peut se mêler négligemment. »

Ça semblait plus proche du mysticisme que de la sorcellerie, non pas que Néphy puisse vraiment le dire. Elle ne savait pas ce que c’était spécifiquement, mais elle pouvait sentir une force en elle que même les esprits n’auraient pas osé défier.

« Alshiera. Si surprotectrice, » dit Foll avec étonnement.

« Une si vieille histoire n’a rien à voir avec le présent, n’est-ce pas ? »

Dix ans, c’est pratiquement hier pour un vampire, mais Néphy avait promis de ne pas être indiscrète, alors elle avait laissé faire.

« D’autres ont fêté mon anniversaire pour moi chaque année, mais je considère vraiment que c’est mon plus grand trésor, » ajouta Lilith.

« Comme c’est gentil. Maintenant que tu le dis, c’est quand ton anniversaire, Lilith ? » demanda Néphy.

« Moi ? Le trente et unième de Klimaka. »

« Oh là là… » Néphy s’était excusée. C’était le jour où ils s’étaient tous rendus à Atlastia. « Pardonne-moi de ne pas t’avoir félicitée à ce moment-là. »

« Hein ? Non, je veux dire, ce n’était pas vraiment le moment pour ça. D’ailleurs, mes parents ont fêté ça avec moi normalement, alors ne vous inquiétez pas pour ça. Et vous, Sire Raphaël ? »

Lilith avait jeté un regard suppliant au majordome. Il était, en fait, un autre non-sorcier de valeur dans ce château. Il aurait pu avoir de l’expérience dans la célébration des anniversaires, mais Raphaël semblait troublé par la question.

« Dans mon cas, mes subordonnés ont fait la fête avec moi à plusieurs reprises. Cela dit, il était courant que nous nous divertissions à la taverne, donc je ne pense pas être une référence appropriée, » dit Raphaël, puis il s’interrompit un peu et il hocha la tête en se souvenant soudainement de quelque chose. « Oh ! Mais j’ai déjà célébré l’anniversaire de quelqu’un d’autre. J’ai donné sa canne à Kuroka à une telle occasion. »

La cait sith Kuroka avait déjà perdu la vue par le passé. C’était déjà le cas lorsqu’elle avait rencontré Raphaël.

Je vois. Pas étonnant que Kuroka chérisse tant cette canne.

« Foll, et toi ? » demanda Raphaël.

« Moi ? Hmm… Oh. Le jour de ma naissance, mon père partait me chercher un festin. Des trucs comme des spectateurs et des salamandres. Ils étaient super savoureux. »

En voyant sa fille avec une étincelle inhabituelle dans les yeux, Néphy avait souri.

Oh, je suppose que « sortir et fêter » signifie « chasser » dans ce cas.

Même Néphy savait que les spectateurs et les salamandres étaient bien au-delà des moyens du sorcier moyen. Cela en disait long sur la véritable force d’un dragon.

Et à ce moment-là, Néphy avait été soudainement choquée.

Maintenant que j’y pense, je ne connais pas non plus l’anniversaire de Foll ! N’est-ce pas un échec majeur en tant que parent !?

« Hum… C’est quand ton anniversaire, Foll ? » C’est ce que Néphy lui demanda timidement.

Il semblait quelque peu honteux de poser cette question après tout ce temps, mais Néphy avait paniqué parce qu’elle ne connaissait pas l’anniversaire de Zagan. Ce n’était pas le moment de s’inquiéter d’une telle honte.

Foll avait un peu réfléchi, puis elle avait hoché la tête et avait dit, « Alors… Je suis d’accord pour le 6 de Didymo. »

Les yeux de Néphy et de Raphaël s’étaient agrandis à sa réponse.

« C’est le jour où je suis devenu le majordome de mon seigneur. »

« Mhm. Et le jour où Zagan et Néphy m’ont adoptée. »

« Es-tu vraiment d’accord avec ça ? » demanda Néphy, déconcertée. « Tu es née un autre jour, n’est-ce pas ? »

Foll avait secoué la tête comme si ce n’était pas grave, puis elle avait dit, « Je veux dire, je n’ai jamais compté sur un calendrier humain, donc je ne sais pas quand c’est vraiment. Donc oui, ce jour est parfait. »

C’est logique. Il était impossible qu’un dragon vive selon un calendrier humain. Son père, Orobas, avait probablement su exactement quel jour c’était, mais Foll n’y avait apparemment jamais vraiment réfléchi. Néphy s’accroupit pour croiser le regard de Foll et lui tapota la tête avec un sourire.

« Très bien. Alors, faisons une merveilleuse fête ce jour-là. »

« Hmm ! Ça a l’air sympa ! »

Néphy avait ensuite tourné son regard vers Raphaël.

« C’est quand ton anniversaire ? »

Il n’avait pas l’air de s’attendre à cette question. Raphaël avait eu l’air un peu étonné pendant un moment avant de répondre : « Le 21 de Kori. »

C’est à peu près à cette époque que Nephteros était entrée par hasard dans l’Église.

Les anniversaires… Pourquoi ne me suis-je pas posé la question avant ?

Néphy avait honte de sa propre ignorance pour avoir manqué des occasions si précieuses.

« Revenons au sujet, » dit Néphy, en retournant son regard vers Alshiera. « Savez-vous comment on fête les anniversaires, Dame Alshiera ? »

« Hein ? Moi ? Euh… » Alshiera s’interrompit. Son corps se raidit, puis elle porta sa main à son front comme pour retenir un mal de tête. « Hum, Alshiere Imera est devenue une fête nationale, et avant cela, il y a mille ans… Avons-nous fait quelque chose de spécial ? »

Néphy savait qu’Alshiere Imera était le même jour que l’anniversaire de cette fille, mais il s’avérait que faire chevaucher son anniversaire avec une journée de célébration nationale était un peu difficile. Selon Zagan, l’Église et les vampires étaient en opposition, donc tout cela semblait étrange.

Est-ce que cela a quelque chose à voir avec le fait qu’Alshiere Imera ressemble beaucoup à son propre nom, je me le demande ?

Il n’était pas possible que le jour saint de l’Église célèbre la vampire elle-même, n’est-ce pas… ? En tout cas, cette fille avait eu une vie bien plus dure que Néphy ou Zagan.

« Cependant, il y avait, en fait, quelque chose que je voulais faire pour célébrer pour quelqu’un… » chuchota Alshiera. « Euh… Quoi ? »

Néphy s’était enroulée autour du bras d’Alshiera, tandis que Foll saisissait l’autre.

« Alors, c’est décidé, » déclara Néphy.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Quoi que tu veuilles faire, on le fera pour Zagan, » répondit Foll. « Je veux dire, nous ne savons même pas comment célébrer les anniversaires. »

Un frisson parcourut Alshiera comme si elle était tombée la tête la première dans un piège.

« C’est différent de ce dont nous avons discuté ! » avait-elle protesté.

« Non, nous voulons simplement répondre à vos sentiments, Dame Alshiera. Nous n’avons ni prié ni deviné quoi que ce soit. »

Raphaël retira alors son tablier et le plia soigneusement avant de dire : « Hm. Si nous devons faire des préparatifs hors de la vue de mon seigneur, ne serait-il pas préférable de changer de lieu ? Nous avons déjà fini de nettoyer ici. »

Raphaël avait fini de ranger toute la vaisselle pendant que les autres avaient maîtrisé Alshiera. C’était le majordome de Zagan, le summum de l’efficacité.

« Merci beaucoup, Sire Raphaël. Bon, alors, on y va ? » dit Néphy.

« Où m’emmenez-vous ? » demanda Alshiera.

« Le Palais de l’Archidémon fera l’affaire. Zagan ne peut pas nous entendre là-bas, et je veux explorer. »

« Une merveilleuse suggestion, Foll. Invitons aussi Nephteros et Chastille. Je pense que Nephteros en particulier sera ravie de tout cela. »

Avec cela, une toute nouvelle calamité s’était abattue sur Alshiera.

De retour dans la salle du trône, sans aucun moyen d’être au courant de la catastrophe dans la cuisine, Zagan et Selphy se faisaient face. Au vu de l’atmosphère, Kimaris savait que ce n’était pas une affaire banale, il s’était donc excusé en disant qu’il avait du travail à faire.

Désormais seul dans la salle du trône, Zagan demanda à Selphy de fermer la porte et de s’asseoir. Le bas de son corps naturel était celui d’un poisson, mais elle se déplaçait normalement avec des jambes humaines. Bien qu’elle soit venue ici pour parler, elle était restée silencieuse et n’avait pas pris la parole.

Mrgh, j’aimerais déjà commencer à me préparer pour l’anniversaire de Néphy… Cependant, cette fille optimiste était venue demander des conseils à nul autre que Zagan. Il devait s’agir de quelque chose d’assez sérieux. Et en tant que roi, il ne pouvait pas simplement abandonner ses subordonnés.

Zagan attendit patiemment qu’elle prenne la parole, mais comme elle refusait de commencer, il essaya de lancer la conversation lui-même tout en s’abstenant d’agir de manière autoritaire du mieux qu’il le pouvait.

« Alors ? Que s’est-il passé ? »

« Ouais… À propos de ça… »

Zagan était prêt à la frapper si elle allait se plaindre des plats d’accompagnement du petit déjeuner, mais pour l’instant, cela semblait être une affaire bien plus sérieuse. Après un court instant, Selphy se ressaisit enfin.

« Je ne sais pas vraiment par où commencer… Ummm… Il y a ce type, Furcas, non ? »

Il fallait s’attendre à ce que ce nom apparaisse.

« C’est vrai. Je suppose que je devrais aussi te parler de lui. »

Après toute l’agitation qui s’était produite dans le cauchemar, Zagan avait informé Lilith de toute la situation, mais n’avait rien expliqué à Selphy. Cette fille était la meilleure amie de Lilith. Même si elle n’avait pas besoin de savoir, elle avait le droit de savoir.

« Laisse-moi commencer par te dire que tu ne dois pas en parler à qui que ce soit. Si tu le laisses échapper avec un “whoopsie” comme d’habitude, tu auras une punition appropriée. »

Il finit par la menacer, mais de manière inattendue, Selphy acquiesça, l’air complètement sérieux. Après avoir confirmé cela, Zagan était allé droit au but.

« C’est un Archidémon, tout comme moi. »

« Oh, vraiment ? »

Elle n’avait pas l’air intéressée du tout, ce qui avait laissé Zagan avec une grimace.

Uhhh… n’est-ce pas pour ça qu’elle est méfiante ? Alors pourquoi s’inquiète-t-elle pour Furcas ?

Il n’avait pas vraiment compris, mais il avait encore des choses à dire. Ainsi, Zagan se racla la gorge et continua.

« Eh bien, en fait, il est toujours un Archidémon, mais en raison de certaines circonstances, il a perdu ses souvenirs. Un Archidémon ignorant peut être manipulé d’innombrables façons, je ne peux donc pas simplement le jeter dehors. C’est pourquoi je m’occupe de lui. »

« N’est-ce pas un peu dangereux ? » demanda Selphy avec étonnement. Elle avait finalement reconnu un danger dans la présence de Furcas.

« Une préoccupation naturelle, » répondit Zagan avec un hochement de tête. « Nous ne savons pas quand ses souvenirs reviendront, et il y a de fortes chances qu’il devienne hostile s’ils reviennent. »

« Alors… pourquoi l’abritez-vous ? »

« Comme je l’ai dit, il y a un risque majeur à le jeter dehors. De plus, il était au bord de la mort quand il a perdu la mémoire, mais Lilith l’a sauvé. Tuer quelqu’un pour qui mon subordonné a risqué sa vie pour le sauver ne peut pas être fait à ma propre discrétion. Ce n’est pas l’acte d’un roi. »

Un dirigeant d’un si mauvais calibre serait encore pire qu’un tyran.

Eh bien, j’ai cependant fait des préparatifs pour m’occuper de lui si nécessaire.

Tant que Furcas possédait l’Emblème de l’Archidémon, rien ne serait résolu en se débarrassant simplement de lui. Cela le rendait quelque peu ennuyeux à gérer, mais Zagan était au moins prêt à protéger Lilith et ses autres subordonnés.

***

Partie 5

« Alors Lilith l’a sauvé…, » Selphy murmura, en mettant sa main sur sa poitrine. « Est-ce que cette personne aime vraiment Lilith ? »

Zagan hocha la tête à cette question tout à fait inattendue. Il jeta ensuite un autre coup d’œil à son visage. Ses joues étaient rouges, elle laissait échapper un soupir de douleur, et elle avait même des larmes qui se formaient dans ses yeux.

Hm ? Euh, quoi… ?

Furcas avait, en effet, avoué ses sentiments à Lilith au milieu d’une salle comble. Selphy avait même été elle-même là, alors Zagan ne pensait pas qu’elle avait vraiment besoin de demander.

« Je ne comprends pas vraiment, » continua Selphy en respirant bruyamment. « Quand je regarde cette personne courtiser Lilith, ça me fait mal à la poitrine. Mes yeux deviennent, comme, tout chauds et tout ça, et je commence même à pleurer… Je ne comprends pas… »

L’esprit de Zagan s’était vidé en entendant sa confession choquante.

Cela ne veut-il pas dire… ? Attends, non… Hein ? Pourquoi ?

C’était des phénomènes qu’il connaissait trop bien. Il n’y avait aucun doute là-dessus. En d’autres termes, Selphy était venue ici pour rien d’autre que… des conseils amoureux.

C’était un problème sérieux qui dépassait de loin son imagination. Même avec l’intelligence d’un Archidémon, il n’avait pas encore tout compris. S’était-il passé quelque chose pour que Selphy tombe amoureuse de Furcas ? Il n’y avait peut-être aucune raison logique, mais cela semblait quand même beaucoup trop soudain.

Honnêtement, Zagan ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle était venue demander conseil à la mauvaise personne. Pourquoi n’avait-elle pas demandé à Néphy ? Pourtant, objectivement parlant, les sentiments de Selphy étaient assez clairs, même pour lui. Cela dit, elle semblait souffrir parce qu’elle ne voyait pas elle-même la réponse.

Zagan croisa les bras, regarda le plafond et ferma les yeux.

Est-ce vraiment quelque chose que je peux dire à la personne en question ?

Il s’était inquiété pendant une minute entière — c’était la première fois qu’il réfléchissait à quelque chose qui n’avait rien à voir avec Néphy pendant un temps aussi long — puis il trouva finalement sa réponse.

« Bon, comment dire ça…, » il commença. « Je crois que je sais ce qu’est ce sentiment qui t’abrite. En fait, d’un point de vue objectif, ce n’est rien d’autre que mon opinion. »

Selphy ne répondit pas. Au lieu de cela, elle garda les yeux fixés sur Zagan et attendit qu’il continue. Après avoir pris une petite inspiration, Zagan dit exactement ce qu’il pensait sur un ton lourd.

« Je crois que cette émotion dans ton cœur est de l’amour. »

Ses yeux s’écarquillèrent à la révélation choquante avant qu’elle n’offre à Zagan un sourire mou et résigné.

« Ha ha… Alors c’est vraiment le cas, hein ? »

Elle l’avait elle-même déjà vaguement réalisé. Elle n’avait simplement pas voulu le reconnaître.

Personne ne veut admettre qu’il est tombé amoureux de l’homme qui essaie de courtiser sa meilleure amie.

C’est pourquoi elle ne pouvait pas en discuter avec Néphy, et encore moins avec Lilith. Kuroka était actuellement absente du château, et Gremory était hors de question. Dans ce cas, Zagan était vraiment la seule personne à qui Selphy pouvait parler ouvertement. Il ne pouvait même pas deviner à quel point un tel choix avait pesé sur elle. Dans ce cas, il voulait être le plus utile possible pour elle.

Mais qu’est-ce que je dois faire ?

« En fait, je pensais que c’était peut-être le cas, » dit Selphy avec un sourire d’autodérision, ignorant l’agitation intérieure de Zagan. « Non… Je connaissais probablement la réponse depuis longtemps. »

« Hmm… Attends, il y a longtemps ? »

Selphy et Furcas ne s’étaient-ils pas rencontrés il y a seulement trois jours ? Quelque chose clochait, mais Zagan n’arrivait pas à mettre le doigt sur quoi.

Selphy avait continué à parler comme si elle regardait des souvenirs lointains, disant : « Je pense que j’ai commencé à me sentir comme ça quand j’avais environ onze ans ? À l’époque, ce sourire qui me souhaitait un joyeux anniversaire était si joli. Mon cœur battait la chamade, j’avais mal, mais pour une raison inconnue, seule mon visage semblait en feu… »

Ça devait être il y a cinq ou six ans. Comment avait-elle rencontré Furcas à l’époque ? À ce moment-là, Liucaon était sous la protection de Marchosias, donc même un Archidémon n’aurait pas pu s’immiscer dans cette région.

« C’est pour ça que je me suis enfuie de chez moi. C’est vrai que j’en avais assez des vieilles coutumes qui disaient que nos chansons ne pouvaient pas être entendues en dehors de la famille royale, mais c’était probablement la plus grande raison… Je veux dire, n’est-ce pas, comme, un peu bizarre ? »

Attends, de qui Selphy parle-t-elle exactement ?

La perplexité de Zagan s’accentua. Il pensait qu’elle avait parlé de Furcas, mais vu les circonstances, cela semblait impossible. Alors de qui Selphy était-elle tombée amoureuse ? Elle continua à raconter son histoire avec un sourire gêné, comme si elle allait pleurer à tout moment.

« Je savais que je ne devais pas me sentir comme ça, alors je ne pouvais plus rester là. Après quelques années, je pensais avoir remis de l’ordre dans mes sentiments, mais après avoir vu cette personne la courtiser, mon cœur était si trouble… »

« Désolé… Puis-je vérifier quelque chose avec toi rapidement ? »

Zagan savait que c’était mal de sa part de l’interrompre, mais il y avait quelque chose qu’il devait confirmer.

« Est-ce que cette personne dont tu es amoureuse est... Lilith ? » lui avait-il demandé timidement.

Les joues de Selphy étaient devenues rouge vif en entendant cela.

 

 

Ah… Alors c’est vraiment elle ?

Zagan se pencha en arrière sur son trône par pur choc pour la deuxième fois de la journée. Si on le pousse à le dire, il avait l’impression qu’il y avait plus de signes de cette nature venant de Lilith. Il n’aurait jamais pensé que Selphy serait celle dont elle serait sérieusement amoureuse.

Attends. Est-il possible qu’elle confonde amitié et intérêt romantique ?

Bien que, à en juger par son expression, il n’y avait pas beaucoup de place pour le doute. Néanmoins, faire un faux pas pourrait conduire à quelque chose d’irrémédiable, il devait donc demander.

Zagan prit une autre grande inspiration, puis dit : « Hum, eh bien, comment dire ça… ? Ce serait gênant si je me trompais, alors je veux te demander quelque chose. Je ne sais rien de ce que ressentent les femmes, donc ça peut paraître étrange. Si je t’offense, ignore-moi. Cela te convient-il ? »

Selphy acquiesça à sa longue préface, alors Zagan lui lança immédiatement sa question.

« Eh bien, tu sais, l’amour est différent de l’amitié… Hum, je veux dire, comme le désir d’enlacer et d’embrasser… je pense que ça implique généralement de tels sentiments. Comment es-tu sur ce plan ? »

« Voulez-vous dire, est-ce que je la vois avec, genre, un intérêt sexuel ? »

Malgré l’approche extrêmement détournée de Zagan, la personne en question avait répondu de manière tout à fait franche. Cela dit, Selphy n’avait probablement pas réfléchi à la question avant d’en arriver là. Elle avait les deux mains jointes sur ses genoux alors qu’elle y réfléchissait sérieusement. Mais très vite, elle avait répondu avec une résolution claire.

« Je le pense. Je veux dire, je pense qu’elle me satisferait bien plus que n’importe quel homme. »

Si fort… !

Sa déclaration puissante avait même gagné le respect de l’Archidémon Zagan. En fait, Lilith était censée être une spécialiste des questions de la nuit, donc c’était logique.

Attends, est-ce normal que ces deux-là partagent une chambre ?

Les séparer maintenant semblait cruel, mais ce serait gênant si quelque chose devait arriver. Zagan pensait cependant que Lilith l’accepterait.

Hein… ? Ça ne veut-il pas dire que leur amour est réciproque ?

Il n’avait pas encore confirmé les sentiments de Lilith, mais elle ne semblait pas mécontente de l’idée. Dans tous les cas, il n’y avait aucun doute sur les sentiments de Selphy. Zagan laissa échapper un gémissement lorsque soudainement, l’expression de Selphy s’assombrit.

« Ha ha… Je suppose que c’est vraiment dégoûtant…, » dit-elle.

« Dégoûtant ? Comment ça ? »

Zagan était resté bouche bée devant la direction inattendue de ses inquiétudes. Cette fois, c’était au tour de Selphy d’être confuse.

« Je veux dire, on est toutes les deux des filles, non… ? Alors, se sentir comme ça, c’est un peu… »

Zagan secoua la tête d’étonnement et répondit : « S’il peut y avoir de l’amour entre les espèces, alors pourquoi ne peut-il pas y avoir de l’amour entre ceux du même sexe ? »

Si Néphy se transformait en homme à la suite d’un accident, Zagan cesserait-il de l’aimer ? Ou s’il se transformait en femme, est-ce que Néphy ne l’aimerait plus ? Il ne pensait pas que l’un ou l’autre cas soit vrai.

Il voulait que Néphy reste comme elle était, mais Zagan l’aimerait toujours même si elle était un homme. Cela ne changerait pas du tout s’il se transformait en femme. Compte tenu de la malédiction qui avait affligé Stella et Decarabia, la sorcellerie qui changeait de sexe existait bel et bien, même si ce n’était que temporaire. Zagan n’avait jamais entendu parler de quelqu’un le faisant intentionnellement, mais il y avait aussi de la sorcellerie de transformation normale, donc ce n’était pas une situation complètement impossible.

Honnêtement, Zagan n’avait toujours pas une compréhension complète de l’amour normal, mais même en faisant abstraction de cela, il sentait qu’une fois que quelqu’un en venait à nourrir de tels sentiments, la race ou le sexe n’avait rien à voir avec cela.

Au contraire, avec cette mamie gênante qui courait partout, le sexe semblait être une question insignifiante. En tout cas, il n’était pas nécessaire de nier les sentiments de Selphy. C’était surtout le cas après avoir vu Kuroka et Shax dernièrement… Bien que, dans leur cas, il y avait des obstacles complètement étrangers à la race à surmonter, mais il n’y avait pas d’autre choix pour eux que de faire de leur mieux pour les surmonter.

En fait, si ses sentiments sont considérés comme grossiers, alors qu’en est-il de moi ?

C’était un homme qui avait dépensé un million de pièces d’or pour acheter sa fiancée. Il n’était pas évident de savoir combien de ses pensées étaient parvenues jusqu’à elle, mais Selphy lui adressa un sourire plein de gratitude.

« Merci… J’ai l’impression qu’un poids énorme a été enlevé de mes épaules. »

« Je vois. C’est bien. »

Zagan ne pensait pas vraiment lui avoir donné un conseil utile, mais Selphy se leva de son siège comme si elle était déjà pleinement satisfaite.

« Umm, alors qu’est-ce que tu comptes faire ? » lui demande-t-il.

« Je ne sais pas encore vraiment ce que je veux faire, » répondit Selphy en se grattant la tête. « Donc je suppose que je vais, comme, traiter mes sentiments avec un peu plus de soin pendant un certain temps. »

« Je vois… Eh bien, si tu te sens à nouveau perdue, n’hésite pas à venir me voir quand tu le souhaites. Je t’écouterai au moins. »

Il avait toujours l’impression que lui parler n’était pas beaucoup mieux que de parler à un mur, mais le simple fait d’avoir un visage à qui parler devait faire une grande différence.

Selphy lui fit un petit signe de tête, puis se retourna et elle déclara : « Je suis vraiment contente d’être venue vous voir, Monsieur Zagan. »

Sur ce, elle avait souri. Elle semblait aussi insouciante que d’habitude, mais aussi un peu plus mature. Zagan ne savait pas s’il était utile, mais Selphy était redevenue normale lorsqu’elle quitta la salle du trône.

Le pauvre Furcas a de bien sombres perspectives, hein ? se dit Zagan en s’asseyant sur son trône. Le garçon avait-il la moindre chance de battre Selphy ? Il ne l’encourageait pas vraiment, mais en le voyant affronter un obstacle aussi imposant et puissant, il éprouvait au moins de la sympathie.

Zagan laissa échapper un soupir épuisé. Il voulait commencer à préparer l’anniversaire de Néphy tout de suite, mais il ne se sentait pas capable de tenir debout pour le moment.

***

Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure

Partie 1

« Mon nom est Asura ! Asura, le Bras Hex ! Le Héros de l’Ouest, Asura ! Gravez-le dans votre esprit ! »

C’est ce que le garçon avait annoncé en se révélant à moi. Je ne l’avais jamais vu auparavant. C’était un humain aux cheveux écarlates et aux yeux cramoisis, ce qui signifiait qu’il était un grigori. Ils étaient assez courants dans l’équipe de Salomon. C’était un peuple plutôt tragique qui était utilisé comme des outils par les séraphins.

Dans ce monde, où tous les gens sauf les séraphins étaient indésirables, l’attention des séraphins ne faisait pas des grigoris un symbole d’envie. Ils étaient des outils jetables. Les séraphins les tuaient sans rime ni raison particulière. Ils étaient juste des jouets avec lesquels on pouvait jouer.

Nés sous la direction des séraphins, ils n’avaient même pas le choix de s’enfuir comme toutes les autres races le pouvaient. Ceux qui avaient survécu aussi longtemps se voyaient, sans exception, accorder la vie au prix d’une autre. En ce sens, on aurait pu dire qu’ils étaient la race que les séraphins détestaient le plus.

Le jeune grigori se tenait dans une position imposante, bloquant mon chemin et me regardant avec des yeux pleins d’espoir. Après plusieurs secondes à rester là dans un état de confusion, j’avais réalisé qu’il était apparemment en train de se présenter à moi.

J’avais eu beaucoup de mal à me souvenir des noms et des visages. Je veux dire, même si j’essayais de me souvenir, tout le monde disparaissait assez rapidement. Ainsi, j’avais fait de mon mieux pour détourner les yeux et passer devant lui. Je portais toujours Murdock. Il était lourd, et je devais aller l’entretenir, donc j’étais plutôt occupée.

« Hé, attendez ! Pourquoi m’ignorez-vous !? »

Il s’était accroché à moi, les yeux pleins de larmes. La plupart des gens comprenaient quand je les ignorais et n’essayaient pas de me parler, alors sa réaction était plutôt inattendue. En regardant de plus près, j’avais remarqué qu’il avait l’air d’avoir quatorze ou quinze ans. Peut-être ce comportement était-il logique pour un enfant. J’avais arrêté de marcher et je m’étais retournée avec un air extrêmement mécontent bien visible. Le garçon m’avait regardée fixement pendant un moment, puis il s’était remis debout avec vigueur et avait gonflé sa poitrine.

« Héhé. Vous êtes l’as dans le coin, hein ? Eh bien, je suis l’homme qui a massacré les séraphins à l’ouest. Entendons-nous comme des camarades-chefs ! »

Je lui avais fait un signe de tête accompagné d’un soupir de compréhension. Les nouveaux arrivants se montraient ici de temps en temps. Ils avaient tendance à dire des choses inexplicables lorsqu’ils étaient poussés par l’euphorie de savoir qu’ils allaient combattre des séraphins, alors son acte ne m’avait pas surprise le moins du monde.

Cela dit, j’étais encore moi-même une enfant. Je n’avais aucune raison de vivre, si ce n’est un désir brûlant de vengeance. Je n’étais pas une personne remarquable au point de le mépriser pour son excitation. Je lui avais donc accordé la courtoisie minimale d’un léger signe de tête — ce dont Orobas et Salomon ne s’étaient jamais débarrassés — et j’avais tourné les talons.

« Hé ! Dites-moi au moins votre nom ! »

Je n’avais pas pu lui répondre sur le champ. Cependant, ce n’était pas parce que je le trouvais gênant. Je ne me souvenais tout simplement pas de mon nom. Salomon et mon grand frère m’appelaient Ashy, mais ce n’était qu’un surnom. J’avais un nom propre, mais pour une raison inconnue, je ne m’en souvenais pas.

Pourtant, ça ne faisait pas une grande différence. Si quelqu’un avait besoin de moi, il pouvait simplement dire « Hé » ou « Vous êtes là ». De toute façon, tout le monde allait finir par mourir en combattant les séraphins. Si nous devions enterrer chacun des défunts et graver leurs noms sur des pierres tombales, ils rempliraient probablement le continent entier.

Je n’étais pas sûre de la façon dont le garçon avait interprété ma réaction. Tout ce que je savais, c’est qu’il y afficha soudainement un regard d’extrême tristesse. Il avait probablement pensé que je l’ignorais. J’étais habituée à ce que les gens pensent de cette façon. J’étais consciente du peu de cas que je faisais de la coopération. Et pourtant, le garçon avait baissé la tête comme s’il avait commis une erreur irrémédiable.

« Désolé…, » dit-il, puis il en rit avec un regard troublé. « Alors, que dites-vous de ça ? Quand je reviendrai vivant après la prochaine sortie, vous me direz votre nom. Ça ira ? »

Le garçon m’avait quittée sans même attendre ma réponse. Après cela, il était revenu de la bataille suivante tout comme il l’avait déclaré si fièrement. J’avais fini par devoir compter sur Orobas pour pouvoir me souvenir de mon propre nom. Ce garçon avait ensuite pris l’habitude de m’imposer des exigences arbitraires chaque fois qu’il se battait contre les séraphins.

Quand je reviendrai, prends un repas avec moi.

Quand je reviendrai, dis-moi ce que tu aimes.

Quand je reviendrai, laisse-moi t’entendre chanter.

Quand je reviendrai… Quand je reviendrai…

Au début, j’avais trouvé l’ensemble désagréable, mais finalement, je m’y étais habitué et tout sentiment de mécontentement avait disparu depuis. Le garçon était certainement fort. Un grigori se vantait d’être très fort par nature. Ses blessures guérissaient rapidement, et par-dessus tout, un seul coup de son bras briserait la barrière d’un séraphin avec la même facilité que les chasseurs de séraphins.

Il était, en fait, bien plus fort que moi, vu que je ne pouvais tirer sur mes cibles qu’à une distance sûre. Il semblait qu’il n’allait pas disparaître de ma vie. Tout comme Salomon et mon frère, il semblerait qu’il allait continuer à se battre avec nous. Quand j’avais commencé à y croire, nous avions fini par nous battre contre l’un des hauts séraphins.

Le Haut Séraphin Camael.

En général, les séraphins avaient une paire d’ailes faites de lumière qui jaillissait de leur dos. On les appelait les ailes hex. Elles étaient aussi la véritable nature de la barrière d’un séraphin. Deux ailes leur donnaient déjà des pouvoirs proches de ceux des dieux, mais les hauts séraphins avaient six ailes.

Chaque aile hex supplémentaire multipliait apparemment grandement leurs pouvoirs, bien plus que le simple double par aile. Avec six exemplaires, un haut séraphin était à un niveau bien supérieur à celui de trois séraphins ordinaires à deux ailes.

Mon rôle était de détruire au moins trois des ailes du haut séraphin avant que Camael n’anéantisse l’avant-garde. Cela allait certainement conduire à de nombreux sacrifices. L’avant-garde était soutenue par ce garçon, par Asura.

Malgré tout, ils étaient sûrs de pouvoir tenir trente secondes. Pourtant, c’était très peu de temps pour briser trois ailes. Si je ratais ne serait-ce qu’un seul tir, tout le monde était sûr de mourir. De plus, le séraphin n’allait évidemment pas rester immobile et m’offrir le tir parfait.

Quand la bataille commença, j’avais désespérément aligné mes viseurs et pressé la détente. Il n’y avait aucun intérêt à survivre. J’avais toujours rêvé de me battre, de lutter, de laisser ne serait-ce qu’une marque de griffe sur un séraphin, puis de mourir. Mais à ce moment-là, je savais que je ne pouvais pas mourir. Je savais que je ne pouvais pas mourir avant d’avoir rempli mon rôle. Au moins, Asura et ses guerriers mettaient leur vie en jeu, croyant de tout cœur que je briserais ces ailes.

J’avais abattu une aile, et profitant de l’agitation du séraphin, j’avais aligné pour un deuxième tir et j’avais tiré. Avec deux ailes en moins, même le haut séraphin avait dû commencer à faire des manœuvres d’évitement. Lorsqu’un séraphin se concentrait entièrement sur l’esquive, ses mouvements dépassaient de loin la perception humaine. Il était impossible de faire face à cela à courte distance, c’est pourquoi nous devions les traiter par des tirs de précision à longue distance.

Le haut Séraphin avait abattu mes camarades les uns après les autres. La sueur avait commencé à tremper mes paumes alors que je saisissais mon chasseur de séraphins. Mon doigt tremblait sur la gâchette. Cependant, je m’étais débarrassée de ma panique en prenant une profonde inspiration.

C’est bon. Je peux le faire, je m’étais rassurée. Le haut séraphin était rapide, mais il n’avait pas complètement disparu. Je devais simplement prédire la trajectoire de ma cible.

J’avais tiré un troisième coup. Une troisième aile avait volé en éclats. Vingt secondes s’étaient écoulées. Cependant, après avoir tiré trois fois du même endroit, j’avais attiré l’attention du haut séraphin. Une seule attaque d’un séraphin pouvait facilement anéantir un petit village. C’était le cas pour un séraphin doté de deux ailes hex, alors un haut séraphin doté de trois paires d’ailes pouvait déclencher une dévastation d’une tout autre ampleur. Je n’avais aucun espoir de me mettre en sécurité.

Les trois ailes restantes sur le dos du haut séraphin rayonnaient de lumière alors qu’il tenait en l’air une lance luminescente. Il y avait 1000 mètres entre nous. Le chasseur de séraphins avait une vitesse initiale de 853 mètres par seconde, ce qui signifie qu’il fallait un peu plus d’une seconde pour qu’une balle atteigne ma cible. En revanche, cette lance de lumière effaçait sa cible à l’instant même où elle était libérée.

Je serais anéantie avant que ma balle ne frappe. Je ne pouvais pas intercepter l’attaque ou l’éviter.

Dans ce cas, je vais juste tirer !

Je ne pouvais pas être sauvée, mais le séraphin ne pouvait pas non plus esquiver en attaquant. Je m’étais retrouvée surprise par mon sang-froid en prenant une inspiration. Mon doigt trembla. J’avais la quatrième aile en ligne de mire. Le marteau s’était abattu sur la gâchette, libérant une balle de la bouche du canon.

Une pensée soudaine m’était venue à l’esprit.

Qu’a dit Asura cette fois-ci ? Quand je reviendrai — .

J’avais regardé dans mon viseur la lance de lumière s’étendre, quand soudain…

« Je ne vous laisserai pas tuer Ashy ! »

J’avais eu l’impression de voir un garçon plonger devant la lumière. Et puis, je m’étais évanouie. Quand je m’étais réveillée plus tard, je m’étais retrouvée dans un lit dans le château d’Orobas. Le dragon, qui avait pris la forme d’un vieil homme, était assis à mes côtés. Il avait apparemment pris soin de moi.

J’avais essayé de m’asseoir, ce qui avait provoqué des vagues de douleur dans tout mon corps. J’avais plus de vingt os fracturés, dont trois de mes côtes, le haut de mon bras, ma clavicule, mon fémur et mon tibia. De plus, mon corps entier était couvert de brûlures à haut degré. Et pourtant, j’étais en vie.

Orobas m’avait fait un bref résumé de ce qui s’était passé depuis que je m’étais effondrée. Trois jours avaient passé. Le haut séraphin Camael avait été vaincu. Nous avions gagné.

Il m’avait dit que le canon de Murdock était cassé. Et ensuite, il m’avait dit qu’Asura n’était pas revenu.

À ce moment-là, le bras d’Asura avait réussi à dévier très légèrement la lance du séraphin. C’est pourquoi j’avais à peine réussi à survivre.

Qu’est-ce que ce garçon voulait que je fasse à son retour, cette fois ?

Quand je reviendrai…

Quand je reviendrai, montre-moi ton sourire.

Une douleur qui n’avait rien à voir avec mes os cassés avait envahi mon cœur. Mon esprit était tombé dans le désordre, et avant que je ne le sache, des larmes chaudes avaient coulé sur mes joues. Le vieux dragon n’avait rien dit et était resté près de moi.

J’avais toujours souhaité la mort, mais finalement, il était aussi mort avant moi. Il avait été un autre de ces irresponsables. Cependant, étant donné que mon cœur était dans un état tel que je n’avais même pas pris la peine de me souvenir de mon propre nom, me rappeler comment pleurer m’avait vraiment sauvée.

C’est l’un des précieux souvenirs qui m’avaient soutenue au cours des années de ma longue vie à venir.

***

Partie 2

« Alshiera, tu m’écoutes ? » demande Foll, ramenant Alshiera de son voyage dans ses souvenirs.

« Oh, désolée pour ça. Je me souviens de beaucoup de choses depuis que je suis ici. »

Elles se trouvaient dans le hall d’entrée du Palais de l’Archidémon, où résidait auparavant le golem fait à partir d’un démon. Néphy et Lilith étaient également avec elles. En levant les yeux, Alshiera vit d’énormes statues de pierre qui dominaient le hall comme par le passé. Il s’agissait de golems capables de tirer le Phosphore des Cieux qui avaient été modifiés exclusivement pour l’usage de Gremory.

Raphaël était resté au château. Il fallait apparemment ruser un peu pour empêcher Zagan de découvrir ce qu’ils préparaient, et le majordome avait aussi des tâches ménagères à accomplir. Toutes les personnes chargées de telles tâches ne pouvaient pas quitter le château en même temps.

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis qu’Alshiera avait été enlevée dans la cuisine. Pendant ce temps, elle leur avait expliqué comment on fêtait les anniversaires — ou, en tout cas, Lilith l’avait fait, en grande partie — mais il n’était toujours pas certain qu’elles aient vraiment compris.

Ils sont vraiment des enfants adorables.

Ils étaient tous si courageux, si purs, si sincères qu’Alshiera voulait les protéger, même s’ils n’étaient pas Zagan. Elle avait commencé à sentir qu’elle ne voulait plus se séparer d’eux. Le temps qui lui restait touchait déjà à sa fin, mais…

Comme c’est disgracieux de ma part.

Il y a mille ans, ils s’étaient aussi battus en croyant qu’ils n’avaient pas beaucoup de temps. Alshiera s’était débarrassée de son sentimentalisme alors que Foll lui lançait un regard perplexe.

« De quoi t’es-tu souvenue ? » avait-elle demandé.

« Rien, vraiment. Je me rappelle juste quelques souvenirs d’un vieil ami. »

Les subordonnés de Zagan se trouvaient également au Palais de l’Archidémon. Sur la quarantaine de personnes qui travaillaient sous ses ordres, environ trente pour cent servaient au château, soixante pour cent au palais de l’Archidémon, et les dix pour cent restants étaient envoyés à l’Église et dans diverses autres missions. Shax faisait partie de ces derniers dix pour cent.

En d’autres termes, le hall d’entrée était traversé par des sorciers à tout moment, alors Alshiera ouvrit l’une de ses portes et poursuivit son chemin à l’intérieur. Un long couloir s’étendait devant elle avec de nombreuses portes le long de ses murs. Elles servaient principalement de chambres d’hôtes à l’ère moderne, mais il y a mille ans, elles étaient des salles de maladie, des entrepôts et des salles d’attente pour les chasseurs de séraphins, entre autres choses. Elle marcha dans le couloir avec les trois autres filles derrière elle. Après avoir passé trois, puis quatre portes, elle s’arrêta à la cinquième.

« Cette pièce fera l’affaire. »

Les murs qui l’entouraient étaient épais, ce qui gardait le son à l’intérieur, c’était donc l’endroit parfait pour parler en secret. Il ne restait rien du passé ici, mais c’était autrefois la salle des malades dans laquelle Alshiera avait passé du temps. Elle avait procédé à l’ouverture de la porte sans même frapper.

« H-Hein ? Quoi ? »

Un sorcier masqué à la carrure imposante était déjà à l’intérieur. Il semblait être en train de travailler sur quelque chose, vu qu’il ne portait pas sa robe, exposant le haut de son corps musclé. Il avait le dos tourné, un marteau à la main, et au moment où il avait vu Alshiera entrer, son œil unique avait tourné en rond dans la confusion.

« Hum, Dame Alshiera ? » dit Néphy, déconcertée. « Il semble qu’elle soit déjà occupée, alors ne devrions-nous pas chercher une autre chambre… ? »

Néphy jeta un coup d’œil à l’intérieur, rencontrant le regard du sorcier déconcerté.

« Hum, vous êtes le Seigneur Naberius… n’est-ce pas ? » demanda-t-elle. « Je suis désolée pour cette intrusion soudaine. »

Elle ne s’était jamais présentée correctement à lui, aussi Néphy lui avait fait une élégante révérence en même temps que ces mots.

« O-Oh, vous êtes… Néphy ? La fiancée de Zagan ? » demanda-t-il en retour.

Ses oreilles pointues étaient devenues rouges en entendant cela.

« Oh… Hum… Oui… Mais nous n’en sommes encore qu’au stade des rendez-vous, alors… »

Bien qu’ils soient collés l’un à l’autre jour et nuit, elle se sentait apparemment toujours gênée lorsque les autres lui faisaient remarquer à quel point ils étaient proches. Les habitants du château ne regardaient ces deux-là que de loin, donc personne ne le lui disait jamais en face. Dans un sens, sa nature timide lorsqu’elle y était confrontée était parfaitement naturelle.

Néphy rougit, affichant une expression à la fois heureuse et embarrassée. En revanche, Alshiera pouvait voir que Naberius était devenu mortellement pâle sous son masque. Jetant l’outil dans sa main, il se précipita vers Alshiera, l’attrapa par le bras et l’entraîna dans la pièce.

« A-Aha ha ha ha. Je vais emprunter cette fille pour un moment, d’accord ? » dit-il, puis il claqua la porte sans attendre de réponse. Cette pièce avait été attribuée à Naberius pour en faire son atelier. Il avait été chargé de réparer les chasseurs de séraphins d’Alshiera et d’exécuter une commande de Zagan.

En regardant de plus près, Alshiera put voir un chasseur de séraphins placé sur une table dans la pièce. La chaise sur laquelle Naberius était assis se trouvait devant un marteau et une enclume, ainsi qu’un four à haut rendement qui pouvait être contrôlé par le mana. Elle ne pouvait pas voir exactement ce sur quoi il travaillait, peut-être parce qu’il était en train d’être nettoyé avec des produits chimiques.

Même avec son masque, elle pouvait voir que Naberius affichait une expression effroyable alors qu’il se rapprochait d’elle.

« Es-tu folle !? » Il avait crié. « Qu’est-ce qui te prend d’amener cette fille ici !? »

Il avait secoué ses épaules d’avant en arrière. Un homme musclé secouait une petite fille qui tenait dans ses bras une poupée en peluche, ce qui ne donnait pas vraiment une image des plus jolies. En tout cas, Zagan avait demandé à Naberius de préparer le cadeau de Néphy en secret. Ce serait gênant pour Néphy de le voir le faire. Alshiera le savait, bien sûr. Elle savait aussi qu’il serait là. Cependant, elle se contenta de lever les yeux au plafond, feignant l’ignorance.

« Je voulais que quelqu’un partage le malheur déraisonnable qui m’est soudainement tombé dessus, » avait-elle avoué sans vergogne.

« Comme si ça m’intéressait ! » Naberius hurla, la saisissant par le col, les larmes aux yeux. « N’est-ce pas toi qui as provoqué cette situation à cause de tes bêtises habituelles ? Pourquoi dois-tu m’entraîner dans ta chute !? »

« Parle pour toi. Tout ceci n’est-il pas le résultat de tes méfaits habituels ? »

Les choses étaient devenues un peu floues à cause de l’intervention de Zagan, mais Alshiera n’avait pas pardonné à l’homme d’avoir mis Lilith en danger. En fait, Lilith était déjà techniquement impliquée, mais il avait quand même essayé de l’encourager sans le savoir.

Quoi qu’il en soit, Naberius savait qu’Alshiera était toujours en colère contre lui. Si la demande de Zagan était révélée, Naberius n’aurait plus la protection d’Alshiera, et Zagan deviendrait son ennemi. Il n’y aurait aucun moyen pour lui de survivre.

Pourtant, ce n’est pas Alshiera qui avait proposé de parler en secret au Palais de l’Archidémon, alors Naberius ne pouvait que se résigner face à sa malchance.

« Rien en toi, à part ton visage, ta voix et ta personnalité, n’est mignon du tout ! » cracha-t-il en grinçant des dents.

« Tu me fais un compliment ou tu me dénigres ? » avait-elle répondu avec étonnement.

« Dame Alshiera ? » Une voix réservée avait appelé de l’autre côté de la porte. « Ne serait-il pas préférable pour nous d’aller dans une autre pièce… ? »

« C’est bon, » répondit Alshiera. « Cet homme est simplement timide. Ne vous inquiétez pas, il vous conseillera gentiment sur le cadeau à choisir. »

« Noooooonnnn ! » Le cri silencieux de Naberius était de la musique aux oreilles d’Alshiera. Il semblait avoir abandonné, alors elle alla ouvrir la porte. En un claquement de doigts, tous les outils de la pièce disparurent grâce à la sorcellerie avant que quiconque ne puisse les voir.

« Hum, est-ce que ça va vraiment… ? » demande timidement Néphy.

Ayant tout juste réussi à tout cacher, Naberius posa sa main sur son masque et se retourna en riant. Son esprit incompréhensible lui permettait apparemment de retrouver rapidement son sang-froid, si bien que personne ne remettait en cause ses agissements.

« Vous êtes plutôt poli, n’est-ce pas ? Contrairement à une certaine vampire. J’étais en plein travail, donc c’est un peu le bazar, mais ne vous occupez pas de moi et entrez. »

« Alors, veuillez nous excuser…, » marmonna Néphy et elle se pencha légèrement en arrière, dépassé par le comportement de Naberius, avant de faire un pas dans la pièce.

« Puis-je aussi entrer ? » demande Foll, tout en jetant un coup d’œil dans la pièce.

« Foll. Tu es la fille du roi aux yeux d’argent, ce qui signifie que tu es pratiquement le maître de ce château. Il n’y a aucune pièce dans laquelle tu ne peux pas entrer librement, » lui répondit Alshiera.

« Vraiment ? »

« Je suis surpris que tu aies le culot d’endoctriner aussi calmement la fille polie d’autrui avec de telles inepties. Qu’est-il arrivé au fait que tu n’aies pas le droit de te mêler des allées et venues des vivants ? »

Alshiera avait cru entendre quelqu’un se plaindre, mais ce n’était probablement que son imagination. Foll lui avait fait un rapide signe de tête, puis était entrée dans la pièce. Enfin, Lilith avait timidement regardé à l’intérieur.

« Oh… Hum, vous êtes la personne qui m’a aidée à me sauver cette fois-là… n’est-ce pas ? Euh, je ne vous ai pas encore remercié correctement pour ça. Donc, eh bien, merci. Mon nom est Lilith. »

Maintenant qu’Alshiera y pense, Lilith et Naberius s’étaient rencontrés, mais n’avaient jamais eu l’occasion de se parler, et encore moins de se présenter correctement. Lilith lui avait fait une révérence, et pour une raison inconnue, Naberius avait poussé sa main contre son masque — probablement là où se trouvait le coin de son œil — et avait baissé sa tête.

« Euh, allez-vous bien ? » lui avait demandé Lilith.

« C’est bon. Ne vous inquiétez pas… Mon cœur était simplement secoué par le fait qu’il y a une fille qui peut montrer une gratitude appropriée ici… »

Alshiera ferma la porte, isolant tout bruit de l’extérieur. C’était une pièce spacieuse, qui correspondait à son ancienne utilisation comme chambre de malade. Elle avait à peu près autant d’espace que le hall d’entrée. La moitié de la pièce était tapissée de lits en ruine, tandis que l’autre moitié était devenue l’atelier de Naberius, où toutes sortes d’outils étaient mis de côté.

Alshiera se dirigea vers le lit le plus proche de l’atelier, sortit un mouchoir de sa poupée en peluche bien-aimée, le plaça sur le lit et prit place. Tous les autres avaient fait de même et avaient également commencé à s’asseoir.

Naberius s’était appuyé contre le mur en face d’Alshiera. Foll avait pris place sur la chaise à sa droite. Il n’y avait pas de chaise sur la gauche, Lilith s’était donc assise sur le lit voisin. Néphy avait hésité avant de décider de prendre place sur le même lit qu’Alshiera, juste à côté d’elle. Ainsi, ils avaient tous formé un cercle improvisé.

À ce moment-là, un grondement avait jailli de l’estomac de Foll.

« Oh là là. As-tu faim, Foll ? » demanda Alshiera.

« Non, mais quelque chose sent vraiment bon ici. »

« Une odeur… ? »

Les yeux ambrés de Foll étincelaient alors qu’elle fixait Naberius.

