Chapitre 4 : Préparation
Partie 1
Colette s’était réveillée peu après Mitsuha, et le chaos s’en était suivi. Elle avait poussé un gémissement et s’était lancée sur Mitsuha, et bien trop rapidement pour que la fille plus âgée puisse éviter son câlin d’ours. Mitsuha avait gémi, puis commença à frapper sur son épaule dans une tentative désespérée pour signaler sa reddition. Les parents de Colette, en entendant le vacarme, s’étaient précipités dans la pièce.
« Stop, stooop ! Aïe, ça fait mal ! Tu es en train de me briser ! », cria Mitsuha.
Colette finit par lâcher prise.
« M-Mitsuha ! Tes mots ! », répondit Colette en état de choc.
Ses parents avaient l’air tout aussi abasourdis. Heureusement, Mitsuha avait déjà trouvé une explication.
« Tout d’abord, merci pour tout ce que tu as fait pour moi, Colette. En fait, j’ai appris ta langue dans mon pays. Je ne pouvais pas le parler parce que j’avais perdu la mémoire. Mais tout à l’heure, tout m’est revenu. »
« Vraiment ? Je suis si heureuse, Mitsuha ! »
Tout en pleurant fort, Colette s’accrocha de nouveau à Mitsuha. Ses parents hochèrent la tête, les yeux pleins de larmes. Ce sont des gens si gentils, pensa Mitsuha, toute souriante. Lorsque Colette s’était finalement calmée, Mitsuha avait décidé qu’il était temps de recueillir des informations.
Parce qu’elle venait d’un autre monde, Mitsuha devait être prudente lorsqu’elle parlait d’elle-même. C’était pour cette raison qu’elle avait inventé sa propre histoire : elle venait d’un pays lointain, et pour des raisons que l’on avait commodément dissimulées, elle avait traversé la mer et était venue sur ce continent. Elle avait délibérément choisi de dire « ce continent » plutôt que « ce pays », pour autant qu’elle le sache, leur région actuelle aurait pu être enclavée. Mitsuha et son groupe avaient été séparés lors d’une attaque par des bêtes sauvages, mais sinon elle ne se souvenait de pas grand-chose, seulement qu’elle s’était retrouvée dans la maison de Colette au moment où elle se réveillait.
Mitsuha ne connaissait pas non plus le système de caste de ce monde, alors elle avait évité d’utiliser le mot « noble », mais elle les avait tout de même amenés à croire qu’elle était une membre de haut rang de la société. Son choix était un peu risqué, car pour le dire de manière simple, les relations entre la noblesse et les roturiers n’étaient pas toujours bonnes, ce qui aurait pu être perturbant pour Colette et sa famille. Heureusement, ils ne semblaient pas s’en soucier.
En toute honnêteté, c’était logique, s’était dit Mitsuha. Les vêtements qu’ils m’avaient trouvés n’étaient pas du tout ceux d’un fermier, alors ils ont probablement pensé que c’était quelque chose comme ça. Sinon, il se pourrait peut-être qu’ils ne soient en conflit qu’avec la noblesse locale, et qu’ils ne se soucient pas du tout des nobles étrangers. Ou alors ils ne comprennent rien du tout, si vous voyez ce que je veux dire.
Une fois son histoire terminée, c’était au tour de Mitsuha de poser des questions sur sa situation. Je vais avoir toutes les infos dont j’ai besoin et plus encore ! Elle avait découvert qu’elle avait été inconsciente durant cinq jours. Près d’une semaine… Elle ne pouvait pas reprocher à Colette de s’inquiéter. Mitsuha n’avait aucune idée si c’était dû à l’épuisement et au choc ou si cela avait quelque chose à voir avec ce que la « chose » lui avait fait, mais elle ne se souciait pas vraiment des deux. De plus, ils n’avaient pas oublié de récupérer ses possessions — couteaux, lance-pierres et tout le reste. Comme c’est gentil.
