Chapitre 20 : Agents
Table des matières
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Chapitre 20 : Agents
Partie 1
Mitsuha rendit visite au capitaine mercenaire pour la première fois depuis longtemps. Le développement de son comté l’avait tenue bien trop occupée pour qu’elle puisse s’y arrêter. En dehors des grenades, qui, d’une manière ou d’une autre, finissaient toujours derrière elle, elle était déjà capable d’utiliser la plupart des armes qu’elle portait.
Mais ça ne veut pas dire grand-chose. Je sais comment tirer, oui, mais ma précision est encore très faible.
Les mercenaires avaient gagné une belle somme d’argent avec les écailles, la viande et d’autres parties du dragon. Pour maintenir un certain degré d’équité et empêcher quiconque de monopoliser les échantillons, ils avaient fixé des limites à la quantité qu’un pays pouvait acheter. Qualifier leurs prix de « chers » aurait été un euphémisme. Tous les pays qui se plaignaient voyaient leurs parts mises aux enchères ou vendues à des géants du secteur.
Ce n’est vraiment pas cool, grimaça Mitsuha.
Ils avaient également obtenu certains des droits sur les découvertes, les inventions et les produits issus de la recherche sur les matériaux du dragon. Dans l’ensemble, Wolfgang était maintenant très riche.
« Whoa, vous aurez aussi votre part. Ne me regardez pas comme ça », dit le capitaine.
Mitsuha rétrécit ses yeux, ce qui était suffisant pour l’effrayer un peu.
« Alors, vous ferez toujours le travail de mercenaire ? » avait-elle demandé.
« Eh bien, c’est la seule chose pour laquelle nous sommes bons. Bien sûr, nous pourrions diviser l’argent et nous séparer, mais alors nous n’aurions rien à faire. On gaspillerait probablement notre argent, on se ferait harceler pour ça, ou on se ferait piéger et on redeviendrait fauchés. Il est plus sûr de garder l’équipe ensemble. Je veux dire, quel genre de crétin choisirait de se battre avec nous ? Quoique, effectivement, le fait qu’on ait plus à prendre des boulots à la noix juste pour joindre les deux bouts est une bonne chose. Nous ne prévoyons pas de nous battre de sitôt. »
C’est logique. Pourquoi quelqu’un risquerait-il sa vie pour de l’argent s’il l’a déjà gagné ?, pensa Mitsuha
« Oh, au fait, je vous ai dit que je dirigeais un comté entier maintenant, non ? Vous m’aideriez si on avait un problème de bandits ou autre ? »
« Bien sûr. Votre travail bénéficie d’un traitement spécial. Les gens là-bas n’ont pas d’armes, donc il est peu probable que l’un de nous meure. Mais si tel est le cas, cela voudrait dire qu’il ne valait pas grand-chose. Je suis sûr que tout le monde serait volontaire pour n’importe quel travail que vous nous donneriez. »
« Euh, je ne suis pas dans un endroit qui peut être envahi par d’autres pays, je ne pense donc pas avoir besoin d’autant de puissance de feu que la dernière fois. »
Ce serait vraiment excessif.
« Cela mis à part, savez-vous où je pourrais trouver un navire en bois qui ne nécessite qu’un équipage d’environ dix à vingt personnes ? »
Mitsuha pensait que, contrairement au Japon, les pays autour de la base de Wolfgang pouvaient encore utiliser des navires en bois sans moteur, mais…
« Une galère ? Quoi, il y a encore des sortes d’esclaves chez vous ? », demanda le capitaine.
Ses yeux étaient grands ouverts.
Je suppose que je n’en aurai pas ici, conclut Mitsuha.
Elle n’avait pas prévu d’entraînement pour la journée, elle s’était donc contentée de flâner dans la base. Ce fut à ce moment-là que l’idée d’acheter un tank ou un canon automatique lui était venue.
Le « Dieu » de Wolfgang s’était bien comporté pendant ce combat… C’était une sacrée bonne publicité. Cependant, j’en achèterai un quand je serai plus riche. Les VBL avec des canons de 5,56 mm sont trop faibles. Un char d’infanterie avec un autocanon de 20 mm est ce qu’il me faut. Attendez, contre qui ai-je l’intention de me battre ?!
Pour l’instant, elle s’était décidée à partir. Mais avant de retourner dans l’autre monde, elle avait décidé d’aller faire du shopping, mais pas au Japon. Elle pouvait très bien faire du shopping dans ce pays. Elle pouvait ainsi obtenir beaucoup de choses inaccessibles au Japon, et c’était en plus moins cher. Dans certains magasins, elle était déjà une habituée, ils lui donnaient donc souvent des extra ou des bonbons.
Oui, je sais que j’ai l’air d’avoir douze ans, bon sang !
« Allez-vous en ville ? », demanda le capitaine.
« Ouais. J’ai quelques courses à faire », dit Mitsuha.
Le capitaine baissa alors la voix.
« Il y a des gens bizarres qui fouinent dans le coin ces derniers temps. Je pense que ce sont des espions d’un autre pays. »
« Que cherchent-ils ? »
« Probablement un moyen d’aller dans l’autre monde, afin d’obtenir des matériaux et des technologies que nous n’avons pas ici. Un de nos crétins a posé vos photos sur notre page d’accueil, et depuis que nous avons commencé à faire des affaires, nous avons échangé ces pièces d’or un paquet de fois. N’importe quel professionnel qui nous regarderait attentivement se rendrait compte que vous êtes passée d’ici à l’autre côté des tonnes de fois maintenant. »
« Je comprends pour les matériaux, mais… la technologie ? Dans un monde d’épées et d’arcs ? »
« Vous savez ce que je veux dire. La magie, la sorcellerie, le vaudou. Peu importe comment vous voulez l’appeler. »
« Ohhh. »
Mitsuha comprenait maintenant.
