Chapitre 15 : Récompenses
Partie 2
Quelques jours s’étaient écoulés après la cérémonie de remise des prix. Mitsuha tenait son magasin comme d’habitude, mais les nombreux clients qui passaient sans rien vouloir acheter lui rendaient la vie plus difficile. Ce n’était pas comme si elle avait quelque chose contre eux, avec ses prix scandaleux, il fallait s’attendre à ce que certaines personnes reviennent encore et encore avant de se résoudre à faire un achat. Mitsuha voulait les chérir tout autant.
En entendant parler des actes de Mitsuha et de son nouveau statut de noble, Sabine s’était attachée à elle encore plus qu’auparavant. Cependant, la fréquence des clients — surtout ceux qui n’étaient là que pour parler avec Mitsuha — faisait bouillir le sang de la princesse. Elle n’avait plus du tout la possibilité de regarder ses précieux DVD.
Quant à Mitsuha elle-même, elle ne se plaignait pas vraiment des gens ordinaires. La plupart voulaient simplement voir la sauveuse du pays et lui exprimer leur gratitude. Les nobles et les marchands, en revanche, étaient beaucoup plus difficiles à traiter. Et bien que ses ventes aient augmenté, ce n’était pas proportionnel à la croissance de la clientèle.
Merde, je devrais vraiment repenser mon inventaire.
Ayant envie de changer de rythme, Mitsuha avait décidé de faire un voyage. On pourrait dire que le mot n’était pas tout à fait approprié, puisque le trajet jusqu’à sa destination ne prenait qu’un instant — juste un saut sur Terre et un retour.
En cette occasion particulière, elle s’était rendue au village de Colette. Ce n’était pas comme si elle avait oublié de le visiter. Il y avait simplement une grande distance entre le village et la capitale, ce qui signifiait qu’elle devait espacer ses visites pour ne pas se trahir.
« Hé, Colette ! Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus ! »
Mitsuha avait été accueillie comme l’une des leurs. Cela aurait très bien pu être à cause des souvenirs qu’elle avait apportés avec elle, mais elle voulait croire que ce n’était pas le cas.
Les villageois n’avaient pas encore entendu parler de ce qui s’était passé dans la capitale. Alors que les seigneurs locaux employaient des messagers pour les informer des événements majeurs, les roturiers devaient compter sur les marchands ambulants et les cochers ou passagers pour obtenir leurs informations. Même à cette époque, il était encore trop tôt pour qu’un voyageur soit arrivé depuis l’invasion. Le comte Bozes était encore dans la capitale, et les soldats envoyés au combat sur le front étaient en train de rentrer triomphalement chez eux.
Même s’ils n’avaient pas vraiment combattu, ils avaient techniquement gagné en étant simplement du côté des vainqueurs. Qu’ils soient « triomphants », dis-je.
Mitsuha avait ensuite raconté à Colette et à ses parents — Arlène et Tobias — ses exploits dans la capitale, en omettant de parler de l’invasion. Elle avait mentionné qu’elle avait ouvert un magasin, qu’elle avait aidé à organiser une fête, etc. Elle avait veillé à minimiser les détails, laissant entendre que son magasin était petit et qu’elle louait simplement le bâtiment, ou insistant sur le fait qu’elle n’était en aucun cas l’hôte de la fête. Elle avait cependant fait de son mieux pour ne pas dire trop de mensonges. Après tout, le village pouvait être visité par quelqu’un de la capitale à tout moment.
Je suis peut-être trop prudente, mais cela compense le fait de ne pas être trop grande… Agh, à quoi je pense ? !
Tout le monde était immensément heureux pour elle. Même avec toutes ces banalités, les réalisations de Mitsuha étaient considérées comme très réussies selon les normes des villageois. Elle s’était rendue dans la ville où elle voulait aller, y avait ouvert un magasin en un rien de temps, et gagnait maintenant assez d’argent pour se débrouiller seule. Il était normal que la foule des agriculteurs soit captivée.
Ils avaient informé Mitsuha qu’un soldat était venu demander de ses nouvelles et cela les avait beaucoup inquiétés.
Bien sûr qu’ils se pencheraient sur moi, pensait-elle. Je suis une étrangère ayant une histoire suspecte qui traîne avec la princesse.
