Chapitre 3 : Le deuxième obstacle
Partie 3
L’aide acquiesça sans mot dire. Ils avaient été informés depuis les lignes de front que Shardina se préparait à lancer un assaut décisif sur le Fort Ushas. Joshua Belares le savait, et c’était pourquoi il avait déplacé ses hommes, qui avaient attaqué la ligne de ravitaillement dans la région montagneuse le long de la frontière, dans le bassin d’Ushas.
« Oui… Et pour ce faire, il nous suffit d’amener les fournitures qui nous ont été livrées maintenant jusqu’aux lignes de front. Les 2 000 hommes que nous avons reçus cette fois-ci devraient suffire à assurer la sécurité de la ligne de ravitaillement. »
La force de raid de Joshua, qui dominait les régions montagneuses de Xarooda, était estimée à environ 10 000 hommes. Il s’agissait cependant de la totalité des forces de Joshua, seuls quelques centaines à quelques milliers d’hommes attaquaient chaque convoi individuel.
Ils lançaient leurs attaques-surprises le long d’étroits cols de montagne et de routes. Afin de maintenir la mobilité, chaque unité ne pouvait pas être plus grande que cela. Joshua lui-même était déjà dans le bassin d’Ushas, mais il pouvait encore y avoir quelques groupes d’attaque cachés dans les montagnes.
Cependant, s’ils devaient reléguer 4 000 hommes à la garde du convoi cette fois-ci, la possibilité que des problèmes surviennent était faible.
« Oui, une force de 4 000 hommes devrait permettre d’éviter toute embuscade que cet impudent môme a laissée derrière lui. Le seul problème est que nous aurons moins de soldats pour tenir la garnison du fort… », dit Moore en se tapotant le menton d’un air pensif.
Le fort Notis avait une garnison initiale de 12 000 hommes, mais Shardina avait réorganisé ses forces pour l’offensive à venir, laissant seulement un peu plus de 5 000 soldats dans le fort. C’était plus que suffisant pour repousser toute attaque de bandits, mais c’était une force trop faible pour tenir une fortification défensive, même s’ils étaient bien à l’intérieur du territoire O'ltormean. C’était une cause d’anxiété.
Pire encore, les incidents de bandits attaquant et brûlant des villages étaient monnaie courante ces derniers temps. Pour y faire face, Moore avait envoyé 2 000 de ses hommes pour maintenir la paix, réduisant la garnison à seulement 3 000 hommes.
S’il envoyait 2 000 hommes de plus pour garder le convoi, la garnison de Fort Notis deviendrait encore plus mince qu’elle ne l’était déjà. Et aussi imprenable que soit le fort, c’était une position précaire.
« Peut-être pouvons-nous attendre les unités que nous avons envoyées dans les villages environnants », proposa l’assistant.
Moore secoua la tête et sortit une directive du tiroir de son bureau.
« Non. Vu l’urgence de la situation sur les lignes de front, nous devons agir aussi vite que possible. »
Moore était conscient de la position dangereuse dans laquelle il les plaçait, mais il n’allait pas s’opposer à la volonté de Shardina alors qu’elle était sur le point de lancer son attaque totale. Lisant la détermination de son commandant dans son expression, l’aide acquiesça.
« Compris. Je vais faire les préparatifs. Veuillez donc m’excuser. »
L’aide s’inclina et quitta la pièce. En le regardant fermer la porte, Moore murmura silencieusement.
« Encore un peu de temps… Une fois cette guerre terminée, tout reviendra à la normale… »
L’Empire d’O’ltormea aspirait à devenir le souverain du continent occidental, mais ce n’était à l’origine qu’un petit pays au centre du continent. L’Empereur, Lionel Eisenheit, l’avait habilement mené aux côtés de ses talentueux serviteurs pour conquérir par la force leurs voisins, ce qui avait donné naissance à l’état actuel de l’Empire.