Ces gens — ou leur nation — voulaient s’assurer les droits sur l’autre monde et peut-être même l’occuper avec leurs forces armées. Ils avaient probablement pensé qu’ils pourraient échanger une pièce de ferraille de vingt-quatre dollars contre un grand terrain, ou un briquet contre des diamants non taillés.
Ils ne savaient pas que le pouvoir de saut de Mitsuha n’était pas quelque chose de scientifique ou un tunnel dimensionnel entre les mondes. Même s’ils la capturaient et lui ordonnaient de les emmener là-bas, elle pouvait simplement sauter toute seule, ou sauter avec eux au sommet d’une montagne gelée en laissant leurs vêtements et leurs armes derrière eux — les possibilités étaient infinies.
Tant qu’elle n’était pas tuée sur le coup, elle pouvait sauter dans l’autre monde pour s’échapper à tout moment, de sorte que les personnes qui n’avaient pas le droit de la tuer ne pouvaient rien lui faire. Même s’ils l’endormaient pour l’interroger plus tard, elle pouvait sauter loin d’eux dès qu’elle reprendrait conscience. Ils ne pouvaient obtenir quelque chose d’elle que si elle était consentante.
Super. Maintenant, j’ai un peu envie de voir ce qui se passerait si je m’échappais en emportant tous les bâtiments avec moi. Cette idée potentiellement gore mise à part… Ils pensent tous que je viens de l’autre monde, et même s’ils découvrent mon vrai nom, je n’ai pas de famille proche. Oh, comme je rirais s’ils essayaient de prendre mon oncle et ma tante en otage. Dans l’ensemble, ce n’est vraiment pas un gros problème.
« Très bien. Je suis sûre que ce ne sera pas un problème, mais faites en sorte que mon nom corresponde à l’histoire que vous avez racontée à tout le monde. Ce ne serait pas bon pour moi si mon vrai nom se répandait trop loin. »
« Euh, ouais… Compris. »
Le fait qu’elle insiste sur son « vrai nom » avait pris le capitaine au dépourvu.
Demande juste au Japonophile de ton équipe, Capitaine. Il saura probablement de quoi je parle.
Un des membres de Wolfgang avait conduit Mitsuha en ville. Les mercenaires s’étaient même disputés entre eux pour savoir qui le ferait, ce qui avait donné à Mitsuha l’impression que son temps était enfin arrivé. Elle aurait pu se rendre en ville en faisant un saut dans le monde, mais comme cela comportait toujours le risque d’être repérée, et que la ville était à moins d’une demi-heure en voiture, elle avait décidé d’accepter le trajet. Trente minutes de bavardage inutile sur la route ne semblaient pas non plus être du temps perdu.
Il n’y avait aucun feu de signalisation sur la route, la distance entre la base et la ville était donc assez directe, environ 30 km de long. Une ruche de mercenaires ne pouvait probablement pas être trop proche d’un établissement civil.
Une fois que le mercenaire déposa Mitsuha, il fit simplement demi-tour et retourna à la base. Il savait qu’une fois qu’elle aurait terminé ses achats, elle retournerait dans « son monde », il n’y avait donc aucune raison de l’attendre.
Pour une raison quelconque, les mercenaires semblaient supposer que, bien que Mitsuha puisse sauter de n’importe quel endroit sur Terre, elle ne pouvait sauter vers leur base que de l’autre monde. Ils pensaient probablement que n’importe quel endroit était bon pour l’initiation du saut, mais que la destination nécessitait une sorte de marqueur, qu’elle avait installé dans la base de Wolfgang.
Qu’ils pensent ce qu’ils veulent. Ça pourrait bien finir par me protéger.
Alors que Mitsuha se promenait en ville, achetant des ingrédients et autres, quelqu’un l’interpella.
« Excusez-moi, jeune fille, avez-vous un moment ? »
Elle s’était retournée pour voir un homme aux cheveux blonds et aux yeux bleus, d’une quarantaine d’années, à l’aura agréable. Il semblait mesurer un peu moins d’un mètre quatre-vingt, et portait un costume sombre. À ses côtés se tenaient deux hommes plus jeunes, également vêtus de costumes sombres.
Est-ce une sorte de règle pour cet équipage ?
« Oui. Qu’est-ce que c’est ? »
Alors qu’elle parlait, la connaissance des langues russe et chinoise affluait dans l’esprit de Mitsuha. Le russe était courant, tandis que le chinois était un peu moins parfait. Il lui avait parlé en anglais, mais elle le maîtrisait déjà, il n’y avait donc aucun changement.
Je suppose que c’est un Russe qui a appris l’anglais et le chinois.
Inutile de dire que Mitsuha lui avait répondu en anglais.
« Je voudrais parler. Puis-je ? » avait-il demandé.
« Hein ? Eh bien, bien sûr, si ça ne prend pas trop de temps. »
L’homme sourit : « Excellent. Que diriez-vous de discuter autour d’un déjeuner ? Laissez-nous vous emmener quelque part. »
Une voiture aussi sombre que leurs costumes se trouvait à l’arrêt derrière eux.
Il est impossible qu’une fille fragile monte là-dedans avec trois hommes à l’air louche et leur chauffeur. Pensent-ils que je ne sais pas grand-chose parce que je ne suis « pas de ce monde » ?
« Je vais devoir passer mon tour. On m’a dit que dans ce monde, il ne faut pas accompagner les gens que l’on ne connaît pas ou entrer dans leur voiture. »
Ils froncèrent les sourcils de frustration, se demandant clairement qui lui avait dit une telle chose.
