Chapitre 8 : Débutante
Partie 2
Après avoir expliqué son plan, Mitsuha avait dit à Marcel :
« Nous aurons une dégustation de nourriture et de boissons ce soir. Venez et amenez trois autres personnes, y compris quelqu’un qui a un pouvoir décisionnel. Oh, et n’oubliez pas d’apporter aussi votre appétit. »
Il était parti aussitôt après, emportant avec lui son nouveau couteau et d’autres achats.
Selon Marcel, la vedette de la réception était la débutante elle-même, mais après son introduction en tant qu’épouse potentielle, l’accent avait été mis sur les échanges entre les nobles. Les jeunes bavarderaient entre eux tandis que les adultes discuteraient… des choses d’adultes. Pour cette raison, ils n’avaient pas prévu de spectacles ou de cérémonies, de sorte que la qualité de la fête était basée principalement sur la nourriture. Lady Adélaïde et sa robe viendraient ensuite, puis tout le reste. Mitsuha pouvait voir pourquoi Marcel était si inquiet — il était responsable de la partie la plus importante de la réception.
Dès qu’il fut parti, Mitsuha était retournée au Japon, s’était changée et était sortie. Il y avait une fille avec qui elle était amie depuis la maternelle, qu’elle appelait « Micchan ». Micchan était allée à l’université en ville. Mitsuha allait dans cette direction, mais ce n’était pas pour rencontrer son amie d’enfance.
Finalement, Mitsuha arriva à l’entrée de la maison de Micchan, qui était aussi un magasin d’alcool, et lança un « Bonjour ! » tonitruant. Elle faisait ça depuis la maternelle, donc la famille de Micchan et leurs voisins y étaient habitués.
Comme d’habitude, elle avait été accueillie par le père de Micchan.
« Michiko n’est pas là », dit-il.
Oui, je sais.
« Je suis venue te voir, en fait. »
« Eh bien, c’est une agréable surprise. Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Vends-moi de l’alcool. »
« Hein !? »
Le persuader de l’aider s’était avéré être un dur labeur, mais Mitsuha y était finalement parvenue. Le père de Micchan avait accepté d’envoyer l’alcool chez elle une fois la commande remplie.
Vous vous demandez comment je l’ai convaincu ? Je lui ai dit que j’avais eu la chance d’aider à organiser une fête pour un étranger, alors je devais apporter des échantillons de nourriture et de boissons pour qu’ils puissent essayer. C’était fondamentalement la vérité, n’est-ce pas ? Je veux dire, le vieux de Micchan est malin, donc il verrait à travers tous les mensonges faciles. Je lui ai aussi dit que j’en achèterais beaucoup plus s’ils l’aimaient. C’est ce qui a dû l’influencer. Et ce n’est pas comme si j’allais en boire moi-même. Vraiment.
Après s’être occupée des boissons, Mitsuha alla acheter de la nourriture ayant une longue durée de conservation : des plats déshydratés, des conserves, des fruits, et ainsi de suite. Elle avait aussi pris de la crème glacée et l’avait mise au congélateur. Quant aux plats d’accompagnement frais et prêts à servir, elle s’en soucierait plus tard dans la soirée.
Elle avait commandé du poisson de haute qualité au magasin de sushi voisin, puis avait commandé de la soupe à emporter et d’autres plats de son restaurant français préféré. Après tout cela, elle était restée à la maison jusqu’à ce qu’il soit temps d’acheter les choses restantes et d’aller récupérer ses commandes.
◇ ◇ ◇
Ce soir-là, Mitsuha accueillit ses invités.
« Bienvenue ! »
Comme elle l’avait demandé, Marcel avait amené trois personnes avec lui. Deux d’entre elles étaient évidemment le vicomte et son épouse, tandis que la troisième était une femme d’une vingtaine d’années. Marcel avait dit à Mitsuha qu’elle était son second. Pour elle, les femmes chefs étaient rares. Si elle avait atteint ce rang dans la cuisine d’un noble, elle devait être vraiment bonne.
Elle les avait conduits à la table située dans la cuisine et s’était présentée.
