Wortenia Senki – Tome 4 – Chapitre 3

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Chapitre 3 : Clash

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Chapitre 3 : Clash

Partie 1

« Tout le monde ! Nous avons enfin atteint ce champ de bataille… ! La dernière confrontation va commencer. Cette bataille va décider du sort du royaume de Rhoadseria. L’ennemi est peu nombreux. Je suis convaincu que si chacun d’entre vous se bat au mieux de ses capacités, notre victoire sera inébranlable. Je crois en votre loyauté et votre force… ! Que la victoire soit sur nous ! Gloire au royaume de Rhoadseria ! »

La princesse Lupis se tenait sur une plate-forme, parlant devant les chevaliers. Ils répondirent à son oraison par des acclamations qui firent trembler les plaines d’Héraklion.

« « « Victoire ! Que la victoire soit sur nous ! Gloire au royaume de Rhoadseria ! » » »

Levant leurs poings vers le ciel, les chevaliers applaudirent en enfonçant le bout de leurs lances dans le sol. Les rancunes que le général Albrecht avait accumulées au fil des ans parmi les chevaliers étaient maintenant sur le point d’entrer en éruption comme un volcan. Enfin, ils avaient leur chance de se venger.

Et, à ce moment-là, dans des conditions extrêmement favorables, les effets de la défection du duc Gelhart aux côtés de la princesse Lupis furent rapides et visibles. Ce n’était pas pour rien qu’il avait passé ses années au palais, mêlé à des luttes de pouvoir politiques.

Le duc Gelhart avait accepté toutes les conditions de Ryoma et avait immédiatement commencé à travailler pour saper les autres nobles, notamment ceux qui se trouvaient sous le comte Adelheit. Combiné aux efforts de Ryoma lui-même, les résultats de ces actions furent extrêmement puissants.

Tout cela s’était passé la veille du discours de Lupis aux chevaliers. Le comte Adelheit ne put contenir sa surprise en apprenant la visite inattendue du duc Gelhart, mais le salua quand même par politesse.

« Ah, duc Gelhart… Mes excuses pour l’autre jour… »

Le comte Adelheit se trouvait actuellement dans un camp près d’Héraklion, où il rassemblait ses forces pour rencontrer celles de la princesse Lupis. Le comte Adelheit avait été très surpris de découvrir que le duc Gelhart avait quitté la sécurité des murs d’Héraklion pour les zones dangereuses du champ de bataille.

« Oh, non, pardonnez mon intrusion soudaine. »

C’était le genre de discours auquel on s’attendrait à ce moment-là. Il était indéniable que le duc Gelhart était très amer de la trahison du comte Adelheit. Il avait servi à ses côtés pendant de nombreuses années dans la faction des nobles. Il était normal qu’il soit bouleversé.

Cependant, on ne pouvait pas voir cette colère brûler dans les yeux du duc Gelhart. C’était un homme hautain, certes, mais il était capable de se déprécier autant qu’il le fallait, si cela répondait à ses besoins. On pourrait peut-être dire que c’était un bon acteur. Ou simplement un adulte.

Bien sûr, il ne pouvait pas vraiment tromper le comte Adelheit, qui avait été son numéro deux pendant des années, mais cela servait quand même à apaiser la conversation. Les gens étaient plus enclins à écouter quelqu’un lorsqu’ils parlaient calmement, et à ne pas écouter lorsqu’on les regardait de haut.

« Quand même, vous voir venir jusqu’ici… Je dois me demander ce que vous pourriez faire avec moi. Nous nous préparons à combattre comme l’a ordonné le général Albrecht, je n’ai donc pas beaucoup de temps libre… Notre combat contre la Princesse Lupis va bientôt commencer… »

Les paroles du comte Adelheit étaient correctes, mais elles avaient des implications. En d’autres termes, il n’avait pas de temps à consacrer au duc Gelhart, un homme sur le déclin.

« Ah, je suis désolé d’apprendre que je vous ai trouvé à un mauvais moment… Mais comte Adelheit, avez-vous entendu parler des mesures draconiennes que prend la princesse Lupis en ce moment ? » demanda le Duc Gelhart, d’un ton inquiétant.

Le comte Adelheit savait ce que le duc Gelhart allait faire, mais il ne pouvait pas s’empêcher de demander.

« Des mesures drastiques… ? Qu’est-ce que la princesse complote au juste ? »

« Êtes-vous intéressé ? »

« Bien sûr. Dites-le. »

Si la princesse Lupis essayait une sorte de tactique, le comte Adelheit ne pouvait pas l’ignorer, même si c’était le duc Gelhart qui délivrait la nouvelle. L’instinct des nobles les poussait à assurer la sécurité de leur foyer. Être poussé par l’émotion et ignorer cela ne suffirait pas. Il lui faudra simplement confirmer la vérité de ce qu’il avait entendu ici plus tard.

Le duc Gelhart parla brusquement, le comte Adelheit le regardant avec suspicion, essayant de vérifier l’authenticité de ses paroles.

« La princesse Lupis a envoyé de petits groupes de ses chevaliers pour brûler les territoires des nobles associés au général Albrecht. »

À ce moment, le comte Adelheit était devenu complètement pâle.

« Ce n’est pas possible ! C’est impossible… La princesse Lupis n’est pas de ceux qui permettraient une telle conduite ! »

Adelheit ne pouvait s’empêcher d’élever la voix. Il était vrai que brûler des territoires était une tactique viable dans les guerres prolongées. Ravager les territoires de l’ennemi, c’était mettre en pièces leurs fondements financiers et exercer une pression psychologique. Cela permettait également à l’autre partie d’acquérir plus de biens pour financer son effort de guerre. C’était une stratégie vraiment efficace.

Mais cette guerre était différente. C’était une guerre entre compatriotes rhoadseriens. La princesse Lupis, en brûlant les territoires des nobles, porterait un coup à l’économie de son propre pays. C’était en fait une tactique suicidaire qui lui causera autant de dommages qu’à ses ennemis.

Et pour commencer, Lupis Rhoadseria, connue pour être miséricordieuse, emploierait-elle une tactique qui accablerait ses roturiers ?

« J’ai du mal à le croire… La princesse ne ferait pas ça… Êtes-vous sûr de ne pas avoir mal entendu ? »

La question du comte Adelheit était compréhensible. Il l’avait vue dans quelques audiences et ne pensait pas qu’elle était une personne de ce calibre. C’était précisément ce que visait le duc Gelhart. Il était convaincu d’avoir réussi à tromper le comte Adelheit avec ses mots.

« C’est vrai. La princesse Lupis est gentille, comme vous dites… »

« Effectivement, donc vous devez vous tromper. Elle n’accepterait jamais de faire du mal aux citoyens de Rhoadseria ! »

Son ton semblait indiquer que, bien qu’il soit du côté des rebelles, le comte Adelheit ne semblait pas comprendre qu’il était opposé à la princesse Lupis. C’était peut-être la preuve qu’il ne comprenait pas le vrai sens de cette guerre. Dans une guerre conventionnelle, attaquer les territoires de l’ennemi lorsqu’ils étaient relativement peu surveillés était une tactique évidente.

Mais la perception quelque peu complaisante du comte Adelheit était celle que partageaient la plupart des nobles qui avaient rencontré la princesse Lupis en public. En d’autres termes, c’était sa nature gentille et miséricordieuse qui au départ les avait poussés à se rebeller.

Oui, le point de vue du comte aurait en fait été correct… Jusqu’à présent.

Le duc Gelhart supprima le sourire qui s’élevait à ses lèvres et continua à parler avec une expression humble.

« Cependant… Cet homme servant sous les ordres de la princesse ne reculerait pas devant des moyens aussi ignobles… »

L’expression du comte Adelheit se raidit. Il avait deviné ce que le duc Gelhart essayait de dire.

« Cet homme… Vous voulez dire, ce diable dont parle les rumeurs… »

« En effet… Ils l’appellent le diable d’Héraklion »

Le duc Gelhart hocha lentement la tête.

« Ryoma Mikoshiba… »

Le comte Adelheit prononça son nom avec crainte.

Le duc Gelhart acquiesça en silence.

Ryoma Mikoshiba. L’homme qui avait noyé des milliers de personnes lors d’une inondation et qui avait sauvagement tué les survivants. Les habitants d’Héraklion et de ses environs l’avaient surnommé avec terreur le « Diable d’Héraklion. »

C’était une fausse image qui résultait des rumeurs que Ryoma avait répandues et qui étaient grandement exagérées, mais les masses non éduquées y croyaient. En effet, même dans ce monde de luttes sans fin, un commandant qui n’acceptait aucune reddition et ne faisait aucun prisonnier était inhabituel. La plupart prenaient tous les prisonniers qu’ils pouvaient dans l’espoir de demander des rançons pour eux, ou les vendaient à des marchands d’esclaves.