De toute façon, les bêtes qu’ils avaient rencontrées étaient, en fait, des loups. Les villageois avaient rassemblé les cadavres et les avaient réduits en crocs, en fourrure et en viande, ne laissant pas une seule partie se perdre. Ils avaient fendu et mangé la viande, parce qu’elle aurait pourri autrement, mais les crocs et la fourrure n’avaient pas encore été utilisés. Il s’était avéré qu’ils avaient été mis de côté pour Mitsuha, avec un peu d’argent pour la viande. Aww, c’est si doux que ça va me donner des caries ! pensa-t-elle. Mais vu qu’ils croyaient tous qu’elle était sans le sou et qu’ils voulaient lui faire une faveur, il aurait été impoli de sa part de ne pas accepter. Je vais demander à quelqu’un de m’acheter les crocs et la fourrure.
Les villageois étaient extrêmement reconnaissants qu’elle a pu se débarrasser des loups avant qu’ils ne puissent blesser quelqu’un. C’était logique, surtout si l’on considérait que les animaux auraient pu facilement tuer l’une des femmes ou l’un des enfants du village. Colette, par exemple, n’aurait pas eu la moindre chance si elle avait été coincée seule. Mais Mitsuha n’était pas sûre d’avoir tué tous les loups. Ce sont des animaux de meute, n’est-ce pas ? Et vu que c’était une mère louve avec ses petits, il devrait donc y avoir un père aussi, non ?
Elle n’était pas encore convaincue que l’endroit était sûr, mais si les gens du coin le pensaient, elle n’allait pas les contrarier. Les loups d’ici étaient peut-être différents de ceux qu’elle connaissait. Peut-être qu’il était normal que les mères loups de la région emmènent leurs petits en voyage d’entraînement, ou peut-être qu’elle avait eu une séparation difficile et qu’elle ramenait les enfants dans la tanière de ses parents. Peu importe, ça n’a pas d’importance à ce stade, conclut-elle.
Une fois qu’elle avait été amenée ici, Mitsuha avait posé toutes sortes de questions sur le pays dans lequel elle se trouvait : combien valait la monnaie, qu’elle était la ville la plus proche, la capitale, son niveau de développement, etc. — bien sûr elle ne posait pas directement les questions — . Les paysans ne savaient pas grand-chose, évidemment, mais elle était satisfaite d’obtenir environ la moitié des connaissances que les paysans connaissaient par cœur. Quand elle avait terminé, elle avait une autre question qu’elle voulait vraiment poser, mais qu’elle ne pouvait pas faire : Comment se fait-il que Colette en sache plus que ses parents !?
Le troisième jour après son réveil, Mitsuha était allée à l’encontre des objections de sa petite gardienne et s’était promenée seule. Selon les villageois, lorsqu’ils l’avaient amenée des bois, elle était dans un état si terrible que Colette avait été complètement folle de rage. Mais ses blessures apparemment graves avaient guéri depuis, et maintenant on ne voyait qu’un petit bleu sur Mitsuha.
Pourtant, persuader Colette de la laisser partir seule s’était avéré être un défi. Elle avait donné plus de raisons que vous ne pouviez l’imaginer. Ce voyage solitaire était absolument positivement nécessaire pour Mitsuha. Finalement, Colette s’était repliée et était allée chercher du fourrage, même si elle avait jeté un coup d’œil en arrière au moins une douzaine de fois. Après sa disparition, Mitsuha avait vérifié si elle était vraiment seule, puis elle retourna chez elle sur Terre.
Whoa, j’ai manqué tellement d’appels, dit-elle en regardant son téléphone. Eh bien, je ne pouvais pas répondre. Tout le monde doit être mort d’inquiétude… Il vaut mieux que je leur réponde à tous.
Après ça, Mitsuha avait vérifié la boîte aux lettres. Ses factures étant toutes payées automatiquement, il n’y avait donc pas de problème. Elle s’était également rendue au poste de police local pour leur faire savoir qu’elle était saine et sauve. Ils l’avaient beaucoup aidée quand elle traitait avec son oncle et les délinquants qui essayaient de s’en prendre à son argent. Elle voulait apaiser les inquiétudes qu’ils auraient pu avoir au sujet de sa récente disparition.
