Wortenia Senki – Tome 3 – Chapitre 1

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Chapitre 1 : La clé du succès

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Chapitre 1 : La clé du succès

Partie 1

Les coups rythmés d’une hache contre un arbre se réverbéraient. Cela se passait dans la forêt profonde près de la capitale, Pireas. Un bûcheron vivant dans un village agricole voisin y travaillait.

« Oh… Ils reviennent ? »

En entendant le bruit des roues d’un chariot qui approchait, le bûcheron s’arrêta, ses mains serrant encore le manche usé de sa hache.

Essuyant les perles de sueur de son visage avec un mouchoir suspendu à sa taille, il tourna le visage vers le sentier de la forêt. Le sentier était suffisamment large pour permettre le passage d’un chariot. La route était pavée, mais elle ne menait pas vraiment à une ville. L’unique chose se trouvant au bout de ce sentier était la propriété d’un vieux chevalier de la garde royale à la retraite.

« Hmph. Ça ne ressemble pas à un chariot typique. Ce doit être un invité du domaine. »

Il n’était pas rare qu’un commerçant prenne un mauvais virage avec son chariot et qu’il se retrouve à cet endroit, mais comme il s’agissait d’un chariot tiré par des chevaux — même s’il n’était pas très luxueux — cette théorie était peu probable.

Ce n’était rien d’autre qu’une route secondaire qui n’avait jamais vu beaucoup de trafic. Les seuls à l’emprunter étaient les bûcherons du village et les invités du vieux.

Cela dit, le domaine ne recevait pas beaucoup d’invités, même lorsque son propriétaire était un chevalier en activité. Et depuis qu’il avait pris sa retraite, ce nombre avait été réduit à une visite par an. Le vieux ne pouvait pas être qualifié d’excentrique, mais le bûcheron sourit avec ironie, car le visage peu sociable de l’homme avait refait surface dans ses souvenirs.

« Je suppose que des choses étranges sont arrivées… J’espère que son état n’a pas empiré. »

Jusqu’à il y a quelques années, il faisait des excursions occasionnelles au village où il aidait à tuer des monstres, mais récemment, il ne quittait plus son domaine. En échange, les apprentis chevaliers qui y étaient formés venaient aider à la place. Le village n’avait donc pas besoin d’aide, mais ils le connaissaient depuis de nombreuses années. Au moins, ils avaient une dette de gratitude suffisante pour pleurer sa mort.

« Peut-être devrions-nous faire bientôt une visite de courtoisie… »

La rumeur dans le village était qu’il avait été infecté par une maladie mortelle et qu’il était constamment alité. Mettant de côté cette inquiétante rumeur, le bûcheron fixa la direction dans laquelle le chariot était parti.

« Je suis honoré de faire votre connaissance », déclara Chris, qui s’était incliné devant Helena avec respect, affichant ainsi l’honneur des chevaliers.

« Je suis Chris, le petit-fils de Frank Morgan. »

Il n’y avait pas un seul défaut dans son apparence, ce qui prouvait sa formation rigoureuse de chevalier. En regardant Chris se prosterner, Helena le regarda avec un doux sourire.

« C’est la lettre que mon grand-père m’a laissée en ma possession. »

L’expéditeur de cette lettre était l’un des subordonnés de confiance d’Helena depuis l’époque où elle était général en activité, tout comme l’avait été le maître de ce domaine. Son petit-fils avait fait tout ce chemin pour livrer cette lettre, et du point de vue d’Helena, ces hommes étaient comme sa propre famille.

« Tu n’as pas besoin de faire autant de cérémonies, mon cher. Tous ceux qui sont réunis ici sont comme ma propre famille. Tu peux parler plus librement. Sois à l’aise. »

Ses yeux avaient le doux regard d’une personne qui veillait gentiment sur un petit-enfant.

« Oui, madame », dit Chris, sa voix résonnait comme le doux carillon d’une cloche.

Chris releva sa tête.

« « Aaaah... » »

Des soupirs d’adoration s’échappèrent des alentours d’Helena. La beauté du jeune homme était telle que les hommes et les femmes ne pouvaient s’empêcher de retenir leur souffle avec stupéfaction. Des boucles dorées, des yeux bleus qui brillaient comme de la glace et une peau blanche, douce et presque transparente.

La beauté de Chris était telle que s’il était une femme, les autres le verraient comme une aubaine qui éveillerait la convoitise de quiconque poserait les yeux sur lui. Et Helena, aussi âgée qu’elle fût, ne faisait pas exception.

« J’ai entendu des rumeurs, mais ta beauté est presque effrayante… C’est presque un gâchis que tu sois né en tant qu’homme. »

Chris considéra avec un sourire amer la remarque d’Helena, qui était tout autant empreinte de taquinerie et d’envie.

« Et pourtant, je ne me souviens pas que ce beau visage ait souvent été source de bonnes expériences… Mais si vous le trouvez favorable, Dame Helena, je suis honoré. »

L’amertume qui se cachait derrière ces mots n’échappa pas à Helena. Au premier coup d’œil, Chris Morgan pouvait être confondu avec une femme, mais c’était bien un homme et un chevalier rhoadserien. Peu importait les éloges que l’on faisait sur son apparence, pour Chris, ce n’était rien d’autre qu’une nuisance.

Mais si Chris était un ménestrel ou un acteur, ou peut-être même un prostitué, son apparence aurait certainement été sa plus grande arme.

La mère de Chris avait été saluée comme l’une des plus belles femmes du monde, même parmi les pays voisins, et Chris avait beaucoup puisé dans son sang. Ce n’était en aucun cas une chose négative.

Mais pour un homme vivant sur le champ de bataille, cette beauté ne pouvait être qu’une nuisance. Cette beauté ne faisait que l’en éloigner encore plus. Les choses exquises pouvaient engendrer la colère des autres tout autant que leur admiration.

Et le fait qu’il soit le petit-fils de Frank Morgan n’avait pas joué non plus à la faveur de Chris. Il ne faisait aucun doute que les dirigeants de la faction des chevaliers, à savoir le général Albrecht, avaient un œil sur lui et, associé à cette beauté, il était devenu bien trop voyant. Ce n’était sans doute pas un sentiment agréable pour lui.

« C’est vrai… Tu as raison, ce n’était pas une façon de parler à un chevalier… C’était grossier de ma part. Je suis désolée. Peux-tu me pardonner ? »

Helena s’excusa sincèrement. Retraité ou pas, ce n’était pas des mots que le général d’un pays dirait à une personne qui n’avait que vingt ans. Les excuses d’Helena firent en sorte que Christ ravala sa salive, après quoi il écarta lentement les lèvres.

« Vous êtes exactement comme grand-père vous a décrit… »

« Oh, et comment Frank a-t-il parlé de moi ? »

« Il a dit que vous étiez une personne suffisamment digne pour que je puisse consacrer ma vie à vous servir. »

Ces mots étaient profonds, chargés de sens et de danger. Ils laissaient entendre qu’il servirait Helena plutôt que son maître légitime, le roi. Ces mots pouvaient être pris comme tels, et si une personne mal intentionnée les entendait, Chris pouvait facilement être diffamé pour trahison.

Mais Helena accepta les paroles de Chris avec calme.

« Heheh... C’est ce que Frank a dit, n’est-ce pas ? »

C’était les mots que ses aides disaient quand elle était en activité. Le fait qu’il avait envoyé son propre petit-fils était la seule preuve qu’elle avait besoin pour voir que ces mots étaient honnêtes.

« Oui. Quand il a reçu votre lettre l’autre jour, il a beaucoup déploré le fait que son corps n’était plus en état pour venir à vos côtés. »

« Il n’y a pas grand-chose à faire à ce sujet. La présence de Frank aurait été extrêmement encourageante, mais… pas quand il est si malade. »

Helena ferma tristement les yeux. Elle se remémorait l’image de Frank tel qu’il était autrefois, alors qu’il avait à peine la trentaine.

La maladie qui avait infecté Frank Morgan s’appelait la maladie de Carrion, la même maladie qui tourmentait le maître de ce domaine. Elle commençait au bout des doigts et se propageait à partir de là, se frayant progressivement un chemin jusqu’au centre du corps et décomposant la chair dans son sillage. C’était une maladie rare et non contagieuse, mais on craignait le coût élevé de ses traitements.

Une méthode de traitement avait été établie, mais elle nécessitait un nostrum importé du continent central, et il était à la fois extrêmement coûteux et importé en petites quantités. À moins d’avoir des relations avec un marchand important, il était difficile de mettre la main dessus.

Pire encore, le nostrum montrait toute son efficacité qu’aux premiers stades de la maladie, de sorte que si quelqu’un prenait son temps pour l’obtenir, il pourrait bien être trop tard pour le traiter.

« Je suis désolée… Tout cela est de ma faute. Je t’ai causé beaucoup de peine. »

Helena s’était soudainement excusée.

Mais Chris secoua la tête. Chris était suffisamment mature pour comprendre pourquoi elle s’excusait, même sans contexte.

« Non, tout cela est conforme au souhait de grand-père… Il a dit catégoriquement que s’il devait mourir, il maudirait le général Albrecht même au-delà de la mort. Et vous ne me devez aucune excuse. Après tout, la vraie valeur d’un chevalier réside dans la guerre. »

Chris parla sur un ton qui imitait celui de son grand-père. Quelle détermination se cachait derrière ses paroles ?

Ils n’avaient pas réussi à obtenir le nostrum, mais cela ne signifiait pas que la famille Morgan n’avait pas la richesse nécessaire pour l’acheter. Tout comme Helena, Frank Morgan était passé du statut de roturier à celui de chevalier de haut rang. Il avait toujours été un homme taciturne qui ne favorisait pas un style de vie extravagant et était limité dans la façon dont il pouvait dépenser son salaire.

Même s’il avait des problèmes financiers, il pouvait demander de l’aide à ses connaissances. Helena elle-même étant un exemple parfait, beaucoup de ses anciens amis se joindraient volontiers à lui et lui prêteraient de l’argent s’il le demandait, et on pourrait en dire autant de Baroque. Helena disait qu’ils étaient tous comme une famille, et ces mots sonnaient juste. Les liens formés par les combats sur le champ de bataille étaient solides.

Il en était de même pour ses relations. Même à la retraite, il pouvait compter sur les liens qu’il avait tissés pendant son service. Après tout, il n’avait pas atteint les échelons supérieurs de l’armée d’un pays sans raison.

Dans ce cas, pourquoi Frank Morgan et Baroque, le maître de ce domaine, étaient-ils ainsi tourmentés par la maladie de Carrion ?

La réponse était simple. Parce que le chef de la faction des chevaliers, le général Albrecht, et ses aides détestaient tous ceux qui étaient proches d’Helena. Le général Albrecht accordait une grande importance au statut social et au nom de famille. Il n’y avait rien de plus répugnant à ses yeux que des roturiers qui gravissaient les échelons, comme Helena et ses pairs.

Il les avait harcelés lorsqu’ils étaient chevaliers actifs et persistait à le faire même après leur retraite. Bien sûr, Helena et les autres n’avaient rien fait pour résister directement, mais avec la pointe de la lame tournée contre les familles et les amis, leurs mains étaient liées maintenant qu’ils étaient retirés du service actif.

