
Genjitsushugisha no Oukokukaizouki – Tome 15
Table des matières
- Prologue : Un pays se lève
- Chapitre 1 : Le baby-boom du Royaume
- Chapitre 2 : La vérité à laquelle nous conduisent des événements qui se recoupent : Partie 1
- Chapitre 2 : La vérité à laquelle nous conduisent des événements qui se recoupent : Partie 2
- Chapitre 3 : Envoyé : Partie 1
- Chapitre 3 : Envoyé : Partie 2
- Chapitre 3 : Envoyé : Partie 3
- Chapitre 4 : La bataille de l’île Père : Partie 1
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Prologue : Un pays se lève
La grande bibliothèque de Parnam possédait la plus grande collection de livres du royaume de Friedonia. Ce monde disposait déjà de l’imprimerie et d’une certaine distribution de livres, mais en raison du faible taux d’alphabétisation, il n’avait jamais été question de créer des bibliothèques. Cependant, avec l’accent mis sur l’éducation depuis que Souma était monté sur le trône, six personnes sur dix étaient maintenant alphabétisées et il y avait déjà une demande pour des bibliothèques.
« Les livres sont la cristallisation du savoir de l’humanité. Il n’y en a jamais trop. »
Cela dit, Souma achetait ou empruntait tous les livres qu’il pouvait dans le pays et dans les pays étrangers avec lesquels il entretenait des relations, et en faisait faire des reproductions. Dans le monde d’où il venait, il y avait la légende de la bibliothèque d’Alexandrie, qui, disait-on, prenait les livres étrangers de tout voyageur visitant la ville et, après les avoir copiés, renvoyait la copie. Souma, bien sûr, ne faisait rien de si malveillant. Il avait rendu les originaux, comme il se doit.
Les livres collectés ne se limitaient pas à des sujets académiques ou techniques, mais comprenaient également des légendes et des fables pour enfants, et même des textes étranges contenant des connaissances obscures et absurdes. Tous ces ouvrages étaient copiés par les bibliothécaires et les chercheurs pour être conservés dans la grande bibliothèque. (Les textes magiques, cependant, en raison de la difficulté de leur manipulation, étaient plutôt envoyés à un département d’analyse spécialisé).
La politique de Souma, qui consistait à ne négliger aucun savoir ni aucune technologie, se manifestait ici aussi. Ces dernières années, il y avait eu une pénurie de bibliothécaires et de chercheurs, et même après avoir recruté des diplômés de l’Académie royale et de l’école professionnelle de Ginger, le travail ne manquait toujours pas. C’est le genre de travail que le bibliophile Hakuya, le Premier ministre à la robe noire, aurait préféré faire. Et s’il lui arrivait souvent de donner un coup de main pendant son temps libre, il n’y avait pas beaucoup de personnes ayant des goûts aussi curieux que les siens.
Cependant, l’année précédente, une femme au talent singulier était arrivée dans cette bibliothèque. Il s’agissait de la sœur aînée d’Ichiha, la troisième fille de la Maison Chima, Sami. Ayant perdu son père adoptif dans les luttes politiques de l’Union des Nations de l’Est, Sami, blessée émotionnellement, avait été recueillie par ce pays. Elle était une excellente mage et une lectrice passionnée, à tel point qu’elle partageait souvent des livres avec sa sœur Yomi lorsqu’elles étaient plus jeunes. Cependant, en grandissant, Yomi en vint à rechercher des connaissances très variées, tandis que Sami se concentra sur la comptabilité, les mathématiques et les sciences.
Lorsqu’il entendit cela de la bouche d’Ichiha, Souma déclara : « Plutôt que de rester enfermée dans le château, je suis sûr que Sami pourra mieux se distraire si elle est entourée de livres », et la sélectionna pour être bibliothécaire dans la grande bibliothèque.
Elle s’était avérée être le choix idéal.
Sami avait fait preuve d’un grand talent dans l’organisation des livres qui lui étaient confiés, et s’était également montrée excellente dans la gestion des textes magiques qui s’y trouvaient parfois mélangés. Cela lui avait permis de devenir rapidement une figure centrale de l’équipe de bibliothécaires. Quant à Sami, le fait de se trouver dans une bibliothèque calme et entourée de livres l’apaisait et elle s’attelait à ses tâches avec ardeur. Il faudra encore du temps avant que ses blessures ne guérissent, mais il semble qu’elle puisse sourire de plus en plus souvent.
— Vers le milieu du 1er mois de la 1550e année du calendrier continental.
Ce jour-là également, Sami rangeait les étagères. Une échelle était placée devant une étagère qui faisait près de deux fois sa taille, et elle s’y était assise, parlant à la personne qui se trouvait en dessous d’elle.
« Ichiha, passe-moi les volumes de cette anthologie de fables amidonniennes dans l’ordre. »
« Ok. » Ichiha chercha dans la pile de livres sur le sol pour trouver les tomes que Sami lui avait demandés. « Tiens, ma sœur. »
« Merci. »Sami rangea les livres dans les espaces libres.
Alors qu’il tendait les volumes à Sami, Ichiha la regardait de profil. La queue de cheval de Sami, attachée du côté opposé à celle de sa sœur jumelle aînée Yomi, tremblait. Son expression était paisible.
À l’époque du duché de Chima, Ichiha avait été tourmenté par ses grands frères musclés Nata et Gauche parce qu’il n’avait aucun talent. Comme Sami et Yomi détestaient ces frères et restaient loin d’eux, Ichiha n’avait pas eu beaucoup de contacts avec ses sœurs aînées.
La grande sœur Sami va-t-elle s’en sortir ?
Comme elle n’était pas du genre expressif, Ichiha n’arrivait pas à comprendre ce que Sami pouvait ressentir en ce moment. Il y pensait tellement que ses mains avaient cessé de bouger.
« Ichiha ? » Sami regarda Ichiha d’un air dubitatif.
« Ah, désolé. » Ichiha se dépêcha de lui passer le livre suivant. Sami l’accepta et le posa sur ses genoux.
« T’inquiètes-tu pour moi ? »
« Oh ! Hum… Oui… » répondit Ichiha, abandonnant l’idée d’essayer de le cacher. Sami sourit un peu.
« Tu es si gentil, Ichiha. »
« Mais ce n’est rien, nous sommes une famille. »
« Une famille… hein ? C’est étonnant de voir à quel point nous sommes devenus différents alors que nous venons tous des mêmes parents. »
Une ombre se dessina sur son visage, probablement parce qu’elle se souvenait de leur frère aîné, Hashim. Ichiha ne savait pas quoi dire, mais Sami secoua la tête, comme pour chasser les émotions qui montaient en elle.
« Hé, Ichiha. Aimes-tu vivre dans ce pays ? »
« Hein ? »
« Ce pays est tout simplement charmant. Il est paisible et les gens du château sont tous très joyeux. Ils me traitent même avec gentillesse et veillent à mon bien-être. Surtout toi. Tu viens tout le temps m’aider parce que tu t’inquiètes de mes sentiments… n’est-ce pas ? »
Sami avait raison. La raison pour laquelle Ichiha l’aidait était parce que Souma et Hakuya lui avaient dit qu’il serait mieux qu’il y ait quelqu’un aux côtés de Sami pour qu’elle ne soit pas laissée seule. En tant que femme intelligente, Sami l’avait remarqué.
« Es-tu déjà au service de Sire Souma ? »
« Oui, oui. Je ne suis encore qu’un étudiant, mais il m’a accepté en tant qu’assistant. »
« Je vois… Tu ne retourneras donc pas au nord. » Sami sourit légèrement. « Oui, c’est vrai. C’est mieux ainsi. Si tu retournais au nord, tu serais juste utilisée. »
« Utilisé… ? »
« Tu sais que Sire Souma a envoyé à Fuuga Haan l’Encyclopédie des monstres, n’est-ce pas ? Les dirigeants de l’Union des nations de l’Est ont tous été très frustrés lorsqu’ils ont découvert que tu en étais l’auteur. Personne, moi y compris, n’a jamais pensé que ton savoir vaudrait autant. »
Sami se glissa sur l’échelle, tapotant l’espace vide à côté d’elle. Ichiha accepta l’invitation, et elle passa son bras autour de son épaule, lui tapotant affectueusement la tête.
« Je suis sûre que si tu y retournais, ils t’accueilleraient à bras ouverts. Ils ne cesseraient de te féliciter, oubliant totalement l’attitude dédaigneuse qu’ils ont eue à ton égard auparavant. Tu ferais aussi fureur auprès des filles. Je suis sûre que tu serais submergé de demandes en mariage. Mais… de ton point de vue, il serait un peu trop tard, non ? »
« Oui, c’est vrai… » Ichiha soupira profondément. « J’aime ce pays, où je vis parmi ceux qui m’ont reconnu pour ce que j’étais. Le Duché de Chima a déjà disparu, je n’ai donc aucune raison d’y retourner. »
« C’est bien. Maintenant que les gens savent ce que vaut ton savoir, je vois mal Hashim Chima te laisser tranquille. Tu seras plus en sécurité sous la protection de Sire Souma. »
Sami ne cessait d’appeler leur frère non pas Grand Frère Hashim, mais son nom complet, Hashim Chima. Ichiha sentit que c’était intentionnel.
Jusqu’où va sa rancune ? Elle incluait évidemment Hashim, qui avait comploté le meurtre de son père adoptif, mais s’étendait-elle aussi à Fuuga, qui avait exécuté le plan ? Qu’en est-il de la femme de Fuuga, Mutsumi ? Qu’en est-il de sa sœur jumelle, Yomi, qui avait rejoint le camp de Fuuga ? Jusqu’à quel point lui en voulait-elle ?
« Grande sœur. Une de mes amies est… Um… »
« Je le sais. La petite sœur de Fuuga Haan, c’est ça ? »
« Ah — »
Ichiha avait essayé de choisir ses mots avec soin, mais Sami avait compris ce qui se passait.
« Est-ce qu’elle vit ici, au château ? Je ne l’ai pas encore rencontrée. »
« En veux-tu à Monsieur Fuuga, à la Grande Sœur Mutsumi… ? »
« Je suppose que… je ne peux pas dire le contraire », dit Sami avant de secouer la tête. « Mais celui à qui je ne peux vraiment pas pardonner, c’est Hashim Chima. Mis à part Fuuga Haan, qui a exécuté le plan qu’on lui avait donné, je n’ai aucune rancune envers Grande Sœur Mutsumi, qui a essayé de me sauver. Quant à Yuriga, qui n’est que la petite sœur de Fuuga Haan… Je n’ai aucun problème avec elle. Au contraire… »
« Au contraire… ? » répliqua Ichiha.
Sami laissa échapper un rire effacé. « La façon dont elle a été secouée par les caprices de son frère, je me sens une sorte de parenté avec elle. »
« Euh… » Ichiha ne savait pas quoi répondre à cela.
Alors qu’il peinait à trouver ses mots, Sami lui déclara : « Si tu dis qu’elle est ton amie, alors fais attention à elle. En tant que sœur d’un dirigeant qui a été confiée à la nation centrale de l’Alliance maritime, elle est facile à utiliser. En tant qu’otage, elle peut contribuer à faire baisser leur garde, et en l’abandonnant, ils peuvent te tendre un piège. Je vois mal Hashim Chima ne pas l’utiliser. »
« Je… vois. »
Il était certainement vrai qu’Hashim avait suggéré un tel plan. La question était de savoir si Fuuga l’utiliserait… et cela dépendrait probablement de la situation. En temps normal, Fuuga n’était pas si insensible. En fait, il était plutôt attentionné lorsqu’il s’agissait de sa famille. Mais en tant que descendant de l’époque, il n’était pas improbable qu’un jour il mette Yuriga de côté.
Sami rapprocha Ichiha, pressant sa tête contre la sienne. « Tout le monde ne se soucie pas des liens du sang. Essaie de garder cela à l’esprit. »
Ichiha acquiesça en silence.
Une autre personne écoutait silencieusement leur conversation, mais elle était partie comme pour s’enfuir.
◇ ◇ ◇
Toc, toc.
Alors que je me trouvais dans le bureau des affaires gouvernementales et que je m’occupais de paperasse avec Hakuya, comme je le faisais tous les jours, on frappa à la porte. Il était… encore un peu tôt pour notre pause de l’après-midi, mais quelqu’un devait être venu m’appeler.
« Entrez », avais-je dit vers la porte.
« Excusez-moi… » répondit Yuriga en entrant. Elle avait l’air mal à l’aise.
« Yuriga, qu’est-ce qui ne va pas ? »
« J’avais quelque chose à vous dire, à vous et à Monsieur Hakuya… Ah ! Si vous êtes occupé par votre travail, je peux revenir plus tard… » Yuriga semblait gênée et sans volonté d’aller plus loin.
Est-il difficile de discuter avec d’autres personnes ? Hmm… De toute façon, nous allions bientôt faire une pause, alors ça va.
Je m’étais raclé la gorge bruyamment et j’avais dit : « Je pense que nous allons prendre la récréation de l’après-midi plus tôt aujourd’hui. Tout le monde peut partir, sauf Hakuya. »
« » « Oui, monsieur ! » « »
Tous les autres bureaucrates travaillant dans le bureau s’inclinèrent et sortirent de la pièce à ma suggestion. Une fois Hakuya, Yuriga et moi-même laissés seuls (bien qu’il y ait des gardes devant la porte), je m’adressai à nouveau à Yuriga.
« Alors, de quoi vouliez-vous parler ? »
« Hum… J’ai entendu Ichiha et Sami parler dans la bibliothèque… »
« Oh… »
Sami, la sœur aînée d’Ichiha, résidait au château en tant que réfugiée de l’Union des nations de l’Est. D’après ce qu’Ichiha nous avait dit, Sami était une mage talentueuse, douée pour la comptabilité, et j’avais voulu la mettre au service de Roroa. Mais comme il s’agissait d’une invitée, et non d’un employé, je ne pouvais pas le faire. Si elle avait semblé vouloir offrir ses services à ce pays, je l’aurais recommandée au ministère des Finances, mais il était trop tôt. Les blessures n’étaient pas encore cicatrisées.
Pourtant, passer ses journées dans l’oisiveté serait déprimant. Elle aurait après tout tout le temps de s’inquiéter.
Après en avoir discuté avec Ichiha et Hakuya, j’avais décidé qu’il valait mieux lui donner quelque chose à faire pour qu’elle n’ait pas trop de temps pour réfléchir. Ichiha m’avait dit que Sami aimait lire, alors j’avais essayé de lui donner un travail de bibliothécaire dans la grande bibliothèque. Cela semblait avoir été assez efficace, car elle travaillait en silence, lisant à ses heures perdues. Comme si elle essayait de chasser ses souvenirs douloureux…
Ichiha allait souvent l’aider, pour qu’elle ne se sente pas seule. C’est sans doute ce que Yuriga avait découvert. Pour Yuriga, elle était la sœur cadette de l’homme qui avait tué le père adoptif de Sami, elle ne pouvait donc pas supporter de l’écouter.
Avec une expression calme sur le visage, j’avais dit à Yuriga : « Pour l’instant… Je préférerais ne pas l’agiter. Je sais que cela peut sembler contraignant, mais pourriez-vous rester à l’écart de la bibliothèque pour le moment ? »
« J’en sais quelque chose… ! » dit Yuriga en détournant les yeux.
Hakuya et moi avions échangé un regard momentané avant de dire, d’un ton consolateur, « Vous n’avez pas besoin de vous inquiéter outre mesure. D’après ce qu’Ichiha m’a dit, il semble que sa colère soit dirigée davantage contre leur frère aîné Hashim que contre Fuuga. Tant que vous ne faites rien de problématique pour la provoquer, elle ne vous en voudra probablement pas. »
« Je ne ferais pas ça… Je ne le ferai pas, mais… »
Voyant Yuriga se dégonfler de plus en plus, Hakuya poussa un soupir.