Ensuite, elle avait apprécié en prenant son premier bain depuis longtemps, elle mit aussi des vêtements propres et s’était occupée de quelques autres tâches diverses. Elle ne pouvait pas laver les vêtements qu’elle portait, car cela risquerait de paraître étrangement propre, alors elle les avait laissés dans leur état actuel. Elle les enfilerait de nouveau quand elle retournerait dans l’autre monde. Il n’y avait pas non plus de raison d’aller faire du shopping puisqu’elle ne pouvait rien apporter à la maison de Colette. Tout ce qu’elle avait quand Colette l’avait trouvée, c’était un sac à bandoulière bon marché contenant un parapluie pliable, des mouchoirs en papier et un sac à provisions jetable. Patience, Mitsuha… Tu emporteras beaucoup de choses une fois que tu auras quitté le village.
Elle avait terminé ses affaires terrestres et était retournée au village bien avant le soir, mais Colette l’avait quand même interrogée sur ce qu’elle avait fait et où elle était allée. C’est quoi le problème, elle est revenue beaucoup trop vite ! Je suppose qu’elle s’est précipitée parce qu’elle s’inquiétait pour moi.
Mitsuha était tellement occupée à passer d’un monde à l’autre et à ses plans pour devenir riche qu’elle avait complètement oublié les hommes qui l’avaient approchée sur la falaise. Au moment où ils avaient poussé Mitsuha dans le vide, elle avait crié si fort que les couples voisins l’avaient vu tomber. Ils voulaient éviter d’être impliqués tant que les délinquants ne faisaient que la draguer, mais ils ne pouvaient ignorer un meurtre.
Après la chute de Mitsuha, la jeune fille du jeune couple avait poussé un cri strident, son petit ami avait pris des photos des auteurs, le vieil homme avait appelé la police, et sa femme avait pris des photos de leur voiture. C’était un travail d’équipe impressionnant. Les voyous avaient paniqué, criant que ce n’était pas de leur faute et d’autres bêtises de ce genre, puis ils avaient sauté dans leur voiture et ils s’étaient échappés. Mais avec tous les témoins et les photos, ils n’avaient pas mis longtemps à se faire prendre et arrêter. Tout le monde pensait que l’affaire était close.
Mais il s’était rapidement heurté à un mur parce qu’ils n’avaient pas pu trouver le corps de la victime. La police avait même vérifié tous les dossiers locaux à la recherche d’une personne disparue, mais n’avait trouvé personne qui correspondait à la description. Cela s’expliquait en partie par le fait que la victime était décrite comme un enfant allant à l’école primaire où au collège, de sorte que Mitsuha était complètement hors de portée des enquêteurs. Ils avaient plusieurs témoins et les aveux des criminels, mais la victime était une inconnue et son corps était introuvable. La police était perdue.
D’un autre côté, les trois hommes avaient obtenu ce qu’ils méritaient. Mitsuha serait sûrement morte sans sa collision étrange et fortuite avec l’être ancien. Le fait qu’elle ait survécu n’avait rien changé, ils avaient quand même commis un meurtre, il était donc juste de les punir comme il se doit. S’ils étaient relâchés, ils feraient sûrement la même chose et harcèleraient d’autres personnes, transformant d’autres innocents en victimes.
Après le décès de sa famille, Mitsuha avait mis fin à leur abonnement au journal. La télévision par câble et Internet étaient plus que suffisants pour elle. Les journaux se seraient aussi empilés rapidement, et elle n’aurait pas pu se donner la peine de les retirer, sans compter que le facteur les entassait toujours dans la boîte aux lettres comme s’il empaillait ses rêves brisés, pour que les gens puissent savoir si Mitsuha était à la maison ou non. Si certains types louches avaient découvert qu’elle n’était pas là aussi souvent, sa propriété aurait été en danger.
Merci pour le chapitre.
Merci pour le chapitre 🙂