« Faites comme chez vous. Je suis Mitsuha Yamano, la propriétaire du magasin. »
Ils étaient restés silencieux. Jusqu’à présent, ce n’était rien d’autre qu’une invitation faite par Marcel à ses amis pour dans un endroit qui lui plaisait. Les problèmes familiaux n’étaient pas d’actualité pour l’instant. Nous n’en parlerons que si nous franchissons la première étape, pensa Mitsuha.
« Aujourd’hui, je vais vous apporter une variété d’aliments à goûter. Pour cette raison, il n’y aura pas d’ordre spécifique. J’apporterai les choses dès qu’elles seront prêtes. Les portions sont petites, mais il y aura beaucoup de nourriture sur seulement quelques plateaux. Mangez-les à votre propre rythme. Concentrez-vous sur la dégustation. Ne vous forcez pas à tout manger ou vous n’aurez pas de place pour les autres plats. »
Tous les quatre acquiescèrent d’un signe de tête.
Allons droit au but.
« Tout d’abord, un consommé », dit-elle en posant les bols sur la table. Pour cette fois, au moins, chaque invité avait eu son propre plat. Il venait de Sucre, le restaurant français.
Merci pour votre dur labeur, Chef Kanai !
Le groupe avait un visage impassible depuis le moment où ils étaient entrés dans le magasin, mais une seule bouffée de la soupe les avait fait ramollir. Et le goût ? Il était plus riche que les nobles eux-mêmes. Ils n’avaient pas dit un mot, car ils étaient beaucoup trop occupés à vider leurs bols.
« J’apporterai le reste. Essayez ce qu’il vous plaît ! »
Alors Mitsuha commença à apporter les plats.
Il y avait de la cuisine de toute la Terre - française, chinoise, japonaise, fusion, etc. Certains plats provenaient de bons restaurants, tandis que d’autres étaient de simples plats d’accompagnement, des plats déshydratés et des produits en conserve du supermarché. Bien sûr, Mitsuha n’avait pas oublié de préparer les sushis et autres plats de poisson.
Puis vint l’alcool. Bière, vin, whisky, brandy et saké, entre autres. Néanmoins, il n’y avait pas de shochu ou de cocktails. Elle s’était assurée de leur donner un avertissement à propos des liqueurs plus fortes.
Elle s’attendait à être confrontée à un flot incessant de questions, mais tout le monde mangeait et buvait sans rien dire.
Ça me fait un peu flipper…
Au fur et à mesure que sa compagnie mangeait, ils ralentirent le rythme et avaient finalement commencé à poser des questions.
« Tout cela vient d’un pays étranger, n’est-ce pas ? », demanda le vicomte.
Whoa! Il va droit au but, hein !?
« Oui, tout cela vient de mon pays et de ses voisins », répondit-elle.
« Qui l’a préparé ? »
Déjà avec le deuxième !
« Certains de mes compatriotes. »
Ce n’était pas du tout un mensonge.
« Où sont-ils maintenant ? »
« Ils ont pris leur retraite et vivent maintenant en paix dans ce pays. Les convaincre de me donner ces échantillons a été un travail difficile ! J’ai dû promettre de ne plus jamais demander une telle faveur. »
« Je vois… »
« Mais alors comment va-t-on apprendre à faire tout ça !? », Marcel s’était joint à la discussion.
Ouais, ça ne servirait à rien s’il ne pouvait pas.
« Je peux vous donner les recettes. Vous pouvez les utiliser pour vous entraîner jusqu’à ce que vous obteniez un résultat intéressant. J’ai fait ce dîner pour que vous mémorisiez le goût. »
Marcel et son commandant en second grimacèrent.
« Et les ingrédients ? Pouvez-vous nous dire comment vous les avez amenés ici ? », demanda le vicomte.
Oh, eh bien…
« Laissez-moi m’en occuper. C’est mon boulot, après tout ! Des conseils amoureux aux conseils territoriaux, le magasin général de Mitsuha a tout ce qu’il vous faut ! Cette fois, je ne vous vends pas mon aide. Je vous vends une consultation ! Bien sûr, vous devrez couvrir les frais. »
« Pfft… Hahahaha… HAHAHAHAHAHA ! »
Le vicomte éclata de rire.