« Il semblerait que ce ne soit pas ce qu’elle voulait entendre. »
« Ah !? »
« Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » Avais-je demandé, et Hakuya avait haussé les épaules.
« Madame Yuriga était plus intéressée par des questions sur Sire Fuuga. »
« À propos de Fuuga, hein ? »
« Récemment, lorsque j’ai enseigné à Madame Yuriga, je l’ai vue adopter ce que je ne peux que supposer être une perspective différente de la sienne à l’occasion. Je pense que… »
« Cela suffit, Monsieur Hakuya… » Yuriga leva la main pour couper la parole à Hakuya. « Je dirai le reste moi-même. »
Levant le visage, Yuriga me regarda droit dans les yeux.
« Pour unifier l’Union des Nations de l’Est, mon frère a-t-il eu besoin de tromper et d’assassiner le père adoptif de Madame Sami… ? Je voulais connaître votre opinion à ce sujet, en tant que roi. »
« La tromperie et le meurtre étaient-ils justifiés ? »
Le regard de Yuriga était complètement concentré. Elle ne cherchait pas d’encouragements ou de platitudes… C’était une question sérieuse qui exigeait une réponse sérieuse. Je lui avais donc donné une réponse.
« Je ne sais pas. »
« Hein !? Je suis sérieuse… ! »
« Et je suis sérieux. Il n’y a aucun moyen d’être sûr du bon choix. Si je ne prends pas parti, c’est la seule réponse que je puisse donner. » Il est rare que l’on puisse trancher entre le bien et le mal, après tout. « Si j’étais Sami, je penserais que ce que Fuuga a fait est mal. Il est donc normal qu’elle le déteste pour cela. Mais s’il avait déclenché une guerre pour annexer tous les pays dont les dirigeants ne voulaient pas se soumettre à lui, il y aurait eu encore plus de morts. Dans les deux camps. »
Yuriga était restée silencieuse, alors j’avais continué.
« Si Fuuga avait envahi le pays de Sami, et que le père adoptif de Sami s’était rendu après une bataille et avait été épargné, le peuple aurait quand même été sacrifié. Si quelqu’un, ou plusieurs, meurent pour que d’autres puissent vivre… Il est impossible de dire avec certitude quelle était la bonne solution. Il se peut que les actions de Fuuga soient louées par les générations suivantes pour avoir minimisé le nombre de personnes sacrifiées. »
Les générations suivantes ne peuvent voir les choses qu’avec le recul, après tout. Elles ne peuvent que constater que tant de personnes sont mortes, ou que tant de personnes ne sont pas mortes. Surtout lorsqu’elles essaient de regarder les choses d’un point de vue neutre…
« D’ailleurs, j’ai fait quelque chose de semblable moi-même. Je n’ai pas le droit de jeter la pierre. »
« Hein ? Vous l’avez fait ? » Les yeux de Yuriga s’écarquillèrent. Elle semblait très surprise.
« Est-ce que j’ai l’air de ne pas pouvoir le faire ? »
« Oui… Vous n’avez pas l’air d’avoir ce genre d’ambition. »
« Ha ha ha… Elle a raison sur ce point. N’est-ce pas ? » dis-je à Hakuya, qui acquiesça.
« Pour stabiliser un régime politique, il faut parfois verser du sang, même si nous préférerions ne pas le faire », déclara Hakuya. « C’est dans le but d’éradiquer les sources de conflits futurs. »
« Mais si vous en faites trop, vous susciterez du ressentiment et vous finirez assez vite mal. Vous n’avez pas d’autre choix que de le faire, dans la limite du raisonnable. C’est le genre de devoir qu’assume un dirigeant. J’ai fait verser du sang et des larmes à beaucoup de gens pour en arriver là, et je suis sûr que certains doivent m’en vouloir pour cela… Aujourd’hui encore, il m’arrive de faire des cauchemars. »
« Oh… ? Vraiment ? » demande Hakuya, l’air surpris. J’avais acquiescé avec un sourire en coin.
« Il m’arrive de faire des rêves où Gaius VIII sort de sa tombe pour venir me tuer. »
La peur qu’il m’inspirait devait être gravée dans ma mémoire. Indépendamment de ce que l’homme lui-même aurait pu ressentir, il avait fait dans mes rêves ce dont j’avais le plus peur. Les cauchemars nous montrent les choses que nous ne voudrions pas voir. Ce n’est pas tout à fait le rêve du papillon, mais… Je me demande parfois si ce que je vois est vraiment la réalité.
Les nuits où je me réveille d’un tel rêve, j’enfouis mon visage contre la poitrine de la femme qui dort à côté de moi pour me calmer. Elles comprennent toujours et me serrent la tête, mais… Attendez, pourquoi est-ce que je parle de toutes ces choses embarrassantes ?
« Euh, de toute façon, je ne peux pas dire si ce qu’a fait Fuuga était bien ou mal. Nous ne pouvons que regarder les résultats de la décision qu’il a prise. »
« C’est vrai… »
« Désolé de ne pas avoir pu vous donner la réponse que vous attendiez. »
Yuriga était devenue très silencieuse. J’étais sûr qu’elle espérait que je lui dise que Fuuga n’avait pas tort, ou peut-être qu’il avait raison.
Si je lui disais qu’il n’avait pas tort, elle n’aurait pas à se sentir coupable de la rancœur mal orientée de Sami. Si je lui disais qu’il l’était, elle pourrait éprouver de la sympathie pour Sami et prendre en compte ses sentiments. Dans les deux cas, Yuriga n’aurait pas à se demander si les actions de Fuuga sont justes ou non, et se sentirait à l’aise. Mais ni Hakuya ni moi ne lui donnerons une réponse facile.
Cela aurait pu être dur pour une adolescente, mais elle deviendrait un jour une personnalité de premier plan au niveau national. S’attaquer à des problèmes insolubles est une chose qu’elle doit apprendre à faire.
Yuriga poussa un soupir. « Vous êtes plus durs que vous n’en avez l’air. Tous les deux. »
« Ha ha ha. Eh bien, nous sommes toujours heureux d’entendre vos plaintes. »
Hakuya ajouta : « Si je peux me permettre, Madame Yuriga, vous avez des amis fiables à l’école, alors vous feriez mieux de leur parler plutôt que d’intérioriser tout cela par vous-même. Bien sûr, vous êtes aussi toujours la bienvenue pour me parler. »
« Oui… Je vais le faire. »
Yuriga esquissa un petit sourire en entendant ce que nous avions dit.
☆☆☆
Chapitre 1 : Le baby-boom du Royaume
Wahhhhhhhh ! On entendait des pleurs au loin.
Si nous pouvions l’entendre à ce volume alors que nous étions apparemment si loin, c’est qu’il devait être incroyablement fort. Quand cette enfant s’était mise à pleurer, elle avait vraiment pleuré. J’étais dans le bureau des affaires gouvernementales et je m’occupais de la paperasse, mais je n’aurais jamais pu ignorer cette voix.
« Hey… Puis-je aller jeter un coup d’œil ? » Avais-je demandé à Hakuya, qui travaillait avec moi, et il poussa un soupir.
« Il y a déjà beaucoup d’autres personnes qui s’occupent d’elle, alors se joindre à elles ne servira à rien. Concentrez-vous sur votre travail. »
« Mais… elle pleure si fort. »
« La princesse Enju est déjà très bruyante. »
Les pleurs appartenaient à ma fille qui venait de naître et sa mère était Juna. C’était ma troisième, après Cian et Kazuha, mais c’était la première de Juna… et une fille en plus. Son nom était un mélange de celui de Juna et de celui de sa grand-mère Excel : Enju Souma.
C’était une jolie fille, qui ressemblait à Juna, mais avec des cheveux plus foncés, et sa voix forte était sans doute héritée de la Prima Lorelei. Elle pleurait suffisamment fort pour que, si nous avions vécu dans un quartier résidentiel dans mon ancien monde, nous ayons été dénoncés à la police pour maltraitance potentielle d’enfants.
Cela dit, en temps normal, elle ne pleurait pas tant que ça, seulement quand elle avait faim, voulait qu’on lui change sa couche ou avait sommeil. L’essentiel, en quelque sorte. Malgré cela, il était étonnamment facile de s’occuper d’elle. J’avais senti la filiation de Juna dans cette considération naturelle pour les autres.
« Si vous voulez aller les voir, finissez vite votre travail. Sire Julius prend un congé pour être auprès de sa femme qui va bientôt accoucher, alors nous n’avons pas assez de bras ici. »
« Roroa est aussi sur le point d’accoucher… »
« Je suis sûr qu’elle est plus que préparée. Vous avez déjà veillé à ce que tout soit en ordre, sire. Maintenant, s’il vous plaît, concentrez-vous sur votre travail. »
« D’accord… »
J’avais utilisé au maximum mon pouvoir de Poltergeist vivant pour trier la montagne de paperasse qui se trouvait devant moi.
La situation était instable avec le Royaume du Grand Tigre qui se déchaînait dans le nord, mais nous ne nous opposions pas publiquement à eux. Nous avions des alliances avec l’Empire, la République et l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, et nos relations avec eux étaient bonnes. Si l’on s’en tient au Royaume lui-même, les choses sont remarquablement stables et je pouvais me concentrer sur la politique intérieure.
De ce fait, il n’y avait pas eu de problèmes majeurs et les travaux s’étaient déroulés sans encombre.
En travaillant à un rythme encore plus élevé que d’habitude, j’avais atteint la chambre de Juna, trébuchant un peu à cause de la surcharge de mon énergie spirituelle. Juna était là, tenant Enju, ainsi que Liscia, qui les regardait chaleureusement.
Liscia m’avait regardé en posant son index sur ses lèvres. Cela signifiait : « Tais-toi ».
J’avais regardé la chaise à bascule où Juna était assise et j’avais vu qu’elle dormait aussi. La façon dont elle tenait Enju avec amour, les yeux fermés, était si divinement belle que j’avais voulu l’immortaliser sur une vidéo, une photo, et également demander à l’artiste de la cour de la peindre.
« Elle s’est juste endormie », déclara Liscia à voix basse quand je m’étais approché. « Juna s’est endormie avec elle. »
En baissant la voix pour ne pas les réveiller, j’avais demandé : « Bon travail. Comment vont Cian et Kazuha ? »
« Aisha et Roroa s’occupent d’eux dans la chambre d’enfant. Ils se sont mis à pleurer eux aussi en entendant les gémissements d’Enju. »
Cian et Kazuha pouvaient déjà se tenir debout en se redressant, et pouvaient se dandiner sur des pieds instables ou ramper étonnamment vite. Kazuha, en particulier, bougeait dans tous les sens si on la laissait faire, essayant même de quitter la pièce, si bien que nous ne pouvions pas la quitter des yeux. J’étais content qu’elle grandisse en bonne santé, mais c’était gênant qu’elle soit aussi garçon manqué que sa mère.
« Merci, Liscia. Pour ton soutien à Juna. »
« Elle était là pour moi, alors c’est le moins que je puisse faire. »
Sur ce, Liscia me donna une tape sur l’épaule et ajouta : « Bon, je vais vous laisser tous les trois seuls maintenant. Je dois aller voir Cian et Kazuha. »
Liscia essayait probablement de prendre en compte l’état mental de Juna après l’accouchement en prenant le temps de nous laisser seuls, Juna, Enju et moi.
« Merci, Liscia. »
« Hee hee, cela fait partie de mon travail en tant que première reine primaire. »
« Oh, j’y pense, tu ne l’as pas mentionnée, mais où est passée Naden ? » demandai-je en me souvenant.
« Oh… » Liscia acquiesce. « Naden est au domaine Magna aujourd’hui. Ils en ont un aussi, tu te souviens ? »
« Je vois… »
Cela me paraissait tout à fait logique.
◇ ◇ ◇
Un bébé dormait tranquillement dans son berceau. Lorsqu’elle vit que ses petites mains de bébé étaient formées en poings et que sa bouche était entrouverte, Naden ne put s’empêcher de dire : « C’est trop mignon. »
« Heh heh, je sais, n’est-ce pas ? » Ruby acquiesça, gonflant sa poitrine avec fierté.
« Attends, pourquoi es-tu si fière… ? » Naden la regarda d’un air dédaigneux.
C’était la maison des parents d’Halbert, le manoir de la Maison Magna. Le bébé avait des mèches de cheveux rouges et de minuscules oreilles de renard qui lui sortaient de la tête. C’était l’enfant né de Halbert et de Kaede. Et Ruby, la seconde épouse de la famille, l’aimait aussi.
« Elle est à Hal et Kaede. Cela fait d’elle pratiquement aussi la mienne. »
« Oui… Je sais ce que tu ressens. »
Naden aimait les enfants de Liscia et de Juna comme s’ils étaient les siens.
Les dragons étant l’une des races à longue durée de vie, ils n’étaient pas très fertiles. De plus, les dragons étant naturellement enclins à accorder une grande importance à la propagation de leur espèce, leur amour pour leur famille était intense. C’est pourquoi, même si les enfants étaient nés d’une autre femme, ils les adoraient tout de même.
« C’est un garçon, n’est-ce pas ? »
« Le premier fils tant attendu de la maison Magna. On l’appelle Bill. »
« Bill Magna… C’est plutôt cool. C’est un renard mystique, je vois. »
Halbert étant un humain et Kaede, une renarde mystique, leurs enfants pouvaient naître avec les traits d’un humain, d’un homme-bête ou d’un demi-homme-bête. Cependant, les traits caractéristiques de la race des renards mystiques n’étant que ceux des hommes bêtes (oreilles et queue), la seule différence était de savoir si le bébé avait ou non des oreilles et une queue de renard.
« C’est moi qui lui donne ses cheveux roux », ajouta Ruby.
« Il tient plutôt ça de son père. Si tu t’emportes et qu’il commence à t’appeler maman, Ruby, sa vraie mère va se fâcher… Très en colère. »
« Tu… parles d’expérience, hein ? »
« Ce n’était pas seulement moi. Nous l’avons fait toutes les quatre (sauf Liscia). »
« Que fait notre famille royale… ? » dit Ruby, consternée. Puis Bill commença à bouger ses mains et ses pieds dans son sommeil.
« « … » »
Elles sourirent toutes les deux et se remirent à regarder Bill.
« Les bébés sont vraiment géniaux, hein ? » déclara Ruby.
« Oui, c’est vrai », acquiesça Naden.
« J’en veux un. »
« Moi aussi. »
« Je vais devoir faire travailler Hal dur pour cela. »
« Souma aussi. »
« Si tu le regardes avec des yeux affamés comme ça, ton mari va être découragé, tu sais ? » dit Kaede, qui venait de rentrer, et qui était visiblement très étonnée par la façon dont elles parlaient toutes les deux. Elle leur avait fait surveiller Bill un moment pendant qu’elle allait chercher des vêtements de bébé.
Naden se racla bruyamment la gorge, peut-être par embarras. « Au fait, retournes-tu dans l’armée, Kaede ? Ou bien vas-tu rester ici, dans ton domaine ? »
Kaede sourit à la question de Naden.
« Voyons voir. Je pense que je reviendrai en tant qu’officier d’état-major lorsque Bill aura grandi. Sire Ludwin, le vice-commandant de la Force de défense nationale, et Julius sont tous deux au château, et Sa Majesté m’a dit que je pouvais laisser Bill dans la crèche là-bas. »
« Avec moi dans les parages, Hal peut se rendre à son poste de n’importe où, après tout », ajouta Ruby, en frappant d’une main sa poitrine, qui s’était considérablement développée au cours des dernières années.
