Chapitre 6 : Ideal, le navire de soutien
Partie 1
Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis la fête du Nouvel An, et il était presque temps pour les fiancées de Léon de rentrer à Holfort.
Livia était assise en face d’Anjie. Une atmosphère gênante planait entre elles. Il n’y avait pas d’autres occupants dans la pièce, Cordelia s’assurait que personne ne s’immisçait.
Alors qu’elle s’agitait, Livia avait finalement trouvé le courage de dire, « Euh… hm ! »
« Livia, je… »
Elles avaient parlé en même temps, et un autre silence inconfortable s’était installé. Les filles avaient froncé les sourcils. Aucune des deux n’était douée pour s’exprimer. Heureusement, leurs expressions étaient si ridicules et elles avaient tellement envie de se réconcilier qu’elles s’étaient mises à sourire.
« Je t’ai causé tellement de stress, » déclara Anjie. « Tout ce que tu as dit à propos de Noëlle était correct. J’ai ignoré ses sentiments, et j’ai pris le temps d’y réfléchir. »
Livia avait secoué la tête. « C’est moi qui ai eu tort. Je n’ai pas réfléchi à ta position et à tes responsabilités, et j’ai dit des choses si insensibles. Je savais que tu prenais beaucoup de choses en considération quand tu disais tout ce que tu faisais. »
Il n’en fallait pas plus pour qu’elles se réconcilient enfin, mais cela ne signifiait pas qu’Anjie avait changé d’avis.
« Je suis désolée, mais même maintenant, je pense toujours que nous devrions prendre Noëlle avec nous. »
« Pour le bien du royaume ? » demanda Livia.
« C’est une partie du problème. »
« Et quelle est l’autre partie ? » Livia avait incliné la tête.
« Noëlle va passer le reste de sa vie comme une cible, » expliqua Anjie. « Elle est si précieuse. D’autres pays ne reculeront devant rien pour la réclamer s’ils le peuvent, tout cela à cause des avantages que son jeune arbre sacré leur apportera un jour. »
« Je comprends ça. »
« Non, je ne pense pas, » réplique Anjie, convaincue que Livia était trop naïve pour saisir la triste réalité. « Il n’y a pas de limite à l’impitoyabilité et à la cruauté des gens. Surtout lorsqu’un énorme profit est en jeu, assis juste devant eux, mûr pour la prise. Ils sont prêts à tout pour le prendre. »
« Anjie… ? » murmura Livia, confuse.
Anjie secoua la tête. « Je ne veux pas entrer dans les détails. Sache juste que si le pire devait arriver, tout ce qui attend Noëlle est un enfer. Peut-être que venir avec nous n’est pas ce qu’elle veut vraiment, mais, que crois-tu qu’il se passerait si un autre pays mettait la main sur elle et la rendait absolument misérable ? »
« Eh bien… » Livia n’avait pas vraiment envie d’y réfléchir, mais elle ne doutait pas que Noëlle serait malheureuse d’être forcée de vivre dans un pays inconnu. Cependant, ce n’était pas ce qui préoccupait Anjie.
« Si Noëlle est malheureuse, cela va peser sur Léon. C’est le genre d’individu qu’il est. Je ne veux pas le voir souffrir. »
Au moment où Livia avait réalisé que l’inquiétude d’Anjie était centrée sur Léon, ses joues avaient rougi d’embarras. « Je suis vraiment désolée. Je n’aurais jamais imaginé que tu pensais aussi loin. »
« Malheureusement, ce n’est que récemment que j’ai commencé à analyser les répercussions futures sous cet angle. Je n’y avais pas encore réfléchi autant, tu n’as donc aucune raison de t’excuser. »
Livia avait baissé son regard, mais Anjie avait placé ses bras autour de Livia. À son tour, Livia avait également enlacé Anjie.
Anjie lui chuchota à l’oreille : « Honnêtement, je ne veux pas vraiment d’autres femmes avec Léon, mais il a l’habitude de semer le trouble. Je ne veux pas non plus voir Noëlle malheureuse, et en tant que noble de Holfort, je ne peux pas ignorer la valeur qu’elle représente. »
« Je ressens la même chose, » dit Livia.
« J’espère que tu peux me pardonner. Je sais que ce n’est pas ce que tu veux non plus, mais notre seul choix est de la laisser avec Léon. Même si nous la ramenons à Holfort avec nous, nous ne pouvons pas la remettre au palais. »
Livia avait hoché la tête, et Anjie s’était penchée vers elle, pressant ses lèvres contre celles de Livia.
☆☆☆
Alors que Yumeria était occupée à nettoyer le foyer, elle s’arrêta et leva la tête. « Le temps est si beau aujourd’hui ! » Elle était d’humeur joyeuse, et les chauds rayons du soleil lui donnaient envie de se blottir pour faire une sieste. Heureusement, elle avait réussi à secouer la tête et à se concentrer sur le travail à accomplir. « Je ne peux pas me permettre de faire ça. Si je ne fais pas d’efforts, Kyle va encore s’énerver contre moi. Il est temps de mettre la main à la pâte ! »
À peine était-elle retournée à son nettoyage qu’une femme franchit la porte d’entrée, un robot de couleur bleue flottant à ses côtés.
« Hein ? Est-ce que c’est M. Luxon ? » murmura Yumeria, stupéfaite.