Oh, elle a mentionné le fait d’être traitée avec des spectateurs pour son anniversaire…

Un beholder adulte était bien au-delà de la portée d’un jeune dragon, mais l’âge accentuait en fait leur vaste mana et leur viande savoureuse. Foll n’était pas n’importe quel jeune dragon, elle avait une puissance équivalente à celle d’un Archidémon, ce qui lui donnait plus qu’assez de force pour défier le plus fort des spectateurs. Vu sa croissance à un si jeune âge, elle dépasserait probablement le sage dragon Orobas lorsqu’elle serait adulte.

***

Partie 3

« Je préfère que vous ne me regardiez pas avec les yeux d’un prédateur…, » grommela Naberius, l’œil tremblant derrière son masque.

« Ne sois pas si avare. Allez, pourquoi ne pas lui offrir un de tes bras ? » suggéra Alshiera.

« Je suis déjà en déficit ici. Pourquoi dois-je couper des morceaux de mon propre corps en plus de cela ? »

Rien qu’en regardant le visage agacé de Naberius — ou, en fait, son masque —, Alshiera se sentait satisfaite.

« C’est dommage que nous n’ayons pas pu inviter Nephteros, mais pouvons-nous commencer ? » dit Néphy, reprenant les choses en main maintenant que tout le monde était assis.

« Zagan se dirigeait vers l’Église. Ça aurait été dangereux d’essayer de le lui faire savoir, » dit Foll.

Les filles avaient essayé de se rendre à l’Église avant d’arriver au Palais de l’Archidémon, mais Zagan s’y était également rendu. Le risque de le croiser était assez élevé, elles avaient donc renoncé à contacter Nephteros et étaient allées directement à leur destination.

J’aurais toujours pu la contacter avec des chauves-souris…

Pourtant, Alshiera n’avait aucune obligation de coopérer à ce point. Plus important encore, Zagan était allé voir Nephteros à cause du problème dont elle était accablée. C’était un sujet lourd. Alshiera le savait, ayant passé le dernier mois collé aux côtés de Nephteros, mais elle n’avait pas non plus de solution.

Compte tenu de la situation, ils ne pouvaient pas appeler Nephteros si effrontément juste pour célébrer l’anniversaire de Zagan. Cependant, ces filles n’avaient pas besoin d’être au courant de cette situation pour le moment. Foll fut la seule à jeter un regard curieux à Alshiera, mais elle pensa qu’il valait mieux ne pas aborder le sujet et garda le silence.

« Alors, est-ce qu’on fête les anniversaires en organisant une fête comme pour Alshiere Imera ? » demanda Néphy en se tournant vers Lilith.

À la mention soudaine du nom de son propre anniversaire, Alshiera laissa échapper un gémissement. Naberius lui jeta un regard curieux, puis sembla réaliser ce qui la tracassait, un regard de joie apparaissant sur son visage en réponse.

Il avait ramené ses deux mains devant sa poitrine et avait déclaré sans vergogne : « Vous avez raison. Alshiere Imera est un rituel pour célébrer la plus sainte des vierges qui est vénérée par l’Église. Même s’ils sont aux antipodes, ce n’est pas une mauvaise idée d’imiter une telle célébration pour l’anniversaire d’un Archidémon. »

Alshiera avait serré les dents tout en gardant un sourire agréable. C’était apparemment sa forme mesquine de vengeance pour son récent comportement. Ses dents grinçaient sous la pression, presque susceptibles de se briser. Et comme rien ne laissait présager cette animosité en coulisse, Néphy releva la tête comme si elle se souvenait de quelque chose.

« Alshiere Imera… Maintenant que j’y pense, nous avons trouvé une inscription dans la salle du trésor de la ville sainte qui pourrait y être liée d’une certaine manière. »

« Hein… ? » Alshiera marmonna, complètement abasourdie par cette remarque inattendue.

« Que disait-elle ? » Naberius demanda, se penchant en avant avec un grand intérêt. « Tout ce qui se rapporte à Alshiere Imera pourrait être une référence pour une fête d’anniversaire, non ? »

« Non, imiter un événement religieux pour l’anniversaire d’un Archidémon ne serait-il pas un choix discutable ? » protesta froidement Alshiera. Cependant, Néphy ne lui avait pas prêté attention.

Néphy savait qu’Alshiere Imera était le même jour que l’anniversaire d’Alshiera, mais elle ne savait pas que c’était une véritable célébration de celui-ci. Il semblerait que ce soit une erreur de calcul de la part de la vampire. Néphy avait mis son doigt sur ses lèvres en essayant de se souvenir de l’inscription.

« Euhhh, je crois que c’était “S’il vous plaît, sauvez l’infiniment pitoyable. Si vous êtes l’un d’eux qui manie les treize épées et emblèmes, nous vous céderons le chemin.” »

Le visage d’Alshiera brûlait d’embarras. Elle voulait se transformer en brume et disparaître complètement de Kianoides.

Qu’est-ce que tu graveras dans ta salle du trésor, mon stupide frère !?

« Hmmm. Héhé, héhé. C’est une sacrée inscription, » dit Naberius en se grattant le menton d’un air entendu.

Tout ce qu’Alshiera put faire en guise de protestation fut de diriger sa soif de sang vers lui, laissant entendre qu’elle le tuerait s’il disait quoi que ce soit d’inutile. Cependant, c’était un gaspillage total d’efforts avec cet Archidémon.

« Le treizième…, » marmonna Naberius sur un ton étonnamment sérieux.

Néphy avait bien dit : treize. Les sourcils d’Alshiera s’étaient levés à la mention de ce mot.

« Ceci » a été corrigé dans la génération de Naberius, si je me souviens bien…

Il avait fini par découvrir quelque chose d’inutile, il semblerait.

« Ha ha ha. Quelle histoire amusante, » dit-il avec un hochement de tête satisfait. « En guise de remerciement… Oh, vous êtes en train de décider du cadeau de Zagan, n’est-ce pas ? Je vous aiderai à préparer n’importe quoi, tant que c’est dans mes cordes. »

« Vraiment ? Merci beaucoup, Lord Naberius, » répondit Néphy.

« Ne vous en faites pas. On devrait s’entraider dans les moments difficiles, non ? »

Il fallut à Alshiera tout ce qu’elle avait pour empêcher sa main droite de dégainer son chasseur de séraphin et de le diriger vers le regard détestable du sorcier, qui perçait à travers son masque. Ayant remarqué la rage brûlante derrière son sourire, Lilith poussa un cri discret et se leva d’un bond.

« Quelque chose ne va pas, Lilith ? » demanda Néphy en hochant la tête.

« Ce n’est rien, » répond Lilith en secouant vigoureusement la tête avant de lever un doigt pour changer de sujet. « Plus important, vous vouliez vous décider pour un cadeau, non ? Y a-t-il quelque chose en particulier que vous voulez lui offrir ? »

« Un cadeau… Eh bien, la pipe kiseru que je lui ai offerte la dernière fois a semblé beaucoup lui plaire. »

« Oh, vous voulez dire celle qu’il tire quand il est de bonne humeur ? Oui, il a vraiment l’air d’aimer ça. »

Il ne fumait pas beaucoup devant les autres, mais il avait clairement pris goût à ce cadeau.

Eh bien, je suis sûre qu’il sera ravi de tout ce que Lady Néphy lui donnera… Alshiera sourit à cette pensée.

« Naberius, que peux-tu faire ? » demande Foll.

« Oh, c’est vrai. Je peux fabriquer à peu près n’importe quoi en métal, que ce soit de petits bijoux comme une bague ou de plus gros objets comme des épées… ou même des machineries magiques comme les chasseurs de séraphins. »

Il lança à Alshiera un regard perçant, auquel elle avait répondu par un sourire de jeune fille.

Je devrais vraiment le tuer ici. La température de la pièce avait chuté à cette pensée, laissant Lilith tremblante et au bord des larmes.

Foll avait hoché la tête, sans vraiment montrer de signes d’attention à l’état de panique de Lilith, et avait dit : « Un bijou ou une arme ? Lequel serait le mieux ? »

« Hm… »

Les trois filles gémirent à l’unisson. Elles souhaitaient probablement choisir quelque chose de mémorable comme cadeau d’anniversaire, mais Zagan étant un Archidémon, il continuerait sûrement à se jeter dans la bataille. Elles devaient donc envisager de lui offrir quelque chose de plus pratique pour l’aider à préserver sa vie. Quoi qu’il en soit, le plus grand forgeron du monde se tenait devant elles.

Alshiera les regardait tandis qu’elles réfléchissaient au problème, mais ses pensées étaient entièrement ailleurs.

Son épouse, sa fille, et… Son attention se portait sur Lilith, mais elle ne la regardait pas directement. À l’exception de Naberius, quel destin aurait pu réunir ainsi ceux qui étaient si étroitement liés à Zagan ? Même sans aucun lien de sang, ils étaient sa famille.

Je me demande si le Roi aux yeux d’argent se souvient bien…

Il ne s’était même pas souvenu du visage d’Alshiera. Ce qui signifie, selon toute vraisemblance, qu’il ne se souvenait de rien. Mais quand même, même si c’était juste son propre désir égoïste…

Je veux qu’il se souvienne de Lilith…

Zagan n’était pas responsable de tout ça. Il était la plus grande victime, en fait. Le fait qu’il soit encore en vie était quelque chose dont on pouvait être éternellement reconnaissant.

Mais quand même, le Roi aux yeux d’argent m’a confié ces deux-là.

Et pourtant, Alshiera n’avait pas été capable de répondre à ses attentes. La vie qu’elle avait cru complètement épuisée s’était prolongée une fois de plus, aussi des désirs inutiles commençaient-ils à se former en elle. C’était la véritable raison pour laquelle elle avait été si absorbée par ses souvenirs ces derniers temps. En fait, il était nécessaire qu’elle annonce aussi aux autres l’anniversaire de Zagan. Alors qu’elle se torturait l’esprit à ce sujet, Lilith lui lança un regard perplexe.

« U-Um, Ma D — Je veux dire, Alshiera ? »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Elle ne s’était clairement pas encore habituée à appeler Alshiera par son prénom.

« Ai-je déjà rencontré Son Altesse quelque part ? » avait-elle demandé.

Les yeux d’Alshiera s’étaient élargis sous le choc. Elle n’aurait jamais pensé que Lilith serait celle qui demanderait une telle chose. La vampire était déconcertée par la question, mais elle avait simplement secoué la tête comme si ce n’était pas grave.

« Tee hee hee. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tu ne l’as pas rencontré. »

« Vraiment… ? »

Alshiera esquivait la question, mais elle ne mentait pas. Lilith pouvait probablement discerner ce fait. Même si elle n’avait pas l’air satisfaite de la réponse, elle avait lentement reculé. Naberius avait également regardé Alshiera avec curiosité.

Il semble que lorsque je m’abandonne au fil des événements, je finisse par donner trop d’informations inutiles. Ça n’arrivera pas.

Cela allait à l’encontre de ses principes de ne pas interférer dans leur vie, mais Alshiera avait décidé de corriger le cours de la conversation sans faire plier la volonté des filles.

« Voyons voir… » dit-elle. « Le Roi aux yeux d’argent n’aimerait-il pas quelque chose qu’il pourrait apporter lors d’un rendez-vous avec Lady Néphy ? »

« C’est… certainement vrai…, » dit Néphy, le bout de ses oreilles devenant légèrement rouges.

C’était suffisant pour que les filles arrivent à la bonne réponse.

« Je vois, » dit Lilith avec un hochement de tête. « Pourquoi ne pas lui trouver un étui pour la pipe kiseru ? »

« Quelle excellente idée ! Dans ce cas, j’aimerais essayer de le bénir avec du mysticisme, » s’exclame Néphy.

« C’est immédiatement devenu un trésor légendaire… »

Les filles semblaient excitées maintenant. Les choses allaient dans la bonne direction. Alshiera laissa échapper un soupir de soulagement quand elle remarqua que Foll la fixait.

« Alshiera. Que voulais-tu faire ? » demanda-t-elle.

Le vampire était resté bouche bée devant cette question inattendue.

« Que veux-tu dire ? »

« Tu voulais faire quelque chose pour Zagan, non ? Eh bien, nous n’avons pas encore entendu quoi. »

Foll était vraiment une petite fille intelligente. Elle en avait parlé même si Alshiera l’avait elle-même oublié. C’était la raison pour laquelle elles avaient toutes quitté le château pour le Palais de l’Archidémon. Avant qu’elle ne le sache, Néphy et Lilith se concentraient sur elle. Quant à Naberius, elle préférait qu’il ne la regarde pas.

Bien qu’elle ait hésité un moment, Alshiera avait haussé les épaules et s’était résignée, disant : « Ce n’est pas quelque chose de particulièrement important. J’ai juste… »

Elle ne pouvait pas trouver les bons mots. Elle le savait mieux que quiconque, mais Alshiera murmura comme si elle se souvenait d’un rêve : « Je veux juste le serrer dans mes bras… et lui dire félicitations. C’est tout. »

Cependant, l’expérience avait prouvé que le fait de vouloir l’enlacer ne ressemblait à rien d’autre qu’à une tentative d’attaque aux yeux de Zagan. De plus, même si elle demandait une telle chose, Zagan détesterait sûrement ça. Elle pouvait facilement l’entendre dire « Mais qu’est-ce que tu prépares ? » Et pourtant, au moment où elle commençait à se moquer d’elle-même, Néphy lui prit la main.

***

Partie 4

« S’il vous plaît, dites-lui, Lady Alshiera. »

« Cela ne fera qu’attirer les soupçons. Il n’y a aucune raison de faire ça le jour de son anniversaire. »

C’était le karma, en un sens. Alshiera avait souri amèrement.

« C’est Maître Zagan qui en décidera, » dit Néphy en secouant la tête de manière rassurante. « De plus, il n’a jamais vu quelqu’un fêter son anniversaire auparavant. Si vous connaissez un tant soit peu son passé, alors présentez-lui vos félicitations. »

Son épouse était toujours aussi têtue et autoritaire quand il s’agissait de Zagan. Alshiera releva soudainement la tête, voyant que Foll et Lilith hochaient également la tête avec elle.

« Eh bien… Je vais au moins faire l’effort, » murmura Alshiera.

« S’il vous plaît, faites-le. C’est une promesse, » dit Néphy.

Elle était vraiment sans pitié. Après avoir confirmé qu’Alshiera avait cédé, Lilith s’était tournée vers Naberius.

« L’idée est donc de fabriquer quelque chose pour y stocker le kiseru. Est-ce que vous savez quelque chose à ce sujet ? Aucun d’entre nous n’a jamais fumé. »

« Je connais bien ça. Il y a beaucoup de cas différents, alors je vais vous faire des plans. J’ai eu l’occasion d’entendre toutes sortes de choses amusantes aujourd’hui, alors je vous suis redevable. »

Alshiera commençait à penser sérieusement à mettre fin à l’affaire d’aujourd’hui avec ceci… quand Naberius s’était soudainement rappelé quelque chose.

« Maintenant que j’y pense, » dit-il, « je ne vous ai pas parlé de ça, n’est-ce pas, Lilith ? Comment ça se passe avec Furcas ? »

Le visage de Lilith s’était splendidement raidi face à la manifestation d’une toute nouvelle calamité.

À peu près au même moment où une calamité s’abattait sur Lilith au Palais de l’Archidémon, Zagan se promenait dans les rues de Kianoides.

Argh ! Qu’est-ce que je dois faire pour le cadeau de Néphy !?

Elle était sûre d’être heureuse de tout ce qu’il lui offrirait, mais c’est exactement ce qui rendait les choses extrêmement difficiles. Naberius était déjà en train de fabriquer une bague que Zagan devait offrir à Néphy. C’était une bague de mariage, ce qui était une nécessité entre un mari et une femme normaux. Cependant, cela et son anniversaire étaient des choses totalement différentes.

En ce qui concerne les choses que Néphy a déjà aimées… Je suppose qu’il y a ces gants que je lui ai donnés, non ?

Elle avait été plutôt enchantée par le cadeau qu’il lui avait offert pour Alshiere Imera. Elle était même allée jusqu’à les porter et les frotter contre sa joue quand elle dormait. Le simple fait d’essayer d’imaginer une telle chose était susceptible de faire exploser le cœur de Zagan. Pourtant, c’était un peu un problème qu’elle les chérisse trop et ne les utilise pas régulièrement.

Dans ce cas, pourquoi pas un ruban ?

Néphy avait toujours ses beaux cheveux blancs attachés avec un ruban rouge. S’il lui en offrait un, elle pourrait l’utiliser tous les jours, et elle le porterait certainement.

Mais un ruban est-il un cadeau convenable pour un homme ?

Zagan n’avait pas les connaissances nécessaires pour le discerner. Il aurait peut-être mieux fait de s’en remettre honnêtement à Manuela ou à d’autres, mais dans ces moments-là, il préférait essayer de réfléchir par lui-même. De nouveaux vêtements étaient une autre option, mais quand il s’agissait de vêtements, il préférait les choisir avec Néphy, ce qui rendait impossible d’éviter d’impliquer Manuela.

Alors que de telles pensées traversaient son esprit, Zagan arriva à l’Église.

Il faut donc que je fasse quelque chose pour que je puisse fêter l’anniversaire de Néphy sans réserve.

C’était un problème qui devait être prioritaire par rapport à l’élimination de Shere Khan. Et juste au moment où il levait la main pour frapper à la porte…

« Hein ? Zagan ? »

« Hrm ? Chastille ? »

La porte s’était ouverte toute seule de l’intérieur, révélant un visage familier. Chastille — aux cheveux et aux yeux écarlates — arborait une expression digne. Elle était apparemment en mode travail. Quand il s’agissait de sa vie privée, elle se transformait toujours en épave, mais il n’en allait pas de même au travail. Elle ne portait pas les vêtements d’un évêque, mais était plutôt vêtue d’une Armure Sacrée.

« À en juger par ton apparence… s’est-il passé quelque chose ? » demanda Zagan avec une grimace.

Cette fille ne portait pas seulement le titre de « Vierge de l’épée sacrée », mais était également la responsable de cette église. Elle se consacrait habituellement aux tâches de bureau, elle ne montait pas souvent au front. Il devait y avoir une urgence pour qu’elle prenne son épée.

Chastille secoua la tête d’un air inquiet avant de répondre : « Non, ce n’est pas encore très grave. Nous avons juste reçu de nombreux rapports faisant état de l’apparition d’un individu suspect à la périphérie de la ville. Vu les circonstances actuelles, je suis un peu inquiète, alors j’aimerais aller voir de mes propres yeux. »

« En périphérie, hein ? »

Kianoides était sous l’autorité de l’Église, mais était aussi le domaine de Zagan. De multiples barrières qui réagissaient à toute intrusion de sorciers protégeaient la ville. Cependant, cela ne s’appliquait qu’à l’intérieur de la ville. Ils ne pouvaient rien détecter à la périphérie.

Cela veut-il dire que quelqu’un qui connaît l’emplacement exact du bord de ma barrière se faufile pour un repérage ?

Au minimum, il fallait les compétences d’un candidat Archidémon pour y parvenir. L’intuition de Zagan était probablement la même que celle de Chastille.

« Penses-tu que c’est un des subordonnés de Shere Khan ? » lui demande-t-elle pour être sûre.

« Ce serait l’hypothèse logique… »

« Tu dis ça comme si tu avais une autre idée. »

Quand il s’agissait de travailler, cette fille était vraiment très compétente.

Zagan acquiesça d’un air irrité, puis dit : « Il est grand temps que Bifrons prenne des mesures indépendantes. Nous devrions envisager le pire scénario si c’est ce qui se passe, cependant, ce salaud va sûrement pousser les choses un peu plus loin que ça. »

« Es-tu venu ici pour me dire ça ? » demande-t-elle avec une grimace. Elle en avait déjà fait l’expérience par elle-même.

« Oh… Non, je suis venu pour discuter d’un autre sujet, » répondit Zagan d’un air las. « J’aimerais voir Nephteros… »

Il n’était pas venu en ville aujourd’hui pour choisir un cadeau. Son but était de voir Nephteros.

« Nephteros ? Elle devrait encore être dans mon bureau, » déclara Chastille d’un air confus. « Est-ce urgent ? Elle a dit qu’elle allait se rendre à ton château dans l’après-midi. »

Nephteros se rendait régulièrement au château pour prendre des leçons de mysticisme céleste auprès d’Orias. Cependant, le sujet qu’il souhaitait aborder serait difficile dans cette situation. Il était certain qu’elle détesterait l’idée que Néphy les entende, et Zagan voulait résoudre ce problème avant son anniversaire. Il pensait que Chastille devait aussi être au courant, mais elle partait en patrouille. La secouer trop pourrait faire s’écrouler son mode de travail, aussi décida-t-il de ne pas l’impliquer.

« Uhhh, oh c’est bon… En fait, j’ai appris la date de l’anniversaire de Néphy et Nephteros. »

« Hein ? Leur anniversaire ? » marmonna Chastille, l’air complètement confus. Mais elle avait ensuite pressé sa main sur son front en comprenant et elle avait dit : « Veux-tu dire que tu ne le savais pas jusqu’à maintenant ? »

« Je ne savais même pas que les anniversaires étaient censés être célébrés…, » murmura Zagan sur la défensive.

L’ombre aux pieds de Chastille avait tremblé. D’après le malaise que Zagan pouvait sentir en son sein, il semblait que le maître de cette ombre ne le savait pas non plus… ou l’avait complètement oublié. Zagan avait même l’impression d’entendre l’ombre ondulante dire : « Je t’en supplie, demande à la pleurnicharde quand est son anniversaire. »

Demande-lui toi-même, bon sang…

Cela dit, il était clair comme le jour que cet homme se moquerait de Zagan pour avoir fait tout un plat de l’anniversaire de Néphy. S’il partageait la même préoccupation, cela permettrait de contrôler ce genre de comportement, dans une certaine mesure.

« Maintenant que j’y pense, quand es-tu née ? » demanda Zagan, ne voyant aucun autre recours.

« Hein ? Je ne m’attendais pas à ce que tu t’en soucies. »

« J’ai une raison de t’en parler maintenant. Cela rendra les choses plus faciles par la suite. »

Chastille pencha la tête en signe de perplexité, mais répondit quand même : « Je suis née le dix-neuf d’Arnaki. »

« Hmm ? C’est assez proche de l’anniversaire de Néphy. Comme c’est pratique. »

La façon dont l’ombre aux pieds de Chastille se tortillait de désespoir était toujours aussi agréable.

« C’est vrai ? Quand est l’anniversaire de Néphy ? »

« Apparemment, le vingt-quatre… Ne le dis à personne, d’accord ? Je veux lui faire la surprise. »

« Vous êtes toujours les mêmes, tous les deux. D’accord. Promis, » dit Chastille… avant de s’interrompre et de demander : « Alors, c’est quand exactement ton anniversaire ? »

« Est-ce que j’ai l’air de savoir ? »

« Désolée, je n’aurais pas dû demander. »

Elle détourna rapidement son regard, comprenant tout de suite l’essentiel de la situation. Puis, elle se souvint soudainement de quelque chose, se retourna vers Zagan, et demanda, « Alors, est-ce que tu sais quand est l’anniversaire de Barbatos ? »

« Penses-tu vraiment que je connais des informations aussi inutiles ? »

« Il n’est pas vraiment sans valeur, n’est-ce pas ? Même lui a le droit d’être félicité pour son anniversaire. »

L’ombre avait sauté sur la balle perdue inattendue.

« Je vois…, » murmura Zagan, les bras croisés. « Alors il faut vraiment féliciter quelqu’un pour son anniversaire. »

Les yeux de Chastille s’ouvrirent en grand. Une seconde plus tard, elle adressa à Zagan un doux sourire et lui dit : « Ce serait bien si nous pouvions trouver la date de ton anniversaire un jour. Je suis sûre que Néphy et tous les autres voudront le fêter avec toi. »

« Tu as peut-être raison… »

Cependant, cela ne pouvait se produire que si quelqu’un connaissait la date exacte. Zagan sourit amèrement, sans savoir que les autres paniquaient déjà sur ce qu’ils allaient faire pour son anniversaire.

« Bon, il faut que je me remette au travail, » dit Chastille. « Je vais demander à quelqu’un d’appeler Nephteros pour toi… Torres, as-tu un moment ? »

Elle avait appelé quelqu’un à l’intérieur de l’Église, et l’un des trois idiots s’était approché. C’était le lancier. Il s’éloigna pour aller chercher Nephteros, et Chastille poursuivit son chemin. Quelques minutes plus tard, Nephteros était sortie de l’Église.

Ses traits étaient extrêmement similaires à ceux de Néphy. Elle avait des oreilles pointues comme une elfe, et ses cheveux étaient argentés. Par contre, contrairement à Néphy, ses yeux étaient dorés et sa peau était foncée. Elle s’était installée dans l’Église, mais n’en faisait pas vraiment partie, elle restait donc habillée comme un sorcier. Cette femme était maintenant considérée comme la petite sœur de Néphy, mais était en fait son clone.

« C’est inhabituel pour toi d’avoir des affaires avec moi, Grand Frère. Est-ce que quelque chose est arrivé ? »

« Oui…, » dit Zagan en accompagnant sa belle-sœur jusqu’à la place devant l’Église et en la faisant asseoir sur un banc. « Il y a quelque chose d’important que je dois te dire. C’est peut-être un peu dur à entendre pour toi, mais… »

Nephteros se raidit. Cependant, comme il s’en était peut-être déjà rendu compte, il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour se préparer.

« D’accord… Laisse-moi écouter. Qu’est-ce qui arrive à mon corps ? » avait-elle demandé.

Zagan prit une profonde inspiration, puis il déclara d’une voix claire : « Nephteros. Tu vas mourir dans quelques mois. »

Tel était le problème sur lequel Zagan s’était creusé la tête, au point qu’il avait dû mettre en veilleuse les préparatifs pour la célébration de l’anniversaire de Néphy.

 

***

Partie 5

Sans aucun moyen de connaître l’angoisse que ressentait Zagan, Lilith se retrouvait dans un tout autre dilemme au sein du Palais de l’Archidémon. Néphy et Foll ne semblaient pas non plus désintéressées par la question de Naberius. Elles ne croisaient pas son regard, mais écoutaient très clairement avec attention.

Le silence régnait. Lilith avait, bien sûr, le droit de garder cela pour elle, mais son cœur n’était pas capable de résister à la pression de la mariée et de la fille d’un Archidémon, d’un autre Archidémon et du vampire qui servait de protecteur à sa maison.

Oui, même Alshiera, qui avait feint le désintérêt, était en fait très intéressée par la question. Elle n’aurait jamais cru que ce garçon deviendrait un Archidémon. Honnêtement, elle avait été très surprise lorsqu’elle avait retrouvé Furcas à l’intérieur de la barrière. Leurs chemins s’étaient croisés il y a cinq cents ans, et voilà qu’il réapparaissait devant elle avec l’Emblème de l’Archidémon en sa possession. Alshiera se sentait quelque peu déprimée qu’il ne se souvienne pas d’elle. Même si des êtres de longue vie comme les sorciers pouvaient être vus partout, retrouver quelqu’un après plusieurs siècles était un événement rare.

Et maintenant, ce garçon essayait de séduire son petit fauve. Il n’y avait aucune chance qu’elle soit désintéressée. Une telle pression de ses pairs pourrait anéantir les cœurs les plus fragiles, mais Lilith s’était efforcée de prononcer ses mots entre deux respirations irrégulières.

« Ummm... Uhhh… Je n’ai pas… répondu… encore… »

« Oh là là. N’est-il pas à votre goût ? » demanda Naberius, l’œil écarquillé alors qu’il agissait sans vergogne comme si cela le surprenait.

« Non, ce n’est pas…, » marmonne Lilith, tout en se tripotant les doigts.

« Détestes-tu les sorciers ? » demanda Foll en se penchant en avant sur son siège.

« N-Non ! Les gens du château sont tous des sorciers, et ils sont beaucoup plus gentils que ce que j’ai entendu. Je n’ai pas ce genre de préjugés… »

Eh bien, le seigneur dudit château passait chaque jour à se demander comment il pouvait s’entendre avec Néphy alors qu’il avait déclaré qu’elle était son épouse. Être témoin d’une telle chose au quotidien ferait que même le plus blasé des sorciers se souviendrait de son humanité.

« Alors, est-ce son âge ? » demanda Néphy. « Hum, j’ai entendu dire que Lord Furcas est bien plus âgé qu’il n’y paraît. »

« Hein ? Est-il si vieux que ça ? » demanda Lilith.

« Oh ! Non ! S’il te plaît, oublie que j’ai dit quelque chose. »

« Quoi ? »

Cela avait encore plus troublé Lilith. Néphy se couvrit la bouche de ses deux mains et détourna le regard. Elle était plutôt mauvaise pour garder des secrets, alors il fallait s’y attendre. De toute façon, qu’est-ce que Lilith trouvait d’inadéquat chez lui ? Elle n’avait pas l’air de pouvoir supporter d’autres questions.

« Hmm ! Je veux dire…, » Lilith murmura avant que quelqu’un d’autre puisse dire quelque chose. « Je ne sais pas vraiment quoi faire… quand il me dit si soudainement qu’il m’aime… »

Cette jeune fille innocente aux joues rouges était en fait une succube qui rassemblait sa vitalité en montrant aux autres des rêves obscènes. Elle était aussi la princesse de tous les succubes qui se vantait d’avoir la plus grande force parmi son peuple.

Eh bien, je me sentirais mal si on continuait à pousser le sujet.

Maintenant qu’elle avait vu quelque chose d’aussi beau, Alshiera avait décidé qu’il était temps pour elle de faire de la médiation. Cependant, avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, Lilith avait continué tranquillement.

« Et puis… Je ne suis pas celle qu’il aime vraiment. »

Alshiera se renfrogna, incapable de lire les véritables intentions derrière ces mots. Il était pratiquement impossible que Furcas soit amoureux de quelqu’un d’autre dans son état actuel.

« Dame Alshiera, » chuchota Néphy en se penchant vers son oreille. « Lilith a vu ce rêve sur le bateau. »

Alshiera avait cligné des yeux plusieurs fois en signe de confusion, incapable de comprendre ce que cela signifiait, puis elle avait trouvé la solution.

S’accroche-t-il encore à ce cauchemar d’il y a 500 ans avec tant de zèle ?

À l’époque, un certain incident avait réuni Alshiera et Furcas. Ils avaient agi ensemble à l’époque, mais ne s’étaient jamais retrouvés. Elle se souvenait de lui de temps en temps, se demandant seulement quel genre de vie il avait menée après cela, mais n’avait jamais essayé de le rechercher. Elle avait déjà juré de ne pas se mêler aux vivants, et le temps qu’ils avaient passé dans ce monde en tant que vampire et humain était bien trop différent, de toute façon. Mais pour Furcas, c’était une autre histoire. Le fait qu’ils aient vu ce rêve signifiait que c’était son tout dernier souvenir. En d’autres termes, il avait autant de poids dans sa vie. Alshiera se leva de son siège et se plaça devant Lilith, appuyant ses paumes sur ses joues.

« Lilith, tu te trompes, » dit-elle. « Tu es la seule personne dans le cœur de Furcas en ce moment. C’est bien trop triste pour toi d’en douter. »

Cependant, Lilith secoua la tête, puis regarda droit dans les yeux dorés d’Alshiera et dit. « Tu n’as pas vu ce que j’ai fait… Il a passé sa vie entière à te courir après. »

« Oh, j’ai compris maintenant, » ajouta Naberius en hochant la tête. « Je suppose que cela te dérangerait, n’est-ce pas ? »

« Peux-tu éviter de faire comme si tu savais tout ? » répondit Alshiera en jetant un regard à l’Archidémon.

« Oh là là. Tu es peut-être la seule à l’ignorer, » dit-il d’un ton taquin avant de poursuivre comme s’il chantait une chanson. « Le Chat des Vallées. Le plus grand maître au monde du saut dans l’espace. Il n’y avait aucune terre que l’Archidémon ne pouvait fouler. Et le dernier défi qu’il a relevé était de franchir la barrière autour du monde. Cependant, à la toute fin, il a été victime des affres du désespoir. »

« Le désespoir… ? » répéta Alshiera.

« Oui. Il se désespérait de ne pas avoir trouvé ce qu’il cherchait, alors qu’il avait déjà parcouru le monde entier. Et pour commencer, il se désespérait de voir qu’il avait oublié ce qu’il cherchait. Bien qu’honnêtement, je n’ai jamais pensé que ce serait toi. »

Furcas avait cherché Alshiera jusqu’à ce que tous ses souvenirs et émotions aient volé en éclats. Ces mots avaient poignardé le cœur d’Alshiera.

« Je vois… Alors c’est moi qui l’ai tué, hein ? »

Si j’étais restée à ses côtés jusqu’à la fin, rien de tout cela ne serait arrivé.

Elle avait l’intention de ne pas se mêler aux vivants, mais avait fini par le traiter bien plus brutalement qu’elle ne pouvait l’imaginer. Elle avait maintenant un péché de plus à porter avant de disparaître, mais c’était aussi exactement pourquoi il devait en être ainsi.

Alshiera avait saisi la main de Lilith et avait dit : « Dans ce cas, maintenant qu’il a enfin trouvé un nouvel amour, j’aimerais que tu lui répondes correctement. »

« Es-tu vraiment d’accord avec ça, Alshiera ? » demanda Lilith.

« Je n’ai jamais eu l’intention de l’accepter… »

Quand ils s’étaient séparés sur ce bateau, elle savait qu’il l’avait appelée. Mais Alshiera n’avait pas fait demi-tour. En conséquence, Furcas avait tout perdu. Son passé ne pouvait être changé. Mais son avenir était différent.

« Tu peux le rejeter. Tu peux l’accepter. Dans tous les cas, j’aimerais que tu lui donnes une réponse appropriée. »

Repousser sur des enfants ce qu’elle n’avait pas fait semblait extrêmement égoïste et irresponsable de sa part, mais ce garçon était enfin capable de regarder l’avenir maintenant. Le prix à payer pour cela était la perte de tous ses souvenirs, ce qui était un fardeau bien trop lourd, mais au moins il était enfin libre. Quoi qu’il en soit, Zagan s’était chargé de veiller sur lui. Tant que Furcas ne le trahirait pas, Zagan ne l’abandonnerait jamais.

« Un nouvel amour…, » murmura Lilith.

« Oui. Les gens tombent amoureux. Il y a des fois où ça ne peut pas se réaliser, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas le droit de trouver un nouvel amour, non ? »

C’est ce qu’elle disait, mais Alshiera trouvait cela très peu cohérent avec sa propre expérience. Bien qu’elle ait vécu mille ans, elle n’aurait jamais oublié son seul et unique amour. Était-il vraiment possible d’en trouver un autre ? Dans son esprit, l’amour était une chose ponctuelle. Une fois était plus que suffisante. Mais c’était aussi exactement pour cela qu’elle voulait affirmer le garçon qui avait trouvé son prochain amour.

« D’accord. Je vais y réfléchir, » dit finalement Lilith avec un hochement de tête.

« Merci. »

Alshiera était sûre que cela causerait beaucoup d’inquiétude à Lilith. Néanmoins, la façon dont la succube avait acquiescé fermement à sa demande était tellement belle.

Le soir venu, après avoir quitté l’Église, Zagan était resté à Kianoides et s’était rendu dans une taverne. Il était rare de le voir seul, avec une telle expression, broyant du noir en silence, ce qui fit réaliser aux habitants de la ville, pour la première fois depuis longtemps, que cet homme était un Archidémon. Par conséquent, personne n’avait essayé de lui parler.

Zagan avait tout raconté à Nephteros. Il avait essayé de ne pas la choquer autant qu’il le pouvait, mais il y a tout juste un an, il n’avait même pas compris le concept d’être prévenant. Il n’était pas certain que ses intentions aient été bien comprises.

« Nephteros. Tu vas mourir dans quelques mois. »

Elle en avait apparemment déjà une vague idée, puisqu’elle n’avait pas semblé terriblement secouée par la nouvelle elle-même. Cependant, elle n’avait pas approuvé le plan de Zagan pour résoudre le problème. On ne pouvait pas faire grand-chose à ce sujet. Zagan était un Archidémon, un roi parmi les sorciers. Toute résolution qu’il avait à proposer impliquait la sorcellerie. Étant né de la sorcellerie, il était très difficile pour elle d’accepter une telle chose.

Nephteros est ma belle-sœur. Je dois la sauver…

De telles pensées animaient Zagan, mais la maintenir en vie par un moyen qu’elle ne souhaitait pas ne pouvait pas être appelé la sauver. Cela reviendrait à lui imposer ses propres croyances, ce que Zagan méprisait le plus au monde.

Il y avait aussi, bien sûr, l’idée qu’elle pourrait un jour être sauvée, à condition de survivre. Mais selon Zagan, une telle opinion n’était qu’une façon de faire face aux temps difficiles. Ce n’était pas une justification pour prolonger la vie de quelqu’un en le forçant à prendre des médicaments qu’il ne voulait pas. C’est pour cela qu’il restait agonisant devant ce problème.

Je n’ai aucun moyen de la sauver.

Comment pouvait-il fêter l’anniversaire de Néphy dans de telles circonstances ? Il laissa intact le verre qu’on lui avait apporté, complètement plongé dans ses propres peines, quand un idiot prit place en face de l’Archidémon sans demander son avis.

« Dégage, Barbatos. Je suis de mauvaise humeur. »

Assis devant lui, un jeune homme avait le même visage malsain que d’habitude renforcé par de larges poches sous les yeux qui donnaient l’impression qu’il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours. De nombreuses amulettes pendaient à son cou, sa robe était usée et ses cheveux étaient négligés. C’était l’un des anciens candidats Archidémon et l’ami indésirable de Zagan, Barbatos.

Zagan ne parvint pas à cacher l’irritation dans sa voix alors qu’une fissure se créait sur le verre devant lui. Il n’exerçait pas une pression suffisante pour tuer les personnes au cœur fragile, mais il les rendrait probablement inconscientes. La serveuse, qui attendait l’occasion de prendre sa commande, sursauta, mais ne s’effondra pas. Maintenant qu’il la regardait, il réalisait que c’était la même fille qui s’était évanouie lorsqu’il avait rencontré Raphaël pour la première fois.

La colère de Zagan pouvait être considérée comme une attaque, mais son ami sinistre n’avait même pas bronché, prenant le verre brisé en main. La glace à l’intérieur avait complètement fondu. Barbatos engloutit son contenu d’un trait, puis abattit le verre devant Zagan, le réduisant en miettes.

« Comme si j’en avais quelque chose à foutre de ton humeur, » dit Barbatos.

« Veux-tu que je tue — !? »

Cette fois, Zagan avait parlé avec une intention de tuer claire, mais c’est Barbatos qui l’avait attrapé par le col, faisant basculer la table. Le silence dominait la taverne.

***

Partie 6

« C’est quoi ce grognement ? Veux-tu te battre ? Alors, fais-le comme si tu en avais vraiment quelque chose à foutre ! » hurla Barbatos, puis cracha de rage. « Qu’est-ce qui te prend d’avoir l’air si déprimé !? Tu es furieux que l’elfe ait rejeté ton idée stupide !? »

Zagan semblait déconcerté par les mots étonnamment directs qui sortaient de la bouche de cet homme. C’était le sorcier connu sous le nom du Purgatoire, capable d’apparaître n’importe où à travers les ombres. Il avait, bien sûr, entendu la conversation de Zagan avec Nephteros.

« Alors peux-tu la sauver ? » demanda Zagan en grinçant des dents.

« Ha ! Pourquoi diable dois-je sauver cette femme hautaine ? C’est ce que tu veux, pas moi. »

Il avait un point de vue parfaitement raisonnable. Zagan était celui qui souhaitait sauver Nephteros alors que même la personne en question ne le souhaitait pas. Il avait perdu la raison de demander de l’aide à cet homme.

« Je t’en supplie, mec… C’est toi qui m’as mis le feu aux poudres et tout, » continua Barbatos en affaissant ses épaules. Il y avait un ton de supplication dans sa voix, comme si sa colère d’avant n’était qu’un mensonge. « Je ne sais même pas si on peut fêter son anniversaire ou non, et toi, tu te morfonds comme si ça n’avait aucune importance ! »

La tension dans la taverne s’était dispersée en un instant. Les clients retournèrent à leurs places, recommençant à commander de la nourriture et des boissons et à avoir des conversations amicales. La crainte qu’ils avaient pour l’Archidémon s’était réduite à des regards fades veillant sur un jeune homme en pleine croissance. Il y avait quelque chose dans tout cela qui ne plaisait pas à Zagan, mais il n’avait pas l’intention de les effrayer, alors il se contenta d’endurer avant de se tourner vers Barbatos.

Ah, alors ce type est venu chercher des conseils pour l’anniversaire de Chastille…

Après avoir autant attisé les flammes, il était logique que cela l’énerve de voir Zagan agir comme s’il ne se souciait pas du tout des célébrations d’anniversaire. En fait, en voyant le visage affligé de Barbatos, il était clair qu’il ne pensait qu’à Chastille. Il ne se souciait pas le moins du monde de Nephteros. Quel terrible être humain !

Mais je suppose que je suis dans le même bateau.

Zagan essayait seulement de sauver Nephteros pour pouvoir profiter pleinement de l’anniversaire de Néphy. Bien sûr, il n’avait pas l’intention d’abandonner Nephteros, mais Néphy était tout de même plus importante pour lui. Ces deux hommes étaient les pires sorciers, le comble de l’égoïsme, mais du coup, ils étaient d’accord pour dire qu’il fallait sauver Nephteros.

Zagan laissa échapper un petit soupir, faisant tournoyer son doigt dans l’air pour faire de la sorcellerie. La table renversée et le verre brisé reprirent leur place comme si le temps avait été remonté. Heureusement, le verre était toujours vide, il n’y avait donc pas besoin de s’inquiéter de l’élimination de son contenu. Après cela, il appela la serveuse.

« Brandy. »

« De la bière. Et aussi de la viande et du fromage fumés, » ajouta Barbatos.

« Tu vas payer toi-même pour ça… »

Et au moment où ils s’étaient assis à nouveau à la table…

« Tee hee. Et je voudrais du vin. »

Zagan et Barbatos se retournèrent pour faire face à la voix douce et familière. Avant qu’ils ne s’en rendent compte, une jeune fille qui n’avait pas l’air à sa place dans une taverne avait pris place avec eux. Elle plaça une autre chaise à côté d’elle, où elle y plaça son effrayante poupée en peluche. Elle était apparemment beaucoup plus lourde qu’elle n’en avait l’air. La chaise, et même le sol en dessous, craqua sous la pression.

« Que diable fais-tu ici ? » demanda Zagan.

Après avoir découvert son passé pitoyable et avoir su qu’il n’avait pas pu la sauver pendant ce cauchemar, il avait ressenti un certain soulagement lorsqu’elle avait été sauvée par quelqu’un d’autre. Cependant, il ne pouvait toujours pas deviner ce qui se passait dans son esprit et il n’était pas doué pour interagir avec elle. De plus, ce vampire était pire que Zagan pour lire l’humeur. Dans une situation aussi grave — grave pour les gens d’ici, du moins —, il ne voulait pas la voir.

Alshiera haussa les épaules, feignant l’ignorance, avant de dire sombrement : « Je suis également bien consciente des circonstances de Dame Nephteros. »

Après être resté à ses côtés pendant un mois, il était normal qu’Alshiera ait remarqué cette irrégularité. Cependant, Zagan était resté sur ses gardes. Il serait problématique que les choses se compliquent encore plus.

« Je ne sais toujours pas pourquoi Nephteros pèse si lourd dans ton esprit, » avait-il dit.

Cette fille ne bougeait que lorsqu’il s’agissait des descendants directs du Roi aux yeux d’argent ou d’Azazel. Nephteros était plus étroitement liée à Azazel, donc elle était en fait quelqu’un qu’Alshiera aurait souhaité voir mort.

Et pourtant, Alshiera avait répondu avec un murmure de pitié, en disant : « Même moi, je ne peux m’empêcher de sympathiser avec une fille aussi pure et franche. »

Zagan était sur le point de rétorquer quelque chose, mais bizarrement, il n’avait pas l’impression qu’elle mentait. Remarquant son regard perplexe, Alshiera développa un peu plus.

« En fait, j’avais l’intention de ne rester qu’un simple spectateur, mais la situation a un peu changé. »

Il ne pouvait qu’imaginer les turbulences à venir lorsque cette vampire serait impliquée.

« Très bien alors, » dit Zagan avec un grognement, restant prudent avec elle. « Maintenant que tu es là, je vais te demander de m’aider. »

C’est à ce moment-là que ces trois personnes, qui avaient vécu des vies totalement étrangères à l’acte de célébrer des anniversaires, avaient formé une alliance pour sauver Nephteros dans le but précis de célébrer l’anniversaire des autres. Quoi qu’il en soit, Zagan était complètement désemparé, il était donc prêt à recevoir tous les conseils.

Alors que leur conversation atteignait ce point, leur commande était arrivée.

« Excusez-moi… ? C’est du jus de raisin, » dit Alshiera à la serveuse.

« Oui. Et si tu essayais le vin quand tu seras grande ? »

Alshiera gonfla ses joues alors que la serveuse la traitait négligemment comme une enfant. Lui jetant un regard en coin alors que la serveuse la consolait d’une tape sur la tête, Zagan vida le contenu de son verre d’un trait, puis passa aux choses sérieuses.

 

 

« Alors ? Vous avez au moins quelques informations utiles après avoir pris la peine de venir ici, non ? »

« Ha ! Quel genre de conneries pratiques espères-tu ? Je ne peux rien faire contre la durée de vie d’un homoncule, » dit Barbatos en buvant une bonne gorgée de sa chope. Pourtant, il regarda Zagan droit dans les yeux. Cet homme ne considérait pas la vie humaine comme autre chose que des mauvaises herbes au bord de la route, mais il continua très sérieusement. « Au moins, je vais te donner un coup de main. La pleurnicheuse va commencer à faire un tas d’efforts inutiles si elle apprend que l’elfe va mourir. Elle ira jusqu’à tout foutre en l’air pour ça, puis finira toute déprimée comme une idiote de ne pas avoir pu la sauver. »

Un Chevalier Angélique n’avait aucun moyen de sauver un homoncule. Chastille le savait sûrement, mais elle essayerait quand même imprudemment de faire quelque chose. Barbatos prit une nouvelle gorgée de son verre, le vida et fit claquer la chope sur la table avec un bruit sourd.

« J’en ai marre de voir son visage comme ça. »

C’était une raison étonnante pour lui de prêter main-forte à Zagan. Aveugle à ses propres lacunes à cet égard, Zagan lança un regard exaspéré à son ami lorsqu’Alshiera posa une question.

« La sorcellerie est en dehors de mon domaine d’expertise, mais… Je pensais que l’extension de la durée de vie était la spécialité des sorciers. »

Les yeux de Zagan et Barbatos s’écarquillèrent devant cette déclaration totalement inattendue. Apparemment, même un vampire millénaire ne sait pas tout.

« Devons-nous commencer par là… ? » dit Zagan. « Peu importe. Je vais te l’expliquer. Nephteros est le clone de Néphy. En d’autres termes, c’est un homoncule. »

Alshiera semblait avoir compris cela. Elle avait fait un signe de tête sans poser d’autres questions.

« Cependant, les homoncules ont une vie courte par nature. Au plus, ils ne vivent que quelques années. S’ils tiennent le coup, peut-être dix. Il existe diverses théories sur la raison pour laquelle leur durée de vie est si courte, mais je les laisse de côté pour l’instant. »

Chez les sorciers, les êtres vivants étaient considérés comme étant composés de sphères minuscules appelées cellules. Un homoncule prenait ces cellules, les divisait et les multipliait pour créer une forme humaine. Cette multiplication causait des dommages à un niveau qui ne pouvait pas être observé par la sorcellerie. Ou peut-être y avait-il une limite au nombre de fois que ces cellules pouvaient être divisées. Quoi qu’il en soit, le corps d’un homoncule s’autodétruisait toujours au bout d’une décennie.

« Permets-moi d’en venir directement à la conclusion, » poursuit Zagan. « Il est possible de prolonger leur vie avec la sorcellerie, mais le mieux que nous pouvons faire est de l’aider à atteindre la limite des dix ans. »

Zagan le savait très bien. Il n’avait pas que la sorcellerie à sa disposition. Il avait la mystique des elfes supérieurs, la sorcellerie des dragons, et même tous les trésors sacrés de Liucaon. Avec quelques années de plus, il pourrait probablement trouver un moyen de prolonger sa vie.

Mais la détérioration du corps de Nephteros va beaucoup plus vite que je ne l’avais imaginé.

Azazel était la cause probable. De retour dans la cité sous-marine, et lorsqu’elle était entrée en contact avec Aristella, Azazel avait empiété sur le corps de Nephteros. En comptant le Seigneur-Démon de la Boue à Suflaghida, cela faisait trois fois. Cela avait fatalement raccourci la vie déjà brève qu’elle avait en tant qu’homoncule.