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Partie 2

La cause de tous ces problèmes était la haine du général Albrecht. Et pour couper la source de cette haine, Frank et Baroque avaient essentiellement renoncé à leur propre vie, tout cela pour se présenter comme soumis et impuissants…

« Grand-père m’a dit qu’avec le décès de Sa Majesté, le roi Pharst II, le poids qui retenait les factions des chevaliers et des nobles aura disparu, et leur antagonisme s’intensifiera, divisant le royaume en deux… Mais c’est précisément pour cette raison que notre rassemblement sous la princesse Lupis aura un sens. »

En entendant les paroles de Chris, les lèvres d’Helena se soulevèrent vers le haut. C’était un sourire qui ressemblait à des flammes sombres, le genre de sourire qu’elle ne montrerait pas normalement. Une cause juste. Sans elle, on ne pouvait pas unir les chevaliers. Et à ce moment-là, la bannière de brocart s’était retournée sur Helena.

« Oui… La seule question qui reste est de savoir à quelle vitesse nous pouvons retourner les autres du côté du général Albrecht. C’est une course contre le moment où il réalisera ce qui se passe et commencera à agir en conséquence. »

Helena détestait le général Albrecht, mais ne doutait pas de ses compétences en tant qu’homme politique.

Même s’il était détesté par tous ceux qui l’entouraient, il avait maintenu sa lutte pour le pouvoir avec le chef de la faction des nobles pendant des années et se trouvait au sommet de l’une des deux factions en lesquelles le royaume de Rhoadseria était divisé.

« J’ai entendu dire que les jeunes chevaliers étaient assez insatisfaits de lui. Après tout, même au sein de la faction des chevaliers, seuls ceux qui ont une lignée prestigieuse reçoivent ses faveurs. Honnêtement, beaucoup de chevaliers ne lui obéissent que parce qu’il est au pouvoir depuis longtemps. Mais lorsqu’ils apprendront que vous avez repris du service sous la princesse Lupis, les choses tourneront certainement en notre faveur. Non, je ferai en sorte que cela se fasse ! »

Chris conclut ses propos avec un sourire froid. Apparemment, les choses semblaient déjà assez favorables, car il avait mis beaucoup de force dans ses déclarations.

« Oui… Attendre aussi longtemps que nous l’avons fait en valait la peine. »

Helena fit un signe de tête à Chris après avoir poussé un profond soupir.

Une raison pour justifier sa vengeance personnelle. La volonté de mettre le royaume de Rhoadseria sur le bon chemin en soutenant la première en lice au trône, la princesse Lupis, avait renforcé la légitimité de leur cause. L’occasion était enfin venue pour Helena et ses pairs, qui avaient été si fortement persécutés et tyrannisés par le général Albrecht.

« Merci, Chris. Et à vous tous… Je vous ai fait attendre longtemps. »

Ces mots ne pouvaient signifier qu’une chose. Alors qu’Helena baissait la tête, tous les présents se levèrent et poussèrent leurs poings vers le ciel.

« « « Tous saluent le Royaume de Rhoadseria ! Gloire à la déesse blanche de la guerre ! » » »

En ce moment même, les chevaliers se levèrent pour ouvrir la voie à l’avenir de la Rhoadseria. Mais ni Helena ni aucune de ses cohortes ne savaient que cela allait aboutir à quelque chose qu’ils ne pourraient jamais prévoir et qui les rapprocherait encore plus des hostilités ouvertes.

Il s’agissait d’un certain bordel dans les ruelles de la ville d’Epire. Devant l’entrée se tenaient des femmes aux tenues lascives qui exposaient leur poitrine, qui tendaient la main pour tirer sur les manches des hommes de passage. C’était un monde séduisant, rempli de l’indescriptible parfum né du mélange du parfum et de l’alcool.

Dans l’une des luxueuses chambres de cet établissement se trouvait Akitake Sudou, un agent secret de l’Empire d’O’ltormea. C’était une base d’opérations pour l’expansion orientale d’O’ltormea, et une source de fonds pour l’Organisation.

« Hmm… »

Sudou loucha, en regardant un document qui lui avait été remis par un subordonné.

« C’est une sorte d’évolution inattendue. »

 

 

« Une chance que cela perturbe les plans de l’Organisation… Que devrions-nous faire, M. Sudou ? »

« Voyons voir… »

Sudou fit un léger signe de tête à la question de son subordonné, en mettant le document sur la table.

Appuyé sur le canapé, Sudou regarda en l’air.

C’est problématique. Donc, Ryoma Mikoshiba a décidé d’interférer… Je ne pensais pas qu’il serait une telle source de malheur pour l’Organisation.

Pour commencer, il avait tué le magicien de la cour d’O’ltormea, Gaius. Son meurtre avait déclenché une série de troubles. Sudou s’était éclipsé devant Saitou, mais en vérité, la mort de Gaius avait été un choc pour l’Organisation.

L’Organisation avait continué à équilibrer ses comptes d’une manière ou d’une autre, mais elle avait dû apporter des modifications à grande échelle à ses plans à long terme, et ses membres avaient dû travailler à un rythme beaucoup plus rapide pour tout confirmer et suivre ces changements de politique. En raison de certaines circonstances, l’Organisation n’avait pas l’intention d’assassiner Ryoma Mikoshiba, mais pendant un certain temps, elle en avait certainement eu l’intention.

Et puis, il y eut ce problème. Même Sudou avait eu du mal à trouver une contre-mesure rapide.

C’est peut-être le destin qui est entré en jeu ici… Qui aurait pu imaginer que le maître de guilde de Pherzaad aurait participé à un plan aussi inutile ? Et il a utilisé l’une de ces jumelles comme appât…

La guilde était la façade publique de l’Organisation. Elle s’étendait sur tout le continent occidental et transcendait les frontières nationales, formant un groupe massif. C’était pourquoi la guilde devait être neutre et juste. Si l’on devait faire une comparaison avec l’ancien monde de Sudou, ce serait l’équivalent des Nations Unies.

Mais en même temps, Sudou était bien conscient que ce n’était qu’un prétexte. Équité, égalité, neutralité. C’était des concepts faciles à mettre en mots, mais ce n’était certainement pas ceux auxquels les gens s’engageaient.

En fait, la plupart des chefs de guilde avaient des relations dans les coulisses. C’était une sorte de secret de Polichinelle, et c’était normal, étant donné que ces chefs de guilde avaient un pouvoir équivalent à celui d’un noble. La corruption et les pots-de-vin étaient monnaie courante.

Et pourtant, le moment est tout simplement trop mal choisi pour nous. De penser qu’il allait finir par venir à Rhoadseria…

Pour l’Organisation, l’Empire d’O’ltormea était un hôte précieux dans lequel s’infiltrer. L’autorité de l’Organisation sur le pays leur permettait de déterminer l’orientation de la guerre et d’en tirer profit en toute sécurité.

O’ltormea s’apprête à envahir Xarooda… Et pour ce faire, la situation politique en Rhoadseria doit rester instable.

L’est du continent occidental était composé respectivement des royaumes de Myest, de Rhoadseria et de Xarooda. Myest détenait la plus grande puissance commerciale, mais même à elle seule, elle ne pouvait rivaliser avec la puissance nationale d’O’ltormea. Il en était de même pour Rhoadseria, qui profitait pourtant des bienfaits de l’abondante rivière Thèbes, et Xarooda, qui avait ses montagnes environnantes comme puissante forteresse naturelle. Une alliance de deux pays ne ferait pas non plus l’affaire.

Mais l’union des trois pays changerait la donne.

Autrement dit, l’invasion de l’Est par O’ltormea dépendait de la division qui régnerait dans ces trois pays.

C’était parce que Sudou le savait qu’il était venu en Rhoadseria. D’un point de vue géographique, la Rhoadseria était prise en sandwich entre Myest et Xarooda. Si Myest devait envoyer des renforts à Xarooda, ils devraient traverser le sol rhoadserien.

S’ils n’étaient pas autorisés à le faire, ils devraient passer par le sud, mais de nombreux pays du sud avaient eu des conflits frontaliers réguliers avec Myest et la Rhoadseria, ce qui les mettait en mauvaise posture par rapport à ces pays. Ils ne permettraient jamais à Myest et à Rhoadseria de traverser leur territoire.

Et l’envoi de troupes par la mer était effectivement impossible. Certaines circonstances avaient rendu les mers au nord-est du continent occidental impraticables par bateau.

L’état du continent occidental étant dans cette situation, l’objectif du Sudou en venant à Rhoadseria était clair.

Et pour couronner le tout, Helena Steiner… J’ai entendu les rumeurs, mais je n’aurais jamais imaginé que M. Mikoshiba la ramènerait après des années de retraite.

Sudou se parlait à lui-même en grommelant un peu. C’était un de ceux qui organisaient des complots, et il connaissait donc les personnages influents de Rhoadseria et leurs relations. Il s’était naturellement intéressé à la blanche déesse de la guerre de Rhoadseria. Il avait aussi une idée de son antagonisme avec le général Albrecht, mais n’imaginait pas qu’elle reprendrait le service actif.

Les compétences du général Albrecht sont une chose, mais sa popularité est aussi faible que possible. Il a gardé ses adversaires sous sa coupe par peur de son pouvoir, mais la situation va bientôt changer radicalement.

Il avait pu s’opposer au Duc Gelhart, et l’attitude hautaine et autoritaire du général Albrecht ne l’avait pas privé de ses partisans. Beaucoup de chevaliers détestaient l’impudence des nobles et pour eux, obéir au général Albrecht était un moyen de s’opposer à eux.

Mais la façon dont les choses se déroulaient maintenant allait bientôt changer de façon significative.

Un homme fier et exclusif qui prône la généalogie contre un héros national qui s’est élevé à partir de rien. À en juger par le mécontentement et l’état du pays, il n’est pas trop difficile de savoir vers qui les gens graviteraient. Ce qui signifie que le général Albrecht n’a que deux routes à sa disposition. Soit il s’accroche à la lutte en sachant qu’il est désavantagé, soit il fuit vers un autre pays et attends l’occasion de refaire surface. Sa meilleure chance serait de se réfugier à Tarja avec quelques chevaliers loyaux. Mais à en juger par sa personnalité, il ne choisira de le faire que dans la pire des situations possibles.

L’épouse du général Albrecht était liée à la famille royale de Tarja. L’acte même de comparer le territoire de Tarja à celui de la Rhoadseria semblait terriblement stupide, mais les pays du Sud avaient déjà tenu bon dans une guerre acharnée contre les chevaliers et se vantaient d’une force à prendre en compte d’un point de vue militaire. Si son intention était d’attendre son retour, fuir maintenant n’était pas un mauvais choix.

Mais il devait remplir plusieurs conditions pour y parvenir. Il aurait besoin d’être désespérément mis au pied du mur, et étant donné la personnalité du général Albrecht, il était difficile de l’imaginer abandonner tout simplement parce que les choses ne se passaient pas comme il le souhaitait.

Cet homme n’est pas seulement cupide, il est aussi fier. Si je ne fais pas une sorte de pari maintenant, il va probablement persister et donner la priorité au maintien de sa faction intacte à tout prix. Et s’il le fait, Helena Steiner dévorera sa faction, le laissant incapable d’agir.

Ayant réalisé cela, Sudou avait pu voir quel chemin il lui faudrait prendre. Le pire pour O’ltormea en ce moment serait que Rhoadseria résolve sa guerre civile et consolide ses affaires politiques sous un gouvernement unique et stable. L’Organisation ne souhaitait pas non plus que cela se produise.

Je n’ai pas vraiment le choix. Je vais devoir m’écarter de mon plan initial et tendre une main secourable au général Albrecht.

Sudou se leva du canapé. Il avait le même sourire sur ses lèvres qu’un enfant qui venait de trouver un nouveau jouet avec lequel jouer.