En conséquence, les fondements du contrôle de l’Empire étaient plus fragiles que ceux des autres pays. On pourrait dire que la domination d’O’ltormea était dans un état très instable à l’heure actuelle. La raison principale était que la défense nationale s’était amincie suite à l’invasion de Xarooda. Shardina s’attendait à ce que la campagne soit rapide et avait attiré de nombreux soldats de tout le pays pour soutenir son invasion.
Les petites communautés agricoles en avaient été particulièrement affectées. Elles étaient considérées comme ayant peu d’importance stratégique, et la plupart de leurs hommes étaient relégués à l’effort de guerre, ne laissant que le strict minimum nécessaire au maintien de l’ordre public. Cette mesure avait été prise parce qu’O’ltormea était entourée de pays rivaux dans toutes les directions, ce qui signifiait que Shardina ne pouvait pas attirer de soldats pour surveiller les frontières.
En conséquence, l’ordre public au sein du pays s’était considérablement détérioré. Les villages et les villes situés loin des grands axes routiers étaient constamment en proie à des raids de bandits. Moore n’était bien sûr pas du genre à choyer les roturiers, et il n’avait pas non plus d’idéaux élevés sur les devoirs de la classe dirigeante.
Dans ce monde, la seule chose qui comptait était le destin du pays, pas celui de l’individu. Surtout lorsqu’il s’agissait des roturiers. Aux yeux des nobles, leurs vies étaient aussi sacrifiables et sans valeur que des déchets.
Mais le déclin de l’ordre public n’était pas un problème qu’un pays militant pouvait ignorer. Il était facile de dire que les roturiers n’avaient aucune valeur, mais aucune politique ne pouvait ignorer complètement leur existence. Si O’ltormea ne pouvait pas gérer ça, cela signifierait qu’il perdrait sa dignité et sa crainte, et que les roturiers commenceraient à douter de la légitimité de son gouvernement.
On pourrait croire que les roturiers n’étaient pas différents du bétail, mais les voir se révolter serait problématique. Certes, les chevaliers étant beaucoup plus forts que les roturiers, la révolte pourrait être étouffée par la puissance militaire. Mais cela ne résoudrait en rien leur mécontentement.
Les recettes fiscales et le commerce en prendraient un coup, entraînant une inévitable diminution des approvisionnements. Et avec l’invasion de Xarooda en cours, le déclin au sein du pays pourrait faire dépérir la campagne de Shardina derrière les lignes ennemies.
Nous ne pouvons pas laisser le mécontentement des roturiers exploser maintenant. Au mieux, nous devons les maintenir sous pression d’un côté et en vie de l’autre…
Le fait qu’il soit à la fois un guerrier et qu’il ait la capacité de réaliser cela rendait Moore exceptionnellement capable pour tout ce qui concernait O’ltormea. L’Empire avait un vaste territoire, et si tout ce que l’on voulait était un puissant guerrier, il y avait beaucoup de chevaliers disponibles qui pouvaient égaler Greg Moore. Et il y en avait d’autres qui étaient aussi instruits et intelligents que lui. Mais peu étaient aussi doués que lui pour la force martiale et l’intelligence.
J’aimerais juste avoir une personne avec une vision plus large comme assistant… Cette pensée avait traversé l’esprit de Moore.
Bien sûr, l’aide de tout à l’heure n’était en aucun cas incompétent. C’était un guerrier accompli et un commandant fiable sur le champ de bataille. Mais en ce moment, l’Empire n’avait pas besoin de gens qui n’étaient bons qu’à se battre.
L’autre jour, les villages autour d’Adelpho avaient été attaqués par une bande de plusieurs centaines de bandits. Les dégâts de ces raids étaient considérables. Pour faire face à cela, la capitale avait fait pression sur Moore pour qu’il envoie des soldats afin de maintenir l’ordre public. Cela l’avait obligé à réduire les effectifs de la garnison et à réaffecter un bon nombre de ses hommes à cette fin.