« Sérieusement… C’est quoi le problème de cette femme avec ta solution ? » grommela Barbatos, mécontent.

« Y a-t-il un moyen de la sauver ? » demanda Alshiera, les yeux écarquillés par la surprise.

« Eh bien, oui. Il n’y a aucune raison de jeter un homoncule en fin de vie, sauf si c’est un échec total, donc il y a une façon spéciale de les gérer. »

Alshiera avait l’air complètement perdue, ce qui fit que Zagan compléta son explication.

« Normalement, un homoncule n’est qu’un appareil destiné à ne rien faire d’autre qu’obéir aux ordres de son créateur. Nephteros est une exception parmi les exceptions. Néanmoins, les homoncules ordinaires accumulent des connaissances et de l’expérience, il est donc beaucoup moins efficace de donner des ordres à un homoncule tout neuf. »

Un homoncule n’était qu’un outil pour un sorcier, mais il s’agissait tout de même de créations extrêmement précieuses qui devaient être manipulées avec soin. Même le Grand Archidémon Andrealphus avait conservé un homoncule de lui-même pendant plusieurs siècles. Compte tenu de la quantité de travail nécessaire à leur création et à leur culture, seuls un énorme idiot ou un fou autodestructeur en jetteraient un.

Nephteros est la petite sœur de Néphy avant tout.

Zagan n’avait jamais vu la fille comme un outil. Il la voyait comme un individu. Néanmoins, son corps était, en fait, celui d’un homoncule. Il devait le reconnaître correctement pour trouver une solution.

La création d’homoncules avait commencé il y a des siècles. Les sorciers avaient manifestement passé une grande partie de ce temps à développer davantage la technologie. Il était impossible de prolonger leur durée de vie, mais il y avait des moyens de les maintenir en vie.

« Ainsi, lorsque l’espérance de vie d’un homoncule s’épuise, il change de corps, » conclut Barbatos.

Si le réceptacle devait se briser, il leur suffisait de le remplacer. En créant un nouvel homoncule, il était possible de transplanter l’esprit de l’original. C’était la méthode actuelle utilisée par les sorciers pour maintenir leurs homoncules.

***

Partie 7

« Je savais déjà qu’elle ne l’accepterait pas…, » dit Zagan en secouant la tête.

« Pourquoi cela ? » demande Alshiera.

« Nephteros a été créée par l’Archidémon Bifrons, » répondit Zagan. « Bien que je ne pense pas qu’il y ait des gens honnêtes parmi les sorciers, ce connard est le pire de tous ceux que je connais. »

Barbatos s’était gratté la tête, réalisant la réponse avec un soupir.

« Qu’a fait Bifrons ? » demanda Alshiera.

Zagan laissa échapper un lourd soupir, puis dit : « Tous les essais ratés de Bifrons ont été transformés en chimères à moitié pour le plaisir, puis jetés. »

Lorsque Nephteros avait fui son maître en découvrant ses origines, Bifrons avait envoyé ces monstres à sa poursuite. Sans Chastille, Nephteros aurait péri de leur main. Zagan aurait pu la protéger, mais il doutait qu’elle soit capable de sourire comme elle le fait maintenant s’il l’avait fait. Il pensait que Nephteros avait réussi à surmonter cet incident, mais il était hors de question qu’elle accepte d’échanger son corps contre un autre homoncule.

Alshiera avait porté sa main à sa bouche comme pour retenir une envie de vomir, puis elle avait dit : « J’ai vu beaucoup de choses sans valeur après avoir erré dans ce monde pendant un millier d’années, mais c’est parmi les pires que j’ai jamais entendu. »

Son ton semblait impliquer qu’elle irait immédiatement achever Bifrons s’il ne comptait pas parmi les vivants.

« Il n’est pas réaliste de penser que nous pourrons trouver une solution dans le mois qui nous reste, alors que d’autres ont passé des siècles à faire des recherches sur le sujet, » marmonna Zagan en essayant de mettre de l’ordre dans ses idées.

« Oui, je me disais la même chose, » convient Barbatos.

S’ils ne parvenaient pas à sauver Nephteros en un mois, ils n’auraient pas le temps de se préparer pour l’anniversaire de Néphy. Comme l’anniversaire de Chastille était aussi à cette époque, Barbatos poussa un profond gémissement.

« Nous n’avons pas autant de temps…, » dit Alshiera en secouant la tête.

« Quoi ? »

« Une semaine… Non, j’ai besoin de le résoudre en quelques jours, si possible. »

Impossible était le premier mot qui lui était venu à l’esprit, mais Zagan savait pourquoi cette fille était si pressée.

« Je vois… Toi aussi… »

Zagan jeta un regard plein de pitié vers le bas. Pendant le cauchemar de l’autre jour, Zagan avait découvert le secret d’Alshiera. Il avait vu sa véritable forme, qui avait été utilisée comme sacrifice humain pour maintenir ce temple. Son corps, qui semblait se situer entre la pierre et le plomb, avait continué à soutenir le monde entier dans cet espace terrifiant et froid pendant mille ans. Cependant, malgré tout cela, son corps était toujours vivant. Même si la vie d’Alshiera devait prendre fin ici, elle ne serait probablement jamais libérée de son rôle de clé de voûte de la barrière pour l’éternité. La destruction du temple aurait dû faire disparaître l’Alshiera devant eux, mais le pouvoir de Lilith avait réussi à maintenir son existence… Cependant, il n’avait pas restauré son espérance de vie perdue.

Ce qui signifie que la dernière chose qu’elle veut faire est de sauver Nephteros.

C’était probablement la dernière fois qu’elle pouvait disparaître. Il n’y avait plus de résurrection possible, même si elle était du Clan de la Nuit. Cet espace froid deviendrait son tout pour l’éternité. C’était une vampire irritante, mais il voulait au moins exaucer son dernier souhait.

« Hein ? Non, ce n’est pas vraiment… »

Alshiera avait essayé de dire quelque chose dans la panique, mais ne pouvait pas le nier.

« Ce qui signifie que nous devons sauver Nephteros dans les prochains jours, » dit Zagan en se tournant vers Barbatos.

« Ha… Quelle emmerdeuse ! »

Même s’il grommelait, Barbatos avait probablement compris ce qui se passait, il n’avait donc pas objecté. Alshiera fit une expression maladroite, se sentant encore plus coupable qu’avant, mais c’était à peu près comme d’habitude avec cette fille. Zagan fit preuve d’une grande considération en faisant semblant de ne pas le remarquer.

« Dans ce cas, le moyen avec lequel nous le faisons est encore plus problématique que jamais. Au pire, nous pourrions même envisager de la rendre non-morte comme toi. »

Il existait une méthode pour transformer un sorcier en vampire. Zagan n’avait jamais entendu parler d’un homoncule qui le deviendrait, mais c’était possible pour n’importe quelle race, apparemment, alors ça valait le coup d’essayer.

« Morts-vivants… Oh, peut-être…, » murmura Alshiera.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Parle simplement. Je suis prêt à accepter n’importe quelle information à ce stade. »

Alshiera avait montré des signes d’hésitation, mais avait hoché la tête après une brève pause et avait dit : « Je pourrais avoir une idée. Cependant, il y a deux désavantages désespérés qui l’accompagnent… »

« Arrête de traîner les pieds. C’est toi qui es pressée ici, hein ? » dit Barbatos.

Alshiera le regarda d’un air contrarié, mais répondit quand même : « Vous en avez été témoin vous-même, mon Roi aux yeux d’argent. Mon vrai corps, je veux dire. En utilisant cela, il pourrait être possible d’accorder un nouveau corps à Lady Nephteros. Un corps qui ne soit pas un homoncule, bien sûr. »

« Vraiment ? »

« Cependant, il y a quelques obstacles majeurs sur notre chemin, » dit Alshiera en levant un doigt. « D’abord, même moi, je ne sais pas comment libérer mon corps de cet endroit. »

« Tu ne le sais pas ? »

« Eh bien… nous n’avons jamais vraiment eu le temps de considérer ce qui viendrait après. »

Alshiera était devenue un sacrifice humain il y a mille ans. Zagan ne pouvait même pas imaginer ce qui s’était passé à l’époque pour nécessiter un tel acte.

Pourtant, si c’est tout, il y a de l’espoir.

L’analyse de la sorcellerie était le domaine d’expertise de Zagan. Il avait même touché son corps directement auparavant, donc il savait que ce n’était pas impossible. Cependant, Alshiera avait ensuite levé un autre doigt.

« Le second est le plus gros problème de tous, » poursuit-elle, se retenant un moment avant de se résoudre à le dire. « Si mon corps est libéré, la barrière s’effondrera. »

Oh, en d’autres termes, ce sera la fin du monde…

Zagan s’était pris la tête dans les mains à cette idée. La destruction de la barrière d’Alshiera entraînerait l’invasion d’Azazel. Le monde n’avait aucune chance de tenir trois jours dans cette situation. Même si tous les Archidémons et Archanges travaillaient ensemble, ils ne pourraient pas gagner de temps. L’anniversaire de Néphy disparaîtrait complètement. C’était une chose que Zagan ne pouvait pas contrecarrer pour le moment.

« Hein ? Je ne comprends pas vraiment, mais ça ne veut-il pas dire que c’est impossible ? » dit Barbatos en faisant claquer sa langue. « Merde, tu es inutile. »

« J’ai simplement parlé parce qu’on m’a demandé de fournir toutes les informations dont je disposais… »

En fait, compte tenu de la façon dont cette fille balayait habituellement toutes les questions qu’on lui pose, elle se montrait étonnamment coopérative.

Un nouveau corps… J’ai déjà entendu ça quelque part…

Une pensée soudaine était venue à Zagan. Il sentait que les points commençaient à se connecter. Quel était l’objectif de Shere Khan au départ ? Refaire Azazel et ramener les morts…

« Mon roi aux yeux d’argent. »

La voix d’Alshiera fit s’arrêter les pensées de Zagan. Il secoua la tête pour faire le vide dans son esprit. Il était dangereux d’accorder plus d’attention à Azazel. Maintenant qu’il comprenait ce qu’il était, même si ce n’était qu’un peu, se rapprocher de la vérité pourrait le réveiller.

« Ce n’est rien… Ne t’en fais pas, » avait-il dit.

Dans tous les cas, les informations d’Alshiera avaient permis de trouver un moyen de sauver Nephteros, mais ce n’était pas quelque chose qui pouvait être accompli en quelques jours seulement. Il était dans une impasse.

Zagan croisa les bras et leva les yeux au plafond. Il semblait y avoir eu un déversement à l’étage supérieur, provoquant la propagation de la moisissure entre les fissures du bois. Si cette planche n’était pas entièrement remplacée, l’érosion risquait de se propager davantage. Considérant le désagrément qu’il leur avait causé plus tôt, Zagan leva un doigt et le fit tourner. Il incinéra complètement la moisissure, ainsi que la partie endommagée du bois, puis scella l’espace avec du mana matérialisé. C’était la même sorcellerie qu’il avait utilisée pour réparer la statue d’Alshiera l’autre jour. Il avait fait tout cela dans un état d’hébétude avant d’arriver à une réalisation soudaine.

Ne puis-je pas utiliser ça pour refaire le corps de Nephteros au niveau cellulaire ?

Recréer une personne en utilisant uniquement du mana nécessiterait le mana de centaines de sorciers moyens. Cette idée était ridicule, mais Zagan avait quelque chose qui pouvait être considéré comme un fourneau de mana pur… à savoir, le sceau de l’Archidémon. En l’utilisant, c’était possible. Néanmoins, il serait extrêmement difficile d’amener une telle technique à un niveau pratique en quelques jours.

Ce n’était pas impossible, mais ce n’était pas non plus réaliste. Cela valait la peine de l’essayer, mais il ne pouvait pas dire qu’une telle méthode serait capable de sauver Nephteros à elle seule, surtout avec seulement quelques jours pour la développer. Au mieux, il fallait la considérer comme une option secondaire. Il devait vraiment préparer un autre plan en parallèle.

Alors qu’ils continuaient tous les trois à ne pas trouver de bonnes idées, Barbatos laissa échapper un gémissement et dit : « Je suppose que la seule solution est de changer de réceptacle ? Il est plus réaliste de penser à un moyen d’obtenir l’accord de cette femme plutôt que de trouver une solution bizarre qui pourrait ne pas fonctionner. »

C’était un argument étonnamment solide venant de cet homme. Créer un nouveau corps pour elle était une affaire simple. Si Zagan rappelait Gremory ou Shax, ils pourraient facilement créer un homoncule et baser ses cellules sur Néphy en utilisant une mèche de ses cheveux. Cela ne prendrait même pas trois jours.

« Nous sommes en train de nous tourmenter parce que nous ne pouvons pas faire ça, » dit Zagan en secouant la tête avec étonnement.

« Ça ne sert à rien de râler et de se plaindre, hein ? Qu’est-ce qu’elle a, de toute façon ? Pourquoi rejette-t-elle un moyen de survie ? Elle est suicidaire ou quoi ? »

Alshiera grimaça à ses paroles, mais cela n’avait pas vraiment de rapport avec le problème actuel.

« Elle ne veut pas mourir, » dit Zagan en secouant la tête une fois de plus. « Mais elle ne veut pas non plus vivre si cela signifie créer un autre homoncule. »

« Haaah… Quel beau problème ! Je suis jaloux. »

Il semblait être temps de donner à cet homme un bon coup de poing au visage. Zagan serra le poing quand Alshiera leva soudainement la main, faisant une sorte de révélation.

« Oh là là, c’est une idée formidable, » avait-elle dit.

« De quoi parles-tu ? »

« Je parle de convaincre Lady Nephteros. »

Zagan grimaça. Il ne pensait pas que le vampire était aussi stupide que Barbatos, donc elle devait avoir quelque chose sur lequel se baser pour affirmer cela.

Alshiera plaça sa main sur sa poitrine, puis déclara avec confiance : « En bref, nous devons simplement lui donner envie de vivre au point qu’elle ne se soucie pas des moyens, n’est-ce pas ? »

« Y a-t-il un moyen de faire ça ? » demanda Zagan.

« Mon Dieu, je n’aurais jamais pensé que vous seriez celui qui demanderait cela, mon Roi aux yeux d’argent. Ce n’est qu’une simple question, vraiment. »

Zagan avait hoché la tête en entendant cela, ce à quoi Alshiera avait fièrement répondu : « Il faut juste qu’elle tombe amoureuse. »

***

Partie 8

« Mais qu’est-ce que tu dis !? » Zagan et Barbatos s’exclamèrent tous les deux avec des regards sérieux et soupirèrent à l’unisson.

« Alshiera… Je suis sérieux là, » ajouta Zagan.

« Haaah… Pourquoi les femmes sont-elles toutes roses et marguerites là-haut ? Même la pleurnicharde peut faire les choses correctement quand elle essaie, tu sais ? »

« C’est vrai. Néphy ne ferait jamais de blagues quand quelque chose me préoccupe sérieusement. »

« Pourriez-vous, messieurs, essayer de dire cela une fois de plus en mettant vos mains sur votre poitrine ? » demanda Alshiera, tout à fait étonnée.

Les deux hommes avaient détourné leurs regards.

« Pourtant… N’est-ce pas un peu excentrique d’essayer de guider les pensées de quelqu’un en utilisant l’amour ? »

« Ce n’est pas tout à fait vrai. Dame Nephteros est dans le même cas que Foll il n’y a pas si longtemps. Elle a un intérêt pour l’amour. De plus, il y a déjà un gentilhomme qui est parfait pour elle. »

La rage et le désespoir dominaient l’esprit de Zagan à l’idée que sa fille tombe amoureuse d’un homme. Mis à part cela, cependant, il comprenait où Alshiera voulait en venir.

« Tu veux dire, Richard. »

C’était le nom du chevalier angélique qui avait été assigné comme garde de Nephteros. C’était un homme honnête dans l’âme. Même Zagan n’avait pas à se plaindre de son caractère. S’il devait reprocher quelque chose à Richard, ce serait qu’il aurait préféré qu’il obtienne la force d’un Archange moyen afin de ne pas lui causer de soucis inutiles.

Néanmoins, Zagan secoua la tête et expliqua : « Elle n’a pas du tout remarqué ses approches galantes jusqu’à présent. Penses-tu vraiment que quelque chose peut être fait à ce sujet en quelques jours ? »

« Tee hee hee. Maintenant que vous lui avez dévoilé la vérité, mon Roi aux yeux d’argent, je crois que ce sera possible. »

« Que veux-tu dire ? »

« Eh bien, il suffit de regarder et de voir, » répondit Alshiera avec un sourire suspicieux, refusant de dire un autre mot sur la question.

Cependant, aussi réticent qu’il soit, ce plan semblait être le plus susceptible de réussir, et Zagan n’avait d’autre choix que de s’y rallier.

À peu près au même moment, Lilith s’était retrouvée à errer sans but autour de Kianoides. Naberius avait fini par se charger de préparer les cadeaux de chacun pour Zagan. Elles lui avaient simplement dit ce qu’elles voulaient offrir, ce qui était apparemment suffisant pour lui. Lilith s’était demandé pourquoi un Archidémon était si généreux, mais il en avait ri, disant qu’il avait déjà reçu un paiement plus que suffisant.

Tout ce qui restait à faire était de préparer la fête dans le dos de Zagan. Heureusement, ils avaient plus qu’assez de temps pour le faire. Lilith n’avait rien d’autre à faire en ville. Il aurait été préférable qu’elle retourne directement au château, mais elle savait que si elle le faisait, elle finirait par voir Furcas.

Elle avait promis de faire face à la confession de Furcas, mais elle se sentait toujours très mal à l’aise en sa présence, ce qui l’empêchait de tenir une conversation correcte. C’est pourquoi, même après le retour des autres au château, elle se promenait en ville à pas lourds.

Il faut que je revienne vite et que je donne un coup de main en cuisine… Je m’inquiète aussi pour Selphy…

Son amie d’enfance s’était comportée de manière plutôt étrange ce matin-là. Lilith se souvenait avoir déjà vu cette expression sur Selphy. C’était le même visage qu’elle avait fait juste avant de s’enfuir d’Atlastia sans en informer personne. Si Lilith avait bien compris l’état d’esprit de Selphy à ce moment-là, elle ne se serait peut-être pas enfuie. Selphy avait, bien sûr, ses propres problèmes à régler à l’époque, mais malgré cela, Lilith regrettait sans cesse de ne pas avoir pu être là pour son amie d’enfance. Cette fois, elle devait lui parler.

« Je dois donner une réponse à Furcas, alors pourquoi Selphy est-elle la seule chose qui me préoccupe !? »

Peut-être que c’était juste une question de flux, considérant que les deux problèmes avaient surgi en même temps. Quoi qu’il en soit, Lilith se sentait sans motivation. Sans destination réelle en tête, elle avait continué à marcher dans les rues et avait laissé échapper un lourd soupir.

« Haaah… Sérieusement, qu’est-ce que je dois faire ? »

Lilith leva la tête lorsqu’elle entendit quelqu’un d’autre dire exactement les mêmes mots qu’elle à l’unisson. Un chevalier angélique aux cheveux et aux yeux écarlates se tenait devant elle. La jeune fille semblait avoir un ou deux ans de plus que Lilith. Sa splendide armure était un peu sale, peut-être parce qu’elle avait participé à une bataille en dehors de la ville. Lilith avait vu cette fille plusieurs fois au château de Zagan. La fille retourna le regard surpris de Lilith avec gentillesse.

« Oh ? Vous êtes… hum, le chevalier angélique qui s’arrête au château de temps en temps… ? »

« Chastille. Et vous êtes la succube qui loge chez Zagan, c’est ça ? »

« Mhm. Je suis Lilith. »

En y repensant, bien qu’elles se voyaient assez souvent, elles n’avaient jamais eu l’occasion de se parler. Après s’être présentée, Lilith avait ressenti un étrange sentiment de parenté avec elle. La même chose semblait s’appliquer à la femme Chevalier Angélique. Elle avait regardé Lilith avec un regard affectueux comme si elle avait trouvé sa sœur perdue depuis longtemps. Peut-être que les pleurnichards s’attiraient mutuellement ? Quoi qu’il en soit, elles étaient destinées à se croiser. Et c’est ainsi que les choses s’étaient passées.

Le Chevalier Angélique, Chastille, s’était éclairci la gorge, puis elle avait dit : « Hum, si vous le souhaitez, pourrions-nous parler un peu ? Seulement si vous avez le temps, bien sûr. »

« Oh ! Merci. C’est génial. J’espérais moi-même justement parler à quelqu’un… du moins, je le pense. »

Chastille s’était dirigée vers une boutique voisine, suivie de près par Lilith. Il s’agissait d’une sorte de salon de thé qui servait des repas simples comme des sandwichs. Les boissons étaient leur principale activité, à en juger par la grande variété de boissons exposées. À l’intérieur, il y avait même une montagne de desserts qu’il semblait impossible pour une seule personne de finir. La boutique était plutôt bondée de clients, alors elles avaient pris place autour d’une petite table. Bizarrement, elles avaient toutes deux commandé une tisane.

« Oh, vous buvez aussi de la camomille, Mlle Chevalier Angélique ? »

« Appelez-moi Chastille. Je n’ai jamais eu de goût que pour le thé noir, mais une bonne amie qui s’inquiète de mon anxiété m’a recommandé ce thé, et je n’en bois plus depuis. J’ai l’impression que ça apaise vraiment mon âme. »

« N’est-ce pas ? Je dors très bien quand j’en prends avant de me coucher. L’arôme est tout à fait merveilleux. »

Les deux femmes s’étaient souri l’une à l’autre en trouvant immédiatement un intérêt commun. La camomille était plutôt connue pour être utilisée pour se détendre et récupérer de l’anxiété, et les pleurnichards vivaient sur une accumulation d’anxiété, donc leur affinité pour elle était parfaitement logique. Lilith ne connaissait pas de tels effets, mais elle avait relevé le visage à la mention d’une bonne amie.

 

 

« Vous voulez dire Mlle Néphy ? » demanda Lilith. « C’est elle qui me l’a recommandé. »

« Oh… Non, je suis cependant sûre que nous l’avons eu toutes les deux de la même personne. Manuela m’en a parlé. Elle travaille dans un magasin de vêtements. »

Lilith s’était raidie à l’évocation de ce nom, puis elle avait demandé. « Voulez-vous parler de la femme-oiseau qui vient jouer au château de temps en temps… ? »

Manuela était une non-sorcière, tout comme Lilith et Selphy. De plus, bien qu’elle soit une étrangère complète, elle entrait hardiment dans le château comme bon lui semblait. Elle était un vrai mystère.

« Êtes-vous une autre de ses victimes… ? » demanda Chastille.

« Non, je ne le suis pas. Elle semble cependant être très attirée par mon amie d’enfance Kuroka… »

Chaque fois qu’elles se rencontraient, Kuroka hurlait parce qu’elle était obligée de mettre tous ces vêtements bizarres. Néphy était étrangement habituée à cela aussi, elle n’était jamais vraiment intervenue. Cela dit, elle mettait un terme à la situation quand elle trouvait que Manuela s’amusait trop. Par ailleurs, lorsque le sorcier Shax voyait les vêtements que l’on faisait porter à Kuroka, il avait l’air terriblement secoué, et le majordome Raphaël lui courait après.

« Ce n’est pas une mauvaise personne, » dit Chastille en se couvrant le visage comme si elle voyait tout cela clairement. « J’ai entendu dire que Néphy et l’un des membres de notre Église sont cependant souvent des victimes de ses manigances. »

Apparemment, Chastille n’avait pas non plus encore été victime d’elle. À en juger par la façon dont Manuela avait été la première à recommander la camomille à Chastille, peut-être la femme-oiseau avait-elle une considération particulière pour les pleurnichards.

Non pas que nous soyons des pleurnichards.

Lilith avait essayé de se convaincre de ce fait. Quoi qu’il en soit, elle avait l’impression de s’être complètement ouverte à Chastille en si peu de temps. Il semble que cela aille aussi dans les deux sens.

« Laissons Manuela de côté pour l’instant, » dit Chastille avec une expression douce. « Vous avez l’air bien déprimée. S’est-il passé quelque chose au château ? »

C’est la première fois qu’elles se parlaient vraiment, et pourtant Chastille s’inquiétait pour elle. Voyant Lilith la regarder avec étonnement, elle continua à expliquer lentement les choses sur un ton prévenant.

« Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en Zagan, mais vous n’êtes pas un sorcier, et vous vivez dans un château qui en est rempli. Je suis sûre qu’il y a des choses dont vous ne pouvez pas discuter avec eux, non ? Si vous voulez, je peux vous prêter une oreille. »

Quelle personne sage et généreuse !

Chastille avait sûrement ses propres soucis, mais elle avait quand même compris l’angoisse de Lilith d’un seul regard et lui avait gentiment tendu la main. Les coins des yeux de Lilith étaient devenus chauds.

« Ce n’est pas vraiment le cas, » répondit Lilith en essayant de faire semblant de cacher ses larmes. « On dirait aussi que quelque chose vous inquiète, Chastille. Je ne sais pas quels sont les problèmes auxquels les gens de l’Église doivent faire face, mais je pense que je comprends un peu la lourdeur des responsabilités d’un Archange. »

Lilith était membre d’une des trois grandes familles royales de Liucaon. Elle était la première princesse des Hypnoels. Elle avait fait de gros efforts dans ses fonctions royales pour éviter la crise d’extinction de son peuple et des autres espèces rares de Liucaon. Négocier avec un Archidémon toute seule avait été l’un de ces devoirs, en fait. De ce fait, elle comprenait très bien les difficultés des personnes haut placées. Pour une raison inconnue, Chastille porta la main à sa poitrine et chancela à ces mots.

« Est-ce que ça va ? » demanda Lilith.

« Oui, je vais bien. Euh, c’est juste qu’il y a si peu de personnes qui me voient sous un tel jour… »

Lilith s’était émerveillée de ce fait. Elles étaient toutes deux encore adolescentes et portaient un lourd fardeau que la plupart des gens normaux ne connaîtraient jamais, et pourtant personne autour d’elles ne s’en rendait compte. Lilith se pencha sur la table et saisit la main de Chastille.

« Je pense que vous êtes une personne merveilleuse, » dit Lilith. « Je ne peux peut-être pas faire grand-chose, mais j’aimerais que vous me parliez de tout ce qui vous préoccupe. »

« M-Merci beaucoup ! »

Des larmes de joie brouillèrent les yeux de Chastille, comme si elle avait trouvé son âme sœur. C’est alors que Lilith réalisa qu’elle n’avait pas encore répondu à sa première question alors qu’elle venait de confirmer leur amitié.

***

Partie 9

« Hum… Je suppose que vous ne pouvez pas vraiment considérer mon problème comme quelque chose qui mérite d’être angoissé… Récemment, un nouveau résident a emménagé dans le château. »

« Hmm. Un sorcier ? » demanda Chastille.

« Euh, je me le demande ? Il était apparemment un sorcier avant, mais il ne s’en souvient plus maintenant. Je ne pense pas que vous puissiez vraiment l’appeler un sorcier désormais. »

Mais il faisait toujours partie des Archidémons. Pour Lilith, les Archidémons étaient comme Zagan et Marchosias, des sorciers qui possédaient un pouvoir et une majesté énormes. Orias semblait être une Archidémon gentille, mais dès qu’elle cessait de sourire, elle était aussi capable de déchaîner une telle pression qu’il était impossible de la regarder dans les yeux. Lilith ne pouvait pas du tout imaginer Furcas faire la même chose.

« Cette personne a-t-elle causé des problèmes ? » demanda Chastille.

« Je suppose qu’on peut appeler ça des ennuis…, » Lilith avait fait une pause, puis elle avait pris une profonde inspiration avant de continuer. « Il m’a avoué ses sentiments… et je ne sais pas quoi faire. »

Les yeux de Chastille s’ouvrirent en grand. Puis elle hocha la tête comme si elle avait bien compris et dit : « Je vois… C’est pour cela que vous êtes troublée. »

« Je suis sûre qu’il est sérieux, mais j’ai fini par découvrir qu’il était amoureux de quelqu’un d’autre avant de perdre ses souvenirs…, » marmonna Lilith. Quand elle l’avait dit à haute voix, la poitrine de Lilith avait soudainement souffert. « La personne qu’il aimait est une de mes précieuses amies. Elle est vraiment maladroite, et on dirait qu’elle essaie de me le cacher, mais elle a vécu des expériences horribles, et pourtant elle continue à faire de son mieux… »

Lilith ne pouvait même pas imaginer combien il était difficile de vivre dans un pays sans sorciers pendant mille ans. Pourtant, elle savait qu’il devait être douloureux de se séparer immédiatement de tous ceux qu’elle rencontrait. Il aurait dû être possible pour Alshiera d’obtenir un peu de bonheur pour elle-même.

« Hak, gak, hnnngh… »

Pour une raison inconnue, Chastille avait serré sa main sur sa poitrine et avait eu une quinte de toux comme si Lilith avait parlé d’elle.

« Y a-t-il un problème, Chastille ? »

« Non, ce n’est rien. Rien du tout… Continuez, s’il vous plaît. »

À en juger par la sueur froide qui coulait sur le front de Chastille, cela ne semblait pas être rien, mais Chastille refusait obstinément d’en dire plus sur le sujet. Lilith s’était demandé si elle pouvait se permettre de ne pas appeler un médecin, mais elle avait décidé de continuer comme demandé.

« Je ne peux pas m’empêcher de me demander si les sentiments qu’il a pour moi maintenant ne devraient pas être dirigés vers elle… Elle dit que ce n’est pas le cas, mais j’ai l’impression de lui arracher quelque chose qu’elle aurait dû accepter… »

« Ce n’est pas vrai ! » cria Chastille avec conviction, en attrapant les épaules de Lilith. « Si cet homme est vraiment tombé amoureux de vous pour remplacer votre amie, alors c’est la lie de la terre. »

Lilith pouvait voir que Chastille savait que ce n’était pas le cas. Chastille continua en regardant Lilith dans les yeux.

« Mais s’il ne l’a pas fait, alors cela signifie qu’il est tombé amoureux de vous après avoir résolu correctement ses sentiments, » dit-elle. Des larmes avaient même perlé dans ses yeux lorsqu’elle avait déclaré : « Je suis sûre que ses sentiments pour vous sont bien plus grands que ceux qu’il a éprouvés pour votre amie ! »

Lilith était complètement submergée par sa passion. La réponse de Chastille semblait provenir de ses propres expériences.

« Avez-vous aussi vécu quelque chose de similaire ? » demanda Lilith.

Cela avait ramené Chastille à la raison. Son visage était devenu rouge vif, du menton jusqu’à la pointe des oreilles.

« Augh… Non, hum, je suis, hum… »

Il semblait que les femmes plus âgées étaient vraiment plus expérimentées en matière d’amour. Lilith avait accepté ses paroles avec une facilité inattendue.

« Je vois… Je n’y ai jamais pensé de cette façon, » murmura Lilith.

« M-Hmm ! Je suis… monsieur c’est le caté ! »

Chastille s’était mordu la langue en paniquant. On aurait dit qu’elle ne savait même pas ce qu’elle disait. Pourtant, Lilith pensait que ces grands sentiments étaient vraiment destinés à Alshiera. N’était-ce pas sale de les lui arracher ? Plus elle pensait à affronter Furcas, plus elle se sentait coupable, non seulement envers Alshiera, mais aussi envers Furcas. C’était comme si elle le trompait. Mais peut-être que Lilith s’en était convaincue uniquement pour se faciliter la tâche.

« Je ne pense pas pouvoir lui donner une réponse tout de suite, » répondit Lilith après une longue pause. « Alors d’abord, je vais essayer d’en apprendre plus sur lui. »

L’expression de Chastille s’était détendue avec soulagement. Cependant, elle était toujours rouge vif et avait les larmes aux yeux.

« Je pense que c’est une bonne idée, » dit-elle. « Je veux dire, qui sait, vous pourriez finir par tomber amoureuse de quelqu’un d’autre. »

« Quelqu’un d’autre… ? »

Pour une raison inconnue, l’amie d’enfance insouciante de Lilith lui était soudainement venue à l’esprit.

À quoi je pense ? On est toutes les deux des filles.

Elle s’était immédiatement débarrassée de ces pensées.

« Hum, merci de m’avoir écoutée. Vous avez donc vraiment une telle expérience, Chastille ? »

« Hein ? Non, hum, pas vraiment, mais peut-être juste un peu, donc… »

Le visage de Chastille semblait prêt à s’enflammer à tout moment. Elle secoua la tête, puis déplaça son regard vers le bas.

« Bon, vous vous êtes ouverte à moi sur un sujet difficile à aborder, alors je devrais aussi vous parler du mien…, » dit-elle.

« Vous n’avez pas besoin de le faire ! Je voulais juste que quelqu’un m’écoute ! Vous ne devriez pas vous forcer à me le dire ! »

Lilith était déjà très reconnaissante. Cependant, Chastille secoua la tête une fois de plus et commença à parler avec une expression fugace de tristesse.

« Hum… Il y a une fille nommée Foll qui vit avec Zagan, non ? »

« Hein ? Oui. C’est une bonne fille. »

Lilith était restée abasourdie à la mention d’un nom inattendu. Foll était la fille de l’Archidémon Zagan, et pourtant elle travaillait toujours dans la cuisine avec elle. Elle avait également pris part au groupe d’aujourd’hui et semblait s’amuser beaucoup. Honnêtement, il était difficile de croire qu’elle était en fait une sorcière, et encore moins une dragonne. Elle se comportait comme n’importe quel autre enfant normal. Lilith ne pouvait pas imaginer que Foll puisse causer des problèmes à quelqu’un d’autre. S’était-il passé quelque chose avec Chastille ? Lilith pencha la tête alors que Chastille se tripotait les doigts et en vint timidement au fait.

« Elle m’a rendu visite l’autre jour…, » dit-elle, puis elle s’arrêta. De toute évidence, les mots suivants étaient restés bloqués dans sa gorge, mais le chevalier angélique avait fini par se couvrir le visage et avait poursuivi : « Elle m’a posé des questions sur l’amour ! »

Les yeux de Lilith s’étaient ouverts à la nouvelle choquante. Puis, elle avait demandé, « Les choses ne vont-elles pas devenir vraiment sérieuses si Son Altesse entend parler de ça… ? »

« M-mmm. Je le pense aussi, donc je ne lui ai pas dit. »

En vérité, Zagan avait déjà entendu parler de l’affaire, et cela s’était transformé en une réunion de famille des forces les plus puissantes de son camp, mais ces filles n’avaient aucun moyen de le savoir.

Chastille avait réussi à se calmer un peu après s’être ouverte. Elle avait finalement baissé les mains de son visage avant de poursuivre : « Elle m’a demandé toutes sortes de choses embarrassantes, mais on peut les laisser de côté. Je suis sûre qu’elle tombera amoureuse un jour, alors ce comportement n’est qu’une preuve de sa croissance. »

Si c’était tout, alors on pourrait certainement en rire comme de la curiosité précoce d’un enfant. Mais l’Archidémon pourrait en faire une telle histoire que ce serait la fin du monde. En tout cas, qu’est-ce qui inquiétait Chastille ?

« Hum, jusqu’à il y a peu de temps, il y avait quelqu’un que j’aimais, » poursuit Chastille. « Cependant, lorsque je l’ai rencontré, il avait déjà une amoureuse, donc je ne pouvais pas être avec lui. Mais il avait traversé des moments si difficiles que je voulais être là pour qu’il puisse compter sur moi. »

Lilith avait hoché la tête en entendant cette histoire étrangement familière.

Non pas que je pense qu’il y ait quelqu’un ici qui ait eu la vie aussi dure qu’Alshiera… Ainsi se convainquait Lilith, incapable d’identifier son roi, Néphy, ou même elle-même.

« Eh bien, à la fin, il ne s’est jamais retourné vers moi. Il ne m’a même pas remarqué, en fait. Je ne voulais pas non plus me mettre en travers de leur chemin, donc je pensais avoir réglé ces sentiments en moi… Je pensais l’avoir fait, mais… »

Le sourire de Chastille n’était pas vraiment lumineux, mais il n’était pas non plus obscurci. Comme elle l’avait dit, elle avait déjà pris une décision claire à ce sujet. Lilith ne connaissait pas encore très bien l’amour, elle ne pouvait donc pas vraiment imaginer la douleur d’un amour non partagé.

Ce qui signifie que Furcas a longtemps souffert après avoir rencontré Alshiera…

Elle ne compatissait pas vraiment avec lui, mais cette pensée lui faisait mal au cœur.

Après cela, le visage de Chastille était redevenu rouge, elle avait renvoyé son regard vers le bas et avait dit : « Bon, ça suffit comme ça… Hum, quand Foll est venue m’interroger sur l’amour, le visage de quelqu’un d’autre m’est venu à l’esprit… »

Lilith était restée bouche bée devant cette remarque inattendue. Pendant Alshiere Imera, elle s’était évanouie après avoir bu. Pendant les vacances sur l’île inhabitée, elle avait été avec Selphy. Ainsi, à ces deux occasions, elle n’avait pas vu Chastille passer du temps avec Barbatos.

« Quel genre de personne est-il ? » demanda Lilith en se penchant sur la table.

« Hein ? Hum, même si vous me le demandez… je pense… qu’il n’est… pas vraiment un gentleman. Il se moque toujours de moi et me traite de pleurnicharde… et me traite comme une amazone. Aussi, je pense qu’il fait probablement de mauvaises choses quand je ne regarde pas ? Hmm. C’est le pire. »

Lilith avait l’impression qu’il était le genre d’homme qu’un Chevalier Angélique ne devrait pas fréquenter, ou qu’il devrait arrêter, mais elle avait sagement gardé cette pensée pour elle.

Le fait de le dire à haute voix avait semblé irriter Chastille. Sa voix s’était faite plus rauque dans la dernière partie de sa déclaration. Et pourtant, pensant peut-être être allée trop loin, elle s’était mise à marmonner.

« Mais… parfois, c’est une bonne personne. Seulement parfois, cependant. Oh, et il m’a aussi donné une jolie décoration de cheveux. »

Maintenant qu’elle l’avait mentionné, Lilith avait remarqué que Chastille avait une jolie épingle à papillon qui ornait ses cheveux. Elle avait l’air d’être faite en or véritable plutôt qu’en bronze, ce qui montrait que c’est un cadeau qui avait été sérieusement considéré.

« De plus, il me protège toujours. C’était apparemment la demande de Zagan au départ, mais maintenant, il me sauvera probablement en ignorant complètement ce fait. Je veux dire, il m’a même aidée pour des choses sans rapport avec cette demande… »

Lilith avait finalement compris pourquoi Foll était allée poser des questions à cette fille.

J’ai compris ! C’est ce que ça veut dire de se vanter de sa vie amoureuse !

Maintenant qu’elle y réfléchissait, il était tacitement entendu parmi les gens du château que Zagan et Néphy étaient destinés à être regardés de loin, donc il n’y avait pas beaucoup d’occasions de les interroger directement sur leur vie amoureuse. Elle était sûre que les deux parleraient longuement si on le leur demandait, mais cela provoquerait une overdose de sucre.

***

Partie 10

Sur ce point, il y a des choses que Chastille n’avait pas pu cacher alors qu’elle jouait honnêtement son amour. C’est formidable pour qui s’intéresse à l’amour. Mais dans ce cas, qu’est-ce qui la troublait ? Lilith attendit patiemment ses prochains mots.

« Et pourtant…, » commença Chastille avec une expression troublée. « Il ne s’est pas du tout montré aujourd’hui. Il ne me répond pas même quand je l’appelle… Ce n’est pas que je me sens seule… alors pourquoi je me sens comme ça… ? » dit Chastille avant de se taire. Une seconde plus tard, elle serra le poing contre sa poitrine, puis parla comme si elle était à bout de souffle : « Je ne suis pas vraiment la personne la plus prévenante, alors je ne peux pas m’empêcher de me demander si je n’ai pas fait quelque chose pour le mettre en colère. Et dès que je commence à penser ça, je m’inquiète vraiment, et ça commence à faire mal… Je ne veux pas qu’il me déteste… Je ne veux pas qu’il me quitte… Je commence à ressentir toutes ces choses égoïstes… »

On aurait dit qu’elle était au bord des larmes. Cette affaire semblait la troubler grandement, mais une certaine question vint à l’esprit de Lilith.

« Est-ce bizarre d’être égoïste… ? » avait-elle demandé.

« Je veux dire, l’amour n’est pas une chose pour laquelle on est censé demander une compensation, n’est-ce pas ? » dit Chastille comme si elle avait commis un grave péché.

Oh, je comprends maintenant. C’est ce qui la bloque.

Chastille parlait d’amour sans contrepartie. C’était, bien sûr, noble, mais Lilith pensait que c’était différent du véritable amour.

« Je ne fais qu’emprunter les mots de mon amie ici, mais…, » déclara Lilith. « Le désir et l’affection sont des choses différentes. »

« Désir et affection… ? »

« Oui. L’affection est quelque chose que l’on donne à l’autre, comme une mère à son enfant, » expliqua Lilith. C’était clairement ce dont Chastille avait parlé. « Mais le désir est différent. Vous voulez en savoir plus sur lui, l’avoir avec vous. C’est pourquoi vous pleurez et souriez avec ferveur pour lui. »

Lilith ne pouvait pas imaginer cette vampire si amoureuse comme ça, mais c’est ainsi qu’Alshiera lui avait décrit l’amour.

« Quand ces deux émotions se rejoignent, c’est l’amour. Vous ne pouvez pas en avoir qu’une émotion. Il faut que ce soit les deux. »

Ce n’était qu’une connaissance de seconde main d’Alshiera. Ça ne vient pas de la propre expérience de Lilith ou autre.

Pourtant, j’ai l’impression que je devais lui dire.

« Ce n’est que lorsqu’on a les deux que c’est de l’amour…, » marmonna Chastille. Elle n’était pas sûre d’avoir bien compris.

Lilith s’était soudainement souvenue de ce que Chastille avait dit plus tôt.

Je suis sûre que ses sentiments pour vous sont bien plus grands que ceux qu’il a éprouvés pour votre amie !

Peut-être ces mots reflétaient-ils en fait la propre expérience de Chastille. En tout cas, il est clair qu’elle s’inquiétait de la grandeur de ses sentiments. Chastille abaissa ses épaules, trouvant ce concept plutôt difficile à accepter.

« Mais je ne sais même pas vraiment si je l’aime…, » dit le chevalier angélique, ressemblant à l’exemple type d’une jeune fille amoureuse. « Et par-dessus tout… » poursuivit-elle avec un soupir, « tomber amoureuse de quelqu’un alors que j’étais amoureuse d’un autre assez récemment me fait passer pour une fille frivole, n’est-ce pas ? »

« Ce n’est pas vrai ! » Lilith avait crié par réflexe. « Il n’y a aucune règle qui dit qu’on ne peut pas trouver un nouvel amour quand le premier n’a pas fleuri. N’est-ce pas merveilleux de pouvoir passer à autre chose ? » dit-elle en prenant les deux mains de Chastille dans les siennes. « La personne que je connais a erré pour toujours, incapable de passer à son prochain amour. Il a même oublié qui il cherchait. Mon amie ne veut pas l’admettre, mais je pense qu’elle a toujours été amoureuse de quelqu’un qu’elle ne pourra plus jamais revoir. »

Peut-être était-ce une chose merveilleuse d’aimer une seule personne pendant si longtemps. C’était la relation que Zagan avait avec Néphy, après tout.

« Je ne sais toujours pas grand-chose de l’amour, » poursuit Lilith, « mais je pense que lorsqu’un tel amour n’est pas partagé, c’est vraiment douloureux. Alors n’est-ce pas incroyable de surmonter ça et de tomber amoureux de quelqu’un d’autre ? »

Cette pensée semblait risible de la part d’une fille qui ne connaissait rien à l’amour. Cependant, après avoir vu Alshiera et Furcas, c’est ce qu’elle croyait vraiment. Elle était sûre que tomber amoureuse demandait une grande dose de courage. À ce moment-là, des larmes avaient commencé à couler des yeux de Chastille.

« H-Huh ? Euh, je suis vraiment désolée…, » dit Lilith.

« V-Vous n’avez rien fait. Je ne pensais pas… que quelqu’un le dirait comme ça… »

Je suis sûre que ça a été dur pour elle…

Chastille avait dû s’en inquiéter toute seule. Ses larmes de soulagement étaient si belles.

« Cela fait longtemps que vous vous inquiétez pour ça, n’est-ce pas ? » demanda Lilith.

Est-ce que cela suffit à dissiper une partie des angoisses de Chastille ? Alors que Lilith s’interrogeait sur ce point, Chastille s’essuya les yeux et secoua la tête.

« Non, pas vraiment, » dit-elle.

« Vous ne l’avez pas fait ? »

Alors, de quoi s’agit-il ? Lilith était restée abasourdie.

« Euh, le sujet des anniversaires a été abordé aujourd’hui, » marmonna Chastille maladroitement. « Il m’a offert cette parure de cheveux, et quand j’y ai pensé, j’ai réalisé que je ne lui ai jamais rien donné en retour… »

« Oh. Alors, voulez-vous lui offrir un cadeau d’anniversaire ? »

Chastille hocha timidement la tête, puis répondit : « Mais je ne sais pas quand est son anniversaire… Je ne pense pas qu’il me le dira si je le lui le demande, et vu son ami, il est possible qu’il ne sache même pas lui-même quand c’est. »

En fait, cela rendait dangereux le fait d’essayer de l’interroger directement sur le sujet.

« La meilleure personne à qui demander ne savait même pas que les anniversaires étaient censés être fêtés, » poursuit Chastille. « Honnêtement, je ne sais pas du tout ce que je dois faire. »

« Je… je vois… »

En toute honnêteté, rien de tout cela ne semblait sérieux selon Lilith comparé au choc de l’amour non partagé de Chastille et de son nouvel amour, mais la succube hocha quand même la tête. Elle se souvint alors que Foll avait choisi le jour où Zagan et Néphy l’avaient adoptée comme son propre anniversaire et eut une idée.

« Umm, si vous ne connaissez pas son anniversaire, alors peut-être que vous n’avez pas vraiment besoin de vous pencher sur la question trop profondément ? »

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demanda Chastille.

« Et si vous lui offriez plutôt un cadeau pour commémorer une sorte d’anniversaire entre vous deux ? Je suis sûre que ça lui ferait plaisir. »

« N-Notre anniversaire !? » s’écria Chastille, dont les cheveux noués sur le côté se relevèrent d’un bond sous le choc. Peu après, elle hocha la tête en signe de compréhension, encore toute rouge, et elle déclara : « Je vois. C’est logique. Mais qu’est-ce que je devrais choisir comme anniversaire… ? »

« Et le jour où vous vous êtes rencontrés ? »

« Le jour où nous nous sommes rencontrés…, » marmonna Chastille, un nuage soudain assombrissant son expression.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Je viens de me rappeler qu’il m’a enlevée lors de notre première rencontre… »

« Pourquoi êtes-vous tombée amoureuse de lui ? »

« Je ne sais toujours pas si je suis amoureuse de lui ! »

Vous ne pouvez même pas dire ça avec un visage sérieux…

Eh bien, c’était un sujet plutôt délicat à aborder, il semblait donc préférable de la laisser tranquille. Lilith décida de simplement veiller sur elle. Elle esquissa un sourire et regarda l’entrée de la boutique, réalisant que le soleil s’était couché avant même qu’elle ne le sache.

« Oh non ! J’ai complètement zappé la préparation du dîner ! » s’exclama Lilith.

« Désolée d’avoir fini par vous garder ici si longtemps. »

« Ce n’est pas de votre faute. Vous avez aussi écouté mes inquiétudes, après tout. »

« Mais il est si tard maintenant… Je vais au moins vous accompagner au château. Personne par ici n’est assez fou pour porter la main sur vous, mais dernièrement, il y a eu ces incidents avec Shere Khan, alors ça pourrait être dangereux. »

Avec ça, elle ne pouvait pas refuser. Et juste au moment où Lilith était sur le point d’accepter…

« Ne sois pas stupide, pleurnicharde. Les heures de bureau sont terminées. Penses-tu vraiment que tu ne vas pas te planter d’une manière ou d’une autre ? »

Lilith n’avait aucune idée d’où il venait, mais un sorcier au teint pâle avait soudainement ébouriffé les cheveux de Chastille. Lilith l’avait déjà vu plusieurs fois au château de Zagan et à Liucaon.

« B-B-Barbatos !? Où étais-tu toute la journée ? Tu n’as pas voulu me répondre quand j’ai appelé ! » hurla Chastille.

« Qu’est-ce qui se passe ? Ne m’appelle pas pour une patrouille stupide. Réserve ça pour quand les choses deviennent incontrôlables. »

« Donc, tu savais que j’étais en patrouille ! »

« Haaah… Arrête de jacasser. »

Elle ne pensait pas que c’était possible, mais était-ce l’homme dont Chastille avait parlé ? Lilith était restée bouche bée lorsque le sorcier s’était tourné vers elle d’un air fatigué.