Mitsuha balaya leurs soucis et les convainquit vite que le soldat ne cherchait qu’à en savoir plus sur quelqu’un qui louait une maison dans la capitale.
Je suppose que les agriculteurs n’ont pas le sens de se demander pourquoi un vrai soldat serait impliqué dans une telle affaire. Oh, euh, oups. C’est ma faute, les gars.
Elle s’était arrangée pour passer la nuit dans le cadre routinier de la « voyageuse fatiguée ». Après avoir parlé avec les villageois, elle passa le reste de son temps à jouer avec Colette. La plus jeune fille avait même été dispensée de ses tâches agricoles pour cette occasion spéciale.
Mitsuha quitta le village le jour suivant. Tout le monde voulait qu’elle reste plus longtemps, mais elle leur avait dit qu’elle s’était simplement arrêtée en chemin pour voir ce que les villages de bord de mer voisins avaient à offrir. Une fois que Colette l’avait forcée à promettre qu’elle reviendrait dans le cadre de leur rituel habituel, Mitsuha s’était dirigée vers la mer.
Si j’y vais une seule fois, je pourrais facilement y revenir quand je le voudrais. De toute façon, je veux voir quels types de produits sortent des mers de ce monde.
Elle avait brièvement envisagé de rencontrer Béatrice Bozes, mais s’y était opposée. Le comte était encore dans la capitale, et Mitsuha le verrait sûrement plus tard. Si elle rencontrait Béatrice et que la jeune fille racontait ensuite à son père leur rencontre, il remarquerait la contradiction. Afin de parer à toute demande étrange, elle avait convaincu la royauté et la noblesse que la « traversée » était une technique qui ne valait la peine d’être utilisée que dans les cas les plus rares. Elle ne voulait pas se la gâcher.
Lors de son audience officielle avec le roi, Mitsuha avait prétendu être compétente en matière de traversée, mais elle ajouta que la remise de la lettre de remerciement du royaume et de l’argent seul lui coûterait une grande force vitale. Les nobles lui avaient témoigné une immense sympathie, quelqu’un lui avait même murmuré : « Je la croyais petite pour une enfant de douze ans. Il semble que cette technique en soit la cause. »
Attendez, je peux à peine passer pour une fille de douze ans ?! avait-elle pensé amèrement. Et ne détourne pas le regard de moi, espèce de petit…
Il est également important de noter que Mitsuha avait expliqué que le voyage de retour de Wolfgang s’était effectué automatiquement suite à la traversée lors du premier lancer.
Finalement, Mitsuha était arrivée dans un petit village de bord de mer à peu près de la même taille que celui de Colette.
Le comte Bozes n’est-il pas un noble puissant ? Ou est-ce que tous les villages ont la même taille ? Le centre du territoire des Bozes est une véritable ville, mais même cela n’est pas un sujet de conversation.
Si l’on considérait l’absence de famine et de trafic d’enfants dans le village de Colette, il s’agissait probablement d’un endroit prospère. Mitsuha avait trouvé impressionnant le fait que le village pouvait facilement subvenir aux besoins d’une étrangère errante comme elle.
Le comte Bozes doit faire un excellent travail… et maintenant que j’y pense, l’appeler « le village de Colette » donne l’impression que c’est Colette qui dirige. Eh bien, je ne suis pas très bonne pour me souvenir des noms, alors autant continuer à l’utiliser. Je ne me souviens même pas du nom de l’empire qui nous a attaqués. Eh bien, le messager qu’on a snipé l’a probablement dit, mais peu importe.
Pour Mitsuha, « Le père d’untel » pouvait rester « le père d’untel ». Le nom était gravé quelque part dans sa mémoire, mais elle ne se sentirait pas gênée si cela lui échappait. Elle ne se souvenait même pas des noms du propriétaire du restaurant ou du commerçant pompeux. « Propriétaire du restaurant » et « commerçant pompeux » lui suffisaient. S’il arrivait que deux personnes fassent affaire, elle se contentait de « propriétaire A » et « propriétaire B ».
Même le village de bord de mer serait pour elle un « village de pêcheurs », bien qu’il abritait des industries autres que la pêche. Elle avait appris peu après son arrivée que le poisson pêché ici était soit vendu localement, soit exporté vers les villages voisins, soit expédié vers les magasins de la ville centrale du comté. Mitsuha avait envisagé de leur dire de trouver un endroit pour la vente directe, mais il lui était venu à l’esprit que cela éloignerait les magasins des affaires. Les commerçants étaient également locaux, et donc pleinement imposables.