Les rumeurs avaient déjà atteint les oreilles du comte Adelheit. Après tout, de nombreux roturiers les avaient mises en avant lorsqu’ils avaient supplié qu’on leur permette de rentrer chez eux.

« Mais… Ce ne sont que des rumeurs, pas vrai ? Ne me dites pas que c’est un vrai diable ? »

Le duc Gelhart se mit à rire avec force et secoua la tête.

« Je ne m’attendais pas à entendre de telles absurdités de la part d’un comte comme vous. Les seuls qui le croiraient diabolique étant le bas peuple. »

Mais il s’arrêta de rire, et toute émotion quitta son visage. Il regarda autour de lui, comme s’il était inquiet que ce diable puisse se cacher dans les environs.

« Mais je pense certainement que ce Mikoshiba est assez cruel et impitoyable pour être appelé un diable. Cette attaque par inondation et ses actions après cela m’indique clairement qu’il n’hésitera pas à brûler des territoires. »

Son murmure était rempli de terreur envers Ryoma. Bien sûr, ce n’était pas un vrai diable. Aussi impitoyable qu’il puisse être, il ne prenait aucun plaisir à tuer. Mais cette image de diable était importante, et le Duc Gelhart nourrissait une peur réelle envers Ryoma. Il ne faisait qu’à moitié la comédie. L’autre moitié, c’était ses sentiments sincères.

« Eh bien, oui, je suppose que c’est quelque chose que le Diable d’Héraklion pourrait faire, mais… êtes-vous sûr que ce que vous me dites est vrai ? »

Le comte Adelheit ne semblait pas encore y croire. Ou plutôt, il ne voulait pas y croire. Et le duc Gelhart comprenait parfaitement ce qu’il ressentait. Mais il n’était venu ici que pour semer les graines de la peur et de la suspicion dans son cœur.

« Oh, j’ai simplement entendu cette rumeur et j’ai pensé que je devrais la partager avec vous. Que vous y croyiez ou non, c’est à vous de décider, mon cher comte… Alors, maintenant. Je suppose que je ne devrais pas prendre plus de votre précieux temps. Je vais prendre congé. »

« H-Huh… Vous rentrez déjà ? Vous ne devriez pas vous dépêcher ! »

Le comte Adelheit semblait avoir oublié ce qu’il avait dit au début, il essayait maintenant de convaincre le duc de rester. Une partie de lui pensait qu’il ne pouvait pas le laisser partir après l’avoir laissé dans l’angoisse. Il voulait des informations plus claires.

« Oh, non, je n’osais pas m’imposer à vous plus longtemps… Ah, je sais. Si vous voulez en savoir plus, demandez aux commerçants de la ville. C’est là que j’ai appris cette rumeur. Je suis sûr qu’ils pourront vous donner une réponse plus claire. »

Le comte Adelheit ne pouvait plus le retenir après avoir dit tout cela.

« Je vois. Merci d’avoir partagé cette information avec moi. »

« Oh, non, excusez-moi de vous avoir dérangé alors que vous êtes si occupé. Je vous dis adieu. »

Cela dit, le duc Gelhart quitta la tente. Alors qu’il regardait cet homme partir, l’esprit du comte Adelheit s’affola.

« Venez ! J’ai besoin de quelqu’un ! »

Il sonna une cloche, ce qui incita un assistant à entrer. Le comte Adelheit lui ordonna de rassembler les commandants de son armée. Il les enverrait enquêter sur l’authenticité des rumeurs du duc Gelhart.

L’information lui était parvenue le soir même. Apparemment, certains de ses subordonnés avaient eu vent des rumeurs.

« Alors c’est vrai ?! »

Le comte Adelheit avait été surpris par le rapport de ses subordonnés.

« Il est difficile de dire si c’est vrai, mais… C’est effectivement ce que disent les marchands d’Héraklion… »

Les paroles de ses aides lui firent mal au cœur. Les nobles avaient toujours été ceux qui pariaient uniquement sur le cheval gagnant. Préserver le prestige, la richesse et le territoire de leur famille était toujours la première chose à laquelle ils pensaient. Ils s’accrochaient obstinément à leurs territoires, et même s’ils ne chérissaient pas leurs sujets, aucun gouverneur ne restait inactif et ne laisserait sa terre brûler.

Après tout, les nobles ne produisaient rien. Ils vivaient en se régalant des richesses produites par leur peuple. Ils ne pouvaient donc pas se permettre de laisser leurs terres. Et pour couronner le tout, cette expédition de soldats avait pris la plupart des hommes de leurs terres, n’y laissant que les femmes et les enfants. Il était impensable de mettre en place une telle ligne de défense, et les nobles qui quittaient leurs domaines pour venir ici seraient particulièrement touchés.

C’est mauvais… Terrible, même… Mais… qu’est-ce que je peux faire ?

Le comte Adelheit sentit l’anxiété le gagner. Si les rumeurs étaient vraies, il n’avait qu’un seul choix : retirer son armée et l’utiliser pour défendre son territoire et sa famille. Mais s’ils devaient faire demi-tour et rentrer chez lui sans avoir rien montré, il ne leur resterait que des dettes. Ses propres hommes n’avaient pas encore croisé leurs épées avec l’ennemi, mais ils mettaient pourtant leur vie en danger. Ne pas leur offrir de récompense serait trop demander.

Il en allait de même pour les roturiers. Ils avaient mis de côté leur gagne-pain quotidien pour s’engager. Ils n’avaient pas besoin d’une récompense, mais il faudrait au moins les exempter de l’impôt de l’année prochaine. Ainsi, quoi qu’il fasse, revenir les mains vides ne ferait qu’engendrer du mécontentement.

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Partie 2

Mais si c’est vrai, ma famille… Ma femme et mes petits-enfants…

S’ils devaient être emmenés en captivité, il paierait leurs rançons. S’ils étaient vendus à des esclavagistes, il rachèterait leur liberté. Mais s’ils tombaient entre les mains du diable d’Héraklion… Cet homme ignorerait toute dignité envers les nobles et massacrerait femmes et enfants.

Le cœur du comte Adelheit était enchaîné par la peur. Ses fils, qui se tenaient à ses côtés, comprenaient parfaitement la raison de l’expression perplexe de leur père, mais ne trouvaient pas les mots. Non, il était probable que tous ceux qui étaient présents dans la tente ne voulaient rien d’autre que quitter cet endroit pour aider leur famille…

« Monsieur le comte ! Toutes mes excuses ! »

Un soldat était entré dans leur tente, apparemment pour signaler quelque chose.

« Qu’est-ce qui se passe ?! »

Le comte Adelheit le regarda froidement, agacé d’avoir été distrait de ses pensées, et lui fit un signe dédaigneux de la main.

« J’ai dit que nous ne devons pas être dérangés ! »

« Oui, j’en suis conscient, mais… Le vicomte Romane et plusieurs autres nobles sont arrivés, disant qu’ils veulent une audience avec vous… Je leur ai fait part de vos ordres, mais ils insistent sur le caractère urgent… Euh… Que dites-vous ? », bégayait timidement le soldat.

Le comte soupira. Il devait savoir pourquoi le vicomte Romane était arrivé.

« Très bien. Guidez-les ici… »

En regardant le soldat partir, le comte Adelheit parla à son fils aîné.

« Qu’en penses-tu ? Alors, c’est vraiment… »

« Mon opinion est probablement la même que la tienne, père… »

« Alors tu le penses aussi… Que devons-nous faire ? »

Le comte Adelheit était fier d’avoir élevé son fils aîné en homme sage.

Il est du même avis que moi. Au moins, ce n’est pas un imbécile… Cependant…

« C’est sans doute mieux si nous retirons nos troupes, même si c’est par la force… Rester ici ne va pas nous remonter le moral et je ne crois pas que nous allons gagner. Et plus on mettra de temps à nous retirer, plus il y a de chances que nos soldats enrôlés se révoltent. »

Ils voulaient rentrer chez eux s’ils le pouvaient, mais les nobles ne pouvaient pas se retirer de cette bataille aussi facilement. En agissant de manière irréfléchie, ils seraient simplement considérés comme des traîtres et le reste de la faction de la noblesse se retournerait contre eux. Mais son fils avait suggéré le retrait, même en ayant cela à l’esprit.