Il est vrai qu’avec un dragon rouge, ils pouvaient rejoindre la Force de Défense Nationale depuis le domaine Magna, Parnam, ou n’importe où ailleurs.
Kaede gloussa. « Nous pouvons aussi faire confiance au père Glaive pour gérer le domaine en notre absence. »
« Alors vous deux et Bill allez vivre dans la capitale ? Son grand-père ne va-t-il pas se sentir seul ? »
« Oui, mais Mère lui tiendra compagnie… Je pense que Père viendra quand même régulièrement nous rendre visite à la capitale… » Le sourire de Kaede était un peu tendu en disant cela.
Le fait que le père s’occupe de sa famille et que la femme le tienne fermement sous sa coupe aurait pu faire partie du caractère national de ce pays.
C’est ce qu’avaient pensé Naden et Ruby en se souvenant de leurs propres maris.
◇ ◇ ◇
L’école professionnelle de Ginger possède une ferme expérimentale près de la capitale. Comme il était encore tôt dans l’année, rien n’avait encore été planté. Des objets s’agitaient cependant sur le sol légèrement enneigé. Ces « objets », à la peau ferme, mais molle, étaient les gelins qui avaient joué un rôle si actif en devenant des udon pendant la crise alimentaire. Mais il s’agissait de gelins roses, appelés familièrement gelins agricoles.
Poncho, le ministre de l’Agriculture et des forêts du Royaume, et Ginger, le directeur de l’école professionnelle, regardaient les gelins agricoles ramper autour d’un champ où l’on cultivait des tomates.
« Tu penses que ces gelins agricoles empêcheront les dégâts causés par la répétition de la même culture, oui ? » demanda Poncho et Ginger acquiesça.
« Oui. Ils seront un atout pour l’agriculture du Royaume. »
Si vous continuez à planter les mêmes cultures dans les mêmes champs, ce n’est pas bon pour le sol. Cela perturbe l’équilibre des nutriments, et les agents pathogènes et les insectes qui s’attaquent à ces cultures se propagent. Le premier problème pouvait être résolu à l’aide d’engrais et d’un nouveau sol, mais le second reste un problème. Dans l’ancien monde de Souma, les pathogènes et les insectes étaient éliminés grâce à l’utilisation de produits chimiques agricoles, mais ce genre de choses n’existait pas encore dans ce monde.
Ginger s’accroupit et posa sa main sur le sol.
« Grâce au microscope dont Sa Majesté a dirigé le développement et qui a prouvé les connaissances de la race des trois yeux, nous avons appris l’existence des bactéries et autres micro-organismes. Ainsi que le fait qu’ils peuvent causer des maladies. »
Poncho acquiesça.
« Sa Majesté a répandu des idées sur l’“assainissement” que seule la race à trois yeux connaissait jusqu’à présent. J’ai entendu dire que parce que nous avons appris à nous laver les mains et à nous nettoyer la bouche avec de l’eau potable, le nombre de personnes qui tombent malades a diminué, oui. Lorsque les sages-femmes ont commencé à se concentrer sur l’utilisation d’eau propre, le nombre de décès pendant l’accouchement a considérablement diminué, oui. J’ai des frissons en pensant à ce qui aurait pu se passer si Serina et Komain avaient accouché avant que nous ne sachions, oui. »
« Je suis du même avis. »
Poncho et Ginger poussèrent ensemble un soupir de soulagement.
Si leurs femmes avaient accouché à une époque où le taux de mortalité était élevé, ils auraient été très inquiets. Non, ils auraient peut-être joué aux dés avec la vie de leurs femmes et de leurs enfants sans même le savoir, et les chances étaient contre eux. L’idée est terrifiante.
Ginger secoua la tête pour chasser les pensées désagréables avant de changer de sujet. « Nous avons appris que les bactéries, les micro-organismes et les insectes sont à l’origine des problèmes liés à la monoculture. Et on savait que planter plusieurs fois les mêmes plantes au même endroit les faisait moins bien pousser, mais maintenant on a l’impression d’en comprendre enfin la raison. »
« C’est vrai. Les fermiers semblaient le comprendre instinctivement même s’ils n’en connaissaient pas la cause, oui. » Poncho acquiesça. « Ils le géraient en modifiant le sol, en laissant les champs en jachère ou en changeant les cultures, oui. »
Ce monde disposait d’un système de rotation des cultures tout comme l’ancien monde de Souma. Un exemple célèbre est le système des quatre champs de Norfolk, en Angleterre, qui faisait alterner le blé, les navets, l’orge et le trèfle. Cependant, la rotation des cultures nécessitait une surface de terre importante et des méthodes de récolte différentes chaque année. Il en va de même dans ce monde.
« Si nous pouvions cultiver les mêmes plantes dans de petits champs, cela nous permettrait de développer de meilleures techniques pour les cultiver. Nous pourrions produire du blé et du riz avec des rendements plus élevés, et des légumes plus résistants aux insectes et au froid, oui. »
« Tu as raison. Il y a beaucoup de bébés qui naissent en bonne santé dans le Royaume aujourd’hui. Nous pouvons nous attendre à ce que la population augmente. Et comme Fuuga Haan a repris les terres du domaine du Seigneur-Démon au nord, les gens commencent à y retourner. La demande de nourriture va encore augmenter. »
« Nous devons augmenter notre capacité de production alimentaire, oui. Et c’est à cela que servent les gelins agricoles. »
Ginger acquiesça en montrant du doigt les gelins agricoles.
Il s’agissait d’une sous-espèce de gelins connue sous le nom de gelins médical, que les membres de la race à trois yeux, comme le docteur Hilde, utilisaient pour produire leurs médicaments. Les gelins agricoles avaient été sélectionnés à partir des gelins médicaux, qui vivaient dans des endroits où les niveaux de toxines étaient élevés.
« Notre équipe de recherche agricole a travaillé avec la race aux trois yeux pour créer ces gelins, en les adaptant pour qu’elles se nourrissent des insectes en surnombre et des bactéries pathogènes présentes dans le sol. En combinaison avec l’engrais que l’Empire nous a appris à fabriquer, nous pouvons limiter les dégâts causés par la monoculture et réduire le temps de jachère des champs. »
Ces gelins agricoles avaient tué des bactéries et des insectes spécifiques, fonctionnant ainsi comme des produits chimiques agricoles, d’une certaine manière. Cependant, contrairement aux produits chimiques liquides, les gelins conservaient leur forme jusqu’à un certain point, de sorte que même lorsqu’elles avaient fini de ramper, il n’en restait plus aucune partie dans le sol. Bien qu’il s’agisse encore d’un projet expérimental, Souma espérait qu’il n’y aurait pas d’effet sur les personnes qui mangeront les produits finis.
« Tout cela semble bien, mais y a-t-il des inconvénients ? »
« Il serait facile de fabriquer un gelin qui mange tous les insectes et bactéries présents dans le sol, mais il serait beaucoup plus difficile de la faire manger uniquement des insectes et bactéries spécifiques. Les parasites et les bactéries qui se développent de manière incontrôlée varient également d’une culture à l’autre, de sorte que nous devons également fabriquer un gelin pour chaque type. »
« Hmm… cela semble prendre du temps, en effet. »
« Les seuls résultats que nous ayons obtenus jusqu’à présent sont le gelin pour les tomates et le gelin pour le blé, qui a été notre priorité absolue. »
Les gelins agricoles étaient encore à l’essai. Ils étaient indispensables pour les céréales, qui se conservaient facilement. Les gelins pour les autres cultures ne seraient introduits qu’après cela. C’était frustrant, mais ils devaient continuer à s’efforcer de réaliser leur rêve d’augmenter un jour leur capacité de production alimentaire à pas de géant.
Soudain, une voix se fit entendre au loin.
« Lord Gingeeer ! »
C’était la voix d’une femme qui faisait des signes du haut d’une colline toute proche. C’était la femme de Ginger, Sandria, la femme-bête raton laveur. Son ventre était lourd, elle était enceinte de neuf mois.
« Vous deux, c’est l’heure du déjeuner ! »
« D’accord, San ! » répondit Ginger en lui faisant un signe de la main. « Alors, allons-y, Sire Poncho. »
« Oui, oui. »
Ils se dirigèrent tous deux vers Sandria, qui était accompagnée de deux autres femmes. C’étaient les femmes de Poncho. Un drap était posé sur le sol et il y avait un panier de pain ainsi que des légumes, du fromage et du jambon pour faire des sandwichs.
Au milieu du drap, il y avait deux grands paniers contenant chacun un adorable petit bébé au visage rond, qui dormait profondément.
Poncho demanda à ses femmes : « Marin et Maron dorment-elles, oui ? »
« Oui, mon cher. Elles se sont endormies dès que nous avons fini de les allaiter », répondit Komain en souriant.
Marin et Maron étaient les filles que Serina et Komain avaient mises au monde presque en même temps. Comme elles étaient nées si près l’une de l’autre, ils avaient décidé de leur donner des noms à consonance similaire.
Elles se ressemblaient comme des jumelles, ayant toutes deux hérité du visage rond de Poncho, mais la fille de Komain, Maron, avait une peau légèrement plus rouge, de sorte qu’ils ne les confondaient jamais.
Serina passa une main sur sa joue et soupira. « C’est bien qu’elles mangent bien et qu’elles dorment bien, mais je crains qu’elles ne grandissent et ne soient bâties comme mon mari. »
« Oui ! Ça va aller, oui. Je pense qu’elles seront aussi belles que toi et Mme Komain. »
« Hee hee, c’est bon, Serina. Poncho était capable de perdre du poids quand il essayait. »
Komain gloussa, pensant peut-être au Poncho décharné d’il n’y a pas si longtemps. Serina gloussa elle aussi.
« Tu n’as pas tort. Il a déjà retrouvé sa forme initiale, alors pourquoi ne pas l’amincir à nouveau ? Hee hee, je pense que j’aimerais un garçon cette fois. »
« Oh, j’aimerais aussi un garçon, chéri. »
Alors que ses belles épouses se pressaient vers lui en souriant, Poncho sentit un frisson lui parcourir l’échine en se rappelant comment il avait perdu autant de poids auparavant.
Ginger et Sandria les regardèrent tous les trois avec un sourire en coin.
☆☆☆
Chapitre 2 : La vérité à laquelle nous conduisent des événements qui se recoupent
Partie 1
Avec un baby-boom inédit au Royaume de Friedonia, notre famille royale avait été aussi occupée que beaucoup d’autres à s’occuper de ses nouveau-nés.
Au milieu de cette période chargée, l’archevêque Souji Lester, chef du nouveau royaume indépendant de l’orthodoxie lunaire, et son bras droit, l’ancienne sainte Marie, avaient demandé à me rencontrer. Ils ont probablement des rapports à faire sur les candidats à la sainteté à qui nous avons accordé l’asile l’autre jour. C’est ce que je pensais, mais la demande portait également les noms de la Surscientifique Genia M. Arcs et de Merula Merlin, une haute elfe experte en magie d’enchantement.
Les deux chefs de l’équipe scientifique et technique du Royaume avaient demandé à rencontrer des personnes liées à la religion. J’avais toujours pensé que la religion et la science étaient comme l’huile et l’eau, ou qu’elles s’entendaient comme chien et chat. Est-ce que ça va aller ? Merula, en particulier, avait été considérée comme une sorcière hérétique dans l’orthodoxie lunaire jusqu’à récemment.
Curieux de savoir ce qui se passait, j’avais immédiatement pris rendez-vous.
Le lendemain de la demande, Hakuya, Souji, Mary, Genia, Merula et moi-même nous étions réunis dans une salle de conférence. Après quelques brèves formalités, Mary était allée droit au but.
« Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier pour votre aide concernant les candidates saintes. Le fait d’avoir un rôle dans la chorale les a aidés à s’intégrer dans la vie du Royaume. »
Près de cinquante candidats à la sainteté avaient demandé l’asile après une lutte politique dans l’État pontifical orthodoxe lunaire. Pour répondre à la demande de Marie de ne pas les séparer, j’avais constitué une chorale de gospel appelée le Chœur de Lunaria. Je voulais donner l’image de sœurs qui chantaient des chansons d’amour aux anges, mais comme elles avaient toutes été formées pour plaire à des personnes influentes, les candidates à la sainteté étaient toutes belles et douées pour le chant et la danse.
En fait, elles étaient tout à fait aptes à devenir des idoles. C’est pourquoi, bien qu’étant une chorale, elles avaient réussi à rassembler un public similaire à celui d’un groupe des Loreleis.
« J’ai entendu dire qu’elles étaient également populaires auprès de la population. Mais qu’entendez-vous par rôle ? » avais-je demandé.
Marie baissa les yeux, un air troublé sur le visage. « Les candidates saintes sont loyales envers les gentilshommes qu’elles servent, et on leur a appris que le service est leur devoir. J’étais pareille. Ce n’est qu’en servant quelqu’un, en étant utiles à quelqu’un, qu’elles trouvent leur place. Inversement, sans rôle à jouer, elles ne peuvent se sentir à leur place nulle part. »
« Est-ce que c’est… quelque chose dont nous devrions nous réjouir ? »
« Les candidates à la sainteté sont toutes d’anciennes orphelines. Elles savent instinctivement que si personne n’a besoin d’eux, on les laissera mourir dans un fossé. Je suis donc reconnaissante de leur situation actuelle », répondit Marie, un petit sourire se dessinant sur son visage.
J’étais soulagé, mais j’avais aussi l’impression d’avoir vu le côté obscur de l’orthodoxie lunaire. Si cela leur permettait de se sentir à l’aise, ce n’était pas à moi de dire quoi que ce soit.
« Tant qu’elles peuvent vivre en paix, ça me va. Après tout, le Chœur de Lunaria nous aide dans nos recherches sur les soins de zone. Et Souji est en train de nous trouver des mages de lumière qui veulent aussi devenir médecins, alors c’est un cas de “je vous gratte le dos, vous me grattez le mien”. »
« Eh bien, les gars de l’État papal orthodoxe n’apprécieront peut-être pas beaucoup », déclara Souji en croisant les bras avec un sourire en coin. « Évidemment, ils ne vont pas être contents des candidates à la sainteté, mais s’ils découvrent l’autre chose… »
« Veux-tu parler de ce qui passe avec Hilde… ? »
Il y a quelque temps, notre couple de médecins Hilde et Brad avait découvert un moyen de guérir les maladies par la magie de la lumière. En bref, cela signifiait qu’avec une connaissance suffisamment avancée de la médecine, il était possible de guérir des maladies par la magie.
Pendant tout ce temps, on avait cru qu’il était impossible de guérir de telles maladies par la magie, mais avec une connaissance approfondie du corps humain, ainsi que des parasites et des bactéries qui l’affligeaient et des dommages qu’ils causaient, c’était possible.
Brad était un homme qui ne pouvait pas utiliser la magie de lumière, mais qui maîtrisait la chirurgie afin de sauver des vies. Il travaillait souvent avec Hilde, qui possédait les connaissances médicales de la race aux trois yeux et pouvait utiliser la magie curative. Des liens étroits s’étaient ainsi tissés entre la médecine et la magie, qui avaient abouti à un niveau plus élevé de traitement médical magique.
C’était le genre de découverte qui allait changer l’histoire. Cependant… aussi merveilleuses que soient ces techniques, il était très difficile, politiquement, de les mettre en pratique.
Par exemple, parce que Hilde pouvait utiliser la magie pour guérir certaines maladies, l’État papal orthodoxe pourrait essayer de l’utiliser comme sainte, ou de l’éliminer. C’est parce que le pouvoir de l’Église était soutenu par la bénédiction de Dieu (ou du moins, c’est ainsi qu’ils l’appelaient), qui était le grand nombre de mages de lumière à leur service. De leur point de vue, si un mage de lumière plus grand que leurs propres mages de lumière apparaissait, ils devaient agir pour défendre leur autorité. Ils s’en prendraient certainement à Hilde.
