Chapitre 4 : Ma prière et ma détermination
Je m’étais réveillé dans une pièce qui ne m’était pas familière.
« Ce n’est pas ma chambre… Oh, c’est vrai. »
J’avais dormi dans le salon la nuit dernière. Je m’étais alors levé et j’avais jeté un coup d’œil dans la chambre voisine pour trouver Carol encore endormie, accrochée à Destinée. Ce dernier avait dû redescendre à un moment donné pendant la nuit. Il était réveillé, mais toujours couché patiemment dans les bras de Carol. Destinée me remarqua et me fit un petit signe de la queue. Quelle créature attentionnée ! Il était bien plus attentionné que moi.
« Je suppose que je n’ai plus besoin de m’inquiéter qu’il reste dans son réservoir. »
Destinée n’étant pas un lézard ordinaire, je n’avais donc pas besoin de le dorloter autant, mais je devrais quand même toujours le traiter comme un animal de compagnie devant ma famille.
J’avais ouvert les rideaux du salon, laissant la lumière du soleil pénétrer dans la pièce.
« C’est un temps magnifique, surtout après la pluie que nous avons eue hier soir. »
J’avais ouvert la fenêtre pour laisser entrer un peu d’air frais, puis l’avais regretté immédiatement en sentant le vent froid. Je l’avais refermée à la hâte et j’avais plongé sous le kotatsu. J’avais presque oublié que c’était le jour de l’an. Il faisait effectivement très froid.
Ça m’a au moins réveillé. Je vais prendre un petit-déjeuner.
Auparavant, mon petit-déjeuner était composé de toasts ou de quelque chose de similaire, mais dernièrement, maman m’avait appris à cuisiner des plats simples. J’avais donc préparé un repas avec des ingrédients que j’avais trouvés dans le réfrigérateur.
« Bonjour. Ooh, ça sent bon ! »
Les yeux endormis de Carol s’étaient ouverts en grand. Elle s’était précipitée vers le kotatsu pour admirer la nourriture qui s’y trouvait.
Elle tenait toujours Destinée comme on tiendrait une peluche. J’avais incliné ma tête vers lui pour m’excuser, mais ce dernier leva sa griffe droite comme pour dire que ça ne le dérangeait pas. Ce lézard était si doux.
« Bonjour. Pourquoi ne te laves-tu pas le visage avant de manger ? Je vais t’apprendre à utiliser l’évier. »
J’allais tout simplement arrêter d’être trop formel avec elle. Ça la rendait juste nerveuse.
Je l’avais emmenée devant l’évier et lui avais montré comment ouvrir et fermer le robinet.
Le visage de Carol s’était éclairé : « Wôw ! Je parie que maman aimerait quelque chose comme ça ! »
Elle était si impressionnée par un simple robinet. C’était adorable.
Nous nous étions lavés le visage ensemble, puis nous étions retournés au kotatsu pour prendre le petit-déjeuner. J’avais observé les villageois manger, ils n’étaient pas difficiles en matière de nourriture. Aujourd’hui, je servais du pain, de la viande frite, des fruits et de la soupe, c’était donc un repas principalement constitué avec les ingrédients envoyés par le village. C’était peut-être pour cela que Carole avait tout mangé avec plaisir. Et une fois que nous en avions eu fini, nous avions apporté nos plats à l’évier.
« J’ai pensé que nous pourrions aller à un petit festival aujourd’hui. C’est quelque chose que nous faisons dans ce monde au début de chaque année. Qu’est-ce que tu en penses ? »
« Un festival dans le Monde des Dieux ? Je veux y aller ! Tout le monde va être tellement jaloux ! »
Carol sautait de haut en bas, excitée. Le simple fait de la voir si ravie suffisait à me remonter le moral.
Si nous allions au sanctuaire, nous avions quelques préparatifs à faire. J’avais examiné Carole et j’avais hoché la tête.
« Tu devrais d’abord prendre un bain, tu te changeras ensuite. »
« Tu as un bain !? »
Mais oui, les villageois adorent prendre des bains.
J’avais compris que leur village d’origine avait une grande culture du bain, mais la grotte où ils avaient emménagé n’en possédait pas. Et comme ils devaient se contenter de tremper des chiffons dans de l’eau chaude et de s’essuyer avec, ils ne se lavaient donc qu’en surface. Je m’étais rappelé la joie immense qu’ils eurent, surtout les femmes, le jour où Kan et Lan leur avaient construit une baignoire qu’ils pouvaient utiliser tous les deux jours.
J’avais emmené Carol dans la salle de bains et j’avais essayé de lui expliquer la douche, mais cela semblait l’effrayer. J’avais simplement rempli la baignoire pour elle. Et pendant qu’elle se lavait, j’étais allé dans la chambre d’amis et j’avais fouillé dans le placard. J’étais presque sûr que maman y gardait nos vieux vêtements.
