Wortenia Senki – Tome 7 – Chapitre 3 – Partie 5

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Chapitre 3 : Le fossé entre les idéaux et la réalité

Partie 5

C’était un homme rusé, vicieux, sans cœur, prêt à tout pour atteindre ses objectifs…

Mais malgré ce nom, il avait toujours traité Lupis avec dignité et sincérité. Il ne lui avait jamais menti une seule fois. Dans tous les cas, il était beaucoup plus digne de confiance et fiable que les nobles désinvoltes.

Et pourtant, je l’ai trahi…

En apparence, elle lui avait accordé le statut de noble en récompense de ses exploits pendant la guerre, et lui avait donné la seigneurie de la péninsule de Wortenia. Mais Lupis savait mieux que quiconque que cette action était en fait motivée par sa peur et sa suspicion à son égard.

Lui accorder une terre abandonnée, non développée et sans perspective d’imposition n’était pas un acte d’hospitalité, tant s’en faut. Et c’était, en fait, un secret de polichinelle parmi la classe dirigeante de Rhoadseria.

« Exposez vos conditions. »

Lupis était préparée. C’était à elle de prendre cette décision, et donc d’en porter la responsabilité. Lupis avait décidé d’accepter n’importe quelles conditions tant que cela sauverait son pays, peu importe la douleur qu’elles pourraient apporter.

Elle n’avait plus d’autre moyen de le protéger.

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Cette nuit-là, Ryoma se rendit dans la chambre d’Helena. Ils s’étaient assis sur des canapés opposés, leurs regards s’étaient croisés.

« Nous nous rencontrons à nouveau, et plus tôt que je ne le pensais », dit Helena en regardant le visage de Ryoma avec un sourire maternel.

« Oui. J’ai moi aussi été surpris. », dit Ryoma en hochant la tête.

La lampe posée sur la table éclairait le visage d’Helena.

Elle est devenue plus mince…

Alors qu’ils parlaient, Ryoma fixa son regard sur les rides du visage d’Helena. Il ne l’avait vu que de loin dans la salle d’audience et ne l’avait donc pas remarqué, mais apparemment, elle s’était beaucoup dépensée.

« Votre avertissement est-il devenu inutile maintenant ? » dit Helena en faisant référence à la prédiction qu’il lui avait donnée avant leur séparation l’année dernière.

« Oui. Je vais être honnête, Helena, je ne pensais pas que les choses se détérioreraient à ce point… Je ne sais même pas quoi dire… »

Ryoma avait dit ce qu’il pensait sans dissimuler les faits.

C’était Ryoma qui avait demandé Helena de reprendre son poste de général en échange de sa vengeance sur le général Albrecht pour le meurtre de sa famille. Il l’avait placée sur le navire en perdition qu’était le Royaume de Rhoadseria, et il n’allait pas fuir la responsabilité de l’avoir fait.

« Je le savais… Nous aurions dû faire exécuter le Vicomte Gelhart… », murmura Helena dans un soupir.

« Non, en regardant la situation actuelle, même si nous avions abandonné Mikhail et tué le vicomte Gelhart, les choses n’auraient pas changé énormément. », dit Ryoma en secouant la tête.

« N’est-elle pas qualifiée pour être monarque ? »

Le regard d’Helena s’était aiguisé alors qu’elle fixait ses yeux sur Ryoma.

C’était effectivement une calomnie contre le dirigeant du pays. Mais Ryoma ne semblait pourtant pas trop s’en faire.

« Je ne dirais pas qu’elle n’est pas du tout qualifiée, mais je pense qu’elle n’en a pas tout à fait les capacités. Eh bien, si quelqu’un en qui elle pourrait avoir confiance détenait le pouvoir et qu’elle ne devenait qu’une dirigeante symbolique, les choses pourraient être différentes. », déclara Ryoma en haussant les épaules.

Les yeux d’Helena avaient perdu leur acuité, et son expression devint morose. Elle était envahie par le regret.

« Oui… Ce serait mieux à la fois pour ce pays et pour Sa Majesté. Si seulement quelqu’un comme vous pouvait la soutenir… »

C’était les sentiments sincères d’Helena, mais en même temps, ce n’était qu’un fantasme sur lequel on ne pouvait que formuler des hypothèses inutiles. Et bien qu’il ait accompli de grandes choses pendant la guerre civile, Ryoma n’était même pas un citoyen de Rhoadseria. Ce pays faisait une fixation sur les idées de sang et de lignée, les nobles et les chevaliers s’y opposeraient fortement.