Et c’est précisément la raison pour laquelle cette nouvelle technologie avait été tenue secrète de la plupart des peuples et de nos pays alliés jusqu’à ce qu’un nombre suffisant de praticiens de la médecine magique puisse être formé.
« Je te suis très reconnaissant, Souji, de nous avoir trouvé autant de mages de lumière. »
Souji croisa les bras et sourit à mes paroles de gratitude. « Jusqu’à présent, la magie de la lumière était considérée comme la bénédiction des dieux. C’est pourquoi de nombreux mages de lumière se sentent obligés de soigner les autres. De nombreuses personnes dépourvues de magie se sentent également impuissantes face à leur incapacité à soigner les malades. Ces personnes n’hésiteraient pas à étudier les techniques médicales. »
« Grâce à cela, nous avons pu augmenter régulièrement leur nombre, » dit Hakuya en s’inclinant.
Souji ayant trouvé des gens pour nous, le nombre de mages de lumière ayant étudié la médecine avec Brad augmentait. Nous voulions augmenter ce nombre pour que Hilde ne soit pas considérée comme spéciale. J’avais donc travaillé avec Hakuya pour transmettre l’information à nos alliés.
Quoi qu’il en soit, cela suffit pour l’instant. J’avais regardé Genia et Merula.
« Alors, pourquoi êtes-vous venus ici avec Marie et Souji ? J’ai l’impression que la science et la religion ne font pas bon ménage. »
« Ouais… Ça n’a pas l’air d’être vrai, vous savez ? Nous sommes ici pour échanger des idées. »
« Comment faire pour que les gens se sentent à l’aise dans la salle de bain ? »
« Laissez-moi vous expliquer », déclara Merula en levant la main pour intervenir. « Vous vous souvenez que je me suis introduite dans Yumuen, la sainte capitale de l’État papal orthodoxe, et que j’ai jeté un coup d’œil au Lunalith, n’est-ce pas ? C’est un monolithe conservé au plus profond de leur temple principal, et des oracles de Lunaria y apparaissent. »
« Ohh… C’est pour cela qu’ils vous poursuivaient en tant que sorcière hérétique, n’est-ce pas ? »
J’avais jeté un coup d’œil à Merula et elle affichait un air complexe. Elle avait dit qu’elle n’avait pas l’intention de semer la zizanie, mais il y avait sans doute des choses qui ne lui convenaient pas.
J’avais fait semblant de ne pas m’en apercevoir et j’avais fait avancer les choses.
« Vous avez vu du texte dessus, n’est-ce pas ? Attendez… »
Je m’étais levé de mon siège et je m’étais dirigé vers le bureau des affaires gouvernementales qui se trouvait à proximité. En fouillant dans mon bureau, j’en avais sorti un seul morceau de papier. De retour dans la salle de conférence, je l’avais posé sur la table pour que tout le monde puisse le voir. Il s’agissait d’une note sur laquelle figuraient les symboles que Merula disait avoir vus sur le Lunalith.
« C’est ce qui est écrit, n’est-ce pas ? »
« Oui. Et il semble que Madame Marie se souvienne d’encore plus de détails que moi. N’est-ce pas, Madame Marie ? »
« En effet… Je crois que les caractères ressemblaient à ceci… »
Marie se leva de son siège et dessina trois nouveaux caractères sous les symboles qui semblent faits de triangles, de carrés et de lignes.
« Qu’est-ce que c’est ? » J’avais crié, mes yeux s’étaient écarquillés quand j’avais vu ce qu’elle avait écrit.
« 如 律 令 »
Il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’un texte écrit dans mon univers.
« Ces caractères étaient-ils peut-être devant eux ? »
J’avais pris le stylo de Marie et j’avais écrit 急急 devant les trois autres caractères.
Cette fois, c’était au tour de Marie d’être surprise.
« Huh !? O-Oui. C’est bien cela. »
« Savez-vous ce que ces mots signifient dans l’État pontifical orthodoxe ? »
« Pas exactement… mais je sais qu’ils sont écrits avant les messages urgents. »
« Je vois… »
Kyuu kyuu nyo ritsuryou… Agissez avec diligence, conformément à la loi.
Il signifiait que quelque chose devait être fait de toute urgence. Cela provenait à l’origine d’anciens documents chinois, mais les Japonais le reconnaîtraient davantage comme la chose liée à l’onmyouji.
« Kyuu kyuu nyo ritsuryou. Ce sont des mots du monde d’où je viens. »
« Je m’en doutais… » dit Genia avec un rire complice. « Votre ancien monde est lié au nôtre d’une manière ou d’une autre. Cela a été suggéré à plusieurs reprises. La plupart de vos connaissances sont applicables aux nôtres, et vous avez pu avoir des enfants avec vos reines. Le nouveau domaine de la Monstrologie qu’Ichiha a créé a conduit à de nouvelles perspectives sur l’origine de l’homme, de l’animal, de la plante et du monstre. »
La théorie du donjon sur l’origine de la vie, hein ? C’était aussi une information que nous n’avions pas rendue publique, mais… Oui, elle n’a pas tort.
« À mon avis, il s’agit d’un phénomène qui fusionne la science et la religion, et qui relie nos mondes. Vous devez vous-même vous en rendre compte », poursuit Genia, d’un air inhabituellement sérieux. « Il est probable que nous vivions dans le futur de votre monde. Où il n’y avait pas de magie, mais où la science était plus développée, n’est-ce pas ? Dans ce cas, la magie et les miracles de ce monde pourraient être les produits de la science d’une époque postérieure à la vôtre. »
« Hm… »
« C’est dans cet esprit que j’aimerais vous interroger sur le fondement de la magie et des miracles de ce monde. La substance qui est à la base de tout cela. » Genia me regarda droit dans les yeux. « Qu’est-ce que le magicium ? »
La question m’avait fait sursauter.
Magicium. On disait que toute la magie était générée par le fonctionnement de cette substance. Mais ce n’était qu’une histoire de vieilles femmes. Personne ne l’avait vu de ses propres yeux, pas même la race aux trois yeux avec leur vision microscopique.
« Je vous l’ai dit, n’est-ce pas… ? Il n’y avait pas de magie dans mon monde. Évidemment, cela signifie qu’il n’y a pas non plus de magicium. Comment pourrais-je le savoir ? » Je répondis, troublé, mais Genia secoua silencieusement la tête.
« C’était probablement vrai à votre époque. Mais j’ai l’impression qu’il y a un grand écart entre l’époque d’où vous venez et aujourd’hui. Même si elle n’a pas pu être réalisée à votre époque, n’y avait-il pas une technologie qui semblait réalisable, ou qui pourrait l’être à l’avenir ? »
« Je ne sais pas trop quoi répondre à cela… »
« Il serait bon d’y réfléchir étape par étape », intervint Merula. « La magie du feu, de l’eau et du vent se manifeste à l’air libre, ou enveloppe les objets de ces éléments. Nous pourrions considérer que le magicium dans l’air ou à la surface des objets réagit à l’image mentale du lanceur de sorts. »
« Hmm… »
« Nous appelons l’autre magie la magie de la terre, mais elle modifie en fait le poids des choses. Elle peut manipuler le magicium dans le sol pour le faire monter, ou contrôler le poids des substances. »
« Il y a ma magie, qui fait des golems avec de la terre, et la vôtre… les Poltergeists vivants, c’est ça ? Cette magie qui vous permet de contrôler des marionnettes semble similaire. Mais dans votre cas, vous êtes capable de diviser votre conscience, donc c’est un peu spécial », déclara Genia en riant.
Après tout, la magie noire était la catégorie dans laquelle ils rangeaient toutes les magies qu’ils ne comprenaient pas.
Merula acquiesça. « On peut dire que ma magie d’enchantement est la même. En gravant un sort dans un objet, celui-ci réagit avec le magicium qu’il contient, ce qui a pour effet de rendre les armes et les armures plus résistantes. L’équipement laissé par le premier roi héros de ce pays et le corps d’armure magique de l’Empire en sont de bons exemples. »
Oh, oui, ce casque ridiculement dur (qui était juste dur, et ne faisait rien d’autre, donc je n’en avais pas eu l’utilité, sauf comme pièce de musée) et les piquiers lourds de l’Empire qui portaient une armure noire presque imperméable à la magie. Dans les deux cas, il s’agissait d’équipements auxquels des sorts étaient attachés et qui étaient renforcés par le magicium.
Ici, j’avais remarqué que Merula jetait un coup d’œil à Marie et à Souji.
« Et il y a la magie de lumière… Ce qu’on pourrait appeler la magie de guérison. »
Lorsque le nom de magie de lumière avait été prononcé, les sourcils des deux religieux présents dans la salle s’étaient froncés.
« On dit, » poursuit Merula, « Qu’un mage compétent peut même reconnecter un bras coupé. Jusqu’à présent, les mages ne soignaient que les blessures externes, mais certains d’entre eux ont découvert qu’ils pouvaient aussi traiter les maladies. »
« Avec des connaissances médicales, les mages de lumière peuvent guérir un certain nombre de maladies… »
« Exactement. Si nous réfléchissons au lien avec le magicium, nous devons conclure qu’il existe également à l’intérieur de notre corps. Dans le cas de blessures externes, nous pourrions supposer qu’elles sont dues au magicium présent dans l’air, mais cela ne fonctionne pas à l’intérieur du corps. »
Le magicium n’existe pas seulement dans l’air, mais aussi à l’intérieur des objets, et même dans le corps des créatures vivantes, hein ? Une substance à l’intérieur du corps qui combat les maladies… Pas des anticorps et le système immunitaire que nous avions déjà, mais quelque chose qui pourrait combattre la maladie par la volonté de quelque chose d’extérieur au corps. Hein… ? Serait-ce possible… ?
« Sire, avez-vous une idée de ce que cela pourrait être ? » demanda Genia, remarquant que j’avais pensé à quelque chose.
« Les nanomachines… »
« Nanomawhats ? »
« Des machines trop petites pour être vues à l’œil nu. Elles pourraient être injectées dans le corps pour enlever les parties malades, ou les traiter… Je crois ? »
« Je vois. C’est exactement ce que nous recherchons. »
« Non, non ! Ils n’ont pas été mis en œuvre ! Il s’agissait d’une technologie future potentielle… qui n’est encore que le produit de l’imagination des gens. »
« Sire… » Genia posa son index sur la table. « Cela pourrait très bien être ce futur, vous savez ? »
« Argh… » Elle n’avait pas tort.
Genia croisa les bras et grogna de manière pensive. « Des machines trop petites pour être vues, hein ? Si elles sont partout dans le monde, et dans nos corps, et qu’elles provoquent les phénomènes que nous connaissons sous le nom de magie, alors c’est fascinant. »
« Mais est-ce possible ? Fabriquer des machines si petites que même la race aux trois yeux ne peut les voir ? »
« Je ne sais pas si c’est lié, mais… l’une de vos femmes peut modifier considérablement sa masse corporelle, n’est-ce pas ? »
« Oh ! Veux-tu parler de Naden ? »
Il est vrai que la masse corporelle de la race des dragons changeait considérablement entre leur forme de dragon et leur forme humaine. Je crois que Dame Tiamat, qui était la Mère-Dragon, avait une forme encore plus grande qu’elle pouvait remplacer par celle d’une femme âgée. Toute leur race s’était contentée d’ignorer le principe de la conservation de la masse.
☆☆☆
Partie 2
« Peut-être que ceux qui ont créé le magicium pouvaient aussi contrôler librement la masse. Mais ce n’est qu’une hypothèse. »
« C’est vrai… »
« Mais si le magicium est constitué de petites machines artificielles, alors cela pourrait expliquer toutes sortes de choses intéressantes. Il y a des endroits dans ce monde où il est plus difficile ou plus facile d’utiliser la magie, non ? »
« Pour les endroits où c’est plus facile… Veux-tu parler de mon ancienne patrie, n’est-ce pas ? » dit Merula. Elle venait du Royaume des Esprits de Garlan. Les hauts elfes qui y vivaient exerçaient une puissante magie, et c’était l’une des raisons pour lesquelles ils se considéraient comme le peuple élu.
Cependant, si l’on en croit le fait que la magie de Merula s’était affaiblie après son départ, il semblerait que la terre soit simplement adaptée à la manifestation d’effets magiques plus puissants.
Genia acquiesça.
« Et pour un endroit où c’est plus difficile, il y a la mer. »
« Oh ! J’ai compris ! »
Pour une raison ou une autre, il était difficile d’utiliser autre chose que la magie de l’eau en mer. C’est pourquoi les armes à poudre, peu utilisées sur terre, avaient été développées par la marine et dans des endroits comme l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Si le magicium était une nanomachine, je comprenais pourquoi. L’eau salée était l’ennemi naturel des machines.
« Dans mon ancien monde, plus les machines étaient complexes, plus elles avaient des problèmes avec l’eau salée. Même celles qui étaient imperméabilisées ne pouvaient pas la supporter. »
« Hmm… Il y a peut-être différents types de magicium. Le magicium que les mages de l’eau contrôlent a été conçu pour fonctionner dans l’eau, alors peut-être qu’ils ont pris des contre-mesures. »
« C’est logique. »
Ils ne pouvaient utiliser que des nanomachines résistantes au sel et à l’eau, ou d’autres types de magicium dont l’utilisation était limitée, hein ?
« Quelle tête suis-je censée faire en écoutant tout cela ? » marmonna Marie, l’air troublé. « Ce n’est pas seulement l’orthodoxie lunaire, mais toutes les religions de ce monde croient que la magie est la bénédiction des dieux… Je l’ai aussi toujours cru. Si vous dites qu’elle a été créée par des gens… »
« Mais il y a une histoire similaire dans l’orthodoxie lunaire, n’est-ce pas ? » intervint Merula. « L’orthodoxie lunaire a été fondée lorsque le peuple de la lune, les lunariens, sont descendus sur ce monde et ont apporté le Lunalith. Si les lunariens ont construit le Lunalith, ne pourrait-on pas supposer que le magicium a été construit par un groupe similaire… ou même exactement le même ? »
« Alors, le magicium est peut-être encore un don des dieux, non… ? » Marie jeta un coup d’œil dans ma direction. « Dans ce cas, Sire Souma, qui a vécu avant l’âge des dieux, deviendrait-il un objet de culte pour nous ? »
« S’il vous plaît, non… »
J’avais déjà failli être écrasé sous le poids de titres comme « ro » et « héros ». S’ils ajoutaient « dieu vivant » à la pile, ce serait plus qu’un problème, ce serait un désastre. L’État pontifical orthodoxe, qui s’était rangé du côté du Royaume du Grand Tigre de Fuuga, s’y opposerait, et même mes propres alliés, comme Maria, diraient : « Attendez, vous vous déifiez vous-même maintenant ? »
Cela ne pouvait qu’avoir une mauvaise influence sur mes femmes et nos enfants.
« Nous en sommes encore à spéculer sur les origines du magicium. Même si cela devient un fait établi, l’époque à laquelle j’ai vécu et l’époque à laquelle ils auraient fabriqué le magicium pourraient être très éloignées l’une de l’autre. Si vous voulez vénérer les gens qui l’ont fabriqué, allez-y, mais laissez-moi en dehors de ça, s’il vous plaît. »
« Je vois…, » Marie recula, l’air un peu déçu.
Puis Genia frappa dans ses mains comme pour dissiper l’atmosphère pesante qui s’était installée dans la pièce.