J’avais trouvé un tas de vieilles affaires que je n’avais pas vues depuis des années, rangées dans une caisse au fond du placard.
« Dieu merci, elle ne les a jamais jetés. »
Le fait de laisser Carol porter certaines de mes vieilles affaires ne me dérangeait pas, mais comme Sayuki était toujours mieux habillée que moi, j’avais sorti un tas de ses vêtements à la place. Et comme ils étaient pliés et emballés sous vide, Carol pouvait les porter tout de suite. Étant donné que mon sens de la mode n’était pas un de mes points forts, je l’avais laissée choisir ses propres vêtements. J’avais sorti quelques affaires qui semblaient lui aller et je les ai étalées.
J’étais revenu dans le salon pour trouver Carol portant une serviette, la vapeur s’évaporant encore de sa peau.
« Tes cheveux sont mouillés. Viens ici. Je vais les sécher pour toi. »
J’avais séché ses cheveux avec soin, en utilisant un sèche-cheveux et une serviette.
« Tu es vraiment bon à ça, Yoshio ! C’est agréable et chaud ! »
« Eh bien, je l’ai souvent fait. »
Sayuki avait toujours eu les cheveux longs, j’avais pris l’habitude de les sécher exactement comme ça.
Une fois le séchage fini, j’avais emmené Carol choisir des vêtements. Elle était devenue incroyablement excitée (plus qu’elle ne l’avait été depuis son arrivée ici) et s’était lancée dans un défilé de mode. Elle avait du mal à choisir ce qu’elle voulait porter, et elle retournait sans cesse dans la pièce pour essayer autre chose.
« Comment est-ce, Yoshio ? », dit Carol en bondissant hors de la pièce dans une robe de couleur claire et en faisant une pirouette.
« C’est mignon, et la couleur est sympa. C’est pourtant un peu trop léger pour la saison. »
« Oh, ouais. Ok, je vais essayer autre chose ! »
C’était déjà la troisième tenue.
Combien de temps cela va-t-il encore durer ?
J’étais tenté de mentir et de dire que tout allait bien, mais j’avais assez d’expérience avec Sayuki pour savoir que c’était une mauvaise idée. Et lui donner une réponse vague ne servirait également à rien.
J’étais resté positif et honnête sur ce que j’aimais. Carol s’était finalement joyeusement décidée pour un pull, tricoté par maman, et une jupe longue et solide. Elle ajouta par-dessus un manteau chaud et moelleux. Et comme elle aimait le look d’un sac à dos en forme de visage d’ours, je l’avais aussi laissée le prendre.
Je n’exagérais pas si je disais qu’elle ressemblait à un enfant modèle. Elle était absolument adorable. Si Seika ou Sayuki étaient là, elles seraient certainement en train de couiner. Chem devrait faire attention.
« Comment me trouves-tu, Yoshio ? »
« C’est la tenue la plus mignonne que je n’ai jamais vu. »
« Yay ! Mais je pense que tu es trop élogieux ! »
Malgré ses mots, elle sourit timidement pendant que je prenais quelques photos d’elle avec mon téléphone.
Et au moment où nous étions tous les deux prêts, j’avais pris sa main et l’avais fait sortir de la maison. Il avait plu à verse la nuit dernière, mais le sol était complètement sec.
En regardant de plus près, j’avais réalisé que seule la zone autour de ma maison ne présentait aucune trace du temps de la nuit dernière. Peut-être que nous nous étions simplement trouvés dans l’espace entre deux nuages de pluie.
Le temps était parfaitement clair maintenant, le ciel ne montrait aucune menace pouvant bloquer notre sortie. Le sanctuaire était à environ dix minutes de marche de la maison et était assez grand. Nous avions monté les marches de pierre familières et étions passés sous la grande arche. Le gravier blanc crissait sous nos pieds. Normalement, nous devrions être en mesure de voir le sanctuaire maintenant, mais aujourd’hui, il était bloqué par une énorme foule.
« Je n’ai jamais vu autant de monde, Yoshio ! », s’exclama Carol, le regard perdu dans les deux sens.
Une foule aussi dense n’existait pas dans son monde. Carol montra du doigt les étals et les demoiselles du sanctuaire, me bombardant de questions.
« C’est une échoppe. On peut y acheter de la nourriture. Allons y jeter un coup d’œil après avoir été au sanctuaire. Cette fille est une servante du sanctuaire. Elle travaille pour les dieux. »
« Alors elle est comme toi ? »
« Oui. »
Je ne ressemblais pas vraiment à une demoiselle du sanctuaire, mais je suppose que nos devoirs étaient similaires. Ça ne voulait pourtant pas dire que je pouvais m’identifier à elles.