« Mais ça ne me dérangerait pas de parler avec vous autour d’un thé dans cet endroit là-bas », ajouta Mitsuha tout en le pointant du doigt.
N’ayant pas le choix, les hommes acquiescèrent et suivirent Mitsuha.
Je doute qu’ils aient l’intention de me kidnapper tout de suite. Ils voulaient probablement juste établir un contact cette fois-ci. Mais on n’est jamais trop prudent.
« Euh, cet endroit est… », un des hommes s’était éclipsé, déconcerté.
Bon sang, on se fera tout de suite repérer ici. Les choses qu’ils voulaient gardées secrètes ne le resteront pas longtemps, pensa Mitsuha.
L’établissement était rempli de jeunes filles, et il y avait trois hommes en costume. Comme on pouvait s’y attendre, cela fit d’eux le centre d’attention. Ils étaient venus dans un café spécialisé dans les sucreries, et il jouissait d’une popularité décente parmi les filles du quartier.
Je l’ai évidemment choisi exprès. Ils ne peuvent rien faire de louche ici. Hahahaha !
Mitsuha se dirigea vers un coin de table et s’assit, dos au mur. En général, elle pensait qu’il valait mieux éviter les situations sans issue claire, comme les interactions avec des comploteurs des pyramides, des sectaires ou d’anciens camarades de classe entourés d’amis qu’elle ne connaissait inévitablement pas. Cependant, cette fois-ci, elle était prête à renoncer à sa prudence en raison de son pouvoir de saut dans l’autre monde et de la nature de cet établissement.
Elle appela une serveuse et commanda un ensemble de gâteaux. Deux des hommes prirent un café, tandis que le troisième demanda un sundae à la banane garni de chocolat et de crème fouettée. Les deux premiers l’avaient regardé fixement.
Oh, j’ai compris. Il voulait essayer, mais n’avait pas le courage d’y aller tout seul. Eh bien, monsieur, j’espère que vous l’apprécierez.
« Alors, de quoi voulez-vous parler ? » Mitsuha demanda, ne faisant aucun effort pour garder sa voix basse.
Elle avait l’intention d’insister sur le fait qu’elle ne les connaissait pas, elle était juste une fille qui avait été abordée par des hommes étranges qu’elle ne connaissait pas.
Sa tactique fut super efficace. Un groupe de femmes d’une vingtaine d’années regarda la table de Mitsuha avec stupeur, puis lui jeta des regards répétés en sortant son téléphone de son sac. Les hommes n’avaient pas remarqué cela, car ils regardaient Mitsuha — qui n’avait rien d’autre qu’un mur derrière elle — et ils tournaient le dos aux autres clients.
Comme prévu.
L’air un peu mal à l’aise, l’homme qui l’avait interpellée en premier commença à parler à voix basse.
« Je vais aller droit au but. Êtes-vous la princesse de l’autre monde ? »
Oui, il ne tourne pas autour du pot !
« Oui. Comment le savez-vous ? »
« Oh, très bien ! En fait, nous venons d’un pays qui souhaite établir une relation diplomatique avec le royaume de Votre Altesse. Nous pouvons même envoyer notre armée pour combattre le Roi-Démon ! »
Ouais, ouais. Vous voulez juste mettre votre pied à l’intérieur et ensuite tout prendre par la force. Mais au fait, qu’est-ce que vous voulez de ce monde ?
Les armes modernes devenaient inutiles sans ravitaillement ni entretien, et, quelle que soit leur puissance, ils se battraient sur beaucoup trop de fronts. Les raids nocturnes constants priveraient leurs soldats de sommeil, et quelqu’un pourrait s’infiltrer et empoisonner leur nourriture et leur eau. Ils auraient également du mal à stocker ces vivres, si bien qu’ils brûleraient rapidement ce qu’ils avaient et allaient mourir de faim.
***
Partie 2
« Oh, mais ce problème a déjà été réglé par les héros de ce monde. Tout ce qui reste maintenant est de s’occuper des restes, et c’est quelque chose que les gens de mon monde devraient faire eux-mêmes. », mentit Mitsuha
La surprise des hommes se lisait sur leur visage.
« Ah, vraiment ? Mais que se passera-t-il si un dragon vous attaque à nouveau ? »
« Oh, les attaques de dragons anciens sont une rareté qui arrive une fois tous les quelques siècles. Les dragons adultes sont des créatures douces et intelligentes, et ceux qui attaquent les humains sont juste des jeunes qui font des bêtises. »
C’était ce que m’avait dit un érudit de ce monde.
« Est-ce… comme ça ? »
À ce moment, leurs ordres étaient arrivés. En levant les yeux vers la serveuse et en voyant l’état du café, Mitsuha faillit s’étouffer. Le centre de rencontre pour jeunes filles était rempli de personnes qui n’avaient rien à faire là. Il y avait des hommes éparpillés dans le café, tous portant des costumes sombres et ordinaires qui n’auraient pas été remarqués ailleurs. Il n’y avait pas une seule table de libre, ces hommes avaient donc été obligés de les partager avec les clientes. Ils semblaient se sentir assez mal à l’aise à ce sujet.
Les hommes à la table de Mitsuha l’avaient également remarqué, mais ils avaient donné la priorité à la conversation. S’ils devaient laisser Mitsuha, les autres agents sauteraient sûrement sur l’occasion pour lui parler eux-mêmes. Fermant les yeux sur la situation, ils reprirent la conversation avec Mitsuha.