Et de la même manière qu’ils étaient obsédés par leur lignée et leur fierté, leurs préjugés excessifs envers les roturiers étaient tout aussi intenses. Certains d’entre eux se considéraient comme des individus privilégiés choisis par Dieu. Et ces gens n’accepteraient jamais un roturier anobli comme l’un des leurs, même à contrecœur.

Ryoma, cependant, était différent. C’était un mercenaire d’origine inconnue. Le Royaume de Rhoadseria lui avait peut-être donné le rang de Baron, mais cela n’avait été fait que pour le tenir à distance et éviter qu’il ne cause des problèmes. Le fait qu’on lui ait donné la péninsule de Wortenia, avec son terrain unique, avait permis de taire leurs plaintes. Normalement, un roturier n’aurait jamais été promu à un tel titre.

Ce pays n’aurait jamais laissé Ryoma prendre un poste de commandement. Helena était également issue d’un milieu roturier, mais dans son cas, elle avait construit ses réalisations sur de nombreuses années et s’était fait de nombreux alliés pour la soutenir. Son nom s’était même répandu dans les pays voisins. Sa position n’était que trop différente de celle de Ryoma.

Tous les faits montraient que ce qu’Helena avait dit était effectivement impossible. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se sentir frustrée par tout cela. Le fait que cela ne se réalisera jamais lui faisait mal au cœur.

« Eh bien, assez de ça… »

Celle-ci soupira avec une expression raide et se tourna vers Ryoma.

En fin de compte, ce n’était qu’une succession d’hypothèses. Les regrets ne changeraient rien à la réalité des choses.

Nous devons seulement faire ce que nous pouvons pour le moment.

Car en ce moment même, Rhoadseria était menacée par une grande puissance.

« Alors ? Pourquoi avez-vous demandé ces conditions ? »

Lupis avait accepté tous les termes que Ryoma avait énoncés pendant l’audience. C’était conforme aux attentes, puisque Ryoma avait préparé ces termes pour qu’ils ne soient pas perçus comme oppressants. Le fait qu’elle les ait acceptés sans avoir à consulter les ministres présents à la réunion en était la preuve. On pourrait dire que c’était parce que Ryoma avait revu ses conditions à la baisse, mais ils n’avaient aucun moyen de le savoir.

« Est-ce que quelque chose vous a semblé suspect, Helena ? »

Ryoma avait souri en répondant à sa question par une question.

Son expression ne donnait pas l’impression qu’il y avait une sorte d’intention implicite. Helena en savait cependant plus.

« Suspecte ? Bien sûr que non. Au contraire, vos conditions étaient trop raisonnables. »

Helena avait souligné les deux derniers mots.

« Me reprochez-vous de ne pas avoir été méfiant ? C’est déraisonnable », dit Ryoma avec un sourire devenant ironique.

La réponse de Ryoma était compréhensible. Il pourrait accepter d’être interrogé si quelque chose qu’il faisait paraissait alarmant, mais il ne l’avait pas fait. L’expression d’Helena n’avait cependant pas changé.

« Ryoma… À quoi pensez-vous ? »

Ses yeux étaient sérieux et inébranlables.

Elle n’allait pas reculer avant d’avoir entendu une réponse convaincante.

Eh bien, merde… Je savais bien qu’Helena trouverait cela suspect…

Ryoma ne put s’empêcher d’esquisser un sourire dédaigneux. Il n’y avait pas vraiment d’arrière-pensée derrière tout ça. Il avait simplement fait une offre destinée à augmenter leurs maigres chances de victoire. C’était lui, après tout, qui était sur le point de se rendre sur le champ de bataille et de mettre sa vie en jeu. Et l’armée qu’il dirigeait n’était pas assez forte pour renverser le cours des choses.

Quelques centaines de soldats ne pouvaient espérer influencer un champ de bataille où s’affrontaient plusieurs pays. Le mieux qu’ils pouvaient faire était de profiter d’une ouverture pour porter un coup fatal, mais la force principale serait l’ordre des chevaliers d’Helena ou les renforts de Myest.

