Convocation
Partie 10
« C’est difficile à discerner à ce stade. Mais si nous supposons que rien ne s’était passé, il devient alors difficile d’expliquer le tremblement que les soldats ont ressenti. Il n’y a aucun aspect du rituel d’invocation qui causerait une telle perturbation. »
« Donc vous dites qu’il y a eu une sorte… d’accident ? Devrions-nous demander à Sa Grâce d’évacuer le palais immédiatement ? »
Rolfe n’était pas assez stupide pour croire naïvement qu’il n’y avait aucune probabilité qu’un accident se produise simplement parce qu’il n’y en avait jamais eu jusqu’à maintenant. Et il savait aussi que les accidents magiques pouvaient avoir des conséquences à long terme.
Une calamité magique. Si quelque chose devait interrompre le rite d’invocation et que le sort devait devenir incontrôlable, rien ne permettait de savoir ce qui pouvait se passer. Le fait qu’une salle entière du palais soit emportée par le vent était optimiste. Dans le pire des cas, le pays tout entier pourrait être anéanti, tout comme cela avait été le cas autrefois pour un ancien royaume.
Je suppose que c’est le pire scénario possible. Mais si cette présomption s’avère exacte, nous devons assurer la sécurité de Sa Grâce, pour le bien de notre nation…
La sécurité de l’empereur devrait au minimum être assurée. Cette pensée poussa Rolfe à l’action. Mais Celia secoua la tête, rejetant ses inquiétudes. S’il y avait eu une calamité magique, certains signes de celle-ci se seraient déjà manifestés à l’extérieur de la pièce. Même si ses effets se limitaient à la seule pièce, Celia excellait dans la détection de la magie et pouvait détecter toute perturbation à cette distance. Ce qui ne laissait qu’une seule conclusion.
« Non. Selon toute vraisemblance, grand-père a dû utiliser sa magie. »
L’œil unique de Rolfe brillait à la suggestion de Celia. Gaius avait peut-être utilisé une magie d’attaque en combattant quelqu’un.
« Une attaque magique… C’est certainement possible. Mais si c’est le cas, pourquoi le Seigneur Gaius ne quitterait-il pas la pièce ? »
C’était la principale raison pour laquelle Rolfe ne pouvait écarter la possibilité d’un accident. Peu de personnes sur tout le continent pourraient survivre à un sort lancé par Gaius, magicien de la cour de l’Empire O’ltormea. L’idée que quelque chose se soit passé au milieu du rituel pour l’immobiliser semblait plus probable que cela. Bien sûr, Rolfe savait qu’il n’y avait pas d’absolu dans la bataille, mais Rolfe ne pouvait pas imaginer Gaius se faire tuer par quelqu’un.
« Peut-être qu’il ne peut pas quitter la pièce. »
« C’est impossible. »
L’expression de Rolfe changea aux mots de Celia.
« Un homme du calibre du Seigneur Gaius… »
Celia avait souligné la seule possibilité que Rolfe essayait délibérément d’ignorer.
« Si l’on considère le pire scénario possible… »
Les traits de Celia s’étaient tendus.
C’était l’expression d’une personne réalisant la mort possible d’un parent.
« Toutes mes excuses ! »
Rolfe baissa soudain la tête vers Celia.
« Que faites-vous, Seigneur Rolfe ? »
Celia avait été bouleversée par les excuses soudaines de Rolfe.
« Lady Celia, je me suis trompé dans mon jugement. »
J’aurais dû intervenir dès que j’ai entendu le rapport. Si j’étais entré dans la pièce dès que possible, j’aurais peut-être pu sauver la vie du Seigneur Gaius.
Cette pensée traversa l’esprit de Rolfe, mais Celia a secoué la tête.
« Non, Seigneur Rolfe. Personne ne peut interrompre le rite d’invocation pendant qu’il est en cours, c’est la loi. Si vous aviez pénétré dans la pièce de votre propre chef, cela aurait pu causer une catastrophe. Je crois que peu importe ce qui s’est passé, votre attente a été une sage décision… Alors s’il vous plaît, arrêtez ça tout de suite. »
Apaisant Rolfe, elle lui avait fait lever la tête baissée. Il était vrai que personne n’avait été autorisé à entrer dans la salle de convocation au milieu du rite, de peur d’un désastre secondaire. Tel était le niveau d’attention et de prudence requis pour la convocation.
« Je doute de la possibilité d’un accident. Si cela s’était produit, son influence nous aurait déjà été visible. »
La signification des mots de Celia était une prémonition bien trop cruelle.
« Lady Celia… »
Rolfe remarqua que les épaules de Celia tremblaient.