« Uhhh… C’est quoi ton nom déjà ? Eh bien, peu importe. Ce connard de Zagan dit que tu devrais retourner au château. Je ne suis pas un homme à tout faire, bon sang… Je vais t’y envoyer, alors vas-y. »

Il allait apparemment utiliser la sorcellerie pour la renvoyer.

« Euh, merci… »

Après avoir exprimé honnêtement sa gratitude, Lilith avait remarqué quelque chose. Les oreilles du sorcier étaient rouges. Chastille semblait aussi l’avoir remarqué à cause du regard de Lilith, ce qui fit se raidir son visage avec une crampe.

« Hum… Barbatos ? » dit-elle.

« Quoi ? »

« Tu nous écoutais ? »

« Huuuh ? Ce n’est pas comme si je pouvais tout entendre à travers l’ombre ! Je n’ai pas envie d’écouter aux portes ! »

« V-Vraiment !? N’as-tu rien entendu !? »

C’est précisément ce que quelqu’un dirait après avoir tout écouté depuis le début, mais Chastille ne l’avait pas interprété ainsi, ce qui est parfaitement logique. Après tout, les gens croyaient ce qu’ils voulaient croire. Chastille cherchait désespérément à se calmer, alors elle acceptait n’importe quelle explication, même si elle semblait farfelue.

« O-Oh ouais…, » marmonna Barbatos en regardant au loin. « Je suis né le 15 de Kavouras. »

Il était aussi clairement secoué au plus profond de lui-même. Il y aurait eu des façons bien plus décontractées d’aborder ce sujet, étant donné le temps dont il disposait, mais c’était pourtant sorti de façon tout à fait anormale. Et malheureusement, cela avait suffi à faire revenir Chastille de sa fuite de la réalité.

« Hum, donc tu as vraiment tout entendu ? » avait-elle demandé.

Il ne pouvait pas trouver d’excuse maintenant. Le sorcier détourna son regard et garda le silence.

L’instant d’après, Chastille s’était évanouie.

« P-Pleurnicharde !? »

Lilith ne pouvait plus les regarder. Le sorcier paniqua et prit Chastille dans ses bras, mais ses yeux s’étaient déjà retournés et elle ne montrait aucun signe de retour à elle.

« H-Hey ! Qu-Qu’est-ce que tu veux que je fasse à propos de ça !? »

Oh, alors il est au moins humain, hein ? se dit Lilith en voyant le sorcier agité. Remarquant son regard, il s’était retourné pour la regarder.

« E-Eep !? » Lilith avait crié et s’était redressée par réflexe. Pour une raison inconnue, le sorcier regardait autour de lui avec agitation. Tout le monde dans la boutique évitait son regard, ne voulant pas être impliqué.

« Uhhh… Tu n’as rien vu, compris ? » murmura-t-il à Lilith.

« E-Euh… »

Voyant qu’elle hésitait, le sorcier posa quelque chose sur la table. Il s’agissait d’une dague avec un emblème délicatement sculpté sur elle qui semblait assez petite pour que même Lilith puisse l’utiliser.

« Je te l’accorde, alors fait comme si tu n’avais jamais vu ça. C’est compris ? »

« Euh, d’accord. »

***

Partie 11

Lilith n’avait pas osé demander ce que c’était, alors elle l’avait simplement accepté sans réfléchir. Sur ce, le sorcier se souvint de la raison pour laquelle il était venu ici et il se mit en route pour accomplir sa tâche.

« Je vais aller la jeter dans l’Église, alors donne-moi une seconde, » avait-il dit, puis il se leva et il eut l’air soudainement soulagé. « Oh, je suppose que ce n’est pas nécessaire. Quelqu’un d’autre est là pour t’aider. »

En entendant cela, Lilith avait regardé par la fenêtre et avait repéré un garçon bien trop familier.

« Oh, est-ce le bon moment ? » demanda Furcas, le sourire aux lèvres, comme s’il n’avait aucun souci au monde. « J’ai remarqué que tu étais sortie tard, alors je suis venu te chercher ! »

J’ai aussi besoin d’affronter correctement mes problèmes… Avec cette pensée à l’esprit, Lilith avait réalisé que ses épreuves étaient loin d’être terminées.

Lilith et Furcas avaient pris une calèche pour rentrer au château. Néphy et Foll allaient souvent faire des courses, tandis que Chastille et Manuela faisaient de fréquents voyages depuis la ville, de sorte qu’il y avait une bonne demande de calèches entre Kianoides et le château de Zagan. C’est pourquoi Zagan avait loué une calèche exclusive pour leur usage. Cependant, il n’y avait qu’une seule voiture affectée à cette tâche, donc une fois arrivée au château, elle ne pouvait plus être utilisée jusqu’à ce qu’elle fasse le voyage de retour.

Un certain temps s’était apparemment écoulé pendant que Lilith et Chastille discutaient. La calèche mettait deux heures pour faire un aller simple, ou une heure si elle se dépêchait. Malgré cela, il était déjà de retour en ville pour que Lilith puisse l’utiliser pour aller au château.

L’intérieur de la voiture était assez grand pour accueillir six personnes, mais les seuls passagers étaient Lilith et Furcas. Lilith n’avait pas eu le courage de s’asseoir à côté de lui, ils étaient donc assis l’un en face de l’autre.

Uhhh, je devrais dire quelque chose…

Le silence avait dominé la voiture. Lilith avait décidé de faire face à ce garçon, qui était au moins assez inquiet à son sujet pour venir du château si tard dans la nuit juste pour la récupérer. Ainsi, elle savait qu’elle devait considérer son affection avec un cœur sincère. En vérité, Kimaris les surveillait à une courte distance, mais aucun des deux n’avait le moyen de le savoir.

En tout cas, Lilith ne savait pas de quoi parler. Elle était en train de gémir sur le problème quand soudain, Furcas avait engagé la conversation de son côté.

« Hé, Lilith ? Qu’est-ce que tu as dans la main ? »

« Hein ? Oh, ça ? Le serviteur de Son Altesse… je crois ? Il me l’a donné…, » marmonna Lilith avant de s’interrompre et de marquer une pause. C’était quelque chose comme un pot-de-vin, donc elle ne pouvait pas vraiment se plonger dans les détails. « Je suppose que c’est quelque chose comme une monnaie d’échange. »

« Hein ? Une monnaie d’échange pour ce transport ? »

Zagan payait une redevance mensuelle pour ce transport exclusif, il n’y avait donc pas besoin de payer quoi que ce soit.

« Puis-je jeter un coup d’œil ? » demanda Furcas, encore un peu choqué par sa réponse.

« Euh… Bien sûr, vas-y. »

Lilith avait remis l’épée courte. Il l’avait dégainée à mi-chemin, puis il avait sifflé d’admiration.

« C’est incroyable ! Il y a une sorcellerie follement complexe gravée dessus. Je suppose qu’il coupe l’espace lui-même ? Je suis sûr que ce serait difficile à faire, même pour Zagan… Je parie quand même qu’il peut le faire ! »

« T’es-tu souvenu de ta sorcellerie ? » demanda Lilith en s’étonnant de son analyse si spécifique.

« Hein ? » Furcas pencha la tête, ne semblant pas se rendre compte de ce qu’il venait de dire. « Ah oui, qu’est-ce que je dis ? Je n’ai jamais vu ce circuit avant. »

Malgré la perte de ses souvenirs, il était toujours un Archidémon. Il avait pu se souvenir de ses talents de sorcier alors qu’il étudiait avec Zagan.

« Hmm. Attends ! Est-ce vraiment si génial que ça ? » demanda Lilith.

« Ouais, plus qu’incroyable. Tu pourrais probablement le vendre pour le prix d’un petit château. »

« Un château !? Pourquoi a-t-il remis quelque chose comme ça… ? » murmura Lilith. Elle remettait maintenant en question son choix de l’appeler monnaie d’échange.

« Je veux dire, oui, ça coûte cher, mais la sorcellerie est la partie la plus étonnante, » répondit Furcas. « En théorie, je suis sûr qu’elle peut couper tout ce qui existe. »

« V-Vraiment… ? »

Lilith avait vu ce sorcier aux côtés de Zagan à de nombreuses occasions. Il avait toujours l’air d’être durement traité, se faisant frapper au visage par l’Archidémon à peu près chaque fois. Et donc, c’était une évidence qu’il était parmi les plus grands sorciers du monde.

Ce vieil homme que Kuroka aime est apparemment aussi assez étonnant.

Le sorcier nommé Shax était terriblement mauvais pour lire l’humeur. Kuroka s’en plaignait toujours lorsqu’elle visitait le château. Cependant, il possédait apparemment des talents si exceptionnels que Zagan le gardait à portée de main malgré ses défauts.

Dans tous les cas, Lilith se concentra sur l’épée courte.

« Est-ce que je peux vraiment accepter ça ? » avait-elle demandé.

« Tu l’as reçu du serviteur de Zagan, n’est-ce pas ? Ça veut dire que c’est pour ta protection. Je pense que tu devrais le garder ! »

« Eh bien, dans ce cas… »

Il s’agissait en fait d’un pot-de-vin, et apparemment d’une somme énorme. Peut-être que c’était juste à quel point il voulait garder le secret. Eh bien, un Archange amoureux d’un sorcier devait rester secret, donc Lilith n’allait pas laisser passer ça, de toute façon. De plus, elle pouvait même sentir des sentiments similaires venant du sorcier, ce qui signifiait qu’ils étaient prêts. Elle espérait vraiment que l’amour de Chastille serait réciproque cette fois-ci.

Furcas rendit l’épée courte à Lilith, qui la plaça sur ses genoux. Elle décida de préparer une sorte de ceinture d’épée afin de pouvoir la transporter avec elle.

« Pourtant, je connais à peine les techniques d’autodéfense…, » avait-elle marmonné.

« Hmm. Tu connais un peu d’autodéfense ? »

« J’ai appris un peu de Kuroka… Oh, tu ne l’as pas encore rencontrée. Mon amie d’enfance m’a montré quelques exemples… c’est tout. Ne t’attends pas à ce que je devienne un chevalier angélique. »

C’est à ce moment-là que Lilith avait réalisé qu’elle était capable d’entretenir une conversation avec lui de manière assez naturelle. Une fois que les choses avaient commencé, c’est comme si sa tension avait fondu.

« Maintenant que j’y pense, qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? » demanda-t-elle, essayant d’entamer une discussion de son côté.

« Moi ? Eh bien, j’ai étudié la sorcellerie et les légendes de Liucaon ! »

« Liucaon ? Pourquoi ? »

« Zagan est appelé le Roi aux yeux d’argent, non ? Je veux savoir quelle signification il y a derrière ça ! »

Lilith avait hoché la tête en signe de compréhension.

Ce type est vraiment attaché à lui…

Non pas qu’il y ait quelque chose de mal à ça, bien sûr. Elle trouvait simplement cela mystérieux.

« D’ailleurs… » Furcas avait fait une pause avant de continuer, « J’ai entendu dire que Liucaon est ta ville natale, alors je voulais en savoir plus. »

Lilith s’était penchée en arrière devant la franchise inattendue de son affection. Elle pouvait dire que son visage devenait plus chaud.

« E-Euh, as-tu trouvé des légendes intéressantes ? » demanda-t-elle, essayant de s’éloigner du sujet.

« C’est sûr ! Le combat contre le dragon noir Marbas était super cool ! »

« N’est-ce pas ? C’est l’une de mes préférées parmi les légendes du Roi aux yeux d’argent. J’ai souvent harcelé Alshiera pour qu’elle me la raconte quand j’étais petite. »

Après avoir dit cela, Lilith s’était couvert la bouche à la mention imprudente du nom d’Alshiera, mais Furcas n’y avait pas prêté attention. Ses yeux pétillaient d’intérêt.

« Vraiment !? Peut-être que nous avons en fait beaucoup de choses en commun ! »

« P-Peut-être…, » répondit Lilith avec des sentiments mitigés dans son cœur.

« De plus, les histoires d’Asura étaient vraiment cool. »

« Un des héros qui a servi le Roi aux yeux d’argent, non ? Il est mort en tuant un monstre pour protéger une seule fille. »

« Ouais ! Celui-là ! Aussi, les histoires du Clairvoyant Bato ! »

« Le stratège qui était connu comme le bras droit du Roi aux yeux d’argent. Dans ses derniers instants, il a fait croire qu’une armée de dix mille hommes était assiégée, alors qu’en fait il était tout seul, ce qui a permis au Roi aux yeux d’argent de s’échapper. »

Lilith avait lu les légendes du Roi aux yeux d’argent des centaines de fois. Elle ajoutait de temps en temps des remarques fières lorsque Furcas évoquait les choses. Il semblait également apprécier cela et lui souriait amicalement.

« Ils sont tous les deux si cool ! » s’exclame-t-il. « C’est comme ça qu’un homme est censé vivre ! »

« Espèce d’idiot. Rien de bon ne vient en mourant, tu comprends ? »

De temps en temps, Lilith considérait comment presque toutes les légendes des héros de Liucaon se terminaient par leur mort. Et elle se demandait souvent si Alshiera avait été présente dans ces moments. Bien sûr, Lilith ne croyait pas que les légendes s’étaient déroulées exactement comme elles étaient racontées. Néanmoins, il était assez probable qu’elles étaient toutes basées sur des événements du passé. Si c’est le cas, quel genre de sentiments Alshiera avait-elle éprouvés après avoir été abandonnée par tout le monde ? L’expression de Lilith s’était assombrie involontairement à cette pensée quand soudain, Furcas lui avait serré la main.

« Je ne vais pas mourir ! Je ne vais certainement pas te laisser derrière, alors ne t’inquiète pas ! » cria-t-il en se rapprochant rapidement d’elle.

« E-Eep ! P-Proche ! Trop près ! »

« Oh ! D-Désolé… »

Furcas avait repris ses esprits et avait fait un bond en arrière. Le silence s’était à nouveau installé dans la voiture. Il était clair qu’ils étaient tous les deux rouges.

Qu’est-ce que je fais ? Mon cœur bat la chamade…

Il était un peu tard pour s’en rendre compte, mais c’était quelque peu imprudent de la part de Lilith de monter dans un carrosse toute seule avec un homme qui s’était déjà confessé à elle. Par chance, la calèche était arrivée au château l’instant d’après. Ils avaient passé la porte et s’étaient arrêtés devant l’entrée.

« Hé, Lilith. Bienvenue à la maison. »

Quand les portes s’étaient ouvertes, ils avaient trouvé Selphy qui les attendait.

« Selphy ! »

L’amie d’enfance de Lilith s’était comportée bizarrement ce matin-là, mais maintenant son sourire était plus éclatant que jamais. Lilith avait sauté en bas de la voiture, une vivacité soudaine dans sa voix. Elle avait ensuite repris ses esprits et avait fait la moue sur le côté, les bras croisés.

« H-Hmph. D’après ce que je vois, tu te sens mieux maintenant. Non pas que je m’inquiétais que tu aies l’air dans les vapes le matin ! »

« Oooh, tu t’inquiétais pour moi ? »

« J’ai dit que je ne m’inquiétais pas — Waaah !? »

Selphy avait soudainement fait un gros câlin à Lilith.

« Désolée de t’avoir inquiétée, » dit Selphy. « J’avais juste, genre, un petit quelque chose en tête. »

Elle était même allée jusqu’à frotter sa joue contre celle de Lilith.

« Hein !? Qu’est-ce qui ne va pas, Selphy !? Tu sembles un peu plus proche que d’habitude ou un peu plus collante, je veux dire, hum… ! »

« Hmm… Juste un peu plus longtemps. Je me suis sentie très seule sans toi aujourd’hui, alors j’ai besoin de me réapprovisionner en Lilith. »

Lilith ne savait plus quoi faire lorsque Selphy la serrait dans ses bras comme une poupée en peluche.

Si ça continue, ma tête va exploser !

Le cœur de Lilith battait comme un marteau, sa vision se troublait et son esprit était vide. C’était si bon d’être serrée dans les bras de son amie d’enfance, et elle sentait bon — elle pouvait même voir que le cœur de Selphy battait aussi avec force — mais dans tous les cas, l’esprit de Lilith ne pouvait pas suivre.

 

 

« Hum, uhhh… Pourrais-tu me laisser partir maintenant… ? » supplia Lilith, rassemblant le peu de volonté qu’il lui restait.

« Mrgh… Oh bien… Oh, tu vas bien, Lilith ? »

Selphy lui avait donné une dernière pression, puis avait finalement laissé Lilith partir. Mais les genoux de Lilith avaient cédé et elle s’était effondrée sur le sol. Voyant cela, Furcas afficha un sourire étonné et crispé.

« Vous êtes vraiment proches toutes les deux, » avait-il dit.

« C’est vrai ! Nous sommes, comme, des amies d’enfance et tout, » répondit Selphy en riant. Elle avait le même sourire insouciant que d’habitude. Ou du moins, c’était censé être le même, mais Lilith avait l’impression qu’il y avait une énorme férocité derrière son sourire maintenant, à la limite de la soif de sang.

« La mienne ! As-tu compris ? » déclara Selphy.

« Hein ? Qu’est-ce que… ? » demande Furcas avec étonnement.

« La mienne ! »

Ce garçon, qui portait le titre d’Archidémon, ne pouvait que reculer devant le sourire d’une fille qui ne possédait soi-disant aucun pouvoir.

***

Chapitre 3 : Certaines choses changent, mais le destin d’un méchant est gravé dans la pierre

Partie 1

« Hmph. Le destin d’un traître est vraiment pitoyable. »

En regardant une certaine ville désolée, Valjakka ricana en se moquant de lui-même. Il faisait partie des archanges, mais avait été rétrogradé au rang de chien de Shere Khan. Lorsqu’il l’avait découvert, l’Archidémon Zagan lui avait donné un avertissement qui lui avait fait dresser les cheveux sur la tête. Après l’attaque de la trésorerie de Raziel l’autre jour, il avait été soupçonné d’avoir trahi l’Église et d’avoir guidé les sorciers dans les zones cachées.

Pourquoi ? Pourquoi suis-je le seul à subir tout ça ?

Il n’avait pas réellement participé à l’intrusion de Zagan et Bifrons, il ne méritait donc pas vraiment de faire l’objet de tous les soupçons de l’Église.

Si je choisis les mauvaises personnes pour travailler ici, tout sera fini.

Il devait placer tous ses paris sur le bon cheval dans cette course… ou sinon.

« Hé là, monsieur le chevalier. Alors, qu’est-ce qu’on doit faire ? »

Un garçon l’avait appelé par-derrière. Tout comme l’ancien adjudant de Valjakka et la jeune sœur de son adjudant, le garçon avait des cheveux et des yeux écarlates. En regardant son visage, Valjakka avait l’impression que le monde lui présentait ses péchés. Le garçon semblait également avoir atteint la fin de l’adolescence, ce qui rappelait encore plus à Valjakka Chastille.

Un jeune homme grand et maigre se tenait à côté du garçon. Celui-ci souriait également, mais Valjakka n’arrivait pas à lire en lui. Ces deux-là étaient les subordonnés que Shere Khan lui avait accordés pour l’aider dans sa tâche.

Ils sont probablement ici pour me surveiller. Je dois gagner sa confiance à travers eux si j’espère survivre.

Ainsi, Valjakka avait affiché l’image même d’un sourire de gentleman et s’était retourné pour leur faire face.

« La mission que le Seigneur Shere Khan nous a confiée est de capturer un traître, » leur déclara-t-il.

« Quel genre d’individu est ce traître ? » demanda le garçon.

« Elle semble être une jeune fille d’environ quatorze ou quinze ans, mais ne vous fiez pas à son apparence. C’est une puissante sorcière. Elle est apparemment un spécimen de grande valeur, donc même si cela n’a pas d’importance si elle est tuée, assurez-vous de récupérer le cadavre. Moins elle sera endommagée, mieux ce sera. »

En vérité, on avait dit à Valjakka qu’elle était à peu près incapable de faire de la sorcellerie pour le moment. Néanmoins, on ne savait jamais quels tours un sorcier avait cachés dans ses manches. Il était préférable d’y aller pour tuer en supposant qu’elle résisterait. Après tout, c’était tout ce qui restait à Valjakka.

« Wow. Alors on se précipite sur une petite fille tous les trois ? » cracha le garçon, semblant retenir une envie de vomir. « La personne qui a ordonné ça n’a-t-elle pas honte ? »

« Surveillez votre langue. Le seigneur Shere Khan est simplement prudent. »

C’était un mensonge éhonté. Shere Khan était acculé dans un coin. Bifrons avait rompu leur alliance, donc une fois que Zagan aurait trouvé sa cachette, tout serait fini. Avec de tels problèmes, l’un de ses fidèles serviteurs avait fini par déserter — l’une des jumelles. Ce pitoyable Archidémon était plus au bout du rouleau que Valjakka, mais le chevalier avait tout de même misé sur lui.

Je n’ai pas d’autre choix que de croire en lui après avoir vu ça.

Shere Khan avait sérieusement l’intention de dominer le monde. Ou peut-être serait-il préférable de dire qu’il allait refaire le monde. Dans tous les cas, une fois que l’Archidémon serait entré en action, Zagan et l’Église n’auraient aucun moyen de gagner. De plus, Shere Khan avait promis de dissiper définitivement la sorcellerie sur Valjakka. Cependant, une condition pour tenir cette promesse était la récupération absolue de la jumelle manquante.

Pourtant, avoir ces deux chiens de garde est une véritable nuisance.

« Il n’y a, bien sûr, pas besoin de poursuivre une seule fille à trois, » ajouta fermement Valjakka. « Cependant, les chiens de quelqu’un se trouvent actuellement dans cette ville, alors vous deux les garderez enfermés. »

Les chiens étaient les subordonnés de Zagan. La cachette actuelle de Shere Khan était à proximité, donc malheureusement, la main du terrifiant Archidémon saisissait déjà la gorge de Shere Khan.

« Les garder enfermés ? » demanda l’homme longiligne en hochant la tête. « Et moi qui pensais que vous nous diriez de les tuer. »

C’était, bien sûr, ce que Valjakka voulait vraiment.

Ce satané Zagan ! Il utilise même des gens de l’Église !

Tuer de telles personnes serait un mauvais choix. L’avertissement de Zagan prendrait effet, et le couteau implanté dans la tête de Valjakka se manifesterait.

Valjakka se racla la gorge, puis secoua la tête et répondit : « C’est déjà un sale boulot. Il n’y a pas besoin de voler plus de vies que nécessaire. »

« Hmm… »

Les deux subordonnés de Valjakka marmonnaient de façon incompréhensible, avec des regards méfiants. Il en avait assez de ces deux-là.

« Ce sont les ordres du Seigneur Shere Khan, vous savez ? » ajouta-t-il d’une voix rude.

« Oui, oui… Nous ne désobéirons pas. En tout cas, pas si on peut, » dit le garçon.

Avec cela, les deux individus avaient disparu. Valjakka avait jeté un autre regard sur la ville. Il avait vu une pitoyable fille en robe qui courait dans tous les sens. Tout comme lui, elle était entourée d’ennemis et ne pouvait demander de l’aide à personne. Comme elle était pitoyable. Valjakka voyait un peu de lui-même en elle, ce qui l’irritait encore plus.

« Tu vas devoir me laisser me défouler comme bon me semble. »

En voyant quelqu’un d’aussi affaibli et acculé dans un coin comme lui, Valjakka ne ressentait ni sympathie ni compassion. Cela avait simplement stimulé son cœur sadique.

« C’est l’essentiel, patron. Shere Khan est certainement dans les environs de Feo. »

Le lendemain de la découverte de l’anniversaire de Zagan et Néphy, Shax donna son rapport en utilisant la sorcellerie de la télépathie. Cela faisait environ une semaine que Zagan l’avait envoyé avec Kuroka pour trouver la cachette de Shere Khan. Cet homme, qui avait un réel talent en dehors de sa capacité à lire l’ambiance dans un lieu, avait finalement réussi.

« Bien joué, » dit Zagan. « Tu peux finir tes affaires là-bas et revenir. Il y a quelque chose que j’aimerais que tu fasses ici. Ta force est une nécessité. »

« Vous êtes vraiment un esclavagiste, patron, » répondit Shax d’un ton épuisé. « Je m’en fiche un peu, parce que je suis un sorcier et tout, mais Kurosuke est juste une fille normale, vous savez ? »

« Essaie de lui dire ça… Mais tu as raison. Une fois ta prochaine mission terminée, tu pourras emmener Kuroka en vacances ou autre. Je vais préparer une excuse pour toi. J’ai entendu dire qu’il y avait de bonnes sources d’eau chaude à Raziel. »

« Bwah !? Attendez une seconde ! Ce n’est pas ce que j’essaie de dire ! »

« Tu veux montrer de la gratitude à Kuroka, c’est ça ? » répondit froidement Zagan. « Alors ceci devrait être approprié. »

« Vous vous moquez de moi ! »

Zagan soupira et répondit : « Laisse tomber, Shax. Je ne veux rien dire sur ta relation avec elle, mais permets-moi de te donner un avertissement en tant qu’homme. Sois honnête avec elle. C’est à toi de l’accepter ou de la rejeter, mais c’est pitoyable de la laisser en plan aussi longtemps. C’est ce dont Raphaël s’est le plus offusqué. »

Zagan s’était peut-être trompé en essayant de pousser Shax dans ses retranchements. Cependant, même si elle ne l’avait pas dit directement à Shax, cela faisait trois mois que Kuroka avait commencé à montrer de l’affection pour lui. Durant cette période, Kuroka avait été soignée pour ses yeux et Shax avait vaillamment pris soin d’elle. Il y avait plus qu’assez de sous-entendus dans son comportement pour suggérer qu’il était dans son esprit. Et pourtant, il avait continué à prétendre qu’il n’avait pas du tout remarqué ses sentiments. Franchement, à ce stade, c’était bien trop pitoyable à regarder.

Il y avait, bien sûr, l’affaire des sous-vêtements, mais aux yeux de Zagan, cette négligence était en fait ce qui avait tant enragé Raphaël. Si Shax baissait sérieusement la tête et demandait sa main, Raphaël ne se mettrait probablement pas en colère. Enfin, il se fâcherait quand même, mais il arrêterait au moins de brandir son épée chaque fois qu’ils se rencontraient. En tout cas, Shax ne semblait pas s’attendre à une remontrance juste après son rapport. Il était clairement déstabilisé par la tournure des événements.

« C’est ce que vous dites, patron, mais Kurosuke est toujours mineur, vous savez ? »

Cette seule déclaration était suffisante pour faire comprendre qu’il avait remarqué les sentiments de Kuroka et qu’il ne la trouvait pas désagréable.

« Ce n’est qu’une excuse, » lui dit Zagan. « Si tu utilises cette raison pour reporter ta décision, alors il est normal que tu lui dises d’attendre. »

« Argh… V- Vous avez… raison là… »

Zagan avait l’air un peu autoritaire, mais c’était ce qu’il fallait pour convaincre cet homme qu’il ne pouvait pas laisser faire les choses. Shax n’avait pas objecté davantage.

En fait, cela signifie-t-il que les choses ont évolué au point qu’il ne peut même pas faire d’objection ?

Zagan avait décidé de les envoyer ensemble, car Raphaël s’enflammait toujours lorsqu’ils étaient au château. Peut-être que ça s’était plutôt bien passé. Néanmoins, il comprenait les sentiments de Raphaël à un degré douloureux, donc il ne pouvait pas vraiment blâmer son majordome pour son comportement. Quoi qu’il en soit, il était peut-être allé trop loin.

« Eh bien, peut-être que je me projette un peu trop, » dit Zagan. « Tu peux oublier ça. S’occuper de Shere Khan est une priorité pour le moment. Dans tous les cas, je prévois de te donner des vacances pour ton service distingué quand tout sera terminé. »

« Compris, patron. »

Shax était aussi un homme. Il était sûr de faire quelque chose de bonne foi après en avoir été informé. Zagan avait prévu de toute façon de lui donner un répit même si cette affaire avec Kuroka n’était pas un problème. S’il ne le faisait pas, il n’était pas certain que Shax ait un jour un répit.

Maintenant qu’il connaissait la position de Shere Khan, c’était au tour de Zagan d’agir. Alshiera lui avait dit de lui laisser Nephteros, mais il n’était pas sûr de pouvoir faire confiance à la vampire. De plus, il devait rester vigilant quant aux mouvements de Bifrons et il ne savait pas quand Azazel réapparaîtrait. Mais par-dessus tout, il y avait la question de l’anniversaire de Néphy.

Zagan avait été très occupé par le cas de Nephteros hier, et il n’avait toujours pas choisi de cadeau. Il y avait une montagne de problèmes devant lui, sans aucun espace pour respirer.

Qu’est-ce que je fais ? J’ai envie de m’accrocher à Néphy tout de suite et de lui frotter la tête…

Il avait couru toute la journée, et Néphy était apparemment aussi occupée à quelque chose, donc ils n’avaient pratiquement pas eu le temps de se câliner. Cependant, ils étaient dans les pensées de l’autre tout le temps, et leur amour l’un pour l’autre s’était accumulé sans fin.

« Très bien, alors, nous allons rentrer maintenant, » rapporta Shax. « Allons-y en utilisant le transfert. »

Comme son nom l’indique, le Transfert était une sorcellerie qui permet de transférer instantanément des objets d’un endroit à un autre. Il ne pouvait malheureusement pas aller partout et n’importe où comme Barbatos, mais Zagan pouvait au moins relier son château à un lieu fixe comme, par exemple, l’endroit où Shax avait séjourné. Cependant, seule une poignée de personnes, dont Zagan, pouvait l’utiliser librement.

Hier, je n’ai pu faire asseoir Néphy sur mes genoux qu’une seule fois. Je ne vais pas pouvoir me calmer si je ne peux pas au moins lui caresser les joues.

L’esprit de Zagan était rempli de désirs mondains, mais il avait quand même réussi à faire une déclaration avec toute la majesté d’un Archidémon.

***

Partie 2

« Non, retournez par vos propres moyens. Il n’y aura pas de transfert. »

« Pas de transfert ? Mais ça va nous prendre une journée entière. Je pensais que vous étiez pressé. Est-ce que ça va ? »

« À ton retour, je te ferai travailler jusqu’à l’os, alors profite du voyage pour souffler un peu. »

Zagan ne pensait pas que son subordonné ferait du bon travail sans avoir eu le temps de se reposer. D’ailleurs, à en juger par sa réaction tout à l’heure, Zagan pouvait supposer que Shax avait en quelque sorte fait des progrès avec Kuroka. S’ils savaient que les choses allaient s’intensifier, les deux individus étaient sûrs de changer la façon dont ils passeraient leur temps. Si les frustrations de Kuroka pouvaient être apaisées, cela finirait par soulager certaines des angoisses de Shax et le rendrait également plus efficace au travail.

Après avoir relayé cet ordre, Zagan n’avait plus rien à faire dans la salle du trône. Il semblait être temps pour lui de prendre des nouvelles de Néphy. De plus, il devait aller chercher le cadeau d’anniversaire de Néphy.

Mais d’abord, je dois faire un câlin à Néphy !

Il sentait qu’il allait dire quelque chose d’imprudent s’il ouvrait la bouche, mais il voulait quand même être avec elle. Et juste au moment où il avait ouvert la porte de la salle du trône pour partir…

« Hyah ! »

Quelqu’un était tombé de l’autre côté, laissant échapper un joli glapissement. Zagan l’avait attrapé par réflexe.

« Hein ? Néphy ? »

Zagan tenait sa bien-aimée dans ses bras. Elle s’était apparemment appuyée contre la porte, ce qui lui avait fait perdre l’équilibre quand il l’avait ouverte.

Hein ? Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que je voulais tellement la voir que j’ai des hallucinations ?

Au moment où il pensait vouloir faire un câlin, elle avait fini par voler dans ses bras. Les choses s’étaient développées si commodément qu’il doutait de sa propre cognition. Quant à Néphy, elle regardait Zagan comme si elle n’avait aucune idée de ce qui venait de se passer.

Les deux individus se fixaient l’un et l’autre tandis qu’un doux arôme chatouillait son nez. C’était un parfum doux, mais il possédait un arôme rafraîchissant comme de la végétation fraîche. Il donnait l’impression que le printemps était arrivé tôt. Il semblait que Néphy avait changé son parfum avec le changement de saison. C’était tout à fait son genre d’accorder une telle attention aux détails. Alors que Zagan appréciait l’arôme légèrement différent, Néphy retrouva enfin ses esprits.

« H-Hawawawa !? »

« V-Vas-tu bien !? »

Ses oreilles étaient devenues rouge vif jusqu’à leur extrémité pointue.

« U-Ummm, ce n’est pas que j’ai vraiment besoin de quelque chose, mais, hum… » Néphy avait commencé, ses yeux azur s’agitant dans tous les sens. « Nous n’avons pas pu passer beaucoup de temps ensemble hier, alors je me sens un peu seule ! »

« Hein !? »

Sa plainte aimable avait frappé le cœur de Zagan avec une force significative. Le voyant ainsi ébranler, Néphy leva les yeux vers Zagan avec une pointe de résignation dans le regard.

« Maître Zagan. »

« O-Oui ? »

« Juste pour le moment… Juste pour un petit moment… J’aimerais… être avec toi. »

Zagan n’avait aucun moyen de savoir que Néphy se demandait ce qu’il devait faire pour son anniversaire, tout comme il l’avait fait pour le sien. De plus, elle avait beaucoup moins de temps, ce qui la laissait beaucoup plus inquiète que lui.

« Très bien ! »

« Hyah !? »

Zagan prit Néphy dans ses bras et retourna à son trône. Il s’assura, bien sûr, de sceller la porte avec de la sorcellerie. Néphy se raidit à cause de cet événement soudain, mais elle avait maintenant développé une résistance à ce genre de choses — surtout à cause de Zagan.

« E-Eheh heh heh… »

Elle laissa échapper un rire négligé alors qu’elle aimait être portée comme une princesse, frottant sa tête contre la poitrine de Zagan. Ses oreilles pointues frémissaient de joie.

Hnnngh ! Si rapide à agir !

De plus, même si elle avait l’air d’agir avec audace, ses bras n’étaient pas enroulés autour de lui, mais agrippaient timidement les vêtements au niveau de sa poitrine. Sa timide retenue l’avait presque fait se pâmer. Zagan faillit tomber à genoux, mais resta résolument ferme. Il utilisa l’énorme force de ses bras pour soulever Néphy un peu plus haut.

« Ack ! »

Alors que Néphy clignait des yeux à plusieurs reprises dans la confusion, il frotta sa joue contre son front.

 

 

« Ah… ! »

Néphy poussa un léger cri face à cette action déconcertante. Ses oreilles s’agitaient sauvagement contre la poitrine de Zagan, le chatouillant au passage. Son cœur battait si fort qu’il avait l’impression qu’il allait s’échapper de sa bouche. C’était un vrai bonheur.

Hmm ! Avec ça, je sens que je peux au moins continuer jusqu’à ce que j’aie fini de m’occuper de Shere Khan !

Zagan se rendit alors compte que Néphy levait les yeux vers lui, le visage si rouge qu’il semblait pouvoir s’enflammer à tout moment. Le frottement de sa joue contre son front était allé bien au-delà de ses attentes, si bien que ses pensées n’arrivaient pas à suivre la situation.

« Uhhh, tu sais… Je voulais aussi vraiment passer plus de temps avec toi. J’étais si heureux que tu viennes à moi, alors j’ai bougé sans réfléchir et… »

Zagan avait exprimé ses sentiments en toute honnêteté. Les lèvres de Néphy tremblaient, soit d’une timidité incontrôlable, soit de plaisir. Pourtant, elle rassembla ses dernières forces pour lui sourire en réponse.

« Maître Zagan. J’ai l’impression que c’est la première fois que tu me gâtes comme ça. »

« V-Vraiment ? »

« Oui. Alors je suis… vraiment satisfaite… »

Cela n’avait duré que quelques secondes, et ils n’avaient fait que quelques pas dans la salle du trône, mais avec ces derniers mots, Néphy avait épuisé toutes ses forces, ce qui lui fit perdre son emprise sur la conscience.

« Néphy ! »

Même si elle avait développé une résistance à l’inattendu, elle ne pouvait pas supporter l’impact de l’assouvissement si rapide de ses désirs refoulés, ce qui était parfaitement logique, puisque Zagan avait même utilisé la sorcellerie pour supporter le choc de l’amabilité de Néphy par moments. Même l’Archidémon Orias avait songé à quitter le château après avoir vécu une expérience similaire.

Et maintenant, la réaction innocente de Néphy avait assailli le cœur de Zagan dans une contre-attaque. En regardant son visage tranquille et endormi, il se mit une fois de plus, à genoux.

« Bon sang, le patron peut vraiment être un problème parfois. »

Le véritable problème, cependant, était que l’Archidémon était actuellement sur le point de s’effondrer rien qu’en s’accrochant à Néphy, mais pour le meilleur ou pour le pire, Kuroka et Shax n’avaient aucun moyen de le savoir. Ils étaient actuellement coincés dans la ville forteresse de Feo. Elle portait un grand titre, mais c’était en fait une ville désolée entourée des ruines d’un mur de forteresse. D’après les rumeurs, les murs avaient été faits il y a plus de mille ans. Mais aujourd’hui, dans le meilleur des cas, la population locale n’habitait même pas un quart de la ville, et même la végétation dans la région était sporadique et flétrie.

Malgré tout, à en juger par la façon dont elle avait été construite sur la roche et les puits creusés en place, il était clair qu’elle avait été autrefois une escale prospère au milieu d’une route terrestre à travers le continent. Apparemment, lorsque le concept de pays avait disparu, les murs avaient perdu leur utilité, ce qui avait conduit à la disparition rapide de la forteresse. Désormais, peu de gens passaient par là, et la plupart de ceux qui venaient étaient des ruffians et des vagabonds vivant dans le dénuement.

C’est dans cette ville désolée que la poursuite de Shere Khan par Kuroka et Shax les avait menés. En fouillant la zone, ils avaient trouvé leur proie. La cachette de l’Archidémon se trouvait soit dans la ville, soit dans ses environs.

En voyant Shax marmonner pour lui-même avec une grimace après avoir terminé son rapport régulier, Kuroka le regarda avec confusion. Zagan n’était pas du genre à donner du travail déraisonnable aux gens. Shax avait voyagé pour accomplir ses tâches ces derniers jours, et donc sa barbe était plus fournie que d’habitude. Ses cheveux étaient également plus longs d’un tiers et plutôt négligés. Malgré sa taille, il avait l’air peu fiable à cause de son dos courbé. Pourtant, il était le sorcier en qui Zagan avait le plus confiance, juste après ses deux serviteurs immédiats.

Il râle beaucoup, mais il finit toujours par faire quelque chose.

Kuroka leva les yeux vers Shax, les oreilles triangulaires au sommet de sa tête s’agitant. Elle était une cait sith, donc elle possédait à la fois des oreilles de chat et d’humain, ainsi que deux queues. Elle portait des vêtements modelés sur une robe indigène de Liucaon, mais en contraste frappant, elle avait une canne de l’Église dans ses mains.

Au cours des derniers jours, ils avaient finalement pisté les marchandises que Shere Khan avait commandées jusqu’à leur destination.

« Y a-t-il un problème ? » Kuroka demanda en hochant la tête.

« Oh, non. Rien d’aussi grave. Il a juste dit qu’un nouveau travail m’attend à mon retour. »

« Cela montre à quel point il compte sur toi, » répondit Kuroka avec un sourire. « Il n’est pas le genre d’individu à compter sur les autres à moins qu’il ne leur fasse vraiment confiance. »

Retrouver la trace de Shere Khan était également une tâche hautement prioritaire. Voir ce sorcier, qui n’avait même pas de surnom, être considéré comme si important, rendait Kuroka aussi heureuse que si cela l’avait impliqué directement.

« Donc s’il y a un autre travail qui attend, ça veut dire qu’on y retourne déjà ? » demanda Kuroka.

Avec le Transfert, ils pouvaient être de retour au château en un instant. Kuroka et Shax étaient partis depuis une semaine maintenant, donc l’absence avait été longue. Honnêtement, elle était très heureuse d’avoir du temps seul avec lui. C’était un peu malheureux de devoir revenir si tôt.

Kuroka n’avait pas compris comment Shax avait interprété son état d’esprit lorsqu’il avait tendu la main vers sa tête. Elle était déjà habituée à cela, alors ses oreilles de chat se replièrent sur elles-mêmes par réflexe. Shax avait ensuite posé sa main sur sa tête à plusieurs reprises pour la réconforter. La chaleur de sa paume était agréable, ce qui lui fit plisser les yeux involontairement.

« Ne sois pas comme ça. Le patron nous a dit de prendre notre temps et d’utiliser toute la journée pour revenir. »

« Hein ? Est-ce que c’est vraiment bien ? »

« Il veut qu’on fasse une pause. »

« Super ! » Kuroka s’était exclamée et avait sauté sur l’impulsion du moment. Utilisant cet élan, elle s’était accrochée au bras de Shax.

« H-Hey ! Ne t’accroche pas à moi comme ça ! »

« Allez, c’est bon, n’est-ce pas ? »

Non seulement il avait vu ses sous-vêtements, mais il l’avait même vue nue. Ce n’était pas une raison pour hésiter.

Cependant, c’est toujours très, très embarrassant !

C’était un peu vexant que le son de son cœur battant soit assez fort pour qu’il l’entende. Shax était un expert en sorcellerie médicale, après tout, et il remarquait même les plus petites choses du corps des gens. En tout cas, il avait l’air troublé par cela, mais n’avait pas essayé de la secouer.

« Sérieusement… est-ce vraiment si amusant de traîner avec quelqu’un comme moi ? » avait-il demandé.

« Oui. C’est très amusant, » répondit Kuroka.

 

 

Les oreilles de Shax étaient devenues légèrement rouges en entendant cela. Cette petite réaction l’avait en fait rendue plus heureuse.

« Oh. Bien, Monsieur Shax, si nous avons le temps de jouer, alors j’aimerais essayer de prendre un verre correctement. »

***

Partie 3

En fait, elle avait déjà bu de l’alcool. Pendant son entraînement du côté obscur de l’Église, elle en avait goûté. Il y avait aussi ce vin de prune d’été de l’autre jour qui avait entraîné son étalage honteux. Shax et Zagan semblaient toujours être heureux de partager un verre, alors Kuroka voulait être capable de l’apprécier de la même manière. En la voyant ainsi, Shax lui ébouriffa doucement les cheveux.

« Qu-Qu’est-ce que tu fais !? »

« Ne sois pas stupide. Attends d’être une adulte pour ça. »

Kuroka avait gonflé ses joues en réponse au fait d’être traitée comme une enfant à nouveau.

« Qu’est-ce que tu dis ? » avait-elle protesté. « J’ai déjà dix-huit ans. Selon l’Église, c’est l’âge idéal pour commencer à boire de l’alcool, n’est-ce pas ? »

« Je te dis qu’une mineure ne peut pas… Hein ? Dix-huit ans ? »

Shax ne savait plus quoi dire. La définition de l’âge adulte différait selon les régions, mais l’Église enseignait que dix-huit ans étaient l’âge d’un adulte. On pouvait boire de l’alcool et se marier à cet âge.

Et pourtant, il me traite toujours comme une enfant…

Elle voulait qu’il comprenne à quel point cela la frustrait.

« Uhhh, Kurosuke… ? » Shax murmura, ayant encore du mal à accepter la révélation. « Je croyais que tu avais 17 ans. »

« J’ai eu 18 ans le mois dernier. »

C’est pourquoi elle s’était plainte de ne plus être une enfant il y a quelques jours. L’anniversaire de Kuroka était le vingt-deux de Kanata. Elle avait eu une modeste célébration avec ses deux amies d’enfance avant de partir pour ce voyage. Maintenant que sa maison avait disparu, ces deux-là, et peut-être Alshiera, étaient les seules à connaître la date de son anniversaire.

Shax tituba comme si sa dernière ligne de défense s’était effondrée, puis il secoua soudainement la tête comme s’il essayait de reprendre ses esprits.

« Tu aurais dû me le dire plus tôt…, » déclara-t-il.

« Que je suis devenue une adulte ? »

« Non. Ton anniversaire. Je ne pourrais pas te fêter si je n’ai pas cette information. »

Sur ce, Shax avait l’air un peu honteux, comme si c’était sa propre faute de ne pas savoir. Kuroka n’avait pas pensé qu’il voudrait vraiment célébrer avec elle, et ses joues s’étaient soudainement réchauffées.

« Euh, désolée pour ça. Mon anniversaire était le 22 du mois dernier. »

« Ne t’excuse pas, c’est ma faute pour ne pas avoir vérifié, » répondit Shax, puis il hocha la tête à contrecœur. « Je suppose que je peux t’offrir de l’alcool pour fêter ça en retard. Non pas que j’en aie vraiment envie ou autre. »

« D’accord ! »

Il semblait que le voyage de retour allait être agréable. Cependant, à ce moment-là, les poils de la queue de Kuroka s’étaient hérissés.

« Monsieur Shax, ennemis. »

Il semblerait que leur petite pause amusante doive être reportée.

« Yo. Désolé pour ça. Je suppose qu’on vous a interrompu. »

La population de Feo était concentrée dans le cœur de la ville. La majorité de sa périphérie était inhabitée. Après s’être déplacés vers cette partie abandonnée de la ville, les poursuivants de Kuroka et Shax s’étaient révélés.

L’un était un garçon aux cheveux et aux yeux écarlates qui semblait être un sorcier armé d’une sorte de gantelet. Il n’avait pas de lame sur lui, mais le plastron en cuir qu’il portait le faisait ressembler à un bandit. L’autre était un épéiste en armure maniant une épée longue. Ses yeux fins, qui ressemblaient presque à des fentes, ressortaient le plus. Il avait des cheveux longs pour un homme, et il était difficile de déterminer son âge exact. Il n’était certainement pas adolescent, mais il semblait avoir entre 20 et 50 ans.

Le premier à parler avait été le garçon, bien qu’il ne semblait pas s’excuser le moins du monde. À première vue, ils semblaient être des mercenaires plutôt que des sorciers. Les mercenaires étaient en grande partie constitués d’aspirants chevaliers angéliques et de sorciers novices qui n’avaient pu apprendre que des tours de passe-passe. Leur métier reposait entièrement sur l’utilisation de leur force brute. Les petites entreprises commerciales et les nobles en mauvaise posture vis-à-vis de l’Église qui ne pouvaient pas employer des sorciers compétents avaient tendance à les engager à la place. Les compétences de ces voyous n’étaient, bien sûr, pas de quoi se vanter.

Shere Khan utilise-t-il des mercenaires comme assassins ?

Il était très probable que Shere Khan préparait une armée de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Et même en faisant abstraction de cette force, il avait des subordonnés comme Dexia, il était donc difficile de croire qu’il enverrait un nombre quelconque de mercenaires pour accomplir l’acte.

« Êtes-vous les sous-fifres de Shere Khan ? » demanda Kuroka.

« Oh, tu nous as démasqués, hein ? » dit le garçon en levant les mains en signe de reddition. « Je suis content. Ça va aller vite, mais j’ai envie de discuter un peu avant. »

« Discuter… ? »

« Oui. Il nous a ordonné d’en finir avec vous deux, mais honnêtement, vous tuer alors que je n’ai aucune idée de qui vous êtes me laisse un goût amer dans la bouche. »

Le garçon avait mis un fort accent sur « d’en finir » et « tuer », peut-être pour tenter de les intimider. On aurait aussi dit qu’il essayait de confirmer quelque chose. Kuroka se redressa de manière à être prête à dégainer ses épées de sa canne à tout moment lorsque Shax fit un pas en avant.

« Allez, vous ne voulez pas dire que vous allez nous laisser partir si nous disons que nous sommes de simples citoyens, n’est-ce pas ? » leur avait-il demandé.

« Aaah, eh bien, j’ai envie de tester si on peut le faire, » dit le garçon avec un sourire, comme si tuer des gens ne lui faisait rien.

Un test ? Tester quoi ? se demanda Kuroka. Elle ne pouvait pas lire son adversaire, mais ce genre de négociation était la spécialité de Shax. Ainsi, Kuroka décida de les surveiller discrètement. Shax porta sa main à sa taille et répondit au garçon avec un faible sourire.

« Franchement, laissez-moi tranquille. Nous sommes juste des citoyens sans valeur, comme vous pouvez le voir. C’est une petite fille frêle qui n’a jamais donné un coup de poing, vous savez ? Comment aurait-elle pu offenser quelqu’un ? »

« Ha ha ha. Tu vois, c’est ce que je pensais aussi…, » le garçon avait répondu avec un sourire en coin, mais il avait soudainement aiguisé son regard. « Mais d’après mon expérience, les gens comme toi qui prétendent ne pas se faire remarquer sont les plus effrayants de tous. »

Peut-être qu’ils sont en fait des gens bien ! s’exclama soudainement Kuroka dans son esprit, en serrant les poings et en hochant la tête à plusieurs reprises.

« Kurosuke… N’aie pas l’air si fière, » dit Shax avec un soupir.

« Oh. Désolée. J’étais tellement heureuse… »

« Monsieur Asura, il semble que l’on se moque de vous, » grogna l’épéiste aux yeux bridés.