Et dans le seul but de noyer ce pays dans la mort et l’agonie…

« Bordel. Penser que cela arriverait… Merde, ça met un frein à tous mes plans… »

S’enfermant dans la pièce qui lui avait été donnée l’autre jour dans le château, Ryoma s’était gratté la tête en levant les yeux en l’air. Les rayons du soleil crépusculaire qui affluaient baignaient son visage dans une lueur rouge. La chaise sur laquelle il avait appuyé son dos grinçait sous la pression.

***

Partie 3

« Je ne pensais pas que ce salaud d’Albrecht abandonnerait si facilement… Je suppose qu’il n’était pas aussi bête que je le pensais. Je l’ai sous-estimé… Non, le timing est trop bon. C’est comme si quelqu’un voyait à travers mes mouvements… Dans ce cas, c’est d’autant plus… »

Ses paroles étaient autant d’exaspération que de louanges. Mais il ne s’adressait à personne en particulier. Les seules autres personnes présentes dans la pièce étaient Sara et Laura, vêtues d’un uniforme de bonne, mais Ryoma ne leur parlait pas.

Comme c’était souvent le cas, Ryoma regardait dans le vide, plongé dans ses pensées. Ses chuchotements n’étaient que le reflet de ses pensées qui s’échappaient à la surface, en fait un soliloque. Ayant passé des mois avec lui, les sœurs Malfist l’avaient très bien compris.

« Laura… Maître Ryoma semble être enfoui profondément dans ses pensées, mais… a-t-il oublié que l’heure du dîner est passée ? », chuchota Sara à l’oreille de sa sœur.

Elle parlait d’une voix la plus calme possible, afin de ne pas déranger son maître.

« Il a probablement oublié… Mais nous ne devons pas le déranger maintenant… Il finira par mettre ses idées au clair et nous appellera… Nous pouvons alors simplement lui dire que nous avons décliné l’invitation en son nom. »

Les sœurs avaient réalisé que son absence au dîner était déjà gravée dans la pierre. Cela montrait qu’elles réalisaient ce dont leur maître avait besoin en ce moment.

« Bien, je vois… je vais alors leur faire savoir qu’il ne viendra pas ce soir. »

« Oui, s’il te plaît, fais… »

Laura hocha la tête, tournant son regard vers Ryoma, qui regardait toujours dans le vide.

« Je vais rester aux côtés de Maître Ryoma… Transmets ses salutations à Sa Majesté, s’il te plaît. »

Ses paroles étaient pleines d’une intense volonté. On pouvait même se demander si Ryoma Mikoshiba avait besoin de quelqu’un pour veiller sur lui. Il était vrai qu’il n’était pas encore capable de faire de la magie, mais son corps massif et les compétences qu’il possédait lui permettaient de vaincre facilement des mercenaires expérimentés.

Mais aussi fort qu’il puisse être, Ryoma n’était pas un héros invincible dont les légendes pouvaient parler. Et tant qu’il était humain, il laissait des ouvertures et faisait quelques oublis.

Les jumelles Malfist le savaient, elles n’avaient donc jamais quitté Ryoma. Toutes deux protégeraient Ryoma avec leur propre corps si nécessaire, car leur cœur était saisi d’une affection désintéressée et d’une loyauté éternelle envers l’homme.

« Y a-t-il autre chose ? »

« Hmm, et bien… Tu devrais t’arrêter à la cuisine et préparer le dîner. Je suis sûre qu’il sera très affamé quand il reviendra à lui. »

« Oui, compris. »

Sara fit un signe de tête à sa sœur en chuchotant et se glissa hors de la pièce.

Combien de temps cela avait-il pris ? Le soleil rouge s’était couché sur l’horizon, et l’obscurité régnait à l’extérieur de la fenêtre. Seuls la douce lumière des étoiles et les feux de joie allumés dans la cour illuminaient la pièce.

« Ugh… Je suis affamé… »

La bouche de Ryoma s’était soudainement ouverte alors qu’il regardait fixement dans l’espace.

« Attends, quelle heure est-il ? »

« La cloche vient de sonner dix heures du soir », répondit Laura à son murmure.

Il avait dû être très concentré pour ne pas entendre le son de cette énorme cloche.

« Oh. Il est déjà si tard, hein… »

À ce moment, Ryoma se souvint dans son esprit que la princesse Lupis l’avait invité à un dîner l’autre jour.

« Et merde ! Je devais être au dîner de la princesse Lupis ce soir ! »

« Nous les avons déjà informés que tu n’irais pas. »

Ryoma était devenu pâle en se souvenant du rendez-vous, mais les mots de Laura lui firent pousser un soupir de soulagement.

« Bien… Merci. »

Même Ryoma, qui ne se souciait guère du statut social, savait qu’il n’était pas permis de laisser tomber un dîner organisé par un membre de la famille royale. Les murs de la classe et de la position sociale étaient exceptionnellement épais dans ce monde, et l’irrévérence était une raison suffisante pour être envoyé à la potence.

« A-t-elle dit quelque chose ? »

« Elle a dit qu’elle se rendait compte que tu réfléchissais probablement à une solution au problème avec le général Albrecht, et que ton absence est compréhensible. Cependant, elle tiendra une réunion demain matin et elle veut que tu prépares un plan pour gérer la situation. »

Répétant sans problème le message de Sara, Laura offrit à Ryoma une tasse d’eau.

« Oh, merci… »

En avalant l’eau modérément froide, Ryoma put étancher sa soif.

« Demain, hein… La princesse fait paraître ça si facile… Mais on ne peut pas laisser le général Albrecht faire ce qu’il veut. »

La princesse Lupis avait eu la gentillesse de lui pardonner son absence de dernière minute à un dîner royal, mais c’était bien sûr à cause du rapport qu’ils avaient reçu plus tôt dans la journée.

Mais d’une certaine manière, c’était la princesse Lupis qui essayait de dissimuler ses propres erreurs. Après tout, on pourrait facilement prétendre que la cause de ce problème était sa propre naïveté.

L’estomac de Ryoma grogna soudainement de mécontentement. Ayant contemplé silencieusement le vide jusqu’au coucher du soleil, Ryoma n’avait pas mangé depuis le déjeuner, et son estomac souleva donc naturellement une mutinerie contre son maître avare.

« Je suis affamé. Y a-t-il quelque chose que je puisse manger ? »

« Oui, Sara a fait un tour à la cuisine et a préparé quelque chose, si cela te convient… »

« Bien… Alors, pourquoi ne pas vous joindre à moi ? Vous n’avez pas mangé non plus, n’est-ce pas ? J’ai quelque chose à vous dire. »

À en juger par son expérience, Ryoma savait que les jumelles ne mangeraient pas avant lui.

« Nous allons tout préparer dans un instant. »

Laura acquiesça joyeusement à ses paroles.

« Bien. Nous n’avons pas beaucoup de temps, alors parlons autour d’un dîner. »

Les jumelles Malfist hochèrent la tête à sa suggestion, leurs regards se fixèrent sur lui. Elles étaient pour lui des servantes qui l’attendaient, des gardes du corps, mais aussi ses précieuses confidentes. En partageant ses pensées avec les autres, Ryoma approfondissait sa propre compréhension, et cela servait également de répétition pour le moment où il expliquerait ces choses à la princesse Lupis et à son entourage.

De plus, le plus important était qu’il avait confirmé que son vocabulaire n’était pas incompréhensible pour les autres. Enfants d’une maison de chevaliers de haut rang, l’éducation des jumelles Malfistes était considérée comme le mieux de ce que l’on pouvait trouver dans ce monde.

Mais bien sûr, cela ne les plaçait pas au niveau de l’éducation du Japon moderne. Du point de vue de Ryoma, elles étaient au niveau d’un enfant des grandes classes de l’école primaire, n’atteignant même pas le niveau d’un collégien, même s’il essayait de formuler les choses de manière favorable.

Mais dans ce monde de guerre incessante, leurs connaissances étaient considérées comme étendues. Après tout, 90 % de la population était illettrée au point de ne pas savoir écrire son propre nom. La lecture de livres était un privilège hors de portée de quiconque n’était pas né dans une famille de chevaliers.

Ce faible niveau d’éducation se ressentait également dans la compréhension des mathématiques. La plupart des marchands et des colporteurs de la ville étaient au mieux capables d’additionner et de soustraire. Quiconque était capable de multiplier et de diviser était considéré comme très bien vu et apprécié. Pendant ce temps, la plupart des fermiers ne pouvaient pas compter plus que le nombre de doigts sur leurs mains.

Mais c’était peut-être compréhensible. La plupart des professions sur cette Terre étaient exclusivement du travail manuel, et le bon sens dictait que quiconque avait le loisir d’étudier devait être envoyé travailler dans les champs et augmenter les récoltes de l’année. Même les enfants étaient considérés comme des travailleurs précieux une fois qu’ils avaient grandi.

Le monde étant ce qu’il était, les gens ne comprenaient souvent pas ce que Ryoma disait. Beaucoup de gens aspiraient à devenir des mercenaires, mais beaucoup d’entre eux commencèrent par être de pauvres roturiers. Ryoma ne comprenait pas comment cela fonctionnait, mais lorsqu’il avait été appelé dans ce monde, il pouvait comprendre leur langue et les autres comprenaient ce qu’il disait. Il était même devenu capable de lire des livres en allemand et en chinois.

Mais même s’il était capable de tenir une conversation quotidienne, chaque fois qu’il essayait de décrire un concept qui ne lui était pas familier ou qui n’existait pas dans ce monde, les gens ne pouvaient pas le comprendre. Dire quelque chose comme « mangeons » fonctionnait, car ce n’était pas un concept ou une phrase exclusive au japonais, mais il perdait une partie du sens qu’il avait quand il le disait dans sa langue d’origine. Après tout, il avait une nuance et un contexte culturel qui n’existaient pas dans d’autres langues et sociétés.

Sans le contexte et l’arrière-plan appropriés, le sens des mots pouvait être faussé. Et étant donné la différence de connaissances moyennes entre un Japonais moderne et un habitant de ce monde, il serait logique qu’il y ait des cas de mauvaise communication.

C’était pourquoi Ryoma avait décidé de tout passer en revue d’abord avec les sœurs Malfistes. Ainsi, si les jumelles ne comprenaient rien de ce qu’il disait, il serait capable de le reconnaître, de reformuler ses mots et d’expliquer les choses plus clairement.

Il n’en restait pas moins vrai que les efforts déployés pour essayer de le faire comprendre aux autres avaient également permis d’approfondir sa propre compréhension. Et Ryoma trouvait que ses discussions avec les jumelles, qui absorbaient toutes les informations comme une éponge, étaient des changements de rythme agréables.

« Vous savez que le général Albrecht s’est associé à la faction des nobles, n’est-ce pas ? »

Les sœurs hochèrent la tête sans un mot en réponse à la question de Ryoma. C’était ce qui avait suffisamment dérangé Ryoma pour qu’il rate le dîner. Normalement, il s’agissait d’informations sensibles que seules des personnes choisies pouvaient connaître, mais c’était exactement ce genre d’informations précieuses qui avaient le plus de chances de se répandre.

Cette mauvaise nouvelle avait été portée à l’attention de Ryoma ce matin, et au coucher du soleil, elle était devenue un secret de Polichinelle connu de tous dans le château.

Ryoma lui-même désapprouvait le fait que de telles informations classifiées se répandent si facilement, mais comme le sentiment individuel de crise des personnes concernées était si faible, il ne pouvait pas faire grand-chose. En fin de compte, Ryoma Mikoshiba était un étranger appelé dans ce monde. Il n’aurait pas pu changer la façon d’être de ce pays aussi rapidement. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était de s’attaquer en priorité au problème qui se trouvait sous ses yeux.

