Wortenia Senki – Tome 9 – Chapitre 3

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Chapitre 3 : Le deuxième obstacle

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Chapitre 3 : Le deuxième obstacle

Partie 1

Face aux vastes plaines qui s’étendaient sous la falaise sur laquelle il se trouvait, Ryoma poussa un profond soupir. Il se tenait sur un terrain élevé, surplombant la frontière entre les plaines de Notis et la forêt au nord de celle-ci. Un court trajet vers le sud les mènerait à leur destination, Fort Notis.

« Eh bien, d’une manière ou d’une autre, nous avons traversé les montagnes… »

En termes de temps, il leur avait fallu environ trois semaines pour arriver ici. Depuis qu’ils étaient entrés dans les montagnes au sud de Memphis, ils avaient dû se déplacer lentement le long des contreforts, afin de ne pas attirer l’attention d’O’ltormea.

Parmi les soldats que Grindiana lui avait donnés, plusieurs centaines n’avaient pas survécu au voyage. Bien sûr, lorsque Ryoma avait élaboré ce plan, il avait gardé à l’esprit que ces pertes étaient tout à fait possibles. Après tout, il avait basé cette stratégie sur l’exemple de la traversée des Alpes par Hannibal Barca, où des dizaines de milliers de soldats étaient morts pendant le voyage.

Cela dit, le voyage de Ryoma n’était pas parfaitement comparable à celui d’Hannibal. Hannibal avait traversé les Alpes enneigées en plein hiver, tandis que Ryoma avait dû traverser une région grouillante de monstres. Mais ils étaient identiques dans le sens où ils avaient traversé un territoire inexploré le long d’un chemin sans piste pour infiltrer le territoire ennemi.

Choisir de ne pas écarter le groupe d’Olivia était le bon choix.

Ryoma repensa aux aventuriers à qui il venait de payer le reste de la récompense et avec qui il s’était séparé. Après que lui et les jumelles aient repoussé l’attaque de l’Aigle Royal, ils s’étaient rendus au campement prévu pour la journée et s’étaient regroupés avec Olivia et les autres.

Olivia les regarda tous les trois comme s’ils étaient des fantômes. Rencontrer quelque chose de l’ampleur de l’Aigle Royal était quand même généralement une sentence de mort. Les seuls qui pouvaient même blesser une telle créature étaient des archers armés d’arcs puissants, ou des mages doués de magie verbale.

Mais la façon dont Ryoma s’était porté volontaire pour être le leurre avait un sens. Le fait que le chef de l’expédition ait non seulement agi comme un leurre, mais ait également tué le monstre dans le processus, fit disparaître tout mécontentement ou plainte que les soldats avaient à son égard.

En effet, à la suite de cet incident, les soldats d’Helnesgoula avaient complètement abandonné leur scepticisme initial, et on pouvait en dire autant du groupe d’Olivia. Ils ne voulaient clairement pas s’attirer la colère de trois personnes capables de vaincre un Aigle Royal.

Ce n’est pourtant pas comme si j’avais fait grand-chose là-bas…

L’Aigle Royal respirait déjà à peine après avoir été frappé par la magie des sœurs Malfist. La seule contribution de Ryoma fut d’enfoncer Kikoku dans le cœur d’un Aigle Royal mourant.

Malgré cela, ils avaient pu techniquement le vaincre ensemble. Il s’agissait juste de savoir à quel point on voulait que la vérité soit précise. Pourtant, les sœurs Malfist, qui étaient les plus performantes ici, avaient activement dirigé toutes les louanges et le crédit vers Ryoma. Insister pour mettre les choses au clair me semblait être un effort inutile.

Je suppose que je dois juste considérer ça comme une aubaine.

Le malentendu des soldats sur ce qui s’était passé joua en faveur de Ryoma. Alors que cette pensée lui traversait l’esprit, Sara lui chuchota à l’oreille par-derrière.

« Maître Ryoma… Sakuya vous attend à la tente. »

En entendant ce rapport, les yeux de Ryoma se rétrécirent fortement. Selon les informations que Sakuya était sur le point de livrer, son plan pourrait avoir besoin d’une révision importante.

« Très bien. Dis-lui que j’arrive tout de suite. »

Sara s’était inclinée et fit demi-tour, partant précipitamment. Ryoma commença à la suivre, mais s’arrêta après quelques pas.

« Et maintenant… Comment les dés vont-ils tomber ? », murmura-t-il pour lui-même tout en jetant un regard en arrière vers les plaines qui s’étendaient sous la falaise.

C’était comme s’il échangeait des regards avec un ennemi invisible…

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« Alors ? Comment ça s’est passé ? »

Ryoma s’adressa à Sakuya à l’instant même ou il entra dans la tente. Celle-ci l’attendait sur un genou. L’attitude de Ryoma ne pouvait pas être qualifiée de courtoise, et les chevaliers d’Helnesgoula qui les entouraient étaient assez décontenancés par l’insensibilité dont il faisait preuve.

Cependant, personne n’avait l’intention de l’interpeller à ce sujet. Pas après qu’il les ait menés à travers trois semaines de voyage éreintant. Pour faire simple, ils s’étaient habitués à lui.

« Seigneur. Comme je le soupçonnais lors de mon enquête préliminaire, le Fort Notis n’a pas de points faibles particuliers que nous pourrions exploiter. »

« Très bien… Passer à l’offensive avec les effectifs dont nous disposons est-il impossible ? »

« Oui. Ils ont trois couches de murs et un fossé… Il nous faudrait des dizaines de milliers de personnes pour les assiéger avec succès. »

Ryoma le savait déjà, mais les défenses de Fort Notis étaient blindées.

C’est bien ce à quoi je m’attendais

Fort Notis était quand même la ligne de survie de l’armée d’invasion. Et les provisions accumulées entre les murs de la forteresse ne faisaient que contribuer à son imprenabilité.

Pourtant, Helena et les autres ne pouvaient pas se cacher indéfiniment dans le Fort Ushas. Helena était connue comme la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria, et avec elle se trouvait la Tempête — Ecclesia Marinelle, le célèbre général de Myest. Et ils avaient aussi Joshua Belares, qui était effectivement au même niveau qu’un général.