« Hein ? Vraiment ? Merde ! Pourquoi il faut que tu te moques de moi alors que j’ai l’air tout à fait modeste !!? » rugit le garçon, les larmes aux yeux.

Kuroka s’était sentie un peu désolée pour lui, mais son esprit avait analysé avec précision ce qu’elle avait entendu.

Le garçon est en fait le supérieur des deux, non ?

L’épéiste était clairement plus âgé, mais il appelait quand même le garçon « Monsieur », il était donc fort probable qu’elle ait raison. De plus, même si son ton était quelque peu taquin, il y avait un certain air de respect derrière ses mots.

« Dans tous les cas, nous ne pouvons pas permettre aux subordonnés de Shere Khan de s’échapper, » déclara Kuroka, préparant sa canne et s’alignant à côté de Shax.

« Cependant, j’aurais aimé obtenir un peu plus d’informations de leur part, » dit Shax.

Kuroka et Shax n’avaient d’autre choix que de se préparer au combat. Voyant cela, le garçon avait frappé ses poings gantés ensemble.

« C’est parti ! Bato, je m’occupe du gars qui a l’air maigre. Tu retiens la femme. »

« Waaah… ? Mais je ne pointe jamais mon sabre sur les femmes. »

« Je n’ai pas non plus l’habitude de frapper les filles ! »

« Haaah… Monsieur Asura, êtes-vous peut-être encore vierge ? Votre visage est rouge vif. »

« C’est rouge parce que j’en ai marre ! »

Les deux hommes ne semblaient pas effrayés par la situation de vie ou de mort qui les attendait.

« Allons-y, » dit Kuroka.

Même s’ils n’ont pas l’air si impressionnants que ça, ça pourrait être juste pour le spectacle.

C’était des assassins envoyés par un Archidémon, donc Kuroka n’avait pas l’intention d’être négligente. Alors qu’elle s’avançait, Shax lui tapota le dos de deux doigts.

« Prends-les vivants. »

« Compris. »

Elle répondit à son instruction silencieuse d’un regard, puis se rapprocha de l’épéiste aux yeux bridés. Elle sortit l’une de ses épées courtes de sa canne avec sa main droite, tordant son corps alors qu’elle s’avançait, effectuant une rotation complète et décochant un coup.

En échange de l’utilisation de tout le poids de son corps, cette frappe laissait une grande ouverture. L’épéiste dégaina la lame à sa taille à loisir et bloqua le coup de Kuroka, la repoussant avec son corps.

« Hmm, c’est un sacré coup compte tenu de votre physique, » fredonna l’épéiste en signe d’admiration.

Leurs épées s’étaient frottées l’une contre l’autre, tremblant sous l’impact. À en juger par le simple fait qu’il avait réussi à arrêter ce coup, cet épéiste n’était pas une personne ordinaire. Cependant, Kuroka n’avait pas effectué un si long coup sans raison.

« Hmph ! »

Elle avait dégainé sa deuxième épée courte au milieu de son tourbillon alors qu’elle lui tournait le dos. Utilisant l’élan de sa vrille, elle abattit l’épée courte dans sa main gauche par-dessus l’autre. L’épée longue de l’épéiste s’était brisée en morceaux à mi-chemin avec un grand bruit.

« On dirait que c’était une sacrée lame, » dit Kuroka.

N’importe quelle épée se briserait si elle subissait une attaque sérieuse de Kuroka. Jusqu’à présent, la seule épée qui ne l’avait pas fait était l’épée sacrée de Chastille. Il était assez significatif qu’elle ait dû frapper les deux lames d’un seul coup pour briser la sienne. C’était tout de même un peu pitoyable de briser son épée aussi impitoyablement dès le départ.

Sans lui laisser le temps de contre-attaquer, Kuroka enfonça une épée courte dans la gorge de l’homme. Il baissa les yeux sur sa lame brisée, puis les releva vers Kuroka, et répéta ce cycle plusieurs fois avant de forcer un sourire.

« Uhhh… Umm, je me rends, donc… »

Il leva ses deux mains, son épée brisée toujours dans sa main.

« Alors, pourriez-vous lâcher votre épée ? » demanda Kuroka.

« C’est ce que je pensais… »

Même si elle était cassée, il pouvait avoir une sorte d’astuce. L’épéiste avait lâché son arme brisée à contrecœur. Après l’avoir jetée loin, Kuroka s’était finalement tournée vers Shax. Elle aurait aimé attacher cet homme, mais elle n’avait rien de tel qu’une corde sur elle. La seule chose qu’elle pouvait faire pour le retenir était de tenir sa lame devant lui, mais c’était probablement suffisant dans ce cas.

« Monsieur Shax, j’ai fini de le maîtriser. »

« Joli. Bien joué. »

On aurait dit que même Shax avait des sueurs froides sur le front. Quoi qu’il en soit, son éloge avait fait se dresser les queues de Kuroka.

***

Partie 4

« Mais qu’est-ce que tu fais, Bato ? » dit le garçon avec exaspération.

« Je veux dire, que voulez-vous que je fasse avec une épée brisée… ? » répondit piteusement l’homme. Cependant, Kuroka refusait toujours de baisser sa garde.

Il n’a pas du tout pris notre combat au sérieux… Non, il n’en a même jamais eu l’intention.

Elle ne savait pas quel était leur objectif, mais il valait mieux supposer que tout ceci était dans leurs cordes. En fait, même si Kuroka avait rendu l’homme impuissant, elle ne pouvait pas bouger d’un pouce. C’était comme s’il avait bloqué ses mouvements.

Le garçon semblait être le supérieur des deux. Si possible, Kuroka voulait soutenir Shax, mais son instinct lui disait de ne pas donner d’ouverture à cet épéiste. Shax semblait également le sentir. Il leva sa paume, indiquant à Kuroka de ne pas bouger. Ceci dit, le partenaire du garçon avait été battu en un instant. Il tapa des pieds en se plaignant, mais il rétrécissait également son regard.

« Tch ! Quel partenaire peu fiable ! Écoute-moi bien ! Tu vas en baver si tu crois que je vais tomber comme Bato ! »

Malgré son comportement enfantin, qui dépassait même son apparence enfantine, Kuroka et Shax avaient été forcés de réaliser qu’il n’était pas vaniteux. Le garçon avait tendu son bras droit alors qu’une énorme quantité de mana avait soudainement balayé la zone.

« Sorcellerie ! » cria Kuroka.

« C’est faux ! » s’insurgea immédiatement Shax.

Le garçon avait souri avec un esprit inflexible, puis il avait dit, « Héhé. On dirait que tu l’as un peu compris. Voici le Bras Magique. Et je suis Asura, le Bras Hex ! Gravez ça dans vos crânes épais, bon sang ! »

« Asura, le Bras Hex ? Impossible… ! » s’exclama Kuroka, doutant de ses oreilles.

« Kurosuke, sais-tu quelque chose ? »

Il n’y avait personne à Liucaon qui ne connaissait pas ce nom. Kuroka avait même entendu les contes de fées de nombreuses fois.

« C’est le nom d’un héros d’une légende de Liucaon vieille d’un millier d’années. »

L’air s’était soudainement figé à sa réponse.

« Mille ans !? » trois voix avaient crié à l’unisson.

« Attendez, pourquoi avez-vous l’air si surpris tous les deux ? » demanda Shax.

« Je veux dire, je n’ai rien entendu à propos d’un millier d’années qui se seraient écoulées. Vous vous moquez de moi, n’est-ce pas ? » déclara le garçon en état de choc.

« Euhhh… À en juger par la réaction de cette petite dame, je pense que cela doit être vrai…, » dit l’épéiste.

Kuroka avait pensé qu’il s’agissait d’un mensonge pour les déstabiliser, mais ces assaillants étaient bien plus secoués qu’elle ou Shax en entendant sa réponse. L’épéiste avait agi de manière distante pendant tout ce temps, mais une ombre se cachait soudainement derrière son expression tandis qu’une sueur froide coulait sur sa joue. Ce serait impressionnant si tout cela n’était qu’une comédie, mais il semblait bien plus incapable de cacher son étonnement.

Maintenant que j’y pense, il l’a appelé Bato… Est-ce que ça fait de cet homme le Clairvoyant Bato ?

C’était le nom d’un célèbre stratège dans les légendes du Roi aux yeux d’argent.

Mais est-il possible que ces deux-là soient des héros d’il y a mille ans ?

La sorcellerie était capable de créer des morts-vivants, mais il était impossible de ressusciter parfaitement les morts. C’était possible en utilisant le mysticisme de Néphy, mais une telle chose pouvait-elle être accomplie après mille ans alors même qu’il ne reste au mieux que les cendres des morts ?

Je n’arrive pas du tout à lire leurs intentions.

S’ils avaient cherché à se débarrasser de Kuroka et Shax, il aurait été logique d’utiliser des noms terrifiants. Mais même s’il était possible de ressusciter les vrais héros, seraient-ils obligés d’agir comme de simples mercenaires dans un endroit comme celui-ci ?

« H-Hmph ! C’est un peu surprenant, mais ça ne change rien à ce que je dois faire ! »

Le garçon n’avait pas l’intention d’abandonner. Encore plus de mana s’enroula autour de sa main droite étendue. Assez rapidement, un gantelet cramoisi avait pris forme autour de son bras. Il était transparent comme du verre. Bien qu’il ne soit pas aussi grand, Kuroka avait vu une ressemblance avec l’Écaille du Ciel de l’Est, la sorcellerie de l’Archidémon Zagan. Un frisson d’effroi parcourut son échine et le poil de sa queue se hérissa.

« Monsieur Shax ! Ce bras est dangereux ! »

« Je peux voir ça… Du mana matérialisé ? Non, il l’a appelé Bras Hex. Est-ce une sorte de malédiction ? » marmonna Shax en analysant soigneusement la situation.

« Une malédiction ? » Le garçon murmura, les yeux écarquillés par le choc. « Hmm, je vois… C’est ce qu’on appelle une malédiction ? »

Il hocha la tête en signe de compréhension, lisant une sorte de sens caché dans ce mot. Il avait l’air de faire l’idiot, mais il s’est avéré qu’il n’était pas si faible.

« Et maintenant, on y va ? » dit le garçon, Asura, avec un sourire féroce, en brandissant son gantelet cramoisi.

Kuroka avait eu un mauvais pressentiment, elle avait donc essayé de se précipiter et s’était exclamée : « Je ne laisserai pas — ! »

« Wôw là, allez-vous me laisser partir ? »

Mais alors qu’elle tentait de s’enfuir, l’épéiste lui avait adressé un sourire.

Je ne peux pas bouger.

Kuroka était tombée dans le piège de l’épéiste. Elle ne pouvait pas lire en lui, vu qu’il s’était rendu tout de suite. Les choses pourraient être réglées rapidement si elle le tuait, mais elle n’était plus un assassin. Et surtout, Shax ne le souhaitait pas.

« Kurosuke, ne t’inquiète pas pour moi, » dit Shax avec un sourire. « J’ai au moins assez de talent pour que le patron me fasse confiance, tu vois ? »

Il avait couru en avant comme pour attraper le gantelet cramoisi du garçon de plein fouet.

« S’en est de la volonté ! » avait crié Asura.

« Wôw ! »

Au moment où il semblerait que Shax chargeait avec vigueur, ses jambes s’emmêlèrent et il tomba de manière splendide. Le garçon s’était complètement figé, son gantelet toujours en l’air, incapable de croire ce qu’il venait de voir.

« Qu’est-ce que tu fabriques… ? »

« Attends un peu ! Donne-moi une seconde ! On recommence ! » cria Shax.

« Arrête de te foutre de moi ! »

Shax avait reculé pitoyablement, toujours assis sur son derrière. Cela semblait irriter encore plus les nerfs d’Asura. Le visage du garçon était rouge de rage. Évidemment, il se rapprocha pour frapper Shax, mais pour ce faire, il devait poursuivre le sorcier qui reculait. Et c’est ainsi que son pied s’abattit à l’endroit même où Shax avait chuté de façon si anormale.

« Mange de la merde ! » cria le garçon.

« Tais-toi, » répondit Shax.

Le sol avait explosé sous les pieds du garçon. Shax avait apparemment mis en place un piège improvisé à cet endroit. N’importe quel sorcier normal aurait été manipulé facilement par l’explosion, mais quand la poussière était retombée, le garçon semblait être complètement indemne. Il s’est avéré que la forme de son gantelet pouvait être librement manipulée. Il s’était éparpillé en morceaux et avait formé un bouclier pour résister à l’explosion.

« Tch ! Ne crois pas que ce genre de conneries puisse me faire tomber ! »

« Oh, je vais facilement te mettre à terre. »

« Quoi — !? »

Shax avait utilisé la poussière pour se glisser derrière Asura. Il avait ensuite attrapé le bras gauche non armé du garçon, l’avait tordu et l’avait poussé vers le bas.

« Aie aie aie aie aie ! »

« D’accord, tu ferais mieux de ne pas bouger. Les articulations humaines ne sont pas faites pour se plier de cette façon. Ça va se casser si tu ne fais pas attention. »

Grâce à sa spécialisation dans le traitement médical, les arts de Shax étaient basés sur une compréhension totale de la structure du corps humain. Avec ça, les choses étaient réglées… Ou du moins, c’est ce que Kuroka voulait croire.

« Penses-tu vraiment que je vais me faire avoir par une telle connerie sournoise !? »

Le garçon agrippa le sol avec son gantelet, soulevant son corps du sol avec son autre bras toujours tordu derrière lui.

« H-Hey ! »

« Raaah ! »

De façon assez étonnante, Asura les souleva tous les deux du sol en faisant un poirier à un bras. Il roula ensuite son corps vers l’avant et échappa à l’emprise de Shax.

« Franchement… ? » murmura Shax. Puis, sans même attendre qu’ils se posent, il se servit du corps du garçon comme d’un tremplin pour sauter loin de lui.

« Je ne me laisserai plus prendre par ce tour de passe-passe minable ! »

« Je parie que tu ne le feras pas… »

Shax avait voulu en finir avec ce tour, mais Kuroka savait que sa force ne se limitait pas à cela. Elle pouvait voir de multiples cercles magiques enroulés autour de son bras alors qu’il se préparait.

Ce n’est pas possible ! Ce sont… !

Shax s’était à nouveau jeté sur le garçon. Cette fois, cependant, il chargeait vraiment de face. Son poing était entré en collision avec le gantelet du garçon. Le mana s’était transformé en une onde de choc qui s’était répandue dans les environs. Le pied de Shax s’était enfoncé dans le sol… et les vitres de la zone avaient éclaté.

« Bon sang ! »

Le garçon avait perdu l’affrontement. L’onde de choc l’avait projeté en arrière, l’envoyant s’écraser contre le mur derrière lui et transformant la maison délabrée en décombres.

« Comment était-ce ? Le poing de mon patron fait très mal, hein ? »

S’il fallait lui donner un nom, le Poing de l’Archidémon serait approprié. C’était le coup de poing de l’Archidémon Zagan, renforcé par l’ingestion sans fin de la sorcellerie des autres. C’était un coup qui avait même vaincu Barbatos le Purgatoire et l’Archidémon Andrealphus. Shax l’avait lui-même reproduit sans avoir à dévorer de la sorcellerie. Cependant, le prix de l’utilisation d’une telle attaque n’était pas anodin. Un son horrible résonna de chaque os entre le poing et le biceps de Shax tandis que du sang éclatait dans l’air.

« Gah ! Argh… »

L’Archidémon Zagan pouvait brandir un tel poing, car il était le plus habile lorsqu’il s’agissait de renforcer son corps. Shax était également spécialisé dans ce domaine en tant que médecin, mais il n’avait pas pu résister au recul. D’un autre côté, le garçon s’était relevé des décombres en ayant l’air assez bien, son gantelet n’ayant pas été endommagé.

« Aïe… Espèce de fils de pute ! Tu l’as vraiment fait maintenant ! »

Shax avait déjà commencé à guérir son bras droit cassé. Il était allé assez loin pour serrer son poing à nouveau, mais s’il essayait de répéter ce coup de poing, cette fois, son bras entier serait perdu. Néanmoins, il se tenait prêt à attaquer.

« Tu ne peux pas ! » Kuroka avait hurlé en serrant les dents.

« Wôw là, je ne vais pas laisser — ! »

L’épéiste avait essayé de lui barrer la route, mais ses yeux bridés s’étaient ouverts en grand. Alors que Kuroka s’était mise à courir, son corps s’était effondré. C’était un peu similaire à la transformation de la vampire Alshiera en chauve-souris. La différence fondamentale était que Kuroka ne s’était pas transformée en chauve-souris, mais en d’innombrables papillons.

***

Partie 5

Les papillons étaient faits de lumière, scintillant d’une lueur arc-en-ciel. Ce n’était pas un art comme la Nuit de la Lune, mais un phénomène plus proche du mysticisme.

Qu’est-ce qui se passe... Est-ce le ciel sans lune qui a fait ça ?

C’était une première, même pour Kuroka. Cependant, malgré le mystère du phénomène, Kuroka comprenait comment se déplacer sous cette forme. Les papillons se rassemblèrent devant Shax comme pour le protéger et reformèrent le corps de Kuroka.

« Quoi ? » marmonna Asura, déconcerté, mais brandissant toujours son gantelet cramoisi.

« Vous ne devez pas, Sire Asura ! » avait hurlé l’épéiste, faisant s’arrêter le garçon. « Nous battons en retraite. »

« Bien… » Le garçon acquiesça, semblant étonnamment obéissant, puis frappa le sol avec son gantelet.

Une énorme quantité de poussière avait soufflé dans l’air, masquant les deux mercenaires. Le temps que la poussière retombe, ils avaient tous deux disparu. Ils étaient manifestement assez rusés, car même l’épée brisée que Kuroka avait mise de côté avait disparu.

« Ils se sont enfuis… Ou je suppose qu’ils nous ont laissé partir ? » dit Shax, le sang coulant toujours sur son bras.

En voyant cela, Kuroka avait déclaré tranquillement. « Je vais les traquer. »

« Nous sommes probablement bien jusqu’ici. »

Asura et Bato s’étaient arrêtés près des ruines d’une église, car il ne semblait y avoir personne dans les environs. Il y avait des murs partout qui pouvaient être utilisés comme couverture, mais les bâtiments de la zone s’étaient tous effondrés, laissant la zone plutôt dégagée. Il était impossible de s’approcher à moins de vingt pas d’eux sans être repéré.

Impossible, si je n’avais pas bien sûr fait le tour par l’arrière avant eux.

Même après avoir retrouvé la vue, l’odorat et l’ouïe de Kuroka étaient bien supérieurs à ceux d’une personne normale. De plus, elle avait étudié la zone à l’avance, elle pouvait donc prédire immédiatement où ils allaient se retirer. Elle s’était cachée derrière un mur, avait effacé sa présence, et avait dressé ses oreilles.

« Alors quoi, les capacités de cette femme étaient-elles si difficiles à gérer ? » demanda Asura.

« Oui. Sa forme était assez différente de ce que je connais, mais… c’était probablement Azazel, » répondit prudemment l’épéiste.

Kuroka avait failli faire un bruit en entendant le nom inattendu sortir de ses lèvres.

« Tu te moques de moi…, » dit Asura, se mettant lui aussi sur ses gardes. « Ce n’est pas le nom du dieu de ces putains de séraphins ? »

Kuroka n’était plus capable de cacher son agitation à cause de la série continue de mots surprenants.

J’aurais aimé pouvoir emmener Monsieur Shax…

Elle possédait au moins quelques compétences en tant qu’agent de renseignement, mais Shax aurait pu tirer bien plus d’informations de cette conversation qu’elle. Kuroka avait pris la chasse seule parce qu’il était blessé, mais elle aurait dû lui faire lancer une sorte de sorcellerie de communication sur elle.

« Je vois, » répondit l’épéiste en relevant la tête et en réalisant son étourderie. « À votre époque, c’est ce qu’était Azazel. »

« Vous parlez comme si c’était autre chose à votre époque. »

Kuroka se renfrogna devant cette étrange conversation. C’était comme si les deux personnes venaient d’âges différents et qu’elles étaient conscientes de ce fait.

Est-ce que ça veut dire qu’ils sont vraiment les héros d’il y a mille ans… ?

Asura, l’Arm Hex et le Clairvoyant Bato sont deux noms qui apparaissent dans les légendes du Roi aux yeux d’argent. Quand elle se trouvait dans sa ville natale, Kuroka avait lu beaucoup de contes de ce genre avec Lilith. Selon les légendes, les deux individus ne vivaient pas à des époques différentes.

Décidant de laisser Zagan et Shax découvrir l’authenticité de leurs identités, Kuroka se concentra sur l’écoute en supposant qu’ils étaient, en fait, ces mêmes héros.

« Oui, » répondit l’épéiste. « À mon époque, Azazel a été coupé en deux par le Roi aux yeux d’argent. Une moitié est restée le dieu redoutable, tandis que l’autre s’est transformée en épée. Nous l’appelions l’Épée Séraphique. »

L’épée séraphique Azazel… c’est-à-dire l’épée d’un séraphin ? Cependant, Zagan avait recherché Azazel en pensant qu’il s’agissait de la treizième épée sacrée. Kuroka avait baissé son regard vers le Ciel sans Lune dans sa main. Selon Alshiera, cette épée avait autrefois été brandie par le Roi aux yeux d’argent.

Alors, qu’est-ce que cette épée exactement ?

Si le village d’Adelhide existait toujours, il y aurait peut-être eu une sorte de légende à étudier, mais rien de tout cela ne semblait familier à Kuroka.

« Si c’est elle qui le manie actuellement, je suppose que cela fait d’elle le Roi aux yeux d’argent de cette génération, » poursuit l’épéiste. « Même si nous l’affrontons tous les deux en même temps, je crois que ce fardeau est un peu trop lourd pour nous. »

À leur insu, quelqu’un d’autre portait ce nom en ce moment, mais Kuroka sentait qu’elle ne pouvait pas ignorer cela comme un simple malentendu. Elle découvrirait tous les détails tôt ou tard. Dans tous les cas, ces deux-là supposaient que Kuroka était l’actuel Roi aux yeux d’argent.

« Elle a les yeux rouges et c’est une fille, tu sais ? » Asura murmura d’un air dubitatif.

« Ça aurait pu se transformer en un simple titre après mille ans. »

« Par Roi aux yeux d’argent, vous voulez dire —, n’est-ce pas ? » Asura avait demandé juste pour être sûr. « Cette femme n’a pas les yeux d’argent, mais peut-être est-elle une de ses descendantes ? »

Kuroka n’avait pas bien entendu le nom qu’il avait dit.

Non, ce n’est pas que je ne pouvais pas l’entendre… C’est plutôt comme si elle était bloquée par une sorte de sorcellerie.

« Désolé, comment l’avez-vous appelé ? Je n’ai pas vraiment pu vous entendre, » demanda l’épéiste, apparemment bloqué lui aussi.

« Hein ? J’ai dit —. Notre chef. »

L’épéiste se mit à réfléchir et murmura : « Cela peut paraître étrange, mais je ne perçois pas le nom que vous prononcez, Sire Asura. »

« Qu’est-ce que ça veut dire… ? »

« Si le nom que vous prononcez est celui du Roi aux yeux d’argent, alors cela signifie qu’il a abattu un dieu. Il a dû payer une sorte de prix, ce qui signifie qu’il est fort probable qu’il ait été accablé par une sorte de malédiction. »

« Une malédiction… Ce type a dit la même chose quand il a vu mon bras. »

« Marchosias a après tout anéanti les séraphins après qu’ils aient perdu leurs pouvoirs, » dit l’épéiste avec un sourire en coin. « Les pouvoirs des séraphins ont commencé à être appelés malédictions par haine. »

« Votre épée hex aussi ? »

« Vous avez donc remarqué, hein ? Oui, ça aussi. »

Son épée avait, en fait, été une arme avec une histoire intéressante. Si Kuroka ne l’avait pas forcé à la lâcher, elle aurait pu être poussée dans un combat difficile.

« Donc si nous ne pouvons pas entendre son nom, alors le Roi aux yeux d’argent devra faire l’affaire, oui ? » dit Asura. « Avez-vous une idée de pourquoi ça s’est terminé comme ça ? »

« Non… Je veux dire, personne n’est après tout revenu vivant de cet endroit. »

« Alors vous avez été anéanti…, » marmonna Asura, puis ajouta d’une voix affligée : « Cela signifie qu’Ashy est aussi morte… ? »

« Par Ashy, voulez-vous dire Lady Alshiera ? »

Kuroka avait failli émettre un son à nouveau en entendant un nom familier mentionné.

« Vous pouvez être tranquille. Elle était encore en vie à mon époque. Ou du moins, elle l’était encore quand je suis mort au combat. »

« Je vois… Hmm. Alors, c’est bien… »

Il y avait un véritable soulagement dans la voix d’Asura, mais Kuroka pouvait sentir que l’épéiste cachait encore quelque chose dans son silence. Les deux hommes parlaient comme s’ils étaient déjà morts. Cela donnait mal à la tête de Kuroka. Il y avait trop d’informations à transmettre à ses alliés.

« Organisons toutes les informations que nous avons obtenues pour l’instant, » dit l’épéiste, en rassemblant les choses. « D’abord, voici le monde mille ans après notre mort. »

« Voulez-vous dire que j’ai encore 20 ou 30 ans de plus que vous ? Eh bien, je suppose que c’est logique que le monde soit totalement différent. »

Asura venait vraiment d’une époque antérieure à celle de l’épéiste. À quel point le monde avait-il changé en mille ans ? Kuroka ne pouvait même pas l’imaginer, mais les différences devaient être étonnantes.

« Oui, » poursuit l’épéiste. « Ensuite, les techniques de l’épée n’ont pas beaucoup progressé depuis notre époque. »

« Hein ? Je ne l’ai vu faire qu’un seul coup, mais elle avait l’air d’avoir assez d’habileté pour que ce soit dommage qu’elle soit une fille, non ? »

« D’accord. Même si elle combattait le Roi aux yeux d’argent de mon époque, je ne pense pas qu’elle serait surpassée par lui. Cependant, elle ne le surpasserait pas non plus. Selon toute vraisemblance, les techniques d’épée avaient déjà atteint leur achèvement à notre époque. »

Ce qui signifie que tant que les outils qu’ils utilisaient ne changeaient pas, le développement d’un art avait ses limites. Entendre qu’il n’y avait pas eu de progrès avait attristé Kuroka, mais cette émotion n’avait pas d’importance pour le moment, alors elle l’avait chassée de son esprit.

« Troisièmement, » dit l’épéiste, avec de la tension dans la voix. « En revanche, la sorcellerie a atteint un niveau terrifiant. »

« Ce truc que le type a utilisé ? Eh bien, malgré le fait qu’il se soit heurté de plein fouet à mon Bras Hex, il semble que le combat soit en fait le point faible de ce type. »

« Ce n’est pas ce que je veux dire. Le potentiel destructeur de son coup de poing était incroyable, oui, mais je fais référence à sa vitesse de guérison. Son bras a été presque arraché par le choc avec votre Bras Hex, et pourtant, en quelques secondes, il était presque revenu à la normale. Est-il vraiment humain ? S’il peut lancer la même guérison sur d’autres personnes, il n’y aura pas moyen de les vaincre. »

Kuroka était étonnée. Ces deux-là les avaient observés, elle et Shax, encore plus qu’elle ne les avait observés. Ils avaient même compris le niveau de sorcellerie médicale de Shax en un seul coup d’œil.

« Quatrièmement, » dit Asura cette fois. « Les ordres de ce chevalier n’ont aucune force contraignante sur nous. »

« Oui. Nous pouvions tous deux nous rendre et battre en retraite. Il n’y avait aucun effet lorsque vous mentiez. »

Kuroka avait plissé les yeux en entendant cette partie.

Ce chevalier… ? Un chevalier angélique, peut-être ?

Certains chevaliers n’étaient pas des chevaliers angéliques, mais à notre époque, le terme désignait normalement les chevaliers de l’Église. Les deux hommes parlaient comme s’ils étaient sous le commandement de ce chevalier qu’ils avaient mentionné.

« Je déteste ce type, » proclame Asura. « Je veux dire, c’est un peu comme s’il avait abandonné ses amis pour s’enfuir. »

« Ha ha ha. Vous le pensez aussi, Sire Asura ? J’ai aussi du mal à apprécier des personnages aussi louches. »

« Vous détestez les gens qui sont comme vous, hein ? J’ai compris. »

Voyant que le bretteur restait bouche bée devant sa remarque, Asura gloussa avant de poursuivre la conversation en disant : « Je ne comprends toujours pas ce qui se passe. Nous sommes complètement liés par les ordres de Shere Khan, non ? Et ici, Shere Khan nous a ordonné d’obéir à ce chevalier, alors pourquoi pouvons-nous le défier ? D’après ce que nous avons vu des autres, cette obéissance absolue n’est pas quelque chose que l’on peut ignorer sur un coup de tête. »

Kuroka avait penché la tête avec curiosité quand elle avait entendu ça.

Cela signifie-t-il que Shere Khan peut laver le cerveau des gens avec de la sorcellerie ?

Il semblait qu’Asura et Bato étaient dans une position où ils ne pouvaient pas désobéir à Shere Khan.

***

Partie 6

« Si je devais deviner…, » murmura l’épéiste, visiblement perdu dans ses pensées. « Je dirais qu’il n’y a aucun effet à moins que ce soit un ordre direct de la bouche de Shere Khan. Ou peut-être… »

« Dès le départ, ce n’était pas un ordre ? »

« Précisément. »

Kuroka ne pouvait rien comprendre à ce stade, elle s’était donc contentée d’écouter. Les choses seraient plus faciles à décider si elle en savait un peu plus sur leur situation.

« Dans ce cas, quel est l’intérêt pour Shere Khan ? » demanda Asura, dubitatif. « Selon la façon dont les choses se passent, nous pourrions même le trahir. Ça n’a aucun sens. »

« Vous avez raison. Pourtant, il semble avoir ses propres circonstances à prendre en compte. Quoi qu’il en soit, je vois deux possibilités. Premièrement, ce chevalier connaît la faiblesse de Shere Khan. »

« On dirait plutôt que c’est l’inverse pour moi. C’est quoi l’autre ? »

« Il est nécessaire que nous agissions de manière indépendante. »

« Je veux dire, c’est la partie que je ne comprends pas. »

Kuroka pouvait comprendre où l’épéiste voulait en venir.

Si Shere Khan les domine complètement, il y a un risque que leurs actions soient prévisibles.

Cela signifiait que Shere Khan s’attendait à ce qu’ils agissent de manière imprévue. Ou, en d’autres termes, l’Archidémon s’était fait un ennemi en dehors de Zagan dont il devait se méfier à ce point. Kuroka venait d’apprendre cela par Shax après son rapport à Zagan.

Donc ces gens sont censés garder Bifrons sous contrôle ? Je vois… C’est pourquoi ils hésitaient à nous reconnaître comme ennemis. Oh, alors le mensonge était qu’ils avaient reçu l’ordre de nous tuer.

Ils s’étaient surtout concentrés sur la collecte d’informations. Du début à la fin, ils n’avaient rien fait d’inutile. Toutes leurs actions étaient d’un raffinement terrifiant.

« C’est donc comme ça que ça se passe, » dit Asura en riant. « C’est plus qu’assez d’informations pour m’excuser de vous avoir demandé de nous tenir compagnie pour comprendre tout ça, non ? »

Ces mots étaient clairement dirigés vers Kuroka. Ils avaient remarqué qu’elle se cachait dans la zone. En d’autres termes, ils avaient parlé de tout cela en sachant qu’elle écoutait aux portes pendant tout ce temps.

Ils pourraient vraiment être les héros d’il y a mille ans.

C’était vexant, mais elle avait clairement été sur la défensive pendant tout ce temps.

« Vous avez mes remerciements…, » répondit-elle.

« Sire Asura, il semble qu’elle était derrière nous. »

Kuroka était sortie de sa cachette et avait repéré Asura qui regardait dans la direction opposée. Ils savaient qu’elle avait réussi à leur couper la route, mais n’avaient pas saisi sa position exacte.

« Ah oui, » ajouta joyeusement l’épéiste. « À propos du chevalier qui nous a envoyés ici pour gagner du temps… Il semble poursuivre une fille qui court dans cette ville. Serait-ce une de vos camarades ? »

Il lui disait en gros : « Notre employeur est une nuisance, alors pourriez-vous vous occuper de lui pour nous ? »

Mais… une fille ?

Kuroka n’avait aucune idée de qui cela pouvait être. Si c’était quelqu’un du camp de Zagan, il l’aurait certainement déjà remarqué, ce qui signifiait que Shax en aurait entendu parler plus tôt lors de leur rapport régulier. Quant aux personnes extérieures au camp de Zagan, Kuroka n’en avait pas la moindre idée. Il n’y avait personne pour venir dans une ville aussi désolée, et encore moins une fille.

Non, peut-être, juste peut-être…

Elle n’avait aucune preuve et ne pensait pas que c’était possible. Pour commencer, on lui avait dit que ces filles possédaient une loyauté fervente envers Shere Khan. Même si elles avaient été abandonnées pour avoir échoué dans leur mission, cela remontait à si longtemps maintenant, ce qui rendait la chose encore plus douteuse.

Mais si c’est elles…

Kuroka n’avait pas vraiment d’obligation de les sauver. En fait, elle avait plutôt une raison de leur en vouloir. Il était possible d’obtenir des informations de leur part si elle les ramenait vivante, mais leur survie n’avait rien à voir avec elle. De plus, Shax était blessé, alors Kuroka ne voulait pas s’encombrer d’autres problèmes. Ou du moins, c’était… supposé être le cas.

« Qui sait ? Je me pose la question. »

Après avoir laissé ces mots derrière lui, Kuroka s’était élancée.

« C’est un succès ! Stop ! »

De retour à Kianoides, une épée en bois avait volé haut sur la place devant l’Église.

« Oooh ! Alfred a perdu ! »

Un chevalier maigre en armure bleue brillante faisait face à un jeune homme portant une armure sacrée. Le chevalier en bleu avait regardé son épée en bois d’un air hébété, puis avait finalement repris ses esprits en l’entendant frapper le sol.

« Quelle splendeur… ! » murmura-t-il avec un soupir d’admiration. « Tu es devenu fort, Richard. »

« Merci beaucoup ! »

Le nom du vainqueur était Richard. Son adversaire était l’un des trois chevaliers du ciel d’azur, le manieur d’épée Alfred. Il fut un temps où les trois chevaliers du ciel d’azur n’étaient guère plus que les élites de Kianoides. Cependant, après avoir défié l’Archidémon Zagan et avoir échoué, ils s’étaient élevés au rang des meilleurs parmi les meilleurs de tous les chevaliers angéliques de la région. Parmi eux, le chevalier angélique nommé Alfred était le second après Chastille. En d’autres termes, il était le chevalier le plus fort de la ville, sans compter les archanges.

C’est pourquoi Richard avait demandé une grande faveur à Alfred en l’aidant à s’entraîner. Et aujourd’hui, Richard avait finalement réussi à le frapper.

« Hngh… » Alfred gémit, levant les yeux au ciel comme s’il retenait ses larmes. « Désormais, ma place parmi les trois chevaliers du ciel d’azur est à toi ! Protège Dame Chastille jusqu’à la fin de tes jours ! »

« Hein ? Non, c’est un peu… » Richard s’interrompit, l’air quelque peu troublé, mais les autres chevaliers angéliques ne lui prêtent pas attention et se rassemblent autour d’Alfred.

« Tu as bien fait, Alfred ! »

« Je suppose que c’est comme ça que la vieille garde transmet leur poste… Je vais me sentir seul sans toi. »

« Ne dis pas ça, Torres. Un homme de la trempe d’Alfred a reconnu son successeur, nous devons donc l’accepter ! »

Il semblait que Richard ne pouvait plus couper leur conversation, laissant une sueur froide couler sur son front.

Qu’est-ce que je dois faire ? Ce n’est pas comme si je cherchais une promotion ou autre…

Les trois chevaliers du ciel d’azur étaient les chevaliers angéliques les plus forts de Kianoides. Les missions dont ils étaient chargés variaient considérablement, et ils se consacraient à leurs dures tâches jour et nuit. Pour dire les choses clairement, ils étaient extrêmement occupés.

D’un autre côté, Richard voulait simplement être plus fort pour pouvoir mieux protéger Nephteros, et pour que l’Archidémon Zagan, qui la tenait sous son patronage, finisse par l’accepter. Cela ne servait à rien s’il ne pouvait plus rester à ses côtés. S’il était promu, il ne pourrait plus rester son garde personnel.

Malgré cela, il semblait qu’Alfred avait déjà démissionné de son poste, et les autres étaient tous profondément émus par sa démonstration virile. Richard, bien sûr, le respectait beaucoup en tant que Chevalier Angélique, mais c’était une faveur malvenue. Et alors qu’il ne savait pas quoi faire, un doux ricanement avait résonné de nulle part.

« Tee hee hee, quelle humeur festive ils ont ! »

Un essaim de chauves-souris peu digne de la place de midi s’était rassemblé. Puis, une fille vêtue de noir s’était abattue en tapant légèrement sur le sol, une poupée en peluche effrayante dans les bras. C’était la vampire Alshiera.

« Mrgh ! Vous êtes cette satanée vampire qui rôde autour de l’Église ! »

« Que faites-vous ici ? »

« Nous avons même laissé des macarons dans le bureau ! »

Les trois chevaliers du ciel d’azur se mirent immédiatement en formation, Alfred ramassant au passage son épée en bois tombée. On aurait dit qu’il y avait une plainte sans rapport avec le sujet, mais Richard fit semblant de ne pas la remarquer. Quant à Alshiera, elle n’avait pas réussi à laisser échapper cette dernière réplique, et elle avait donc étiré un léger sourire.

« Hmm… Je les apprécierai plus tard. »

« J’ai fait ceux d’aujourd’hui en utilisant les fruits rares des fleurs de la passion. Le goût se détériore avec le temps, il faut donc les manger le plus vite possible ! »

« Les avez-vous fabriqués à la main pendant tout ce temps ? »

La vampire Alshiera possédait des yeux qui semblaient voir à travers chaque vérité, mais il y en avait une qu’elle n’avait pas été capable de révéler. Ryan, le porteur de bouclier, couvrait maladroitement son visage rougissant.

« S’il vous plaît, oubliez tout ce que vous venez d’entendre…, » avait-il dit.

Peut-être que les Trois Chevaliers du Ciel d’Azur n’étaient pas aussi occupés que Richard l’avait d’abord cru.

Mais même dans cette situation, Alshiera avait souri galamment et avait dit, « Eh bien, je suis venue parce qu’il y a quelque chose à célébrer. Mon petit animal de compagnie préféré a obtenu plus de gardes, n’est-ce pas ? »

« Hm… ? De quoi parlez-vous ? » demanda Alfred avec une grimace.

« Oh, mon dieu, ce monsieur n’est-il pas le garde de Dame Nephteros ? » demanda Alshiera avec un air exagéré de surprise. « Maintenant qu’il a été promu, son équipe devrait assumer cette responsabilité avec lui, non ? »

Elle plissa ensuite les yeux en souriant méchamment et ajouta : « En tout cas, c’est une haute elfe, membre de la race considérée comme les êtres les plus sacrés de l’Église, et la petite sœur de la belle épouse de l’Archidémon Zagan, Dame Néphélia… En d’autres termes, elle est le symbole même de la Faction d’unification. »

« Hrk ! » Torres, le manieur de lance, grogna et tomba soudainement à genoux.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Torres !? »

« N-Nulle part ! Ce n’est rien ! Je viens de me souvenir de quelque chose d’horrible. Il n’y a rien qui cloche chez moi ! »

Une sueur froide coulait sur le front de Torres et sa main tremblait violemment en s’accrochant à sa lance. C’était une crise qui l’assaillait de temps en temps. Richard n’en connaissait pas les détails, mais cela arrivait dès que le sujet des elfes était abordé. C’était la deuxième fois que Richard en était témoin. Cependant, il avait entendu dire que les crises s’étaient calmées ces derniers temps.

Richard était resté là, perplexe, alors qu’Alshiera dirigea un regard porteur d’une certaine signification vers lui. Il n’avait pas pu lire ses intentions, mais avait décidé de faire avec.

« Euh, Lady Alshiera, » dit-il. « Cela n’a toujours pas été décidé. Par-dessus tout, je crois que les trois chevaliers du ciel d’azur ne sont ce qu’ils sont que lorsqu’ils sont composés de ces trois hommes. »

Les yeux d’Alshiera s’écarquillèrent de surprise et elle répondit : « Oh là là, j’ai dû tirer des conclusions hâtives. Mes plus sincères excuses. »

En entendant le refus désinvolte de Richard, Alfred avait incliné la tête avec regret.

« Pardonne-moi, Richard ! Mais le chemin de la gloire t’est désormais ouvert ! »

Torres avait ensuite ramené les autres chevaliers angéliques à leur poste, dispersant le groupe. Les seuls qui restaient étaient Richard et Alshiera.

« Dois-je vous remercier ? » avait-il demandé.

« Oh ? Je n’ai fait que mal interpréter la situation, non ? »

Richard avait hoché la tête en signe de compréhension.

***

Partie 7

Selon Lady Chastille, elle n’est pas une mauvaise personne, mais…

Il avait encore du mal à lire ses intentions. Il était déraisonnable pour lui de baisser sa garde contre cette vampire.

« Alors ? Avez-vous besoin de quelque chose de moi ? » demanda-t-il avec méfiance.

Alshiera ne répondit pas tout de suite. Au lieu de cela, elle ramena ses cheveux d’or en arrière, ayant du mal à trouver les bons mots, et après un bref silence, elle commença finalement à parler.

« Je… Permettez-moi d’être franche. Avez-vous remarqué quelque chose d’anormal chez Lady Nephteros ? »

« Anormal… ? Comme le fait qu’elle se sente malade de temps en temps ? »

Nephteros s’était soudainement effondrée une fois. De plus, lorsque Richard était allé lui chercher un verre, elle avait fini par disparaître, ce qui l’avait fait paniquer. Elle avait l’air stable depuis un mois, mais elle avait toujours des étourdissements et des maux de tête. Nephteros avait gardé tout cela pour elle, et Richard avait mal au cœur de la voir.

« Vous l’avez donc remarqué, » murmura Alshiera avec anxiété.

« Oui… Est-ce qu’il y a peut-être quelque chose qui arrive à son corps ? »

Alshiera avait hoché la tête avec une expression grave, puis elle annonça tranquillement. « Oui. Je vais aller droit au but. J’aimerais que vous restiez loin de Lady Nephteros. »

Les yeux de Richard s’écarquillent à cette déclaration soudaine. Confus, il demanda, « Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? »

« Exactement ce que j’ai dit. Vous avez des sentiments pour elle, n’est-ce pas ? Ce n’est pas bien. »

« Je-je peux au moins séparer ma vie privée de mes fonctions ! »

« Je ne vous critique pas, » dit Alshiera avec un soupir apathique. « Si vous vous impliquez davantage avec elle, vous ne vivrez que des souvenirs douloureux. Vous feriez mieux de vous éloigner d’elle le plus vite possible. »

Pendant un instant, Richard avait senti le sang lui monter à la tête, mais il avait ensuite réalisé que l’avertissement d’Alshiera était lié à la santé de Nephteros. En y repensant, Nephteros semblait distraite ce matin.

Des souvenirs douloureux… ? Ce n’est pas possible !

Richard avait prié pour que son intuition soit fausse.

« Voulez-vous dire que son état est si grave ? » avait-il demandé.

Elle ne s’était pas effondrée récemment. On aurait même dit qu’elle se remettait régulièrement.

« Je vous ai prévenu, » lui déclara Alshiera en secouant la tête. Puis, en laissant ces derniers mots, la vampire avait disparu dans un essaim de chauves-souris.

Que dois-je faire… ?

Comme il n’y avait plus personne pour lui répondre, Richard était resté immobile sur la place vide.

« Haaah… Haaah… »

Une fille courait dans les ruelles près de bâtiments abandonnés. Elle avait les yeux bleus et son visage était couvert de saleté. Son ruban rouge n’était plus là, et ses cheveux blonds étaient en désordre. Elle avait le ruban bleu de sa petite sœur précieusement enroulé autour de son poignet gauche.

C’était l’une des deux sorcières jumelles qui servaient Shere Khan, Dexia. Elle portait une belle robe bien trop grande pour elle, mais en dessous, elle n’avait rien de plus que de vieux chiffons qu’elle avait réussi à trouver pour couvrir sa poitrine et sa taille. Elle était essentiellement nue. Elle ne portait pas de chaussures, ce qui avait provoqué le décollement de ses ongles d’orteil à un moment donné pendant son vol, de sorte que chacun de ses pas laissait des gouttelettes de sang sur le sol.

C’est le pire. Se faire poursuivre par un voyou comme lui dans un endroit comme celui-ci, c’est juste…

Elle s’était réveillée dans la cachette près de Feo et avait fui pour sauver sa vie l’autre nuit. Elle avait réussi à atteindre la ville, mais elle n’avait pas de vêtements, et encore moins d’argent, ce qui lui laissait peu d’options. Elle n’avait pas pu obtenir de nourriture ou d’eau, mais elle avait réussi à maintenir un minimum de renforcement de son corps et avait finalement réussi à se déplacer correctement lorsqu’un poursuivant l’avait trouvée.

Dexia ne pouvait pratiquement pas utiliser de sorcellerie en l’état actuel des choses. La robe qu’elle portait contenait des sorts incrustés, mais elle ne pouvait pas les activer, car ce n’était pas la sienne. En d’autres termes, elle ne pouvait pas utiliser de sorcellerie sans dessiner les cercles magiques complexes et incompréhensibles à partir de zéro.

Même si elle avait le mana, il lui faudrait des heures pour utiliser quoi que ce soit. Et un sort de grande envergure prendrait des jours, voire des mois. L’atout que lui avait accordé son maître, le Regard Englué, nécessitait des années de préparation.

L’Archidémon Zagan avait reproduit un tel cercle magique après l’avoir vu une seule fois, et même s’il avait commencé à le dessiner après qu’elle l’ait activé, il l’avait terminé en même temps qu’elle. Dexia ne pouvait même pas imaginer la vitesse à laquelle son esprit travaillait.

La seule grâce qu’elle possédait était d’avoir réussi à renforcer son corps à temps, mais cela lui avait pris une nuit entière. Mais sans cela, elle n’aurait même pas pu tenter de s’enfuir.

« Aristella… »

Le premier mot qui avait quitté sa bouche désespérée était le nom de son autre moitié, la fille qui n’était plus avec elle.

Tout ça est arrivé parce que je suis stupide et faible et que je n’avais pas assez de volonté…

C’est pourquoi son autre moitié était devenue un sacrifice. Elle devait mettre sa vie en jeu pour sauver sa sœur. La dernière fois que Dexia l’avait vue, elle n’était qu’un morceau de viande sans le moindre soupçon des jolis traits qu’elle possédait autrefois.

« J’ai peur de mourir… Je ne veux pas… Je déteste l’idée d’être jetée. »

Cela avait été leur dernière conversation. Aristella avait remarqué l’erreur avant Dexia. C’est pourquoi elle s’était inquiétée de l’ampleur des erreurs qu’elles avaient commises et en avait souffert. Et pourtant, Dexia n’arrivait pas à la comprendre. Elle voulait protéger sa petite sœur, mais au lieu de cela, c’est elle qui l’avait protégée.

Même si je suis la grande sœur, je l’ai laissée tomber !

Elle se sentait si pitoyable qu’elle s’était mise à pleurer. Sauver Aristella était la seule et unique chose que Dexia désirait. C’était après tout la seule chose qui lui restait après avoir fui Shere Khan.

Mais même si elle parvenait à s’éloigner d’ici, que pourrait-elle faire pour l’aider ? Pour commencer, était-il même possible de s’approcher de l’endroit où Shere Khan l’entreposait ?

Quoi qu’il en soit, si Dexia ne survivait pas, cette fille souffrirait pour toujours. Personne ne penserait à sauver un simulacre de sorcier assassin, surtout si elle était leur ennemie. Et donc, Dexia continua à courir avec de telles pensées à l’esprit lorsqu’elle tourna un coin et se heurta à un mur de débris.

« Une voie sans issue ? »

Elle avait couru sans connaître le terrain, et s’était soudainement retrouvée sans moyen d’avancer.

Je peux au moins sauter par-dessus un mur de cette hauteur.

La majorité des bâtiments de cette ville étaient des ruines. Les murs s’étaient effondrés partout, ce qui permettait de franchir de tels obstacles avec la force des jambes améliorée par la sorcellerie. Cependant, au moment où elle se préparait à sauter…

« Gah ! »

Un choc soudain l’avait frappée à l’arrière de la tête, faisant basculer Dexia sur le sol.

« Ow… Argh… »

Une coupure au front avait fait couler du sang dans ses yeux, rendant sa vision rouge. Elle avait couru sur une distance qui aurait fait exploser le cœur de toute personne normale, ce qui l’avait complètement épuisée. Ses membres tremblaient. Elle ne pouvait plus se lever.