« Connaissez-vous donc les circonstances qui l’ont poussé à faire cela ? »

Cette fois, les sœurs secouèrent la tête dans le déni. Tout ce que les jumelles avaient pu apprendre par les dames de compagnie du palais fut ceci : le général Albrecht avait fait défection à la faction des nobles. Il semblerait que la raison de cette défection soit encore secrète.

« Effectivement. Et puis… Je vais devoir commencer à expliquer à partir de là. »

***

Partie 4

En envoyant le vin et la viande de sa bouche à son estomac, Ryoma commença à leur raconter sur un ton sérieux ce qui s’était passé. Le général Albrecht avait quitté la capitale Pireas avec le premier régiment de chevalier sous son commandement, sous prétexte de rétablir l’ordre public du royaume. C’était il y a quatre jours.

Ryoma n’avait pas été informé de cela. S’il l’avait été, Ryoma aurait probablement utilisé tous les moyens à sa disposition pour saboter les mouvements d’Albrecht. Meltina le lui avait dit plus tard, l’informant de la manière dont le général avait fait une suggestion forcée à la princesse Lupis.

Rétablir l’ordre public dans le pays. Ce n’était qu’un prétexte pour mobiliser l’armée, mais la suggestion en soi était extrêmement valable.

Après tout, à la suite du soutien de la princesse Radine par la faction de la noblesse, la rivalité politique s’était intensifiée, ce qui avait naturellement conduit à une aggravation de la sécurité publique de Rhoadseria.

Les attaques des bandits étaient devenues plus fréquentes et les civils élevaient de plus en plus la voix pour protester. La cause en était claire : les deux factions avaient rappelé de leurs postes leurs chevaliers et leurs gardes, qui étaient généralement chargés de maintenir l’ordre public. Les deux parties avaient perçu l’odeur du conflit à venir et s’étaient empressées de rassembler leurs forces afin d’obtenir un avantage, mais le résultat final avait été désastreux.

La capitale et les autres grandes villes de province étaient considérées par les factions des chevaliers et des nobles comme stratégiquement importantes. Elles possédaient ainsi une garnison avec des troupes. La détérioration de l’ordre public n’y était donc pas aussi visible. Mais d’un autre côté, les villages et les villes qui n’avaient pas ce genre de valeur stratégique se retrouvaient sans chevaliers ni gardes, leur ordre public s’effondrait donc rapidement.

D’une certaine manière, c’était inévitable. Ni la princesse Lupis ni le duc Gelhart ne disposaient d’une réserve inépuisable de troupes. S’ils devaient prendre le dessus sur l’adversaire dans des conditions limitées, l’abandon des zones de faible valeur stratégique était une manœuvre nécessaire.

Ryoma, bien sûr, ne pensait pas du tout que c’était l’idéal. Au contraire, compte tenu de ce qui allait arriver, il pensait que c’était une décision terrible. Même s’ils devaient gagner la guerre avec la faction des nobles, il était clair pour lui que le règne de la princesse Lupis en prendrait un coup mortel.

Mais d’un autre côté, s’ils ne gagnaient pas la guerre maintenant, il n’y aurait pas beaucoup d’intérêt à discuter du règne de la princesse Lupis. Cela dérangeait Ryoma, mais la réalité était qu’il n’y avait pas grand-chose à faire.

Et le général Albrecht en avait fait un usage intelligent, se mettant ainsi en position avantageuse.

« Un royaume n’existe que si son peuple existe ! »

Avec cette seule phrase, il secoua le cœur de la princesse Lupis, qui était troublée par le fait que ses sujets étaient en danger à cause du mauvais ordre public.

Et Ryoma lui-même avait convenu que ces mots étaient vrais. Un pays n’existait que grâce à son peuple, et un dirigeant était jugé sur sa capacité à défendre la vie de ses sujets. Ces mots seuls étaient soutenus par une raison inébranlable.

Mais un homme aussi ambitieux, qui jusqu’à présent s’en tenait à sa position privilégiée et regardait de haut les roturiers, s’éveillerait-il soudainement à la compassion envers l’homme du peuple ?

La réponse fut un « non » retentissant.

La possibilité n’était pas entièrement nulle, bien sûr, mais elle était certainement proche de zéro. Si Ryoma ou Helena avaient été présents, ils n’auraient jamais pris les paroles d’Albrecht au pied de la lettre. Au moins, ils auraient strictement interdit au général Albrecht de prendre le commandement comme il l’avait fait.

Mais la princesse Lupis ne le savait pas. Non, peut-être qu’elle le savait au fond d’elle-même. Aussi inexpérimentée qu’elle fût, elle n’était pas une imbécile. Mais le résultat final fut que la princesse Lupis s’était soumise à la demande du général Albrecht, probablement par souci sincère pour le peuple de la Rhoadseria.

C’était une caractéristique splendide pour un souverain. Mais dans un ironique retournement de situation, ce gentil souhait repoussait davantage le trône pour la princesse Lupis.

« Ainsi, au final, elle a été dupée par le général Albrecht… »

« C’est à peu près ça, oui. »

Les sœurs Malfist secouèrent silencieusement la tête à ses mots. Elles étaient vraiment sans voix. Albrecht était peut-être un allié pour elle, mais il était susceptible d’être un ennemi plus tard. Avaler si facilement une excuse aussi suspecte de la part de cet homme fit paraître le jugement de la princesse Lupis bien trop irréfléchi.

Pour commencer, il n’y avait aucune raison pour qu’un général s’occupe personnellement de l’ordre public des villes de province. Si Lione en entendait parler, elle crierait probablement quelques centaines de malédictions à ce sujet.

« Voilà donc ce qui s’est passé… »

Après avoir entendu les détails, Laura regarda Ryoma avec des yeux interrogateurs.

« Cependant… »

« Qu’est-ce qui ne va pas ? Quelque chose te dérange ? »

Reprenant à son compte son regard, Ryoma l’avait incitée à poursuivre avec satisfaction. La plupart des gens s’accordaient à dire que le général Albrecht s’était fait doubler. Et c’était bien sûr un détail important, mais peu de gens remarqueraient l’autre doute caché derrière cela à ce stade.

De toutes les personnes qui servaient actuellement de stratège à Rhoadseria, seules quelques-unes, à savoir Helena Steiner et le comte Bergstone, s’en rendraient compte. Cela étant, le fait que les sœurs Malfist l’avaient compris était significatif.

« Oui. Je me demandais juste si ce qui te dérangeait était la défection du général Albrecht vers la faction des nobles, ou… »

Elle jeta un regard interrogateur dans sa direction.

« Et toi, Sara ? »

Ignorant la requête de Laura, Ryoma se tourna vers Sara.

« Je crois que tu soupçonnes que les actions du général Albrecht ont été provoquées par les machinations d’une tierce partie ? »

Ryoma fit un signe de tête, satisfait de sa réponse. Oui, c’était précisément ce soupçon qui avait inquiété Ryoma pendant plus d’une demi-journée.

Ryoma n’avait aucun doute dans son esprit que mettre Helena Steiner à contribution était la bonne décision. Cependant, il réalisait maintenant que pour le royaume de Rhoadseria, la déesse blanche de la guerre était l’équivalent d’une puissante médecine. Aussi puissante qu’elle soit, la consommer de la mauvaise façon pouvait la rendre aussi mortelle que le poison.

Et Ryoma se rendit compte qu’il avait commis une erreur dans sa manipulation du médicament nommé Helena Steiner.

Il était vrai que sa remise en service avait donné des résultats immédiats et satisfaisants. À cet égard, elle était tout ce que Ryoma espérait qu’elle serait. Elle avait rapidement contacté les chevaliers qui avaient servi avec elle et avait remis les plus jeunes chevaliers aux côtés de la princesse Lupis d’un seul coup.

Helena avait bien compris la rancune et le mécontentement que les chevaliers éprouvaient à l’égard du général Albrecht et, en l’espace d’un mois et demi, la moitié de la faction des chevaliers s’était retournée contre lui.

Beaucoup de colère s’était accumulée au cours des nombreuses années envers le général Albrecht. Le retour d’Helena au service actif avait permis à ces chevaliers de trouver un exutoire à leurs frustrations. Ceux-ci avaient afflué pour se rassembler sous sa bannière. Ils étaient de plus en plus nombreux à la rejoindre.

Finalement, seul le régiment de 2 500 chevaliers qu’il dirigeait était resté aux côtés du général Albrecht. À ses protégés, il fallait rajouter une poignée d’autres chevaliers qu’il avait dispersés dans les autres régiments. C’était un déclin que l’on ne croirait jamais possible pour un homme brûlant d’ambition, qui jusqu’à tout récemment avait servi à la tête d’une des principales factions de Rhoadseria, avec une armée permanente de six régiments de chevaliers, soit 15 000 hommes.

Mais le général Albrecht n’était pas le seul à être troublé par ce changement soudain. Il avait probablement été choqué de voir sa faction se faire dévorer aussi rapidement par le retour soudain au combat d’Helena Steiner. Ryoma avait été tout aussi surpris.

Ryoma n’avait prévu d’éliminer le général Albrecht qu’après s’être occupé de la faction des nobles. Mais avec sa faction dévorée de la sorte, le général Albrecht ne resterait pas les bras croisés et continuerait à soutenir la princesse Lupis. Connaissant sa personnalité, l’homme essaierait sans aucun doute à renverser la situation.

Ils auraient dû abattre le général Albrecht par la force avant qu’il n’effectue des mouvements suspects. Tout comme Ryoma avait l’intention de proposer de modifier les plans actuels de la princesse Lupis, toute cette affaire s’était révélée.

« C’est vrai, c’est un peu trop contre nature… Il est certain que le général Hodram Albrecht est acculé au pied du mur. Il voudrait des renforts… C’est ce que je continue à croire. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi le Duc Gelhart l’accepterait. Je ne peux pas imaginer ce méchant général s’inclinant devant son adversaire politique. »

Leur première rencontre dans la salle d’audience refit surface dans l’esprit de Ryoma. Il se souvenait de ses yeux, pleins de convoitise et d’ambition, et du regard froid qu’il avait dirigé sur Ryoma la première fois qu’il l’avait vu. Ceux-ci semblaient vouloir dire : « Espèce de petit paysan ! »

Il était hautain, fanatique et impitoyable envers ses ennemis. Et par-dessus tout, sa fierté était écrasante. Et c’était un fait que ses relations avec le duc Gelhart avaient été terribles après des années d’opposition sur le terrain politique.

Il n’était pas rare que l’armée s’oppose au gouvernement, mais même sans cela, les deux hommes nourrissaient une dangereuse animosité l’un envers l’autre.

Ainsi, entre leurs relations existantes et la personnalité du général Albrecht, il était difficile d’imaginer qu’il puisse facilement se ranger au côté du duc Gelhart, même s’il était conscient de la menace qui pesait sur sa position de général. C’était pourquoi Ryoma avait volontairement ignoré jusqu’à présent la possibilité que le général Albrecht se joigne à la faction des nobles.

« Effectivement… Mais n’est-il pas possible que ce soit le Duc Gelhart qui ait proposé leur union cette fois-ci ? »

Sara le demanda, en comprenant les doutes de Ryoma sur la question. C’était en fait l’essentiel de la réponse à laquelle Ryoma avait longuement réfléchi.

« Oui, c’est à peu près ça. Franchement, je ne vois pas d’autre solution. Mais la question est alors de savoir qui a convaincu Duc Gelhart de faire ça ? »

S’il n’y avait aucune chance que le général Albrecht avale sa fierté et demande à s’allier au duc Gelhart, il était logique que ce soit la faction des nobles qui s’était avancée et l’avait proposé.