« Il y a encore une chose importante à prendre en compte à propos du magicium. »
« Encore… ? »
J’en avais assez et je commençais à avoir mal à la tête.
« Juste une dernière chose », dit Genia en riant. « Le minerai maudit. »
« Ces maudits rochers… ? » Les sourcils de Marie se froncèrent de suspicion.
Comme on ne pouvait pas utiliser la magie à proximité de ce minerai, il était détesté par les mineurs qui utilisaient la magie pour exploiter les mines. Quant aux religieux qui considéraient la magie comme la bénédiction des dieux, ils pensaient qu’il s’agissait du minerai du diable parce qu’il rejetait la magie. Cependant, les recherches de la Maison Maxwell avaient démontré qu’il stockait en fait l’énergie de la magie. Depuis, notre pays l’avait utilisé pour produire l’hélice du Little Susumu Mark V et pour alimenter la foreuse.
Genia avait sorti une masse noire de la poche de sa blouse et l’avait fait rouler sans cérémonie sur la table.
« C’est un cristal de minerai maudit, hein ? »
Genia acquiesça. Les yeux de Marie et de Souji s’étaient rétrécis.
Ne prêtant aucune attention à ces deux personnes, Genia poursuivit : « Ma famille étudie le minerai maudit depuis de longues années. On peut dire que notre découverte de sa capacité à voler et à stocker le pouvoir de la magie est le résultat d’une recherche intergénérationnelle. Pendant tout le temps que nous avons passé à l’étudier, j’ai eu un doute constant : si la magie était le résultat du magicium, qu’est-ce qu’est exactement le minerai maudit ? »
Personne n’ayant répondu à sa question, Genia précisa sa pensée.
« J’ai eu une vague idée. Peut-être que le minerai maudit qui était capable de voler le pouvoir de la magie était lui-même, en fait, du magicium. »
« « « Quoi !? » » »
Le minerai maudit est du magicium… En d’autres termes, une masse de nanomachines ? Au moment où j’avais pensé cela, une théorie avait commencé à se mettre en place, comme les pièces d’un puzzle.
Si les magicium étaient des nanomachines, ils auraient besoin d’énergie. Solaire, éolienne, géothermique… Honnêtement, dans ce cas, n’importe quelle source, même celles dont je ne sais rien, ferait l’affaire. S’il s’agissait de machines, elles devaient être dotées d’un mécanisme de recharge. C’est important pour éviter qu’elles ne cessent soudainement de fonctionner en raison d’une incapacité à absorber de l’énergie.
Si les nanomachines qui avaient terminé leur travail s’accumulaient sur le sol et qu’il ne leur restait plus que le mécanisme de charge, elles pouvaient devenir comme du minerai maudit.
Comment cela peut-il être… ? J’étais sûr que seul quelqu’un comme moi, avec ses connaissances du passé, aurait pu élaborer une telle théorie.
Son explication n’allait pas faire tilt pour qui que ce soit d’autre ici. Pourtant, Genia, ou plutôt la Maison Maxwell, était parvenue à une conclusion similaire. C’était effrayant. J’étais vraiment content qu’ils fassent partie de mon pays.
Genia m’avait regardé.
« Ces nanomachines dont vous nous avez parlé sont fascinantes. J’ai l’impression que l’on s’apprête à faire de grands bonds en avant dans l’étude de la magie et du minerai de malédiction. Pourrais-je vous demander de m’expliquer plus en détail ultérieurement ? »
« Oui, ça m’a intéressé aussi. Je vais probablement vous demander de vous concentrer sur ce sujet à l’avenir. Le pays apportera son soutien, bien sûr. »
« Je vous en serai reconnaissante. Cela m’évitera de faire trop de dégâts au portefeuille et à l’estomac de Grand Frère Luu. »
Genia avait souri lorsque j’avais promis de soutenir ses recherches.
Pourtant, les magiciums sont des nanomachines, hein… ? Je ne sais pas. J’avais l’impression qu’après cette journée, beaucoup de choses allaient commencer à bouger.
◇ ◇ ◇
Quelques jours après avoir eu un vague aperçu de la véritable nature du magicium, et par extension de ce monde, Yuriga était venue me rendre visite alors que je travaillais au bureau des affaires gouvernementales avec le Premier ministre Hakuya et Liscia.
« Monsieur Souma, Monsieur Hakuya, j’ai une lettre pour Monsieur Souma de la part de mon frère. »
« De Fuuga ? »
« Oui. Il ne s’agit pas de l’habituelle mise à jour sur la façon dont les choses se sont déroulées dernièrement, mais d’une lettre officielle du roi Fuuga Haan du Royaume du Grand Tigre de Haan à Souma A. Elfrieden, chef de l’Alliance maritime. »
J’avais pensé qu’il s’agissait d’une lettre d’un homme au titre important à un autre homme au titre important.
En réalité, seul Kuu, le chef de la République, qui n’avait pas de véritable marine, et la reine dragon à neuf têtes Shabon, qui se sentait redevable envers moi suite à l’incident avec Ooyamizuchi, m’avaient autorisé à m’appeler chef de l’Alliance maritime. Une fois que les choses se seront un peu calmées, je m’étais dit que nous pourrions faire en sorte que le poste de chef de l’alliance soit renouvelable.
Pourtant, en entendant qu’il s’agissait d’une lettre officielle, les expressions de Liscia et d’Hakuya devinrent un peu dures. J’avais probablement eu la même réaction. Qu’est-ce qu’il va nous dire exactement… ?
« Sais-tu ce qu’il dit, Yuriga ? » demanda Liscia et Yuriga fit un signe de tête affirmatif.
« Oui. Je ne pense pas que ce soit une demande trop difficile… »
« Tu ne penses pas ? »
« Quoi qu’il en soit, lisons-la et voyons ce qu’il en est », dis-je en acceptant la lettre de Yuriga et en la parcourant.
Si je devais résumer le contenu, je dirais qu’il se présente comme suit :
Hey Souma,
Comment allez-vous, vous et Yuriga ?
Nous progressons bien dans la libération du domaine du Seigneur-Démon. Je suis vos conseils et je ne vais pas trop au nord, mais plutôt à l’ouest, dans les régions proches des nations humaines.
J’ai maintenant la mer occidentale en ligne de mire. Malmkhitan est sur la mer orientale, j’ai donc presque traversé le continent. Les terres que nous avons libérées ressemblent encore à un tas de villes éparpillées, reliées par une ligne, mais comme notre marche à travers le continent touche à sa fin, les hommes ont le moral au beau fixe.
Je pense que je vais opter pour la côte ouest, même si cela implique de nous pousser un peu trop loin.
Alors, voici le marché. Je veux demander à l’Alliance maritime de nous approvisionner. J’aimerais que vous transportiez du matériel de mon pays et de tous les autres pays jusqu’à la côte ouest. Le matériel devrait déjà être préparé chez nous. Pourriez-vous les transporter à travers la mer pour nous ? Après tout, c’est vous qui dominez les mers.
Si vous parlez à l’Union de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes et à l’Empire, vous devriez pouvoir livrer le matériel sans problème, n’est-ce pas ?
Si vous pouviez ajouter un petit quelque chose de plus de la part de l’Alliance maritime pendant que vous y êtes, ce serait formidable.
Après l’avoir montré à Liscia et Hakuya, j’avais enfoncé mes doigts dans mes tempes et j’avais gémi.
« Il le dit comme, “Hey, mec, c’est l’été, allons à la plage…” »
« Il est si innocent…, » dit Liscia. « Et je veux dire cela à la fois de manière positive et négative. »
« Hmm… Je m’excuse pour mon frère, » déclara Yuriga en s’excusant, tandis que Liscia et moi poussions un soupir commun. Il semblait que Yuriga avait ressenti la même chose et qu’elle était troublée en tant que messager.
Hakuya porta la main à sa bouche en lisant la lettre.
« Abstraction faite du contenu… En tant que politique générale, ce n’est pas mal. »
« Que voulez-vous dire ? »
« Sire Fuuga rassemble les gens grâce à son charisme rare. Et pour les garder ensemble, il a besoin de résultats qui confirment ce charisme. “Traverser le domaine du Seigneur-Démon” doit être l’une des meilleures réalisations qu’il puisse demander à cet égard. Et tant qu’il s’occupe de cet aspect, nous ne pouvons pas nous permettre de le refuser. »
« Je préfère ne pas être déclaré ennemi de l’humanité, oui… »
Les habitants de ce continent souhaitaient ardemment récupérer le domaine du Seigneur-Démon. C’était un problème que ceux qui avaient été chassés de leurs terres — ou qui risquaient de l’être — avaient toujours à l’esprit. À l’heure actuelle, la seule nation qui semblait être aux prises avec ce problème était le Royaume du Grand Tigre.
L’Empire et nous-mêmes travaillions en coulisses pour préparer le jour où il faudrait s’en occuper, mais personne ne pouvait s’en rendre compte. Si nous nous mettions en travers du chemin de Fuuga ou si nous refusions de l’aider, nous nous attirerions l’inimitié d’un grand nombre de personnes. Fuuga avait-il demandé cela en connaissance de cause ? Il nous avait même demandé d’ajouter un petit quelque chose.
« Il a même préparé une compensation appropriée pour nous… hein ? Toutes les bases sont couvertes. »
À la fin de la lettre, Fuuga avait écrit : « En échange de la livraison des fournitures, nous donnerons au Royaume une ville portuaire sur la côte ouest. » Il avait probablement consulté l’accord d’échange de bases navales que nous avions signé avec l’Union de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes après avoir tué Ooyamizuchi et avait pensé qu’un port serait un bon appât pour nous.
Le Royaume du Grand Tigre de Haan disposait de forces terrestres considérables, mais presque rien en mer. La côte ouest serait proche du territoire de l’Empire, et s’ils envoyaient leur flotte, il serait difficile pour Fuuga de tenir la côte. L’Empire était lui aussi principalement une puissance terrestre, mais il possédait tout de même une marine digne de ce nom par rapport au Royaume du Grand Tigre.
C’est pourquoi Fuuga voulait faire entrer l’Alliance maritime dans le port, afin de garder l’Empire sous contrôle.
Parce qu’il était loin de notre patrie, il nous considérait comme une menace moins importante que l’Empire. Derrière la formulation décontractée du message se cachait sans aucun doute un plan soigneusement élaboré par Hashim.
« Eh bien… nous n’avons probablement pas d’autre choix que d’aider », avais-je dit en posant ma tête sur la paume de ma main.
« Je crois que c’est acceptable », approuva Hakuya en hochant la tête.
Le fait est que nous voulions un port sur la côte ouest. J’avais prévu de signer un accord d’échange de ports navals du même type avec la République et l’Empire. Mais comme la signature d’un tel accord aurait révélé nos liens étroits avec l’Empire, cela n’aurait pas été une bonne idée pour l’instant. J’étais plus qu’heureux d’avoir un port sur la côte ouest en dehors de l’Empire. Cependant, je n’allais pas dire cela avec Yuriga ici.
« Dites à Excel de préparer une flotte de transport. Elle peut choisir le nombre de vaisseaux et ceux qu’elle veut envoyer. Ajoutez également des rations supplémentaires en guise de bonus pour eux. »
« J’ai compris. » Hakuya s’était incliné et avait quitté la pièce. Après son départ, j’avais regardé Yuriga.
« Tu as entendu ce qu’il en est, Yuriga. Envoie à Fuuga une réponse à cet effet. »
« Merci, Sire Souma », dit Yuriga, l’air soulagé.
Pourtant… J’avais l’impression que cette demande m’avait été adressée parce que j’étais devenu le chef de la Maritime Alliance, me plaçant au même niveau que Maria et sa déclaration de l’humanité ou Fuuga et son Royaume du Grand Tigre.
Il se peut que je reçoive d’autres demandes de ce genre à l’avenir… Lorsque cette pensée m’était venue à l’esprit, j’avais poussé un soupir.
Et mon pressentiment s’était rapidement avéré exact.
☆☆☆
Chapitre 3 : Envoyé
Partie 1
Aujourd’hui, j’avais tenu une conférence de radiodiffusion dans la salle du Joyau de Diffusion de la Voix. Il n’y avait que moi dans la pièce. Je n’avais pas fait sortir tout le monde au nom du secret. C’était plutôt le contraire. Tout ce que nous avions prévu pour aujourd’hui, c’était des plaisanteries, alors j’avais décidé que j’étais le seul à devoir me donner la peine d’être ici.
J’avais parlé aux deux personnes projetées sur les simples récepteurs en face de moi.
« Cela fait un moment… Ou peut-être devrais-je dire “Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus”. Sire Kuu, chef de la République. Madame Shabon, la reine du dragon à neuf têtes. »
« Ookyakya ! Cela ne fait pas si longtemps que nous nous sommes vus », déclara Kuu en riant de l’autre côté du simple récepteur.
Aujourd’hui, j’avais rencontré Kuu, qui venait de prendre sa place à la tête de la République, et Shabon, qui était désormais la reine du dragon à neuf têtes.
« D’ailleurs, ce n’est pas une réunion publique, n’est-ce pas ? Ne peut-on pas parler comme d’habitude ? Même si tu es le roi de Friedonia et que je suis le chef de la République, mon frère. »
« Oui, mais tu aimerais faire les choses correctement du premier coup, n’est-ce pas ? »
« Quel est l’intérêt de prendre des airs avec toi maintenant, mon frère ? Je me sens démangé rien que d’y penser. »
« Hee hee, je vois que vous êtes assez proches, » dit Shabon en souriant à l’échange entre Kuu et moi. « J’aimerais aussi devenir une amie proche de vous deux. N’hésitez pas à parler de façon informelle. Cela ne me dérange pas. »
« Ookya ? Tu parles de façon très formelle pour quelqu’un qui dit ça, mademoiselle. »
« C’est ainsi que je parle toujours. Il est difficile de changer quelque chose comme cela une fois que c’est devenu si ancré dans votre personnalité. »
« Kyakya ! Et comme ça ? »
Kuu et Shabon discutaient agréablement. Ils m’avaient semblé très amicaux.
Je me raclai la gorge bruyamment, décidant de reprendre les choses en main.
« Eh bien… C’est bon de vous revoir tous les deux. Vous allez bien ? »
« Bien sûr ! »
« Oui. Les choses vont-elles toujours aussi bien pour vous, Sire Souma ? »
« Ahh… Eh bien, rien n’a beaucoup changé à part l’ajout de quelques nouveaux membres à la famille. »
« Oh ! Félicitations, mon frère. »
« Félicitations. »
« Ha ha ha… Merci. » Je me grattais maladroitement la joue en les remerciant. « Maintenant que vous avez tous les deux hérité de vos propres pays, il doit y avoir des gens qui vous harcèlent pour que vous vous y mettiez, n’est-ce pas ? »
« B-Bien… Oui. »
« Eh, je me dis que je m’y mettrai sérieusement après le mariage. »
Shabon et Kuu étaient tous deux gênés par le sujet.
C’était surprenant. Shabon était une chose, mais je m’attendais à ce que Kuu soit très enthousiaste. Taru et Leporina étaient toutes deux amoureuses de lui, alors il ne les aurait probablement pas repoussées si elles avaient fait un geste. Il était étonnamment innocent de sa part d’attendre jusqu’après le mariage, mais je pouvais respecter cela.
« D-Dans tous les cas, c’est assez de bavardages personnels, » Kuu nous avait ramenés avec un peu de force sur le sujet. Il semblait embarrassé. « C’est censé être une conférence sérieuse pour l’Alliance maritime. »
« Oui, je suppose que c’est le cas… »
Le Royaume de Friedonia, la République de Turgis et l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Ces trois nations formaient l’Alliance maritime. C’était la première fois qu’elles tenaient toutes les trois une conférence, même si elle était radiodiffusée. C’était la troisième faction, comparable en puissance à la Déclaration de l’Humanité de l’Empire du Gran Chaos, ou au Royaume du Grand Tigre de Haan de Fuuga, qui se développait rapidement. En mer, on pouvait dire que nous étions l’entité la plus puissante.