« Dame Mitsuha, permettez-moi d’engager vos services. J’ai besoin que vous nous fournissiez les ingrédients et que vous nous appreniez à préparer la nourriture. »
On dirait que j’ai réussi. Je veux dire, bien sûr que je l’ai fait. Je suis presque sûr que je l’avais dans le sac avec la soupe. Je peux gagner beaucoup d’argent si j’accepte, mais…
« JE REFUSE ! »
Le visage du vicomte s’était figé alors qu’il souriait.
« Oh, ne vous inquiétez pas, je vais certainement vous aider à cuisiner. Mais ce serait plutôt ennuyeux. », avait ajouté Mitsuha.
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
« Je veux que vous me laissiez m’occuper de la robe et du spectacle. On ne m’appelait pas “Le Plombier de l’Opéra” à l’école primaire pour rien ! »
« Spectacle ? »
Il avait complètement ignoré les parties « école primaire » et « Le Plombier de l’Opéra ». Ce n’est pas comme si je voulais qu’il pose des questions à ce sujet.
Le groupe s’était ensuite mis à parler pendant un long moment. Le vicomte finit par accepter de laisser la majeure partie de la fête entre les mains de Mitsuha, mais seulement sous certaines conditions, par exemple en exigeant qu’elle fasse de fréquents rapports d’étape, fournisse des descriptions détaillées et qu’elle dirige les répétitions.
Je suppose que c’est juste qu’il soit si strict. Cet événement est beaucoup trop important pour qu’il adopte une approche de laisser-faire et qu’il laisse les choses entre les mains d’une étrangère. S’il avait été assez stupide pour faire ça, je n’aurais pas accepté le poste.
Marcel et son commandant en second m’avaient supplié de ramener les restes à la maison, alors Mitsuha s’était rendue à la maison et leur avait acheté des sacs en plastique.
Mangez tant que c’est bon, se dit-elle en les distribuant. Si tu veux, je trouverai une raison pour t’en avoir d’autres.
Ils n’ont cependant pas besoin d’être si désespérés. Ce n’est pas comme s’ils devaient apprendre à faire tout ça. Ils auront toujours leurs plats locaux habituels, et j’apporterai tous les desserts. Ils étaient censés choisir ce qui ferait le meilleur effet… Ils étaient assez excités, alors j’imagine que c’était entré par une oreille et sorti par l’autre.
Le vicomte prit tout l’alcool restant et en demanda beaucoup, beaucoup plus. Mitsuha avait fait une note mentale pour apporter la bonne nouvelle au père de Micchan. Le bal d’un noble ne serait pas convenable sans nourriture et sans boisson, alors les hôtes avaient tendance à en acheter beaucoup plus qu’il n’en fallait. Il avait beaucoup à faire.
Je vais devoir lui dire d’augmenter l’argent de poche de Micchan ! pensa-t-elle gaiement.
Juste au moment où Mitsuha pensait que la réunion était terminée, la vicomtesse saisit son épaule et lui fit un regard intense. Heureusement, elle ne voulait que du shampooing et un gel douche. Mitsuha lui avait apporté certains des produits de luxe destinés aux nobles et avait même vendu le shampooing et le revitalisant séparément.
Honnêtement, je suis en train de l’arnaquer.
Naturellement, ses marges bénéficiaires sur les produits de première nécessité destinés aux filles les plus communes étaient beaucoup plus minces. En raison des taux de change entre les mondes, Mitsuha avait dû au moins quadrupler la valeur d’origine lors de l’évaluation de ses marchandises. Par exemple, si quelque chose lui coûtait mille yens au Japon (8 euro), elle devait fixer le prix dans ce monde à quatre pièces d’argent pour atteindre l’équilibre — ce qui équivalait à quatre mille yens dans notre monde (32 euro). Compenser cela en gonflant les prix des articles pour les nobles était tout à fait juste, fort heureusement. De toute façon, les sangs bleus apprécieraient probablement d’avoir leurs propres articles de luxe. Tout le monde était gagnant.
