Chapitre 4 : Le chasseur et le chassé
Partie 3
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
« Rien en particulier. De toute façon, parler à vous est une perte de temps. Mais je vais dire une chose. Je n’obéis qu’à une personne, et c’est moi-même. Je n’obéis à personne d’autre. Je pense et décide moi-même. C’est tout. »
Ryoma avait déjà jugé qu’il était inutile de parler à Shardina. Leurs idéologies et leur éducation étaient bien trop différentes. Il ne pouvait y avoir d’accord entre eux. C’était comme le jour et la nuit, il n’y avait dès le début aucune chance de réconciliation.
« Alors, c’est ce que vous pensez… Cependant, mon cher homme de l’autre monde, ce monde n’est pas assez aimable pour accueillir votre libre arbitre. C’est vrai, vous êtes resté fidèle à vos désirs. Vous avez tué Gaius. Mais où cela vous a-t-il mené, finalement ? Vous êtes assis ici, menotté, devant moi. », Shardina se moqua de lui.
Ryoma pouvait se vanter autant de fois qu’il le souhaitait, mais cela n’était rien d’autre que les lamentations d’un perdant endolori. Après tout, Saitou avait menotté ses mains.
« Votre fierté est admirable. Mais cela représente-t-il quelque chose dans ce monde où les impuissants sont piétinés et déposséder ? Ce monde n’est pas aussi gentil que le vôtre. Votre libre arbitre, dites-vous ? Qu’est-ce que cela vous donnerait ? Si vous aviez simplement obéi à l’empire, vous auriez pu être promu comme Saitou. »
« Désolé, mais être votre chien et aboyer sur commande ne semble pas séduisant. »
Ryoma se moqua des mots de Shardina.
« Je vois. Vous êtes un homme stupide. Vous avez le culot de parler ainsi même dans cette situation, n’est-ce pas ? J’aurais pu vous épargner si vous m’aviez supplié de sauver votre vie. »
Alors que Saitou écoutait la conversation de Shardina avec Ryoma, l’anxiété dans son cœur ne fit que grandir.
Elle a raison… Pourquoi est-il si confiant, même maintenant ? N’importe qui serait à quatre pattes, suppliant pour leur vie.
La prémonition de quelque chose de mauvais approchant traversa l’esprit de Saitou alors que Shardina parlait. Il savait qu’elle mentait, bien sûr. Même si Ryoma Mikoshiba devait demander grâce, son destin avait déjà été scellé. Il devait être mis à mort. Il n’y avait pas d’autres options pour l’homme qui avait tué Gaius et souillé la dignité de l’empire.
Mais il était humain de s’accrocher au moindre lambeau d’espoir, même face à la mort. Et malgré cela, Ryoma Mikoshiba resta imperturbable.
Est-il prêt à mourir ?
Mais Saitou ne voyait pas l’acceptation de la mort sur le visage de Ryoma.
Qu’est-ce que c’est, alors ? Croit-il qu’il peut s’en sortir vivant ?
Shardina était accompagnée d’une trentaine de soldats. Vingt-six d’entre eux avaient été déployés pour fouiller la forêt par groupes de deux. Il ne restait que quatre autres soldats pour défendre le camp de Shardina. Depuis que Saitou avait découvert et ramené Ryoma seul, il y en avait six au total.
Ce nombre était plus que suffisant pour retenir un seul homme de l’autre monde. Mais malgré tous les avantages qu’ils avaient, il n’arrivait pas à se débarrasser de son anxiété. À ce moment-là, l’esprit de Saitou entrevit une possibilité.
Attendez… S’est-il retrouvé dans cette situation parce qu’il voulait être ici ?
C’était une pensée folle, complètement infondée. Mais cela n’avait fait que rendre les choses d’autant plus crédibles pour Saitou.
C’est vrai… Si c’est le cas, tout se met en place. Mais pourquoi ? Quel genre de mérite cet homme tire-t-il de cette situation… ? Non, quel que soit le mérite qu’il obtient, peu importe. Nous devons tuer cet homme, ici et maintenant. Quoi qu’il puisse faire dans cette situation, ce ne doit pas être grand-chose.