« Ne serait-il pas mieux pour l’avenir de votre patrie si nous établissions des relations diplomatiques… ? »
« Лояльность к Родине. »
« Hein ?! »
Les trois hommes avaient l’air absolument sidérés.
« On m’a dit que ce sont les mots souvent prononcés par Ivanov, un héros renommé et célébré dans mon pays. Il est connu entre autres pour avoir sauvé la vie de mon arrière-grand-père. Apparemment, cela signifie “Loyauté envers la mère patrie”. »
Les trois hommes clignèrent des yeux, leurs joues rougissant.
« Il est de notre pays ! », s’écria l’un d’eux.
Tout le monde dans le café s’était retourné pour le fixer.
Maintenant, ça devient intéressant.
« Quoi ? Ivanov est de ce monde ? Le Ivanov ? »
« Oui ! Ce nom… ces mots… Il doit être de notre pays ! »
Les agents étaient aux anges.
« Alors, connaissez-vous ses armes divines légendaires ? “L’Avtomat Kalashnikov-47”, le “Tokarev”, et le “Godlightning, Arrpeegee-7” ? »
« Oui, oui, OUI ! »
Ils étaient presque en train de pleurer à ce moment-là.
« Cette rencontre a dû être déterminée par votre ancêtre et notre héros ! Nos pays devraient certainement établir une bonne relation ! »
L’homme plus âgé essaya de se pencher en avant et de prendre la main de Mitsuha, mais un autre homme l’avait brusquement interrompu.
« Puis-je avoir un moment ? », demanda-t-il.
Les agents à qui Mitsuha avait parlé jetèrent un regard furieux à l’abruti et à ses associés. D’après ce qu’il semblait, les nouvelles personnes sentaient que la conversation prenait une tournure défavorable et avaient décidé d’intervenir avant que leur concurrent ne prenne de l’avance.
« Votre Altesse, seriez-vous prêt à parler avec nous aussi ? »
Mitsuha sourit à l’intrus.
« Oui, bien sûr ! Mais je ne veux pas répéter les mêmes choses. J’aimerais vraiment que nous puissions régler tout cela en une seule fois. »
Les hommes qui l’avaient attrapée en premier serrèrent les dents de colère. Tous les autres hommes de la pièce s’étaient levés et s’étaient dirigés vers leur table, se rassemblant autour de Mitsuha. Incapables de rester là à regarder des dizaines d’hommes entourer une jeune fille, les autres clients avaient tous sorti leurs téléphones. Ils allaient vraisemblablement appeler la police. Certaines des filles s’étaient même préparées à sauver Mitsuha en saisissant des couteaux à gâteau et des fourchettes dans leurs mains.
Les hommes, cependant, étaient trop concentrés sur Mitsuha pour réaliser ce qui se passait autour d’eux. Ils avaient également supposé que les citoyens normaux ne feraient pas d’efforts pour s’impliquer dans quelque chose comme ça et feraient plutôt semblant de ne rien voir.
De plus, les hommes n’avaient pas l’impression de faire quoi que ce soit d’illégal. Et avec ces pensées en tête, ils en avaient oublié où ils étaient et comment la situation aurait pu se présenter. Entourer une fille qui ne semblait pas avoir plus de douze ans les rendait plus que suspects, au point de justifier un appel à la police.
« Eh bien, il y a maintenant beaucoup de gens. Et si vous voulez mon avis, bien trop pour cet endroit. Je pense que nous devrions parler à une date ultérieure, et dans un meilleur environnement. Je m’assurerai de rester en contact, pouvez-vous donc me donner vos coordonnées ? »
Ses interlocuteurs avaient rapidement sorti leurs cartes de visite et les avaient remises à Mitsuha. L’agent qui avait approché Mitsuha en premier avait l’air extrêmement agité, mais il croyait toujours avoir le dessus. Il s’était dit qu’il pourrait lui reparler une fois que tous les autres agents seraient partis, ou passer un accord pour se rencontrer en secret. Après tout, le bienfaiteur de son ancêtre était de son pays.
Mais au moment où cette pensée lui traversait l’esprit…
« Est-ce de là que viennent tous les appels ?! », cria quelqu’un.
C’était l’un des douze policiers qui faisaient irruption dans le café. Il y avait eu tellement d’appels concernant une fille entourée d’hommes que tout un groupe de voitures de patrouille était arrivé sur les lieux. Après avoir balayé la pièce du regard, les officiers devinrent agressifs.
« Ne bougez pas ! Petite dame, connaissez-vous ces gens ? »
Mitsuha répondit agréablement : « Non, je ne les connais pas. Ils m’ont interpellée au milieu de la rue, ils m’ont dit de monter dans leur voiture pour parler et déjeuner, mais j’avais un mauvais pressentiment, alors j’ai dit que je voulais plutôt aller ici. »
Pas un seul mot de tout cela n’était un mensonge.
Les autres clients avaient été impressionnés par le tact de la jeune fille et soulagés d’avoir fait le bon choix en signalant l’incident. Tous les agents autour de Mitsuha ne savaient plus quoi dire bouche bée. Les officiers leur lançaient des regards féroces.
Si les regards pouvaient tuer…
Après que tous les agents furent emmenés, Mitsuha fut interrogée puis relâchée. Les filles qui avaient signalé l’incident l’avaient avertie de ne pas se promener seule, puis lui offrirent un parfait.
Les agents firent l’objet d’une enquête approfondie. On vérifia leurs identités et on prit leurs empreintes digitales — ils ne s’amusaient pas beaucoup. Les seuls agents qui avaient appelé Mitsuha et l’avaient amenée au café étaient les trois premiers, et ceux qui étaient venus après avaient insisté sur le fait qu’ils n’étaient que des passants inquiets qui avaient voulu intervenir. Cependant, ils étaient toujours suspects, avaient donc été signalés à la sécurité publique.