Alors, que faisons-nous… ? Est-ce qu’on se retire, ou est-ce qu’on reste ici… ?

De multiples possibilités avaient surgi puis s’étaient évanouies dans son esprit, mais ses pensées avaient vite été perturbées par la voix d’un homme.

« Les mots de ton aîné sont des plus appropriés ! Cette guerre est presque terminée. »

Le soldat lui avait probablement montré le chemin. Six hommes vêtus d’une armure étaient entrés dans la tente.

« Oh, vicomte Romane… »

Le comte Adelheit s’adressa à l’homme d’âge moyen qui se tenait au milieu de la rangée.

« C’est un plaisir de vous voir… Mais quand même, pourriez-vous expliquer ce que vous vouliez dire ? Nous ne pouvons pas simplement faire demi-tour et retourner sur nos territoires avec la princesse Lupis qui nous marche dessus. »

Romane était un petit homme d’âge moyen, qui s’installa impoliment sur une chaise sans y être incité et croisa les bras effrontément. Sa conduite était bien plus grossière que ce qui était normalement toléré par la noblesse, mais personne ne lui en avait fait porter le blâme. Ils savaient que dire n’importe quoi serait un effort gaspillé.

« Épargnez-moi mon manque de courtoisie, cher comte. Nous n’avons pas le temps pour ça maintenant… Nous allons retourner sur nos territoires », dit le vicomte sans ambages.

Mais la brutalité de tout cela n’avait fait que donner plus de crédibilité à ses paroles.

« Quoi ?! »

Le comte Adelheit avait pâli.

Est-il devenu fou… ?!

Le vicomte Romane faisait partie de la faction du comte Adelheit, mais il avait toujours été un homme très hautain et extrêmement difficile à traiter. Mais cette nature lui conférait aussi quelques traits positifs. C’était un guerrier habile, il était devenu une sorte de chef de file des nobles de bas rang.

Les nobles de rang inférieur n’avaient chacun qu’une force comprise entre plusieurs dizaines et une centaine de soldats, ce qui en soi n’était pas une force avec lequel on pouvait faire la guerre. Tout au plus pouvait-elle être utilisée pour la sécurité des camps ou la gestion des réserves de nourriture. Mais même de si petites forces pouvaient devenir des effectifs importants lorsqu’elles étaient rassemblées.

Mais bien sûr, la simple coopération ne suffisait pas. Lorsque des personnes de même rang se rassemblaient, elles ne faisaient que se gêner mutuellement. C’était tout simplement comme cela que les nobles avaient tendance à être. Cependant, tant que quelqu’un détenait une autorité sur les soldats en tant que commandant, tout rassemblement d’hommes pouvait devenir une force utile.

Cela pouvait se faire par la dignité, l’intimidation ou la richesse. Tant que les gens étaient dirigés par quelqu’un ayant quelque chose qui les rendait supérieurs aux autres, n’importe quel pion sur l’échiquier pouvait être transformé en chevalier. C’était pourquoi le comte Adelheit supportait tacitement l’attitude du vicomte Romane.

Mais sa déclaration selon laquelle ils partiraient de leur propre chef était une chose sur laquelle il ne pouvait pas rester silencieux.

« C’est impossible ! », lui cria-t-il, rassemblant toute la dignité qu’il pouvait.

« Comment osez-vous faire cela selon vos propres désirs ?! Avez-vous l’intention de trahir le Duc Gelhart ?! »

Le comte Adelheit et le reste des nobles avaient déjà usurpé la faction du duc Gelhart en faveur du général Albrecht, mais étaient encore considérés techniquement comme l’armée du duc. Même s’il n’avait aucune autorité ou aucun pouvoir effectif, il était toujours nominalement la bannière sous laquelle ils se rassemblaient.

Mais le vicomte Romane considérait simplement le comte avec un ricanement.

« Vous dites cela maintenant, après tout ce qui vient de se passer ? Nous avons tourné le dos au duc Gelhart il y a seulement quelques jours. Aussi vieux que vous puissiez être, cher comte, je suis sûr que votre vieil esprit se souvient encore de ce qui s’est passé il y a quelques jours. »

Sa voix était épaisse et clairement méprisante, ce à quoi les aides du comte avaient réagi en sortant leurs épées.

« Arrêtez ! »

Le comte Adelheit empêcha ses hommes d’abattre le vicomte. Il avait alors montré une expression résignée vers l’homme.

« Vous avez raison. Il est inutile d’essayer de sauver les apparences à ce stade. Alors, venons-en à la question principale… Pourquoi ? »

Il demanda au vicomte pourquoi il avait décidé de se retirer sur son territoire. Il avait déjà une assez bonne idée de ce qu’il allait dire, mais il voulait l’entendre directement de sa bouche. Ce faisant, il pourrait aussi décider lui-même de la manière d’agir.

« Est-ce que ça a besoin d’être dit… ? »

Le vicomte Romane était devenu rouge d’irritation.

« À cause des rumeurs… »

Il était probablement très irrité.

« Je le savais… Alors elles sont vraies… ? »

Le vicomte Romane secoua la tête.

« Vous battez donc en retraite sans confirmer les rumeurs… Vous tous… ? »

Le comte Adelheit regarda les jeunes hommes qui se tenaient derrière le vicomte.

Un jeune homme s’avança pour rencontrer son regard.

« Nous ne pensons pas que l’authenticité de ces rumeurs soit importante à ce stade, monsieur le comte », dit-il.

Le comte Adelheit ne se souvenait pas de son nom.

C’était sûrement un des nobles de bas rang sous le vicomte Romane.

« De quelle maison êtes-vous originaire, jeune homme ? »

« De Lechre, c’est le fils aîné de la famille du baron Mondo. Je l’ai pris sous mon aile. Son père est un parfait bon à rien, mais Lechre est un jeune homme très prometteur. C’est mon aide le plus précieux. », répondit le vicomte Romane.

Le regard du comte Adelheit prit en considération cette introduction.

Le fils aîné de la famille Mondo… On dit que son père, l’actuel gouverneur, est un imbécile, mais j’ai entendu dire que son fils est assez impressionnant… Et bien sûr…

Il y avait plusieurs centaines de nobles à Rhoadseria. La plupart des nobles connaissaient la plupart des autres, mais le comte Adelheit était le numéro deux de la faction des nobles. Pour lui, la majorité des nobles n’était pas différente de la populace.

Mais il connaissait un peu la maison des Mondo. Le gouverneur actuel, le père de Lechre, avait soudainement commencé à augmenter les taxes pour entrer sur son territoire. À cause de cela, les commerçants employés par le comte s’étaient beaucoup plaints.

Après avoir déterré ce qu’il pouvait de ses souvenirs, le comte avait de nouveau fixé son regard sur Lechre.

« Je vois. Alors, Seigneur Lechre, laissez-moi vous reposer la question. Que vouliez-vous dire par là ? »

« La rumeur circule déjà parmi les roturiers, et ils refusent d’écouter nos ordres, insistant pour qu’ils rentrent chez eux. »

C’était les roturiers qui seraient les plus touchés par le rasage des territoires, car leurs maisons et leurs biens seraient réduits en cendres. Les nobles pouvaient toujours recevoir les faveurs de leurs parents, mais les roturiers se battaient juste pour défendre leur gagne-pain durement gagné. Ils ne pouvaient plus guère se soucier de la vie d’autrui à ce stade. Ils voulaient donc rentrer chez eux et protéger leur maigre fortune et leur famille.

Le comte Adelheit, cependant, avait simplement claqué sa langue et lança au garçon un regard exaspéré et moqueur.

« Une telle bêtise… Y a-t-il un moment où ils ne se plaignent pas pour une raison ou une autre ? Blessez quelques-uns d’entre eux pour donner l’exemple et cela devrait faire l’affaire. »

Si quelqu’un disait quelque chose comme ça dans le monde de Ryoma, cela causerait un énorme scandale. Il serait étiqueté comme fasciste et militariste et recevrait l’équivalent verbal d’un lynchage en termes de critique.

Mais ce qu’il venait de décrire était un moyen couramment utilisé pour maintenir l’ordre public et gouverner le territoire d’un noble dans ce monde. C’était en plus un moyen très efficace… Du moins, normalement. Mais cette fois-ci, les choses étaient différentes.

« Eh bien, vous voyez… Les roturiers sont prêts à se révolter… Ils nous ont résisté physiquement. », dit Lechre en secouant la tête.

« Les roturiers ont fait quoi ?! »

Le comte Adelheit se leva de sa chaise.