Les mains de Saitou bougèrent, elles enlevèrent ses lunettes à monture argentée et, en leur absence, les yeux froids et sanguinaires d’un meurtrier étaient révélés. Il n’y avait même plus un soupçon du calme qu’il avait avant en lui. Ses yeux brillaient d’une lumière vive, comme une épée non gainée.
« Saitou… ? »
Shardina remarqua son changement d’attitude. Une soif de sang émanait de son corps, comme s’il se tenait sur un champ de bataille.
« Votre Altesse, je m’excuse, mais nous devrions tuer cet homme, ici et maintenant. »
« Qu’est-ce que tu dis !? »
Shardina ne pouvait cacher sa surprise devant ce qu’avait dit son aide après un silence contemplatif si prolongé.
« Nous devons le livrer à l’empereur ! »
« Non, Votre Altesse. Cet homme est dangereux. Si nous le laissons continuer à respirer, qui sait ce qu’il pourrait faire... »
« As-tu l’intention d’aller à l’encontre des ordres de Sa Majesté !? »
« Je suis désolé. Réprimandez-moi comme vous le voudrez après ça… » dit Saitou, tout en détachant son épée alors qu’il s’approchait de Ryoma.
« Attends, Saitou ! »
Ignorant les appels de Shardina, Saitou leva son épée.
« Un dernier mot ? Puisque nous sommes nés au même endroit, je vais au moins vous écouter. »
« Non, rien de particulier. », dit Ryoma avec un léger sourire, ne reculant pas devant la lame dressée qui brillait sur lui.
« Je vois. Vous avez du cran, je vous l’accorde. »
« Non, pas tant que ça… Si on considère en fait que c’est toi qui vas mourir ! »
Les cris de Ryoma résonnaient dans la nuit, disparaissant dans la forêt sombre.
« Qu’est-ce qui lui prend… !? »
Shardina n’avait pas pu retenir sa surprise devant le rugissement de Ryoma qui secouait la tente.
« Qu’est-ce que… Ah ! Votre Altesse ! »
À ce moment-là, l’intuition de Saitou s’était mise à sonner d’alarme.
Dès que le corps de Saitou avait recouvert celui de Shardina, un coup de vent balaya la tente. Le coup de vent secoua le camp, déchirant les tentes en morceaux comme si une épée géante avait couru à travers la place.
Quelques secondes plus tard, Saitou s’était levé après avoir confirmé que le vent s’était calmé.
« Votre Altesse ! Votre Altesse ! »
« Je vais bien… Que s’est-il passé ? »
Shardina, qui était cachée sous le corps de Saitou, s’était levée et avait tenu sa tête avec ses bras.
« Vous allez bien, Votre Altesse ! Putain… Ce salaud ! »
Saitou, cependant, avait ignoré les paroles de Shardina et s’était mis à la recherche de Ryoma.
Son regard tomba sur une fille aux cheveux argentés inconnue.
« Es-tu indemne, Maître ? » dit la jeune fille, brandissant son épée pour couper les chaînes de Ryoma.
« Ouais. Tu arrives à point nommé. Tu m’as sauvée, Sara. Et Laura ? » demanda Ryoma tout se frottant les poignets maintenant libérés.
« Laura se débarrasse des autres soldats. Comme tu l’as dit, elle est capable de s’occuper d’eux sans problème. »
Tandis que ces mots étaient prononcés, une deuxième voix se fit entendre derrière Saitou.
« J’ai déjà fini, Maître. »
C’était la voix d’une jeune fille.
« Votre Altesse ! »
Au cri de Saitou, Shardina fit un pas en arrière derrière lui, ils se sont alors tenus dos à dos.
« Tu n’es pas blessée, n’est-ce pas, Laura ? » demanda-t-il avec une voix de gratitude et de préoccupation.
« Oui, je vais bien. J’avais simplement besoin de leur lancer des sorts. Ces gens se méfiaient de l’attaque d’un animal, mais ne s’attendaient pas à une magicienne. »
« Ça ne peut pas être… de la magie !? »
Saitou cria furieusement à la suite des paroles de Laura.
Ni Saitou ni Shardina ne l’avaient prévu. Le fait que Ryoma avait même des alliés dans ce monde était imprévisible, mais il était particulièrement choquant qu’elles puissent même utiliser la magie. Peu de gens pouvaient l’employer dans ce monde, et ceux qui servaient l’empire étaient au moins au rang de chevalier, et seuls les plus habiles des aventuriers ou mercenaires en étaient capables.