Face à trois puissants généraux, même une armée dirigée par Shardina Eisenheit elle-même ne renverserait pas la forteresse facilement. Mais le combat pouvait être inconstant et soumis au hasard. La moindre inattention pouvait bouleverser le cours de la bataille. Et il était probablement préférable de supposer que l’ennemi voudrait en finir le plus rapidement possible.

Néanmoins, ça ne sert à rien de demander l’impossible… Nous allons devoir avancer notre programme.

Ryoma posa cette question à Sakuya avec le faible espoir qu’elle ait découvert une sorte d’ouverture qu’ils pourraient exploiter. Mais s’il n’y en avait pas, il n’y avait rien à faire.

Le fait de devoir utiliser la tactique qu’il était sur le point d’employer ne lui faisait pas plaisir, mais étant donné la situation, il ne pouvait pas laisser ses préférences personnelles être un facteur dans sa décision.

« Ont-ils changé le capitaine responsable des défenses du fort ? », demanda Ryoma.

« Non. C’est toujours Greg Moore », dit Sakuya en secouant la tête.

Ryoma gloussa dans son cœur.

Moore, la Lame du Dieu de l’Eau… J’étais un peu inquiet quand j’ai appris que Shardina réorganisait ses forces, mais tout se passe comme prévu.

Le personnel n’avait pas changé depuis leur précédente enquête. Avoir un autre capitaine responsable de la sécurité du fort aurait été un problème majeur pour Ryoma, mais heureusement, ce n’était pas le cas.

« Très bien… Nous avancerons donc comme prévu. Vous vous souvenez tous de la procédure, n’est-ce pas ? », dit Ryoma.

À cette question, l’atmosphère s’était refroidie dans la tente.

« Bien sûr. Nous allons vous montrer la puissance des chevaliers d’Helnesgoula, Seigneur Mikoshiba », dit l’un des chevaliers, ce à quoi ses collègues élevèrent la voix en signe d’encouragement.

Ryoma acquiesça en silence.

*****

Alors que le village brûlait, fumant sous ses yeux, Sara écarta les lèvres d’un air morose.

« C’est déjà le troisième… »

Ryoma détourna son regard d’elle.

Nous n’avons pas le choix…

Ils savaient que ça allait arriver, ils étaient préparés à ça. Mais c’était quand même un travail décourageant. Ils brûlaient sans discernement les villages autour de Fort Notis. Attaquer les villages de l’ennemi et les piller pour obtenir des provisions était considérée comme une tactique viable sur le champ de bataille, mais Ryoma aurait préféré ne pas avoir recours à cela.

Nous devons le faire si nous voulons détruire le fort.

Il n’allait pas s’excuser, mais Ryoma n’avait pas fait cela par désir de tourmenter les habitants d’O’ltormea. Il n’avait tout simplement pas d’autre recours. À cet égard, le rasage de ce village faisait partie de sa stratégie, et Sara le savait. Elle était plutôt pâle, mais elle faisait son travail.

Pourtant, ce village se porte probablement mieux que les autres…

Les villageois se rassemblaient sur la place du village. Tant qu’ils n’essayaient pas de se défendre et de causer des ravages inutiles, ils n’avaient pas besoin de mourir, et Ryoma leur avait dit qu’ils étaient autorisés à prendre tous leurs objets de valeur et leur nourriture avec eux. Il était pourtant difficile de savoir à quel point cela les avait aidés. Se retrouver sans foyer dans ce monde pouvait être assez difficile. Mais quand même, il voulait éviter les meurtres et les pillages inutiles autant que possible.

Et il avait une autre raison de le faire : il avait besoin que ces villageois survivent à tout prix.

Mais Ryoma ne savait pas dans quelle mesure les soldats qui attaquaient les autres villages suivaient ses ordres. Helnesgoula et Xarooda étaient des ennemis acharnés d’O’ltormea depuis de nombreuses années, et les citoyens de chaque pays étaient remplis d’une sombre haine pour les habitants de leurs pays rivaux. Les soldats avaient donc pu prendre l’absence de Ryoma comme une chance d’évacuer cette haine.

Et le fait qu’ils fassent cela semblait presque naturel. Ils avaient reçu l’ordre de faire croire que le rasage était le fait de bandits, alors ils volèrent, brûlèrent et ravagèrent sans pitié. Et même dans le contexte d’une guerre, c’était un spectacle macabre. Mais d’un autre côté, c’était aussi la conséquence du choix de ces villageois. Ils n’auraient pas dû vivre dans un pays militant qui choisissait activement la guerre.

« Seigneur ! Ennemis par-derrière ! »

L’un des ninjas d’Igasaki, qui faisait office de vigie, se précipita vers Ryoma.

Ryoma acquiesça à son rapport.

Greg Moore… Il avance, comme je le pensais.

Étant donné l’importance de Fort Notis, ils ne pouvaient pas facilement envoyer des soldats du fort, même si les citoyens de leur pays étaient attaqués. Aussi solide que soit le fort, il ne pouvait rien défendre sans soldats à ses postes. Mais si l’on examinait la situation sous un autre angle, cette vérité évidente éclairait une autre conclusion.

Il a probablement envoyé le même nombre de troupes dans les autres villages…

Heureusement, Greg Moore était un commandant compétent. Même s’il était le commandant responsable de la sécurité du fort, il comprenait l’agitation qui régnait sur le territoire d’O’ltormea. C’était un officier remarquable, à tous points de vue.

Et c’était exactement pour cela qu’il faisait le jeu de Ryoma.

« Très bien, nous ne devrions pas rester ici plus longtemps. Dépêchez-vous et battez en retraite ! » ordonna Ryoma, ses lèvres se retroussant en un rictus.

Il avait compris que sa proie fonçait dans le piège qu’il avait préparé.

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Partie 2

Quelques jours plus tard, le moment était venu.

Devant les yeux de Ryoma se trouvait la grande forteresse, éclairée par des torches. Cette solide structure de pierre ne se laissera pas abattre par une attaque timide. Les milliers de soldats en garnison dans cette structure effraieraient toute personne assez téméraire pour s’en approcher.