Elle essayait désespérément de contenir ses émotions envers son seul et unique parent de sang.
« Bien sûr, c’est juste en supposant le pire scénario possible. Pour l’instant, allons à l’intérieur et confirmons la situation par nous-mêmes ! »
Rolfe ne pouvait que veiller sur Celia alors qu’elle s’accrochait à la dernière lueur d’espoir.
« Comme la porte est en fer, elle est verrouillée de l’intérieur. Je vais faire venir un bélier pour l’ouvrir, alors donnez-nous un peu de temps. »
Rolfe se prépara rapidement à commander ses soldats, mais Celia n’avait apparemment pas l’intention de se conformer à la suggestion de Rolfe.
« Non, Seigneur Rolfe. Nous n’avons pas de temps à perdre. Je vais gérer cela. »
Ces mots firent paniquer Rolfe. La porte de la salle de convocation était plutôt épaisse et robuste, et un magicien normal ne pourrait pas la percer. Bien sûr, Celia, en tant qu’aide-magicienne à la cour, pourrait le faire, mais le problème était de savoir ce qui arriverait après cela.
« C’est… C’est… »
Rolfe marmonnait d’une voix agitée.
Mais il n’y avait pas eu de coupure dans l’incantation de Celia.
« Ô esprits qui gouvernent sur le feu ! Accordez-moi votre protection et respectez ma volonté ! »
« Lady Celia, non ! Les hommes, à couvert ! »
Ignorant ses tentatives pour l’arrêter, Celia compléta son incantation.
« Écrasez l’ennemi qui se tient sur mon chemin ! Flamme explosive ! »
Un globe de flamme tourbillonnait dans les paumes des mains de Celia, celle-ci les tendit vers la porte en fer. Au moment où elle le fit, la porte s’était déformée, et le bruit tonitruant d’une explosion résonna dans le château. Le choc et le bruit de l’explosion avaient privé Rolfe de sa vue et de son ouïe pendant quelques instants. La chaleur et l’odeur de brûlé typique d’un incendie remplissaient le couloir. La force de l’explosion créa de minuscules fissures à travers les murs du château.
La vue de Rolfe se rétablit peu à peu, et la première chose qu’il vit fut la porte, rougeoyante et cramoisie. L’air environnant vacillait sous l’effet de la chaleur, comme si une partie de l’enfer même s’y était manifestée. La porte, cependant, était restée intacte. Non, si la porte était brûlante, il était impossible de s’en approcher. Les choses étaient encore pires.
C’est pour cela que j’ai essayé de l’arrêter. Qu’est-ce que Lady Celia va faire maintenant…
Cependant, avant que Rolfe ne puisse faire connaître son sentiment à Celia, la porte s’était effondrée avec un bruit fort.
« Venez, entrons. »
La voix de Celia résonnait.
Les soldats avaient traversé la porte, qui avait été refroidie à un point tel qu’il suffisait de la toucher pour y coller sa peau. Ceux-ci s’infiltrèrent dans la pièce.
« Je vois… Vous avez donc utilisé la différence de dilatation thermique pour briser la porte. Très impressionnant. »
Celia hocha légèrement la tête en entendant les louanges de Rolfe. Elle avait d’abord utilisé la magie du feu, ce qui avait fait croire à Rolfe qu’elle essayait de faire fondre la porte. Il avait essayé de l’avertir des problèmes que cela causerait, puis il avait essayé de l’arrêter. Mais Celia comprenait parfaitement le problème. Si elle utilisait des flammes assez puissantes pour faire fondre la porte, la zone environnante serait réduite à un brasier ardent. Celia et Rolfe s’en sortiraient probablement indemnes, mais les soldats les plus simples ne s’en sortiraient probablement pas.
De plus, ils ne pourraient pas entrer dans la pièce tant que l’air ne serait pas refroidi. Celia avait donc arrosé la porte d’une chaleur massive, puis avait utilisé la magie du gel pour refroidir la porte bouillonnante. La chaleur provoqua l’expansion de la porte métallique, et en la refroidissant rapidement, la porte se brisa.
« Venez, Seigneur Rolfe. Dépêchons-nous de rentrer. »
Rolfe hocha la tête silencieusement en entendant les mots de Celia.
« Bougez. Qu’est-ce que vous faites devant la porte ? Rentrez, maintenant. »
« Qu’est-ce qu’il y a ? Grand-père est en sécurité ? »
Passant devant les soldats qui se tenaient devant la porte, leur souffle était visible dans des bouffées blanches, tous les deux furent témoins de la tragédie ayant eu lieu. L’arôme de rouille unique au sang versé leur remplissait les narines, un parfum auquel Rolfe n’était que trop habitué.