Les routes devaient être sûres afin d’assurer le passage des convois de transport, ce n’était donc pas comme si l’affaire lui était étrangère. Pourtant, cela ne relèverait normalement pas de sa juridiction. Il devait quand même le faire, puisqu’il n’y avait personne d’autre capable de s’en occuper. Et c’était précisément pour cela que Shardina, malgré la situation explosive dans laquelle elle se trouvait, lui avait confié Fort Notis.
« Votre Altesse… Vous n’avez qu’à attendre patiemment un peu plus longtemps… »
Moore chuchote à Shardina au loin, ses yeux regardant le ciel étoilé derrière sa fenêtre.
C’était la vision même d’un soldat loyal à l’Empire d’O’ltormea. Cependant, c’était exactement la raison pour laquelle Greg Moore n’avait pas remarqué la présence de la Faucheuse, se glissant derrière lui…
*****
« Hm… »
Ce murmure fin et subtil semblait résonner exceptionnellement fort dans la grande pièce.
Il provenait de la tour centrale qui se dressait au cœur de Fort Notis. Au dernier étage se trouvait une chambre à coucher, sur laquelle était allongé un homme qui regardait en l’air. Quelques murmures s’échappent de ses lèvres, bien qu’ils soient plus proches de soupirs.
Laissant échapper un autre murmure, Moore se retourna dans son lit. Il avait fermé les yeux et enfoui son visage dans l’oreiller, mais il s’était retourné une fois de plus et s’était couché sur le dos. Le rideau d’obscurité qui recouvrait le ciel nocturne commençait à s’amincir. Dans 30 minutes, la lumière de l’aube commencerait à briller à l’horizon.
Il ne s’était pas couché plus tard que d’habitude, ce qui signifiait que Moore avait passé des heures allongé dans son lit, incapable de s’endormir.
Je ne peux pas dormir…
C’était comme si quelque chose se tordait à l’intérieur de son corps. Quelque chose de vexant, d’irritant, d’inexplicable faisait vaciller le cœur de Moore. L’une des compétences les plus essentielles lorsqu’on voulait survivre sur le champ de bataille était de dormir autant que possible et d’être capable de se réveiller rapidement lorsque le besoin s’en faisait sentir.
Les soldats avaient besoin de sommeil, mais ils étaient sur le champ de bataille, un endroit où l’ennemi pouvait attaquer à tout moment. Le fait que l’on puisse obtenir tout le temps de sommeil dont on avait besoin était nullement garantie. C’était pourquoi un soldat devait maintenir l’équilibre entre se reposer chaque fois qu’il le peut et être prêt à réagir promptement dès que l’ennemi frappe.
Malgré cela, Moore n’avait pas pu s’endormir cette nuit-là.
Je suppose que je vais abandonner et sortir du lit…
Il se leva et fit sonner la cloche qui se trouvait à son chevet pour faire entrer un garde.
« Excusez-moi, monsieur… Puis-je vous aider ? », dit le préposé en entrant dans la chambre.
Moore demanda au préposé d’apporter de l’eau froide.
Hmm… C’est bien, se disait-il alors qu’il se versait de l’eau du pichet et vidait la tasse.
L’eau fraîche coula dans sa gorge et étancha sa soif. Apparemment, ses angoisses l’avaient tourmenté plus qu’il ne le pensait. Après avoir pris une autre inspiration, Moore s’allongea de nouveau sur le lit. Cette fois, il n’avait pas l’intention de dormir.
Je ne comprends pas… Qu’est-ce qui se passe ?
C’était comme si l’intuition guerrière de Moore essayait de l’avertir de quelque chose. S’il comparait cela à quelque chose, c’était semblable à la prémonition qu’il pouvait ressentir avant que l’ennemi ne lance une attaque-surprise la nuit. Un sentiment inexplicable de reptation, comme si quelque chose se glissait le long de sa colonne vertébrale.
merci pour le chapitre