Dans les entrepôts de ce fort se trouvaient de grandes réserves de nourriture et d’équipement rassemblées pour faciliter l’invasion d’O’ltormea sur Xarooda. Cette base était également reliée aux zones urbaines à l’arrière.

Si Ryoma devait renverser cette forteresse de front, il aurait besoin de dizaines de milliers de soldats et de quelques armes de siège. Il devra donc être prêt à subir de grandes pertes, et même dans ce cas, le siège durerait des mois.

Et tout cela en supposant que la base ne reçoive pas de renforts. C’était en effet une forteresse imprenable.

« C’est donc ça, Fort Notis… Oui, c’est aussi impressionnant que ce que j’ai entendu dire », chuchota Ryoma en s’asseyant sur son cheval et en soulevant la visière de son casque.

Le fort s’agrandissait à mesure qu’ils s’en approchaient. Depuis le moment où il avait été construit il y a plusieurs mois, il avait servi de forteresse défensive contre Xarooda. Tout comme le Fort Ushas était la dernière ligne de défense contre une invasion d’O’ltormea, le Fort Notis était le pivot d’O’ltormea pour sécuriser le front oriental.

« Oui. Mais maintenant… », répondit le préposé aux côtés de Ryoma d’une voix rappelant le carillon d’une cloche.

Son visage était caché par la visière de son casque, mais la courbure souple de sa poitrine et les mèches argentées, semblables à de la soie, qui s’échappaient de son casque révélaient qu’il s’agissait de Laura.

Ryoma haussa les épaules et hocha la tête : « Je suppose… Il nous a fallu beaucoup de travail pour pouvoir arriver à ce moment-là. Si je me plante ici, je ne pourrai pas regarder Helena dans les yeux. »

Il est vrai que renverser Fort Notis serait difficile en utilisant des méthodes conventionnelles. Mais tant que l’on n’était pas pointilleux sur ses méthodes, cela n’était pas impossible. Et pour cela, Ryoma avait fait de nombreux sacrifices et passé beaucoup de temps à se préparer.

Et maintenant, le moment était enfin arrivé. C’était la chance sur mille dont il avait besoin…

« Désolé pour l’attente ! »

Un chevalier sortit au galop de la forteresse, s’approchant de Ryoma tout en haletant pour respirer.

« Il a fallu du temps pour tout expliquer, mais il semblerait qu’ils nous donnent la permission d’entrer dans le fort. »

Levant la main en signe de remerciement, Ryoma se tourna vers la longue colonne d’hommes derrière lui.

C’est la fin de nos préparatifs… Ils agissent tous comme je leur ai dit. Sauf que…

Ryoma avait l’air calme en apparence, mais son cœur était pris d’anxiété et d’impatience. Le destin d’un pays reposait sur ses larges épaules. La plupart des gens seraient paralysés par la peur et la pression de tout cela.

Mais au fond de son cœur vacillant, à l’insu de Ryoma, brûlait une envie de bataille. Ses émotions étaient contradictoires. Une personne qui ne ressentait aucune peur ou anxiété est comme un véhicule sans freins. La forme du courage ultime consistait à supprimer ces sentiments de peur et d’anxiété et de les convertir en force.

Cela nécessitait un cœur en conflit. Ce dernier devait connaître la peur, mais sans se laisser dominer par elle. Et peut-être que cette contradiction même faisait partie de ce qui faisait d’une personne un héros.

Ça va aller… Ça va marcher… Ce n’est pas différent d’avant.

Les lèvres de Ryoma étaient devenues sèches à cause du stress et de l’excitation. Son esprit s’était remémoré une scène d’il y a des années, alors qu’il était encore un enfant. À l’époque où il se battait fièrement et ardemment pour protéger l’endroit auquel il appartenait.

« Allons-y ! », cria Ryoma.

Tout le monde autour de lui hocha la tête. La colonne de soldats commença à avancer sur la longue route entre la ville d’Aruo et le Fort Notis. Le cliquetis des sabots et le grincement des roues des chariots contre le sol grondaient dans l’air. Les armures argentées scintillaient à la lumière des torches qui éclairaient la nuit noire.

Comme une armée de messagers, sortis des enfers pour annoncer l’approche de la mort…

Les plaines de Notis étaient proches de la frontière O’ltormea-Xarooda, et maintenant, l’armée d’O’ltormea se préparait à entrer dans la phase finale de son invasion. Et ces plaines, le site même où Arios Belares, la divinité gardienne de Xarooda, avait subi une défaite honorable aux mains de Shardina Eisenheit, la première princesse de l’Empire d’O’ltormea, seraient le lieu de cette bataille finale.

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Assis dans un bureau niché au cœur des solides murs du Fort Notis se trouvait l’officier chargé de la défense de la forteresse, ainsi que le responsable du soutien logistique de l’armée d’invasion, Greg Moore. Mais alors qu’il poussait un profond soupir, une bouffée de fumée violette s’échappa de sa bouche.

« La prochaine unité de transport est enfin arrivée. Avec une unité d’escorte de deux mille… Mm, tant que c’est ça, nous pouvons nous reposer tranquillement pour un temps. »

Le goût du cigare dans sa bouche, un produit de haute qualité apporté du continent central, lui calma les nerfs.

« Oui, apparemment ils ont apporté les fournitures et le matériel de la capitale. »

Moore reposa son cigare sur un cendrier et reçut un document de son assistant. Le papier portait effectivement le sceau officiel de l’Empire d’O’ltormea, c’était un document officiel.

« Bon… L’unité d’escorte est cependant nettement plus petite que je ne le pensais. »

« Oui… Je pense qu’il est juste de supposer qu’ils ont été touchés par un raid… », dit l’assistant, mal à l’aise.

Moore sentit un léger spasme dans sa tempe au son de ces mots.

« Joshua Belares… », siffla-t-il avec amertume.

Moore avait des cheveux dorés, coupés court, et des traits de visage sévères. L’odeur unique à un homme qui avait survécu longtemps sur le champ de bataille se dégageait de son corps. La cicatrice qui traverse sa joue gauche lui donnait une impression frappante et menaçante. En raison de son âge, son ventre commençait à ressortir, mais personne ne doutait de ses capacités de guerrier.