Quant aux forces de l’ordre, elles étaient ravies d’avoir acquis autant de données sur les agents étrangers en une seule fois. Parce qu’ils avaient été capturés, les détenus avaient essentiellement perdu leur valeur en tant qu’agents. Aussi mauvais que cela puisse être, il aurait quand même été préférable de conserver leur identité que de vouloir kidnapper une petite fille.
◇ ◇ ◇
Quelques jours plus tard, tous les agents reçurent une invitation à une réunion par e-mail.
Oh, la princesse était donc sérieuse, pensèrent-ils.
L’invitation les avait surpris, car ils pensaient qu’elle avait inventé une histoire pour gagner du temps jusqu’à l’arrivée des agents. En y repensant, la princesse n’avait pas menti aux agents, et ce n’était pas elle qui les avait appelés.
Peut-être était-elle simplement honnête ? Peut-être qu’il n’y avait aucune malice dans tout cela, pensèrent-ils.
Évidemment, ce n’était pas le cas.
Les trois agents qui l’avaient approchée en premier lieu pensaient également quelque chose de ce genre. Après tout, rien de ce que la princesse avait dit n’était techniquement faux. Ils pensaient qu’elle ne connaissait pas les coutumes de ce monde et n’avait aucune idée de la portée de ses propres paroles. Plus important encore, le grand héros de la patrie de la princesse venait de leur pays. Il n’y avait aucune raison de douter qu’ils avaient le dessus.
« Dans trois jours à la base des mercenaires, hein ? »
◇ ◇ ◇
Trois jours s’étaient écoulés depuis l’envoi des invitations. La salle de réunion stratégique de la base de Wolfgang était presque entièrement remplie. Il y avait assez de sièges pour tous les membres de Wolfgang, mais ceux qui y étaient assis étaient des représentants de pays du monde entier. Parmi eux se trouvaient des mercenaires agissant comme gardes du corps de Mitsuha. Les pays d’origine des agents du café n’étaient pas les seuls à être représentés — Mitsuha en avait invité beaucoup d’autres.
La réunion était soudaine et non officielle, il y avait donc peu de gros bonnets parmi les participants. La plupart d’entre eux étaient des dirigeants d’agences d’information accompagnés de leurs subordonnés les plus fiables. Bien que les bureaucrates plus influents des affaires étrangères aient beaucoup de pouvoir discrétionnaire, ils ne venaient pas à de telles réunions avant que les choses n’avancent.
Une fois que tout le monde s’était réuni, Mitsuha commença.
« À toutes les personnes ici présentes, merci d’être venu jusqu’ici. Nous sommes ici pour négocier des relations diplomatiques entre mon territoire et le vôtre. Comme je l’ai mentionné dans l’invitation, nous allons commencer par un tribut d’hommage. »
Un tribut était normalement quelque chose qu’un pays plus faible donnait à un pays plus puissant, qui lui rendait ensuite quelque chose de plusieurs fois plus précieuses. Cependant, Mitsuha détourna cette tradition en sa faveur.
Les représentants lui rendaient tous hommage, mais elle ne répondait qu’à celui qui lui donnait ce qu’elle préférait. Son paiement serait surtout symbolique et n’aurait que peu de valeur, l’essentiel étant l’honneur d’avoir été choisie. Il ne donnerait pas non plus d’avantage au gagnant dans les négociations. Elle les menait bien en bateau.
Et bien que la récompense matérielle ait peu de valeur, ils étaient tous déterminés à entrer dans les bonnes grâces de la princesse extraterrestre. Bijoux, robes, titres honorifiques… les choses qu’ils avaient apportées étaient sans fin. Pour éviter les idées préconçues et garder les choses équitables, les participants n’avaient pas dit quels pays ils représentaient. Malgré cela, Mitsuha en connaissait certains sans que personne n’eût à le lui dire.
Les représentants avaient étouffé un rire en voyant un pays particulier lui présenter avec suffisance un fusil d’assaut AK-47, un pistolet Tokarev et un RPG-7. Leurs rires étaient justifiés, car il s’agissait d’armes qui avaient connu leur pic de popularité il y a bien longtemps. Elles ne valaient presque rien, mais l’homme qui les avait remises était plutôt très confiant. Pourtant, même cela n’était pas suffisant pour faire démonter Mitsuha.
Finalement, ce fut au tour d’un certain pays en voie de développement.
« Ce sont les certificats de deux vieux navires en bois et à rames. Les deux font quarante-deux pieds de long et dix pieds de large. »
Les rires résonnèrent dans la salle.
« Vraiment ?! », cria Mitsuha.
Les rires s’arrêtèrent.
« Oh, mon Dieu… Comment avez-vous su que je voulais ça ?! »
« Notre pays est un pays sans argent ni spécialités, mais nous voulions quand même vous faire plaisir, nous avons donc demandé aux mercenaires ce que vous aimeriez, et ils avaient mentionné que vous vouliez un bateau en bois. »
« Oui, oui, je le voulais ! Je le voulais vraiment ! Oh, nous pouvons enfin commencer à pêcher en mer. Ils feront l’affaire jusqu’à ce qu’on puisse commencer à fabriquer nos propres bateaux ! »
Au lieu de montrer leur richesse ou leur technologie, ces représentants lui avaient simplement donné quelque chose qu’ils pensaient qu’elle aimerait. Mitsuha avait grandement apprécié leur considération.
Petits ou pas, les pays sincères sont vraiment formidables !