En tant que tel, il était logique de diminuer la charge sur Helena. Tout ce qu’il avait fait, c’était rendre les choses légèrement plus avantageuses pour eux, et en tant que prix pour tous les problèmes qu’il aurait à entreprendre, c’était exceptionnellement bon marché.

Je suppose que je dois lui dire. Le fait qu’Helena me soupçonne pourrait me retomber dessus…

Ryoma poussa un petit soupir et demanda.

« Voulez-vous parler des fonds de guerre ? »

Ryoma avait demandé à Lupis le droit de faire migrer les fugitifs et les roturiers ayant des compétences spécialisées — comme les fermiers et les forgerons — de la capitale et des régions environnantes vers la péninsule de Wortenia. Et il avait également demandé un mois pour se préparer.

Lupis avait considéré sa demande de déplacer les roturiers comme étant un peu problématique, mais pas assez pour s’y opposer ou refuser. Mais éloigner les fugitifs aiderait à restaurer l’ordre public dans la capitale, et un mois était un court laps de temps pour se préparer.

Dans ce cas, Helena était préoccupée par le fait que Ryoma ait demandé à Lupis de convertir le soutien qu’elle proposait en une somme dérisoire d’à peine dix mille pièces d’or.

« Ne vous ai-je pas dit que notre côté s’occuperait de l’équipement et des fournitures ? »

Helena tourna un regard interrogateur vers Ryoma.

En toute honnêteté, le fait de prétendre qu’il s’agissait de fonds de guerre ne semblait pas naturel et forcé, et la somme était bien trop faible. Helena savait que Ryoma avait besoin de fonds pour développer Wortenia, mais si c’était le cas, elle préférait qu’il le dise simplement. Tout le monde savait qu’on demandait à Ryoma l’impossible dans cette situation, et personne ne se plaindrait s’il demandait un soutien financier comme condition à sa participation aux renforts.

Il n’était pas nécessaire qu’il demande cette somme à la place des fonds de guerre. Sans compter qu’il serait beaucoup plus facile pour le royaume de lui fournir des fournitures et des équipements, même s’il pouvait y arriver seul.

Le sourire naturel d’Helena, cependant, rencontra simplement un autre sourire.

« Vous avez raison, faire en sorte que le royaume s’occupe des fournitures aurait été plus facile… Mais après avoir vu comment est la capitale, je suis trop anxieux pour me reposer sur eux à ce sujet. »

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? », demanda Helena tout en inclinant la tête.

« Exactement ce que j’ai dit. Sa Majesté n’a pas le contrôle de toute la capitale en ce moment. Pensez-vous que je puisse vraiment lui faire confiance pour rassembler et gérer les fournitures de tout le pays alors qu’elle n’est même pas capable de gérer l’endroit dont elle devrait avoir le contrôle direct ? »

L’expression d’Helena s’était raidie.

« Eh bien, Sa Majesté ne les rassemblera pas elle-même… »

Alors que Ryoma haussait les épaules avec un sourire en coin, Helena sentit quelque chose de froid glisser le long de son échine.

Ce garçon… Il a réalisé tout cela juste en regardant l’état de la capitale ?

Il était vrai que les réformes à Pireas ne se passaient pas bien. Non, elles n’allaient pas seulement mal, elles étaient en fait au point mort. Pireas était traditionnellement dirigé par le capitaine de la garde royale, et n’avait donc pas beaucoup d’interaction avec les nobles et les bureaucrates.

En conséquence, l’intention de Lupis de consolider le pouvoir dans les mains du monarque avait rencontré une résistance de la part de la noblesse et de la bureaucratie, qui craignaient que le pouvoir existant dont ils disposaient soit sur le point d’être grandement limité. De leur point de vue, une novice qui ne connaissait rien à la gouvernance utilisait l’autorité du monarque pour empiéter sur leur domaine.

C’est la seule image qu’ils avaient d’elle.

Si le vicomte Gelhart était mort, peut-être auraient-ils abandonné. Mais il était toujours en vie et soutenait la princesse Radine en tant que membre de la famille royale. Cela signifiait que même avec son rang abaissé de Duc à Vicomte, son pouvoir et son autorité étaient plus grands que jamais.