« Notre jeu de chasse est terminé, petite fille, » avait dit une voix derrière elle alors qu’elle haletait pour respirer.

C’était une voix désagréable, pleine de haine et de mépris. Le simple fait de l’écouter lui donnait des frissons. Dexia avait réussi à lever la tête et avait aperçu un chevalier angélique avec une grande épée suspendue à sa taille. Elle l’avait reconnu.

Archange Valjakka, le porteur de l’épée sacrée Camael. Cependant, son titre glorieux n’était qu’une imposture. Il y a cinq ans, après avoir subi une défaite embarrassante des mains de Shere Khan, il avait été épargné en échange de sa servitude et de la fuite d’informations sur le cercle central de l’Église. Dexia et Aristella l’avaient même poussé comme un pion sans valeur.

Il l’avait frappée avec le gant de métal de son armure. Malgré le renforcement de son corps, un tel coup aurait pu facilement lui briser la tête. Dexia fut assaillie par une terrible sensation de nausée et ne pouvait plus fixer ses yeux. Néanmoins, elle parvint à faire entrer de l’air dans ses poumons brûlants et se redressa.

« Hah. Le petit sous-fifre qui a flatté cette petite fille avec un sourire stupide est vraiment hautain aujourd’hui, » avait-elle déclaré, le dénigrant dans une démonstration minimale de résistance.

« Haaah… Comprends-tu la position dans laquelle tu te trouves en ce moment ? »

Après avoir dit cela, le chevalier angélique avait immédiatement attrapé les cheveux de Dexia et l’avait tirée vers le haut.

« Aie ! Argh… Gah ! »

Au moment où elle s’était penchée en arrière sous la douleur, un poing s’était enfoncé dans son abdomen exposé. Elle ne pouvait plus respirer. Sa vision était devenue entièrement blanche. Elle pouvait entendre ses cheveux être arrachés de son cuir chevelu. Elle avait commencé à perdre conscience, mais un choc avait traversé tout son corps et l’avait soudainement réveillée. Elle ne pouvait pas comprendre qu’elle avait été projetée contre un mur avec une force énorme. Ensuite, elle avait été assaillie par une douleur provenant de l’intérieur de son corps.

« Hak… Haaah… Blurgh… »

C’était comme si son estomac s’était retourné. Elle avait vomi sans hésiter, mais tout ce qui était sorti était du sang mélangé à de la bile. Elle continua à vomir, retenant son estomac alors que Valjakka lui donnait un coup de pied dans les mains, lui brisant les doigts et l’envoyant voler une fois de plus.

Elle ne pouvait pas respirer. Ses membres étaient étalés sur le sol, secoués de convulsions. Un deuxième coup avait fait jaillir le sang de sa bouche. Elle pouvait voir que certaines de ses entrailles avaient éclaté. Elle ne pouvait plus bouger quand un pied s’était écrasé sur sa tête.

« Fais attention à la façon dont tu parles. Tu pensais vraiment que je n’étais pas en colère contre toi ? »

Peut-être était-ce simplement ce qu’on appelle le karma. L’homme qu’elle avait méprisé quand elle était la subordonnée de Shere Khan l’avait coincée au moment même où elle avait trahi Shere Khan. C’était une fin appropriée pour une traîtresse pitoyable.

C’est l’enfer ! J’ai besoin… de sauver… Aristella !

Même si ses raisons étaient plus qu’égoïstes, Dexia devait survivre. Cette vie était celle qu’Aristella avait partagée avec elle, alors elle ne pouvait pas mourir dans un tel endroit. Dexia était en larmes, regardant Valjakka de dessous son talon.

« Hmm ? Quelle gamine impertinente… ! » dit-il en levant un sourcil d’amusement. « Mais cela rend ce qui va se passer encore plus amusant. »

« Hein… ? Urgh ! »

Dexia n’avait pas compris ce qu’il voulait dire par là, mais il lui avait soudainement donné un coup de pied dans l’épaule, la laissant incapable de réfléchir davantage. Elle n’avait plus la force de résister. Son corps avait langoureusement roulé sur lui-même, ce qui l’avait fait faire face au ciel. C’est alors qu’elle avait réalisé que ses petits seins étaient complètement exposés. Le chiffon qu’elle avait à la taille avait disparu. Tout ce qu’elle portait, à part la robe, s’était détaché pendant qu’elle était ballottée.

Dexia sentit son visage devenir rouge de honte. Elle tendit son bras tremblant pour essayer de couvrir sa poitrine, mais le chevalier angélique le plaqua au sol, mettant fin à sa pitoyable démonstration de résistance.

« Ha ha ! Comment ça ? Essaie maintenant d’ouvrir ta petite bouche impertinente ! »

Il l’avait montée et avait commencé à enlever sa ceinture en ricanant. Avec cela, Dexia avait compris ce qui allait lui arriver. Pour la première fois, elle avait ressenti une peur véritable, sans retenue.

J’ai peur… mais je dois aller sauver ma petite sœur !

***

Partie 8

C’est vrai. Elle avait une raison de rester en vie. Elle devait survivre. Tout ce qu’elle avait à faire était de faire semblant d’être docile et de céder, de lécher l’arrière de ses bottes ou tout ce qu’il voulait. Même s’il était pourri, il était toujours un Chevalier Angélique. Si elle suppliait docilement pour sa vie, il pourrait même lui pardonner. Qu’est-ce qu’un moment d’humiliation face à la mort ?

D’innombrables pensées similaires flottaient dans l’esprit de Dexia pour la persuader. Et pourtant… elle cracha un mélange de salive et de bile sur son visage. Elle ne possédait plus la force de le repousser. Le simple fait d’essayer de parler avec ses lèvres coupées lui faisait très mal. Elle était dans un état pitoyable maintenant, incapable de faire quoi que ce soit alors qu’on se moquait d’elle. Néanmoins, Dexia sourit avec mépris.

« Tu veux que je… t’insulte… ? Quelle putain de masochiste… ! »

 

 

Même si la peur dominait son cœur, l’esprit de Dexia avait choisi de se rebeller. En réponse, toute expression avait soudainement disparu du visage de l’homme.

« Ee —»

Le temps qu’elle essaie de crier, les doigts de l’homme s’étaient déjà enroulés autour de son cou. Ses pouces s’étaient enfoncés dans sa trachée. Elle pouvait entendre sa propre moelle épinière craquer. Son cou allait se briser, ou même être arraché, avant qu’elle ne puisse suffoquer.

Désolée, Aristella… Même si tu m’as donné la vie… Même si tu m’as aidée à m’échapper… Je n’ai pas pu te rendre la pareille. Je suis vraiment désolée d’avoir été une si mauvaise grande sœur.

La vision de Dexia se transforma en une tempête de sable vacillant, noir et blanc, tandis que la mort rampait sur ses pieds. Il n’y avait aucune chance que le salut vienne pour un être méchant se faisant étrangler. Le son de quelque chose qui claqua résonna dans ses oreilles alors que l’obscurité dominait son champ de vision.

Mais pour une raison étrange, juste à la fin, elle avait l’impression de voir le profil de cette fille franche qui les avait grondées à l’époque où elles étaient si prétentieuses, à une époque dont Dexia se souvenait à peine.

Un craquement résonna dans l’air lorsque Kuroka enfonça la pointe de sa chaussure dans le visage de l’homme qui chevauchait la fille, lui cassant le nez.

« Bwah ! »

Elle avait mis toute sa force dans ce coup de pied circulaire, envoyant le grand homme vêtu d’une Armure Sacrée voler comme un morceau de papier. Il rebondit sur le sol comme une boule, puis s’effondra à la limite de la vision de Kuroka. Elle s’agenouilla immédiatement, posant sa main sur la gorge de la jeune fille pour vérifier son pouls.

Quelle cruauté… !

La fille ne respirait plus. Du sang maculait sa bouche et il y avait des empreintes profondes là où elle avait été étranglée quelques instants auparavant. Elle avait d’horribles contusions sur l’abdomen, et Kuroka pouvait dire que ses entrailles avaient été rouvertes.

Au moins, elle a encore un pouls.

« Monsieur Shax, » avait appelé Kuroka, tout en tenant sa canne. « Je te laisse cette fille. S’il te plaît, sauve-la. »

« Je m’en occupe, » répondit le sorcier fiable, commençant immédiatement son traitement de la jeune fille.

Après avoir entendu la conversation d’Asura et de Bato, Kuroka était immédiatement retournée auprès de Shax, puis avait commencé à chercher la fille qui était pourchassée. Elle possédait déjà des sens de l’ouïe et de l’odorat surhumains, donc, lorsqu’ils étaient renforcés par la sorcellerie de Shax, il n’était pas difficile pour elle de repérer le son de quelqu’un qui s’enfuit en panique. Il y avait, bien sûr, des pas partout, mais un seul d’entre eux pouvait être associé à une odeur de sang qui coule.

Même après que les pas se soient arrêtés, Kuroka avait entendu les bruits de combat et la dispute qu’ils avaient. C’est pourquoi elle avait été capable de se diriger vers eux. Kuroka n’avait pas perdu de vue sa cible précisément parce que Dexia avait lutté jusqu’au bout.

L’esprit de Kuroka s’était concentré sur la fille qui s’était fait arracher tous ses vêtements. Elle était vraiment à deux doigts d’être violée et tuée. Cette pensée lui faisait bouillir l’estomac. Les sorciers que Kuroka avait assassinés dans le passé étaient pour la plupart des personnes méprisables. Cependant, bien qu’étant un Chevalier Angélique, l’homme qui se trouvait devant elle était bien plus méprisable que n’importe lequel d’entre eux.

Elle lui avait porté un sacré coup, mais il était toujours un chevalier vêtu d’une Armure Sacrée. Même si le sang coulait de ses narines, il s’était immédiatement levé. Elle l’avait reconnu.

« Gah ! Hak ! T- Tu es une salope ! » Il cria avec des yeux injectés de sang. « Est-ce que tu as la moindre idée de qui je suis !!! Tu ne vas pas t’en tirer à bon compte après m’avoir agressé ! »

« Oui… Je sais exactement qui tu es, porteur de l’épée sacrée Camael, l’Archange Valjakka, » répondit Kuroka en sortant un masque de sa poche.

Le masque avait la croix de l’Église gravée sur sa surface. Elle n’avait jamais pensé qu’elle le porterait à nouveau, mais elle l’avait apporté parce qu’il pouvait être utile dans le cadre de leur enquête. C’était la preuve qu’elle faisait partie du côté obscur de l’Église.

« Mon nom est Kuroka Adelhide. Je suis une survivante de l’escouade spéciale treize, Azazel, sous le commandement direct du pape. Comprends-tu ce que cela signifie ? »

Le titre long et fastidieux sonnait bien et tout, mais ils n’étaient rien de plus que des assassins. Ils tuaient, il était donc logique qu’ils soient tués. Ils n’étaient pas censés exister, il était donc inévitable qu’ils soient détruits un jour.

Les membres d’Azazel avaient reçu la mission sacrée d’appliquer la vision de la justice de l’Église, mais tous ne s’en souciaient pas. Beaucoup d’entre eux avaient tué uniquement pour l’argent ou par rancune personnelle. Au moins, c’était une situation professionnelle, donc aucun d’entre eux n’avait été un meurtrier pour le simple plaisir de le faire, mais cela ne signifiait pas grand-chose au final.

Cependant, la trahison était une tout autre affaire. Azazel avait été anéanti parce qu’un Chevalier angélique avait divulgué des informations à un Archidémon. L’unité n’était pas censée exister pour commencer, de sorte que le traître pouvait vivre sans vergogne sans être inquiété par quiconque. Et ce Chevalier Angélique était Valjakka, l’Archange qui était devenu le sous-fifre de Shere Khan.

« Hmph ! Et alors, cela fait de toi un sale assassin, non ? » dit Valjakka en ricanant. « Tu cherches de la petite monnaie ou quoi ? »

Sa réaction était à peu près celle à laquelle elle s’attendait.

Eh bien, s’il était capable de se souvenir de tous les détails, il ne nous aurait pas trahis en premier lieu.

À ses yeux, le côté obscur de l’Église n’était rien d’autre que de la populace qu’il avait écartée. Peu importe qui est mort dans le processus, il ne s’en souciait pas le moins du monde.

« Je ne me soucie pas vraiment de la vengeance, » dit Kuroka en mettant tranquillement son masque. « Cependant, les personnes qui sont mortes là-bas n’étaient pas des méchants qui méritaient la mort. »

Beaucoup d’entre eux étaient comme Kuroka, rendus fous par leur soif de vengeance. C’était des personnes brisées qui ne pouvaient pas vivre autrement que comme des assassins. Néanmoins, ils avaient tous été gentils avec leur plus jeune membre, Kuroka.

Il y avait ceux qui avaient soigné ses blessures quand elle était blessée, une femme qui l’avait emmenée acheter de la nourriture pendant ses jours de congé, un homme qui lui avait montré un médaillon avec à l’intérieur une photo de sa famille décédée. En y repensant, peut-être qu’ils avaient tous essayé d’amener Kuroka à se détourner de leur chemin. Si seulement ils n’avaient pas été impliqués avec les sorciers, si seulement leurs vies n’avaient pas été jetées dans le chaos. Si seulement ils étaient restés des civils, ces gens auraient sûrement eu des vies heureuses avec des familles normales.

Je ne laisserai personne nier le fait qu’ils ont vécu.

« En tant que seule survivante d’Azazel, je vais terminer les choses ici. »

Kuroka avait tiré son épée courte de sa canne. Valjakka avait répondu en plaçant sa main sur la lame à sa taille.

« Arrête d’être prétentieuse, petite salope ! Déchire-lui un membre après l’autre — Camael ! » rugit-il, libérant la puissance de son épée sacrée sans hésitation. Ou du moins, c’était ce qu’il avait l’intention de faire. « Tu es fini ! Crois-tu vraiment qu’un petit assassin pathétique peut vaincre le summum des chevaliers angéliques ? Je vais t’arracher les membres et te tourmenter jusqu’à ce que ton cœur batte la chamade ! »

Valjakka continuait à crier, sans même remarquer que la bataille était déjà terminée. Kuroka laissa échapper un soupir et balança légèrement son épée sur le côté pour secouer le sang. Une éclaboussure rouge avait taché le sol, mais même après cela, le son du liquide visqueux qui s’écoule sur le sol avait continué à résonner dans la ruelle. Valjakka avait finalement regardé autour de lui avec confusion, comme s’il venait juste de remarquer le sang.

Maintenant que j’y pense, j’ai entendu dire qu’il arrive que l’on ne ressente aucune douleur lorsqu’on est coupé par une lame extrêmement tranchante.

Ça expliquerait pourquoi il n’avait pas remarqué.

« Umm… Tu devrais essayer d’arrêter le saignement, » lui dit Kuroka en rengainant son épée. « Tu as toujours ta main gauche, n’est-ce pas ? »

« Hein… ? »

Il baissa les yeux, hébété, et aperçut son poignet droit sans main qui dégoulinait de sang sur le sol. Sa main coupée était toujours à sa taille, accrochée à la poignée de son épée sacrée.

« AAAAAAAAAAAAH ! »

Cet homme était armé d’une épée sacrée. Lorsque Kuroka avait affronté un autre manieur de cette épée, Chastille, elle n’avait pas réussi à la faire tomber, et Valjakka était un vétéran parmi les Archanges. En termes de rang, il était bien au-dessus de Chastille. Ainsi, Kuroka n’avait jamais eu l’intention d’y aller doucement avec lui.

C’est pourquoi elle lui avait coupé la main avant qu’il ne puisse dégainer sa lame. C’était la différence de force entre Kuroka telle qu’elle était maintenant et un Archange. En termes de technique d’épée pure, elle pourrait même repousser la Confession Angélique de Michael Diekmeyer. Le pouvoir qui lui avait été accordé par l’Archidémon Zagan — un pouvoir comparable à celui d’une armure sacrée — l’avait élevée à de tels sommets.

« Je n’irai pas jusqu’à prendre ta vie, mais je te ferai mourir en chevalier. »

Cet homme ne pouvait pas continuer à être un Chevalier Angélique sans sa main dominante. Bien sûr, il pourrait la faire guérir par la sorcellerie, mais cela serait considéré comme une hérésie. Dans tous les cas, l’Église devait décider de la meilleure façon de traiter avec lui, donc Kuroka lui avait tourné le dos alors qu’il commençait à gémir de rage.

« Toi… salope… Salope ! Putain de salope ! »

Il avait serré son poignet droit, se tortillant sur le sol tout en continuant à hurler des mots qu’il ne pouvait pas se permettre de dire.

« Je ne vous pardonnerai jamais ! Je vous poursuivrai jusqu’au bout du monde et je vous massacrerai ! Toi ! Zagan ! Chastille ! Je vous tuerai tous ! Je vais… tuer… Hein ? »

Le sang avait giclé de son front. Dans sa rage, Valjakka avait oublié l’avertissement qui avait tenu fermement sa vie en main. Maudire Kuroka, qui avait fait partie du côté obscur de l’Église, et donc pas vraiment de l’Église, était encore acceptable. Cependant, à partir du moment où il avait exprimé l’intention de nuire à Chastille, il n’y avait aucune chance qu’il soit épargné. Avant que son visage ne soit couvert du sang qu’il avait lui-même versé, l’archange était déjà mort.

« Même lorsqu’on leur donne une chance, certaines personnes ne changent jamais… »

L’Archidémon Zagan lui avait certainement donné une chance de se racheter. Il était donc tout à fait possible pour lui de se racheter. Et pourtant, il n’avait pas du tout changé. Tout le monde n’était pas capable de se réformer. Il y avait des tonnes de méchants qui étaient au-delà de la rédemption. Kuroka le savait déjà, mais le voir se produire sous ses yeux la faisait se sentir impuissante.

« Kurosuke… Ce type s’est suicidé. Tu ne l’as pas fait, » lui avait dit Shax.

Elle réussit tant bien que mal à enlever son masque et à lui répondre d’un signe de tête.

« Tes péchés ont été rachetés. Que ton âme trouve la paix… »

La prière offerte uniquement par le côté obscur de l’Église après avoir achevé une cible résonnait en vain parmi les bâtiments en ruine avant de s’évanouir tranquillement dans les airs.

***

Partie 9

« Alors ? C’est quoi cette ambiance ici ? »

Après avoir prévenu Richard, Alshiera se rendit dans le bureau de Chastille à l’Église.

J’avais ensuite prévu d’inciter Lady Nephteros à agir, mais…

Il y avait actuellement trois personnes présentes. L’une d’entre elles était la personne qu’Alshiera recherchait, Nephteros. Ayant récemment été informée de sa courte durée de vie, elle n’était pas vraiment en état de sourire. Alshiera pouvait comprendre cela, puisqu’elle était venue ici pour faire quelque chose à ce sujet.

Cependant, la résidente du bureau, Archange Chastille, pour une raison inconnue, couvrait son visage rouge vif et ne voulait pas bouger d’un pouce. On aurait dit qu’elle était au comble de la honte. Cette fille était très capable en mode travail, mais il semblait que quelque chose s’était produit qui l’empêchait d’actionner cet interrupteur.

Et puis il y avait la dernière personne dans la pièce, le sorcier lugubre qui se cachait habituellement dans l’ombre. Barbatos était assis sur un canapé et se couvrait le visage sans bouger, tout comme Chastille.

« Umm… Il semble que quelque chose soit arrivé. L’avez-vous fait tous les deux la nuit dernière ou quelque chose comme ça ? » demanda Alshiera.

« Nous ne l’avons pas fait ! »

Elle avait finalement obtenu une réaction de leur part, mais au moment où ils avaient réalisé qu’ils lui avaient crié dessus à l’unisson, ils avaient commencé à se tortiller.

« Non, il ne s’est rien passé. Je… crois en Barbatos… Je crois, » murmura Chastille.

« H-Hein ? Qu’est-ce que tu racontes comme conneries embarrassantes ? »

« Alors as-tu vraiment fait quelque chose !? »

« Je n’ai rien fait ! Je n’ai rien fait ! »

Il s’est avéré que c’était une raison de plus pour laquelle Nephteros était dans un état d’hébétude totale.

Pourquoi ont-ils une querelle d’amoureux alors que la vie de quelqu’un est en danger ?

Barbatos avait promis de coopérer pour sauver Nephteros, pourtant le voilà dans un état lamentable. Honnêtement, Alshiera avait envie de leur dire de faire ces choses en privé.

D’ailleurs, pour ce qui est de l’autre personne aidant à résoudre le problème de Nephteros, Zagan s’était effondré juste après avoir été un peu intime avec sa promise. Le destin de Nephteros reposait désormais sur les fines épaules d’Alshiera, mais il y avait des choses dans ce monde qu’il valait mieux ne pas connaître.

« Il semblerait que Chastille se soit épuisée hier soir quelque part, et qu’après l’avoir ramenée, ce type l’ait déshabillée…, » Nephteros avait fini par le dire, ne sachant toujours pas quoi faire de la situation.

« Je ne l’ai pas déshabillée ! J’ai juste enlevé son armure ! Je n’aurais pas pu la laisser dormir avec, hein !? »

« J’avais de la terre sur le visage, mais je me suis réveillée tout propre ! »

« Je me suis senti désolé parce que ton visage était vraiment moche, alors je l’ai essuyé ! Et c’est tout ! »

« M-Moche !? Suis-je si laide… ? »

« Hein !? On parle de la saleté ! Je n’ai rien dit sur le fait que tu sois laide ! En fait, tu es actuellement, hum… »

« A-Actuellement… quoi ? »

« Oublie ça, abruti ! »

« Pourquoi es-tu soudainement si en colère ? »

Maintenant que j’y pense, est-ce que cette fille comprend au moins ce que « faire ça » signifie ? s’était demandé Alshiera, ignorant la querelle ennuyeuse qui se déroulait en arrière-plan.

Néphy avait des affaires bien plus importantes à régler, mais elle ne semblait pas agitée par cette partie de la conversation. Zagan et Néphy seraient devenus rouges et incohérents, donc cela semblait étrange.

Alshiera y avait réfléchi et avait essayé de l’interpréter à sa façon. Selon Zagan, un homoncule pouvait se voir implanter des connaissances lors de sa création. Dans le cas de Nephteros, elle avait probablement connaissance de la phrase, mais n’avait pas d’émotion spécifique liée à celle-ci.

Les choses semblèrent enfin se calmer, mais Chastille releva soudain la tête, les larmes aux yeux.

« Hein… ? Attends une minute, qu’est-ce que tu as essuyé ? »

« Uhhh… Eh bien, tu sais… »

« Réponds-moi, Barbatos ! »

Apparemment, cela s’était répété à l’infini, ce qui les a fait replonger dans un silence plein de dégoût.

« Vous avez vraiment la vie dure…, » dit Alshiera à Nephteros, la sympathie dégoulinant de sa langue.

« Eh bien, j’ai l’habitude. »

« C’est très dur… »

Alshiera ne pouvait pas s’imaginer regarder une telle chose si souvent qu’elle s’y habituait. En tout cas, il ne semblait pas qu’elle puisse s’occuper de ses affaires dans cette pièce. Elle ramassa donc toute l’assiette de macarons qui avait été laissée sur la table — ce qui était son autre raison de venir ici — et désigna la porte.

« Peut-on parler un peu ? »

« Je suppose que nous pouvons… »

Les deux femmes avaient quitté le bureau et s’étaient dirigées vers la chapelle.

« Alors ? Pourquoi la cabine de confession ? » demanda Nephteros.

Alshiera s’était dirigée directement vers une cabine de confession à cause de toutes les personnes qui les entouraient dans la zone. C’était un petit espace avec seulement deux chaises et une cloison entre elles. Un prêtre était censé s’asseoir d’un côté tandis que les fidèles s’asseyaient de l’autre et confessaient leurs péchés. Il y avait un rideau qui fermait la cabine, donc c’était parfait pour parler en secret. C’était aussi le meilleur endroit pour éviter de tomber sur Richard, qu’Alshiera avait viré un peu plus tôt. Ainsi, Alshiera avait pris place du côté du prêtre, tandis que Nephteros s’était assise du côté du fidèle.

La petite vampire avait jeté un macaron dans sa bouche. Comme on lui avait dit, il avait un parfum acide particulier. Les macarons étaient un dessert particulièrement difficile à faire. La surface était cuite, mais ne pouvait pas brûler sous peine de perdre la douce humidité qu’elle contenait. Elle n’avait pas d’autre choix que de reconnaître la qualité de ces macarons.

« Bien sûr, pour que vous puissiez me dire ce qui vous dérange, » répondit Alshiera comme si c’était parfaitement évident.

« D’après ce que j’ai entendu, vous savez aussi… Sur ma durée de vie, je veux dire. »

Alshiera avait observé cette fille de près pendant un mois. Dans un sens, elle en savait plus sur le sujet que Zagan lui-même.

« Il semble que vous ne souhaitiez pas prolonger votre vie, » dit affectueusement Alshiera.

« C’est… vrai, » marmonna Nephteros, un air de résignation derrière ses mots.

Eh bien, ça ne va pas le faire. Ça ne marchera pas du tout.

Les pensées et les émotions de Nephteros s’étaient arrêtées net. Il n’était pas facile de faire face à la mort d’une personne sans la faire, mais cela ne suffisait pas.

Alshiera avait commencé à mettre au point un plan pour sortir de cette impasse tout en jetant des macarons entiers dans sa bouche, appréciant le parfum un peu particulier et la douceur délectable pendant tout ce temps.

Honnêtement, Alshiera n’aimait pas trop s’immiscer dans les histoires d’amour des autres, mais elle savait qu’elle n’avait pas de temps à perdre. C’est pourquoi elle avait choisi d’intervenir, même si cela contredisait ses convictions.

« Alors comment allez-vous utiliser le temps qu’il vous reste ? » demanda-t-elle. « Je vais au moins aider avec tout ce dont je suis capable. »

« Le temps qu’il me reste… »

Même maintenant, ce temps s’écoulait lentement. Cette réalité avait fait bouger l’esprit de Nephteros à nouveau. Même si Alshiera n’avait rien fait de tel, Nephteros était une fille forte. Elle se serait remise sur pied en quelques jours pour chercher un but à sa vie restante. Tout ce qu’Alshiera faisait était de lui donner un petit coup de pouce pour accélérer le cours des événements.

« Comment les gens normaux passent-ils un tel temps, je me le demande… ? » demanda Nephteros, hébétée.

« Une bonne question. D’après ce que j’ai vu, il y a ceux qui le passent comme n’importe quel autre moment, ceux qui agissent de manière égoïste et ceux qui remercient tous ceux à qui ils pensent être redevables. Il existe de nombreuses façons de passer ce temps. »

Nephteros avait forcé un sourire. C’était au moins la preuve que ses émotions commençaient à fonctionner à nouveau.

« C’est d’une grande variété…, » dit-elle.

« Après tout, j’observe ce monde depuis un certain temps, » répondit Alshiera. Elle avait été témoin de la vie et de la mort de tant de personnes.

« Mais tout le monde est pareil en fin de compte, » avait-elle ajouté en gardant cette pensée à l’esprit. « Ils aspirent à passer le peu de temps qu’il leur reste avec leurs proches. »

« L’amour… Je ne le comprends pas vraiment…, » murmura Nephteros d’une voix tremblante, comme si c’était exactement le problème qu’elle avait en tête.

Alshiera pouvait voir de l’autre côté de la cloison que Nephteros essayait de rassembler son courage pour prendre une quelconque décision.

« Je ne comprends pas vraiment… mais je pense… que je veux en savoir plus. »

Comme je le pensais, les fondations sont déjà en place. Il manque juste une chose qui l’empêche d’avancer.

C’est pourquoi cette fille n’avait jamais remarqué que la réponse était déjà devant elle. Et donc, comme pour l’éclairer, Alshiera avait chuchoté comme un diable à ses oreilles, disant, « Tee hee hee. Alors, permettez-moi de vous donner un conseil. Vous ne pouvez aimer personne si vous ne vous aimez pas d’abord vous-même. Vous feriez bien de commencer par cela. »

« Aimer… moi-même… ? »

« Ce n’est pas si difficile, en réalité. Si vous vous retournez et regardez la joie modeste qui est toujours restée à vos côtés et les choses qui vous soutiennent comme si c’était naturel, alors vous devriez trouver votre chemin. »

« Et vous, Alshiera ? » demanda Nephteros, semblant douter qu’elle mette ses propres mots en pratique. « Est-ce que vous… hum… vous aimez vraiment ? »

C’était un retour plutôt tranchant, mais Alshiera l’avait accepté avec un sourire.

« Bien sûr que oui. J’ai été aimée par tant de gens. Pour cette raison, je ne peux pas prendre à la légère ma propre existence. Je veux dire, tout le monde a souhaité mon bonheur. Ils ont contribué à me maintenir en vie, tout en croyant que je pourrais un jour profiter de ma vie avec un sourire sur le visage. »

C’est pourquoi Alshiera avait passé plus de mille ans à « vivre ». Se souvenant de cela, elle avait serré ses mains devant sa poitrine comme si elle embrassait ces souvenirs.

« Je disparaîtrai avant vous, » dit-elle. « Pourtant, ce n’est pas si mal. J’ai réussi à rencontrer quelqu’un que je croyais avoir perdu depuis longtemps, que je pensais ne jamais revoir, et j’ai réussi à passer du temps avec lui. Alors maintenant, j’aimerais juste m’endormir en paix. »

Elle était plus que satisfaite, mais ce n’était pas le cas de Nephteros. Il était bien trop tôt pour elle. Alors même si c’était un peu méchant, Alshiera continua son discours malgré le fait que cela ne la regardait pas.

« Je prie pour que vous ayez aussi une fin paisible. »

Même après qu’Alshiera ait quitté la cabine de confession, Nephteros était restée figée sur son siège.

***

Chapitre 4 : Un goûter entre démons et anges, c’est l’image même de l’enfer

Partie 1

« Hmph. Ce n’est pas du tout amusant. Dans le court laps de temps depuis que je l’ai vue pour la dernière fois, une autre peste s’est attachée à ma précieuse poupée. »

Alors qu’elle se préparait à écraser un énorme parasite, un petit s’était joint à la mêlée. Qu’est-ce que cette poupée essayait de faire avec autant de nuisibles autour d’elle ?

Bifrons flottait au-dessus de Kianoides, bien au-delà du rayon de détection de la barrière de Zagan. Il était à environ six mille mètres dans l’air. Il n’y avait presque pas d’oxygène à cette hauteur. De violents coups de vent soufflaient, assez fort pour disperser le corps particulaire de Bifrons en un instant s’il n’était pas un sorcier. Avec Zagan qui le surveillait, Bifrons ne pouvait même pas s’approcher de Kianoides sans prendre une telle mesure.

« Hee hee hee. Ce n’est pas amusant d’avoir des nuisibles autour d’elle, mais la situation est devenue plutôt intéressante. Je suppose qu’il y avait une raison pour que ce vieux schnock de Marchosias installe sa base ici, hein ? Enfin, ce n’est pas vraiment important maintenant. »

Plusieurs acteurs s’étaient réunis à Kianoides. Évidemment, Nephteros était parmi eux, mais il y avait aussi les gens de l’Église et Zagan. En dehors de la ville, il y avait la fille d’Azazel, que Bifrons avait autrefois jetée, et qui servait actuellement Zagan. De plus, il y avait une équipe de deux personnes qui semblaient être les pions de Shere Khan. Il y avait même le rat de laboratoire que Bifrons avait laissé s’échapper juste pour harceler Shere Khan. C’était l’assemblée parfaite pour commencer un thé de folie.

« Venez maintenant ! Commençons le goûter ! Dansons notre danse brisée ! »

Cependant, au moment même où Bifrons avait fait cette déclaration…

« Va faire ça tout seul, » dit une voix.

C’était une voix calme — presque un chuchotement — et pourtant elle avait l’acuité d’un coup de vent déchirant. Au moment où Bifrons essaya de se retourner, l’illusion d’un millier de lames coupant son corps se gravait dans son esprit. Bifrons ne l’avait pas ressentie depuis longtemps, mais il sut immédiatement qu’il s’agissait de la peur — la peur causée par une soif de sang si absurde qu’elle se trouvait dans une dimension entièrement différente de celle des Archidémons comme Zagan ou Shere Khan.

« Ah… Je vois. Maintenant que j’y pense, tu as également séjourné dans cette ville. »

Une fille flottait devant lui avec une arme appelée Chasseur de Séraphins dans sa main. Bifrons était censé être invisible à l’œil nu, s’étant transformé en une masse de cristaux flottants, mais la bouche du canon de l’arme était néanmoins pointée directement sur lui. C’était la plus grande vampire du monde, Alshiera. Bifrons ne pensait pas qu’elle viendrait sur la scène toute seule, mais peut-être avait-elle pensé à cet endroit particulier dans les coulisses.

Argh, ça pourrait être sans espoir. Je ne peux pas la battre.

Si Bifrons avait de la force à revendre comme Andrealphus, il pourrait se débrouiller. S’il avait la ruse de Shere Khan, l’écart de force ne serait qu’un léger désavantage. Cependant, il n’avait rien de tout cela. Alshiera était si puissante qu’Andrealphus semblait mignon. Elle était si impitoyable que Shere Khan avait l’air compatissant. Même un Archidémon serait anéanti au moindre écart de langage.

Elle est si effrayante que j’en ai des frissons !

Jouer avec elle aurait probablement été le frisson ultime. Le simple fait de l’imaginer rendait Bifrons moite. Ce pourrait être le dernier match de sa vie… et le plaisir de gagner un match ingagnable semblait bien plus grand que n’importe quelle sorcellerie. Bifrons ressentait une envie irrésistible de se battre, mais ce n’était pas le moment. Ainsi, il maintenait sa retenue avec le peu de sens qu’il lui restait.

« Vas-tu te promener dans cet espace sans air ? » demanda Bifrons. « Si c’est le cas, veux-tu bien discuter avec moi ? »

« Je suis un peu pressée. Si tu veux jouer, reviens dans une semaine ou deux. »

Chaque mot qu’elle prononçait contenait des traces de mana déchirant l’âme. Face à cette force, quelqu’un du niveau d’un candidat Archidémon aurait vu son esprit détruit en quelques minutes. Malgré cela, Bifrons avait osé essayer de pousser les choses pour le plaisir.

« Et si je disais que je ne veux pas ? » avait-il répliqué.

Alshiera n’avait pas répondu. Au lieu de cela, elle avait simplement retourné un sourire rafraîchissant. Il y avait même un air d’affection en elle, comme si elle était sur le point d’apprendre à un enfant comment faire des bonbons. Existe-t-il quelqu’un qui sourit ainsi alors qu’il est sur le point de tuer quelqu’un ? Bifrons était conscient qu’il était le pire des sorciers, mais elle avait l’impression de leur dire qu’il était encore bien trop mou.

Ahh ! Je ne peux pas en avoir assez de ça ! Je ne peux même pas m’asseoir à la même table de négociation qu’elle !

Le corps de Bifrons avait pris une forme humaine. Ensuite, le sorcier qui ne pouvait être identifié comme un garçon ou une fille avait fait une révérence à Alshiera.

« Héhé. Veux-tu bien pardonner mon manque de courtoisie ? Je n’ose pas me faire une ennemie de toi. »

« Si tu n’essaies pas de mentir un peu mieux, ça ne passe même pas pour une mauvaise blague. »

« Héhé. Quelle sévérité ! Mais c’est vrai que je ne veux pas faire de toi un ennemi. Je n’ai pas beaucoup de temps non plus, vois-tu. »

Bifrons avait commencé par bousculer légèrement les choses. Après tout, ce jeu ne pouvait même pas être établi tant qu’ils n’avaient pas changé la situation d’un tueur et de sa victime. Alshiera avait gardé son sourire, son expression n’avait pas changé alors qu’elle commençait à parler.

« Maintenant que j’y pense, je n’ai pas encore entendu ta réponse. Vas-tu attendre une semaine ou pas ? »

Bifrons n’avait pas l’impression de parler avec un humain. Même Zagan aurait prêté l’oreille s’il s’était dévoilé et avait montré une certaine sincérité. Mais cela n’avait aucun sens face à cette fille, qui dominait tout simplement cet endroit. Bifrons n’avait aucun moyen de la faire bouger. Il n’y avait même pas la possibilité d’envisager cette option.

Alshiera garda son sourire, exposant Bifrons à sa soif de sang. S’il n’avait pas pris la forme d’un humain, son corps particulaire aurait déjà commencé à se désagréger par ses extrémités. C’était probablement la dernière chance pour Bifrons de reculer, mais il avait quand même osé s’avancer.

« Ne penses-tu pas que nous pouvons coopérer ? » avait-il demandé.

Le marteau du chasseur de séraphins s’était armé avec un clic. Bifrons comprit d’instinct la situation. Il avait franchi la ligne et ne pouvait plus reculer. Peu importe la sorcellerie qu’il utiliserait, il n’y avait aucun moyen d’échapper à la visée de cette fille terrifiante. Elle avait déjà le doigt sur la gâchette, il ne restait plus qu’à l’actionner.

Elle ne laisserait plus Bifrons s’échapper. C’était comme s’il avait un couteau pressé contre sa peau, à la fois dans son corps et dans son esprit. Bifrons connaissait une sorcellerie assez similaire à celle-ci — le Regard Enchevêtré, par exemple. Le simple fait de croiser le regard d’un sorcier qui le lançait pouvait détruire l’esprit d’une personne. La soif de sang pur d’Alshiera avait un effet similaire. Même si une sueur froide coulait sur ses joues, Bifrons avait osé parler.

« Changer de réceptacle en tant qu’homoncule. Ma poupée n’a pas souhaité cela, n’est-ce pas ? »

Si ces mots ne suffisaient pas à attirer l’attention d’Alshiera, la partie serait terminée. Bifrons serait effacé de la face du monde. Et pourtant, malgré sa tentative désespérée, Alshiera avait appuyé sur la gâchette sans hésitation.

J’ai merdé !

On aurait dit que le marteau tombait lentement vers le percuteur. Néanmoins, Bifrons avait crié dans une dernière lutte de désespoir.

« Je peux prolonger sa vie ! »

Le silence avait suivi. De manière inattendue, aucune balle ne vint voler vers lui. Levant timidement les yeux vers l’arme, Bifrons vit qu’Alshiera avait arrêté le marteau avec son pouce juste avant qu’il ne frappe. La sueur coulait sur le visage de Bifrons comme une cascade. Cependant, il y avait aussi une petite lueur d’espoir.

« Écoutons ce que tu as à dire, » chuchota Alshiera, fermant un œil comme pour y réfléchir attentivement. Elle garda son arme levée alors qu’elle attendait qu’il parle.

Bifrons avait essayé de calmer les battements terrifiés de son cœur et était entré dans le vif du sujet avec empressement.

« Même après avoir changé de réceptacle, un homoncule reste un homoncule. Même si cela prolonge sa vie, la même chose continuera à se produire toutes les quelques années. Au final, elle ne sera rien de plus qu’un outil jetable — . » Bifrons avait continué franchement, révélant chaque carte de sa main et présentant tous ses objectifs et les moyens de les atteindre. Naturellement, tout cela avait provoqué la colère d’Alshiera. Alors même qu’il parlait, Bifrons avait entrevu sa propre mort à plusieurs reprises. Néanmoins, il avait été autorisé à parler jusqu’à la fin.

Après l’avoir écouté, Alshiera était devenue mortellement silencieuse, gardant son sourire tout le temps. Bifrons parlait depuis une dizaine de minutes. Pendant ce temps, Alshiera n’avait pas baissé le chasseur de séraphins une seule fois. Et par-dessus tout, elle avait maintenu sa soif de sang tout le temps. C’était comme être exposé au Regard Étouffant sans arrêt. C’était suffisant pour même épuiser un Archidémon au point qu’il ne puisse plus bouger un seul muscle.

Ce n’était pas parce que Bifrons était faible. L’Archidémon Furcas avait lui aussi été exposé à ce niveau de soif de sang pendant plusieurs jours, et cela avait fait voler son esprit en éclats, lui faisant oublier qui il était. C’était une forme de torture qui pouvait même pulvériser un Archidémon ayant vécu des siècles. En tant que tel, Bifrons avait été laissé avec une respiration sifflante.

« J’ai dit que je t’écouterais, » dit Alshiera d’un ton agacé. « Mais je n’ai jamais dit que je suivrais tes plans. »

Je suppose que je suis fait…

Bifrons n’avait même pas l’énergie nécessaire pour résister à ce stade, encore moins pour s’échapper. Peut-être pourrait-il simuler sa mort en sacrifiant la moitié de son corps ? Non, de tels tours de passe-passe ne fonctionneraient pas sur cet ennemi. Bifrons n’avait pas réussi à gagner cette partie. La peur qu’il espérait ne s’était même pas manifestée en lui. Son esprit avait été rasé au point qu’il ne pouvait même pas ressentir cette émotion fondamentale.

C’était un pari amusant, mais je voulais quand même gagner…

Bifrons s’était résolu à la mort, mais pour une raison inconnue, Alshiera n’avait pas tiré. Au contraire, elle avait en fait abaissé le Chasseur de Séraphins.

« Tee hee hee. Je n’aime pas du tout ton idée, mais tu peux faire ce que tu veux, » avait-elle dit.

Bifrons avait été complètement choqué par cette réponse inattendue.

« Hmm… ? Tu n’aimes pas ça, mais tu me laisses faire ? »

« Plus la tragédie est grande, plus l’amour brûle passionnément. »

Cette déclaration avait fait éclater de rire Bifrons, oubliant même son propre épuisement.

« Ha ha ha. Tu as vraiment des goûts similaires aux miens, n’est-ce pas ? »

« Arrête avec tes blagues. Je crois simplement en eux. Ils vont sûrement surmonter ça. »

En tout cas, il semblait que Bifrons avait gagné cette partie. Il n’avait pas pu se réjouir de la victoire, cependant. Il ne ressentait que de l’épuisement et du soulagement. Et comme la tension dans l’air avait disparu, la fille avait décidé de murmurer un avertissement.

« Comme c’est malheureux. Si tu avais essayé de dire quelque chose d’aussi peu sincère que “Je veux la sauver”, j’aurais pu appuyer sur la gâchette à ta place. »

En d’autres termes, un seul mensonge aurait conduit à la mort de Bifrons. Le vampire sourit doucement, faisant tournoyer le Chasseur de Séraphins dans sa main, puis le rangea sous sa jupe. Au même moment, son corps se dispersa en d’innombrables chauves-souris. Quand il ne pouvait plus la voir, Bifrons s’était effondré dans l’air vide.

***

Partie 2

« Haaah… C’était terrifiant. Je préfère ne pas l’affronter pendant encore cent ans. »

Même Bifrons ne comprenait pas les véritables intentions d’Alshiera. Finalement, elle ne l’utilisait peut-être que comme tremplin. Néanmoins, il pouvait passer à la partie suivante maintenant. Bifrons allait prouver qu’il pouvait gagner le prochain tour. Même si cela devait être un cauchemar pour Nephteros, il n’y avait plus personne pour l’arrêter.

Le corps de Dexia avait été secoué par un bruit dans son environnement, ce qui l’avait réveillée.

« Argh… »

Un plafond solide et inconnu se trouvait au-dessus de sa tête… et quelque chose comme un rideau drapé sur une fenêtre sur le côté. Après un court moment, elle avait compris qu’elle était à l’intérieur d’un luxueux carrosse. Cependant, au moment où le visage endormi de la fille chat noir était apparu, le corps de Dexia s’était vraiment raidi.

Il y avait une tendre sensation derrière la tête de Dexia. Il semblait qu’elle reposait sur les genoux de la fille. Maintenant qu’elle le savait, sa perplexité ne faisait que croître. Il semblerait que la secousse du chariot ait également réveillé la jeune fille. Elle se frotta lentement les yeux, regardant Dexia avec des pupilles rouges.

« Hmm… Hm… ? Oh, tu es réveillée ? » demande-t-elle.

« Umm, pourquoi… ? » marmonna Dexia, à peine capable de laisser sortir sa voix. Elle était rauque et sa gorge lui faisait terriblement mal.

« Tu n’as pas besoin de te forcer à parler, » dit la fille. « Tu as frôlé la mort pendant toute une journée. »

Maintenant qu’elle l’avait mentionné, Dexia avait remarqué que son corps était aussi lourd que du plomb. Il lui était difficile de lever le bras. Elle ne pouvait même pas se retourner dans son sommeil. Le fait de se reposer sur les genoux de cette fille avait été, contre toute attente, plutôt utile à cet égard.

« C’est notre calèche, » expliqua la jeune fille. « Nous sommes actuellement en route pour Kianoides. Pour l’instant, tu es sous notre protection en tant que prisonnière. Tu es en sécurité pour le moment. »

Voyant que la jeune fille parlait au pluriel, Dexia jeta un coup d’œil dans le carrosse… et ce faisant, elle repéra un jeune homme assis en face d’elles qui ressemblait à un sorcier. Celui-ci était apparemment éveillé depuis le début. Il dirigeait un regard acéré vers Dexia. Il y avait une grande épée grise appuyée contre le mur à côté de lui.

« Son manieur est mort, » dit la fille en remarquant le regard de Dexia. « Nous ne pouvions malheureusement pas la laisser là, alors nous l’avons récupérée. »

« Personnellement, je pense qu’il aurait été préférable de la laisser derrière nous, » dit le sorcier avec un soupir.

« N’est-ce pas toi qui as dit que les subordonnés de Shere Khan le récupéreraient probablement ? »

« C’est vrai, mais si nous gérons mal la situation, tu ne pourras peut-être pas revenir à l’Église. »

« Si ça arrive, alors qu’il en soit ainsi. De toute façon, j’ai tué un Archange. Il n’y a pas d’excuses pour ça. »

Dexia n’arrivait pas à chasser une certaine question de son esprit.

Pourquoi m’a-t-elle sauvée ?

La fille était même allée jusqu’à menacer sa propre position dans l’Église. Quand elle se trouvait à Kianoides, elle avait battu Dexia à plate couture et avait même frappé Aristella. Et pour commencer, les jumelles avaient été celles qui avaient volé la lumière de ses yeux, ce qui signifie qu’elle aurait dû les détester, alors pourquoi sauver Dexia ? Ayant perçu ce qui se passait dans son esprit, la jeune fille donna une pichenette sur le front de Dexia.

« Eh bien, je suis encore un peu en colère, » dit-elle. « Notre jour de congé s’est volatilisé à cause de toi. »

Malgré ce qu’elle disait, il y avait une certaine gentillesse dans son ton, comme si elle parlait à un enfant difficile.

« Mais la personne que je respecte le plus m’a dit un jour que tout méchant devrait avoir au moins une chance de se racheter. C’est tout ce qu’il y a à dire. Oh, c’est vrai, j’ai oublié de te dire quelque chose. »

Dexia avait commencé à imaginer le genre d’abus que cette fille pourrait lui infliger. Elle tremblait de peur lorsque la fille tendit une main, puis elle effleura doucement la tête de Dexia.

« Tu as tenu bon. La façon dont tu t’es battue jusqu’au bout était inspirante. »

Une larme avait coulé le long de la joue de Dexia. Elle ne pensait pas avoir envie de pleurer, mais ses larmes ne voulaient pas s’arrêter.

« Hic… S’il vous plaît… sauvez-la. S’il vous plaît… sauvez Aristella. Sauvez ma sœur. Je ne pourrais pas le faire toute seule. »

La jeune fille avait échangé un regard avec le sorcier, puis avait hoché la tête.

« Repose-toi pour l’instant, » dit-elle en effleurant toujours la tête de Dexia. « Je suis sûre que les choses vont bientôt être très occupées. »

Cette fille aurait dû lui en vouloir, et pourtant, elle avait sauvé Dexia sans la moindre plainte et se montrait si gentille. La pensée « Voilà à quoi ressemble une grande sœur » lui était venue à l’esprit.

J’aurais dû être comme ça avec Aristella… Non, ce n’est pas encore trop tard. Elle est toujours en vie.

Ainsi, Dexia avait juré de la sauver. Elle ne voulait pas que quelqu’un voit son visage pathétique en ce moment, alors elle avait drapé son bras sur sa tête. Elle portait un habit de l’Église, peut-être prêté par cette fille.

Dexia ferma les yeux afin de retrouver son énergie. La somnolence qu’elle avait à peine réussi à repousser la submergea immédiatement. Il ne lui fallut pas longtemps pour perdre conscience, mais au moment où elle s’endormit, elle eut l’impression d’entendre une voix.

« Kurosuke… Es-tu vraiment du genre à garder rancune ? »

« Je ne suis pas comme ça, mais je me disais que c’était peut-être comme un baptême pour les gens qui viennent dans cette ville. »

Dexia ne comprendra le sens de ces mots que lorsque le carrosse atteindra Kianoides, où ils débarqueront devant un magasin de vêtements nommé Pulycla.

« Yahoooooo ! Ça fait longtemps que je n’ai pas eu quelqu’un de nouveau qui mérite d’être taquiné ! »

« Chef ! Elle a l’air blessée, alors vas-y doucement avec elle ! Hein ? Eeep ! Nooon ! Pourquoi Kuu aussi !? »

La dernière chose que Dexia avait vue, c’était un battement d’ailes vertes et une fille vulpine qui criait. La véritable terreur de la ville ne nécessitait aucun pouvoir spécial.