En voyant son excitation, certains représentants des grands pays commencèrent à paniquer et à tenter de lui vendre des vaisseaux « plus grands et meilleurs », mais elle refusa. Elle leur dit qu’elle n’avait pas besoin de navires que ses citoyens ne pourraient pas faire fonctionner, entretenir ou utiliser comme référence pendant la construction.
Au final, le pays gagnant fut la petite nation qui lui offrit les navires. Leur prix était un couple de lapins à cornes, une décoration faite d’un étrange métal différent de tout ce qui existait sur Terre, et deux billets pour un voyage de trois jours dans l’autre monde. Les prix n’avaient aucune valeur pour Mitsuha, mais les personnes présentes dans la salle avaient le regard fixe, comme si elles tueraient pour les posséder.
Ils avaient tous compris que les bijoux et les robes n’étaient pas les bonnes stratégies, mais il était trop tard.
Ce n’est pas que je n’aime pas avoir des bijoux. Je peux les vendre pour une jolie somme. J’ai juste l’impression que développer mes terres est bien plus important que l’argent en ce moment. Bref, il est temps de terminer le rite et de commencer pour de bon.
« Maintenant, parlons. Tout d’abord, pourquoi tenez-vous tant à établir une relation diplomatique avec nous ? »
« Hein, quoi ? »
Son public n’avait pas tout à fait compris.
« Tout d’abord, bien que j’ai eu un statut remarquable dans un pays, je suis maintenant sous l’aile d’un autre. Ils m’ont donné un petit territoire à gérer, mais c’est tout. En fait, je n’ai de réel pouvoir que dans mon propre pays. Je ne peux pas négocier avec d’autres pays, conclure des contrats ou inviter des militaires sur nos terres sans la permission expresse de Sa Majesté le roi. »
Ils avaient tous eu l’impression que Mitsuha était la princesse actuelle, aussi ses paroles furent pour eux un choc.
« Mais… qu’en est-il de la bataille contre l’armée du Roi-Démon ? »
« À l’époque, nous étions à court de temps et d’options, j’ai donc dû engager des volontaires… des héros de ce monde. Leur récompense n’était rien d’autre que de la gratitude. Aujourd’hui, je ne suis qu’un dirigeant local de bas niveau. »
« Alors qu’en est-il des relations diplomatiques ?! »
« Encore une fois, je n’ai pas le droit de prendre de telles décisions, et je ne peux certainement pas autoriser les gens d’autres pays à nous rendre visite », répondit-elle d’un ton posé.
Ils commençaient tous à réaliser que les circonstances étaient complètement différentes de ce qu’ils avaient imaginé.
« Alors, pourriez-vous faire un effort pour nous présenter au roi ? »
« De quoi avez-vous l’intention de lui parler ? »
« De quoi, des choses comme la diplomatie, les ambassades, et le commerce, bien sûr. »
« Et comment feriez-vous cela ? »
« Hein ? »
« Je n’ai vraiment aucune idée de la façon dont vous prévoyez de commercer ou d’envoyer vos ambassadeurs. Vos pays ont-ils beaucoup de personnes capables de sauter d’un monde à l’autre ? Et ont-ils la capacité de conserver leur force vitale lorsqu’ils transportent des objets ou d’autres personnes ? »
La salle s’était tue.
***
Partie 3
« Oh, vous pensiez que j’allais tout transporter pour vous ? Cela me tuerait en un rien de temps. Et que feriez-vous si je mourais ? »
Après quelques instants, quelqu’un prit la parole.
« Euh… est-ce que quelqu’un d’autre a ce pouvoir ? »
« Mon pouvoir m’a été donné par un dieu errant qui est passé par mon monde. Je suis la seule à pouvoir le faire, et je ne peux pas le révéler sans y avoir réfléchi ».
La réponse de Mitsuha ne laissait aucune place à l’espoir.
« Umm, vous pouvez les récupérer. »
En entendant parler des troubles entourant les sauts mondiaux à grande échelle, le représentant qui lui avait donné les bateaux tenta de lui rendre ses billets.
Il n’y a aucune chance qu’il soit un agent. Il est trop gentil pour ça, pensa-t-elle
« Ne vous inquiétez pas pour ça. Le fardeau de prendre une ou deux personnes avec moi se récupère avec le temps. Et les navires sont plus que suffisamment précieux pour que je sacrifie un peu de ma force vitale. »
En entendant cela, un homme s’était levé.
« Alors s’il vous plaît, emmenez-nous dans votre pays ! En tant qu’homme de la patrie du héros, je veux que nous établissions un contact et formions une alliance ! »
Les autres n’avaient aucune idée de ce dont il parlait. Il les avait ignorés et continua : « C’est sûrement ce qu’il y a de mieux à la fois pour le bien de votre patrie et de la Russie ! »
« “Russie” ? Est-ce le nom de votre pays ? », demanda Mitsuha.
L’homme se rendit compte qu’il ne l’avait pas encore dit. Il doit travailler dans les renseignements. Il a probablement pris l’habitude d’éviter de dire son nom ou celui de son pays à la légère, pensa-t-elle.
« Oui, désolé de ne pas l’avoir dit avant, mais mon pays s’appelle la “Fédération de Russie” ! »
« Attendez, quoi ? »
Mitsuha feignit la surprise. Le représentant russe ne savait pas quoi penser de son expression.
« Vous m’avez trompé ! Ce n’est pas de là que vient le Grand Héros Ivanov ! »
Il tressaillit devant sa soudaine sortie, attendant ses prochains mots.
« Le pays d’Ivanov s’appelait “Union des Républiques Socialistes Soviétiques” ! »
« Ohh, oui, c’est l’ancien nom de la Fédération de Russie. Il a simplement été changé », répondit-il.