Il était très choqué par ce qu’il venait d’entendre. Il ne pensait pas que les roturiers étaient si bien soutenus.

« Oui, nous avons étouffé leur résistance cette fois, mais plusieurs chevaliers ont été gravement blessés. Les choses se sont terminées favorablement cette fois, mais ils auraient pu mourir à ce rythme. Nous nous sommes penchés sur la question, et des choses similaires se produisent dans toute la faction des nobles… Et… »

« Et quoi ? Il y a plus ?! »

Le comte Adelheit ne voulait pas que Lechre en dise plus. Si les choses s’aggravaient, même un homme audacieux comme lui ne pourrait pas le supporter.

« Le marquis Schwartzen et sa clique battent déjà en retraite. »

Tout le sang se retira du visage du comte Adelheit au son de ce nom.

« Ce n’est pas possible… Comment ose-t-il ?! »

Le marquis Schwartzen était le troisième homme le plus puissant de la faction des nobles. Le duc Gelhart faisait plus confiance au comte Adelheit, il était donc au-dessus de lui au sein de la faction. Mais en termes de taille de territoires et de nobles de bas rang sous leur aile, le marquis Schwartzen était le deuxième homme le plus puissant après le duc Gelhart lui-même. Les forces qu’il avait fournies formèrent la deuxième plus grande partie du total des rangs de la faction des nobles dans cette guerre. Son retrait du champ de bataille ne pouvait être ignoré.

« Avez-vous signalé cela au général Albrecht ?! »

C’était ce qui intéressait le plus le comte Adelheit. Il était naturel de respecter les décisions du général Albrecht, puisqu’il détenait l’autorité suprême sur l’armée. Mais Lechre avait simplement répondu avec un sourire malicieux et tordu.

« Vous devez sûrement plaisanter. Qu’est-ce que cela changerait si on le lui reportait maintenant… ? L’armée du marquis Schwartzen nous a notifié qu’ils nous attaqueraient si nous entravions leur retraite. Nous ne pouvons donc rien faire… L’armée du marquis Schwartzen forme un quart des forces de la faction des nobles. Si nous nous heurtons à eux, eh bien, peut-être que nous nous en sortirons victorieux, mais nous n’en sortirons pas indemnes. »

« C’est… vrai. »

« Dans ce cas, que devraient faire les nobles maintenant ? Qu’est-ce qui garantirait notre survie ? L’obtiendrons-nous en rendant des comptes au général Albrecht ? »

Comprenant le sens caché derrière ces mots, l’expression du comte Adelheit s’était déformée de façon désagréable.

« Sacrifier les forces du général Albrecht… Et vous êtes tous d’accord avec ça ? »

Ils répondirent à ses mots par le silence. Un silence qui signifiait le consentement. C’était écœurant, mais même s’il était dégoûté par leur approche, il comprenait pourquoi ils faisaient cela. C’était le fruit de l’instinct de la noblesse, qui lui avait été inculqué dès sa naissance. Cela les avait poussés à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour défendre leur statut et leur nom de famille.

Et le comte Adelheit savait que faire un esclandre à ce stade ne servirait à rien. Appuyé sur le dossier de sa chaise, il poussa un soupir résigné dans l’air.

« Très bien… Si vous êtes décidé à aller aussi loin, je n’ai plus rien à dire. Je respecterai votre décision. »

Tous les autres acquiescèrent en silence.

« Je suis heureux que vous compreniez. Nous allons donc battre en retraite immédiatement. Que les rumeurs soient vraies ou non, nous devons veiller à la défense de nos territoires ! », dit le vicomte Romane en tournant les talons.

Alors qu’il le regardait partir, un murmure échappa aux lèvres du comte Adelheit.

« Nous trahissons le duc Gelhart, puis nous nous faisons de même envers le général Albrecht… Maintenir le pouvoir de ses familles peut nécessiter de se salir les mains, mais quand même… »

Les aides qui se tenaient à ses côtés étaient tous uniformément silencieux. Ils ressentaient eux aussi l’amertume de ce que signifie être un noble.

***

Partie 3

« Mais Votre Altesse ! Vous devez donner l’ordre de marcher ! »

Alors que la princesse Lupis était figée sur place, incapable de donner l’ordre de marcher sur Héraklion, Meltina l’implora. Grâce aux manigances de Ryoma, les armées nobles déployées autour d’Héraklion étaient toutes rentrées sur leur territoire.

Avec le duc Gelhart à leurs côtés, il ne restait plus qu’à vaincre le général Albrecht, les 2 500 chevaliers sous son commandement et la petite armée de mille hommes appartenant à des nobles de bas rang qui ne comprenaient pas ce que faisaient les autres et restaient derrière. Ils s’étaient terrés dans un coin d’Héraklion. Leur moral était, bien sûr, au plus bas.

En comparaison, la princesse Lupis avait 25 000 hommes sous son commandement. Il n’y avait pas si longtemps, la princesse Lupis était en position de faiblesse, mais maintenant, la situation avait complètement changé. Les chevaliers qui se tenaient devant elle attendaient tous avec impatience ses ordres. Leur nombre étant dix fois plus élevé que celui de l’ennemi, leur moral était naturellement au plus haut.

Mais le cœur de la princesse Lupis était saisi d’une émotion sombre qui était à l’opposé de l’exaltation de ses chevaliers. Elle ne pouvait pas se réjouir d’une situation où il ne serait pas étrange qu’elle virevolte de joie.

La terreur qu’elle éprouvait pour lui planait sur elle comme une ombre.

C’est donc son pouvoir… Il a renversé une telle position de faiblesse… Ryoma Mikoshiba… Il me fait peur. Son intelligence et son esprit me font peur. Son caractère impitoyable me fait peur. Son cœur, qui ne montre aucun respect pour la royauté, me fait peur… Et si nous vainquons Albrecht, cet homme quittera ce pays. C’est bien… C’est ce sur quoi nous nous étions mis d’accord dès le départ. Mais s’il se retourne contre moi… Je ne serai pas capable de l’égaler, quoi qu’il arrive… Y a-t-il au moins quelqu’un dans ce pays qui le puisse ? Même Helena admet qu’il est meilleur qu’elle… Si jamais il se retournait contre nous… Ce pays tombera dans une crise bien plus grande que celle de Gelhart ou d’Albrecht…

Elle le savait depuis le début. Non, il serait peut-être plus correct de dire qu’elle s’était trompée en pensant qu’elle le savait. L’anxiété dont elle avait pris conscience, et à laquelle elle s’était efforcée de ne pas penser, venait juste de surgir dans son cœur, alors qu’ils étaient sur le point de mettre en déroute l’armée du général Albrecht.

Elle devait cependant repousser cette peur.

Non… Je devrai y penser plus tard. Pour l’instant, je dois me débarrasser d’Albrecht !

La Princesse Lupis, en faisant un signe de tête à Meltina, fixa son regard vers l’avant.

Je ne peux rien faire d’autre… pour le moment !

« À toutes les forces, en marche ! »

Meltina fit un signe de tête à la Princesse Lupis et pointa la direction d’Héraklion. À présent, ce qui comptait, c’était de battre Albrecht.

« Ooooh ! »

En élevant la voix une fois de plus, les soldats se mirent immédiatement en route. Ils n’avaient qu’un seul but : réclamer la tête du général Albrecht.

« Maître Ryoma… En es-tu sûr ? »

Les chevaliers conduits par la princesse Lupis se dirigèrent vers Héraklion, soulevant un nuage de poussière dans leur sillage. Un groupe de personnes surplombait la marche depuis les hauteurs, située à une courte distance des chevaliers.

« Oui, notre participation à l’invasion d’Héraklion ne servirait à rien », répondit Ryoma à la question de Laura.

La centaine de mercenaires dirigés par Lione et Boltz, ainsi que les sœurs Malfists étaient présentes ici. Tout le monde était prêt à partir au front, mais leur commandant, Ryoma, ne s’était pas rendu sur le champ de bataille.

« Mais mon garçon… Tu sais que cette guerre ne se terminera pas si nous n’attaquons pas Héraklion ? »

Boltz exprima ses doutes, exprimant la question que tous les participants se posaient.

« Elle ne se terminera pas si nous n’attaquons pas la ville, hein… ? Je vois… Est-ce que vous ressentez tous cela ? »

Tout le monde acquiesça à la demande de Ryoma. Le général Albrecht n’allait pas déplacer son armée hors de la ville, la guerre ne se terminerait donc pas avant qu’ils ne prennent Héraklion. Après tout, le duc Gelhart s’était déjà tourné vers la princesse. Ryoma sourit, réalisant le sens de la question de Boltz.