D’ailleurs, la République, où les mers étaient prises dans les glaces pendant l’hiver, participait principalement en tant que fabricant de pièces détachées et d’autres supports industriels. Mais Kuu m’avait dit qu’il voulait utiliser la foreuse que nous avions mise au point pour construire un jour une flotte de brise-glaces. C’était une déviation de la politique de la République par rapport à son objectif de longue date d’un port en eaux chaudes, et un signe que les choses étaient en train de changer là-bas. Si cela devenait une réalité, nous aurions accès à l’Empire via la République même en hiver, et je voulais donc soutenir ce projet. Il était également possible de passer par l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, mais il n’y avait jamais trop de routes commerciales.
« Et vous, Shabon ? Avez-vous réussi à réunir les chefs d’île ? »
Shabon sourit à cette question.
« Grâce à votre aide, oui. Depuis le jour où nous avons tué Ooyamizuchi, les chefs d’île sont très conscients de la nécessité de s’unir. Cette créature dépassait de loin ce qu’une île aurait pu gérer seule, après tout. Les discussions entre les îles se sont multipliées, et si je les aborde avec sincérité, les autres sont prêts à entendre ce que j’ai à dire. »
« Hmm. On dirait que les choses ont changé pour le mieux. »
« Oui. Cependant, comme notre peuple est prompt à la colère, des conflits mineurs éclatent encore régulièrement. Il n’y a rien à faire, alors tant que les choses ne dégénèrent pas, je les laisse faire. Cependant, j’interviens en tant que médiateur lorsqu’on me le demande. »
« Ah ha ha… Ça a l’air dur. »
« C’est vrai », dit Shabon avec un soupir et un sourire. « Pourtant, il est devenu normal pour eux d’organiser un banquet et de se réconcilier après un combat, alors il semble inutile de s’en préoccuper. Comme la soirée hotpot que nous avons organisée après avoir tué Ooyamizuchi, vous vous en souvenez ? »
« Ah oui, c’est vrai… J’en ai eu assez pour ne plus manger d’abats pendant longtemps. »
« Il semble qu’il soit devenu populaire après cela. On dit qu’avec la nourriture et la boisson, tous les problèmes passent à la trappe. Mais j’ai du mal à y voir autre chose que des excuses d’ivrognes. »
Ce combat a créé un nouvel aspect étrange de leur culture ? Les habitants de l’Archipel du dragon à neuf têtes sont des durs à cuire.
« Sérieusement, n’importe quel endroit où tu es impliqué devient beaucoup plus amusant, hein, mon frère ? » dit Kuu, le ton à moitié exaspéré.
« Ne dis pas ça comme si c’était de ma faute… »
« Hee hee hee. » Shabon se contenta de rire.
Elle n’était pas en désaccord… Ah, sérieusement ?
« Et toi, Kuu ? Es-tu un bon chef pour la République ? »
« Bien sûr ! On dirait que mon père a beaucoup fait pour me préparer le terrain », dit Kuu en se frappant la poitrine avec fierté. « Il y a eu un changement de génération au Conseil des chefs. Ils ont tous été remplacés par des jeunes de mon âge. J’avais l’habitude de traîner avec plusieurs d’entre eux, et ils sont tous des penseurs flexibles, ce qui me rend la vie facile. »
« Difficile de les imaginer à la tête de leurs clans s’ils sont si jeunes… »
« Ookyakya ! Tu as raison. Le premier point à l’ordre du jour était de choisir un nouveau nom pour le conseil. Nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur un nom, alors le Conseil des chefs est parfait pour l’instant. »
« Vraiment !? »
J’étais légèrement inquiet, mais Kuu s’était contenté de rire.
« C’est le cas. C’est dire à quel point nous sommes tous lâches. C’est mieux que de voir une tête dure figée dans ses habitudes évoquer la politique du “Allez au nord”. Ils sont tous passionnés par le changement de la République. Alors… ça va bien se passer. »
« Alors, très bien… »
Il semble que cela fonctionne pour lui, alors je suppose que c’est bien.
« Comment ça se passe chez toi, mon frère ? Tu es voisins du pays de Fuuga, n’est-ce pas ? »
« Le Royaume du Grand Tigres vous posent-il problème ? »
Ils avaient l’air inquiets, mais j’avais secoué la tête.
« Rien pour l’instant… Oh, attendez, ils nous ont demandé d’expédier des fournitures pour eux par voie maritime. Mais il n’y a pas eu de provocations militaires ni d’exigences déraisonnables jusqu’à présent. »
Si Fuuga devait agir, ce serait après que sa faction se soit agrandie. C’est un homme prudent, même s’il n’en a pas l’air, et il n’agirait donc pas avant d’avoir un avantage écrasant sur nous. Cependant, en retournant cela, cela pourrait signifier qu’il attaquerait dès qu’il le sentirait.
« Dis-nous s’il dit quelque chose, d’accord ? Je serai certainement là pour t’aider. »
« Vous avez toujours notre gratitude pour l’affaire avec Ooyamizuchi, alors je suis sûr que les chefs d’île coopéreront. »
« Merci. Je compterai sur vous le moment venu. »
J’avais souri à mes fidèles alliés. Puis je m’étais souvenu de quelque chose.
« Oh ! Cela n’a rien à voir avec Fuuga, mais j’ai reçu récemment un envoyé d’un endroit quelque peu inquiétant. »
« Inquiétant ? »
« D’où venait cet envoyé ? »
Je me sentais un peu en colère rien qu’en m’en souvenant. Forçant un sourire et m’assurant de ne pas le laisser paraître, je crachai le nom :
« Le Royaume des esprits de Garlan. »
◇ ◇ ◇
Plus tôt dans la journée…
« Il y a un envoyé du Royaume des esprits ? »
« Oui. »
Je travaillais au bureau des affaires gouvernementales lorsque Hakuya m’avait informé que quelqu’un était venu chercher une audience. Ils étaient apparemment déjà à Parnam et attendaient notre réponse dans une auberge.
Le Royaume des esprits de Garlan, hein… ? C’était un pays de hauts elfes composé de deux îles, l’une grande et l’autre petite, au nord-ouest du continent.
J’avais croisé les bras et je me suis adossé à ma chaise. « C’est terriblement soudain… Des nouvelles des Chats Noirs ? »
« Non. Rien. Le pays est fermé, et l’île proche du continent est occupée par des monstres, donc nous n’avons pas pu envoyer d’espions. On peut dire que nous n’avons aucune information sur ce pays. »
« Je me demande pourquoi ils nous envoient un émissaire… Serait-ce à propos de Merula ? »
Merula, une haute elfe du Royaume des esprits, est actuellement hébergée dans notre pays. Le Royaume des Esprits se considère comme le peuple élu, et il est tabou pour les hauts elfes de quitter le pays, de sorte que Merula serait considérée comme une criminelle grave si elle enfreignait cette règle. Ce serait un problème s’ils exigeaient que nous la livrions.
« As-tu assigné des gardes du corps à Merula ? »
« Oui. Sire Kagetora est déjà sur le coup. On lui a dit de ne pas sortir et de ne pas quitter l’église de Souji pour le moment. »
J’aurais dû m’attendre à autant de la part de Hakuya. Il se déplaçait rapidement.
« Je m’inquiète de ce qui se passera si nous ignorons l’envoyé… Je vais le voir tout de suite pour savoir ce qu’il veut. Pourrais-tu arranger cela ? »
« Oui, sire. Ce sera fait. »
C’est ainsi que j’avais décidé d’organiser cette réunion.
Voyons si quelque chose de bon en sortira…
☆☆☆
Partie 2
Quelques jours plus tard, avant de rencontrer leur envoyé, Hakuya m’avait dit qu’il avait fait rédiger un rapport sur le Royaume des Esprits. Il avait apparemment demandé à Merula de lui communiquer les informations qu’elle connaissait sur son pays d’origine. Le rapport se trouvait dans une autre pièce, il voulait donc que je le lise avec ma capacité Poltergeists vivants en utilisant un Bras d’Usine.
J’avais parcouru le rapport alors que je me préparais à rencontrer l’envoyé. Il disait que juste avant que Merula ne s’enfuie, le Royaume des Esprits venait de voir un nouveau roi monter sur le trône. Le roi Garula Garlan et son jeune frère et bras droit, Gerula Garlan, dirigeaient désormais le pays. Le frère aîné, Garula, était un guerrier au sang chaud, connu pour sa force et son audace, tandis que le frère cadet, Gerula, était un guerrier compétent, mais aussi un général sage et prévoyant.
Les frères formaient une équipe comme Maria et Jeanne de l’Empire, l’aîné servant de roi et dirigeant la politique, tandis que le cadet s’occupait de l’armée. On pourrait penser que leurs personnalités s’opposaient, mais c’est mieux que de laisser une tête brûlée diriger l’armée. Cela n’aurait pas manqué de provoquer des troubles intérieurs. Cependant, ces informations datent d’avant que Merula quitte le pays, les choses pourraient donc être différentes aujourd’hui.
J’avais regardé Aisha, qui était assise sur le siège de la reine à côté de moi.
« Aisha, tu représenteras les reines. »
« D’accord ! Laisse-moi faire ! » Aisha semblait un peu tendue, mais elle acquiesça.
Par prudence, j’avais choisi de faire monter Aisha sur le trône de la reine à la place de Liscia pour qu’elle puisse me servir de garde du corps. Elle portait le diadème de reine et une robe, mais avec un poignard caché sur elle en cas de besoin. Les elfes sombres étaient aussi une race d’elfes, elle était donc un bon choix pour montrer que notre pays ne faisait pas de discrimination basée sur la race. Cela aiderait à contenir les déclarations du pays des hauts elfes selon lesquelles ils sont la race élue.
Alors que moi, Aisha, le Premier ministre Hakuya et le général Julius, que nous avions appelé pour faire bonne mesure, attendions dans la salle d’audience, les portes s’étaient ouvertes et les gardes avaient appelé.
« L’envoyé du Royaume des Esprits est arrivé ! »
Le jeune elfe qui apparut était grand et mince comme Hakuya, avec des mèches dorées, une peau blanc pâle et des yeux rouges. Les hauts elfes étaient prédisposés à une sorte d’albinisme. Cependant, ils vivaient aussi longtemps que les autres races d’elfes, et cela ne semblait pas avoir d’impact sur leur santé.
L’envoyé se tint debout et se présenta fièrement.
« C’est la première fois que nous nous rencontrons. Je suis Gerula Garlan, venue au nom du roi du royaume des esprits, Garula Garlan. Je suis venue négocier avec vous, Sire Souma, en tant que son représentant. »
Si c’est Gerula, cela signifie que le frère cadet du roi et le chef de l’armée est venu. Il n’avait fait preuve d’aucune déférence à mon égard et s’était contenté de se tenir droit. Cela avait mis Aisha de mauvaise humeur. Est-ce parce qu’il est aussi de la famille royale ?
La seule chose que j’avais eu du mal à comprendre, c’est ce titre de Roi du Royaume des esprits. Apparemment, contrairement à la Reine dragon à neuf têtes qui dirigeait l’Union de l’Archipel du dragon à neuf têtes, il n’était pas le Roi des esprits… D’après le rapport préparé par Hakuya, on l’appelait le Royaume des Esprits parce qu’ils vénéraient le Roi des Esprits qui protégeait les hauts elfes, et bien que leur chef soit considéré comme un grand prêtre qui dirigeait ce culte, il n’était pas divinisé. C’est la raison pour laquelle Garula avait été nommé roi du Royaume des Esprits.
« Je suis Souma A. Elfrieden. Alors, Sire Gerula, qu’est-ce qui vous amène dans mon pays ? »
« L’Alliance maritime est devenue l’une des trois grandes puissances du monde. Comme vous êtes leur chef, je suis venu vous demander votre soutien pour reprendre l’île Père, Sire Souma. »
Des deux îles qui composaient le Royaume des Esprits, la plus petite était apparemment connue sous le nom d’île Père. La plus grande s’appelait l’île mère. Apparemment, ils considéraient la grande île où vivaient la majorité des hauts elfes comme leur mère, et la plus petite, qui était le centre de leurs rites religieux, comme leur père.
Avec l’expansion du Domaine du Seigneur-Démon et les attaques des monstres qui en découlaient, ils avaient perdu l’Île du Père. Chaque vague de démons les faisait reculer de plus en plus. Ils s’étaient retirés jusqu’à l’île Mère, et avaient même perdu une partie de l’île à l’est, mais ils tenaient tête aux monstres.
« Nous voulons éliminer les monstres de l’île Mère et reprendre l’île Père. »
« Et vous demandez notre aide ? »
« Nous sommes tourmentés par les attaques de monstres volants qui arrivent par les petites îles. Ils nous envahissent comme des sauterelles, et nous n’avons pas la puissance aérienne nécessaire pour y faire face. Nous avons peu de wyvernes, et leur peur de la mer nous empêche d’intercepter les monstres au-dessus de celle-ci, ce qui leur permettrait de toucher terre. »
Le visage de Gerula était déformé par le chagrin. Il continua à parler.
« Cependant, j’ai entendu dire que l’Alliance maritime… Non, le Royaume de Friedonia est capable d’utiliser des wyvernes en mer. Votre marine surpasse de loin celle de l’Empire ou du nouveau Fuuga Haan. On m’a dit que vous aviez utilisé cette puissance navale pour tuer le grand monstre qui attaquait l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Nous aimerions que vous nous souteniez dans notre combat pour regagner notre patrie. C’est ce qu’espère mon seigneur Garula. »
« Je comprends ce que pense Sire Garula. Voyons voir… »
J’avais jeté un coup d’œil à Hakuya et Julius, et leurs yeux m’avaient dit : « Nous ne pouvons pas prendre cette tâche à la légère. »
Oui… Compte tenu de la personne à laquelle nous avons affaire, ce n’est pas une question sur laquelle nous pouvons hocher la tête aussi facilement, avais-je pensé.
« Tout cela semble bien commode pour vous… »
C’est Julius qui prit la parole. Il lança un regard impérieux à Gerula.
« Ce n’est pas comme si nos flottes se déplaçaient gratuitement. Les coffres de la nation seront mis à rude épreuve. Si nous avons envoyé un soutien à l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, c’est parce que nous ne savions pas quand le monstre Ooyamizuchi allait nous attaquer. Il était donc dans l’intérêt de notre pays d’envoyer la flotte. Mais le Royaume des esprits est loin. Même si nous vous abandonnions à vous-mêmes, il semble peu probable qu’il nous arrive quelque chose dans l’immédiat. »
« Mais — . »
« De plus, même s’il s’agit d’une bataille contre des monstres, le but est de reprendre votre territoire, n’est-ce pas ? Pardonnez mon impolitesse, mais c’est de votre propre faute si vous avez perdu ce territoire. Je me demande pourquoi c’est nous qui devrions le récupérer pour vous. »
« Urgh... »
Julius avait choisi d’être le méchant pour nous. Gerula avait l’air d’avoir mordu dans quelque chose de désagréable en le regardant fixement. Les paroles de Julius n’étaient peut-être pas assez polies pour un envoyé d’une autre nation, mais il avait raison sur le fond. Et il ne semblait pas y avoir de contre-argument.