« Hein ? Avez-vous simplement changé le nom ? Vous n’avez pas eu d’invasion, de rébellion, d’usurpation ou autre ? »
« Non. Notre pays était la Russie au début, mais il a ensuite fusionné avec quelques autres pour devenir l’Union soviétique. Puis il est redevenu la Russie. »
Mitsuha simula le soulagement.
« Ah, donc c’est ça. Notre héros a dit qu’il était de la région “Ukraine” de l’URSS. Donc maintenant c’est la région de l’Ukraine de la Fédération de Russie… Je vois, je vois. »
Immédiatement, quelques représentants s’étouffèrent avec leurs boissons ou les recrachèrent. Puis vinrent les chuchotements.
« Ukraine… »
« Invasion de la Crimée… »
Mitsuha désigna l’un d’entre eux.
« Vous, là ! S’il vous plaît, dites-moi de quoi ils parlent ! »
L’homme retint un gloussement et fit de son mieux pour expliquer.
« Eh bien, l’Ukraine est un pays qui a souvent été oppressé par la Russie dans son histoire. Il y a eu un grand massacre à l’époque. Même récemment, la Russie a envahi la péninsule ukrainienne de Crimée, mettant le pays en état de guerre. »
Le représentant russe jeta un regard furieux à l’orateur tandis que Mitsuha regardait le Russe avec des yeux de marbre. Tout était bien sûr planifié.
Bien sûr que j’étais au courant pour l’Ukraine.
« Vous m’avez menti. »
« Err, non ! Ce n’est pas ce que je… »
Sa voix s’était éteinte.
Maintenant qu’elle l’avait publiquement humilié, elle pouvait complètement ignorer tout ce qu’il disait. Aux yeux de son public, il avait essayé de tromper la princesse, et il appartenait à une nation qui avait opprimé la patrie de son héros.
Il semblerait que les Russes seraient les plus tenaces de la bande, alors j’ai trouvé une raison de les ignorer. Et mon plan a parfaitement fonctionné. Vive moi !
« Maintenant, revenons à la question de la diplomatie. Même si nous commencions à commercer, nous ne pourrions rien échanger en grande quantité. Je suis sûre que vous pensez pouvoir faire un profit sur quelque chose d’insignifiant, mais je connais le marché de ce monde, donc vendre quelque chose comme des briquets jetables pour une pièce d’or chacun ne marcherait pas.
Ensuite, il y a ce que nous avons à offrir : du blé à petits grains et de mauvaise qualité, de maigres quantités de poisson, du gibier brut qui ne répond probablement pas aux normes de sécurité de ce monde… Il n’y a pas de demande pour tout cela ici, hein ?
Je ne peux pas permettre le commerce incontrôlé des biens de ce monde, ou de vider mon monde de son argent et de ses pierres précieuses. Cela pourrait détruire des industries ou l’économie dans son ensemble, et vous pourriez difficilement appeler cela du commerce. Il n’y a aucune garantie que je n’aurai pas un accident ou que je ne tomberai pas malade quelque part, je n’ai donc pas l’intention de prendre le rôle lourd de médiateur et de cheval de trait, en allant relier des pays entiers.
Cela étant dit, que voulez-vous que je fasse ? Faites en sorte que ce ne soit pas au détriment de moi ou des nations de mon monde. »
Quelques murmures se firent entendre dans la salle, mais sinon, personne ne semblait avoir d’idées.
Ce fut alors que le représentant d’un autre petit pays prit la parole.
« Umm, seriez-vous en mesure de nous donner des échantillons de minerai et d’animaux ? »
Les autres s’illuminèrent. Des animaux inconnus, des métaux non découverts… Ces seuls éléments pouvaient générer d’immenses quantités de richesses. Même le dragon que Wolfgang avait amené dans ce monde était encore une mine d’or de découvertes.
« Oh, je suis d’accord sur ce point. Très bien, je vais donner quelques échantillons à votre pays et à celui qui m’a donné les navires. S’il vous plaît, revenez me voir si vous découvrez quelque chose. », dit Mitsuha.
« O-Oui, certainement ! »
Les deux personnes qui recevraient les échantillons étaient ravies, laissant les autres dans l’amertume et la perplexité.
« Attendez, s’il vous plaît ! Vous avez besoin d’une technologie avancée pour manipuler les animaux correctement ! Vous devriez les donner aux grandes puissances. Notre infrastructure de prévention des épidémies pourrait gérer toute bactérie ou tout parasite étranger potentiel qu’ils pourraient avoir ! », dit le représentant américain.
« Oh, il n’y a pas besoin de s’inquiéter à ce sujet. Je m’assure toujours de sauter sans bactéries, virus ou parasites malveillants. Vous auriez seulement à empêcher les animaux de s’échapper et de se multiplier dans la nature. »
Mitsuha révéla ce fait comme si c’était sans importance.
C’était la raison pour laquelle elle ne s’inquiétait jamais de propager des agents pathogènes chaque fois qu’elle sautait. Le manuel de saut dans le monde que « l’être » avait installé dans son cerveau traitait ce sujet en détail.
« Elle peut faire quoi ? », dirent quelques personnes.
L’un des membres du public — un homme âgé — s’était levé. Il n’avait pas l’air de faire partie d’une agence de renseignement. La meilleure supposition de Mitsuha était qu’il travaillait dans les affaires étrangères.
« Votre Altesse, humm… Si une personne souffrant d’une infection, d’une maladie virale, d’un poison ou d’une substance toxique sautait dans un autre monde avec vous et que vous faisiez en sorte que les agents pathogènes et tout ce qui est nocif restent derrière… que lui arriverait-il ? »
« Quoi ? »
C’était au tour de Mitsuha d’être surprise. Elle n’y avait même pas pensé.