Hein ? Vous vous demandez pourquoi j’ai vendu du shampooing à des roturiers pour seulement huit pièces d’argent ? Oh, allez, c’est une affaire de « gros profits sur le long terme » ! Le fait de viser dix, voir vingt fois le prix d’origine est la norme, alors doubler ou tripler le prix n’est pas un problème. Quoi ? Maintenant, avez-vous peur que je mette les savonniers sur la paille ? Je ne vends pas du savon, juste du shampooing et du gel douche. Les gens achèteront quand même ces produits pour faire leur lessive ou se laver les mains et le visage.
De plus, le bonheur des filles du monde entier est évidemment plus important que le sort de certaines industries. Pensez-y !
Le lendemain, Mitsuha était retournée au Japon et s’était mise au travail. D’abord, elle s’était rendue chez une couturière, celle-là même où Mitsuha avait commandée une robe destinée à étourdir la famille Bozes. La modiste était une femme légèrement dégénérée et folle de cosplay. Elle était un peu trop âgée pour avoir ce passe-temps, alors elle avait plutôt vécu par procuration avec ses clientes en jouant à se déguiser avec elles. Tout ça pour son travail, bien sûr. Elle était en fait très habile dans son métier, à tel point qu’elle avait ouvert son propre établissement. Bien qu’il était difficile de dire si elle se concentrait sur les affaires ou le plaisir, l’argent affluait.
Après l’entrée de Mitsuha dans la boutique, elle s’était assurée de flatter la propriétaire, lui expliquant comment la robe avait été très utile et avait joué un rôle énorme dans son obtention d’un parrainage. La femme plus âgée était ravie de l’entendre. Mitsuha avait alors commencé une nouvelle commande pour Adélaïde. En apprenant qu’elle allait pouvoir mettre ses talents sur la robe de débutante d’une noble dame étrangère, la couturière avait soudainement pressé Mitsuha.
« Q, q, quel honneur ! Quel bonheur ! », s’exclama-t-elle.
Mitsuha avait même promis de rapporter quelques photos de l’événement, ce qui lui avait valu une réduction. La couturière avait demandé les mesures d’Adélaïde et, si possible, de pouvoir la rencontrer. Cela l’aidera à concevoir la robe parfaite de la fille.
C’est tout ce qu’il y a à faire, non ? Elle ne lui fera rien de bizarre, n’est-ce pas ?, se demanda Mitsuha. On ne sait jamais avec cette dame.
Elle voulait aussi voir des exemples de robes du pays d’Adélaïde. Après tout, les normes sont importantes. Mitsuha avait décidé de s’occuper de cette partie plus tard. Après quelques aller-retour, elles s’étaient mises d’accord pour la confection de trois robes. Elles avaient également échangé des idées à propos du spectacle. Une de ses suggestions en particulier avait piqué l’intérêt de Mitsuha.
Je suppose qu’il va aussi falloir que j’achète une fausse épée maintenant.
Une fois ses affaires avec la modiste terminées, Mitsuha s’était rendue dans un magasin d’électronique. Elle ne trouvait pas ce qu’elle cherchait sur les étagères, mais elle avait vite découvert qu’elle pouvait les commander à la place.
Voyons voir… J’aurai besoin d’ampoules LED, de câbles et de tout le reste… J’aurai les piles un autre jour… Caméras de cinéma, haut-parleurs sans fil, projecteurs…
Vous croyez que je vais trop loin ? C’est pas possible ! Je ne peux pas tout gâcher, alors je suis aussi minutieuse que possible ! C’est la même chose que d’en faire trop sur la nourriture et les boissons… Je suis en train de prendre l’exemple des nobles. Je fais actuellement un trou dans mon portefeuille, mais une fois que ce sera fini, je rentrerais dans mes frais, et même plus !
Pour l’instant, je ne vais pas utiliser mes poches profondes. Au lieu de cela, je vais demander au capitaine d’échanger mes yens contre des dollars et de stocker l’argent dans un compte bancaire étranger. Je reviendrai aux trous lorsque j’aurais récupéré ce que j’aurais engagé dans cet investissement.
Merci pour le chapitre.
Merci pour le chapitre.
Mais je pense que le terme »dégénéré » sonne mal dans la phrase suivante : La modiste était une femme légèrement dégénérée et folle de cosplay.