En tant que guerrier, il était bien au-dessus de la simple première classe, ce n’était donc pas pour rien qu’on lui avait confié la tâche d’assurer les défenses du fort et d’être en charge du soutien logistique. Les doigts épais de Moore se frottèrent inconsciemment contre la cuisse de sa jambe droite. C’était une blessure qu’il avait subie en combattant les chevaliers de Xarooda pendant la bataille des plaines de Notis.

Sa jambe avait été piétinée par le sabot d’un cheval, ce qui signifiait qu’il aurait dû être amputé. En vérité, sa jambe n’aurait pas dû être attachée à son corps en ce moment. Mais grâce à l’utilisation de copieuses quantité de narcotiques très coûteux et avec l’aide d’une guérison complète des mains d’un mage verbal compétent, sa jambe avait été capable de se remettre suffisamment de l’incident.

Mais ce n’était plus la même chose. Un étrange sentiment d’inconfort la recouvrait constamment, sans jamais s’estomper. Cela ne le gênait pas dans sa vie quotidienne, mais chaque fois qu’il mettait son armure et prenait son épée, il ne pouvait pas se résoudre à marcher correctement sur cette jambe.

Il n’avait aucun mal à affronter des soldats faibles qui n’étaient pas capables de faire de la magie martiale. Le fait qu’une personne puisse utiliser ce pouvoir ou non faisait après tout toute la différence dans une bataille. Et lorsqu’il combattait de jeunes chevaliers, qui n’avaient acquis le pouvoir de la magie que récemment, il pouvait encore gagner. Les jeunes soldats stupides qui n’avaient pas encore déterminé les limites et les frontières de leur pouvoir étaient pleins d’une confiance excessive. Pour un vétéran comme Moore, ils n’étaient pas différents d’un faible sans aucun pouvoir.

Mais s’il affrontait un guerrier expérimenté qui maîtrisait la magie martiale, la condition de Moore le désavantageait. Il suffisait d’une légère sensation d’inconfort, de l’écho d’une blessure qui ne pouvait jamais tout à fait guérir… cela suffisait à devenir un handicap fatal sur le champ de bataille.

Ce fut la raison pour laquelle Moore avait accepté la responsabilité d’organiser la sécurité de Fort Notis.

Si seulement ma jambe pouvait bouger correctement… Je partirais moi-même en première ligne et j’écraserais ces chiens de Xaroodia aux côtés de la Princesse Shardina…

Il n’avait pas l’intention de dire du mal ou de mépriser le devoir de garder l’arrière. Les soldats en première ligne ne pouvaient se battre que parce qu’ils avaient une chaîne d’approvisionnement qui les nourrissait. Mais Moore avait combattu sur le champ de bataille pendant de nombreuses années, et cette situation le laissait impatient. Ses yeux se tournèrent vers son sabre.

« Cette peste impudente… L’issue de cette guerre est évidente, et il se débat encore… Je suppose que le fait de ne pas savoir abandonner est une tare dans cette famille. Mais essayer d’arrêter les nobles causes d’O’ltormea… J’aimerais déjà pouvoir planter mon épée dans ses tripes. »

Cette guerre avait duré trop longtemps maintenant. Il avait entendu dire que les hostilités étaient dans l’impasse au bassin d’Ushas. La Princesse Shardina lui avait envoyé une lettre de réprimande l’autre jour. Cette nouvelle rendit Moore, qui ne pouvait participer directement aux combats, encore plus amer.

« La caravane de ravitaillement envoyée il y a quelques jours à Fort Noltia a été touchée par un raid, la colère de la princesse Shardina est donc compréhensible. Mais cela ne change rien au fait que Fort Notis est la ligne de vie de l’armée d’invasion. », dit l’assistant de Moore, essayant de calmer son supérieur.

L’homme savait que Moore était exceptionnellement rationnel, mais qu’il n’était pas facile à arrêter une fois que sa colère prenait le dessus. Il ressemblait un peu à un taureau enragé par un mouchoir rouge. C’était l’un des rares défauts de Greg Moore, qui était par ailleurs très compétent en politique et en économie.

« Je suis bien conscient de votre colère, monsieur, mais nous devrions éviter d’agir de manière imprudente et de nous faire prendre dans les raids de Joshua Belares. »

« Il s’est déjà replié sur le bassin d’Ushas. Pensez-vous que son armée va vraiment ressortir ? », demanda Moore.

« Cet homme est excentrique. Après le dernier raid d’il y a quelques jours, son unité s’est repliée dans la région d’Ushas, mais si on lui en donne l’occasion, il pourrait lancer une attaque tout azimut contre nous. », acquiesça l’aide.

L’assistant préconisait la prudence, sachant que son supérieur pouvait très bien se précipiter en première ligne malgré sa jambe blessée si son humeur prenait le dessus. Bien sûr, les chances que Joshua attaque à nouveau les lignes de ravitaillement étaient faibles.

Avec ses troupes maintenant à l’intérieur du bassin d’Ushas, retourner dans les régions frontalières serait trop éprouvant pour son unité, étant donné leur mobilité. Et comme le jour de l’offensive de Shardina approchait à grands pas, le camp de Xarooda, qui manquait d’effectifs, souhaitait probablement que le plus grand nombre possible d’entre eux prenne des positions défensives.

Pourtant, les chances que Joshua tente de les attaquer n’étaient pas nulles. S’ils baissaient le niveau de prudence des unités d’approvisionnement et qu’ils étaient frappés par un autre raid, la balance de la guerre pourrait commencer à pencher en leur défaveur.

« Oui, vous avez raison… Nous devrions rester vigilants, au moins jusqu’à ce que le bassin d’Ushas ait été saisi. »

« Oui. Avec quelques jours de plus, Son Altesse devrait commencer son offensive sur Fort Ushas. Si cette forteresse venait à tomber… »

« Nous serons en mesure de diviser Xarooda en deux et de frapper chaque partie du pays individuellement », Moore termina les mots de son assistant, ses lèvres se retroussant en un sourire en coin.