« Alors, laissez-moi vous demander quelque chose à la place. En ce moment même, le général Albrecht est dans la ville avec ses chevaliers et les nobles qui n’ont pas pris la fuite à temps. Maintenant que Gelhart est du côté de la princesse, le général est le dernier ennemi qu’il nous reste. Vous me suivez jusqu’à présent ? »

Tout le monde hocha la tête. Les rumeurs que Ryoma avaient répandues sur ses soi-disant tactiques de la terre brûlée firent que les nobles ennemis avaient retiré leurs forces et s’étaient repliés chez eux. Grâce à cela, il n’y avait aucun signe de soldats dans les environs d’Héraklion. C’était ainsi que la princesse Lupis avait pu mener à bien cette bataille finale. Le duc Gelhart ayant prêté serment d’allégeance à la princesse Lupis, ses seuls adversaires restants étaient le général Albrecht et ses laquais.

« Quelle est la taille des forces de la princesse Lupis ? »

« Vingt-cinq mille hommes. »

« Comme l’a dit Sara. Et celles d’Albrecht ? »

« Trois mille, à plus ou moins cinq cents hommes ! » dit Boltz.

« Exactement. »

Ryoma regarda tout le monde.

« Ils sont pratiquement dix fois moins nombreux, alors crois-tu vraiment qu’Albrecht s’est caché à Héraklion dans cette situation ? »

Tout le monde comprit alors ce que Ryoma voulait dire.

« Alors tu dis qu’il ne se cache pas en ville, mon garçon ? », demanda Lione.

« Oui. En toute honnêteté, je dirais qu’il y a une chance sur deux… D’après ce que je sais, Albrecht est un vieil homme très hautain et désagréable, mais en même temps, il ne sait pas quand abandonner. »

« Alors, qu’est-ce que tu penses que Monsieur le Général-qui-ne-sait-donc-pas-abandonner va faire ? »

« Eh bien, pour commencer, s’il se terre à Héraklion, il ne peut pas espérer des renforts. La faction des nobles lui a tourné le dos une fois et n’enverra plus de troupes pour l’aider. Le Duc Gelhart ne l’abritera pas non plus. S’il se montre, il organisera son armée et l’enverra écraser Albrecht. Il a donc deux options : accepter la défaite ou s’enfuir… Mais je ne vois pas cette fouine choisir une défaite honorable. »

« Quoi, donc sa fuite est la seule option qui reste… Mais peut-il vraiment le faire avec un tel désavantage ? On parle d’une armée dix fois plus nombreuse ici. Dix fois plus. La fuite est plus facile à dire qu’à faire, il devra traverser le siège et échapper à la poursuite. »

Il n’acceptera pas la défaite, et tenir un siège ne fonctionnera pas. Son seul choix consistera à quitter Héraklion et à s’enfuir. Même un enfant pourrait en arriver à cette conclusion. Mais la réponse de Lione était appropriée. Elle avait vu de nombreuses batailles et savait combien une retraite pouvait être difficile.

Faire avancer une armée était relativement simple, mais une fois que l’on voulait battre en retraite, les choses devenaient soudainement beaucoup plus compliquées.

En plus de cela, les chevaliers avaient de superbes aptitudes au combat individuel, mais leurs performances chutaient lorsqu’il s’agissait de travailler en formation. Et ce qui importait le plus dans une stratégie de retraite n’était pas la force individuelle, mais spécifiquement le travail d’équipe et le travail en formation. Un groupe ne peut survivre que si tout le monde se couvre les uns les autres.

Inversement, lorsque les gens commençaient à ignorer les formations et à partir seuls, ceux qui restaient derrière ne feraient que mourir. Bien sûr, en fonction des conditions de la bataille, différentes tactiques donnaient des résultats différents, comme l’histoire l’avait montré à maintes reprises.

Ainsi, non seulement les chevaliers avaient été contraints à une bataille de retraite, à laquelle ils n’étaient pas préparés au départ, mais ils avaient dû le faire avec un désavantage numérique écrasant. Leurs chances de survie étaient pratiquement nulles.

« Oui, je pense que tu as raison. »

Ryoma fit un signe de tête face aux doutes de Lione, et poursuivit en exprimant ses propres inquiétudes.

« Eh bien, j’ai un peu modifié les choses pour en arriver là… Mais tout cela en supposant que le général Albrecht avait battu en retraite avec ses hommes… Je pense qu’au pire, il a peut-être abandonné ses chevaliers et s’est enfui seul… »

Tout le monde avait été stupéfait par la suggestion de Ryoma.

« Non, mon garçon… C’est trop. »

« Garçon ! Ce n’est pas un peu… ? »

C’était vrai, il pouvait s’échapper sans ses hommes, mais un chevalier qui arrivait au rang de général ferait-il ce choix ? Un roi ou un noble l’aurait peut-être fait, mais les chevaliers s’accrochaient obstinément à leur honneur et à leur bonne réputation. Alors, abandonner ses hommes et battre en retraite, et avant une bataille finale décisive, est-ce possible ?

Même Boltz et Lione, qui avaient vu d’innombrables batailles, avaient du mal à se souvenir de quelqu’un d’aussi effronté. Mais Ryoma envisageait toujours cette possibilité. Il savait que certaines personnes ne s’arrêteraient devant rien si cela pouvait assurer leur survie.

« Je veux dire, tout est possible jusqu’à présent… Ça ne change rien au fait que notre camp doit attaquer Héraklion. Mais une force de notre taille ne va pas influencer l’issue de cette bataille ? Alors j’ai demandé à la princesse Lupis la permission d’agir en groupe séparé. », dit Ryoma en haussant les épaules.

Je vois. Lione avait jeté un regard exaspéré sur Ryoma. Le général a donc caché ses forces dans la ville afin qu’elles servent de leurre pour attirer l’attention sur lui. Il a ordonné à ses hommes de mourir pour lui… Un vieil homme méchant jusqu’à la fin. Mais quand même, le garçon a lu les actions de cette fouine et a agi en conséquence. Bon sang…

Lione maudissait dans son cœur le vieux général. Ryoma n’avait pas fait de déclaration définitive, mais toutes les personnes présentes ne pensaient pas que c’était du 50-50 comme il l’avait dit. Ils avaient l’impression que ce qu’il avait dit allait à tous les coups se réaliser. Et il était vrai qu’avec un tel avantage, peu importait que Ryoma et son groupe participent à l’attaque d’Héraklion.

Mais si l’on considérait leur récompense après la guerre, leur décision de ne pas participer ne les avait peut-être pas désavantagés, mais cela ne les avait certainement pas aidés. Ryoma étant présent malgré cela, la probabilité qu’Albrecht tente de s’échapper était extrêmement élevée.

« Toujours pas convaincu ? » demanda Ryoma

Tout le monde se mit à secouer la tête.

Il semblerait que son explication était suffisante.

« Très bien. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à attendre le retour de Gennou… »

« Gennou ? » demanda Laura, en regardant autour d’elle.

Bien sûr, Gennou et Sakuya n’étaient pas en vue.

« Oh, ne t’inquiète pas… Je les ai juste envoyés pour entrer en contact avec nos gens à l’intérieur de la ville… Oh ! En parlant du loup, les voilà… Comment ça s’est passé, Gennou ? »

Les mercenaires qu’il avait déguisés en marchands étaient éparpillés dans tout Héraklion, travaillant sous couverture. La plupart de leur travail consistait à faire circuler des rumeurs aux roturiers concernant Ryoma Mikoshiba, tandis que certains s’infiltraient également dans la ville elle-même et faisaient des rapports sur les mouvements de l’ennemi. Sous le couvert du Duc Gelhart, ils avaient concentré leurs enquêtes sur le Général Albrecht.

Gennou et Sakuya s’étaient faufilés à Héraklion pour leur servir de contacts, et Ryoma venait de les apercevoir s’approcher.

« Nous vous avons fait attendre, seigneur. »

« Pardonnez notre retard. »

Les deux individus baissèrent la tête devant Ryoma, s’excusant d’avoir mis trop de temps à revenir avant d’aborder le sujet principal.

« Votre supposition était exacte, seigneur… Les rapports des gens qui surveillaient le général disent qu’il a convoqué des marchands hier encore, et qu’il a apparemment négocié une sorte de marché avec eux. »

Ryoma fit un signe de tête aux paroles de Gennou.