Alors que l’atmosphère se tendit, Hakuya prit la parole : « Vous allez trop loin, Sir Julius. C’est à un envoyé étranger que vous vous adressez. »
« Hmph ! »
« Je m’excuse, Sire Gerula. Mais je veux que vous compreniez ce que dit Sire Julius. Il n’est pas facile pour nous d’envoyer la flotte. »
Tout en s’excusant de l’impolitesse de Julius, il confirmait les propos de ce dernier. Ils étaient tous les deux vifs et savaient comment travailler ensemble.
Julius faisait semblant d’être contrarié par la réprimande. Je ne sais pas… C’est assez effrayant de voir ces deux-là travailler ensemble. Peu importe comment il se débattait, Gerula dansait dans la paume de leurs mains. J’avais presque eu pitié de lui.
« Sire Gerula, » continua Hakuya. « Si, comme vous le dites, vous êtes venu pour négocier, j’aimerais que vous nous proposiez quelque chose qui en vaille la peine. L’autre jour, lorsque le seigneur Fuuga Haan nous a demandé de lui livrer du matériel, il a proposé de nous céder un port sur la côte. Le Royaume des Esprits peut-il offrir une contrepartie similaire ? »
« Au cas où Sa Majesté retrouverait l’île Père, il vous fait trois promesses en récompense de votre coopération. J’ai ici un engagement écrit. »
Gerula sortit une lettre de sa poche et commença à la lire.
« Tout d’abord, il autorisera le commerce avec l’Alliance maritime. »
« Oh hoh… »
C’était une brève déclaration, mais j’ai été quelque peu impressionné. Le Royaume des Esprits était pour l’instant fermé au monde, sans aucun lien avec le monde extérieur, et encore moins avec le commerce extérieur. Il s’agissait donc essentiellement d’une annonce d’ouverture du pays. Le rapport indiquait que le Royaume des Esprits avait accès à des épices qui pouvaient probablement être utilisées pour faire du curry. On ne pouvait pas demander mieux en matière de marchandises.
« Deuxièmement, il pardonnera les crimes de Merula, que vous hébergez, et lui permettra de revenir dans notre pays. »
Ils savaient donc pour Merula, hein ? Eh bien, elle était traitée comme une hérétique par l’État pontifical orthodoxe lunarien, et après les problèmes que nous avons eus avec eux, il est évident qu’ils allaient se rendre compte qu’elle était ici. J’avais des gens qui la gardaient, et je n’avais mis aucune restriction à ses déplacements à l’intérieur de Parnam, après tout. Merula est l’une de nos meilleures ingénieures, au même titre que Genia. Si cela les empêchait de la poursuivre, ce serait une bonne chose.
« Et troisièmement, le Royaume des esprits rejoindra l’Alliance maritime au lieu de la Déclaration de l’humanité ou de la nouvelle faction de Fuuga Haan. »
J’avais haussé un sourcil à la dernière promesse. C’était une proposition intéressante.
Si le Royaume des Esprits rejoignait l’Alliance Maritime, il y aurait une route maritime qui irait République de Turgis → Royaume de Friedonia → Archipel du Dragon à Neuf Têtes Union → Royaume des Esprits de Garlan. Nous aurions le contrôle de toutes les îles du continent, et pourrions même encercler l’Empire et le Royaume du Grand Tigre. Le Domaine du Seigneur-Démon serait encore un joker, mais nous pourrions envoyer des troupes n’importe où le long de la côte.
Si l’Alliance maritime était en compétition pour la suprématie avec l’Empire et le Royaume du Grand Tigre, cette proposition aurait pu sembler attrayante. Cependant, nous avions une position coopérative envers l’Empire et nous essayions d’éviter un conflit avec Fuuga. Par conséquent, cette proposition ne m’avait rien apporté.
Je soupirais, posant mon coude sur l’accoudoir de mon trône et ma joue sur ma paume.
« Oui, ce n’est même pas la peine d’en parler. »
« Qu’est-ce que vous dites ? »
« La première proposition est bonne. Elle profite aux deux parties. Mais pour ce qui est de la seconde, Merula est déjà l’un de mes serviteurs. Votre pays n’a pas à dire quoi que ce soit à ce sujet, et si vous tentez de lui faire du mal, je serai sans pitié. Vous feriez mieux de le dire à Garula. »
Quand je l’avais fixé du regard, Gerula m’avait répondu du tac au tac… C’était un peu déconcertant, mais je devais rester sur mes positions.
« Quant à la troisième, concernant l’adhésion à l’Alliance maritime… je refuse. »
« Pourquoi ? »
« Nos valeurs sont trop différentes. »
Le Royaume des Esprits de Garlan interdisait l’accès à son territoire à toute personne autre que les elfes. Même parmi les elfes, on disait que les hauts elfes étaient les plus grands, les elfes clairs et les elfes noirs en dessous d’eux, et les demi-elfes en dessous de tout le monde. Toutes les autres races de ce pays étaient traitées comme des esclaves. Je ne savais pas ce qu’il en est aujourd’hui, mais c’était le genre de société basée sur les classes sociales à l’époque où Merula vivait là-bas.
« Je comprends que chaque pays est différent. Nous avons tous notre propre histoire, nos propres cultures. Mais vous vous considérez comme le peuple élu, c’est trop fort. Si nous permettions à un pays comme le vôtre d’entrer dans l’Alliance, certains pourraient penser que j’approuve vos idées. Le peuple le rejetterait. Il peut y avoir des différences de classe dans notre société, mais nous ne tolérons pas la discrimination raciale. »
☆☆☆
Partie 3
Je m’étais levé et j’étais allé me placer à côté du siège d’Aisha, en posant ma main sur son épaule, comme pour lui montrer Gerula. Aisha avait mis sa main dans la mienne et avait souri pour montrer la profondeur de notre amour. Nous étions totalement en phase lorsqu’il s’agissait de ce genre de choses.
Gerula se mordit la lèvre et nous regarda avec frustration.
« C’est pourquoi je ne peux pas vous admettre dans l’alliance. Si votre pays veut modifier ses politiques de suprématie raciale, je vous accueillerais volontiers, mais… est-ce que cela va se produire ? »
« … »
Je n’avais pas dit que je ne les croyais pas capables de le faire, mais Gerula n’avait pas répondu. Il y eut un long silence pesant, puis Gerula me lança un nouveau regard.
« Au cas où vous refuseriez… Je ferai cette même proposition à Madame Maria de l’Empire et à Sire Fuuga du Royaume du Grand Tigre. »
Si nous refusions, ils allaient s’adresser à l’une des deux autres puissances ? Ce n’était même pas une menace.
« Faites ce que vous voulez. La Déclaration de l’humanité ne tolère pas non plus le racisme. Madame Maria devrait prendre la même décision que moi. Quant à Sire Fuuga du Royaume du Grand Tigre… Je vous déconseille d’essayer de l’utiliser. C’est le genre d’homme qui définit une génération. Il profite de ceux qui essaient de profiter de lui, utilise tous ceux qui essaient de l’utiliser, et se débarrasse de ceux qui pensaient se débarrasser de lui. Il attire tout et n’importe quoi dans son propre monde. C’est le genre d’homme qu’il est. Touchez-le sans précaution et vous vous brûlerez. »
« Je m’en souviendrai…, » déclara Gerula en me jetant un coup d’œil.
Les négociations avaient échoué. Je lui avais indiqué de partir, et il avait tourné les talons… puis il avait trébuché un moment.
« Ngh ! »
« Hm ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »
« Ce n’est rien… Maintenant, si vous voulez bien m’excuser. »
Cette fois, Gerula se pavana hors de la salle d’audience. Il n’y avait pas eu de compromis lors de cette réunion, seulement une déclaration d’exigences et de compensations. Cela m’agaçait de parler avec quelqu’un qui était si sûr d’avoir raison sur toute la ligne.
Je suis épuisé…
« Argh. Répandez du sel sur le sol. »
« Du sel ? Vas-tu manger quelque chose ? Je me joins à toi ! »
J’avais senti la tension fondre sur mes épaules en voyant le sourire sur le visage de cette elfe sombre gloutonne.
Ouais… Oublie ce type. Prenons un repas avec tout le monde.
◇ ◇ ◇
« … Et, bien, c’est à peu près comme ça que ça s’est passé. »
J’avais raconté à Kuu et Shabon ma rencontre avec l’envoyé du Royaume des esprits l’autre jour. Ils avaient tous deux souri d’un air ironique.
« On dirait que tu as eu une période difficile, mon frère », déclara Kuu, et j’avais haussé les épaules.
« Je suis tout à fait d’accord. Il m’a fait perdre mon temps et la quantité de travail qu’il me reste à accomplir n’a pas diminué le moins du monde. »
« Pourtant, cet envoyé du Royaume des Esprits… Gerula, c’est ça ? Un tiers de leurs terres ont été prises par des monstres, n’est-ce pas ? S’il voulait de l’aide, n’aurait-il pas dû se montrer plus serviable ? »
« Oui, je suis d’accord. Il a fait allusion à des alliances avec d’autres puissances, mais le Royaume des Esprits a-t-il les moyens d’être considéré comme une menace maintenant ? Tout cela me semble bien embarrassant », déclara Shabon en penchant la tête sur le côté. J’étais d’accord avec elle.
« Il devait avoir trop peu d’expérience en matière de négociation. C’est ainsi que Hakuya et Julius l’ont vu. Son pays est fermé au monde extérieur, après tout, comme vous le savez sûrement tous les deux », dis-je en croisant les bras. « Si vous voulez négocier avec un pays avec lequel vous n’avez pas de relations cordiales, vous devez en fin de compte soit être autoritaire et obtenir des concessions, soit être soumis et essayer de minimiser les vôtres. Mais Gerula ne pouvait faire ni l’un ni l’autre. »
« Est-ce pour cela qu’il manque d’expérience ? » murmura Shabon pour elle-même, et je hochai la tête.
« Une situation qui exige de demander de l’aide à un autre pays, et de longues années passées à croire en la supériorité de son peuple. Son attitude est le résultat du conflit entre ces deux éléments. »
« Sire Souma. C’est affreux… »
« Ha ! Le Royaume des Esprits est donc en mauvaise posture, n’est-ce pas ? Ils ont refusé de parler avec qui que ce soit, et maintenant ils sont tellement dans la merde qu’ils n’ont pas d’autre choix que de négocier avec d’autres pays ? »
Shabon était compatissante, tandis que Kuu était dégoûté. Étant eux-mêmes des dirigeants, ils devaient avoir leur propre opinion sur la question. J’en avais aussi une.
« En tant que roi, il faut parfois se salir les mains… Des fois, il faut descendre dans la boue. Des moments où il faut endurer l’humiliation. Ceux dont les dirigeants ne sont pas capables de le faire à ces moments-là… seront les premiers à disparaître. »
« Vous avez raison. »
« Oui, en effet. »
Tous deux hochèrent fermement la tête.
Kuu était venu dans notre pays pour apprendre. Pour les autres, il devait presque ressembler à un otage. Mais cela ne l’avait pas dérangé et il avait beaucoup appris, bien plus que ce que nous attendions de lui. Shabon s’était également présentée devant moi, qu’elle croyait être le roi d’une nation hostile, prête à offrir son propre corps en s’inclinant, en grattant et en suppliant devant moi.
Je m’étais déjà sali les mains pour ma famille et le peuple, et j’avais déjà terni mon propre nom. Gerula n’était pas prêt à faire cela.
Je poussai un petit soupir. Si Gerula est allée dans l’Empire, cela va être douloureux pour Maria…
Elle était trop gentille pour son propre bien. Cela allait à l’encontre de la nature de l’Empire en tant que pays appelant à un front commun entre toutes les nations de l’humanité d’accepter l’offre de Gerula, mais elle imaginait encore tous les gens qui souffriraient de ne pas avoir tendu une main secourable. Elle acceptait des choses dont nous voulions détourner les yeux. C’est pour cela qu’on l’appelait une sainte, mais… ça devait quand même être dur pour elle. Espérons qu’elle ne s’en voudra pas trop…
Je pourrais demander à Hakuya de contacter Jeanne plus tard et d’organiser une réunion où Maria pourrait me faire part de ses frustrations.
Shabon avait alors tapé dans ses mains pour changer de sujet.
« À propos, j’ai entendu dire que le Royaume, la République et l’Empire ont conclu une alliance tripartite pour les réformes médicales. »
« Huh… ? Ah oui, c’est vrai, hein ? »
« L’Union de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes aimerait également œuvrer en faveur d’un traitement médical adéquat. Pourrions-nous éventuellement nous joindre à ce pacte et profiter de vos avancées médicales ? »
Il y a quelque temps, j’avais abordé le sujet de la coopération en matière de recherche médicale avec l’Union de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Plus il y a de têtes qui travaillent sur ce genre de choses, mieux c’est. Le domaine de la médecine populaire n’était pas à prendre à la légère, et les cultures de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes pourraient bien être des ingrédients clés dans la guérison de quelque chose. J’avais pour principe d’être ouvert à ce genre d’informations avec les pays qui nous sont favorables.
Mais… Je me demandais encore ce que je devais faire par rapport à la faction de Fuuga.
« C’est moi qui en ai parlé avec vous pour commencer. Bien sûr que ça ne me dérange pas », avais-je dit à Shabon. Kuu pencha la tête sur le côté.
« Ookya ! Au fait, comment se passe la médecine dans l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes ? »
« Pas si différent des autres pays, j’imagine. Les mages de lumière s’occupent du traitement des blessures externes. Cependant, comme chaque île a une histoire riche en traditions populaires, elles ne sont pas toutes concentrées dans une seule église. »
« Vraiment ? Cela doit faciliter la gestion du pays. »
« Cela aurait été difficile auparavant, mais avec le mouvement de centralisation, cela devrait être possible maintenant. En ce qui concerne les maladies, nous utilisons également des remèdes à base de plantes. Je pense qu’il y a plus de variétés que sur le continent. Nous avons aussi des exercices qui font circuler les énergies du corps afin de prévenir les maladies. »
La première ressemblait à la médecine traditionnelle chinoise, tandis que la seconde s’apparentait au tai-chi ou au kanpu masatsu. J’avais pensé que son pays était un mélange entre la Chine des Tang et le Japon de l’époque d’Edo, mais qu’il était un peu plus orienté vers la médecine orientale. C’était intéressant en soi.
« J’aimerais aussi envoyer une équipe du Royaume pour l’étudier. Vous avez peut-être une expérience et des connaissances que nous n’avons pas encore. »
« J’enverrai aussi des hommes de la République. Ils apporteront du matériel médical en cadeau. »
« Hee hee. Je les attendrai. »
C’est ainsi que l’Union de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes avait été ajoutée au pacte médical du Royaume, de l’Empire et de la République.
◇ ◇ ◇
Quelques mois passèrent ensuite. Le Royaume se concentrait sur l’étude du magicium, dont nous avions commencé à comprendre la véritable nature. Les trois pays de l’Alliance maritime travaillaient chacun de leur côté au renforcement de leur politique intérieure et à l’accroissement de leur puissance. Alors que le sud du continent se stabilisait, il semblait y avoir un changement majeur au nord.
Tout d’abord, après avoir été rejeté par l’Alliance Maritime, Gerula Garlan s’était rendu auprès de Maria de l’Empire du Gran Chaos pour obtenir une audience. Le contenu des négociations n’avait pas changé, si ce n’est qu’il avait proposé de rejoindre la Déclaration de l’Humanité au lieu de l’Alliance Maritime.
Maria ne les laissera jamais entrer dans la Déclaration de l’humanité tout en maintenant leurs politiques de suprématie raciale, et c’est ainsi que la réunion s’était terminée.