***

Partie 3

L’aide acquiesça sans mot dire. Ils avaient été informés depuis les lignes de front que Shardina se préparait à lancer un assaut décisif sur le Fort Ushas. Joshua Belares le savait, et c’était pourquoi il avait déplacé ses hommes, qui avaient attaqué la ligne de ravitaillement dans la région montagneuse le long de la frontière, dans le bassin d’Ushas.

« Oui… Et pour ce faire, il nous suffit d’amener les fournitures qui nous ont été livrées maintenant jusqu’aux lignes de front. Les 2 000 hommes que nous avons reçus cette fois-ci devraient suffire à assurer la sécurité de la ligne de ravitaillement. »

La force de raid de Joshua, qui dominait les régions montagneuses de Xarooda, était estimée à environ 10 000 hommes. Il s’agissait cependant de la totalité des forces de Joshua, seuls quelques centaines à quelques milliers d’hommes attaquaient chaque convoi individuel.

Ils lançaient leurs attaques-surprises le long d’étroits cols de montagne et de routes. Afin de maintenir la mobilité, chaque unité ne pouvait pas être plus grande que cela. Joshua lui-même était déjà dans le bassin d’Ushas, mais il pouvait encore y avoir quelques groupes d’attaque cachés dans les montagnes.

Cependant, s’ils devaient reléguer 4 000 hommes à la garde du convoi cette fois-ci, la possibilité que des problèmes surviennent était faible.

« Oui, une force de 4 000 hommes devrait permettre d’éviter toute embuscade que cet impudent môme a laissée derrière lui. Le seul problème est que nous aurons moins de soldats pour tenir la garnison du fort… », dit Moore en se tapotant le menton d’un air pensif.

Le fort Notis avait une garnison initiale de 12 000 hommes, mais Shardina avait réorganisé ses forces pour l’offensive à venir, laissant seulement un peu plus de 5 000 soldats dans le fort. C’était plus que suffisant pour repousser toute attaque de bandits, mais c’était une force trop faible pour tenir une fortification défensive, même s’ils étaient bien à l’intérieur du territoire O'ltormean. C’était une cause d’anxiété.

Pire encore, les incidents de bandits attaquant et brûlant des villages étaient monnaie courante ces derniers temps. Pour y faire face, Moore avait envoyé 2 000 de ses hommes pour maintenir la paix, réduisant la garnison à seulement 3 000 hommes.

S’il envoyait 2 000 hommes de plus pour garder le convoi, la garnison de Fort Notis deviendrait encore plus mince qu’elle ne l’était déjà. Et aussi imprenable que soit le fort, c’était une position précaire.

« Peut-être pouvons-nous attendre les unités que nous avons envoyées dans les villages environnants », proposa l’assistant.

Moore secoua la tête et sortit une directive du tiroir de son bureau.

« Non. Vu l’urgence de la situation sur les lignes de front, nous devons agir aussi vite que possible. »

Moore était conscient de la position dangereuse dans laquelle il les plaçait, mais il n’allait pas s’opposer à la volonté de Shardina alors qu’elle était sur le point de lancer son attaque totale. Lisant la détermination de son commandant dans son expression, l’aide acquiesça.

« Compris. Je vais faire les préparatifs. Veuillez donc m’excuser. »

L’aide s’inclina et quitta la pièce. En le regardant fermer la porte, Moore murmura silencieusement.

« Encore un peu de temps… Une fois cette guerre terminée, tout reviendra à la normale… »

L’Empire d’O’ltormea aspirait à devenir le souverain du continent occidental, mais ce n’était à l’origine qu’un petit pays au centre du continent. L’Empereur, Lionel Eisenheit, l’avait habilement mené aux côtés de ses talentueux serviteurs pour conquérir par la force leurs voisins, ce qui avait donné naissance à l’état actuel de l’Empire.

En conséquence, les fondements du contrôle de l’Empire étaient plus fragiles que ceux des autres pays. On pourrait dire que la domination d’O’ltormea était dans un état très instable à l’heure actuelle. La raison principale était que la défense nationale s’était amincie suite à l’invasion de Xarooda. Shardina s’attendait à ce que la campagne soit rapide et avait attiré de nombreux soldats de tout le pays pour soutenir son invasion.

Les petites communautés agricoles en avaient été particulièrement affectées. Elles étaient considérées comme ayant peu d’importance stratégique, et la plupart de leurs hommes étaient relégués à l’effort de guerre, ne laissant que le strict minimum nécessaire au maintien de l’ordre public. Cette mesure avait été prise parce qu’O’ltormea était entourée de pays rivaux dans toutes les directions, ce qui signifiait que Shardina ne pouvait pas attirer de soldats pour surveiller les frontières.

En conséquence, l’ordre public au sein du pays s’était considérablement détérioré. Les villages et les villes situés loin des grands axes routiers étaient constamment en proie à des raids de bandits. Moore n’était bien sûr pas du genre à choyer les roturiers, et il n’avait pas non plus d’idéaux élevés sur les devoirs de la classe dirigeante.

Dans ce monde, la seule chose qui comptait était le destin du pays, pas celui de l’individu. Surtout lorsqu’il s’agissait des roturiers. Aux yeux des nobles, leurs vies étaient aussi sacrifiables et sans valeur que des déchets.

Mais le déclin de l’ordre public n’était pas un problème qu’un pays militant pouvait ignorer. Il était facile de dire que les roturiers n’avaient aucune valeur, mais aucune politique ne pouvait ignorer complètement leur existence. Si O’ltormea ne pouvait pas gérer ça, cela signifierait qu’il perdrait sa dignité et sa crainte, et que les roturiers commenceraient à douter de la légitimité de son gouvernement.

On pourrait croire que les roturiers n’étaient pas différents du bétail, mais les voir se révolter serait problématique. Certes, les chevaliers étant beaucoup plus forts que les roturiers, la révolte pourrait être étouffée par la puissance militaire. Mais cela ne résoudrait en rien leur mécontentement.

Les recettes fiscales et le commerce en prendraient un coup, entraînant une inévitable diminution des approvisionnements. Et avec l’invasion de Xarooda en cours, le déclin au sein du pays pourrait faire dépérir la campagne de Shardina derrière les lignes ennemies.