« Hé, » dit Lelia, sans prêter attention à son commentaire. « Léon et Marie sont-ils là ? »
Yumeria avait tressailli de surprise avant de hocher plusieurs fois la tête. « Oui… Je veux dire, oui, mademoiselle ! » Elle se corrigea, craignant que son ton ne soit trop désinvolte. « Ils sont actuellement ici. »
« Très bien, alors convoquez-les pour moi. Dites-leur que Lelia est ici pour les voir. »
« D’accord ! » Yumeria avait essayé de se précipiter dans le couloir, mais dès qu’elle avait tourné la tête, son pied avait glissé. « Eek ! »
« H-hey ! Allez-vous bien ? »
« M-Mes excuses. Je suis un peu empotée. »
« Vous vous appelez Yumeria, c’est ça ? Vous n’avez pas besoin d’être si pressée. Allez juste à votre rythme et allez me les chercher, d’accord ? »
« Oui ! » Yumeria se leva, épousseta sa jupe avant de se mettre à courir.
« H-hey ! Je vous avais dit de ne pas être si pressée ! » Lelia lui avait crié après. « Ideal ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Oh, ce n’est rien. Alors cette femme elfe s’appelle Yumeria, hm ? »
Yumeria avait déjà disparu à l’intérieur de la maison, elle n’avait donc pas pu entendre cette question.
☆☆☆
« J’ai l’impression d’avoir été dans le noir alors que tant de choses se passaient. » Noëlle était assise dans la cage d’escalier, les bras autour du jeune arbre, bien calé dans son étui de protection.
Marie s’était assise à côté de Noëlle. Les filles s’étaient rapprochées pendant le séjour de Marie à l’étranger, et comme elle connaissait la situation de Noëlle, elle faisait ce qu’elle pouvait pour la soutenir.
« Tu peux laisser tout ça à Léon. La grande question est : que vas-tu faire ? »
Noëlle continua de bercer le jeune arbre dans ses bras, incapable de se décider. « Je ne sais pas. J’ai l’impression que ce n’est pas bien de laisser Léon s’occuper de moi. Après tout, il est déjà fiancé deux fois. Crois-tu vraiment que ce serait acceptable que je m’impose à lui ? »
« Il a gâché ton mariage », lui avait rappelé Marie. « Tu devrais t’appuyer sur lui. Utilise-le pour ce qu’il vaut. »
« C’est un peu exagéré. » Noëlle ne pouvait pas se résoudre à aller jusqu’à de telles extrémités, elle avait encore des sentiments pour Léon.
« Eh bien, tu peux y réfléchir pendant un certain temps. Tu as tout ton temps. » Aussi détendue qu’elle paraisse, Marie paniquait intérieurement.
Nous ne pouvons pas laisser Noëlle seule, mais mon frère insiste pour la laisser prendre la décision. Qu’est-ce qu’on est censé faire ? Argh, je ne peux pas supporter ça. Rien ne se passe comme prévu !
Marie se creusait la tête, essayant de trouver un moyen de résoudre les choses à la satisfaction de toutes les parties concernées, mais elle n’était pas allée bien loin avant que Yumeria ne monte les escaliers en titubant.
« Ah, Lady Marie ! Nous avons une invitée ! »
« Pour moi ? »
« Eh bien, elle m’a demandé de convoquer ainsi que le Seigneur Léon, donc je prévois d’aller le chercher ensuite. Si vous voulez bien m’excuser — ah ! » Yumeria était tellement pressée qu’elle avait trébuché sur une marche et s’était cognée le genou.
Noëlle s’était précipitée vers Yumeria et l’avait aidée à se relever. « Allez-vous bien ? »
« O-Oui. Notre invitée m’a demandé de faire vite, alors j’essaie de me dépêcher. »
Marie ne voyait personnellement aucun problème à faire attendre leur invité. Si elle demandait aussi Léon, elle pouvait deviner exactement qui c’était. En regardant du deuxième étage, elle n’avait pas été surprise d’apercevoir Lelia qui entrait hardiment dans le foyer, les bras croisés sur sa poitrine. À ses côtés flottait Ideal, l’IA dont Léon avait parlé à Marie.
Pendant que Yumeria partait chercher Léon, Noëlle s’était rendue au premier étage.
« Lelia, pourquoi es-tu là ? Hein ? Pourquoi cette chose ronde et flottante ressemble-t-elle exactement à Luxon ? » demanda Noëlle, perplexe.
« C’est un plaisir de vous rencontrer, Lady Noëlle, » dit Ideal d’un ton amical. « Je m’appelle Ideal. Luxon et moi sommes… semblables, je suppose. J’espère que nous pourrons être amis. »
« Euh, oui. Bien sûr. » Noëlle était déconcertée. Comment Lelia avait-elle pu posséder quelque chose qui ressemblait presque exactement au familier de Léon ? Marie n’avait pas l’air d’en être gênée, mais Noëlle ne pouvait pas se défaire de sa confusion.
« Tu aimes vraiment te montrer à l’improviste », déclara Marie avec sarcasme.
Lelia avait fait passer ses cheveux par-dessus son épaule. « J’ai dit à Léon que je viendrais lui parler il y a quelques temps. Mais je suis plus préoccupée par ce qui se passe en ce moment. »
Comme ils ne pouvaient pas discuter devant Noëlle, Marie déclara : « Va t’asseoir dans le salon pour l’instant. Léon va bientôt arriver. »
« Très bien. Alors, je vais attendre. Oh, et en attendant, je vais avoir une discussion avec ma sœur. » Lelia avait pris la main de Noëlle et l’avait entraînée dans la salle.
Marie avait ricané. « Croit-elle que Noëlle n’est qu’une poupée qu’elle peut traîner quand ça l’arrange ? »