« Hé, Zagan ! Comment vas-tu ? »

Zagan s’arrêta au milieu du quartier commerçant de Kianoides avec une grimace. Il était là pour prendre des nouvelles de Nephteros quand il avait soudainement rencontré un visage familier.

« Que fais-tu ici, Stella ? »

« Rien de sérieux. Je veux dire, on n’a pas vraiment eu l’occasion de parler quand tu es venu à Raziel, non ? »

Stella était officiellement devenue un Archange après la disparition de Michael. Peut-être parce qu’elle n’était pas ici pour affaires, cependant, elle ne portait pas l’Armure Sacrée. Elle portait un uniforme semblable à celui de Chastille et avait l’épée sacrée Zachariel suspendue à sa taille, mais cela ne lui allait pas du tout. Lisette était à côté d’elle, et pour une raison inconnue, Ginias l’était aussi.

Pourquoi cette bande d’enquiquineurs doit-elle passer alors que je suis si occupé ?

Prendre des nouvelles de Nephteros était son premier objectif, puis il devait aller voir Shax et Kuroka avant d’aller chercher un cadeau pour Néphy. Ce dernier point l’inquiétait particulièrement, car il n’avait toujours pas trouvé de bonne idée de cadeau.

« Désolée, Archidémon. Est-ce qu’on vous dérange ? » demanda Lisette en le voyant si abattu.

Contrairement à la première fois qu’il l’avait rencontrée, elle portait une chemise et une jupe en soie finement confectionnées. Elle portait également une fine veste de type blazer. Personne ne douterait d’elle si elle se présentait comme la fille d’une famille aisée. Elle ne ressemblait pas du tout à l’un de ses frères et sœurs de ruelle.

« Tu n’as pas besoin de t’en inquiéter, » dit Zagan en ébouriffant les cheveux de la petite fille en la voyant anxieuse. « C’est elle qu’il faut blâmer pour avoir débarqué comme ça. »

« Quoiiiii ? Est-ce comme ça que tu parles à ta grande sœur ? »

« Ferme-la. Je suis occupé là. Rentre chez toi. »

« Quel culot ! » reprit Ginias. « Stella n’est-elle pas votre sœur aînée ? Comment pouvez-vous la traiter de la sorte ? La famille, et les femmes en particulier, sont censées être traitées avec respect ! »

Celui-ci portait son Armure Sacrée comme il l’avait fait lorsque Zagan l’avait rencontré pour la première fois. Peut-être que cela n’avait rien à voir avec le fait d’être en service. Ses cheveux châtains semblaient un peu plus longs qu’auparavant, et ses yeux verts brillaient d’une lumière extrêmement sérieuse, ne montrant aucune trace d’un quelconque échec passé.

Zagan hocha la tête en entendant ce qu’il venait d’entendre.

Un type avec cette personnalité l’a appelée par son prénom ?

La dernière fois qu’il avait rencontré ce garçon, Ginias avait toujours fait référence aux autres Chevaliers Angéliques en les appelant Lord ou Lady suivi de leur nom de famille. À en juger par le fait qu’il ne se référait pas à Stella comme Lady Diekmeyer, il s’entendait probablement bien avec elle.

« Hein ? Tu es attaché à Stella maintenant ? » demanda Zagan d’un air dubitatif.

« Qu-Quoi !? Je ne suis pas attaché ! Je la respecte simplement ! »

« C’est ce qu’on appelle être attaché… »

C’était tout ce que Zagan avait besoin d’entendre.

Oh, c’est vrai, maintenant que j’y pense, Stella est du genre à réconforter tous les gosses déprimés qu’elle voit, hein ?

Il était facile d’imaginer que ce garçon était une autre de ses victimes. En même temps, il savait maintenant que c’était grâce à Stella que Ginias avait réussi à se remettre après avoir été horriblement piégé par Zagan et presque battu à mort.

Zagan se pinça les sourcils pendant un moment, et après avoir réfléchi, il décida de traiter Ginias de la même manière qu’il avait traité Lisette. Et donc, il ébouriffa ses cheveux.

« Qu’est-ce que vous croyez faire !? » protesta Ginias.

« Je me disais juste qu’elle devait être gênante… »

« Je n’ai pas été un problème ! » s’écria Stella.

« Ne l’as-tu pas battu à plate couture ? » Lisette avait ajouté froidement.

Apparemment, quelque chose s’était réellement passé. Ginias rougit, un mélange compliqué d’émotions sur son visage. Honnêtement, il semblait que les deux petits ne s’entendaient pas vraiment. Quoi qu’il en soit, comme ils se trouvaient tous les quatre au milieu de la route, ils avaient décidé de se déplacer sur le côté. Après avoir pris position à l’entrée d’une ruelle, Stella avait pris la parole avec une expression étrangement sérieuse.

« Alors, euh, qu’est-ce qui t’occupe tant ? »

« Haaah… » Zagan laissa échapper un soupir, puis répondit en se couvrant le visage. « J’ai trouvé la date de l’anniversaire de Néphy, mais je n’arrive pas à trouver un bon cadeau ! »

Le groupe de Stella s’était figé sur place, les yeux écarquillés devant cet aveu choquant. De façon inattendue, celle qui l’avait tout de suite compris était Lisette.

« Je comprends… Ça doit être dur, » avait-elle dit.

« Hm ? Me comprends-tu ? »

« Oui. Je veux dire, on n’a jamais fêté mon anniversaire… »

Ginias s’était soudainement penché en arrière comme s’il avait reçu un coup de poing venant d’une direction inattendue.

***

Partie 3

« Je crois que le mien a été célébré une fois, non… ? » ajouta Stella. « J’ai récupéré le livre d’images que mon frère a volé. »

« Oh, c’est de là que ça vient… ? »

Quand ils étaient orphelins, Stella avait toujours eu un livre d’images avec elle. Elle l’avait même utilisé pour apprendre à Zagan à lire et à écrire. Cependant, Zagan avait tué son grand frère, alors il se sentait un peu gêné de parler de ça.

« Ça veut dire que tu sais quand est ton anniversaire ? » lui demanda Zagan.

Elle avait reçu un cadeau de son vrai frère. Si elle connaissait la bonne façon de célébrer les anniversaires, alors son aide était plus que bienvenue. Pour une raison inconnue, les oreilles de Ginias s’étaient dressées à ce sujet, mais Stella avait froncé les sourcils.

« Uhhh… ? C’était quand déjà ? Cela fait tellement longtemps que je ne me souviens pas vraiment. »

Zagan n’avait jamais vu l’anniversaire de Stella être célébré dans les ruelles. De plus, après l’incident de Decarabia, une partie de sa mémoire avait disparu. Il n’y avait pas grand-chose à faire, alors il s’attendait à ce que ça se passe comme ça.

« Je suppose que tous les gens de la rue sont comme ça, » dit Zagan avec un sourire en coin.

« Ouaip… »

« Comment peut-on même célébrer un anniversaire… ? » murmura Zagan. Il avait réfléchi à cette question un nombre incalculable de fois au cours des derniers jours.

« C’est vraiment un problème difficile…, » dirent Stella et Lisette en hochant sérieusement la tête.

« W-Waaah ! »

Malgré le sérieux de la conversation, Ginias tomba soudain à genoux et fondit en larmes.

« Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Ne dis rien. »

« Vos vies ont été si dures… ! Je suis si impuissant…, » déclara Ginias, en serrant la main de Zagan. « Je ne suis pas sûr de pouvoir vous aider, mais permettez-moi de vous être utile. Au moins, mon père a fêté mon anniversaire avec moi. »

« Vraiment ? »

Zagan n’aurait jamais imaginé recevoir de l’aide de ce groupe. Tous les trois se pressaient autour de Ginias. Stella en particulier était pratiquement collée à ses côtés, faisant rougir les oreilles du petit garçon pur.

« Alors ? Que fais-tu pour un anniversaire ? » lui demanda-t-elle.

« U-Umm, dans mon cas, j’ai donné des stylos et des montres et autres comme cadeaux. Au moins, jusqu’à il y a deux ans. »

« Jusqu’à il y a deux ans ? Pourquoi ? » demanda Lisette avec curiosité.

« Il y a deux ans, mon père est mort au combat. L’année dernière, je n’avais personne avec qui fêter ça…, » répondit Ginias avec un sourire gêné.

Il y avait eu une bataille majeure il y a un peu plus d’un an. De nombreux chevaliers angéliques et sorciers y avaient trouvé la mort, ainsi que le sage dragon Orobas. C’est également à ce moment-là que l’Archidémon Marchosias avait subi ses blessures mortelles. Il semble que le père de Ginias ait été parmi les défunts. Se sentant un peu mal d’avoir abordé ce sujet, Zagan posa une nouvelle fois sa main sur la tête de Ginias. Stella, et même Lisette, posèrent leurs mains sur ses épaules pour l’aider.

« Hmm, d’accord. Désolé pour cette période à Raziel, » dit Zagan.

« Ne le soyez pas. En fin de compte, je vous suis plutôt redevable. »

Les mauvais sentiments du passé avaient disparu depuis longtemps.

Hmm… Une montre, hein ? Zagan se mit à réfléchir. Ce n’était pas une mauvaise idée. Il n’avait envisagé que les vêtements et autres objets similaires jusqu’à présent, mais des objets plus pratiques comme des stylos ou des montres pourraient également faire l’affaire.

« Ummm, même si c’est un peu présomptueux de ma part de dire ça, est-ce que vous voulez aller chercher quelque chose avec nous maintenant ? » demanda Ginias avec humilité.

« Ah… J’aimerais bien, mais je dois aller rencontrer mes subordonnés. »

Zagan avait fait un signe à Stella. Il avait déjà reçu un rapport indiquant que Shax avait arrêté Dexia. Était-il vraiment possible qu’elle rencontre Lisette ? Mais Stella ne comprenait rien de tout cela et se contentait de le regarder avec confusion. Zagan s’était donc accroupi devant Lisette pour suivre son regard.

« Quelqu’un qui pourrait être de ta famille est avec les gars que je vais rencontrer. Cependant, c’est juste une possibilité. Il est très probable qu’elle ne te connaisse pas du tout. Que veux-tu faire ? »

« Je ne sais pas vraiment… »

« Rien de bon ne peut venir en déterrant son passé. Si c’est ce que tu crois, alors tue le temps avec Stella dans le coin. Mais si tu veux en savoir plus, tu peux venir avec moi. »

Le regard de Lisette erra dans la perplexité créée par cette question soudaine, mais elle retourna tout de même un hochement de tête ferme.

« Je veux… essayer de la rencontrer. Je ne sais pas ce que ça va donner, mais je veux en savoir plus. »

« J’ai compris. Alors, viens avec moi. »

Lisette avait hoché la tête avec raideur lorsque Ginias s’était approché d’elle.

« Que veux-tu ? » demanda-t-elle.

« Stella et moi sommes tes alliés. Peu importe qui tu es ou ce qui arrive, ça ne changera pas. »

« H-Hmph ! »

Il était difficile de dire s’ils s’entendaient ou non, mais au moins, il y avait moins de tension dans l’expression de Lisette après avoir entendu cela. Les quatre individus se mirent à marcher quand soudain, Zagan se tourna vers Stella.

« Ah oui. Stella, j’ai entendu dire que tu avais fini par devenir un archange. Comment ça se passe ? »

« Hmm ? Eh bien, mon professeur a disparu après avoir laissé son épée sacrée derrière lui, donc tout s’est passé très vite. Je suis un amateur complet avec une épée, donc je me demande si c’est vraiment bien. »

Cet Archidémon avait apparemment appris à Stella à utiliser la sorcellerie, mais pas l’épée. Se faire dire qu’elle était libre de choisir dans cet état allait certainement la perturber. Et pourtant, Ginias était intervenu comme s’il avait entendu quelque chose d’impensable.

« Stella. Ce n’est pas de la modestie. Vous vous méprenez sur la réalité. »

« Quoi ? Tu veux dire qu’elle sait très bien utiliser une épée ? » demanda Zagan.

« Bien sûr. Nous, les chevaliers angéliques, sommes classés en fonction de nos compétences avec une lame. En seulement un mois après son intronisation en tant qu’archange, Stella a atteint la deuxième place du classement. C’est le même rang qu’occupait le Seigneur Diekmeyer. Pour autant que je sache, aucun chevalier angélique actif ne peut lui tenir tête. »

En disant aucun Chevalier Angélique actif, il excluait probablement Raphaël. Zagan ne l’avait jamais vu manier l’épée, il n’avait donc aucun moyen de mesurer ses capacités.

Je suppose que c’est logique, vu qu’elle a les pouvoirs d’un sorcier et d’un chevalier angélique.

Andrealphus/Michael avait aussi été appelé le plus fort pour cette raison.

Voyant que Zagan l’avait compris, Ginias avait poursuivi fièrement : « Même Dame Lilqvist, qui est vantée comme une femme au talent terrifiant, n’est classée que numéro quatre, donc ce n’est pas normal, quel que soit le standard. »

En entendant cela, Zagan avait lancé un regard surpris à Stella.

« Si tu t’en prenais à Chastille avec une épée, comment ça se passerait ? »

« Hmm ? Juste une épée ? Je pense que ce serait un match équitable. »

Je comprends pourquoi les chevaliers angéliques lui en veulent de se qualifier d’amatrice…

Stella était apparemment à la hauteur de Chastille, même sans l’utilisation de ses compétences en sorcellerie et en arts martiaux.

« En mettant ça de côté, tu as cette fille Kuroka chez toi, non ? » poursuivit Stella avec un frisson. « Même si je me donnais à fond, je doute de pouvoir la battre. »

Par tout, elle entendait l’utilisation de l’épée sacrée, de ses arts martiaux et de sa sorcellerie. C’était apparemment la raison de la mauvaise auto-évaluation de Stella.

« Elle est plutôt chez Chastille… Attends, elle est vraiment si forte que ça ? »

« Mhm. Je veux dire, non seulement ses yeux sont guéris maintenant, mais tu lui as même fait une Armure Sacrée, non ? Dans ce cas, elle pourrait être un peu hors de ma portée. »

« Quelqu’un qui surpasse de loin Stella ? Qui est-elle ? » demanda Ginias, choqué.

Maintenant que Zagan y pense, il réalisa que Ginias n’avait jamais rencontré Kuroka. Il n’arrivait pas à trouver les mots justes pour l’expliquer.

Serait-ce un problème de dire qu’elle est la fille de Raphaël ?

Lors de l’incident de Raziel, il avait été clairement établi que Raphaël avait tué un cardinal. Les Archanges semblaient comprendre les circonstances, mais il ne pouvait toujours pas être considéré comme innocent par l’Église dans son ensemble. Si Zagan déclarait que Kuroka était la fille de Raphaël, cela pourrait apporter des problèmes inutiles à sa porte. Et honnêtement, elle avait déjà assez de malheurs à gérer à cause de son caractère.

« C’est un chevalier de Liucaon, » dit Zagan, décidant que c’était la réponse la plus sûre. « Un de ceux qu’on appelle des samouraïs. Elle travaille actuellement pour Chastille en tant que membre de l’Église. »

« Liucaon… » Ginias murmura avec un léger tremblement. « Je vois. C’est précisément parce qu’ils possèdent une telle puissance qu’ils peuvent se poser en égaux de tout le continent. »

« Si tu es intéressé, nous sommes en route pour la rencontrer. »

Ginias sursauta sur place et frissonna violemment. En vérité, si Liucaon était toujours indépendant, c’était surtout grâce aux trois Trésors Saints et à la protection que Marchosias leur assurait.

Incidemment, l’Archange en chef Ginias occupait la première place dans ce classement, tandis que Valjakka était apparemment troisième. Mis à part Ginias, qui pouvait utiliser la Confession, Zagan n’avait aucune idée que le traître possédait autant de compétences.

L’achever aurait pu être une mauvaise idée…

Il avait déjà reçu le rapport de Shax sur la mort de Valjakka. L’idiot avait ignoré l’avertissement de Zagan, donc c’était essentiellement du suicide.

Le groupe avait continué à marcher et à parler tout en se dirigeant vers sa destination.

« Nooon ! C’est fini ! Que quelqu’un me sauve ! »

En arrivant, ils avaient été accueillis par les cris d’une fille au cœur complètement brisé.

« Ah… Peut-être que j’aurais dû arriver plus tôt, » dit Zagan avec un énorme soupir.

***

Partie 4

À peu près au même moment, Nephteros s’était retrouvée sur la place devant l’Église, regardant le ciel d’un air hébété.

Je m’aime… hein ?

Elle ne pensait pas avoir complètement abandonné l’autoassistance. Elle voulait faire l’effort de vivre correctement. Est-ce que c’était peut-être différent de s’aimer soi-même ? Elle n’arrivait pas à trouver de réponse en y réfléchissant, mais elle se souvenait encore de sa conversation avec Alshiera l’autre jour.

Je passe mon temps comme d’habitude… C’est aussi une option, non ?

C’était l’une des options qu’Alshiera lui avait présentées. Et honnêtement, cela semblait plus productif que de perdre son temps à réfléchir.

Nephteros passa par l’entrée latérale de la cathédrale et se dirigea vers le bureau de Chastille. L’archange avait passé toute la journée d’hier hors du mode de travail. La question était de savoir si elle avait réussi à récupérer. Si elle ne l’avait pas fait, la paperasse allait commencer à s’accumuler.

« Chastille ? J’entre, » dit Nephteros en frappant à la porte.

« Oh. S’il te plaît, » répondit Chastille en toute confiance.

Nephteros entra dans le bureau et vit la montagne de travail sur le bureau qui attendait Chastille. Nephteros avait déjà fait le tri dans une certaine mesure, mais elle n’avait pas non plus réussi à mettre de l’ordre dans ses sentiments, alors il était difficile de dire si elle avait fait du bon travail.

À en juger par le léger rougissement qui se lisait encore sur le visage de Chastille, il serait plus approprié de dire qu’elle avait été ramenée à la réalité par le travail qui l’attendait plutôt que de dire qu’elle avait récupéré. Après avoir réfléchi un peu plus, Nephteros se rendit compte que Barbatos était introuvable. Cela dit, il était probablement caché dans l’ombre. Elle pouvait même voir l’ombre de Chastille onduler de façon anormale.

On dirait que ça ne sert à rien de demander des conseils ici.

Après avoir entendu Zagan parler de sa durée de vie, la première personne que Nephteros avait pensé à consulter était Chastille. Mais comme elle n’était pas sorcière, elle n’avait aucun moyen de savoir comment sauver un homoncule et elle finirait sûrement par s’en inquiéter encore plus que Nephteros elle-même. Lorsque cette pensée lui était venue à l’esprit, Nephteros avait décidé de ne pas le lui demander.

Pourtant, voir que les choses sont les mêmes que d’habitude est en fait assez relaxant.

Elle avait l’impression que c’était normal qu’elle soit là, qu’elle passe son temps comme toujours, et c’était un énorme soulagement. C’est pourquoi Nephteros avait forcé un sourire comme elle le faisait toujours.

« Bon sang. Fais ton travail correctement aujourd’hui, d’accord ? » dit-elle.

« Argh… Désolée. »

Nephteros avait ensuite réparti la montagne de documents entre ce qui nécessitait la signature de Chastille, ce qu’elle devait confirmer et ce qui ne nécessitait ni l’un ni l’autre. Lorsqu’il ne s’agissait que de confirmation, Nephteros lisait le contenu à haute voix. Nephteros s’occupait seule des documents qui ne nécessitaient pas l’attention de Chastille.

« Ah oui, Nephteros, » dit Chastille en levant la tête des documents. « J’ai raté l’occasion de te demander hier. S’est-il passé quelque chose ? »

Nephteros avait tressailli en raison de l’attaque-surprise soudaine.

« Que veux-tu dire… ? »

« Oh, ne t’occupe pas de moi si ce n’est rien. Je pensais juste que tu avais quelque chose en tête ces derniers jours. Si je peux t’être d’une quelconque aide, n’hésite pas à m’en parler. »

Cette fille était vraiment très vive dans ces moments-là, malgré son comportement habituel. Nephteros savait qu’en essayant d’ignorer la situation, Chastille s’inquiéterait davantage. Et au bout du compte, elle le découvrirait de toute façon, alors après avoir hésité un peu, Nephteros secoua la tête.

« Je m’inquiète de quelque chose… mais c’est un peu difficile à exprimer en ce moment… »

« Je… Je vois… Hmm… Je suppose que ça arrive de temps en temps. »

Nephteros ne pouvait pas dire ce qui lui passait par la tête alors que le rougissement de Chastille s’accentuait. Pourtant, c’était comme d’habitude. Si Nephteros devait passer ses derniers moments avec ceux qu’elle aime, alors cet endroit lui semblait être le bon. Après avoir pensé à cela, elle s’était soudainement rendu compte qu’il manquait quelque chose. Elle regarda autour d’elle et trouva rapidement la réponse.

« Oh, comme c’est étrange. Richard est-il en retard ? »

Richard était le chevalier que Chastille avait désigné comme garde de Nephteros. Il était pratiquement toujours avec elle, c’était donc étrange de ne pas le voir au bureau.

« Richard a demandé une pause aujourd’hui, » dit Chastille avec une expression sinistre et un mouvement de tête.

C’est étrange. D’habitude, il me dit au moins quelque chose…

Nephteros avait senti que quelque chose n’allait pas, mais cela s’était rapidement transformé en culpabilité à cause des mots suivants de Chastille.

« Il semble qu’il soit aussi troublé par quelque chose… »

« Hein ? »

Nephteros était si préoccupée par elle-même qu’elle ne l’avait même pas remarqué.

Maintenant que j’y pense, Richard n’est pas revenu après son entraînement à l’épée hier.

Il venait habituellement au bureau le matin, donc c’était étrange. Nephteros était gênée de ne s’en rendre compte que maintenant. Lorsqu’elle s’était effondrée, il l’avait également sauvée sans rien dire et était resté à ses côtés tout le temps. Tout bien considéré, son comportement était bien trop cruel.

« Chastille, sais-tu où se trouve Richard ? » demanda Nephteros en reposant le fouillis de documents sur la table.

« Umm, désolée. Je n’ai pas… Oh, attends. Barbatos, tu devrais le savoir, non ? » demanda Chastille en regardant ses pieds. L’ombre qui s’y trouvait se tortilla en réponse.

« Huuuh ? Pourquoi dois-je… ? »

« S’il te plaît, Barbatos. Cela concerne mon subordonné. Je suis aussi inquiète. »

« Tch… Bien, je suppose que je peux aider. »

Après un court moment, l’ombre était revenue avec une réponse, disant : « Il est dans la forêt à l’extérieur de la ville pour une raison inconnue. »

« La forêt ? »

Nephteros demanda plus de détails et apprit qu’il se trouvait à l’endroit où Chastille l’avait sauvée lors de l’incident où la chimère de Bifrons l’avait attaquée.

Maintenant que j’y pense, n’est-ce pas aussi le moment où j’ai rencontré Richard pour la première fois ?

C’est à cet endroit qu’il avait perdu plusieurs de ses camarades, donc quelque chose d’important avait dû se produire pour qu’il prenne une pause tout d’un coup pour visiter un tel endroit.

Si quelque chose le perturbe, j’aimerais l’aider.

Elle avait une grande dette envers Richard. De plus, elle n’avait toujours aucune idée de ce qu’elle voulait faire concernant son propre problème, c’est peut-être pour cela qu’elle voulait essayer d’aider ses amis. Oui, c’est justement parce qu’il lui restait si peu de temps qu’elle porta son attention sur son environnement.

« Hum, Chastille… »

« Tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour moi. Kuroka sera de retour dans l’après-midi. Vas-y. »

« Merci… Toi aussi, hirsute. »

« Qui diable appelles-tu hirsute ? »

Sur ce, Nephteros s’était mise à courir vers la forêt.

« Hic… Pourquoi… ? Pourquoi moi… ? »

Après être entré dans la boutique où il devait rencontrer ses subordonnés, Zagan avait trouvé une fille accroupie dans un coin. Elle avait été minutieusement utilisée comme poupée d’habillage. Il y avait des sous-vêtements faits entièrement de ficelle — ou peut-être était-ce une sorte de maillot de bain — une sorte de costume avec des oreilles de lapin et une queue, ce vêtement fait uniquement de ceintures qu’on avait fait porter à Néphy auparavant, une sorte de costume d’animal, et beaucoup d’autres articles de ce genre éparpillés un peu partout.

Il semblerait que la récréation soit terminée pour l’instant, aussi la fille portait-elle une tenue correcte. À côté d’elle, Kuroka était pâle comme si elle venait d’être témoin de quelque chose de pitoyable, tout en se tenant devant Shax et en lui couvrant les deux yeux. Il y avait des vêtements éparpillés partout que les hommes ne pouvaient pas voir, donc c’était logique. Le visage satisfait de la vendeuse aviaire Manuela contrastait totalement avec la scène désastreuse.

Lisette était restée bouche bée devant ce spectacle affreux, puis elle haussa soudainement le ton en voyant le visage de la jeune fille accroupie.

« Hein… ? Elle me ressemble… ? »

Réagissant à sa voix, la jeune fille avait relevé la tête et ouvert les yeux.

« Aristella ! Es-tu saine et sauve ? » dit-elle en se levant comme si elle n’arrivait pas à y croire. Elle s’approcha de Lisette et la prit dans ses bras, les larmes aux yeux. « Merci mon Dieu… J’ai cru que je ne pourrais pas te sauver ! »

Elle allait même jusqu’à frotter sa joue contre celle de Lisette, mais cette dernière ne pouvait que la regarder avec perplexité.

« E-Euh, désolée. Vous vous trompez probablement… Je m’appelle Lisette… »

La jeune fille l’avait sans doute remarqué en la serrant dans ses bras. Elle lâcha Lisette dans un étourdissement et fixa son visage.

« Tu es… quelqu’un d’autre ? »

« Désolée. »

La jeune fille semblait sur le point de s’effondrer à genoux en arrivant à cette compréhension, et Lisette l’avait rattrapée dans la panique.

« Allez-vous bien… ? »

« Oui… Désolée. Tu ressembles à ma petite sœur. »

En les observant toutes les deux, Ginias avait la main sur la grande épée dans son dos, mais Zagan lui fit signe de la retirer et secoua la tête. Ginias avait alors baissé sa main.

« D’accord, et si tu essayais aussi des vêtements ? » dit Manuela en s’approchant des deux filles pour les réconforter.

« Retiens-toi, » l’avertit Zagan.

Il pensait que les gens qui ne savaient pas lire l’humeur étaient parfois nécessaires, mais ce n’était pas le cas ici. Honnêtement, il avait envie de chercher quelque chose ici qui pourrait servir de cadeau à Néphy, mais il décida de revenir plus tard.

Le groupe de Zagan était devenu des habitués de la boutique, et on lui avait donc facilement prêté le bureau situé à l’arrière. C’était une pièce raisonnablement spacieuse. Il y avait deux canapés face à face avec une petite table entre eux. Des boucliers et d’autres ornements de ce genre décoraient les murs comme dans un vrai magasin d’équipement, ainsi qu’une sorte de certificat.

« Je m’appelle Dexia. Je suis… j’étais… La subordonnée de Shere Khan, » dit la jeune fille après avoir réussi à se calmer.

Zagan, Shax, Kuroka, Dexia, Lisette, Stella, et Ginias étaient dans la pièce. C’était un peu étroit avec tout le monde présent, mais la pièce était suffisante pour leurs besoins. Zagan et Stella s’étaient assis sur un canapé, tandis que Dexia et Lisette s’étaient assises sur celui qui leur faisait face. Malheureusement, Zagan avait dû demander à Shax, Kuroka et Ginias de se tenir debout. Comme il s’agissait techniquement d’un interrogatoire, l’ordre des sièges était obligatoire.

Après avoir écouté sa présentation simple, Zagan s’était tourné vers Kuroka et Shax.

« Est-ce qu’ils vous ont suivi ? » avait-il demandé.

« Oui, nous avons été correctement suivis jusqu’ici, » répondit Kuroka.

Il y avait bien sûr une raison pour que tous deux reviennent en calèche au lieu d’utiliser le transfert malgré la garde d’un personnage clé comme Dexia.

Je ne peux pas écarter la possibilité d’extraire des informations des chiens de Shere Khan.

Kuroka et Shax avaient naturellement informé Zagan des deux hommes qu’ils avaient affrontés et qui semblaient être des subordonnés de Shere Khan. Leurs objectifs et leurs capacités étaient un mystère, il y avait donc un risque que le carrosse soit attaqué, mais c’était une opportunité bien trop précieuse pour la négliger.

C’est pourquoi il les avait fait revenir de manière à ce qu’il soit facile pour quiconque de les poursuivre. Une fois qu’ils avaient atteint Kianoides, ils étaient dans la barrière de Zagan. Quiconque pensait pouvoir s’échapper de la paume d’un Archidémon pouvait essayer. Zagan avait cherché dans la barrière toute personne qui pourrait correspondre au profil et avait eu deux résultats positifs. Il semblerait qu’ils observaient cette boutique de loin. Il n’avait pas l’intention d’impliquer la boutique de Manuela, aussi était-il déjà prêt à lancer une attaque préventive s’il semblait qu’ils allaient tenter quelque chose.

***

Partie 5

« Alors ? Tu étais autrefois la subordonnée de Shere Khan, celle qui traînait dans cette ville il y a un mois, n’est-ce pas ? » demanda Zagan à Dexia.

« Oui…, » répondit Dexia, en hochant la tête avec raideur.

C’était la première fois que Zagan affrontait Azazel.

« J’ai une tonne de questions à te poser, mais laisse-moi d’abord vérifier une chose, » dit Zagan, attendant qu’elle se prépare. Après un court instant, Dexia lui fit timidement un signe de tête. « Es-tu consciente de ce que tu es exactement ? »

Lisette et Ginias étaient les seuls à avoir l’air de ne pas savoir ce que ça voulait dire.

« Je suis un familier créé par Shere Khan, » répondit Dexia en mettant sa main sur sa poitrine. « Ma sœur Aristella est pareille. Il nous appelle les Nephilim. Nous avons été créés dans le but de lui servir de bras et de jambes après qu’il ait perdu l’usage de son corps… Ou, c’était notre but… »

Les yeux de Lisette s’ouvrirent face à cette révélation, mais Zagan décida de laisser cela pour plus tard.

Nephilim… ?

C’était étrangement similaire au nom complet de Néphy, Néphélia. L’expression de Zagan devint sinistre. Il ne pensait pas que Shere Khan visait directement Néphy, mais y avait-il encore une sorte de relation entre eux ? Il valait mieux se méfier de cette possibilité. De toute façon, contrairement à Néphy, Dexia avait une bonne idée de ce qu’elle était exactement. Même si, au final, elle était à peu près dans la même situation après avoir été abandonnée.

« Tu as dit que Shere Khan vous a fait. Sais-tu quelque chose sur elle ? » demanda Zagan, en pointant ses yeux vers Lisette.

Dexia secoua la tête. « Je ne… Je n’ai jamais entendu parler d’avoir des prédécesseurs. S’il y avait eu un déserteur avant nous, je ne pense pas que j’aurais pu m’échapper comme ça… »

Shere Khan était un Archidémon. Il serait ridicule pour lui de n’avoir aucune contre-mesure en place si l’un de ses animaux domestiques avait déjà échappé à sa laisse. Dans ce cas, Lisette était différente des jumelles. Quoi qu’il en soit, elle avait été attaquée pendant l’Alshiere Imera. C’était encore un mystère, mais au moins, Dexia n’en avait pas été informée.

Je suppose qu’il est possible que Lisette ait été utilisée comme modèle pour les créer ?

C’était à peu près la seule conjecture que Zagan pouvait faire sur la base des informations qu’il avait.

« Lisette. Depuis combien de temps vis-tu dans les ruelles ? » demanda Zagan.

« Umm, je ne me souviens pas vraiment. Je suppose… il y a environ cinq ans ? »

Zagan avait retenu une grimace.

La réponse est toujours il y a cinq ans…

Elle avait certainement été impliquée avec Shere Khan d’une manière ou d’une autre.

« Question suivante. Quel est ton objectif maintenant ? » demanda Zagan à Dexia.

« Je veux… sauver Aristella. »

C’était la fille que Zagan avait échoué à sauver une fois. À l’époque, il avait à peine réussi à la maintenir en vie, mais la majorité de son corps avait été emporté par le Chasseur de Séraphins d’Alshiera.

« Est-elle en vie ? » demanda Zagan.

« Je pense que oui… »

« Je vois. Alors, question suivante. Si Shere Khan te disait : “Je vais sauver ta sœur, alors reviens”, que ferais-tu ? »

Dexia s’était raidie. C’était une question cruelle, mais nécessaire. Sa réponse déciderait de la façon dont Zagan la traiterait. Elle serra les poings sur ses genoux et trembla, ses doigts devenant blancs à cause de sa poigne. Lisette se pencha vers elle et lui tendit la main, serrant doucement les mains de Dexia. Les yeux de Dexia s’écarquillèrent d’étonnement, puis elle rassembla sa détermination et donna sa réponse à Zagan.

« Aristella… a pleuré. Elle a dit… qu’elle ne voulait pas mourir. Elle a dit qu’elle détestait l’idée d’être jetée. Malgré cela, Shere Khan l’a utilisé comme un outil. Donc… je ne peux pas le lui pardonner. »

Elle avait regardé Zagan droit dans les yeux sans aucune hésitation. C’était comme si elle n’avait plus de raison de vivre.

« Je vois. Très bien. Je vais te placer sous ma protection. Je te donnerai un coup de main pour sauver ta sœur. »

« V-Vraiment… ? »

« Tu vas recracher tout ce que tu sais, bien sûr. C’est ma condition. »

« Merci… beaucoup…, » dit Dexia en s’inclinant.

« C’est génial, non ? » dit Lisette avec un sourire.

« M-Mm. »

En les observant toutes les deux, Stella avait touché les côtes de Zagan.

« Ha ha, c’est vraiment génial, » dit-elle en hochant la tête, puis elle baissa la voix pour que seul Zagan puisse l’entendre. « Zagan, tu avais prévu de la tuer en fonction de sa réponse, n’est-ce pas ? »

« Hmph. Bien sûr que oui. Je ne suis pas du genre à protéger un idiot frivole qui ne dit quelque chose que pour sauver les apparences dans une telle situation. »

Zagan n’était pas un philanthrope. Il lui avait simplement donné une chance parce que Shax et Kuroka l’avaient recueillie. Sans cela, il n’avait pas besoin de sauver le familier de Shere Khan. En fait, il y avait une tonne d’informations qu’il pouvait obtenir par la dissection et l’expérimentation. Maintenant qu’il savait où se trouvait l’Archidémon, ces informations l’emportaient clairement sur la vie de Dexia.

Eh bien, j’ai cependant fini par la sauver à la place.

Il avait encore une affaire gênante à gérer maintenant, mais une fois cette décision prise, Zagan ne l’abandonnerait pas.

« Patron, Bifrons est apparemment celui qui a laissé s’échapper cette petite miss, » dit Shax depuis sa position près du mur. « Qu’est-ce que tu en penses ? »

Le petit Archidémon était un génie pour harceler les autres. S’il était impliqué, alors il n’y avait aucun moyen de savoir si Dexia était une sorte de piège, mais Zagan secoua quand même la tête.

« Tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour Bifrons, » dit-il. « À en juger par la personnalité de ce type, Dexia n’est pas si intéressante que ça. Il n’y a probablement pas de sens profond à tout cela, à part harceler un peu Shere Khan. Tout au plus, Bifrons espère probablement que quelque chose d’intéressant en ressortira. »

Que ce soit contre Zagan ou Shere Khan, si Bifrons avait sérieusement l’intention de harceler, il créerait une situation avec beaucoup moins de choix disponibles. Par exemple, jeter Dexia en ville de telle manière que Zagan soit obligé de la sauver. Zagan avait décidé de la sauver principalement sur un coup de tête. La probabilité qu’il le fasse était bien trop faible pour que cela fasse partie de la machination de Bifrons.

Maintenant qu’elle a réussi à aller aussi loin, il est possible que nous ayons attiré l’attention de Bifrons.

Franchement, Zagan trouvait plutôt improbable que Bifrons fasse naître un quelconque complot à ce stade.

« Si tu le dis, patron. Je vais faire ce que tu dis, » dit Shax en haussant les épaules avant de sortir une épée. « Alors, qu’en est-il de ceci ? »

« Une épée sacrée ? De qui s’agit-il… ? » demanda Ginias d’une voix tremblante.

« Un type appelé Valjakka. Il y a eu quelques problèmes…, » commença Shax.

« Il a apparemment été tué par un subordonné de Shere Khan. Il était fort probable qu’elle soit volée si elle restait là-bas, alors je leur ai ordonné de la récupérer. »

Zagan avait rejeté toute la responsabilité sur Shere Khan sans hésiter. Kuroka était décontenancée, mais Shax voyait immédiatement où cela menait et il avait feint une expression de chagrin.

« Désolé, » avait-il dit. « Nous aurions pu le sauver si nous étions arrivés un peu plus vite, mais nous n’avons pas réussi. C’est pourquoi nous avons pensé à au moins reprendre son épée. Utilisez-la en sa mémoire. »

« Je vous suis redevable… Vous avez mes remerciements, » dit Ginias en prenant l’épée sacrée avec une expression de douleur, même si ces mots venaient d’un sorcier.

Ce type est vraiment doué pour tout, sauf pour traiter avec Kuroka…

L’instinct de Zagan avait vu juste quand il s’agissait de le recommander comme prochain Archidémon. Zagan n’avait pas vraiment envie de le faire, mais Shax était déjà suffisamment capable pour en être un.

« Ginias, est-ce que cela va ? » demanda Zagan, affichant un regard comme s’il respectait un chevalier angélique disparu.

« Bien sûr que non… Pourtant, penser qu’un homme aussi doué puisse perdre au combat… »

Valjakka avait apparemment été populaire parmi ses collègues. Il y avait une véritable lamentation dans la voix de Ginias.

Eh bien, je suppose que je garderai secret le fait qu’il était l’espion de Shere Khan.

Zagan n’avait pas une once de sympathie pour l’homme, mais il n’était pas nécessaire de remuer le couteau dans la plaie des vivants. C’était un peu comme la pitié d’un samouraï — c’est ce que l’on disait en Liucaon. Kuroka semblait trouver cela quelque peu discutable, mais les choses s’étaient arrangées proprement comme ça.

Il y a maintenant un siège vacant parmi les Archanges. Comment cela va-t-il affecter les choses étant donné le timing… ?

Malgré sa nature pourrie, Valjakka avait apparemment été assez compétent. Zagan ne pouvait pas dire quel genre d’ombre cela jetterait sur l’Église. Et juste au moment où il commençait à y penser…

Hm ? Où va Nephteros, bon sang ?

La barrière qui couvrait la ville avait détecté sa belle-sœur qui se dirigeait vers la forêt.

Après avoir couru dans la forêt pendant un certain temps, Nephteros avait réussi à trouver Richard. Soulagée de voir qu’il était en sécurité, elle l’avait appelé.

« Richard. »

« Dame Nephteros… ? »

Il s’était retourné. Comme il était en pause, il ne portait pas son Armure Sacrée. C’était la première fois que Nephteros le voyait habillé de façon décontractée, sans même porter l’uniforme de cérémonie de l’Église. À en juger par le simple bouquet de fleurs qu’il tenait à la main, il était ici pour rendre hommage aux morts. Voyant Nephteros essoufflée, Richard s’était précipité vers elle avec étonnement.

« Que s’est-il passé ? » avait-il demandé.

« Quoi ? Je veux dire, vous… »

Il… quoi ? Il avait seulement fait une pause. En le regardant à nouveau, Richard était le même que d’habitude. Nephteros ne pouvait pas dire s’il était préoccupé par quelque chose.

Mais je suppose qu’il ne sait pas non plus pourquoi je m’inquiète.

Il n’y avait pas de temps à perdre. Nephteros n’avait pas vraiment mis de l’ordre dans ses idées, mais elle était allée droit au but.

« J’ai entendu dire que tu étais préoccupé par quelque chose… Tu as fini par faire une pause sans rien dire, et tu n’es pas revenu après l’entraînement hier. Cela m’a dérangée. »

« Oh, euh, je suis vraiment désolé, » dit Richard, ses joues devenant rouges.

« Il n’y a aucune raison de s’excuser, n’est-ce pas ? »

Richard s’était gratté la tête, puis il jeta un coup d’œil dans la forêt.

« Je viens ici chaque fois que je suis troublé, » avait-il dit.

« C’est l’endroit où nous avons combattu la chimère de Bifrons une fois, non ? »

Après avoir découvert ses origines, Nephteros avait fui son maître Bifrons et avait fini par utiliser toutes ses forces à cet endroit précis, ne laissant d’autre choix que d’attendre sa mort. À l’époque, les Chevaliers angéliques avaient été les seuls à la sauver.

« Ah oui, c’est toi qui m’as proposé de l’eau en premier, n’est-ce pas ? »

« C’est arrivé, n’est-ce pas… ? »

« Honnêtement, je n’aurais jamais imaginé que les Chevaliers angéliques me sauveraient. C’était un choc. »

***

Partie 6

Son environnement l’avait presque fait oublier, mais les chevaliers angéliques et les sorciers étaient censés être des ennemis mortels. Les chevaliers utiliseraient n’importe quelle opportunité pour tuer un sorcier. C’était censé être le cas, mais Richard n’avait rien dit de tel et lui avait offert de l’eau. Cependant, cela avait été suivi par des souvenirs douloureux…

« À l’époque, si tu… Non, si vous tous ne m’aviez pas sauvée, je ne serais pas là aujourd’hui. »

Plusieurs personnes étaient mortes juste pour la sauver. Parmi les survivants, il y en avait un qui était au-delà de tout espoir de guérison. Ils étaient tous si jeunes et étaient censés avoir un avenir brillant devant eux.

« C’est pourquoi, hum… Merci. Maintenant que j’y pense, je n’ai jamais dit ça. »

Il n’y avait pas à se plaindre si quelqu’un la traitait de sans-cœur pour ça.

« Merci, » répondit Richard avec un hochement de tête. « Je suis sûr que les hommes qui ont perdu la vie seraient ravis de t’entendre dire cela, Dame Nephteros. »

« Est-ce que tu… les connaissais bien ? »

« Oui… L’un était mon ami d’enfance. L’autre, j’en étais proche depuis l’époque où j’étais apprenti. Après nos patrouilles, nous faisions souvent du cheval avec tout le monde dans le peloton. »

Ils avaient été des camarades bien plus irremplaçables pour Richard que Nephteros ne l’avait imaginé. Cette pensée avait envoyé une douleur lancinante dans son cœur.

« Déso —. »

« S’il te plaît, » dit Richard, la coupant avant qu’elle ne puisse s’excuser. « Je t’en prie, ne t’excuse pas. Ils ont accompli leur devoir de manière splendide. Tu ne devrais pas t’excuser auprès d’eux, mais les honorer. Alors s’il te plaît, honore leur mémoire. »

Nephteros ne pouvait rien dire sur un tel état d’esprit.

« Mais… C’est quand même triste que des gens meurent…, » dit-elle.

Je me demande si Néphélia ressent la même chose ?

Zagan était profondément troublé lorsqu’il avait parlé à Nephteros de sa durée de vie. Elle était censée n’être rien de plus qu’un outil qui pouvait être remplacé, mais il s’était tourmenté à cette idée comme il l’aurait fait pour Néphy ou Foll. Elle savait qu’il l’avait vraiment acceptée comme faisant partie de sa famille.

Tous les autres étaient sûrement comme ça. Chastille, Kuroka, Foll, Orias, Raphaël, et même cette étrange mamie. Peut-être même ce sorcier hirsute… ou pas. En tout cas, il y avait beaucoup de gens qui auraient de la peine si Nephteros venait à mourir.

Est-ce vraiment bien pour moi de laisser les choses se terminer comme ça ? Il y a un moyen de…

Dès qu’elle avait envisagé l’alternative, une violente envie de vomir l’avait assaillie. Des chimères fabriquées en collant des corps ensemble de manière absurde, toutes avec le même visage que Nephteros. Ceux-là avaient été des Nephteros malchanceuses. Elle avait été celle qui avait eu un peu de chance. Ils avaient tué les amis de Richard. Elle ne voulait pas mourir, mais utiliser ces corps était une impossibilité. Elle ne serait pas capable de le supporter. Nephteros tituba, et Richard soutint rapidement ses épaules, paniqué.

« Lady Nephteros !? »

« Je… Je vais bien. Je me souviens juste de quelque chose de désagréable… »

Elle était venue ici par souci pour Richard, alors pourquoi le faisait-elle s’inquiéter pour elle à la place ? Pourtant, il n’y avait aucune chance que son teint pâle redevienne normal tout de suite. Richard n’avait pas vraiment l’air perturbé par cette situation. Au contraire, son visage était empreint de désespoir. Quelque chose s’était-il produit ? Un étourdissement ou deux était en fait assez courant pour elle. L’expression de Richard semblait quelque peu excessive.

« Je vais vraiment bien, » dit-elle en tendant la main et en touchant sa joue. « Plus important, est-ce que quelque chose t’est arrivé ? Quelque chose qui t’a fait venir jusqu’ici ? »

Elle avait sa propre crise à gérer, donc elle ne savait pas pourquoi elle disait ça.

Peut-être que je veux que les autres se souviennent de moi comme d’une bonne personne avant de mourir… ?

Elle ne pouvait pas nier que des pensées aussi superficielles lui venaient à l’esprit. Pourtant, Nephteros sentait qu’elle ne pouvait pas ignorer cet homme quand il était si troublé par quelque chose. Son plaidoyer ne faisait que donner à Richard l’impression qu’il allait fondre en larmes.

« J’aimerais t’aider si je — Hyah !? » Elle commençait à dire, quand il l’avait soudainement pris dans ses bas. « Qu-Qu’est-ce que tu… ? Est-ce que tu pleures ? »

« Je suis tellement, tellement désolé. Je n’ai… aucun moyen de te sauver, » répondit Richard d’une voix tremblante et étouffée. C’était suffisant pour que Nephteros comprenne.

 

 

« As-tu… entendu parler de ma situation ? »

« Oui… »

C’est pourquoi il était ici tout seul. Il avait agonisé et s’était inquiété de ne pas pouvoir la sauver.

« Je vois…, » déclara Nephteros, puis lui rendit son étreinte sans vraiment savoir pourquoi elle le faisait. « Désolée. Même si vous m’avez tous sauvée… »

« Ne t’excuse pas. »

« Hm… Mais je suis un peu heureuse. Je veux parler du fait que quelqu’un va pleurer pour moi, même si ce n’est que par sympathie. »

Richard avait lâché Nephteros, puis il avait saisi ses épaules si fort que ça lui avait fait mal.

« Ce n’est pas de la sympathie ! » rugit-il. « C’est parce que je t’aime ! »

Nephteros ne pouvait pas comprendre que ces mots lui étaient adressés.

Hein ? Qu’est-ce qu’il vient de dire… ?

L’amour. C’était ce qu’elle cherchait depuis qu’elle avait appris la relation de Zagan et Néphy. Et maintenant, il était présenté juste devant elle.

« Qu-Quoi... ? » dit-elle. « Il n’y a rien en moi qui mérite d’être aimé… »

« N’as-tu pas pleuré pour nous aussi ? »

Ces mots avaient fait battre son cœur de façon surprenante. Pendant l’attaque des chimères, Nephteros n’avait pu que pleurer en voyant les chevaliers angéliques mourir devant elle. Elle avait pleuré devant la douleur insondable des autres qui mouraient pour un individu comme elle.

Je vois maintenant, quelqu’un qui ne s’aime pas lui-même n’est pas capable de réaliser quelque chose d’aussi simple…

Le conseil d’Alshiera était correct. Nephteros devait s’aimer correctement. En faisant cela, elle aurait compris depuis longtemps qu’il lui faisait face avec amour, et non avec une simple gentillesse. C’est pourquoi Nephteros ne pouvait rien faire d’autre que de lui offrir un sourire troublé.

« Désolée… Je vais mourir dans deux ou trois mois, alors… »

« Si c’est le cas, je resterai à tes côtés jusqu’à la fin. Je ne te laisserai pas seule. »

« Pourquoi… ? Cela ne va-t-il pas te faire souffrir ? » demanda-t-elle, incapable de croire ce qu’elle entendait.

« N’est-ce pas ce que cela signifie pour les gens de s’aimer ? » répondit Richard, trouvant sa réponse quelque peu curieuse.

Une larme coula sur la joue de Nephteros alors qu’elle s’accrochait fermement à la poitrine de Richard.

« Je ne veux pas mourir… Je veux apprendre davantage… Je veux faire plus… Il y a tellement de choses à faire… »

« Je le sais. »

« Mais je ne peux pas supporter l’idée de prolonger ma vie comme ça… »

Richard n’avait pas ri ou ne s’était pas mis en colère à cause de son obstination disgracieuse. Au lieu de cela, il avait simplement retourné son étreinte doucement.

