Wortenia Senki – Tome 7 – Chapitre 3 – Partie 4

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Chapitre 3 : Le fossé entre les idéaux et la réalité

Partie 4

Mais Nelcius avait pris la peine de le proposer de lui-même, et Sara ne comprenait pas pourquoi il avait immédiatement refusé. Le fait qu’il refuse en soi n’était pas si inhabituel. Mais elle avait supposé qu’il réfléchirait, demanderait des conseils à elle-même, Laura et Lione, et refuserait peut-être ensuite.

Mais il ne l’avait pas fait. Il avait refusé sans prendre en compte l’avis des autres, et Sara ne savait pas pourquoi.

« C’est simple. C’est parce que Nelcius me testait là-bas. », dit Ryoma comme si la réponse était évidente.

« Te tester… ? »

Sara n’avait pas pu masquer sa confusion.

Rien de ce que Sara avait entendu dans leur échange ne lui donnait l’impression que Ryoma était testé.

« Eh bien, tu vois, il essayait de voir à quel point je suis sérieux dans ma volonté de faire la paix avec les demi-hommes. Pourquoi penses-tu que j’ai appelé Nelcius là-bas ? »

Sara hésita un moment avant de donner sa réponse.

« Pour exprimer… ton désir de négocier la paix entre nous et les demi-hommes ? »

Ryoma acquiesça sans mot dire. Elle comprenait sa pensée sur le sujet.

« Mais si c’est le cas, l’offre de Nelcius n’est-elle pas une aubaine pour cette paix ? »

« Elle l’est… Mais si nous l’acceptions, ce serait nous qui aurions des problèmes. »

« Des problèmes… ? »

L’expression de Sara était teintée de confusion.

Ryoma s’était fendu d’un sourire crispé et avait hoché la tête sans mot dire.

Je suppose qu’il est normal qu’elle ne comprenne pas encore.

C’était une différence d’expérience, ou peut-être de talent. Quoi qu’il en soit, c’était un trait nécessaire pour un souverain. Lupis ne l’avait pas, et était prête à tout perdre pour cela.

« C’est simple. Nous ne montrons aucune aversion envers les demi-hommes, mais cela ne s’applique qu’aux personnes vivant actuellement à Sirius. On ne peut pas dire ce que les nouveaux roturiers qui migrent vers Wortenia pourraient penser ? »

« Eh bien… »

« Et le problème ne concerne pas que nous. »

« C’est-à-dire ? »

« Il y a quelques personnes problématiques au sud. Des gens qui utilisent le nom de Dieu quand ils parlent », dit Ryoma en crachant, la voix chargée de dégoût.

En entendant cela, Sara avait immédiatement compris ce qui dérangeait Ryoma.

« L’Église de la Lumière… », murmura-t-elle.

Dans l’esprit de Sara, des éléments d’information épars s’étaient mis en place comme les pièces d’un puzzle.

Il a raison… Laura et moi venons du continent central, nous ne l’avons donc pas vraiment remarqué, et tous les gens qui travaillent pour Maître Ryoma en ce moment sont d’anciens esclaves et mercenaires. Aucun d’entre nous ne vénère le dieu de la lumière Meneos de manière fanatique. Mais cela ne veut pas dire qu’il en sera de même pour les fermiers ou les paysans qui pourraient migrer vers Wortenia…

Le centre religieux de l’Église de la Lumière se trouvait dans la ville sainte de Meneus, située près de la frontière entre les royaumes du sud et le Saint Empire Qwiltantia. En raison de la grande distance qui l’en sépare, la foi en cette religion était plus relâchée dans les régions du nord et de l’est du continent. Mais il y avait des différences individuelles dans le degré de dévotion de chaque personne, et une dispute religieuse pouvait facilement devenir un soulèvement armé.

Bien sûr, ce n’était que des roturiers et des fermiers, la suppression de tout soulèvement serait donc une chose facile, mais leur mécontentement envers les demi-hommes ne ferait que croître en conséquence.

« De plus, la suggestion de Nelcius n’était de toute façon pas réaliste. Il est certes le chef d’une tribu de guerriers elfes noirs, mais ce n’est pas un dictateur. D’après ce que Dilphina m’a dit, les elfes ont une sorte de système parlementaire. Son opinion seule n’est pas suffisante pour faire agir les demi-hommes dans leur ensemble. »

Nelcius était certainement influent parmi les demi-hommes, mais il ne pouvait pas facilement mobiliser des soldats de son propre chef. Et l’histoire de la persécution des demi-hommes n’allait pas être effacée aussi facilement.