Après tout, c’était le camp qui détenait le pouvoir par des moyens politiques. Ils étaient experts dans ce genre de transactions douteuses, mais comme les deux parties avaient des intérêts contradictoires, il leur faudrait du temps pour aplanir ces différences, et c’était une question où ils ne pouvaient pas vraiment mettre de côté leurs préjugés.

Dans ce cas, pour qu’ils puissent coopérer, il leur fallait quelqu’un de très intelligent, patient et doté de compétences transcendantes en matière de négociation. Ce n’était pas un exploit dont un noble cupide serait capable. Si la faction des nobles avait eu quelqu’un comme ça de son côté, le duc Gelhart ne se serait pas donné la peine de mettre la princesse Radine comme étendard. Il aurait simplement intégré la princesse Lupis, qui était en quelque sorte la première à accéder au trône, dans la faction des nobles.

***

Partie 5

Cette série de mouvements du duc Gelhart était donc orchestrée par la sagesse d’une autre personne. Par quelqu’un qui ne voulait pas voir la Rhoadseria se stabiliser…

« Je vois… Mais dans ce cas… Est-ce un stratagème des pays voisins ? »

« Oui… »

Ryoma acquiesça lentement.

« C’est ce qui m’inquiète le plus. J’espère que je réfléchis trop, mais… »

Il n’avait aucune preuve pour étayer cette théorie. Ce n’était rien d’autre que son intuition qui lui chuchotait à l’oreille. Cependant, bien qu’Helena ait déjà défendu les armées de Xarooda, les deux pays s’étaient récemment opposés sur la question de la fiscalité. On ne pouvait pas dire que les relations soient tendues au point de se rompre, mais on ne pouvait pas se permettre d’être trop optimiste.

De même, les relations de la Rhoadseria avec le Royaume de Myest n’étaient pas particulièrement mauvaises, mais on ne pouvait pas dire qu’elles soient bonnes non plus. Les trois pays de l’Est s’étaient unis pour repousser l’Empire d’O’ltormea, mais cela ne voulait pas dire que les relations entre les trois pays étaient si amicales.

Et les relations entre Rhoadseria et les pays du Sud étaient encore pires que celles qu’elle avait avec Xarooda et Myest. N’importe quel pays pouvait à tout moment faire une excursion sur le territoire de la Rhoadseria et Ryoma n’en serait pas surpris.

« En fin de compte, nous n’avons tout simplement pas d’informations sur les autres pays… »

Ryoma avait involontairement laissé ses frustrations s’échapper de ses lèvres.

« Pas dans ce pays, en tout cas… »

Ryoma ne pouvait pas vraiment juger s’il s’agissait d’un problème unique à ce pays ou à ce monde dans son ensemble, mais il manquait beaucoup trop d’informations sur les mouvements des autres pays. Ryoma n’avait pu trouver que deux moyens d’obtenir des informations sur les autres pays à la volée.

L’une d’entre elles consistait à payer les personnes qui voyagent fréquemment à travers les pays, comme les mercenaires et les commerçants, pour obtenir des informations. Mais les informations qu’il obtenait d’eux n’étaient peut-être pas aussi récentes et à jour qu’elles devraient l’être, et ce n’était peut-être pas le genre d’informations dont il avait besoin. Après tout, le travail de ces personnes n’était pas de transmettre des informations.

L’autre option était la suivante : Ryoma devrait engager des personnes qui recueilleraient des informations directement pour lui. En d’autres termes, former un réseau de renseignements. Mais cela exigeait beaucoup de temps et d’argent, et surtout, cela dépendait de sa capacité à trouver des personnes fiables.

L’information était précieuse, et confondre une fausse information avec une vraie pourrait être une erreur fatale. Ce genre d’organisation ne prenait tout son sens qu’après des années de travail, et ce n’était pas quelque chose qui pouvait être établi et mis en service à tout moment.

Les sœurs Malfist avaient bien compris les raisons de la frustration de Ryoma. Ayant travaillé aux côtés de Ryoma pendant des mois, elles avaient bien compris l’importance de la préparation et de l’information.

Mais elles savaient aussi que le souhait de Ryoma ne serait pas facilement exaucé. Les privilégiés de ce monde ne comprenaient pas l’importance de l’information. Et ceux qui l’avaient compris n’auraient pas divulgué d’informations à un étranger d’origine douteuse comme Ryoma.

En fin de compte, s’il voulait des informations, il devait embaucher des gens pour les obtenir, mais dans cette situation, la création d’une agence de renseignement semblait un rêve éveillé. Au final, il devait reconnaître que la solution la plus idéale n’était pas viable et se contenter de la froide réalité qui lui était imposée.

« Maître Ryoma… Je ne pense pas que laisser ce que nous ne connaissons pas nous tourmenter nous mènera quelque part. Ne devrions-nous pas abattre le général Albrecht et le duc Gelhart avant que les pays environnants ne puissent nous mettre à nu leurs crocs ? »

Ryoma n’avait pas eu d’autre choix que d’acquiescer à la suggestion de Laura. Il n’avait pas pu trouver d’autre solution.

« Le Duc Gelhart a environ 60 000 soldats. Cela inclut les troupes sous son contrôle direct et le nombre maximum de roturiers qu’il peut mobiliser. Ajoutez à cela le régiment d’Albrecht de 2 500 chevaliers et complétez le tout avec des mercenaires, et vous obtenez entre 65 000 et 70 000 hommes. En attendant, nous avons 12 500 chevaliers, et avec les nobles neutres que nous avons accueillis grâce au comte Bergstone, nous avons environ 20 000 hommes de plus. En ajoutant les mercenaires, nous arrivons à environ 35 000 hommes. En termes de puissance, nous sommes très désavantagés… »

Ryoma pourrait sourire amèrement au résumé de Sara.

« La faction des nobles est principalement composée de nobles de haut rang, du rang de comte et au-dessus. Ils ont des territoires où ils peuvent enrôler beaucoup d’hommes. Et comme nous ne pouvons pas enrôler des gens des territoires appartenant directement à la famille royale, il est presque naturel que la faction des nobles nous batte là-bas. »

Ryoma poussa un soupir lourd et ironique. La princesse Lupis ne voyait pas d’un bon œil la conscription des roturiers, mais un autre problème majeur était que la plupart des ministres et des bureaucrates qui s’occupaient des affaires pratiques du pays faisaient partie de la faction des nobles. Ils employaient toutes sortes de manœuvres d’obstruction en matière de collecte de fonds et de lignes d’approvisionnement, ce qui réduisait l’efficacité de ces domaines à une peau de chagrin.

La situation semblait mauvaise. Mais Laura secoua la tête en entendant les paroles de Ryoma.

« Mais nous savions déjà ça à l’avance. Et même si nous manquons de force, nous les égalons en termes de puissance de combat. »

Les chevaliers pouvaient utiliser la magie, et bien qu’il y ait une différence individuelle dans la mesure où l’un d’entre eux avait approfondi ses compétences, tous devraient être capables de renforcer leur corps. De plus, les chevaliers étaient tous entraînés individuellement, donc si l’on comparait les chevaliers aux roturiers, la différence de puissance de combat devenait significativement différente.

« Je suppose que… En fin de compte, même avec le général Albrecht du côté de l’ennemi, la situation n’a pas beaucoup changé par rapport à avant. »

« Ça me semble juste… Sauf qu’à mon avis, si nous ne devions pas être trop occupés par cet ennemi invisible, nous ne devrions pas non plus l’ignorer complètement. »

Les propos de Laura montrèrent qu’elle comprenait parfaitement la situation. La façon la plus effrayante de mettre fin à cette situation était de ne pas gérer le général Albrecht et le duc Gelhart avant qu’un autre pays ne lance son invasion. Il n’y avait aucune preuve que cela se produirait, mais ils ne pouvaient certainement pas ignorer cette possibilité, puisque la princesse Lupis n’avait pas la force de repousser une invasion à l’heure actuelle.

« Dans ce cas, la meilleure solution serait d’en finir rapidement… Engager plus de mercenaires était la bonne idée. »

Après avoir battu Branzo l’araignée noire, Ryoma avait rassemblé soixante-dix à quatre-vingts troupes de mercenaires, mais ils en avaient déjà engagé quatre fois plus.

En engager autant était un gaspillage d’un point de vue financier, mais grâce à cela, ils avaient plus de marge de manœuvre en termes de décisions à prendre.

Au début, je n’étais pas sûr de ce que nous ferions avec autant de mercenaires, mais on n’est jamais trop prudent, hein…

Les yeux de Ryoma brillaient dans l’air. Tout cela pour décider de la bataille à venir…

Le matin suivant l’arrivée des mauvaises nouvelles au château. Un groupe imposant se promenait dans l’un des couloirs du palais, sur lequel était posé un tapis rouge. Leurs corps étaient recouverts d’une armure de fer, ce qui en faisait l’image même des guerriers en temps de conflit.

Celle qui les menait était Helena Steiner, qui venait de reprendre son poste de général. Ceux qui l’entouraient étaient des personnes de confiance, comme ses camarades d’autrefois, ou encore leurs enfants et petits-enfants.

Celui qui marchait le plus près d’Helena était Chris Morgan, ses cheveux d’or coulaient dans son sillage.

« Mes excuses, Dame Helena. Je ne m’attendais pas à ce que le général Albrecht agisse aussi vite… J’ai commis une grave erreur de jugement », murmura Chris Morgan en s’excusant auprès d’Helena alors qu’ils se précipitaient vers la salle de réunion, son front était visiblement anxieux.

Sa voix était pleine de regrets et de honte, ses mots étaient empreints d’amertume. Après tout, les actions de Chris étaient, sans aucun doute, ce qui avait conduit à cette situation.

Il agissait peut-être sur les ordres d’Helena, mais il ne faisait guère de doute que les manœuvres de Chris avaient réveillé le sentiment de peur du général Albrecht. Il aurait été plus sage, avec le recul, de surveiller de plus près les mouvements du général Albrecht et d’empêcher leurs plans de perturber la surface de l’eau le plus longtemps possible.

Mais Chris n’aurait jamais pu prédire à quel point les chevaliers opprimés seraient attirés par Helena une fois qu’elle aurait fait son apparition. Il ne l’avait que trop bien compris et le regrettait maintenant.

Chris était resté debout jusqu’à l’aube, recueillant des informations sur la situation et gardant les chevaliers sous contrôle alors qu’ils couraient frénétiquement pour tenter de recueillir des informations sur la fuite du général Albrecht de la capitale. Pour preuve, ses yeux étaient gonflés et rouges, avec de lourds cernes autour d’eux.

« C’était certainement au-delà de nos prévisions, mais vous ne devriez pas vous en inquiéter », avait dit Helena avec sympathie à Chris sans se retourner pour le regarder.

« Aucun d’entre nous ne savait que le général Albrecht pourrait s’allier à la faction des nobles après qu’ils aient été rivaux pendant si longtemps. Je n’ai pas lu la situation autant que vous. Et d’ailleurs, cette situation n’est pas si mauvaise pour nous… Non, au contraire, nous pourrions être mieux comme ça. »

La situation n’était pas drôle et malgré cela, il n’y avait pas tant un soupçon d’hésitation dans sa voix. Le ton amusé de ses mots résonnait dans les oreilles de Chris. Comme pour dire que tout se passait comme prévu…

« Cependant… », déclara Chris de manière ambiguë.

Même si Helena lui avait dit de ne pas s’en soucier, il ne l’avait pas pu. Pas tant qu’il croyait que c’était le résultat direct de ses actes.