« Des négociations, hein ? Savent-ils ce que c’était ? »

Ryoma anticipa le rapport de Gennou, mais n’avait pas encore prévu de tirer des conclusions hâtives sur les motivations du général Albrecht.

« Oui, ils ont demandé à un des marchands qui partait. Apparemment, il a vendu des vêtements et quelques titres de propriété. On dirait qu’il a liquidé ses biens à la hâte. »

« Bien… Donc ça veut dire… »

***

Partie 4

Transformer ses biens en argent liquide ne pouvait signifier qu’une chose. Après tout, il essayait de fuir le pays.

« Je pense qu’on peut supposer qu’il rassemblait des fonds pour s’échapper… »

« Dans le même temps, il a apparemment acheté beaucoup de conserves », dit n.

« Des conserves… Oui, il se coupe de ses hommes… »

Le regard de Ryoma s’était aiguisé.

S’il accompagnait ses hommes, il n’aurait pas besoin d’acheter de la nourriture, car l’armée avait des unités qui s’occupaient des provisions. Le commandant suprême n’aurait pas besoin de compter sur un marchand pour se nourrir, et pourtant il l’avait fait. Ce qui signifiait qu’il ne voulait pas que ses hommes apprennent ce qu’il faisait.

« Il a probablement attiré l’attention de tous sur Héraklion pour pouvoir s’échapper pendant la bataille. »

« Et son plan d’évasion ? Des idées, Genou ? »

« Non. Malheureusement, je n’ai pas pu creuser aussi profond. Cependant… »

Le vieux ninja secoua la tête.

« Quoi ? Est-ce que quelque chose te semble anormal ? »

« S’il a l’intention d’emmener sa famille, je ne pense pas qu’il soit probable qu’il s’échappe à pied. J’ai vu des voitures chargées, je pense donc qu’il pourrait utiliser la route. »

« Maître Ryoma ! Ici ! »

Sara avait rapidement étalé une carte qu’elle avait portée devant Ryoma.

« Voici donc Héraklion… Il y a quatre routes qu’il pourrait prendre. »

Ryoma trouva rapidement les sept routes qui s’étendaient depuis Héraklion. Trois d’entre elles étaient déjà prises par les forces de la princesse Lupis. Il était possible qu’Albrecht choisisse ces routes précisément pour se glisser sous le nez de la princesse, mais c’était un choix dangereux à faire si sa famille était avec lui. Ryoma garda à l’esprit que le nom et le visage d’Albrecht étaient bien connus à l’intérieur des frontières de Rhoadseria alors qu’il réduisait ses choix.

« Il reste donc les routes du sud-est, du sud, du sud-ouest et de l’ouest… Et puisqu’il prend sa famille, on peut probablement exclure celle de l’ouest qui mène à Xarooda. », souligna Laura.

Ryoma fit un signe de tête.

EffectivementLe pays du fer, Xarooda, a des montagnes escarpées. Le terrain est trop accidenté pour qu’il puisse s’échapper avec sa famille…

« Je pense que Laura a raison. Nous avons été spécialement formés pour pouvoir traverser ce terrain, mais les femmes et les enfants ordinaires auraient des difficultés. Dans ce cas, nous pouvons exclure le sud-ouest pour la même raison. », dit Sara.

Lione jeta un coup d’œil sur la carte, et indiqua deux routes s’étendant vers le sud.

« Ce qui laissait le sud-est et le sud. »

Les deux routes menaient dans les régions des pays du sud. C’était un rassemblement de pays et le site de certains des combats les plus tumultueux de tout le continent occidental. Mais cela signifiait aussi que c’était l’endroit idéal pour se cacher.

« Deux routes, hein… Alors laquelle… ? »

Ryoma leva les yeux. Il avait une centaine d’hommes sous la main. C’était tous des guerriers habiles et brillants, mais l’ennemi allait résister désespérément. Il serait probablement sage de supposer qu’ils étaient aussi forts que ses hommes. Dans ce cas, le facteur décisif serait le nombre d’hommes qu’ils avaient.

Le général Albrecht voulait éviter d’être vu, il ne pouvait donc pas amener une grande armée pour le défendre. Cela dit, dix ou vingt chevaliers ne suffiraient pas pour le protéger, lui et sa famille.

Diviser mes forces serait une mauvaise idée… Mais nous ne pouvons pas non plus laisser Albrecht s’échapper. Qu’est-ce que je dois faire… ?

Pour l’avenir de Rhoadseria, ils devaient tuer le général Albrecht ici. Et il y avait aussi la promesse qu’il avait faite à Helena. Des idées lui étaient venues avant de disparaître. Aussi intelligent qu’il fût, tout avait une limite. Il n’avait qu’un nombre limité d’hommes et deux routes à prendre, et il ne pouvait pas imaginer une tactique qui compenserait cela.

« Maître Ryoma », chuchota Sara à son oreille, le tirant de ses pensées.

« Quoi ? Quelque chose ne va pas ? »

« Nous avons reçu un rapport, une unité s’approche de nous. »

« L’ennemi ? »

Sara secoua la tête.

« C’est Dame Helena. »

L’expression de Ryoma changea en entendant son nom.

« Helena… Elle devrait attaquer Héraklion avec la princesse Lupis… Tu es sûre ? »

« Oui. Ils devraient arriver bientôt. »

« Très bien. Montre-leur le chemin. »

Sara fit un signe de tête et partit. Finalement, le bruit des sabots lui parvint aux oreilles de la route devant lui alors qu’un groupe de vingt à trente personnes arrivait à cheval.

« Oh, Dieu merci. Je suis arrivée à temps ! »

Helena descendit de son cheval devant Ryoma, le saluant d’un sourire calme. Ryoma sentait qu’il y avait une sombre passion dans son sourire.

« Que faites-vous ici, Dame Helena ? Ne devriez-vous pas aider à attaquer Héraklion en ce moment… Êtes-vous sûre que vous pouvez ne pas être là ? »

Helena répondit à la question naturelle de Ryoma par un sourire implicite.

« Oh ! Mais tu ne prends pas non plus part à l’attaque, n’est-ce pas ? Donc, la même chose vaut pour moi… Ce n’est pas que je ne crois pas en toi, mais… »

Le fait qu’elle soit devenue un héros national n’est pas étonnant… Elle est peut-être vieille, mais son esprit est toujours aussi vif. Et elle veut donner le coup de grâce elle-même…

Ryoma réalisa ce qu’Helena cherchait. Elle était venue pour couper la fuite d’Albrecht, comme Ryoma, et lui régler son compte de ses propres mains.

« Combien d’hommes avez-vous, Lady Helena ? »

« Environ trois cents. »

Mon Dieu, elle veut vraiment le tuer… Et bien, c’est que je crois…

Les flammes noires de la vengeance brûlaient en Helena. Helena avait environ trois mille hommes sous son commandement direct dans cette guerre, et elle avait pris les trois cents personnes les plus proches d’elle afin de venir ici. Cela montrait à quel point elle était résolue. Cela signifiait qu’elle ne reculerait devant rien pour réclamer la tête d’Albrecht. Même si le général Albrecht décidait de se rendre, elle l’ignorerait.

« Alors, quelle est la situation ? Albrecht s’est-il déjà échappé d’Héraklion ? »

Ryoma secoua la tête.

« Je vois… Et il n’y a aucune chance qu’il essaie de se cacher à Héraklion et qu’il meure honorablement ? », demanda-t-elle anxieusement.

Ce n’était que des spéculations, et Helena n’était pas assez bête pour penser que ses prédictions étaient toujours justes. Et ils ne pouvaient pas se permettre de se tromper cette fois-ci, car si cela se produisait, la vengeance d’Helena s’arrêterait sur le champ.

« Non, je ne pense pas. J’ai demandé à mes hommes de se pencher sur la question, et apparemment il a liquidé beaucoup de ses actifs pour financer sa fuite… Je pense qu’il y a fort à parier qu’il essaie de s’échapper à la frontière afin de se rendre dans un autre pays. »

« Je le savais… C’est effectivement une sorte de chose à laquelle il penserait », cracha Helena avec amertume.

« Une idée de la direction qu’il prendrait ? »

Ryoma prit la carte de Sara et la montra à Helena.

« Nous avons réduit la liste à deux options. Sachant qu’ils préparaient des voitures et que sa famille n’est pas habituée aux voyages difficiles, nous pensons qu’il ira vers le sud. »

« Hmm, oui… S’il allait au nord ou à l’est, il devrait passer par la capitale. »

Helena acquiesça légèrement.