Nous ne pouvons pas laisser le mécontentement des roturiers exploser maintenant. Au mieux, nous devons les maintenir sous pression d’un côté et en vie de l’autre…

Le fait qu’il soit à la fois un guerrier et qu’il ait la capacité de réaliser cela rendait Moore exceptionnellement capable pour tout ce qui concernait O’ltormea. L’Empire avait un vaste territoire, et si tout ce que l’on voulait était un puissant guerrier, il y avait beaucoup de chevaliers disponibles qui pouvaient égaler Greg Moore. Et il y en avait d’autres qui étaient aussi instruits et intelligents que lui. Mais peu étaient aussi doués que lui pour la force martiale et l’intelligence.

J’aimerais juste avoir une personne avec une vision plus large comme assistant… Cette pensée avait traversé l’esprit de Moore.

Bien sûr, l’aide de tout à l’heure n’était en aucun cas incompétent. C’était un guerrier accompli et un commandant fiable sur le champ de bataille. Mais en ce moment, l’Empire n’avait pas besoin de gens qui n’étaient bons qu’à se battre.

L’autre jour, les villages autour d’Adelpho avaient été attaqués par une bande de plusieurs centaines de bandits. Les dégâts de ces raids étaient considérables. Pour faire face à cela, la capitale avait fait pression sur Moore pour qu’il envoie des soldats afin de maintenir l’ordre public. Cela l’avait obligé à réduire les effectifs de la garnison et à réaffecter un bon nombre de ses hommes à cette fin.

Les routes devaient être sûres afin d’assurer le passage des convois de transport, ce n’était donc pas comme si l’affaire lui était étrangère. Pourtant, cela ne relèverait normalement pas de sa juridiction. Il devait quand même le faire, puisqu’il n’y avait personne d’autre capable de s’en occuper. Et c’était précisément pour cela que Shardina, malgré la situation explosive dans laquelle elle se trouvait, lui avait confié Fort Notis.

« Votre Altesse… Vous n’avez qu’à attendre patiemment un peu plus longtemps… »

Moore chuchote à Shardina au loin, ses yeux regardant le ciel étoilé derrière sa fenêtre.

C’était la vision même d’un soldat loyal à l’Empire d’O’ltormea. Cependant, c’était exactement la raison pour laquelle Greg Moore n’avait pas remarqué la présence de la Faucheuse, se glissant derrière lui…

*****

« Hm… »

Ce murmure fin et subtil semblait résonner exceptionnellement fort dans la grande pièce.

Il provenait de la tour centrale qui se dressait au cœur de Fort Notis. Au dernier étage se trouvait une chambre à coucher, sur laquelle était allongé un homme qui regardait en l’air. Quelques murmures s’échappent de ses lèvres, bien qu’ils soient plus proches de soupirs.

Laissant échapper un autre murmure, Moore se retourna dans son lit. Il avait fermé les yeux et enfoui son visage dans l’oreiller, mais il s’était retourné une fois de plus et s’était couché sur le dos. Le rideau d’obscurité qui recouvrait le ciel nocturne commençait à s’amincir. Dans 30 minutes, la lumière de l’aube commencerait à briller à l’horizon.

Il ne s’était pas couché plus tard que d’habitude, ce qui signifiait que Moore avait passé des heures allongé dans son lit, incapable de s’endormir.

Je ne peux pas dormir…

C’était comme si quelque chose se tordait à l’intérieur de son corps. Quelque chose de vexant, d’irritant, d’inexplicable faisait vaciller le cœur de Moore. L’une des compétences les plus essentielles lorsqu’on voulait survivre sur le champ de bataille était de dormir autant que possible et d’être capable de se réveiller rapidement lorsque le besoin s’en faisait sentir.

Les soldats avaient besoin de sommeil, mais ils étaient sur le champ de bataille, un endroit où l’ennemi pouvait attaquer à tout moment. Le fait que l’on puisse obtenir tout le temps de sommeil dont on avait besoin était nullement garantie. C’était pourquoi un soldat devait maintenir l’équilibre entre se reposer chaque fois qu’il le peut et être prêt à réagir promptement dès que l’ennemi frappe.

Malgré cela, Moore n’avait pas pu s’endormir cette nuit-là.

Je suppose que je vais abandonner et sortir du lit…

Il se leva et fit sonner la cloche qui se trouvait à son chevet pour faire entrer un garde.

« Excusez-moi, monsieur… Puis-je vous aider ? », dit le préposé en entrant dans la chambre.

Moore demanda au préposé d’apporter de l’eau froide.

Hmm… C’est bien, se disait-il alors qu’il se versait de l’eau du pichet et vidait la tasse.

L’eau fraîche coula dans sa gorge et étancha sa soif. Apparemment, ses angoisses l’avaient tourmenté plus qu’il ne le pensait. Après avoir pris une autre inspiration, Moore s’allongea de nouveau sur le lit. Cette fois, il n’avait pas l’intention de dormir.

Je ne comprends pas… Qu’est-ce qui se passe ?

C’était comme si l’intuition guerrière de Moore essayait de l’avertir de quelque chose. S’il comparait cela à quelque chose, c’était semblable à la prémonition qu’il pouvait ressentir avant que l’ennemi ne lance une attaque-surprise la nuit. Un sentiment inexplicable de reptation, comme si quelque chose se glissait le long de sa colonne vertébrale.

***

Partie 4

Mais Moore n’était pas sur le champ de bataille. Il était en sécurité sur le territoire d’O’ltormea, et dans une puissante forteresse protégée par de hauts murs de pierre et de solides soldats. Certes, il y avait moins de soldats dans la base qu’il n’aurait dû y en avoir, mais ce n’était pas comparable au fait de camper en première ligne. Et même si cette forteresse, au milieu des plaines de Notis, devait être attaquée, ceux qui le feraient seraient probablement les soldats de Xarooda. Mais cela ne pourrait se produire que si le corps expéditionnaire de Shardina était vaincu.

La défaite du corps expéditionnaire mettrait l’avenir d’O’ltormea en danger. Si la situation était si grave, on me l’aurait déjà signalé.

Mais il n’avait reçu aucune nouvelle de la défaite de Shardina.

« Est-ce le fruit de mon imagination… ? Non… » Moore essaya de se convaincre, mais secoua la tête.