« Les sentiments de Nelcius mis à part, certains des demi-hommes ne peuvent pas se défaire de leur rancune envers les humains. Il faudra du temps pour que nous arrivions vraiment à un compromis. Mais c’est tout aussi vrai de notre côté. »

« Alors la suggestion de Nelcius était… »

« Un test pour voir si je comprenais cette affaire de façon réaliste. Il reconnaît peut-être mon idéal, mais il voulait voir si j’avais la droiture et la volonté de l’atteindre. Si j’avais suivi la suggestion de Nelcius, il ne m’aurait probablement plus jamais cru. »

En voyant Ryoma ponctuer ses paroles d’un petit sourire, Sara avait senti quelque chose de froid glisser le long de son dos.

Cette pensée s’était insinuée dans son esprit : qu’est-ce que cet homme peut voir… ? Un idéal lointain, ou la réalité qui s’offre à lui ?

Ce fut alors que l’on frappa à la porte. Un garde royal vêtu d’une armure complète ouvrit la porte de l’extérieur et s’adressa à Ryoma.

« Excusez-moi, Seigneur. Veuillez vous rendre dans la salle d’audience. »

Apparemment, il était venu pour inviter Ryoma à son audience avec Lupis.

« Allons-y », dit Ryoma en se levant de son siège tout en faisant disparaître le sourire de ses lèvres.

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Une atmosphère épaisse et oppressante planait sur la salle d’audience. Les chevaliers qui montaient la garde de part et d’autre du tapis rouge avaient l’expression tendue par la nervosité. Leur anxiété était naturelle — le héros national qui avait mis fin à la guerre civile était sur le point de se retrouver face au souverain qui avait choisi de le bannir.

Étaient également présents dans la salle la garde du palais, les officiers civils, ainsi que des nobles influents. Les regards de tous étaient fixés sur l’homme agenouillé devant la reine et l’aide derrière lui. Ryoma était agenouillé devant le trône, le visage baissé, lorsque la voix de Lupis résonna au-dessus de sa tête avec le bruit de la soie qui bouge.

« Levez votre tête. »

Sa voix était comme le carillon d’une cloche.

Elle est aussi belle que jamais… Même si elle est un peu émaciée… pensa Ryoma en levant les yeux pour contempler la Reine Lupis.

Et elle n’a pas non plus beaucoup changé… pensa-t-il en regardant Meltina, qui se tenait à côté de Lupis et qui était la même que lorsqu’il l’avait rencontrée pour la première fois.

« Cela fait trop longtemps, Baron Makoshiba », dit la Reine Lupis.

« Cela fait trop longtemps, Votre Majesté », répondit Ryoma tout en levant la tête avec un sourire serein.

Son expression ne trahissait pas un soupçon de haine, de colère ou de dédain envers la Reine Lupis. Il avait agi avec les manières d’un noble et l’avait regardée avec un sourire amical. En voyant cela, la tension dans la salle d’audience s’était quelque peu relâchée.

Personne ne l’avait exprimé en mots, bien sûr, mais la plupart des hauts gradés avaient compris l’antagonisme qui existait entre la reine Lupis et Ryoma. Ils craignaient que cette audience ne se transforme en un échange amer, mais tout s’était déroulé de manière plus douce et paisible qu’ils ne le pensaient. Leur soulagement était évident.

Mais les mots que la reine Lupis prononça ensuite firent à nouveau se crisper leurs expressions.

« Je crois qu’Helena a expliqué la situation dans sa lettre, alors laissez-moi entrer dans le vif du sujet. Je veux que vous rejoigniez nos renforts à Xarooda en tant qu’aide d’Helena. »

Toutes les personnes présentes avaient retenu leur souffle suite à sa proclamation. Ils s’attendaient à ce qu’elle n’entre dans le vif du sujet qu’après avoir conclu quelques civilités polies, ne serait-ce que pour la forme. Surtout au vu de tout ce qui s’était passé jusqu’à présent. Mais Lupis avait choisi autre chose.

Elle était allée droit au but.

Ce n’était pas une méthode que la noblesse — qui mettait l’accent sur des procédés aussi polis — aurait normalement adoptée. Ryoma, cependant, n’était pas un adepte des formalités inutiles et voyait cela d’un bon œil. Alors que tout le monde autour de lui déglutissait nerveusement, Ryoma répondit avec un sourire calme.

