Chapitre 4 : Cap à l’ouest
Partie 2
Il fallait s’y attendre. Tout ce que le comte Salzberg avait fait était de contacter son beau-père, le président de la société Mystel, et lui demander de faire en sorte que toutes les sociétés de l’union aident à obtenir les marchandises dont il avait besoin.
Le comte lui-même n’avait pas fait de travail réel, et cela lui avait permis de gagner une bonne somme d’argent. Ryoma lui avait envoyé une somme assez importante pour qu’il agisse en tant qu’intermédiaire, et le syndicat lui avait également versé une somme très intéressante. Ryoma ne savait pas exactement combien le comte Salzberg avait gagné au total grâce à la transaction de fournitures, mais ce n’était probablement pas moins de mille pièces d’or.
Le fait que Ryoma n’essayait pas de demander une faveur suite à cette affaire, même en considérant ce que le comte Salzberg avait gagné, rendait le noble assez satisfait.
Eh bien, c’était ce à quoi je m’attendais. En voyant le sourire satisfait du Comte Salzberg, Ryoma avait réalisé que sa supposition était correcte.
Les gens comme le comte Salzberg avaient tendance à agir selon plusieurs modèles. Le modèle le plus frappant était qu’ils détestaient voir les gens le traiter avec condescendance et attendre de la gratitude en retour. Mais d’un autre côté, ils avaient un sens aigu du devoir et récompensaient leurs bienfaiteurs tant qu’ils restaient modestes. D’une certaine manière, traiter avec lui était très facile. Du moins tant que l’on veillait à ne pas troubler son sens de la fierté.
« Au fait, j’ai entendu dire qu’Helena Steiner était déjà en route pour Xarooda ? »
Le comte Salzberg aborda le sujet de la guerre en se rendant compte que l’atmosphère était assez calme.
Après tout, il était un guerrier à l’origine et s’intéressait de près aux renforts envoyés à Xarooda.
« Oui, y aller plus tard ne laisserait pas une bonne impression à Xarooda et Myest », répondit Ryoma.
Dire que « ça ne laisserait pas une bonne impression » était un euphémisme. Faire traîner les choses en longueur pourrait conduire Myest à déclarer la guerre à Rhoadseria.
« Je dirais que c’est assez compréhensible. Du point de vue de Myest, Xarooda est leur plus grand et plus important bouclier. Le fait qu’ils aient été aussi tolérants pendant un an constitue déjà une grosse surprise. »
« Ils savaient probablement dans quel état se trouve Rhoadseria. De plus, Myest voulait éviter de traverser le territoire de Rhoadseria alors que Sa Majesté n’avait pas encore consolidé son contrôle sur les nobles. »
« Envoyer une expédition est déjà difficile, mais pour un pays au régime aussi instable que le nôtre, c’est d’autant plus difficile… »
Le comte Salzberg avait raison. Déployer une armée pour une expédition serait une tâche difficile, même dans le meilleur des cas. Le simple fait de maintenir le moral des soldats, qui avaient été forcés de quitter leur foyer, était un défi.
Et c’était sans compter toutes les autres préoccupations liées à ce projet, de l’approvisionnement à l’organisation des forces qui garderaient le pays en l’absence de l’armée envoyée, en passant par d’innombrables autres considérations. C’était, en effet, une pile de problèmes qui donnaient mal à la tête.
Et si le pays qu’ils devaient traverser était en proie aux troubles et à l’instabilité politique, l’armée de Myest hésiterait à passer au travers, même si c’était pour sauver Xarooda de son sort.
« Alors qu’avez-vous l’intention de faire ? »
« L’achat des fournitures devrait être terminé dans plusieurs jours. Nous irons ensuite à l’ouest d’Epire et franchirons la frontière avec Xarooda. Après cela, nous prendrons la route vers le sud et nous dirigerons vers la capitale de Xarooda, Peripheria. Puis nous nous regrouperons avec les forces d’Helena. »
« Oui, je suppose que ce serait le choix naturel… Je prie pour que vous ayez de la chance. »
Le comte Salzberg lança un regard quelque peu taquin vers Ryoma, qui avait simplement répondu par un hochement de tête, sans rien ajouter de plus.