Tout en se levant du lit, il saisit son épée longue, qui était appuyée contre le mur.

Je n’ai survécu aussi longtemps qu’en faisant confiance à mon intuition.

L’épaisse lame d’acier avait un motif complexe gravé sur elle. Elle avait été trempée par un forgeron de haut niveau et un sigle magique lui avait été attribué par un mage de haut niveau. Cette épée était en quelque sorte l’autre moitié de Moore, elle avait survécu à d’innombrables champs de bataille à ses côtés. L’éclat intense de la lame illumina son visage, et sentir son poids froid dans sa main calma son cœur.

Rationnellement parlant, cet étrange sentiment d’effroi devait être son imagination et rien de plus. Mais son intuition était la réponse qu’il avait trouvée en pesant les faits contre son propre puits d’expérience. Il n’y avait pas de méthode infaillible pour discerner qui avait raison, de la logique ou de l’intuition. En fin de compte, cela se résumait à ce qu’il choisissait de croire et à ce qu’il choisissait de rejeter.

Et en vérité, son intuition de guerrier n’avait pas tort. Une meute de loups affamés était à l’affût derrière Moore, attendant le bon moment pour planter leurs crocs dans sa jugulaire…

*****

La cour du fort s’étendait devant leurs yeux, pleine de chariots. Ces derniers avaient été amenés au fort assez tardivement dans la nuit, mais comme ils devaient être envoyés sur le territoire de Xarooda le lendemain matin, ils n’avaient pas été amenés dans les entrepôts, laissant la montagne de provisions telle quelle.

C’était évidemment le résultat direct du plan de Ryoma. Il avait intentionnellement prévu que les provisions atteignent Fort Notis au milieu de la nuit.

Apparemment, le fort n’avait pas assez de personnel actif, ce qui était logique. On ne pouvait pas espérer maintenir une base censée abriter 10 000 personnes avec un quart de la garnison prévue. Il fallait bien que des zones moins prioritaires soient laissées de côté. Et c’est ce que Ryoma voulait faire.

Les idiots…

Leur choix était pourtant efficace. Ces fournitures devaient être envoyées le lendemain matin, il était donc inutile de passer la nuit à les transporter dans les entrepôts. Mais faire l’impasse sur cette partie du travail allait apporter un effet dévastateur à l’ensemble du Fort Notis.

S’ils avaient soigneusement vérifié la cargaison, ils auraient pu se rendre compte qu’il y avait une grande différence entre ce qui avait été apporté et les documents qui leur avaient été présentés.

Ryoma avait regardé le spectacle devant lui avec un sourire.

« Commencez », dit Ryoma, en balançant son bras en avant.

À son signal, les soldats d’Helnesgoula vêtus d’armures d’O’ltormea chargèrent à travers le fort. Ils portaient tous de grandes quantités d’huile. Et aussi solide que soit la forteresse de pierre, elle brûlerait si le feu venait de l’intérieur. Après tout, elle ne pouvait pas avoir été faite entièrement de pierre.

« Très bien. Espérons juste que ça se passe comme je le souhaite… », marmonna Ryoma.

Dans l’interstice entre la nuit et le jour, les gens avaient tendance à baisser leur garde, ce qui en faisait le moment idéal pour une attaque-surprise. Les soldats qui montaient la garde pendant la nuit, se méfiant d’un raid nocturne, se fatiguaient à ce moment-là, et leur concentration commençait à faiblir.

Aussi puissant que soit le Fort Notis, toutes ses qualités défensives ne signifieraient rien s’il était ravagé de l’intérieur. Et au moment où l’aube se leva, le fort aura sombré dans le chaos le plus total.

« Au feu ! Il y a le feu ! »

« Éteignez-le ! De l’eau, que quelqu’un aille chercher de l’eau ! »

Cela avait commencé par une petite perturbation, mais la situation devint vite incontrôlable.

« Une attaque ennemie ! Une attaque de Xarooda ! »

« Ce n’est pas une attaque, calmez-vous. Rassemblez vos unités et attendez les ordres. »

« Tu veux mourir, brûlé, idiot ? ! Oublie les ordres, dépêche-toi et va chercher de l’eau ! »

La vue des flammes déchaînées fit entrer la peur dans le cœur des soldats, et la fumée noire obscurcit leur champ de vision. Les incendies étaient un danger terrifiant dans les deux mondes. Des cris résonnaient dans toutes les directions. Des informations contradictoires allaient et venaient, et personne ne pouvait établir la vérité.

Chacun disait ce qui lui venait à l’esprit, et les soldats Helnesgoula et les ninja d’Igasaki déguisés en soldats d’O’ltormea répandaient des rumeurs sans fondement, brouillant la chaîne de commandement.

« C’est le moment… Sara, Laura, prenez chacune la tête de 500 hommes et mettez le feu aux entrepôts. La sécurité devrait être relâchée maintenant. »

« “Oui, Maître.” »

Les casernes et les tours de guet du fort furent les premières à prendre feu, laissant les soldats d’O’ltormea dans la panique alors que le feu avançait vers les entrepôts. Tout cela avait été planifié.

« Maintenant, écoutez, nous avons beaucoup d’huile et de fourrage pour déclencher le feu. Ne soyez pas timides et utilisez-en le plus possible ! Nous allons brûler ce fort jusqu’au sol ! »

« “Compris !” »

Les jumelles acquiescèrent et partirent en courant, se préparant à diriger leurs soldats.

Toutes deux connaissaient à l’avance la structure du fort, et ne trahissaient aucun signe de confusion.

« Bien, il est temps que je parte aussi… », murmura Ryoma tout en regardant les sœurs Malfist partir et en tirant Kikoku de son fourreau.

« Allons-y. Abattez tous ceux que vous voyez ! Ne faites pas de prisonniers ! C’est un massacre ! »

« “‘Ooooooooh !’” »

Au cri de Ryoma, les soldats d’Helnesgoula derrière lui élevèrent la voix en un cri de guerre.

*****

Tandis que l’attaque matinale de Ryoma commençait, la situation évoluait dans la tour centrale.