« Cherchons un moyen, » avait-il dit. « Je suis sûr qu’il doit y en avoir un. »

Elle avait levé les yeux vers son visage, effrayée à l’idée de savoir si elle pouvait le croire. Elle n’avait aucune idée de comment répondre à sa confession.

Mais si je peux survivre…

Si sa vie pouvait être prolongée, peut-être pourrait-elle répondre le moment venu. Après tout, il avait dit qu’il resterait à ses côtés pour toujours, malgré sa maladresse. Avec lui, peut-être pourrait-elle vraiment apprendre ce qu’est l’amour. En un sens, cette émotion était peut-être trop fugace et vague pour être appelée un premier amour. Néanmoins, Nephteros se retrouva finalement devant la porte avec toutes les réponses à ses questions.

« Tu sais, Richard… »

Et juste à ce moment-là…

« Comme c’est méprisable de porter la main sur la poupée d’un autre sans sa permission. »

Une fleur rouge s’était épanouie devant elle avec un bruit sourd. Un liquide chaud avait coulé sur le visage de Nephteros. Richard se figea complètement, n’ayant aucune idée de ce qui venait de se passer. Elle baissa timidement le regard, apercevant une main trempée de rouge percer hors de sa poitrine. C’était une petite main, une main qui ressemblait beaucoup à celle de son ancien maître. Et dans sa main se trouvait un cœur qui battait encore.

Elle ne lui avait même pas encore donné de réponse, mais l’homme qui lui avait avoué son amour avait eu le cœur brisé sous ses yeux.

Encore une fois… C’est parce que tu as essayé de sauver quelqu’un comme moi, qu’une fois de plus…

Ainsi, le désespoir avait déchiré Nephteros de l’intérieur.

« Bifrons ! Espèce de salaud ! »

La première chose que Zagan vit en rattrapant Nephteros fut Richard se faisant arracher le cœur. L’Archidémon, qui ne pouvait être identifié comme un garçon ou une fille, se transforma de particules en forme humaine, puis éclata de rire.

« Ha ha ha ha ha ! Je suis si heureux de te voir faire une telle grimace ! »

Richard s’était effondré sur ses genoux. Nephteros le rattrapa, encore complètement perdue quant à ce qui se passait. Bifrons savoura chaque dernière seconde de ce moment, puis se tourna vers Zagan.

« Anneau du Ciel, Ombre Sévère. »

Zagan avait été le premier à bouger. Il absorba l’inépuisable réserve de mana de son environnement et la convertit en vitesse. Bifrons était toujours accroché au dos de Richard, et Zagan se mit à sa portée en un seul pas. Il profita de cet élan pour enfoncer son poing, mais le sorcier ennemi se transforma en particules pour éviter un coup direct. C’était cependant encore dans les limites des attentes de Zagan.

« Gak ! Hak ! »

Même si Bifrons parvenait à esquiver son poing, il ne pourrait pas résister au mana qui l’accompagne. Retrouvant sa forme humaine, Bifrons s’effondra et tomba au sol.

« Shax ! »

« C’est parti ! »

Richard ne pouvait pas être soigné tant que Bifrons n’était pas éloigné de lui. Le talentueux subordonné de Zagan l’avait compris, et il s’était immédiatement précipité vers Richard dès que l’occasion s’était présentée. Zagan le surveilla et fonça sur l’Archidémon une fois de plus.

« AAAAAaaaaAAAAAaaaaaaAAAH ! »

Il s’était retourné pour entendre le cri soudain d’un autre monde. Des ténèbres noires se déversaient de Nephteros. Il avait reconnu ce phénomène.

Pas question ! Azazel !?

C’était la calamité qui s’était autrefois emparée d’Aristella et qui s’était également infiltrée dans le corps de Nephteros. Elle était censée être scellée par Alshiera, mais elle était là, débordant de Nephteros. La lumière de la raison avait depuis longtemps disparu de ses yeux, et les ténèbres se déversaient comme pour avaler Richard tout entier. Le désespoir de Nephteros avait-il été le déclencheur ? En tout cas, il était dangereux de s’approcher d’elle maintenant.

« Shax ! Va-t’en ! » cria Zagan.

Shax n’était cependant pas le genre d’homme à s’échapper seul et à abandonner un patient. Il était fait pour. Au moment où cette pensée traversa l’esprit de Zagan, une lame déchira horizontalement l’obscurité, enveloppant Shax.

« Kurosuke ! »

« Monsieur Shax ! Maintenant ! »

Kuroka était la fille qui comprenait Shax encore mieux que Zagan. Elle avait prédit qu’il n’essaierait pas de s’enfuir et avait déjà dégainé ses épées courtes. Ses lames terrifiantes découpèrent les ténèbres sans toucher Nephteros, révélant le corps de Richard une fois de plus. À cet instant, Shax le saisit et bondit en arrière.

Immédiatement après, les ténèbres avaient à nouveau enveloppé l’endroit que Kuroka avait ouvert. Même un moment d’hésitation aurait été trop lent. Kuroka et Shax avaient réussi à échapper aux ténèbres grâce à leur esprit de décision. Cependant, ce dilemme avait également détourné l’attention de Zagan pendant un seul instant.

« Hee hee hee ! Tu en as apporté un intéressant ! Je vais le prendre en souvenir ! » s’exclama Bifrons et s’élança en avant, se dirigeant droit vers Lisette.

Quoi ? Pourquoi elle ? Qu’est-ce qu’il peut bien vouloir d’elle ?

« Argh ! »

Lisette avait crié alors que des cristaux s’enroulaient autour de son corps. Cette image avait fait remonter les cicatrices émotionnelles d’une certaine fille.

« Nooon ! »

Dexia avait sauté dans l’action plus vite que quiconque. Voyant le danger auquel était confrontée la fille qui partageait le visage de sa sœur, le corps de Dexia avait bougé avant que son esprit ne puisse traiter la situation.

« Pas question ! »

***

Partie 7

Bifrons s’était figé, choqué et ravi de se voir arracher sa beauté par quelqu’un qu’il avait autrefois jugé sans valeur, et Zagan n’était pas du genre à laisser passer un tel moment de trouble.

« L’éclair violet du phosphore du ciel ! »

Ce poing fait de Phosphore du Ciel avait autrefois piétiné un essaim de démons. Zagan laissa une traînée violette derrière lui et dirigea son poing vers Bifrons. Leurs corps se croisèrent l’espace d’un instant. Le poing de Zagan s’abattit, tandis que le corps de Bifrons se tordit. Au moment où ils s’étaient croisés, quelque chose était tombé sur le sol avec un ploc. C’était un avant-bras mince et coupé.

« AAAAAARGH ! »

La foudre violette de Zagan avait fauché le bras droit de Bifrons.

J’ai échoué. C’était bien trop superficiel.

Le Phosphore du Ciel avait immédiatement brûlé le bras de Bifrons, mais n’avait pas atteint son corps. Le petit Archidémon avait sectionné son propre bras avant qu’il ne le fasse. En regardant vers le bas, le bras était également intact à partir du poignet, où se trouvait l’Emblème de l’Archidémon.

Quand même, maintenant ce bras droit ne peut pas être régénéré.

« Hee hee. Devoir payer un bras pour ça, c’est plutôt cher, » dit Bifrons, la main coupée flottant dans l’air avant de se fixer dans son autre main.

« Crois-tu que je vais en rester là ? »

« Oui. Tu le feras. Tu n’as plus le temps. Tu as un combat qui t’attend, après tout. »

Au moment où Zagan s’apprêtait à donner le coup de grâce, ignorant toutes ces bêtises, il avait entendu un cri derrière lui.

« Sœur ! »

C’était Lisette. Il s’était retourné pour voir Stella étranglée par les ténèbres. À en juger par la façon dont Lisette et Dexia étaient sur le sol derrière elle, Stella avait bondi pour les protéger.

« Hak… Espèce de petit… »

Alors même que son visage se tordait d’agonie, Stella avait saisi le bras de l’ombre et le tordit de toutes ses forces au niveau de l’articulation du pouce. Il y avait assez de force pour arracher une tête humaine, arrachant l’ombre d’elle et l’envoyant voler.

À ce moment-là, Bifrons s’était déjà transformé en particules et avait disparu. Zagan avait pris son bras, tandis que Bifrons avait grandement blessé Richard et Nephteros, deux personnes qu’il ne pouvait pas laisser en vie. Il avait été complètement vaincu, mais la véritable bataille ne faisait que commencer.

« Hé… qu’est-ce qui se passe, bon sang ? » murmura Shax, choqué.

Avant que quiconque ne s’en rende compte, les ténèbres qui avaient recouvert le corps de Nephteros avaient disparu. Elle flottait dans l’air avec ses yeux fermés. Il ne semblait pas y avoir de problème avec son corps. Cependant, des ailes de lumière sortaient de son dos. Elles étaient divines, mais sinistres, et il y en avait huit au total.

 

 

Qu’est-ce que c’est que ces ailes ?

Zagan pouvait voir leur vraie nature à travers ses yeux d’argent. Chacune était une cristallisation de mana qui équivalait à un Emblème de l’Archidémon, et il y en avait huit. C’était comme être en possession de huit Emblèmes à la fois, mais Zagan ne croyait pas que les choses étaient aussi simples que cela. La puissance qui régnait ici lui faisait vraiment comprendre que le Seigneur-Démon de la boue que Bifrons avait invoqué une fois auparavant n’était en fait que des pensées résiduelles. Il devait se concentrer rien que pour respirer en sa présence. Qu’est-ce que cet énorme pouvoir pouvait bien être ?

« Nephteros » avait ouvert les yeux. Ses pupilles étaient dorées comme la lune, et à l’intérieur d’elles se trouvait une obscurité semblable aux fosses de l’enfer. Un simple battement d’ailes fit gémir Zagan, Stella et Shax. C’était tout ce qu’il fallait pour faire disparaître toute la sorcellerie qu’ils avaient préparée. C’était particulièrement mauvais que la sorcellerie de Shax ait été effacée, vu comment il avait traité Richard.

« Hélas… quels enfants stupides ! Mais j’aurai quand même pitié de vous, » dit Nephteros, puis elle se mit à chanter. « [À toi, j’accorde la bienveillance.] »

Des cailloux de cristal étaient sortis de ses huit ailes.

Selini Chavliodous !?

C’était le mysticisme céleste que Nephteros privilégiait au combat, mais sa puissance était maintenant d’un tout autre niveau.

« Forme de dragon de l’écaille du ciel ! »

Zagan avait tissé son plus grand bouclier sans hésiter. Ses ailes géantes couvraient tous les non-combattants comme Lisette, mais Zagan restait bouche bée sous le choc. Selini Chavliodous avait transpercé l’armure en forme de dragon. Même le mysticisme céleste d’Orias avait été complètement bloqué par la Forme du Dragon, mais ici, il avait été criblé de trous en un instant. Même avec son armure percée, il mangeait toujours l’aura du mysticisme céleste et grandissait, mais il se brisait plus vite qu’il ne grandissait. Il était sûr de se briser en quelques secondes. Pourtant, il avait réussi à gagner du temps.

« Fermez votre bouche ou vous vous mordrez la langue ! »

Zagan avait foncé sur Lisette et Dexia au milieu de la pluie de cristaux. Dexia était censée être une sorcière relativement talentueuse, mais dans son état actuel, elle était comme n’importe quel autre noncombattant désarmé. Il devait la protéger.

Quant à Shax, qui ne pouvait pas beaucoup bouger avec Richard dans ses bras, Kuroka le protégeait en coupant les cristaux arrivants. La Forme du Dragon ralentissait au moins les projectiles qui la traversaient, mais même en faisant abstraction de cela, cette fille montrait vraiment pourquoi Stella ne voulait pas la combattre. Les deux lames du Ciel Sans Lune avaient brisé d’innombrables cristaux. Stella et Ginias avaient également dégainé leurs épées sacrées pour se concentrer sur la défense.

Je ne peux pas m’approcher de Shax !

Ce seul battement d’ailes avait effacé toute sorcellerie. L’état actuel de Richard était trop important pour Shax tout seul. Cependant, à cause de la pluie constante de cristaux, Zagan ne pouvait pas s’approcher d’eux tout en portant les deux filles.

« Confession angélique Raziel ! » cria Ginias, en se mettant en action.

L’archange en chef tenait son épée sacrée en l’air tandis qu’une armure de chevalier prenait forme dans l’air.

« Allez-y ! Vous pouvez le sauver, non ? » déclara le garçon, bien qu’il ait été trompé, tourmenté et déshonoré par Zagan dans le passé.

« Je t’en dois une. Ne meurs pas, » dit Zagan au garçon qu’il avait autrefois épargné simplement parce que cela aurait été un problème de le tuer.

La Confession verte s’élança à travers la pluie de cristal vers « Nephteros ». Zagan en profita pour courir vers Shax. La poitrine de Richard avait toujours un trou béant. Shax avait arrêté l’hémorragie et utilisait le mana pour manipuler le flux sanguin de Richard à la place du cœur manquant. C’était le meilleur traitement provisoire que l’on pouvait espérer, mais cela ne le guérirait pas.

« Qu’est-ce que tu fais ? Ne peux-tu pas le soigner ? » demanda Zagan en faisant descendre Dexia et Lisette sur le sol.

« Ne sois pas déraisonnable, patron. Tu ne peux pas régénérer un organe perdu en si peu de temps. Le corps de ce type ne tiendra pas assez longtemps pour qu’on puisse refaire son cœur. »

Un homme du calibre de Shax pouvait facilement soigner les dommages causés aux organes internes. Cependant, Bifrons avait proprement arraché le cœur de Richard en entier. Remplacer l’organe manquant n’était pas seulement un traitement, c’était un acte de création.

« Bien. Je vais faire quelque chose à ce sujet, » dit Zagan. « Kuroka, je te laisse mon dos. »

« O-Oui ! » Kuroka répondit d’un ton excité, contrastant avec le désespoir dans l’air.

Zagan commença à tisser la sorcellerie qu’il avait l’intention d’utiliser pour Nephteros. Elle était encore incomplète, alors il ne savait même pas si elle fonctionnerait. De plus, faire ce genre de travail dans cette boue était plus que stupide. Néanmoins, il avait pris sa décision en tant que roi.

Il puisa du mana dans le sceau de l’Archidémon et le matérialisa, formant chaque cellule et chaque vaisseau sanguin un par un. Le cerveau d’une personne normale serait susceptible de se rompre sous le stress des calculs qu’il effectuait. C’était la plus délicate des sorcelleries.

Derrière lui, Ginias avait fait un libre usage de sa Confession pour défier « Nephteros », mais ce n’était pas vraiment un combat. L’utilisation de la Confession par l’Archange en chef n’était en rien maladroite, mais bloquer la pluie de cristal était le mieux qu’il pouvait faire. Il n’avait pas été capable de tenter une seule attaque pendant tout ce temps. Il était toujours en train d’endurer l’assaut quand soudain, les cristaux avaient cessé d’arriver.

« C-C’est ma chance ! » cria Ginias.

Il prépara une nouvelle fois sa Confession et s’apprêtait à charger lorsqu’une lance de lumière prit forme dans la main de « Nephteros ».

« Esquive, Ginias ! » cria Stella.

« Hein ? »

À l’instant où la lance avait quitté sa main, un trou géant avait pris forme au milieu du torse de la Confession. Le temps que quelqu’un réalise qu’il avait été causé par la lance, une bande de lumière les avait dépassés et atteignait l’horizon. Un moment plus tard, une colonne de flamme avait éclaté au loin. Si elle avait été tirée vers Kianoides, la ville entière aurait été déchirée.

« A-Argh… »

Ginias avait tout juste réussi à réagir grâce à l’avertissement de Stella. Il avait réussi à échapper à la lance, mais sa Confession avait été facilement vaincue. Il avait vomi du sang et était tombé sur le sol. Son Armure Sacrée s’était effondrée en morceaux, et il n’avait même pas pu se remettre sur ses pieds. La plus petite des écorchures avait suffi pour le réduire à cet état.

Suite à cela, « Nephteros » avait fermé les yeux et ses lèvres avaient frémi.

« [Tu es celui qui brille comme les étoiles. Celui qui embrasse l’équilibre, et arbitre sur le bien et le mal.] »

Le mysticisme céleste… et Asteri Ekrixis en plus !?

Le visage de Zagan s’était raidi. Ce sort avait autrefois éradiqué le Seigneur-Démon de la Boue. S’il était lancé par Nephteros dans son état actuel, Kianoides était susceptible d’être oblitéré malgré la distance qui le séparait de leur champ de bataille. Mais ce n’était pas la raison pour laquelle Zagan s’était figé. Nephteros avait déjà tenté de lancer ce sort et n’avait pas pu en supporter la puissance, s’effondrant finalement à cause de cela.

Si elle continue à utiliser le mysticisme céleste comme ça, son corps ne tiendra pas le coup !

Une énorme lumière se déversa sur la zone en réaction à la prière céleste. Cependant, Zagan ne pouvait pas bouger pour le moment. S’il arrêtait son travail, Richard était condamné.

Zagan avait tendu la main, tout en continuant le traitement de Richard. Il n’allait pas abandonner Richard. Il protégerait ses subordonnés. Il ne laisserait pas la ville être détruite. C’était la méthode de gouvernement à laquelle Zagan croyait. Et juste au moment où il commençait à tisser l’Écaille du Ciel, Stella repoussa son bras vers le bas.

« Zagan. Essaie au moins de te fier à ta grande sœur dans des moments comme celui-ci, » dit-elle en souriant, son profil ressemblant beaucoup à celui qu’elle avait lorsqu’elle faisait des bêtises dans le passé.

« Qu’est-ce que tu… ? »

« D’accord ! Faisons un essai, Zachariel ! Confession ! »

Stella avait saisi la lame de son épée sacrée, laissant son sang couler sur sa longueur. Un chevalier noir de jais portant une lance et un bouclier prit forme derrière elle. Il s’agissait de la Confession Angélique que l’Archidémon Andrealphus avait autrefois exposée. Il y avait des précédents à ce sujet chez Ginias et Michael, donc sa maîtrise rapide n’était pas une surprise totale. Stella avait déjà atteint le stade de la Confession.

« Vas-y ! »

Stella tenait son épée sacrée en l’air, et la Confession noire chargea « Nephteros ». Cependant, contrairement à Andrealphus, Stella était sur son dos.

« Toi aussi, tu fais de ton mieux, grand frère ! » cria Stella, en portant la main à son œil artificiel argenté. « Vague Tourbillonnante Antipode ! »

La sorcellerie qu’elle déclencha ressemblait beaucoup à la Vague Tourbillonnante que son frère Decarabia avait utilisée autrefois. Elle créait un énorme tourbillon de mana, écrasant tout ce qui se trouvait à sa portée. Cependant, ce que Stella utilisait ici incluait également l’aura de l’épée sacrée dans le tourbillon de mana.

C’était une tornade de mana et d’aura, un pouvoir que seule Stella pouvait utiliser en tant que détentrice d’une épée sacrée et de l’Œil du roi d’argent. Même Zagan n’aurait pas été capable de le traverser. Le vortex tourbillonnait avec la lance de la Confession en son centre, avalant même la lumière du mysticisme céleste. Face à cette attaque ultime, « Nephteros » continua sa prière et leva sa main droite.

« [Quoi qu’il en soit, l’équilibre est rompu. L’ordre est perdu, et la terre est teintée de sang. Ainsi, cela mérite un châtiment. Par le marteau qui pardonne tous les péchés.] »

La lumière de son mysticisme céleste se rassembla sous la forme d’une lance. Une simple éraflure avait rendu un homme du calibre de Ginias incapable de se tenir debout, alors combien de destruction pouvait-elle causer lorsqu’elle était accompagnée de mysticisme céleste ?

« Argh ! Encore une fois ! S’il te plaît, endure, Raziel ! Confession ! »

La Confession verte prit à nouveau forme comme pour protéger Stella. Son armure était fissurée et elle semble vouloir s’effondrer à tout moment, mais elle défiait « Nephteros » aux côtés de la Confession noire.

***

Partie 8

La lance de lumière était entrée en collision avec les deux Confessions, les écrasant toutes deux très facilement.

« Stella ! »

Chevauchant l’arrière de la Confession noire, Stella n’avait aucun moyen d’échapper à l’impact. Son corps avait volé, laissant une traînée de sang, avant que quelqu’un ne la rattrape doucement.

« Mon Dieu… Ce Shere Khan a vraiment une personnalité de merde. Il nous a envoyés ici parce qu’il savait que ça allait arriver. »

C’était un garçon aux cheveux et aux yeux écarlates.

« Vous deux…, » Kuroka avait marmonné avec étonnement.

« Yo, on se retrouve. »

Le garçon lança un regard troublé à Kuroka, puis déposa Stella sur le sol. Elle était inconsciente et en lambeaux, mais respirait encore. Après avoir confirmé cela, Zagan laissa échapper le moindre soupir de soulagement.

Je n’arrive pas à suivre plus que ça…

Le traitement de Richard n’était toujours pas terminé, donc ni Zagan ni Shax ne pouvaient quitter son chevet. Ils ne seraient pas en mesure de sauver d’autres personnes souffrant de blessures graves.

« Je ne sais pas qui vous êtes, mais il semble que votre ennemi soit lié à nous par le destin, » dit un épéiste aux yeux bridés en s’approchant du garçon aux cheveux écarlates. « Nous allons vous apporter notre aide. »

L’épéiste était sur le point de se retourner, mais ses yeux s’étaient écarquillés sous le choc.

« Ce n’est pas possible… Es-tu Zagan ? » avait-il demandé.

Zagan ne comprenait pas le sens de ses paroles. Comment un héros d’il y a mille ans pouvait-il connaître son nom en voyant son visage ?

« Qui diable es-tu ? » demanda Zagan, en faisant une grimace dubitative.

L’épéiste hocha la tête, le visage résolu à l’inévitable.

« Sire Asura. J’ai trouvé mon endroit pour mourir. Il semble que je retournerai au pays des morts avant vous. »

« Je ne comprends pas vraiment, mais on va massacrer ce putain de séraphin, hein ? Je vais vous tenir compagnie. »

C’est ce qu’avait déclaré le garçon en jetant un regard à « Nephteros ».

Est-ce que ça veut dire qu’Azazel est vraiment un séraphin ?

L’épéiste avait une épée brisée à la main. La lame avait glissé hors de la poignée. Au moment où elle avait heurté le sol, de la lumière avait jailli de la poignée sans lame. Elle avait alors pris la forme d’une épée de lumière. C’était plus proche de l’aura d’une épée sacrée que de toute forme de sorcellerie. Le garçon avait également un gantelet de lumière autour de sa main droite.

« Vous m’écoutez ? La théorie principale pour combattre un séraphin est de détruire ses ailes hex. Tant qu’ils les ont, aucun humain ne peut les égaler. »

« Cela dit, comme nous ne sommes que deux, je suppose que se débarrasser d’une aile serait considéré comme le plus satisfaisant. »

Peut-être ces mots étaient-ils destinés à Zagan. Ils semblaient tous les deux assez forts, mais il ne pensait pas qu’ils pourraient arrêter « Nephteros ». Si c’est le cas, peut-être essayaient-ils de laisser derrière eux leurs connaissances. Faisant fi de leur détermination, « Nephteros » poursuivit sa prière jusqu’au dernier vers.

« [Les lumières des cieux sont toutes des étoiles. Tout ce qui brille de loin en loin s’effondre dans une conflagration. Sans compassion, sans chagrin, il juge simplement et apporte la destruction. C’est la prière du châtiment] — Asteri Ekrixis ! »

Et c’est ainsi que la lumière de la destruction s’était abattue sur eux… ou du moins elle était censée le faire. Après plusieurs coups violents, des sphères noires éclatèrent autour de « Nephteros » et tout disparut. Le cliquetis de plusieurs petits cylindres métalliques tombant sur le sol suivit un moment plus tard.

Une vampire en robe noire se tenait là, les mains serrant des Chasseurs de Séraphins noirs et blancs. À en juger par les cartouches vides à ses pieds, elle avait tiré six fois. Ses balles avaient réussi à effacer Asteri Ekrixis.

« Alshiera, » dit Zagan.

« Désolée, je suis en retard. »

Si celui qui était à l’intérieur de Nephteros en ce moment était Azazel, ce serait une rencontre fortuite entre Alshiera et son ennemi juré.

« Hélas, je vois que tu te mets une fois de plus en travers de mon chemin. Quelle vilaine enfant ! Quelle charmante enfant ! Mais c’est fini. Je ne te pardonnerai plus, » dit Nephteros en rétrécissant son regard.

« Tee hee hee. Dis ça après avoir réussi à me battre une fois, » dit Alshiera, provoquant son ennemi.

« Es-tu... Ashy ? » murmura le garçon appelé Asura, incrédule.

« Nous en parlerons plus tard. Voulez-vous me prêter main forte ? »

« Laisse-nous faire ! »

« Comme tu le veux. »

En entendant leurs réponses, Alshiera avait souri avec nostalgie.

« C’est notre première chasse au séraphin en mille ans. »

Tous les trois s’étaient mis en action simultanément. Une pluie de cristal se déversa à nouveau des huit ailes de « Nephteros ».

« Trop lent. »

Des sphères noires éclatèrent devant les huit ailes.

Elle les supprime au moment où le pouvoir se manifeste !

Zagan savait que cette fille pouvait dégainer les Chasseurs de Séraphins plus vite que n’importe quelle sorcellerie. C’était l’aboutissement d’un art construit sur un millier d’années de dévouement. « Nephteros » n’eut pas le temps de tirer un seul cristal qu’Asura et l’épéiste bondirent sur ses deux flancs.

« Et c’est… x

« Un chacun ! »

Le mana avait jailli du coude du gantelet du garçon, accélérant son poing avec une force massive. Son bras entier était devenu une flèche détachée, perçant l’une des ailes de la droite. De l’autre côté, le bretteur avait brandi son épée de lumière et avait coupé l’une des ailes de gauche. Les mouvements du garçon étaient bruyants, tandis que ceux de l’épéiste étaient calmes. Leur attaque en tandem avait réussi à détruire deux ailes.

« Tch ! »

« Nephteros » fit claquer sa langue et tomba en arrière. Saisissant cette opportunité, Alshiera laissa tomber les chargeurs vides de ses chasseurs de séraphins. Zagan se demandait comment elle allait faire avec ses deux mains occupées quand des chaînes noires sortirent de ses manches, tirant de nouveaux chargeurs de sa jupe. Les chaînes avaient ensuite rechargé ses armes.

Cela signifiait qu’elle allait enchaîner avec ses tirs rapides qui défiaient de loin la compréhension humaine. Son ennemi l’avait également compris. « Nephteros » flottait dans le ciel, décrivant un arc de cercle pour contourner Alshiera, mais les yeux de la vampire la suivaient parfaitement.

« Kee hee hee. Un fauve gâté comme toujours ! Tu devrais apprendre à garder tes distances ! » cria « Nephteros » avec mépris.

« Grâce à cela, tu ne t’es pas sentie seule ces mille dernières années, n’est-ce pas ? » répondit Alshiera, une pointe d’affection dans la voix.

« [Celui qui dirige le voyage vers la mort. Celui qui souffle sur les roseaux, et transmet la sagesse à l’homme.] »

« Nephteros » avait commencé à chanter les versets d’Algea Pathi. Il avait moins de force destructrice que l’Asteri Ekrixis, mais comme il s’agissait d’un bruit informe, il ne pouvait pas être bloqué. La barrière sonore avait masqué la silhouette de « Nephteros », et Alshiera avait tiré sans hésitation. Cependant, ses deux tirs étaient légèrement hors cible.

« Où penses-tu que tu visais ? »

Les deux balles étaient entrées en collision juste devant les yeux de « Nephteros ». Incapables de résister à la force de l’impact, les balles avaient émis un rugissement assourdissant et avaient éclaté. Même Algea Pathi n’avait pas pu résister au son, et des fissures s’étaient formées sur sa surface. Ce n’était pas assez pour percer complètement, mais c’était une ouverture suffisante pour les deux héros chasseurs de séraphins.

« Numéro deux ! » crient les deux hommes en brisant chacun une aile.

C’est ce qu’il voulait dire par viser les Ailes Hex ?

Zagan était stupéfait. Il pouvait voir que la puissance de « Nephteros » diminuait drastiquement avec chaque aile perdue. Avec seulement quatre ailes en moins, sa puissance était bien inférieure à la moitié de ce qu’elle était à l’origine. Néanmoins, sa puissance totale était encore énorme.

Est-ce ainsi qu’ils se sont battus il y a mille ans ?

Alshiera se rapprocha comme si elle était pressée de mettre fin au combat. Les tirs rapides d’Alshiera n’auraient aucun mal à briser les quatre ailes restantes maintenant que « Nephteros » était si gravement affaiblie. Enfin, c’était censé être le cas…

« S’il vous plaît. Sauvez-moi. Alshiera… » Nephteros déclara ça avec la voix actuelle de l’elfe.

Alshiera détourna son objectif par réflexe, pointant ses canons vers le ciel vide. Profitant de cette ouverture décisive, « Nephteros » enfonça son genou dans la taille d’Alshiera… juste à l’endroit de sa vieille blessure — celle qui sapait constamment sa durée de vie immortelle.

« G-Gah… ! » Alshiera avait gémit de douleur.

« N’approche pas si imprudemment, Ashy ! »

Asura avait attrapé Alshiera alors qu’elle était soufflée en arrière. Mais à ce moment-là, « Nephteros » s’était échappée du champ de tir effectif des chasseurs de séraphins. Alshiera tomba à genoux, ses armes toujours prêtes à l’emploi.

« Hee hee hee... Kee hee hee… Ha ha ha ha ! » Nephteros ricana. « Tu es devenue plutôt molle. Mon vieux fauve ne serait jamais tombé dans le panneau. »

Avec cela, Nephteros s’était envolée dans le ciel.

« Attends ! » Alshiera cria.

« Comme c’est mignon. Comme c’est adorable. Ma chère Ashy. Même en ayant perdu ton pouvoir, tu es une enfant si forte. Même avec ce corps, je suis désavantagé, » dit Nephteros avant d’afficher un sourire cauchemardesque. « Poursuis-moi comme tu veux. Jusqu’à ce que je détruise ce monde. Aaah ha ha ha ha ha ! »

Laissant ces derniers mots derrière lui, « Nephteros » disparu, emportant le corps de la précieuse belle-sœur de Zagan. Tant de choses lui avaient été volées ici, mais tout ce qu’il pouvait faire était de grincer des dents si fort qu’il avait l’impression qu’elles allaient se briser.

***

Épilogue

« Héhé, héhé, héhé… Zagan est vraiment sans pitié. »

Bifrons titubait dans une ruelle sale. Son bras droit était manquant. Il ne pouvait pas se permettre de perdre l’Emblème de l’Archidémon, alors il portait sa main droite coupée, mais elle ne pouvait pas être utilisée comme ça.

L’Archidémon jeta la main en l’air. Des fibres métalliques s’étendirent de son épaule et relièrent la main coupée à son moignon. Il avait utilisé la sorcellerie pour créer un bras artificiel improvisé, mais dès qu’il semblait stable, il retombait.

Le couper n’était pas suffisant pour le bloquer complètement, hein… ?

C’était un sort interdit que Zagan avait développé pour être capable de tuer les Archidémons. Bifrons avait échappé à la mort instantanée en se coupant immédiatement le bras, mais même maintenant, le Phosphore du Ciel rampait progressivement le long de leur corps à partir de la blessure ouverte. Il érodait tout ce qu’il touchait en un instant, si bien que Bifrons ne pouvait même pas attacher un bras artificiel à l’ouverture.

 

 

C’était une erreur d’affronter Alshiera juste avant leur affrontement. Sans cela, Bifrons n’aurait probablement pas souffert d’une blessure aussi profonde.

Non, Zagan est obstiné. Il ne laissera jamais quelqu’un s’en tirer à bon compte après avoir tué un de ses proches.

Bifrons aurait souffert d’une sorte de blessure de toute façon. En fait, prendre des précautions contre l’intervention d’Alshiera à l’avance aurait pu apporter le meilleur résultat possible. Bifrons pouvait tenir pendant quelques jours. Mais une fois que l’érosion aurait atteint son cœur, l’Archidémon allait mourir.

« Héhé. C’est donc un poison qui peut tuer même un Archidémon, hein… ? Tu as vraiment l’intention de tuer les treize Archidémons à toi tout seul, n’est-ce pas ? »

Ce pouvoir pouvait permettre à Zagan d’atteindre ses objectifs, mais Bifrons n’avait aucun moyen de l’apprendre. C’était frustrant, mais il n’avait aucun moyen de briser ce sort.

Mais… pas encore. Je ne peux pas encore mourir.

L’Archidémon se traîna sur le sol, poursuivant les traces de Nephteros. On pouvait aussi l’appeler Azazel maintenant, mais il préférait ne pas le faire. Bifrons ne pouvait pas se permettre de la perdre de vue. Il était pathétiquement essoufflé, se faisant dévorer lentement jusqu’à la mort, mais avait toujours un sourire tordu sur le visage. Tout se passait bien. Pas une seule chose n’avait été contre sa volonté. Même sa propre mort s’était déroulée exactement comme prévu.

« Oh… Je suppose qu’il y a une chose que je n’avais pas prévue. »

Quel était son nom déjà ? Dexia ?

Bifrons ne l’avait considérée que comme un des jouets de Shere Khan, mais elle était allée jusqu’à faire obstruction à Bifrons. C’était comme tomber sur un trésor qu’ils avaient enterré quelque part et oublié. Un monde où tout se déroule comme prévu est infiniment ennuyeux. C’est pourquoi les gens qui lui montraient des miracles inattendus étaient toujours aussi beaux.

Aah, je comprends maintenant. J’aime l’humanité.

Bifrons trouvait ces miracles si insupportablement beaux. C’est pourquoi il poussait les gens au plus profond du désespoir pour être témoin de ces miracles. Après trois cents longues années de sorcellerie, il avait enfin trouvé la réponse. C’est pourquoi Bifrons avait traîné son corps en ruine sur le sol. Il voulait être témoin de l’ultime miracle. Il voulait voir l’outil qu’il avait créé dépasser ses origines et provoquer un miracle.

Cet Archidémon était exceptionnellement mauvais, mais peut-être plus pur que n’importe quel autre. Et avec des pas instables, le sorcier qui ne pouvait pas être identifié comme un garçon ou une fille poursuivait sa poupée préférée.

« Tout le monde va-t-il bien ? On dirait qu’il y a eu une énorme explosion près de la ville, » marmonna Furcas en regardant la forêt depuis le château de Zagan.

Il était en train de lire un grimoire dans les archives, mais en sentant une présence anormale, il était sorti dans le couloir. Il ne voyait ni Lilith ni les autres, ce qui signifiait qu’il était temps de préparer le dîner. Si possible, Furcas voulait aider, mais s’il essayait d’entrer dans la cuisine, la fille sirène le regarderait avec un sourire effrayant, alors il n’avait pas osé.

Est-ce qu’elle me déteste peut-être ?

Furcas ne se souvenait pas d’avoir fait quoi que ce soit pour l’offenser. Il croisa les bras et réfléchit, tandis que Kimaris levait les yeux au ciel d’un air sévère.

« Est-ce que c’est... Azazel ? »

Kimaris prenait des nouvelles de Furcas dès qu’il en avait le temps. C’est pourquoi Furcas s’était attaché à lui.

C’est la première fois que je vois Kimry faire un visage aussi effrayant…

Il avait l’air plus anxieux que furieux. Furcas ne comprenait pas les subtilités de l’expression léonine, mais c’était ce qu’il ressentait. C’est pourquoi, bien que ne sachant pas vraiment ce qui se passait, il avait essayé de remonter le moral de Kimaris.

« Ça va aller. Zagan ne perdra certainement pas. Je suis sûr qu’il va protéger tout le monde. »

« Oui… Vous avez raison. »

Kimaris avait souri, mais son expression était encore trouble. Ne sachant pas quoi dire, Furcas s’agita.

« Je ne suis pas particulièrement inquiet pour Sire Zagan et ceux qui l’accompagnent, » dit Kimaris, voyant l’agitation du garçon. « Mais j’ai l’impression que Mlle Gremory est en retard… »

« Gremory est l’une des camarades de Zagan… non ? »

Furcas ne l’avait pas encore rencontrée, mais il avait entendu son nom mentionné plusieurs fois dans le contexte d’une personne en qui Zagan avait une grande confiance.

« Oui. C’est ma bienfaitrice. Elle est importante pour moi. »

« O-Oh ! »

Furcas s’était demandé ce que Kimaris voulait dire par là, mais avant qu’il ne puisse le demander, Kimaris lui avait adressé un sourire en coin.

« Elle est pour moi ce que Mlle Lilith est pour vous. »

« Alors, vous devez être inquiet ! » Furcas s’était exclamé, les yeux écarquillés de surprise. « Si seulement nous pouvions la contacter… »

Il était tellement ému aux larmes qu’il semblait presque que cela le concernait directement.

« Malgré son comportement, Mlle Gremory est une sorcière de talent, » dit Kimaris avec un sourire troublé. « Je suis loin d’être à son niveau. Alors vraiment, je suis sûre que tout ira bien. »

Furcas pouvait sentir une volonté d’acier derrière ces mots.

Aah, si les choses ne vont pas bien pour cette personne, il va les arranger tout seul.

Même un Archidémon ne serait pas capable de l’en empêcher. Il frissonnait à cette idée lorsqu’il sentit soudain quelqu’un derrière lui et se retourna.

« Hein ? Vous êtes… Mademoiselle… Alshiera, n’est-ce pas ? »

La jeune fille portant une poupée en peluche effrayante avait flâné dans les archives supposées vides.

« Oui. Bonne journée à toi, Furcas. Et à vous aussi, Kimaris. »

« Dois-je prendre congé ? » demanda Kimaris en s’inclinant d’un air de gentleman.

« Pas du tout. J’aurai fini dans un instant, » dit Alshiera en ouvrant grand les yeux de manière exagérée.

Sur ce, elle s’était tournée vers Furcas. En la regardant, il ressentait une grande tristesse pour une raison inconnue. Il était sûr qu’il était censé la connaître, mais ce n’était pas le cas. Alors qu’il essayait de se souvenir, elle leva un doigt.

« Furcas, penser au passé d’une autre femme alors que tu as déjà l’esprit fixé sur quelqu’un n’est pas sincère pour un gentleman. »

« Je ne voulais pas… »

Il grimaça à l’idée qu’elle devine exactement ce qu’il prépare.

« Tee hee. Laissons là les plaisanteries. En vérité, je dois prendre congé de cet endroit pendant un certain temps. »

« Hein ? Vas-tu quelque part ? »

« Oui. J’ai encouru la colère du Roi aux yeux d’argent. Je vais m’éloigner jusqu’à ce qu’il retrouve son calme. »

Le Roi aux yeux d’argent — Zagan — était un souverain compatissant, mais une fois furieux, il ne montrait aucune pitié. Furcas le savait bien.

« Hum, ça va aller ? » Il le lui avait demandé. « Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais je suis sûr qu’il te pardonnera si tu t’excuses. Si tu le souhaites, je peux t’accompagner. »

Il voulait la réconforter, mais elle s’était contentée de rire.

« Ah oui, c’est vrai. Avant de me séparer de toi, j’ai pensé te remettre ceci, » dit-elle en sortant l’arme appelée le Chasseur de Séraphins que Furcas avait utilisée dans ce rêve. « C’est le Chasseur de Séraphins Stern spécialisé dans le combat rapproché. Je pense que tu connais déjà le potentiel destructeur qu’il possède. Il ne contient que sept balles, alors fais attention à la façon dont tu les utilises. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? N’est-ce pas très important pour toi ? »

« J’ai toujours Mond, donc ça ira, » répondit Alshiera avec un sourire, montrant son Chasseur de Séraphins noir. « S’il te plaît, protège Lilith. »

Furcas était resté silencieux pendant un moment, puis il s’était frappé la poitrine et avait crié : « Ouais ! Laisse-moi faire ! »

En le voyant ainsi, Alshiera lui avait brossé affectueusement la tête.

« H-Hey ! »

Il avait haussé la voix en signe d’agitation, mais étrangement, il ne s’était pas senti mal même s’il était traité comme un enfant.

« Ne t’écarte pas du droit chemin cette fois, d’accord ? » avait-elle dit.

« Je ne comprends pas vraiment, mais d’accord. »

« Alors, adieu, » dit Alshiera avec un sourire soulagé. Une seconde plus tard, son corps se transforma en d’innombrables chauves-souris et disparut.

« Yo. As-tu fini ta course ? »

Asura attendait avec Bato près de la route principale, à une certaine distance de Kianoides, quand Alshiera s’était retransformée en fille.

« Ashy… Qu’est-il arrivé à ton corps ? » Asura avait demandé gravement.

« Beaucoup de choses se sont déroulées depuis ta mort, » répondit-elle avec un sourire ambigu.

« Désolé… Je n’ai pas pu tenir ma promesse, » dit-il en serrant son corps froid de vampire.

« Tu les as toujours poussés sur moi sans me demander. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour ça. »

Néanmoins, Alshiera avait vraiment été sauvée par ses promesses à l’époque. C’est pourquoi elle lui avait pardonné.

« Tu es vraiment Dame Alshiera… n’est-ce pas ? » demanda Bato, incrédule.

« Oui. La même que tu ne connais que trop bien, » avait-elle répondu.

L’épéiste lui avait ensuite présenté son épée hex.

« Qu’est-ce que cela signifie ? » avait-elle demandé.

« Je dois être jugé par toi. »

« H-Hey, Bato. Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Asura en s’agitant.

« À l’époque, c’est moi qui ai proposé à Marchosias que Zagan soit utilisé comme sacrifice, » murmura Bato.

Un silence douloureux s’était répandu autour d’eux. Même le vent s’était arrêté, comme si la nature avait oublié de respirer.

« Tu as appelé ce type tout à l’heure Zagan, hein ? » dit Asura, incapable de supporter le silence. « Qui est-ce ? »

Bato était resté silencieux, comme s’il ne pouvait rien dire. N’ayant pas d’autre choix, Alshiera avait répondu à sa place.

« Zagan est mon… »

Les yeux d’Asura s’étaient ouverts si grand qu’on aurait dit que ses globes oculaires allaient tomber.

« Hein ? Tu te moques de moi, n’est-ce pas… ? Ton… ? Waaah… ? »

Le garçon était tombé à genoux, les épaules affaissées, l’air plutôt pitoyable.

« Il est la preuve que je n’étais pas une femme malheureuse, » dit Alshiera en souriant. « Y a-t-il un besoin de se lamenter comme ça ? »

« Non, je veux dire… Haaah… C’est ma faute si je me suis levé et que je suis mort comme ça… »

Après avoir jeté un regard en coin à Asura qui marmonnait à lui-même pour faire le point sur ses sentiments, Alshiera se tourna vers Bato.

« Je sais tout ce que tu as fait. »

« Alors — ! »

« Alors ce n’est plus la peine de faire ça, » dit Alshiera en posant sa main sur son épaule. « Même si tu n’avais rien dit, Marchosias l’aurait fait. »

« Mais ça n’a toujours pas marché, n’est-ce pas ? N’est-ce pas pour ça que tu t’es retrouvée avec ce corps ? »

Alshiera baissa les yeux sur sa propre paume. Lors de la bataille qui avait eu lieu mille ans auparavant, le Roi aux yeux d’argent avait vraiment gagné, mais la guerre n’était pas terminée. Le monde avait été ruiné par la bataille avec les séraphins. Quelqu’un devait être sacrifié ou le monde aurait été détruit.

Marchosias a choisi de sacrifier cet enfant pour me protéger.

Les mille ans de vie de cet Archidémon étaient mille ans d’expiation. C’est pourquoi il avait protégé la lignée du Roi aux yeux d’argent et avait veillé sur Liucaon. Néanmoins, Alshiera avait fini par devenir un sacrifice, et tout était revenu à son point de départ. En pensant à tout cela, elle ne pouvait s’empêcher de sourire.

« Tu ne le sais probablement pas, mais il a continué à s’excuser auprès de moi pendant mille ans. Je suis honnêtement fatiguée d’entendre des excuses à ce point. »

Le défunt Archidémon Marchosias était mort de désespoir. Il ne méritait pas plus de condamnation de la part de quiconque.

« Alors comment puis-je expier ce que j’ai fait ? » demanda Bato.

« J’aimerais que l’anniversaire de cet enfant soit célébré, » dit Alshiera avec un sourire méchant.

« Que veux-tu dire… ? » demanda Bato, ses yeux bridés s’ouvrant à la confession soudaine.

« Son anniversaire approche à grands pas, dans seulement quatre jours. C’est pourquoi j’aimerais que son anniversaire soit célébré. C’est mon seul et unique souhait en ce moment, » avait-elle expliqué. Tout ce qu’elle avait fait était dans ce but. « Tant que tu travailles dans ce but, je ne peux rien demander de plus. »

Cela avait seulement laissé Bato avec une expression encore plus amer.

« Alors pourquoi t’es-tu séparée de lui comme ça ? » avait-il demandé.

Alshiera se souvint de ce qui s’était passé il y a quelques heures, lors de sa dernière conversation avec Zagan qui avait conduit à leur séparation.

« La prochaine fois, je la tuerai, » dit Alshiera après avoir perdu de vue « Nephteros ».

« Crois-tu que je vais permettre ça ? » demanda Zagan.

« Je ne sais pas… alors c’est ici que je dois vous dire adieu. »

Si Zagan avait voulu sauver Nephteros, alors il aurait mieux fait de tuer Alshiera sur le champ, mais il n’avait pas bougé. Ce n’était pas parce qu’il sentait un fossé de puissance entre eux.

Est-ce que j’hésite ?

Elle était restée dans son château pendant près de six mois et avait causé de nombreux problèmes. Mais malgré tout cela, seuls des souvenirs sans intérêt lui venaient à l’esprit lorsqu’il serrait le poing. L’avoir fait participer à la construction du grand bain, l’avoir vue de dos alors qu’elle allait et venait avec Foll, et par-dessus tout, ce sourire impuissant et solitaire qu’il avait soudainement remarqué qu’elle faisait maintenant. Profitant de son inaction, Alshiera avait disparu.

« Maudit soit-il… ! »

Nephteros avait été reprise par Azazel et avait disparu… et maintenant, Alshiera s’était volatilisée à sa poursuite. Stella et Ginias étaient en lambeaux. Il avait tout perdu alors que cela se passait sous ses propres yeux.

Non… pas tout.

Kuroka et Shax étaient indemnes, et Lisette et Dexia n’avaient pas été enlevées. Par-dessus tout…

« Patron, ça suffit. Le pire est passé pour Richard. »

Le cœur tissé de mana dans la poitrine de Richard battait. L’organe artificiel pompait du sang dans ses veines, et des respirations superficielles sortaient de sa bouche. Zagan donna un bon coup de poing à la tête de Richard.

« Patron… Il est blessé, alors lâche-lui la grappe… »

« Comme si ça m’intéressait. Tout est parti en vrille à cause de lui. »

S’il avait simplement abandonné cet homme, le résultat aurait peut-être été différent.

Mais peut-être que ce gars peut ramener Nephteros…

Si sa mort l’avait fait plonger dans le désespoir, alors il était aussi de son devoir de l’en sortir. Elle n’était pas encore complètement perdue.

Cependant, la situation s’aggravait dans un endroit complètement hors de la vue de Zagan.

« Quelle gaffe… ! » marmonna l’Enchanteresse Gremory, sa voix ne contenant rien de son habituel ton insouciant.

Il était de son devoir d’entraver le transport de l’énorme quantité de marchandises envoyées à Shere Khan. Ce n’était pas une tâche particulièrement difficile, puisqu’il lui suffisait de se débarrasser de la cargaison des wagons sur les voies de transport de l’Église sans se faire remarquer. Et pourtant, Gremory s’était retrouvée allongée dans une mare de son propre sang. Un seul homme se tenait devant elle. Il portait une armure en lambeaux. On pouvait se demander combien de pouvoir il restait en elle, mais c’était sans aucun doute une armure de l’Église. Ses yeux étaient creux. Ce qu’il regardait n’était même pas clair. Sa main droite portait un emblème familier sur son dos — l’Emblème de l’Archidémon. Gremory savait que les lettres à l’intérieur symbolisaient les poumons du Seigneur-Démon.

« Hak… »

Une douleur brûlante avait assailli sa poitrine. Elle ne pouvait pas du tout guérir la blessure. L’épée dans la main de l’homme avait été bénie par l’Église. Même si elle n’était pas aussi puissante qu’une épée sacrée, il était difficile de soigner les blessures qu’elle infligeait avec de la sorcellerie.

Elle savait qui c’était, même si elle l’avait repéré de loin. Elle avait fait en sorte de ne pas s’approcher, quoi qu’il arrive. Malgré cela, le temps qu’elle tourne les talons, elle avait déjà été abattue.

Je dois… informer… mon seigneur…

Gremory avait essayé de tisser sa sorcellerie, mais la dernière chose qu’elle avait vue, c’était le plus fort des archanges et des Archidémons levant son épée au-dessus de sa tête.

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Illustrations

Fin du tome.

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