« Lady Celia… Quoi... Qu’est-ce que c’est… ? »
« C’est horrible… »
La vue les rendait sans voix. Ils l’avaient peut-être prédit quelque part dans leur cœur, mais même avec la réalité qu’il leur était imposé, c’était encore difficile à croire.
« Qu’en est-il de grand-père ? »
En regardant autour d’elle, Celia aperçut la robe blanche couchée sur le sol, une robe unique que son grand-père aimait particulièrement. Il ne pouvait pas y avoir d’erreur.
« Nooon... Grand-père ! »
Celia était tombée à genoux, s’effondrant sur le sol.
Rolfe la soutint en hâte, mais Celia retira violemment les bras qui la bloquaient et courut vers Gaius, qui était étendu sur le sol. Elle avait ramassé son corps dans la panique. Ses mains étaient couvertes de sang.
« C’est… trop horrible. » Grimaça Rolfe tout en regardant le corps de Gaius gisant dans les bras de Celia.
Même lui, qui avait parcouru d’innombrables champs de bataille, se souvenait d’avoir vu un cadavre si sauvagement battu qu’une poignée de fois. D’après la blessure à l’arrière de la tête de Gaius, Rolfe supposa qu’il avait été attaqué par-derrière ou battu alors qu’il s’accroupissait. Si c’était la première possibilité, c’était un témoignage de l’habileté de l’agresseur, si c’était le second, c’était une preuve de sa cruauté.
Dans un cas comme dans l’autre, ce serait un ennemi redoutable… Hmm, c’est…
Convaincant Celia de lâcher le corps de Gaius, ils l’allongèrent sur le sol, et après une inspection plus approfondie, Rolfe se mit à grimacer.
Un seul coup à la gorge. C’est probablement la blessure mortelle. Dans ce cas…
L’assaillant avait bloqué la trachée de Gaius, puis lui avait porté un coup final à l’arrière de la tête.
« Qui ferait quelque chose d’aussi horrible… » Ce petit murmure avait échappé aux lèvres de Rolfe.
Ces mots étaient empreints de colère et de tristesse. Rolfe avait été sur d’innombrables champs de bataille, et la vue d’un cadavre ne ferait normalement pas trembler son cœur. Il ne penserait à un tel spectacle que si les faibles avaient rencontré leur mort. Mais voir le corps de Gaius Valkland était différent. Gaius s’était battu pendant de nombreuses années aux côtés de Rolfe en tant que compagnon et avait contribué à faire d’O’ltormea le grand pays qu’il était maintenant.
Il était impossible de garder son sang-froid face à la mort d’un ami, mais Rolfe fit tout ce qu’il pouvait pour freiner l’envie de crier.
« N’est-ce pas évident !? »
Un cri de haine jaillit des lèvres de Celia.
« C’est l’œuvre de l’homme de l’autre monde qu’il a convoqué ! »
De flammes noires de colère brûlèrent dans ses yeux suite au meurtre de son grand-père. Et au moment où Rolfe avait vu ce feu dans son regard, il avait retenu son propre cœur vacillant.
Je ne peux pas dire que je la blâme… Ils étaient plus proches que ne le seraient la plupart des pères et des filles…
Les parents de Celia étaient décédés alors qu’elle n’était qu’une enfant. Ils étaient morts au combat contre un pays voisin qui existait jadis près de l’empire et c’était Gaius qui l’avait accueillie et l’avait élevée. Il était son professeur de magie et, en même temps, son dernier parent par le sang. Il était donc naturel pour Celia de perdre son sang-froid après avoir appris sa mort. Toutefois…
« Écoutez, Lady Celia. »
Il avait des doutes sur son affirmation.
« Les gens de l’autre monde pourraient en effet devenir très puissants s’ils étaient entraînés, mais il s’agit d’un faible qui vient tout juste d’être convoqué. Ce monde ne connaît pas la guerre, contrairement au nôtre, et d’après ce que j’entends, ils n’ont généralement pas le droit de porter des armes. »
À en juger par les cas passés, quelqu’un qui pouvait représenter une aussi grande menace n’avait jamais été convoqué auparavant. Les seules choses que l’on ait trouvées sur eux étaient un petit couteau ou une baguette métallique, et la grande majorité des gens de l’autre monde n’étaient même pas capables d’utiliser ces armes. Du point de vue d’un guerrier, les nouveaux appelés de l’autre monde semblaient encore plus faibles que les roturiers de ce monde.
« Mais… ! »
Celia secoua la tête sauvagement devant les paroles emplies de doutes de Rolfe.
Merci pour le chapitre. Ces gens n’ont jamais invoqué de Texan ou de Yéménite a priori 😈