Pour être exact, il avait effectivement pris la position d’un ministre. Les comtes Zeleph, Bergstone, et d’autres nobles de la faction neutre avaient officiellement pris ces positions après une longue période de déclin. Mais ceux qui suivaient leurs ordres étaient les mêmes bureaucrates de classe moyenne et basse qui travaillaient sous les ordres de Gelhart quand il avait encore le pouvoir. Et s’ils devaient tourner le dos au régime, le pays ne serait pas en mesure de fonctionner correctement.

En fait, depuis que la décision d’envoyer des renforts à Xarooda avait été prise, seuls deux tiers du matériel et des provisions nécessaires avaient été rassemblés dans la capitale. Bien sûr, ils pouvaient s’approvisionner à Xarooda, mais ils ne pouvaient pas compter entièrement sur le pays qui avait besoin de renforts. Il était donc logique de se préparer autant que possible par leurs propres moyens.

Et en plus, les fiers chevaliers de Myest menaient l’avant-garde, avec de grands chariots remplis de fournitures derrière eux. Ils avaient non seulement de la nourriture et du matériel, mais aussi des chevaux supplémentaires et des fournitures médicales pour soigner les soldats blessés afin d’aider l’armée de Xarooda. C’était une démonstration de la puissance financière de Myest, qu’elle devait à la possession de Pherzaad, le plus grand port commercial du continent occidental.

« Ryoma, vous… »

Helena était restée sans voix.

Même à ce jeune âge, l’homme devant elle connaissait les subtilités qui se cachaient derrière une armée. Une armée était essentiellement un être vivant massif. Elle dévorait de grandes quantités de fournitures et d’équipements, et ne produisait rien. Et si elle n’était pas suffisamment nourrie, cette créature devenait folle furieuse. Peu de gens s’en rendaient vraiment compte, même au sein de l’armée. Seules les personnes se trouvant dans les échelons supérieurs le savaient.

Mais malgré sa surprise, une certaine suspicion s’était installée dans le cœur d’Helena.

Mais où… a-t-il l’intention d’obtenir ces fournitures, alors ?

Il ne faisait aucun doute que les fournitures étaient absolument nécessaires. Et on voyait bien que le gouvernement de Rhoadseria ne pouvait pas les fournir. Elle pouvait donc comprendre pourquoi Ryoma avait choisi de les convertir en fonds militaires. Mais toute somme d’argent était inutile si personne ne lui vendait les fournitures dont il avait besoin.

Helena était à la tête d’un ordre de chevaliers, tandis que Ryoma était à la tête de plusieurs centaines de soldats. À eux deux, ils avaient moins de trois mille hommes, mais aucun marchand en ville ne pouvait équiper une telle force.

Ils devaient passer commande auprès d’une entreprise de taille considérable, et aucune entreprise n’accepterait une telle commande pour un premier client. Sans de réelles réalisations à montrer, aucune entreprise n’accepterait leur commande, car fournir une telle armée comportait des risques.

Ryoma, cependant, s’était contenté de rire de ses doutes.

« Oh, ne vous inquiétez pas pour ça. En fait, j’en ai déjà parlé avec eux. Ils ont juste besoin que nous les payions plus tard. », dit Ryoma comme s’il s’agissait vraiment d’une question insignifiante.

« Hein ? »

Helena n’avait pu que gérer cette réponse.

« J’ai déjà arrangé les choses avec une compagnie à Epirus. Même si je dois admettre que c’était juste un coup de chance. Mais de toute façon, ils nous fourniront une demi-année de provisions. »

« Je vois… D’où le mois que vous avez demandé. », dit Helena tout en poussant un profond soupir.

S’inquiéter à ce sujet était inutile…

En fin de compte, c’était vraiment insignifiant. Le jeune homme souriant assis devant elle avait déjà tout préparé avant d’arriver dans la capitale. La seule façon dont cela était possible était qu’il supposait qu’il pourrait être appelé et se préparait.

Ryoma avait choisi de travailler pour ce pays, de sa propre volonté. Et c’était quelque chose dont Helena aurait dû être heureuse. Mais étant donné la façon dont il avait été traité dans le passé, cela n’avait tout simplement aucun sens.

Cela durera-t-il encore combien de temps… Non, ce n’est pas ça. Pourquoi fait-il ça ?

Le doute bouillonnait en Helena, mais elle ne l’avait pas demandé à Ryoma. Quelque chose lui donnait l’impression que si elle le demandait… tout s’écroulerait.

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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