La personne malade sauterait dans l’autre monde, laissant ses agents pathogènes et ses substances nocives derrière elle, non ? Ahh ! J’aurais dû y penser quand Margaret était malade !
Mitsuha s’était pris la tête dans les mains, une ambiance pesante enveloppa alors la pièce.
Oh non ! Si ça se propage, ça va secouer la terre ! Je ne suis pas idiote au point de ne pas voir les implications potentielles de mon saut dans le monde sur les personnes malades. Je dois m’assurer qu’ils ne disent pas un mot à qui que ce soit ! Mais comment ? Ce sont des agents secrets du monde entier !
« Tout le monde, écoutez ! Il ne s’est rien passé à l’instant, d’accord ? Vous n’avez rien entendu ! », dit Mitsuha d’une voix brisée.
Des perles de sueur perlaient sur son front.
« J’interdis à quiconque ici de mentionner cela à qui que ce soit, même s’il s’agit de votre supérieur ou de quelqu’un d’encore plus haut que lui !
Si l’une des élites de vos pays me contacte à ce sujet, je mettrai votre nation sur une liste noire mondiale afin que vous ne puissiez pas avoir de technologie ou d’informations liées à l’autre monde. Et si votre pays tente d’en obtenir malgré tout, il sera traité de la même manière. Vous n’aurez pas accès aux recherches concernant le dragon ou quoi que ce soit d’autre, et vous n’aurez pas le droit d’interagir avec moi. Toute personne essayant de servir de médiateur pour vous recevra le même traitement. Cependant… »
Mitsuha prit une profonde inspiration.
« … Si vous gardez tous ce secret, et que quelque chose arrive à l’un des membres de votre famille, je promets d’essayer le traitement du saut de monde sur eux. Mais si le secret est divulgué, je reviendrai sur ma promesse, car votre silence sous serment n’aura plus de sens après cela. Si cela se produit, je n’utiliserai jamais, jamais mon saut dans le monde pour traiter l’un d’entre vous, vos familles, vos représentants du gouvernement ou vos agents d’information. »
Elle s’était arrêtée pour réfléchir un moment.
« Oh, mais ça ne me dérangerait pas de recommencer à récompenser votre silence à une condition : le coupable de la fuite et tous ceux qui ont entendu le secret doivent être morts, et je dois recevoir la preuve concrète qu’il n’y avait plus aucun enregistrement ou quoi que ce soit. »
Un silence suivit cela.
Les représentants échangèrent des regards. Ils savaient qu’ils étaient tous fichus si l’un d’entre eux rapportait cela à ses supérieurs, et tous tenaient à leur famille. Alors que les vétérans des agences de renseignement seraient capables de garder le silence, les gratte-papiers et les politiciens — qui ne seraient plus que des civils s’ils perdaient les élections — sauteraient sur l’occasion en un clin d’œil, et peut-être même pas pour leur famille. Ils sentiraient juste l’argent qu’il y a dedans.
Et si le secret s’ébruitait… ces gens-là pourraient tuer facilement. Si ce n’est pas pour eux-mêmes, alors ce sera pour leurs familles.
Je suis sûre qu’ils garderont tous leur bouche fermée. En considération de l’avertissement que j’ai donné, c’est aussi dans l’intérêt de leurs pays.
Mitsuha avait ensuite tenu une réunion privée avec les deux représentants à qui elle avait promis des échantillons, et ils eurent eu une discussion animée sur les rouets et d’autres choses qui pourraient être utiles à son comté. Comme elle l’avait prévu, ses interactions avec les personnes des pays en voie de développement lui apportèrent davantage que celles des pays industrialisés. Elle était heureuse d’avoir fait l’effort de les inviter. Leurs nations avaient même envoyé des travailleurs et des ministres des affaires étrangères au lieu d’agents de renseignements. Les petits pays avaient été plus que disposés à tout faire correctement pour cette réunion.
Ensuite, Mitsuha demanda à tout le monde de la contacter uniquement par l’intermédiaire du capitaine mercenaire et d’arrêter d’essayer de la rencontrer ou de la suivre en ville. Elle poursuivit en avertissant que les pays qui défiaient ces ordres seraient complètement ignorés à partir de maintenant. Elle sentait qu’elle pouvait maintenant voyager dans les villes de la Terre en paix, et comme ils étaient convaincus qu’elle venait d’un autre monde, Mitsuha Yamano, la jeune Japonaise, serait également en sécurité.
Elle n’était pas convaincue que les grandes puissances mondiales se comporteraient bien, mais pour l’instant, sa position sur Terre était assurée, aussi décida-t-elle de se concentrer à nouveau sur son comté et ses affaires financières. À présent, elle avait séparé ses gains en tant que vicomte et l’argent qu’elle gagnait elle-même, traitant le premier comme le budget de son comté et utilisant uniquement le second pour atteindre son objectif d’économiser 80 000 pièces d’or pour sa retraite. Il s’agissait essentiellement de comptes séparés.
Le comté de Yamano n’était pas dans une position où il serait impliqué dans un combat avec un voisin. Il ne possédait pas non plus de sol fertile, de ressources souterraines ou de valeur militaire, et pour couronner le tout, il était assez petit. Mitsuha n’avait pas à s’inquiéter des dangers extérieurs, elle pouvait donc se concentrer entièrement sur le gain d’argent.
Très bien ! Je vais me rapprocher de mon objectif !
Du moins, c’était ce qu’elle pensait qu’il allait se passer.
Il n’y a pas de fin à ça, n’est-ce pas ?!