« Il évitera probablement de passer par là. Il pourrait essayer de la contourner, mais ces régions sont sous le contrôle de la faction des nobles. S’il essayait de passer par là, ils le vendraient probablement à la princesse pour lui acheter ses faveurs… De plus, c’est le plus long chemin vers la frontière. »

La princesse Lupis était sur le point de gagner la guerre, et ceux qui l’avaient simplement regardée de loin ou qui s’étaient opposés à elle cherchaient des moyens de gagner ses faveurs et de conserver leur statut. Se rendre dans les environs de la capitale à un tel moment serait un suicide pour Albrecht.

Il était très probable qu’il l’éviterait. Après tout, tout le monde voulait lui offrir sa tête en guise d’hommage.

« L’est n’est pas non plus probable… Les zones frontalières de Xarooda sont montagneuses et escarpées… Ce qui laisse… »

Helena arriva à la même conclusion que Ryoma, bien qu’elle ne semblait pas du tout en conflit. Elle était d’une certaine manière confiante.

« Ryoma, es-tu déchiré entre le sud et le sud-est ? »

Ryoma acquiesça doucement.

« Alors, laisse-moi résoudre ce problème pour toi. Albrecht va essayer de s’échapper du sud. Je ne le vois pas aller ailleurs. », dit Helena en désignant un certain point sur la carte.

Helena était tout à fait confiante.

« Sans vouloir être irrespectueux, sur quoi vous basez-vous pour dire ça ? », demanda Ryoma.

Il se sentait en confiance avec les mots d’Helena, mais n’avait pas l’intention de lui faire confiance aveuglément. Tout du moins jusqu’à ce qu’elle lui dise quel était le fondement derrière tout ça. Mais les mots qui quittèrent ensuite les lèvres d’Helena lui ouvrirent les yeux.

« Sa femme descend d’une famille noble du royaume de Tarja. »

Le royaume de Tarja était situé à plusieurs centaines de kilomètres au sud d’Héraklion. Le pays d’origine de sa femme serait en effet un bon endroit pour s’enfuir. Son lien avec eux les aiderait à trouver un refuge.

« Je vois… Oui, le fait qu’elle ait un lien avec cet endroit fait de Tarja une bonne option… Sauf qu’il pourrait supposer que l’on arrive à cette conclusion et ainsi choisir une autre direction ? »

Ryoma n’avait pas l’intention de pinailler, et avait admis que son idée était convaincante. Mais quand Ryoma avait prévu de s’échapper de l’Empire d’O’ltormea, il savait que choisir la voie optimale ne donnait pas toujours le meilleur résultat possible. Car c’était précisément cette voie qui attirait le plus d’attention et qui était la plus facile à prévoir.

C’était pourquoi, parfois, choisir délibérément la voie la moins optimale pouvait mettre ses adversaires hors course.

« Tu dis donc qu’il pourrait intentionnellement choisir l’autre voie. Mais je ne pense pas qu’il faille s’en inquiéter cette fois-ci… Parce que s’il va vers le sud-est, il se retrouvera dans le royaume de Britannia. »

Helena pointa du doigt le pays voisin de Tarja.

« C’est à peu près la même distance que Tarja, non ? Ne peut-il pas s’enfuir là-bas ? »

Helena sourit avec ironie.

« Je doute qu’il le puisse. Tarja et Britannia sont rivales depuis des années. S’il n’y avait eu qu’Albrecht, il serait peut-être allé là-bas, mais sa femme est de Tarjan. L’emmener là-bas serait dangereux. Et il ne peut pas non plus se débarrasser de sa femme. S’il fait cela, il va vraiment être à court de factions qui pourraient l’aider… »

« Vous pensez qu’il vise à reconstruire son pouvoir à Tarja ? Qu’il cherche encore à renforcer son influence ? »

« Oh, oui. Il n’y a aucune chance qu’il recule même après ça… Tu sais, il n’est pas si naïf que ça. »

Si Helena avait raison, alors il ne faisait aucun doute qu’il se dirigeait vers Tarja. Il préférait aller dans le pays où sa femme était apparentée, dans un pays qui n’avait rien à voir avec lui.

***

Partie 5

Mais les paroles d’Helena ne firent qu’accentuer un autre doute dans l’esprit de Ryoma. Il n’avait pas pensé à la femme d’Albrecht jusqu’à présent, mais il réalisait maintenant que la vengeance d’Helena ne se limitait pas à Albrecht lui-même. La lame de sa vengeance s’étendrait aussi à sa famille, qui comprenait naturellement sa femme…

Le problème était que le royaume de Rhoadseria risquait de se faire un nouvel ennemi en laissant mourir la femme d’Albrecht.

Helena connaît Albrecht mieux que moi… Je devrais probablement travailler selon son jugement ici, mais… Je m’inquiète du fait que sa femme soit une noble d’un autre pays. Devrions-nous vraiment la laisser tuer quelqu’un comme ça…

Ryoma ne pensait pas qu’un pays supporterait qu’un de ses habitants soit tué par l’armée d’un pays étranger. Ils ignoraient les circonstances et réagissaient émotionnellement, comme c’était le cas lors de nombreuses guerres.

Ryoma avait ignoré cette inquiétude.

Autant faire les choses jusqu’au bout. Ce n’est pas mon monde. Tant qu’on se débarrasse d’un cadavre sans qu’il soit retrouvé, Rhoadseria peut faire comme s’il ne savait rien.

Pour le meilleur ou pour le pire, les normes technologiques de ce monde étaient faibles. Il suffisait d’enterrer un cadavre pour s’assurer qu’il ne soit pas retrouvé. Il n’y avait aucun moyen d’identifier l’ADN dans ce monde, donc une fois qu’un cadavre était suffisamment décomposé, il n’y avait aucun moyen de savoir à qui il appartenait.

« Très bien. Je vais me conformer à vos ordres. »

En disant cela, Ryoma montrait qu’il donnait la priorité à la vengeance d’Helena. Helena hocha la tête discrètement.

« Très bien. Alors que devons-nous faire ? Les attaquer dès qu’ils quitteront Héraklion ? Ou attendre plus loin et leur tendre une embuscade ? », demanda Ryoma.

Le tuer près d’Héraklion lui permettrait de trouver facilement des excuses au cas où son motif de vengeance serait découvert. En revanche, le tuer loin de la ville leur permettait de se déplacer plus ouvertement et de se débarrasser des corps sans craindre d’être vus.

« Je pense qu’ici serait un bon endroit… » dit Helena, en indiquant un certain point sur la carte.

« Qu’en dites-vous ? »

C’était une forêt relativement isolée de toute ville, un endroit idéal pour déployer ses hommes.

« Bien… Alors nous devrions probablement diviser nos forces en deux… Je vais en prendre deux cents et jouer le rôle du chien de chasse. Cela devrait vous faciliter la tâche, non ? »

Helena ferma les yeux, sentant l’intention derrière ses mots.

« Ryoma… Merci. »

Ces mots reflétaient les émotions dans son cœur… scellant ainsi le destin du Général Albrecht et de sa famille.

« Personne ne nous poursuit, n’est-ce pas, Kael… ? » demanda le général Albrecht tout en fixant la voiture, et en regardant Kael qui montait son cheval parallèlement à lui.

« Oui, milord… Pour l’instant… Je pense que personne ne s’est rendu compte que nous nous sommes échappés. »

« Je vois… C’est une bonne chose que j’aie suivi vos conseils et que j’aie pu m’échapper dès que les forces de Lupis allaient arriver sur nous. »

« Oui ! Je vous suis reconnaissant pour vos paroles agréables ! »

Kael inclina la tête respectueusement.

Hmm, c’était essentiellement un pari, mais… On dirait que ça se passe bien. Cet homme a été plus utile que je ne le pensais. J’ai récupéré une bonne main d’œuvre, si je considère ce qui va suivre…

Le général Albrecht fit un signe de tête, appréciant la performance de Kael jusqu’à présent. Albrecht avait liquéfié ses biens et rassemblé ses aides dans sa propriété, en attendant le bon moment pour avoir la chance de s’échapper d’Héraklion.

C’était l’après-midi de ce jour-là. Lorsque les armées de la princesse Lupis commencèrent à marcher pour prendre Héraklion.

La ville elle-même était dans un état de chaos. La nouvelle que le duc Gelhart s’était rangé du côté de la princesse Lupis ne s’était pas répandue parmi les roturiers, il leur semblait donc que la princesse marchait pour purger le pouvoir du duc.