Les chanceux survivent, tandis que les malchanceux meurent. Cela était vrai dans ce monde comme dans celui de Ryoma.
*****
Après avoir conclu sa conversation, le comte Salzberg s’apprêtait à quitter le camp avec ses escortes lorsque ses yeux tombèrent sur le drapeau noir flottant au vent.
Hmph. Une épée et un serpent… Le design lui va bien. Et ce serpent lui convient parfaitement. J’ai décidé de parier sur ses stratagèmes, et j’ai hâte de voir où il va aller.
Pour être honnête, le Comte Salzberg ne faisait pas confiance à Ryoma. Il avait simplement utilisé ses relations pour rembourser le profit que Ryoma lui avait apporté. L’approche amicale qu’il avait montrée à Ryoma lors de cette rencontre n’était qu’un mince vernis superficiel. Le Comte Salzberg avait néanmoins compris ceci.
S’il sauve Xarooda, ce sera sûrement une bonne chose. S’il ne le fait pas, je n’ai qu’à rassembler les nobles du nord et négocier avec O’ltormea.
Tant qu’ils insistaient sur l’existence continue de Rhoadseria, les nobles avaient leurs propres moyens d’assurer leur propre survie. Bien sûr, il ne voulait pas avoir à faire face à une invasion d’O’ltormea. Après tout, il n’y avait pas d’argent à se faire dans la guerre, même si aucune arme n’était vraiment croisée. Tout l’argent perdu dans la guerre servirait certainement à faire pression sur ses fonds de divertissement personnels.
Voyons si cet homme a la sagesse du serpent dans cette bannière… et la puissance de cette épée. Cette bannière n’est elle qu’une simple menace vide… c’est quelque chose que j’ai hâte de découvrir.
Un sourire froid se dessina sur les lèvres du Comte Salzberg. Comme s’il regardait un faible luttant de toutes ses forces…
*****
Dix jours s’étaient écoulés depuis la rencontre de Ryoma avec le comte Salzberg. Les soldats se tenaient debout, vêtus d’armures teintées de noir, formant une longue ligne alors qu’ils se dirigeaient vers le sud sur la grande route menant à Peripheria, la capitale de Xarooda. Derrière cette ligne se trouvaient des groupes de chariots débordant de fournitures.
Ils avançaient avec le soleil rouge plongeant sous la chaîne de montagnes comme toile de fond, les faisant ressembler à une horde de diables ensanglantés.
« Hé ! Ces soldats, à quelle armée de nobles appartiennent-ils ?! »
Un homme labourant les champs le long de la route le demanda à sa femme, qui se tenait devant lui, tout en lâchant la charrue. Maintenir la charrue tirée par un cheval était un travail éprouvant, et il en profita pour faire une pause. Frottant ses mains engourdies l’une contre l’autre, l’homme tourna à nouveau son regard vers la route. Ses yeux brûlaient de haine.
Jour après jour… La guerre, la guerre, et encore la guerre… Je vous jure, je ne sais pas ce que ces foutus nobles font ou ce qu’ils sont, mais ça n’a rien à voir avec nous…
Ces émotions firent surface dans le cœur de cet homme, qui vivait chaque jour à la sueur de son front. Pour les fermiers ordinaires, peu importait à qui ils payaient leurs impôts. Au final, tout ce qui comptait était que leur vie et leur subsistance soient assurées. Et en ce moment, Xarooda était proche d’être vaincu par l’Empire d’O’ltormea.
Heureusement, la partie nord de Xarooda avait échappé aux ravages de la guerre jusqu’à présent, mais les flammes du conflit finiront par atteindre cette région également. Et même si elle avait échappé aux influences directes de la guerre, le nord en subissait toujours l’influence.
Au cours de l’année dernière, le coût de la vie dans ce pays avait progressivement augmenté, et les gouverneurs appliquaient des augmentations de taxes spéciales en utilisant la guerre comme prétexte. La vie devenait plus dure.
Je suppose que nous sommes toujours mieux lotis…
Cet homme était propriétaire du terrain sur lequel sa maison était construite, il ne devait donc payer des impôts qu’au gouverneur. En comparaison, les personnes à qui l’on prêtait leur terre devaient payer à leur propriétaire en plus de leurs impôts. L’esprit de l’homme dériva vers l’image de l’homme qui avait dû réduire sa fille à l’esclavage pour pouvoir payer ses impôts.