« Un incendie ? »

Ces deux mots donnèrent l’impression de gronder depuis le fond de la terre, frappant l’aide qui s’était précipité dans la pièce comme un coup au visage. Surpris de constater que Moore avait déjà revêtu son armure, l’aide continua.

« Oui ! » dit-il en criant car il n’avait pas eu le temps de reprendre son souffle.

« Des incendies ont éclaté dans le fort, en commençant par les tours ouest et est. »

« Quoi ? ! Mais que diable s’est-il passé… ?! »

Les sourcils de Moore se froncèrent.

« Comment cela est-il arrivé ? Les gardes n’étaient-ils pas à leur poste ? »

« Nous ne savons pas. C’est arrivé si soudainement… Toutes les unités essaient d’éteindre les incendies, mais… Il ne semble pas qu’ils puissent prendre le contrôle de la situation… Pour l’instant, nous leur avons donné l’ordre de donner la priorité à l’extinction des incendies au mieux de leurs capacités. »

Effectivement, éteindre les incendies était essentiel pour résoudre la situation, mais on pouvait se demander si ces ordres étaient le bon choix compte tenu de la situation. Ce doute avait accéléré les pensées de Moore. Et alors que son esprit rassemblait les faits, il était arrivé à une seule conclusion. À cet instant, le malaise qu’il avait ressenti tout au long de cette nuit était devenu une conviction. Une fois qu’il avait examiné la situation calmement, il y avait de nombreux points anormaux.

Merde… Ils étaient vraiment de Xarooda… Dans ce cas, ils sont après moi ? Non, c’est mauvais… Si c’est ce qu’ils cherchent, l’expédition vers Xarooda sera réduite à néant… Et dans le pire des cas, même la princesse Shardina…

Éteindre le feu était une priorité absolue, mais il était clair que toute cette affaire était l’œuvre de quelqu’un, et cela signifiait qu’elle ne devait pas être traitée comme un feu ordinaire. Et celui qui avait fait ça avait les yeux fixés ailleurs…

« Vous êtes des idiots ! Pourquoi avez-vous quitté vos postes ?! », aboya Moore à son aide.

Faisant claquer sa langue avec colère, Moore s’enfuit sans regarder deux fois.

Nous pouvons encore sauver la situation… Nous avons encore du temps…

S’il parvenait à calmer le chaos et à réorganiser la chaîne de commandement, Moore serait en mesure de donner des ordres efficaces et de renverser la situation. Mais cela nécessitait qu’il assume directement le commandement. Il devait se montrer à ses hommes et les inspirer.

« Mais comment faire… ?! »

L’aide de Moore courut après lui, le visage désespéré.

Tous deux étaient suivis de quelques dizaines de soldats chargés de garder la tour centrale. Moore descendit les escaliers à toute vitesse, le son métallique de son armure résonnant dans l’escalier. Mais au moment où Moore atteignit le premier étage et se dirigea vers la porte de la cour, plusieurs silhouettes lui bloquèrent le passage.

« Qu’est-ce que vous faites ?! Comment osez-vous vous mettre en travers du chemin du Capitaine Moore ?! », leur aboya l’aide.

Le système de classes dans ce monde était abrupt, et Moore était un chevalier de haut rang chargé de commander une forteresse. Normalement, personne n’aurait eu le courage de se mettre en travers du chemin d’une personne d’un rang aussi élevé. Mais vu la situation, l’aide n’avait pas l’intention de punir ces soldats. Ils étaient pourtant un bon exemple pour rétablir l’ordre.

« De quelle unité venez-vous ? Déclarez vos noms ! »

Le mur de soldats s’était écarté, et un homme s’était avancé. Sentant que quelque chose n’allait pas à la démarche posée de l’homme, l’aide haussa la voix et s’avança.

« Enlevez votre casque ! Montrez-moi votre visage ! »

L’assistant s’était approché de l’homme à pas pressés, avec l’intention d’arracher le casque de sa tête. Mais alors qu’il regardait tout cela, Moore était envahi par un étrange sentiment de prémonition.

« Attendez ! Éloignez-vous d’eux ! », cria Moore.

« Huh ? », dit l’aide en se retournant.

Le cri de Moore résonna dans la forteresse, et l’instant d’après, quelque chose de froid poignarda l’estomac de l’aide.

« Ah… Ugh… Ngh ?! »

La chose qui l’avait poignardé quitta son corps, barattant ses entrailles dans le processus. Le goût du sang emplit la gorge de l’aide et un liquide épais s’éleva de son estomac tandis qu’il basculait en arrière.

« P-Pourquoi… ? »

L’aide leva les yeux vers le katana taché de sang se trouvant dans les mains de l’homme qui l’avait poignardé, mais son regard avait rapidement perdu de son intensité. C’était comme si une couche de brume s’était installée sur son champ de vision. La lumière disparut de ses yeux, et il expira. Il expira sans savoir, même à la toute fin, pourquoi il devait mourir.

« Alors c’est ce qui s’est passé… Tu es l’un des laquais de Xarooda, hein ? », dit Moore, sur quoi tous les soldats derrière lui dégainèrent leurs armes en même temps.

Les hommes étaient abasourdis par ce qui s’était passé, mais la déclaration de Moore les ramena à la réalité.

« Donne-moi ton nom… », demanda Moore d’une voix froide et glaciale.

Une soif de sang tranchante et mortelle émana du corps de Moore.

« Bien sûr, pourquoi pas ? » dit l’homme en enlevant son casque.

Le visage caché derrière le casque était celui d’un jeune homme agréable. On ne pouvait pas dire qu’il n’était pas attirant, mais cela dépendait probablement des goûts de chacun. Mais cet homme avait quelque chose d’intense qui semblait attirer les gens.

« Je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontrés ? Je suis Ryoma Mikoshiba, le gouverneur de la péninsule de Wortenia dans le Royaume de Rhoadseria. C’est un plaisir de faire votre connaissance. »

Il considéra Moore avec un sourire lumineux, insouciant et ensoleillé, et inclina la tête comme s’il ne faisait pas face à un ennemi. Mais ce sourire amical et doux ne fit que terrifier Moore. C’était comme si Ryoma était un monstre Inconnu ayant pris forme humaine.

 

***

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