Vous les faites aussi mariner et sécher, hein ? Et vous en vendez même certains à la capitale ? Hmm. Ce sont vos bateaux de pêche ? C’est vrai ? Je vois, je vois. Très bien, ça suffit pour aujourd’hui !
Satisfaite, Mitsuha sauta chez elle au Japon. Elle vérifia ses e-mails et sa boîte aux lettres, puis elle partit faire des provisions d’ingrédients et de produits de première nécessité.
C’est vrai qu’avoir une voiture peu aider quand on achète beaucoup !
Elle avait également fait des rondes dans son quartier pour faire une apparition. Les gens s’inquiétaient s’ils n’avaient pas de nouvelles d’elle pendant trop longtemps. Après tout, c’était une enfant vivant toute seule.
Hé, j’ai dix-huit ans, et je peux passer pour une fille de quinze ans au Japon ! Oh, je suis encore une mineure à cet âge ? Merde, vous m’avez eue.
◇ ◇ ◇
Finalement, le jour où Mitsuha recevait son titre était arrivé. D’ailleurs, elle n’était pas la seule à recevoir cet honneur. Si l’anoblissement comme récompense était rare, un certain nombre de nobles avaient perdu leur titre pour leur trahison ou leur refus de répondre à l’appel aux armes, et leurs postes devaient être pourvus.
Bien entendu, il s’agit d’un cas particulier. Si les gens recevaient trop souvent des titres de noblesse, il n’y aurait que des élites de haut rang partout.
La couturière excentrique avait terminé la robe que Mitsuha avait demandée dans les délais impartis. Après avoir entendu que sa cliente avait été convoquée à une cérémonie royale dans un autre pays, la dame avait passé une nuit entière à confectionner la robe. Elle s’était même prosternée devant Mitsuha, la suppliant de l’accompagner, mais bien sûr, Mitsuha ne pouvait pas la prendre.
Une autre fois, peut-être. Je me demande ce qui est arrivé à mon autre robe ? Elle est toute couverte de sang. Est-ce un problème ? Oh, et mon épaule gauche est complètement guérie. Il y a un tas d’autres choses que j’ai faites en préparation de la cérémonie. Restez à l’écoute pour plus de détails après ces publicités !
Cet événement, qui avait également eu lieu au palais, avait accueilli encore plus d’invités que la cérémonie de remise des prix. Des nobles de tout le royaume étaient venus dans la capitale bien que ce ne soit pas la saison des bals. Il allait sans dire que le marquis Eiblinger et le comte Bozes étaient parmi les personnes présentes.
Mitsuha était la dernière de la file. Je suppose que mon tour sera le point culminant ? Oh, c’est parce que ce serait dur pour tous les autres si le public se mettait à trembler. J’ai compris.
La procédure s’était déroulée sans problème, et finalement, ce fut le tour de Mitsuha.
Qu’est-ce que c’est ? Vous êtes tous amoureux de ma robe ? Merci ! Je ne manquerai pas de vous la transmettre. Est-ce que cette dame aimerait que je prenne des commandes pour elle ? Mais je ne sais pas si elle accepterait d’être payée en pièces d’or.
« Mitsuha von Yamano, je vous accorde le titre de vicomtesse ! », proclama le roi.
Suivant ses paroles, Sabine remit un poignard à Mitsuha. Il était petit, à peu près de la même taille qu’un couteau de cuisine, mais il avait une signification particulière : « Avec ce pouvoir, bannissez les monstres et vainquez nos ennemis pour protéger votre terre et votre peuple. Si vous trahissez la confiance du roi, vous la planterez dans votre propre cœur. »
Franchement, c’est vraiment hardcore. Mitsuha déglutit.
Les autres avaient reçu leurs propres poignards du chancelier, mais Sabine avait insisté pour donner elle-même celui de Mitsuha. Mitsuha accepta volontiers et était sur le point de s’en aller lorsque le roi l’appela.
« Vicomtesse Yamano. Puisqu’il n’est pas présent, pouvez-vous accepter le titre destiné au fils du comte Bozes, Alexis ? »
Mitsuha regarda le comte Bozes, qui hocha la tête en silence. Elle savait exactement comment répondre.