Maria m’en avait parlé lors d’une émission, l’air épuisé. « Je peux dire que son État se sent acculé et que son peuple souffre. Cependant… s’il ne peut pas demander correctement, je ne peux pas lui tendre la main. »
Comme je m’y attendais, Maria avait trouvé cela frustrant. Elle avait également exprimé son mécontentement à l’égard de Fuuga qui nous avait donné un port sur la côte ouest en échange de la livraison de ses fournitures.
« Je vous fais confiance, Sire Souma, mais il semble que ce ne soit pas le cas de mes concitoyens. Certains d’entre eux se méfient du rapprochement entre le Royaume de Friedonia et le Royaume du Grand Tigre… Ils s’efforcent de me convaincre que l’Empire doit agir pour reprendre autant de terres du Domaine du Seigneur-Démon que la faction de Fuuga. »
« Est-ce que ça va ? »
« Les plus lucides savent que prendre les ruines du Domaine du Seigneur-Démon ne nous apporte aucun avantage. Cependant, le nombre de personnes qui se soucient plus de la renommée que des avantages réels a augmenté. Ils ont dû être incités par Sire Fuuga, qui a réussi à rassembler tout le monde grâce à sa renommée. »
Le cercle d’influence autour de la faction de Fuuga s’agrandissait de jour en jour.
Quoi qu’il en soit, revenons à Gerula Garlan. Après avoir été rejeté par l’Empire, il se rendit au Royaume du Grand Tigre de Fuuga et demanda une audience. Fuuga accepta immédiatement. Gerula était soulagé d’avoir accompli sa mission, et resta dans le Royaume du Grand Tigre en tant que contact avec le Royaume des Esprits.
Quiconque connaissait Fuuga se serait rendu compte qu’il n’agissait jamais d’une manière qui arrangeait les autres. Ils auraient soupçonné qu’il y avait quelque chose de plus derrière sa décision. Mais Gerula ne le savait pas.
☆☆☆
Chapitre 4 : La bataille de l’île Père
Partie 1
Ayant reçu une demande d’aide militaire de Gerula, Fuuga tenait un conseil de guerre avec sa femme Mutsumi, son ami proche Shuukin et son conseiller Hashim pour préparer la reprise de l’île du Père.
« Alors, vous êtes sûr que je n’ai pas besoin de participer à cette expédition ? » demanda Fuuga.
Hashim acquiesça, les bras croisés devant sa poitrine. « Oui. Les terres reprises au domaine du seigneur des démons restent instables. Si vous étiez absent et qu’il se passait quelque chose, notre réaction serait retardée. Il est peu probable que vous puissiez revenir rapidement de l’étranger, n’est-ce pas ? »
« Eh bien, Durga le déteste… »
Le tigre volant fonçait sans crainte sur des hordes de milliers, voire de dizaines de milliers de monstres, mais pour une raison ou une autre, il détestait la mer et ne s’en approchait pas. C’était probablement pour la même raison que les wyvernes n’aimaient pas aller si loin en mer qu’elles ne pouvaient pas voir la terre, mais comme Durga était unique en son genre, il n’y avait rien de plus à dire à ce sujet.
« En y repensant, le rapport de Yuriga mentionnait que Souma pouvait utiliser des wyvernes en mer. Il a un énorme navire qui ressemble à une île… ou quelque chose comme ça ? Penses-tu que si nous en construisions un et que nous nous entraînions dessus, Durga aurait moins peur de la mer ? » dit Fuuga en plaisantant, et Hashim haussa les épaules.
« Vous plaisantez certainement. C’est peut-être impoli de ma part de dire cela, mais combien de main-d’œuvre et de ressources avez-vous l’intention de dépenser pour un seul tigre ? Et même si nous voulions en construire un, nous ne pourrions pas. Nous n’avons pas de technologie capable de déplacer de grands navires en acier sans dragons de mer pour les tirer. »
« Hrmm, je plaisantais évidemment, mais… quand on y regarde de plus près, Souma a fait un sacré truc, hein ? »
« Les compétences pour développer ce genre de technologie… » Mutsumi, qui avait écouté, murmura soudain. « S’il les avait appliquées à l’armée, n’aurait-il pas déjà pu détruire l’Empire ? »
« Je suis d’accord avec vous, ma dame. Le Royaume de Friedonia… est terrifiant », dit Shuukin, et Fuuga acquiesça.
« Oui… vous avez raison. Mais pour le meilleur et pour le pire, il a beaucoup trop peu d’ambition. Au lieu de chercher un plus grand bonheur dans l’avenir, il essaie de défendre ce qu’il a maintenant. Si on sait s’entendre avec lui, il n’y a pas plus facile à gérer, mais… »
« Et si nous ne nous entendons pas avec lui ? » demanda Mutsumi, et Fuuga rit, une lueur dangereuse dans ses yeux.
« Il n’y aura personne de plus dangereux à traiter. »
« Je vois. Et c’est pour ça qu’il t’inquiète, chéri. »
« Je suis d’accord. Pour l’instant, il représente une plus grande menace que l’Empire », approuva Hashim en hochant la tête.
Shuukin pencha la tête sur le côté. « Vous vous méfiez aussi du Royaume, Sire Hashim ? »
« Ils ont trop de gens compétents. C’est en partie ma faute, mais un grand nombre d’individus talentueux des pays de l’Union des nations de l’Est que nous avons détruits y ont dérivé. Julius du Royaume de Lastania, par exemple. »
« Ohh… Le gars qui agissait plus vite que toi, hein ? C’est dommage de l’avoir perdu », dit Fuuga en gémissant, et Hashim acquiesça.
« Je suis tout à fait d’accord. Si nous avions pu arrêter la famille royale lastanienne, nous aurions peut-être pu l’obliger à se soumettre à nous, mais… il était trop bien préparé. Et maintenant, le roi Souma a accueilli tous ces gens avec joie. Ils en veulent au seigneur Fuuga, et nous ne pourrons pas les récupérer en leur offrant des conditions favorables. Nous n’avons aucun moyen de nous interposer entre eux. »
« Mais le père de Julius n’est-il pas mort dans une guerre avec Souma ? »
« Seigneur Fuuga, qu’est-ce qui vous mettrait le plus en colère ? Quelqu’un qui vous blesse, ou quelqu’un qui blesse ceux que vous aimez… comme la Reine Mutsumi, par exemple ? »
Fuuga ferma les yeux pour réfléchir à la question de Hashim.
« Mutsumi. »
Quand il pensait qu’elle serait blessée ou tuée… Il n’y avait pas grand-chose à faire. Il serait probablement capable d’accepter qu’il n’eût pas été capable de faire mieux, ou qu’il eût simplement été malchanceux. Mais si quelqu’un devait blesser ou tuer Mutsumi, il ne le laisserait jamais s’en tirer. Quoi qu’ils lui aient fait, ils le paieraient plusieurs fois.
« Exactement », acquiesça Hashim. « Les gens sont comme ça. »
« Le type qui a tué son père est donc moins un problème que nous qui avons pris le pays de sa femme ? »
Hashim ne le saurait pas, mais dans Le Prince de Machiavel, il est dit que « les hommes oublient plus vite la mort de leur père que la perte de leur patrimoine ».
Contrairement à Souma, qui avait dû travailler pour mettre ces idées en pratique, Hashim les avait trouvées naturellement, et était très machiavélique (y compris dans le sens du terme qui provient d’une mauvaise compréhension du travail de l’homme).
« Oui. C’est précisément pour cela que nous avons besoin que cet envoi de troupes soit un succès. » Hashim désigna l’île Père sur la carte posée sur la table. « Plus que le Royaume des Esprits lui-même, nous devons empêcher l’île Père et l’île Mère de tomber dans la sphère d’influence de l’Alliance Maritime. Cela donnerait au Royaume de Friedonia une base d’opération sur la côte ouest du continent. »
« Mais n’avons-nous pas promis de leur donner un port ? »
« Nous pouvons reprendre ce terrain à tout moment avec nos forces terrestres. Souma le sait aussi, c’est pourquoi il ne construira que le strict minimum. Cependant, s’il devait construire une base de l’autre côté de la mer, dans un autre pays, ce serait gênant. Nous devons faire entrer l’île Père dans notre sphère d’influence quoi qu’il arrive. »
Lorsque Hashim avait expliqué cela, Mutsumi avait porté une main à sa bouche et avait penché la tête sur le côté.
« D’après ce que nous avons vu de la personnalité de Sire Gerula… les hauts elfes doivent être plutôt hautains. Se soumettront-ils si volontiers à nous ? »
« Vous avez parfaitement raison. C’est pourquoi nous devons agir. » Hashim désigna l’île-mère, qui était le cœur du Royaume des Esprits. « Comme vous le savez, le Royaume des Esprits croit en la suprématie des hauts elfes. Et une discrimination excessive basée sur la race engendrera toujours du ressentiment. Les autres races opprimées au cœur du Royaume des Esprits, et même les hauts elfes, doivent s’opposer à l’état actuel des choses. Une fois l’île Père reprise, nous soutiendrons ces personnes et leur demanderons de créer un État fantoche sur l’île pour nous. »
« J’ai compris. Vous allez séparer l’île du père du royaume des esprits et les faire rejoindre notre faction, hein ? »
« Oui, mon seigneur. Fuuga le Libérateur n’a pas besoin de hauts elfes racistes parmi ses vassaux. »
Tout est dans la façon de dire les choses, pensaient les trois autres, mais aucun d’entre eux ne l’avait dit.
Si nous devions résumer le plan de Hashim, il ressemblerait à ceci :
Tout d’abord, débarquez sur l’île Père, infestée de monstres, à l’invitation du Royaume des Esprits.
Deuxièmement, éliminez les monstres et libérez l’île.
Troisièmement, demandez au Royaume des esprits de lancer une offensive pour éliminer les monstres à l’est de l’île Mère et, une fois l’opération terminée, demandez-leur de coopérer à la libération de l’île Père.
Quatrièmement, les mécontents du Royaume des Esprits déclarent l’indépendance de l’île Père pour créer un État fantoche, puis prennent effectivement le contrôle de l’île sous prétexte de leur apporter un soutien.
Une fois les monstres extirpés du Royaume des Esprits, les hauts elfes considéreraient sans doute les hommes de Fuuga comme leurs sauveurs. C’était l’occasion d’en profiter.
Le plan astucieux de Hashim consistait à faire équipe avec les hauts elfes qui s’opposaient à la politique de suprématie raciale de leur pays et souhaitaient suivre une voie plus libérale. Il mettrait en place pour eux un État fantoche sur l’île du Père, ce qui lui permettrait de se présenter comme autre chose qu’un envahisseur. Comme le montre l’exemple de Merula Merlin, le peuple du Royaume des Esprits n’est pas un monolithe idéologique.
De plus, comme l’État fantoche créerait une société où les gens ne seraient pas divisés entre hauts elfes et non-hauts elfes, instituant au contraire ce que l’on pourrait appeler un système plus égalitaire, il serait difficile pour les autres pays de le critiquer. Il serait difficile de dire que vivre sous un régime de suprématie raciale est pire que de vivre dans l’égalité raciale tout en étant sous le contrôle du Royaume du Grand Tigre.
Même Maria, la responsable de la Déclaration de l’humanité, n’aurait pas pu dire cela.
Naturellement, le Royaume des Esprits grincerait des dents devant ce résultat, mais il n’avait pas la puissance nécessaire pour affronter seul les forces de Fuuga. Même si les hommes de Fuuga quittaient l’île, il n’était pas certain que leur pays puisse survivre à une nouvelle attaque des monstres. Ils voudraient éviter de le découvrir.
Le Royaume des Esprits n’aurait d’autre choix que d’accepter à regret l’indépendance de l’Île Père.
« Les renforts auront besoin d’une personne capable de discerner qui doit être amenée à déclarer son indépendance et qui est capable de prendre des décisions politiques », dit Hashim en croisant les bras et en inclinant respectueusement la tête. « Cela me fait mal de le dire, Seigneur Fuuga, mais vos subordonnés sont… »
« Oui, je sais. C’est une bande d’imbéciles. »
« En effet. Pour mener à bien ce plan, nous avons besoin d’une personne sensée et intelligente, capable de gagner le cœur de la population locale. Il serait impensable d’envoyer quelqu’un comme mon propre frère, Nata, qui ne pense qu’à se déchaîner. »
« Il faut donc que ce soit… toi, Shuukin, ou Moumei, hein ? Mais tu as d’autres obligations, alors je serais dans l’embarras si tu t’en allais. Moumei a beau avoir l’air d’un gros balourd qui se balade avec un marteau géant, il est étonnamment érudit et raisonnable. Mais les gens ont tendance à le confondre avec un barbare à cause de son apparence, alors ce n’est pas un bon choix pour gagner les gens à sa cause. »
Fuuga comptait sur ses doigts tout en parlant. Son camp comptait de nombreux grands guerriers, mais il n’avait qu’un nombre limité de commandants avisés capables de prendre des décisions politiques.
« Gaifuku est un vieux général, mais il n’a pas encore guéri des blessures qu’il a reçues en me protégeant. Kasen est sage mais trop jeune, et les avis seront toujours partagés sur la façon dont Gaten se présente. »
« Oui, tout cela semble correct. Il y a aussi le mari de ma jeune sœur, Sire Lombard, l’ancien roi de Remus, mais il y a si peu de temps qu’il nous a rejoints qu’il serait difficile pour les hommes de le suivre. Je soupçonne également que, compte tenu de sa nature honnête, la subtilité lui échappe. Il ferait cependant un bon commandant en second. »
« Ce qui laisse… »
Ils s’étaient tous deux tournés vers la même personne.
« Oui, ça doit être moi », dit Shuukin en se frappant la poitrine d’une main. « Laissez-moi m’en occuper. Je vous représenterai au mieux de mes capacités, Seigneur Fuuga. »
« Désolé, Shuukin. Je vais te faire faire beaucoup de travail. »
« Qu’est-ce qui est nouveau ? Tu le fais déjà alors que nous traversions les steppes ensemble. »
Shuukin et Fuuga avaient souri.
Mutsumi s’esclaffa. « L’amitié masculine est une chose merveilleuse. »
« Ne me taquine pas… Alors, Hashim, combien de renforts doit-il prendre ? » demanda Fuuga, et Hashim baissa la tête.
« Nous voulons être sûrs de réussir, aussi devrions-nous envoyer environ un tiers de nos forces pour prendre le contrôle d’un seul coup. Que le sieur Lombard soit son second. Et… demandons à Sire Bito, l’ancien roi de Gabi, et à ses hommes de se rendre également sur l’île Père. »
« Ces types, hein… ? » L’expression de Fuuga devint dure.
Bito était le maître de Gauche, qui avait tenté d’assassiner Fuuga. Il avait été pardonné de ce crime après avoir changé de camp lors de la bataille des plaines de Sebal. Depuis, il était l’un des vassaux de Fuuga, mais il était difficile de lui faire confiance.
Avec un sourire sinistre, Hashim dit : « Utilisons Sire Bito et ses hommes dans cette bataille. Une fois qu’ils seront partis, nous pourrons utiliser les archers d’élite de l’ancien royaume de Gabi à notre guise. Sire Bito doit comprendre que nous n’avons pas confiance en lui, alors il travaillera désespérément pour prouver sa valeur. »
« Eh bien, on récolte ce que l’on sème, je suppose. »
Ce genre de plan sombre n’était pas du goût de Fuuga, mais il comprenait qu’il devait faire le mal pour atteindre son but.
En fin de compte, c’est grâce à cette stratégie que les forces de Fuuga avaient décidé d’envoyer une armée dans le Royaume des Esprits. Leur intervention fut le point de départ d’un incident qui allait ébranler non seulement le Royaume du Grand Tigre et le Royaume des Esprits, mais aussi les nations de la Déclaration de l’Humanité et de l’Alliance Maritime.
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