De nombreux chevaliers fidèles au royaume, comme Chris, avaient souffert pendant des années sous la tyrannie du général Albrecht, car ils croyaient qu’un jour ils le chasseraient et rendraient à la Rhoadseria son état légitime.

Et ils venaient de perdre cette précieuse opportunité. De nombreux chevaliers étaient manifestement désespérés à cette nouvelle. Mais le point de vue d’Helena était tout le contraire.

« C’est une merveilleuse occasion de balayer ce pays… Ne trouvez-vous pas ? »

Réalisant ce qu’elle voulait dire par là, Chris plissa ses sourcils bien formés.

« Nous allons donc ouvrir les hostilités ? Mais… »

C’est parce qu’il avait compris ce qu’elle voulait dire que sa voix était pleine d’anxiété. Il savait que ça ne se passerait pas aussi bien.

Pour commencer, le général Albrecht et le duc Gelhart faisaient tous deux obstacle au règne de la princesse Lupis sur Rhoadseria et à la reconstruction du royaume. À cet égard, il était inévitable de les combattre tous les deux. Mais d’un autre côté, il y avait une grande différence entre traiter avec eux individuellement et ensemble.

***

Partie 6

Les manœuvres de Chris avaient amené la plupart des chevaliers aux côtés d’Helena, mais on ne savait pas comment ils allaient se comporter face à la faction des nobles, qui possédait la plus grande armée du pays, avec le général Albrecht et son premier régiment de chevaliers pour les assister.

« Si la princesse Lupis nous permettait de conscrire les gens dans ses territoires directs, nous pourrions peut-être les submerger par le nombre. Mais si l’on considère ce qui va se passer, impliquer les citoyens dans l’étouffement de la guerre civile serait une mauvaise décision. Et l’ordre public est une autre question. Peut-être que si la situation était encore plus défavorable, ce serait une autre histoire… mais en l’état actuel des choses, les mobiliser serait une piètre décision. »

Helena avait répondu aux doutes de Chris avec un sourire en coin. En termes de nombre, le duc Gelhart et les nobles sous ses ordres pouvaient mobiliser entre deux et cinq fois plus de chevaliers incapables de magie que ceux qui en étaient capables. Les chevaliers présentaient quelques différences individuelles en termes de compétence et de talent, mais ils étaient en moyenne deux fois plus forts qu’une personne normale.

En divisant l’opposition comme ils l’avaient fait, ils avaient amené cinq ordres de chevaliers du côté de la princesse Lupis, qui comptaient 12 500 membres. Ceux-ci étant deux fois plus forts, cela portait à près de 30 000 hommes en termes de puissance de combat effective.

Si l’on comparait les forces des deux camps, le ratio désavantagerait la princesse Lupis de 4 contre 6, ou de 3 contre 7, mais ce n’était pas un écart si désespéré qu’il ne pouvait être comblé. Avec une telle différence de forces, il leur était encore parfaitement possible de gagner si leurs forces étaient commandées de manière adéquate.

Si les choses avaient été pires, la princesse Lupis aurait peut-être été obligée de changer de position, mais connaissant l’âme charitable qu’elle avait, elle avait refusé de forcer son peuple à participer aux combats dans ces circonstances.

« Le reste dépend du jugement de ce garçon… »

Le murmure s’échappa doucement des lèvres d’Helena.

« Ce garçon, vous dites… ? »

Réalisant de qui Helena parlait, Chris ferma les yeux.

Il avait déjà entendu les rumeurs entourant cet homme. C’était un aventurier errant sorti de nulle part, et l’un des meneurs du conflit à venir.

Tout avait commencé avec son apparition.

Dire que Lady Helena lui faisait autant confiance…

En entendant ces mots qui mêlaient confiance et affection de la part d’Helena Steiner, la femme que le peuple de Rhoadseria vénérait et à qui le peuple accordait la plus grande foi en tant que déesse de la guerre, Chris ressentit une émotion noire, un peu comme de l’envie, qui brûlait dans son cœur.

Heureusement, il avait la retenue nécessaire pour empêcher cette émotion de remonter à la surface. Des années d’oppression sous le général Albrecht et sa faction lui avaient permis d’acquérir une grande expérience dans la dissimulation de ses émotions. Ainsi, Chris tint sa langue et suivi Helena.

Héhé… Tu es un beau garçon. Ambitieux et plein d’assurance, mais tu as eu raison de retenir ces deux traits de caractère. Et à en juger par tes performances cette fois-ci, tu passes aussi pour un astucieux. Un chevalier talentueux issu du monde des roturiers… Je ne peux pas imaginer qu’Albrecht détesterait quelqu’un plus que toi.

Helena sourit en regardant Chris. Il était tout à fait naturel que les gens nourrissent de l’ambition et de la jalousie. Mais quiconque en faisait un étalage visible était inapte à marcher aux côtés de la déesse de la guerre.

Ayant discerné la qualité de Chris, Helena fit un sourire satisfait en accélérant sa démarche. Et finalement, elle arrêta ses pas.

Voyons maintenant la suite des événements.

L’image de la façon dont les choses devraient se dérouler à l’avenir était déjà parfaitement dessinée dans l’esprit d’Helena. C’était tout à fait naturel pour un général de pays.

Mais là encore, ce n’était pas un test avec des réponses correctes prédéterminées. Chaque choix avait ses avantages et ses inconvénients, et il n’y avait pas de voie idéale à suivre.

Montre-moi ce que tu as dans le ventre… Ryoma Mikoshiba…

C’était précisément parce qu’il n’y avait pas de bonnes réponses que la vraie valeur et les capacités des gens apparaissaient au premier plan. Alors qu’elle s’arrêtait devant la lourde porte en chêne de la salle de conférence, gardée par des soldats en armure, les lèvres d’Helena se recroquevillèrent en un sourire.

« Idiot ! Tu t’entends parler ? Comment peux-tu suggérer ça !? »

Le cri de Meltina résonna dans la salle de conférence alors qu’elle frappa d’un poing serré la table ronde.

« Lady Meltina, s’il vous plaît, attendez qu’il ait fini… »

« Voulez-vous bien vous taire, comte Bergstone !? »

Le comte Bergstone, qui partageait un siège à cette table ronde, essaya de l’interrompre, mais un regard perçant de Meltina le fit taire immédiatement.

Loin de Jupiter, loin de son tonnerre, comme on dit (NDT : qui il est loin du pouvoir est loin du danger). Mais pour l’instant, Meltina était moins un dieu qu’un démon. Il est déjà difficile d’apaiser la colère d’une femme, mais quand on savait à quel point les relations entre les chevaliers et les nobles étaient aigres, il était tout naturel que le comte Bergstone ait rapidement choisi de jeter l’éponge.

Avec ses cheveux noirs bien peignés et ébouriffés, Meltina fixa du regard le garçon, dont le visage trahissait son véritable âge, assis devant elle avec un sourire suffisant.

Enfin, vous montrez enfin votre vraie nature… Espèce d’amateur !

La vue de son sourire confiant avait donné à Meltina l’envie de lui lancer toutes les insultes qu’elle avait accumulées. Elle ne tenait sa langue que parce qu’elle ne voulait pas parler comme ça en présence de la princesse Lupis.

« Oh, calme-toi maintenant… »

La voix rauque d’un homme avait rempli la salle de conférence.

Assis à côté de la princesse Lupis, les bras croisés, Mikhail, qui avait jusqu’alors écouté la discussion en silence, tourna les yeux vers eux deux.

« Avez-vous vraiment l’intention de prêter l’oreille aux absurdités de cet homme à un moment aussi critique !? », cria Meltina d’une manière agressive.

D’un point de vue tactique, le plan proposé par Ryoma Mikoshiba ne pouvait être qualifié d’efficace. Non, du point de vue de Meltina, qui avait été éduquée dans une famille de chevaliers de grande classe et qui était l’assistante de la princesse Lupis, il ne ressemblait à rien d’autre qu’à l’idée téméraire d’un amateur sans scrupules.

Mikhail, lui aussi, bien qu’il ait levé la main pour faire taire Meltina, jeta un coup d’œil furieux dans la direction de Ryoma, ce qui montrait clairement qu’il ne l’avait pas arrêtée par bonne volonté envers le garçon.

« Je suis prêt à vous écouter, mais sachez que j’ai la même position que Meltina », déclara Mikhail à Ryoma, les sourcils froncés.

« Si je me souviens bien… notre plan jusqu’à présent consistait à attirer l’ennemi et à maintenir une ligne défensive. Bien que notre incorporation de la faction des chevaliers se soit mieux passée que prévu, je ne vois toujours pas pourquoi cela nous amènerait à changer notre politique à ce stade. Vous ne l’avez sûrement pas oublié ? Si vous avez une bonne raison, nous l’entendrons ici et maintenant. »

Respectant la dignité de ses aînés, il n’avait pas fait connaître son mécontentement en élevant la voix comme l’avait fait Meltina, mais sa voix était frigide et colérique.

D’une certaine manière, sa colère était justifiée. Le déplacement des soldats entre Pireas et la forteresse du duc Gelhart, Héraklion, posait de nombreux problèmes topographiques. Mais même avec la colère de Mikhail dirigée contre lui, l’attitude de Ryoma était restée inchangée.

« Ne vous inquiétez pas. J’ai quelques idées sur la façon de le faire. »

Son ton ne vacillait pas le moins du monde et Mikhail ne pouvait s’empêcher de claquer sa langue en réponse.

L’agitation qui s’était emparée de toutes les personnes présentes était probablement due au choc provoqué par la confiance inattendue de Ryoma. La seule personne qui ne s’en était pas laissée abattre, s’en tenant à un silence serein, était Helena.

« Êtes-vous sûr de comprendre ? Traverser la forêt de Herkshua est une chose, mais comment avez-vous l’intention de traverser la rivière Thèbes… ? N’avez-vous pas proposé la ligne de défense parce qu’il n’y avait aucun moyen de la franchir ? »

Les paroles de Mikhail firent monter un murmure d’assentiment autour de lui. La capitale et Héraklion étaient séparées par deux obstacles importants, la forêt de Herkshua et la rivière Thèbes.

La première était une grande forêt abritant de nombreux monstres dangereux, traversée par une route sinueuse. C’était tout de même une route qui n’était pas particulièrement difficile à traverser. Elle était loin de la ville, et donc pas pavée de pierres, mais elle était assez large pour permettre le passage des carrosses. Elle était également dotée de barrières de sécurité installées à intervalles réguliers pour éloigner les monstres, ce qui permettait aux marchands et aux voyageurs de la traverser en toute sécurité.

Mais cela ne s’appliquait qu’aux gens ordinaires. Dans la perspective de la mobilisation d’une armée, la forêt de Herkshua était un obstacle terriblement problématique à franchir. Elle n’était pas impraticable, bien sûr, mais avec l’étroitesse des rangs, leur vitesse de marche serait assez lente, et les arbres denses obstrueraient la visibilité, ce qui faciliterait la tâche de l’ennemi pour tendre une embuscade.

S’ils ne déplaçaient que quelques unités, ce serait plus faisable, mais le terrain ne permettait pas de mobiliser une grande armée.

Et même s’ils parvenaient à traverser la forêt de Herkshua, ils auraient besoin d’un moyen de traverser la Thèbes, une rivière géante.

« Êtes-vous inquiet quant à la traversée de la rivière, Seigneur Mikhail ? »

Mikhail hocha la tête en silence aux paroles de Ryoma. Cette rivière, qui provenait de la chaîne de montagnes du Woar située le long de la frontière du royaume avec Xarooda, s’était jointe aux rivières des alentours humidifiant la terre en s’écoulant du sud-ouest du pays vers le nord-est. La Rhoadseria devait sa grande production agricole aux eaux abondantes de ce fleuve.