« Je refuse. »
Les mâchoires du roi et du comte Bozes s’étaient ouvertes et le silence remplit la pièce. Ne faisant pas attention à eux, Mitsuha se mit à se retourner et se dirigea vers la porte principale.
« L’impudente ! »
« Capturez-la ! »
Des voix s’élevèrent, mais personne n’osait l’arrêter. Même le roi n’était pas encore remis de son désarroi. Alors qu’elle s’approchait de la porte, les gardes se tenaient paralysés, ne sachant pas comment réagir.
Mitsuha se mit alors à ouvrir la porte, révélant une silhouette derrière elle.
N’étant plus un garçon, mais pas encore un homme, il se dirigea vers le trône. Son bras droit était attaché à une écharpe autour de son cou, et son ventre avait été bandé plusieurs fois. Il ne portait pas de chemise, mais avait le bras gauche dans une veste dont l’autre côté pendait sur son épaule droite. Les boutons étaient défaits, mais cela lui donnait une impression de virilité plutôt que de vulgarité.
Ses pas sur le tapis en velours ne faisaient pas de bruit, mais c’était presque comme si on pouvait les entendre résonner dans toute la pièce. Des larmes glissèrent sur les joues du Comte Bozes. Le marquis Eiblinger fit un signe de tête en tapotant l’épaule de l’homme. Personne ne dit un mot lorsque le garçon — non, le jeune homme digne — se tenait devant le roi.
Finalement, Mitsuha rompit le silence. Elle respira et s’écria : « Donnez-le-lui vous-même ! »
Des cris de joie jaillirent de la foule.
« Mes excuses, Votre Majesté. Je ne suis pas tout à fait au mieux de ma forme », déclara Alexis.
« Cela n’a pas d’importance, mon garçon. »
Le roi déclara le plus joyeusement du monde : « Alexis von Bozes, je vous accorde le titre de vicomte ! »
« Je serais heureux d’accepter. »
Le jeune vicomte, incommodé par des bandages, inclina maladroitement la tête.
« Vous êtes le premier né du comte Bozes, n’est-ce pas ? Après avoir hérité du titre de votre père, vous pouvez conserver votre statut de vicomte et le transmettre à votre deuxième enfant. »
Alexis secoua la tête : « Je n’ai pas l’intention de le faire. »
« Quoi… ? »
« Théodore, mon frère cadet, peut avoir le titre de mon père. Je prendrai le statut de vicomte pour moi-même. Après tout, ce n’est pas seulement quelque chose dont j’ai hérité ! C’est un titre qui m’a été donné par le roi lui-même ! C’est le début d’une nouvelle et honorable lignée noble, et je serais fou de le laisser passer ! D’ailleurs… »
« Oui ? »
« Quand mon père se retirera, je serai devenu comte moi-même. »
Le roi trembla de rire, et le comte Bozes ne put s’empêcher de sourire. Une fois que le roi s’était suffisamment calmé, il donna à Sabine une sorte de signal. En réponse, elle se prépara à prendre le poignard suivant.
Vous savez quoi ? Je vais fêter ça avec une petite gâterie, pensa Mitsuha.
« Sabine, tu m’as déjà donné le mien. Tu devrais laisser ta sœur avoir son tour ! »
« Ah, tu as raison ! »
Sabine regarda ses frères et sœurs assis derrière le roi, et fit signe à sa chère sœur, la deuxième princesse.
Au fait, j’ai complètement oublié son nom.
Après un moment de confusion, la deuxième princesse se leva. Réalisant qu’il allait recevoir sa récompense d’une fille étant à la fin de l’adolescence, Alexis passa d’un air digne à un air terriblement troublé.
Oui, il adore ça ! Sabine est mignonne et tout, mais les jeunes hommes en bonne santé préfèrent les filles de leur âge.
Soudainement, la première princesse — celle qui avait une vingtaine d’années — arrêta la deuxième princesse dans sa course. Ignorant sa jeune sœur confuse, elle prit le poignard avec une expression aigre et le remit à Alexis sans même le regarder dans les yeux.
Umm, que se passe-t-il ici ? Je n’en ai aucune idée, mais Alexis, tu devrais arrêter d’avoir l’air si déçu. As-tu donc tant envie de mourir ? !
merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre