Chapitre 4 : Cap à l’ouest
Partie 5
La position de Xarooda dans la guerre n’était en aucun cas positive. Au cours de l’année dernière, ils avaient seulement résisté à l’invasion d’O’ltormea, et la fatigue de la guerre s’était installée sur leurs territoires et leurs soldats.
Les champs des zones proches des lignes de front avaient été brûlés, les hommes adultes avaient été contraints à la conscription. Les femmes et enfants restants n’avaient eu d’autre choix que de chercher refuge dans les villes voisines. Et bien sûr, les gouverneurs ne pouvaient pas offrir une protection adéquate à tout le monde, obligeant certains à se vendre comme esclaves.
La puissance nationale de Xarooda diminuant de jour en jour, ce dernier avait dû se tourner vers son dernier recours. En ce moment, avec Rhoadseria et Myest qui leur fournissaient des renforts, ils pouvaient frapper la force qui défilait dans leur pays en une bataille décisive.
Bien sûr, il s’agissait d’un pari où l’existence de leur pays était en jeu, mais un pari qui en valait la peine. Du moins, c’était ce que le roi et ses subordonnés — y compris Grahalt — croyaient ardemment.
Mais il y avait un problème majeur ici. Il fallait impérativement savoir si Myest et Rhoadseria seraient prêts à verser du sang pour Xarooda. Normalement, la chute de Xarooda équivaudrait à celle des autres pays de l’Est, mais ils ne pouvaient s’empêcher de douter des gens de Rhoadseria après que leur pays ait ignoré leur demande de renforts aussi longtemps.
C’était pour cette raison que Grahalt avait suivi la recommandation d’Helena et avait donné ce petit spectacle en accueillant Ryoma. Tout cela pour affirmer les véritables intentions de Rhoadseria.
« Et d’ailleurs, si nous avions laissé le Seigneur Mikoshiba vous rencontrer en premier, on ne saurait pas quelles accusations la faction de la réconciliation pourrait essayer de lancer », cracha Grahalt avec haine.
Pour lui, la faction de la réconciliation était des traîtres à la patrie.
« Grahalt… Je comprends ce que vous ressentez, mais vous ne devez pas rejeter aveuglément les revendications de la faction de la réconciliation. »
Helena avait habilement remarqué la légère émotion de Grahalt en prononçant leurs noms, et lui avait parlé comme une mère qui réprimande son enfant.
« Mais… ! »
« Écoutez-moi bien. La faction de la réconciliation n’est pas traîtresse. À leurs yeux, ils font le meilleur choix pour ce pays et pour Sa Majesté Julianus Ier. Même si leurs méthodes diffèrent de celles des chevaliers, ils recherchent la même chose… Non ? »
Alors même qu’elle prononçait ces mots, Helena ne pouvait s’empêcher de rire sardoniquement d’elle-même dans son cœur.
Bien que le fait que leurs pensées soient sans aucune malice soit probablement le plus gros problème ici…
Les bonnes intentions ne menaient pas toujours au meilleur résultat possible. Aussi triste que cela le soit, c’était la réalité de la politique. Mais elle devait apaiser Grahalt, de peur qu’il n’essaie de réaliser sa propre conception de la justice par la force brute.
Une unification par la force militaire. En effet, s’ils écrasaient la faction de la réconciliation par la force militaire, le pays parviendrait à un consensus. Mais cela devrait être leur dernier recours, une fois qu’ils auraient épuisé tous les autres moyens d’action.
« Bien sûr… La survie de Xarooda passe avant tout… »
Grahalt avait réussi à balbutier cette réponse, ignorant les pensées d’Helena.
« Devenir un vassal d’O’ltormea permettrait à la maison royale de Xarooda de survivre, et c’est effectivement un choix… Le prix à payer serait élevé, bien sûr, mais c’est mieux que de tout perdre. C’est normal que certaines personnes pensent ainsi. », dit Helena.
« Et vous pensez que c’est une bonne idée, Dame Helena ? », demanda Grahalt, le visage contorsionné par une agonie amère.
Il ne détestait rien de plus que d’avoir à entendre ces mots sortir des lèvres de la femme qu’il admirait secrètement. Mais cette question était une insulte à la femme connue comme la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria.
« Pourquoi pensez-vous que je suis venue personnellement ici, à la tête de cette armée ? »
Au moment où ces mots quittèrent les lèvres d’Helena, l’atmosphère de la pièce se figea. La lueur dans ses yeux, les expressions sur son visage — tout avait basculé. La seule chose qui n’avait pas changé était le sourire serein sur ses lèvres. Le corps de Grahalt frissonna de terreur.
« M-Mes excuses… Pardonnez-moi d’avoir dit quelque chose d’aussi stupide. »
Rhoadseria ne pouvait pas ignorer le fait que Xarooda soit devenu le vassal d’O’ltormea. S’ils le pouvaient, ils n’auraient pas envoyé Helena Steiner pour cette tâche. Sans rien changer à son expression, Helena continua de parler.
« Bien que je sois rien d’autre qu’une vieille femme sénile appelée à sortir de sa retraite. Votre anxiété est compréhensible. »
Au moment où il avait entendu ces mots, Grahalt sentit quelque chose de froid glisser le long de sa colonne vertébrale.
« Vous avez entendu ça… »
Il ne l’avait dit que lors de sa première rencontre avec Ryoma afin d’évaluer sa réaction, mais il n’avait jamais imaginé qu’Helena l’écoutait. C’était aussi gênant que de découvrir que son patron écoutait dans l’un des box pendant qu’ils faisaient des commérages sur lui avec leurs collègues.
« Oui, aussi sénile et vieille que je sois, mes oreilles et mes yeux fonctionnent toujours aussi bien. »
Ces yeux et ces oreilles ne faisaient certainement pas référence à ses facultés physiques, mais plutôt à ses sources d’information au sein de Xarooda.
Une femme si effrayante…
Beaucoup appelaient Helena la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria, mais sa véritable force ne résidait pas dans ses stratagèmes et tactiques sur le champ de bataille. Personne ne savait comment elle y parvenait, mais elle avait le pouvoir de puiser dans d’innombrables sources d’information sur tout le continent. Et à travers ces divers flux d’informations, elle pouvait extraire tout sujet dont elle avait besoin et construire une hypothèse.
Sur le champ de bataille, elle pouvait certes exhiber la majesté d’un général habile et sage, mais ce n’était qu’une facette d’elle. Grahalt détourna les yeux d’Helena, tournant son regard vers le bas.
« S’il vous plaît, ne plaisantez pas… », réussit-il à balbutier.
Puis il se couvrit le visage, espérant échapper à son regard. Un long silence s’installa dans la pièce.
« Oui, c’était juste une plaisanterie… Bien sûr », dit Helena.
La bouche de Grahalt s’était ouverte, ce à quoi Helena avait couvert sa bouche en ricanant d’amusement.
« C’était mal élevé de votre part… », dit Grahalt en soupirant lourdement et en baissant les épaules.
En voyant cela, Helena ne put s’empêcher de rire aux éclats.
« Si cela suffit à vous choquer, je ne vois pas comment vous allez pouvoir retenir ce garçon. »
À ces mots, Grahalt rétrécit ses yeux et en demanda plus. Il n’était pas assez franc pour ne pas comprendre à quel garçon elle faisait référence.
« Il est vraiment… à ce point ? »
« Eh bien, oui. Parmi les nombreuses personnes que j’ai vues, c’est le cheval indompté le plus indiscipliné de tous. »
« Un cheval indompté… »
« Bien qu’il ait l’esprit d’un serpent ou d’un scorpion. »
Les descriptions qu’elle en avait faites frappèrent Grahalt comme étant contradictoire. Le qualifier de cheval indiscipliné et indompté n’était pas si difficile à comprendre. Le physique de Ryoma était en effet étonnant. Les traits de son visage étaient calmes et amicaux, mais peut-être que sa nature changeait sur le champ de bataille, tout comme celle d’Helena.
Mais l’intelligence d’un scorpion ou d’un serpent ? Il ne sentait rien de tel chez lui.
« Vous ne devez pas le sous-estimer, Grahalt. À moins que vous ne vouliez être mangé vivant. »
« Cela ne ressemble pas à une façon de décrire un de ses alliés. »
Helena le décrivait avec un ton qui correspondait à un général d’un autre pays, ou à un rival politique. Helena avait simplement secoué la tête en silence.
« Ne vous méprenez pas. J’ai confiance en lui, et il croit aussi en moi. Mais, Grahalt… Pour le moment, il ne considère pas votre camp en tant qu’ami ou ennemi. Dans ce cas, vous devriez lui montrer votre gratitude et demander son aide… Parce que s’il vous considère comme ses ennemis, il vous enlèvera tout ce que vous avez. »
Ces mots étaient un avertissement sincère d’Helena à un ami.
« Si cet homme… a vraiment le pouvoir dont vous parlez… À ce moment-là… Nous le ferons. »
Le silence s’était à nouveau installé dans la pièce.
« Bien. Parce que vous le comprendrez bientôt que trop bien… Tout le monde dans ce pays… Vous verrez. »
Helena sourit silencieusement, imaginant le moment où le jeune serpent dévoilera ses crocs…
merci pour le chapitre