Elle n’avait que huit ans… Bon sang.
Elle avait des cheveux couleur noisette et de jolis yeux bleus, et pour ses parents, elle était la prunelle de leurs yeux. Si c’était une année ordinaire, une fille comme elle n’aurait jamais été vendue. Mais voilà ce qui avait provoqué ce résultat tragique : leurs récoltes ne poussaient pas bien hors saison, et la guerre avec O’ltormea avait éclaté, obligeant le gouverneur à augmenter les impôts pour couvrir les dépenses de guerre.
J’espère juste que cette foutue guerre se terminera rapidement. Elle n’a de toute façon rien à voir avec nous…
Si ce pays devait être ruiné, il pourrait au moins le faire rapidement. La résistance continue signifiait que les dépenses de guerre ne faisaient qu’augmenter, et ces pertes leur étaient imposées.
Mais bien sûr, le raisonnement de cet homme avait une grosse faille. Si ce pays tombait, et qu’ils devenaient des vassaux, il n’y avait aucune garantie qu’ils soient traités équitablement. Et il était très possible qu’ils soient forcés de payer des taxes encore plus lourdes.
Ce monde n’avait pas de Nations Unies ou de concept de droits de l’homme. Il n’y avait donc aucune raison pour qu’un pays traite équitablement ses vassaux conquis. Même si les nobles de Xarooda agissaient comme cet homme le souhaitait et abandonnaient la résistance contre O’ltormea, l’avenir qui les attendait pouvait très bien être celui d’une exploitation à mort.
Bien sûr, cet homme n’avait pas les connaissances nécessaires pour penser aussi loin. Il ne savait pas comment écrire son propre nom, et ne pouvait même pas compter la monnaie qu’il recevait des colporteurs sans l’aide du chef du village. C’était un simple homme qui sentait que sa petite vie était mise sous pression par des forces extérieures. Tout ce qu’il pouvait faire était de détester ce qui augmentait les taxes qu’il devait payer ce mois-là.
« Hein ? Pourquoi tu te relâches ? Allez, on doit finir ça. »
Remarquant que la charrue marchait au pas parce que son mari l’avait lâchée, la femme cessa de fouetter les deux chevaux et éleva la voix. C’était une femme un peu rude, du genre à porter la fameuse culotte dans la maison.
« Oublie ça une seconde, regarde là-bas ! »
« Regarder quoi ? Nous devons finir ça avant le coucher du soleil, espèce de mufle ! »
Mais en disant cela, elle tourna ses yeux dans la direction du regard de son mari, vers la route.
« D’où vient cette armée ? J’ai un mauvais pressentiment sur ces soldats… »
Noir, noir, noir. De loin, les soldats semblaient enveloppés de noir de haut en bas.
« Oui, as-tu une idée d’où ils viennent ? », demanda le mari.
« Je n’en ai jamais vu de semblables », répondit la femme en frissonnant.
« Moi non plus… Ils n’ont pas l’air d’appartenir à un noble de la région », acquiesça-t-il en murmurant, tout en reportant son regard sur la route.
Une armée qui laissait une impression aussi frappante était inhabituelle. Leur nombre n’était pas terriblement impressionnant, mais peu de nobles dépenseraient de l’argent pour s’assurer que tous leurs soldats soient vêtus d’une armure teintée de la même couleur. Les seuls à pouvoir en faire autant étaient les chevaliers du royaume, ou peut-être la garde royale qui avait prouvé que ses capacités et sa loyauté étaient au-dessus de tout. Ou sinon, seulement les plus grands des nobles.
« Et cette bannière… »
« Est-ce un serpent ? Ces yeux rouges sont troublants… »
Un drapeau noir flottait dans le vent, sur lequel était cousue la marque d’un serpent bicéphale aux écailles d’or et d’argent enroulés autour d’une épée. C’était un dessin plutôt frappant — de ceux que l’on n’oublie jamais après l’avoir vu une fois.
« Dis… Ne devrais-tu pas en parler au chef et lui demander de contacter le gouverneur ? » demanda l’épouse, l’anxiété se lisant dans ses yeux.
« Le chef de village… », murmura-t-il.
merci pour le chapitre