C’était la raison pour laquelle cette pénurie était à la base de la structure du pouvoir dans le monde. Rien qu’en étant capable d’employer la magie, on était deux fois plus fort que ceux qui ne l’étaient pas, et ses compétences pouvaient rendre ce pouvoir encore plus dangereux.
Avec les bonnes préparations, Gaius, l’homme que Ryoma avait tué, était capable de gérer des armées entières. Mais avoir un grand pouvoir destructeur ne signifiait pas que l’on gagnerait toujours. Le fait qu’il soit mort des mains de Ryoma en était la preuve flagrante.
Pourtant, cela n’avait pas changé le sens de la possession du pouvoir de la magie. Et quoi qu’il en soit, il n’y avait aucune chance qu’un homme qui venait d’être convoqué d’un autre monde soit capable de l’utiliser, et il était extrêmement improbable qu’il ait la compagnie de quelqu’un d’autre qui le pourrait. Du moins, c’était le cas jusqu’à présent.
« Qui diable êtes-vous… !? »
« Nous sommes les serviteurs de notre Maître. Les ennemis de notre Maître sont nos ennemis, » déclara Laura, répondant à la question de Shardina en pointant son épée dans sa direction.
Cette fille est douée ! Et…
En voyant la position de Laura, l’intuition de Shardina s’était mise à lancer un signal d’avertissement. Les deux filles se tenaient devant elles, leur soif de sang et leur agressivité étaient palpables. Seule une poignée des milliers de soldats sous les ordres de Shardina étaient à ce niveau.
Pourtant, en termes de compétences, Shardina elle-même était plus élevée qu’elles. Pourtant, les yeux de la jeune fille qui se tenait devant elle brûlèrent d’une envie meurtrière. Elle tuerait Shardina, même si elle devait mourir en essayant. Saitou sentait une égale mesure de détermination de la part de Sara.
Qu’est-ce qui se passe ici… ? Pourquoi des magiciennes aussi compétentes sont-elles de son côté ? Il n’est dans ce monde que depuis quelques jours…
La capture de Ryoma était un ordre absolu donné par l’empereur à Shardina et à ses subordonnés, mais cela ne s’appliquait que si leur vie n’était pas en danger. Ils n’étaient pas obligés de le prendre vivant si cela signifiait que Saitou ou Shardina seraient tués ou blessés au cours du processus.
Ils occupaient tous les deux des positions extrêmement importantes pour l’empire. Ce serait peut-être différent s’il s’agissait d’un champ de bataille où le sort de l’empire était en jeu, mais ils ne pouvaient pas se permettre de mourir aux mains d’un inconnu venant d’un autre monde.
« Saitou… Nous devons battre en retraite… »
C’était la conclusion de Shardina après de nombreuses délibérations, qu’elle chuchota à Saitou pour que Ryoma et son groupe ne l’entendent pas.
« Oui, avec tant de facteurs imprévisibles en jeu, nous devons prendre du recul et réévaluer la situation… En supposant qu’ils nous laissent partir… »
« Oui… Mais nous ne pouvons pas nous permettre de mourir ici. Avec la mort de Sire Gaius, la mort de l’un d’entre nous porterait un coup au potentiel de guerre de l’empire. Et si cela arrive… »
« Les pays voisins et les territoires occupés y verraient une occasion de se rebeller. »
C’était le prix que l’empire avait dû payer pour conquérir ses voisins par la force brute. Il était évident que si l’empire perdait sa force supérieure, les citoyens opprimés et les nobles sous leur contrôle se révolteraient. Plusieurs pensées traversèrent l’esprit de Shardina et de Saitou.
« Si vous voulez battre en retraite, n’hésitez pas. Ça ne me dérange pas. »
Les mots de Ryoma avaient fait basculer l’impasse.
« Idiot… Nous n’avons aucune raison de nous retirer ici ! Nous allons vous emmener, vous et ces femmes, à la capitale ! »
Saitou répondit rapidement aux paroles de Ryoma.
« Oh ? Vas-tu risquer ta vie pour nous capturer ? »
Ryoma sourit froidement au cri de Saitou.
Merci pour le chapitre.