Le fleuve avait vraiment donné ses bénédictions à Rhoadseria, mais lorsqu’il s’agissait de déplacer une armée, cela devenait un obstacle majeur. Elle faisait 500 mètres de large — une distance que les techniques architecturales de ce monde ne pouvaient espérer combler. Elle était également assez profonde. Il n’était donc pas possible de la traverser à gué.

Bien sûr, il y avait plusieurs quais de chaque côté du fleuve, mais si la traversée de la Thèbes n’était pas un problème en temps de paix, le transport d’une armée de l’autre côté était une tout autre histoire.

Le plus gros problème était qu’il n’y avait pas de bateau assez grand pour transporter des centaines de personnes à la fois. Les cargos de commerce ou les navires de guerre de la marine en étaient peut-être capables, mais aucun bateau destiné à la traversée des rivières n’était aussi grand. Le plus grand disponible ne pouvait transporter que vingt à trente soldats armés.

De plus, le simple transport de soldats ne suffisait pas. Le transport de fournitures était un autre élément à prendre en considération. Des armes et des armures de rechange, des rations pour les soldats, du fourrage pour les chevaux, ainsi que des fournitures médicales pour soigner les soldats blessés. En essayant de tout comptabiliser, il apparaissait clairement que la tâche pouvait être infinie…

***

Partie 7

Et comme il était impossible d’aller à la guerre sans toutes ces fournitures, ils devaient emporter ces consommables avec eux lors de leur traversée.

Les doutes de Mikhail sont réels… La traversée de la rivière est un problème majeur. Et tant qu’il ne sera pas résolu, il sera impossible d’envoyer les soldats…

Helena apporta une tasse de thé à ses lèvres. Comme il faudrait faire traverser le fleuve à tout le monde en même temps, il ne restait qu’une solution : rassembler les bateaux des villages environnants, y charger le plus de soldats possible et faire plusieurs allers-retours pour faire traverser le fleuve à tout le monde.

Mais comme le soulignaient de nombreux textes tactiques, cette tactique était terriblement dangereuse. En divisant ses forces, il était plus facile d’éliminer chaque groupe individuellement.

Il n’a pas tort de voir les choses de cette manière. Mais il est un peu trop dur. Je suppose que cela vient de son manque d’expérience…

Il était meilleur que Meltina, qui exprimait encore son mécontentement de façon flagrante en lançant des coups de poignard à Ryoma, mais on ne pouvait pas non plus dire que Mikhail était trop brillant. Cela ne voulait pas dire qu’il était stupide. Il était né dans une famille de chevaliers de haut rang et avait reçu une éducation appropriée dès son plus jeune âge.

Mais c’était tout ce qu’il avait. Il était important de savoir suivre les règles du jeu, mais pour gagner une guerre, il fallait parfois agir en dehors des tactiques établies.

« Je vois. C’est très habile de votre part, Sire Ryoma… Vous avez assez bien cerné le mental et les circonstances de l’adversaire. Mais cette chance ne durera pas longtemps. »

Les paroles d’Helena avaient surpris toutes les personnes présentes dans la salle. En voyant leur réaction, Helena poussa un petit soupir.

Je suppose que c’est ainsi que l’on verra des résultats…

Très peu de gens comprenaient l’état des choses entre les batailles, et seuls ceux qui avaient été bénis par les dieux avec la prudence nécessaire pour le faire avaient eu le droit de boire dans la coupe du triomphe.

« Qu’est-ce que vous insinuez ? Seigneur Ryoma, Helena, de quoi parlez-vous ? »

« Ce serait le meilleur moment pour attaquer le territoire de l’ennemi, Votre Altesse. »

Ryoma avait répondu à la question de la princesse Lupis dès qu’elle l’avait posée, mais cela n’avait pas suffi à dissiper ses doutes. Elle n’était toujours pas sûre de savoir pourquoi le moment était le plus opportun pour attaquer.

Ryoma commença à expliquer les choses aussi simplement que possible, afin de faire comprendre ses pensées aux membres de la conférence qui n’en savaient rien.

« J’ai proposé au départ d’attirer l’ennemi vers la capitale, car je pensais qu’il serait trop difficile d’attaquer l’ennemi nous-mêmes. Mais la situation a changé. »

Comme ce passage périlleux laisserait leurs forces ouvertes aux attaques de l’ennemi, le duc Gelhart et la princesse Lupis se seraient regardés de part et d’autre de la rivière, aucun des deux ne pénétrant dans le territoire de l’autre. Compte tenu de la difficulté de la marche et de la sécurisation d’une ligne de ravitaillement, attirer l’ennemi plus près de sa base et l’intercepter là serait d’autant plus simple.

Mais la situation de guerre prit une tournure inattendue avec le choix surprenant du général Albrecht, et bien que la possibilité d’obtenir un résultat soit très faible, c’était une chance qui pouvait les amener à terminer la guerre d’un seul coup.

« Je ne pense pas que le fait que le général Albrecht s’associe à Duc Gelhart soit un problème. Je pense plutôt qu’ils ont tous les deux fait une énorme bévue en agissant ainsi. »

Alors que la voix de Ryoma résonnait dans la salle de conférence, tout le monde s’était tenu complètement immobile. C’était la preuve que les gens avaient une confiance absolue en ce qu’il avait à dire. Bien qu’à vrai dire, seules quelques personnes, parmi lesquelles Helena et Chris, aient vraiment compris le sens des paroles de Ryoma.

« Je ne comprends pas bien… Les forces de l’ennemi sont renforcées. En quoi est-ce une bavure ? »

La princesse Lupis et Meltina firent un fort signe de tête à la question de Mikhail. Il était vrai que si l’on examinait simplement la situation en surface, son opinion semblait valable. Les forces ennemies qui se développaient seraient normalement considérées comme un problème majeur.

En effet, normalement…

« Comment ça se fait que ce ne soit pas le cas ? Il est certainement troublant qu’ils aient plus de soldats maintenant, mais cela leur poserait des problèmes particuliers. Mikhail, connaissant le Général Albrecht, pensez-vous qu’il accepterait les ordres du Duc Gelhart, même s’il était très acculé ? »

Cette question fit finalement apparaître la lumière de la compréhension sur le visage de Mikhail.

« Vous avez compris ? Si le général Albrecht était le genre d’homme qui obéirait simplement aux autres sans faire d’histoires, nous ne serions pas dans cette situation. Au début, il se battrait sans doute avec le Duc Gelhart pour le droit de diriger… »

Un petit soupir échappa aux lèvres de Mikhail.

Tous deux aspiraient à prendre le contrôle de Rhoadseria et risquaient d’entrer dans une lutte de pouvoir à son sujet. Ils avaient également tous deux des personnalités hautaines et intolérables. Il était peu probable qu’ils soient prêts à marcher côte à côte pacifiquement.

« Aucun des deux n’est stupide. Ils finiront par trouver un compromis… Mais si nous devions frapper maintenant… »

Il n’était pas nécessaire de terminer cette phrase. La partie la plus importante de la conduite d’une guerre était le droit de commander. On pouvait rassembler la plus grande armée imaginable, mais sans un général résolu à la commander, la victoire n’arriverait pas. L’histoire l’avait prouvé plus d’une fois.

En termes plus simples, on pourrait comparer cela à un changement de poste au sein d’une compagnie. Si un chef de section et le chef d’un service donnaient des ordres contradictoires, quel ordre les ouvriers suivraient-ils ? Dans la plupart des cas, ils obéiraient au chef de service, puisqu’il serait plus haut dans la chaîne.

Mais que se passerait-il si c’était le président de l’entreprise et le chef de service ? Le président aurait la priorité. Presque tout le monde serait d’accord avec cela. Sauf circonstances exceptionnelles, les ordres de la personne la plus haut placée seront classés par ordre de priorité.

Mais que se passerait-il si une entreprise avait deux présidents ? Ils seraient tous deux le patron, et s’ils devaient donner des ordres contradictoires, ceux qui étaient en dessous d’eux ne sauraient pas quoi faire, car ils ne pourraient pas discerner quel ordre ils devraient respecter.

La situation actuelle était comparable à cela. Si le Duc Gelhart était assez mature pour accorder au Général Albrecht le commandement de ses troupes par respect pour sa supériorité en tant que commandant militaire, ou si le Général avait le courage de réaliser à quel point ses forces étaient réduites et qu’il obéissait au Duc et à ses supérieurs, Ryoma ne serait en aucun cas optimiste sur cette situation.

Mais le Duc Gelhart et le Général Albrecht étaient des êtres humains peu modestes. Hauts placés et intolérants. Et comme Ryoma le savait bien à l’avance, il avait conclu que le moment était venu d’attaquer.

« Donc c’est ce que vous voulez dire… Je vois. »

Les yeux de la princesse Lupis s’illuminèrent de compréhension.

Une fois expliquée, sa raison était parfaitement compréhensible. La princesse Lupis était associée aux deux hommes depuis de nombreuses années, et l’explication de Ryoma correspondait à beaucoup de ses souvenirs des deux hommes. Les autres personnes présentes semblaient également d’accord. Mais des doutes subsistaient.

« Je vois où vous voulez en venir maintenant. Vos hypothèses sont probablement correctes, Sire Ryoma », déclara le comte Bergstone.

« Mais même si nous partons maintenant, arriverons-nous à temps ? »

Il était vrai que le duc Gelhart et le général Albrecht étaient tous deux arrogants et impatients, mais ils avaient tous deux occupé pendant des années les postes les plus importants de ce pays. Ils n’étaient pas idiots. Cette possibilité d’attaque n’existait qu’à cet instant, car ils venaient juste d’unir leurs forces. Si les deux hommes discutaient et parvenaient à un accord, cette ouverture disparaîtrait.

« Puis-je demander quelque chose ? »

Pour la première fois depuis l’ouverture de la conférence, Chris, qui était assis en silence sur le siège à côté de celui de Ryoma, écarta les lèvres pour parler.

« Et qui êtes-vous ? »

« Mes excuses. Je suis Chris Morgan, un assistant de Dame Helena », répondit Chris à la question du comte Bergstone tout en baissant la tête.

« Il y a quelque chose qui me dérange, alors j’ai pensé que je devais le demander. »

« Je vois, c’est donc toi qui… »

Plusieurs autres personnes acquiescèrent aux paroles du comte Bergstone.

Il s’était assis aux côtés d’Helena comme s’il était évident qu’il était là, si bien que personne n’osait le demander, mais tout le monde était assez curieux de savoir qui il était.

Chris ne fit pourtant pas attention à l’attitude de chacun, se tournant vers Ryoma avec les documents qu’il avait apportés en main.

« Je crois que votre analyse de la situation est exacte, Sir Mikoshiba. Mais elle est encore trop soudaine. Nous sommes venus pour préparer la ligne de défense, conformément à notre programme initial. Même si nous appelons les troupes maintenant, organiser les rangs et préparer les provisions et le ravitaillement nous prendrait quatre à cinq jours. Compte tenu de la vitesse des troupes, nous n’atteindrons la Thèbes que dans douze à quatorze jours. Pensez-vous que l’ennemi restera en discorde d’ici là ? »

Les yeux de Chris brillaient d’une lumière provocante.

« Vous voulez dire que nous n’avons pas le temps ? »

Chris acquiesça tranquillement à la question du comte Bergstone.

Les paroles de Chris étaient exactes. Une chance ne signifiait rien si on ne pouvait pas la saisir à temps. Leur plan initial était d’intercepter l’armée des nobles dans les environs de la capitale, de grandes quantités de provisions étaient stockées dans les entrepôts de la capitale dans ce but.