« J’accepte gracieusement. »

Sa réponse était complètement inattendue. Non seulement les gens autour d’eux, mais même la Reine Lupis, qui était celle qui lui avait demandé, ne pouvait contenir sa surprise.

« Vraiment ? Bien sûr, comme nous l’avons déjà dit, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour fournir du matériel et des équipements, mais… »

La reine Lupis s’était remise de son choc et dirigea un regard interrogateur vers Ryoma.

Ils ne me font pas tellement confiance, hein…

Sentant la suspicion dans les regards fixés sur lui, Ryoma fit claquer sa langue intérieurement. Pourtant, cette fois-ci, Ryoma avait tort. Étant donné ses actions dans le passé, il savait évidement ce que les autres pensaient de lui. Les mots qu’il prononça ensuite résonnèrent dans toute la pièce.

« Bien sûr, Votre Majesté. Je répondrai sûrement à vos attentes. »

« Vous êtes sérieux… ? »

Les yeux de la reine Lupis s’étaient remplis d’anxiété.

Son inquiétude était à prévoir. Il s’agissait d’une demande clairement déraisonnable, c’était pourquoi elle avait immédiatement affirmé que leur camp apporterait son aide en termes de fournitures et de matériel. Plus on connaissait Ryoma Mikoshiba, plus il était difficile de croire à cette vision. C’était à la fois à cause de son caractère, et surtout parce que les terres non développées de Wortenia étaient son territoire.

C’était une terre abandonnée par le royaume depuis de nombreuses années, et qui n’avait pas de citoyens chez qui prélever des impôts. D’un point de vue réaliste, il n’avait aucune chance d’avoir des soldats à envoyer en mission après s’être vu imposer ces terres. La plupart des personnes présentes dans cette pièce s’attendaient à ce que Ryoma refuse l’ordre de la reine Lupis. La seule personne qui ne le pensait pas était Helena, qui connaissait Ryoma plus personnellement que les autres et avait une meilleure compréhension de sa personnalité.

« Mais j’ai quelques requêtes à faire, Votre Majesté », dit Ryoma.

Un bourdonnement de chuchotements envahit de nouveau la salle d’audience à ces mots.

Oui, il fallait s’y attendre… pensa Lupis en prenant une profonde inspiration pour calmer son cœur.

Elle semblait calme en apparence, mais elle s’attendait à ce que Ryoma rejette catégoriquement sa demande. Elle fut plutôt surprise par la facilité avec laquelle il accepta, mais Ryoma n’était bien sûr pas si naïf. Son visage, qui semblait plus vieux qu’il ne l’était vraiment, était figé dans un sourire agréable. Son physique était grand et solide, mais il avait l’air tout à fait ordinaire.

Mais Lupis ne savait que trop bien que l’homme devant ses yeux était une bête dangereuse et carnivore.

Il y a seulement un an et demi, le vicomte Gelhart — alors duc — avait présenté Radine comme la fille du roi précédent, son père, et l’avait érigée en bannière. À l’époque, la reine Lupis était essentiellement impuissante. Elle ne disposait que de deux gardes royaux, et n’avait aucune carte ou arme en main qui lui aurait permis d’assurer son contrôle sur la maison royale.

Quatre-vingts pour cent des chevaliers étaient sous le contrôle du général Hodram, et les seuls sur lesquels Lupis pouvait compter pendant des années étaient Mikhail Vanash et Meltina Lecter, les deux responsables de sa sécurité. Sa situation était totalement désespérée.

Mais ce fut alors qu’il était apparu devant elle. Au début, elle se méfiait de Ryoma, pensant qu’il avait été envoyé là dans le cadre d’un stratagème des nobles. Elle avait accepté son offre non pas par confiance, mais simplement par résignation, car si elle ne faisait rien, elle n’avait pas d’avenir. Elle avait espéré qu’il serve à quelque chose, et avait agi entièrement par défaitisme.

Mais après leur première rencontre, Ryoma avait rapidement retourné la situation. Il avait réussi à rallier les nobles de la faction neutre à leur cause. Et après cela, il avait noyé des milliers de soldats en formant une tête de pont le long de la rivière Thèbes, un exploit qui lui vaudra le surnom de « Diable d’Héraklion ».

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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