Normalement, les actions des classes dirigeantes n’avaient aucun lien avec ceux des roturiers, mais une armée marchait sur une ville, ce qui signifiait naturellement qu’il y aurait des victimes civiles. C’est pourquoi les roturiers avaient choisi de fuir la ville, tout cela pour protéger leur vie et leur maigre fortune.

Le général Albrecht et son entourage avaient utilisé le chaos résultant de la fuite des roturiers pour fuir la ville.

« Hmph ! Ils feraient bien de ne pas se faire d’illusions en pensant que c’est fini. Je me vengerai pour m’avoir humilié… Lupis ! Gelhart ! Vous allez regretter le jour où vous vous êtes trouvé sur le chemin d’Hodram Albrecht ! »

Soulagé par le fait qu’il n’y avait pas de poursuivants en vue, des propos diffamatoires glissèrent des lèvres du général Albrecht. Il était devenu complètement indigné. Appelez un membre de la royauté par son nom et rien d’autre était généralement un crime passible de la peine de mort, mais il avait déjà renoncé à son poste à Rhoadseria.

La noblesse, la chevalerie, la royauté. Hodram Albrecht avait déjà été expulsé des classes dirigeantes du royaume de Rhoadseria. Pourtant, sa rancune n’avait aucune légitimité. Le fait étant que la princesse Lupis ne l’avait pas piégé. Il l’avait trahie de sa propre volonté, il avait aussi piégé le duc Gelhart. Le seul à avoir tendu des pièges et trahi quelqu’un était le général Albrecht.

Mais à l’heure actuelle, son esprit ne réfléchissait pas de cette façon. La seule chose à laquelle il pensait, c’était comment blâmer tous les autres pour sa situation. Et c’était peut-être cette nature qui était la principale raison de sa fuite du pays.

« Comment vont ma femme et ma fille ? »

Le général Albrecht tourna son regard vers la voiture qui se déplaçait derrière la sienne.

« J’espère qu’elles ne sont pas incommodées ? »

« Non, seigneur ! Les hommes font tout leur possible pour leur faire passer agréablement le temps. »

« Bien. Ces deux-là sont après tout mon dernier espoir. Suis-je bien clair ? Je ne tolérerai aucune erreur. »

« Soyez assuré, seigneur. Nous vous escorterons à Tarja en toute sécurité… Ai-je raison, messieurs ? ! »

Kael incita les hommes à faire le tour des chariots.

« « « Laissez-nous nous occuper de tout, monsieur ! » » »

Le dernier espoir d’Albrecht était aussi le dernier espoir de tous les autres ici. Tous étaient des gens qui ne pouvaient plus rester à Rhoadseria. C’était leur punition pour avoir vécu somptueusement derrière le bouclier de la tyrannie du général.

Accepter des pots-de-vin des marchands de passage ou voler les réalisations d’autrui pour gravir les échelons faisait partie des crimes les plus légers que ces gens avaient commis. Les pires violaient les femmes et les filles de leurs pairs, et les plus méprisables d’entre eux les tuaient même pour s’assurer qu’elles ne parleraient pas.

Le soutien du général était la seule raison pour laquelle ces personnes pouvaient marcher la tête haute au mépris flagrant de la loi et de la décence humaine. Et une fois cela passé, leurs vies ne tenaient plus qu’à un fil. Même s’ils n’étaient pas jugés par une cour de justice, leurs victimes ne leur pardonneraient jamais.

Ces hommes l’avaient parfaitement compris, et c’est la raison pour laquelle ils n’avaient pas trahi le général Albrecht. Son épanouissement s’était traduit par leur succès, et son déclin avait signifié leur disparition. Ils n’étaient pas de son côté par loyauté, mais par simple perception pragmatique du profit. Mais d’un autre côté, c’était ce qui en faisait des pions précieux et dignes de confiance pour le général.

« Bien ! Vous n’avez qu’à attendre que je marie ma fille au prince de Tarja. Je gagnerai du pouvoir en tant que parent maternel, et les choses pencheront en ma faveur. Je veillerai à ce que vous soyez tous traités en conséquence ! »

Le général Albrecht riait avec satisfaction.

« Oui !!!! »

Les chevaliers environnants répondirent à l’unisson et baissèrent la tête.

C’était le dernier recours du général Albrecht. L’existence de la fille qu’il avait engendrée avec sa femme, une noble de Tarjan. Il avait l’intention de la faire épouser un prince de Tarjan, et d’utiliser cela pour élever son statut.

Bien sûr, c’était son souhait. Il n’avait pas encore monté de complot au sein de la royauté de Tarjan. Mais il n’avait que très peu de voies ouvertes, et c’était celle qui lui donnait les meilleures chances de retrouver sa position au sein du pouvoir. Sa volonté était loin d’être brisée. Les hommes qui avaient goûté au doux fruit du pouvoir avaient tendance à devenir avides.

Je… Je ne vais pas dire mon dernier mot ! Je retrouverai le pouvoir, je le jure !

C’était un plaisir qui dominait le cœur de l’homme. Et comme un narcotique, il rongeait le cœur.

« Je ne laisserai pas les choses se finir ainsi ! »

Les flammes noires de la conviction illusoire brûlaient dans le général Albrecht.

Alors que le soleil approchait de son zénith, la lumière du soleil se répandait sur la terre. Les routes étaient dégagées de toute personne en raison du chaos de la guerre. Les hommes d’Albrecht continuaient à faire avancer leurs chevaux, se précipitant sur la route. C’était un groupe de chevaliers en armure à cheval, protégeant plusieurs voitures. Il y avait deux cents personnes.

Une rangée de chevaliers, chevauchant devant tous les autres, aperçut alors une zone boisée devant elle.

« Finalement, nous sommes arrivés ici… »

Le général Albrecht cracha, fatigué.

« Y a-t-il des signes de poursuivants ? »

« Non, mon général… Aucun pour l’instant. Je pense qu’après être arrivés jusqu’ici, nous pouvons supposer que nous sommes en sécurité. En traversant cette forêt, nous serons à une courte distance de la frontière de Tarjan. »

« Juste un peu plus longtemps… »

Le général Albrecht avait souri à ces mots.

Il avait ensuite jeté un regard inquiet sur la voiture derrière eux. Kael, lui aussi, regarda dans cette direction.

« Les deux ont été très patientes. »

« Mmm… »

Albrecht soupira en réponse.

« Oui, effectivement… Mais je suis sûr qu’elles approchent de la limite de leur patience. Il semblerait que ma femme ait perdu l’appétit et ne veuille pas non plus boire d’eau. Elle dit que ça lui donne la nausée… Ma fille est dans un état similaire… Leur endurance s’épuise. »

Cela faisait deux jours qu’ils s’étaient échappés d’Héraklion. La voiture tremblait et secouait en se déplaçant, et elle faisait des ravages sur la femme et la fille du général Albrecht. Ce n’était après tout pas une visite touristique. Elles avaient fui Héraklion en mettant leur vie en danger, et ce fut une source de stress considérable pour ces femmes protégées. Pourtant, elles ne s’étaient pas plaintes une seule fois par le fait d’être secouées par la voiture. Elles avaient compris la position d’Albrecht.

« Kael. Je dis que nous devons trouver un endroit pratique pour installer le camp, et nous arrêter pour nous reposer tôt. Qu’en dites-vous ? »

Le soleil était toujours là, mais le général Albrecht avait demandé à monter le camp plus tôt. Son visage était plein d’inquiétude et d’affection pour la santé et le bien-être de sa femme et de sa fille.

Il sentait que les deux femmes approchaient de leurs limites. Et il ne pouvait pas se permettre qu’elles meurent ici. Sa femme devait servir d’intermédiaire pour entrer dans la noblesse de Tarja, et il avait besoin que sa fille se marie pour sauver sa position.

« C’est une bonne décision, milord… Je suis sûr que les dames sont très fatiguées. Je ferai installer le campement des chevaliers une fois que nous serons entrés dans la forêt. »

Kael semblait bien conscient de la condition des femmes. Elles n’étaient pas loin de la frontière de Tarja, et elles n’avaient pas rencontré d’ennemis depuis qu’ils s’étaient échappés d’Héraklion.

Tout devrait bien se passer… Nous avons échappé à la poursuite de l’ennemi… Ils ont probablement envoyé leurs hommes dans la direction opposée. Ce qui compte maintenant, c’est de s’assurer que les dames restent en bonne santé… Nos vies en dépendent.

L’insouciance et l’intérêt personnel. Ces deux traits avaient scellé leur destin. Parce qu’elles n’avaient pas remarqué la lame de la vengeance qui s’était abattue sur elles…

***

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