Il en allait de même pour les formations des troupes. Envoyer des troupes à Héraklion signifierait que tous leurs préparatifs n’avaient servi à rien, et cela les obligerait à réorganiser leurs formations en partant de zéro.

Bien sûr, ils pouvaient réutiliser certains aspects, mais il leur faudrait encore un certain temps pour tout réorganiser. Ryoma en était sûrement bien conscient.

« Il est vrai que déplacer toutes nos forces en ce moment est impossible, et si nous essayons de le forcer, cela ne servira à rien, puisque nous ne traverserons pas Thèbes avant que le général et le duc ne se soient mis d’accord. Mais si nous ne prenons qu’un petit nombre de soldats… Une unité de cavalerie d’environ deux mille chevaliers et mercenaires, nous avons de bonnes chances d’arriver à temps. »

L’estimation du nombre de jours de Chris était basée sur l’hypothèse que les forces seraient des chevaliers et des soldats se déplaçant à pied, la vitesse de marche la plus lente possible. Mais s’ils n’avaient que ceux capables de faire de la magie à cheval, ils pourraient se déplacer beaucoup plus vite et arriver sans avoir besoin de beaucoup de repos ou d’utiliser des sorts. Ils arriveraient beaucoup plus vite que prévu.

« Mais… même si vous traversez la Thèbes avec deux mille soldats, qu’est-ce que cela donnerait ? »

Meltina souleva le dernier point problématique à la place de Chris, qui s’était tu.

***

Partie 8

« L’ennemi a plus de soixante mille hommes à ses côtés. Peu importe le nombre de tours que vous jouez, je ne vous vois pas gagner dans ces conditions. »

Il était certainement possible pour deux mille cavaliers de traverser la rivière Thèbes en quelques jours, mais une fois qu’ils l’auraient fait, ils seraient fermement sur le territoire du duc Gelhart. Les paroles de Meltina étaient vraies, même si elles étaient pleines de méchanceté, Ryoma le comprit encore mieux qu’elle.

« J’y ai aussi pensé, bien sûr. Deux mille soldats ne suffiraient pas contre une force de soixante mille. Mais si le reste de l’armée commençait ses préparatifs peu après le départ de la cavalerie de la capitale, il lui faudra dix jours pour traverser la Thèbes. Même si nous prenons notre temps pour les préparatifs, cela prendrait deux semaines. Et j’ai confiance qu’avec deux mille hommes, nous pourrons tenir une position jusqu’à ce moment. »

Les mots de Ryoma débordaient de confiance et son attitude fit taire toutes les personnes présentes.

Est-il fou ?

Il était tout à fait naturel que Chris lui jette un regard suspicieux. Il venait de suggérer d’utiliser deux mille hommes pour retenir une force trente fois plus importante. Ce n’était pas une suggestion avec laquelle on pouvait facilement être d’accord. Mais ils ne pouvaient pas non plus la nier complètement. Helena, qui surveillait le sourire confiant et inébranlable de Ryoma, leur interdit de le faire.

« Avez-vous un plan ? »

Les paroles de la princesse Lupis rompirent le silence, auquel Ryoma fit un signe de tête.

Ryoma ne croyait pas non plus pouvoir retenir l’ennemi dans un combat frontal, mais il ne voulait pas voir cette chance passer à côté d’eux. S’ils laissaient passer l’occasion, le général Albrecht et le duc Gelhart pouvaient encore former une alliance contre eux. Et une fois qu’ils l’auraient fait, la Thèbes deviendrait pour eux un obstacle pratiquement infranchissable, ce qui prolongerait considérablement la durée du conflit. Il leur faudrait frapper maintenant, même si c’était un peu imprudent.

Les regards de tous les participants s’étaient naturellement tournés vers la princesse Lupis. Tous les arguments avaient été épuisés, et il ne restait plus qu’à rendre son verdict.

Pouvons-nous vraiment gagner si nous les attaquons maintenant ? Les doutes firent surface et disparurent dans le cœur de la princesse Lupis. Était-il vraiment possible de retenir une force de plus de soixante mille hommes avec seulement deux mille hommes ?

La princesse avait réfléchi aux paroles de Ryoma, sachant très bien que son jugement influencerait le destin du pays. Alors que cette pression s’exerçait sur elle, Helena rompit son long silence pour lui donner le coup de pouce dont elle avait besoin.

« Je crois que nous devrions suivre son plan. Se tourner les pouces en ce moment n’améliorerait pas notre situation. Et comme il l’a dit, vu la situation actuelle, je crois que nous devrions passer à l’offensive. »

Avec Helena, qui avait survécu à d’innombrables champs de bataille meurtriers, lui donnant de tels conseils, la princesse Lupis prit une décision.

« Bien. Ryoma Mikoshiba, je vous confie le commandement d’un régiment avancé de deux mille hommes. Défendez votre position jusqu’à ce que le gros des troupes arrive ! »

Ce moment restera dans l’histoire comme celui du début du premier acte de la bataille d’Héraklion.

Sur décision de la princesse Lupis, l’envoi de troupes fut décidé, et la conférence fut conclue, mais Ryoma, Lione et Boltz se réunirent dans une des salles du château.

« Je te jure, mon garçon, tu en as une sacrée paire… »

Le sourire de Lione se brisa lorsque Ryoma eut terminé son rapport.

« Tu n’avais pas besoin de prendre autant de risque que ça. »

Elle ne le critiquait pas vraiment, mais parlait plutôt comme une grande sœur qui devait passer après les bévues de son jeune frère malicieux.

« Si on manquait cette chance, la guerre durerait encore plus longtemps… »

En souriant, Lione prit une gorgée d’une bouteille d’alcool.

« Tes soupçons sont aussi assez inquiétants, et c’est probablement mieux si nous finissons cette guerre le plus vite possible, mon garçon. »

Boltz mâchait du bœuf séché qu’ils avaient pris comme en-cas pour accompagner l’alcool.

Lione et Boltz, avec leur riche expérience, ne comprenaient que trop bien le déroulement de la guerre dont Ryoma parlait.

« Mais mon garçon… Comment vas-tu repousser soixante mille soldats ? »

Boltz avait gentiment posé la plus grande question.

Boltz avait un grand respect pour Ryoma, mais ce n’était pas par une foi aveugle. Pas besoin d’être mathématicien pour comprendre que deux mille soldats n’avaient aucune chance face à soixante mille.

Si ce n’était pas Ryoma Mikoshiba qui dirigeait cette opération, Boltz aurait déjà rassemblé ses hommes et aurait déjà pris la tête de l’opération. Si le jeune homme avait un stratagème qui rendrait l’impossible possible, il voulait l’entendre.

« Eh bien, cela dépend aussi de la façon dont vous gérez les choses. Je vais devoir vous demander de vous occuper de certaines choses, et notre victoire dépendra de votre performance. »

Cela dit, Ryoma connaissait déjà ses chances de victoire.

Après tout, on ne sait pas comment les variables vont évoluer… Nous devons nous dépêcher et mettre de l’ordre dans nos préparatifs…

La quantité de préparatifs qu’ils pourraient faire à l’avance permettrait de décider si cela se terminerait par une victoire ou une défaite pour eux. Et cela ne s’appliquait pas seulement à la guerre. Même des choses aussi banales que les études ou le sport exigeaient une préparation. Un individu bien préparé avait la possibilité de faire plus de choix.

Mais inversement, être préparé ne signifiait pas nécessairement que l’on obtiendrait le résultat souhaité. Les préparatifs n’avaient aucun sens si l’on manquait la chance de les mettre en pratique.

« Oh ! Tu le penses vraiment ? »

Boltz éleva la voix, surpris par la remarque de Ryoma.

« Je veux dire, c’est impressionnant, mais… Tu crois vraiment qu’on pourrait les bloquer avec ça ? »

« Pourquoi frissonnes-tu comme un faon ? Le garçon t’a fait t’entraîner pour ça, alors ça va aller. »

Boltz était devenu pâle à l’idée, mais Lione avait répondu d’une voix calme.

« Nos nouvelles recrues sont prêtes aussi, n’est-ce pas ? »

« Oui, tout va bien. Ils étaient assez choqués au début, mais je leur ai mis des bâtons dans les roues ! Vous pouvez être tranquille sur ce point. »

Les ordres de Ryoma étaient plutôt inhabituels pour les mercenaires de ce monde, mais Lione avait tenu son rôle.

« Dans ce cas, je pense que tout ira bien, Boltz. »

En entendant les mots de Ryoma, un sourire soulagé s’était répandu sur le visage de Boltz.

« Eh bien, nous avons parié sur toi, mon garçon. Tout ce qu’on peut faire maintenant, c’est prier pour que cela ne soit pas un fiasco. »

Le ton de Lione était détendu, mais ses yeux étaient très sérieux. Après tout, c’était une personne qui dirigeait et assumait la responsabilité d’autres individus, même peu nombreuse, en tant que chef de brigade.

« Je peux te promettre cela », pouvait répondre Ryoma en haussant les épaules.

C’était simplement un homme, pas un dieu ou un héros d’aucune sorte, il ne pouvait donc pas dire qu’il gagnerait obligatoirement…

Une fois que Lione et Boltz eurent quitté sa chambre, Ryoma reçut un rapport des sœurs Malfist.

« Maître Ryoma, les arrangements que tu as demandés sont terminés. »

« Merci », il acquiesça doucement aux paroles de Laura.

Les dépenses étaient assez élevées, mais leur vie était en jeu. Il ne savait pas s’il allait vraiment s’en servir, mais il valait mieux avoir si possible un atout caché dans sa manche.

« Et quant à tes autres instructions… Nous les avons trouvées. »

Les lèvres de Ryoma se recroquevillèrent aux paroles de Laura.

« Ont-ils été mêlés aux mercenaires ? »

« Comme tu l’avais dit, dans un groupe de mercenaires nouvellement engagés. »

« Cela a du sens… Assurez-vous de garder les yeux sur eux, d’accord ? »

« Oui, nous les surveillons de près. Moi, Sara et un des hommes de Lione travaillons par roulement à cette fin. »

« Savons-nous qui les a envoyés ? »

Sara secoua la tête sans un mot.

« Je vois… C’est bien. Laissez-les courir librement pour le moment. Ils nous seront utiles tôt ou tard. »

« Ne devrions-nous pas nous en débarrasser dès que possible, Maître Ryoma ? »

« Non, il vaut mieux avoir le plus de cartes possible dans notre jeu. De plus, si nous les éliminions maintenant, celui qui les a envoyées en enverrait simplement un autre. »

Tuer des espions est une tâche épuisante. Tout comme pour les rats et la vermine, la seule façon de s’en occuper définitivement était de frapper à la source.

« Comme tu le voudras. »

Laura baissa la tête en silence.

Le lendemain, les chevaux des cavaliers rugirent à la sortie de Pireas, leurs instincts d’animaux se mettant à sentir l’odeur de la guerre qui approchait. Même s’ils étaient élevés comme des chevaux de guerre, ils donnaient de vigoureux coups de pied au sol en secouant la tête.

« Allons-y ! »

Partageant le cheval de Laura, Ryoma éleva la voix. Les mercenaires environnants s’étaient immédiatement mis en route.

« Nous partons ! Commencez la marche ! »

« « « Ooooooooooooh ! Gloire au Royaume de Rhoadseria ! À la victoire ! » » »

D’innombrables poings se levèrent, ils remplirent leurs harnais de prana, activant ainsi leur magie. Leur objectif : le domaine du Duc Gelhart, Héraklion.

***

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