« Mettons-nous en ligne avec les autres. »
« D’accord ! Hé, Yoshio ! Qu’est-ce qu’ils vendent dans ce magasin là-bas ? »
« Des Yakisoba. Ce sont des nouilles frites. »
« C’est quoi ce truc qui ressemble à des nuages ? »
« De la barbe à papa. C’est très sucré ! »
J’avais répondu à chacune de ses nombreuses questions. Les autres visiteurs nous regardaient et souriaient chaleureusement. Pour eux, Carol devait avoir l’air d’une jeune étrangère curieuse. Je me sentais comme un père fier d’avoir une fille extrêmement mignonne. C’était ce que devaient ressentir les parents lorsque leurs proches faisaient l’éloge de leurs enfants.
J’avais pris d’autres photos, en espérant pouvoir les montrer à Rodice et Lyra plus tard. J’étais sûr qu’elles les adoreraient. En fait, je voulais que tous mes villageois viennent dans ce monde et passent du temps avec moi. Ça avait l’air génial.
« C’est quoi tous ces cliquetis ? Pourquoi tout le monde applaudit-il ? », demanda Carol tout en tirant sur ma manche et interrompant mes pensées.
Elle me montra du doigt les visiteurs devant la boîte à offrandes, qui applaudissaient et priaient.
« C’est comme ça qu’on prie dans ce monde. »
J’avais appris à Carol la coutume de la double inclinaison, du double applaudissement, puis de la nouvelle inclinaison devant le sanctuaire. Nous l’avions pratiqué encore et encore dans la file. Ce spectacle fit sourire les gens autour de nous et je n’avais pas pu m’empêcher de sourire avec eux. Je n’avais plus jamais le droit de me moquer de mes proches qui faisaient de même avec leurs enfants.
Quand ce fut notre tour, je m’étais approché de la boîte de l’offertoire avec Carol. Je savais déjà combien les microtransactions étaient importantes pour l’œuvre d’un dieu, j’avais donc fait quelques folies et j’avais sorti deux pièces de 500 yens, une pour chacun de nous. J’avais jeté un coup d’œil à Carol pour voir comment elle allait. Elle avait les yeux fermés, profondément en prière.
« S’il vous plaît, faites que maman et papa et Gams et Murus et Kan et Lan et… Chem soient en sécurité. Faites en sorte que je puisse les revoir », pria Carol désespérément.
Elle était si joyeuse, mais au fond d’elle-même, sa famille et les autres villageois lui manquaient cruellement. J’avais décidé de prier pour la même chose : pour la sécurité des villageois et pour que Carol puisse les retrouver.
« Je vous ai donné un petit extra. S’il vous plaît, faites-nous un miracle. », avais-je chuchoté aux dieux.
En fait, cela ne me dérangerait pas de garder Carole avec moi à partir de maintenant. Si je convainquais mes parents, je pourrais continuer à m’occuper d’elle. Je savais que c’était mal de ma part, que c’était égoïste. Je devais souhaiter son bonheur, et cela signifiait la renvoyer chez elle.
« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
« Maintenant, on va voir les stands. Dis-moi si tu veux quelque chose, et je l’achèterai pour toi. »
« Vraiment ? ! Est-ce que maman et papa ne vont pas se fâcher ? »
« Ne t’inquiète pas pour ça. Ces trucs ne sont rien comparés à toutes les merveilleuses offrandes que tu as faites au Dieu du Destin. Ne te retiens pas. Penses-y comme une gratitude envers toi et envers tous les habitants du village. »
« Je leur dirai merci à mon retour ! »
« Bonne idée. »
Je l’avais très souvent vu, et je savais à quel point elle se comportait bien à travers l’écran de mon PC, et maintenant qu’elle était ici avec moi, je pouvais sentir combien d’amour et de discipline ses parents avaient mis dans son éducation.
« Par où veux-tu commencer ? », avais-je demandé.
« Um, je veux un nuage duveteux, et un de ces trucs ronds, et, um… et… »
« Il n’y a pas d’urgence. Les stands ne s’enfuiront nulle part. On va d’abord prendre de la barbe à papa, d’accord. », dis-je en gloussant.
Carol attrapa ma main et m’entraîna. Avions-nous l’air d’un père et d’une fille pour tous ceux qui nous entouraient ? Cela correspondait à nos âges. Bien qu’il y ait les cheveux dorés de Carol et ses traits occidentaux… À la réflexion, nous n’avions probablement pas l’air apparentés. C’était un peu dommage.
« C’est quoi cette boisson que les gens bien habillés distribuent ? »
Carol désignait les prêtres et les servantes qui distribuaient le saké sacré.
« C’est une boisson alcoolisée que l’on est censé offrir aux dieux. Comme aujourd’hui est un jour spécial, tu as donc le droit de le boire. »
« Je suis un enfant, donc je n’ai pas le droit. »
« C’est vrai. Mais tu peux manger ce que tu veux à la place. »
Je n’avais jamais bu le saké sacré moi-même, car je ne tenais pas l’alcool. Seika aimait boire, mais sa tolérance était encore pire que la mienne. Je parierais qu’elle aimerait être ici en ce moment.
Carol et moi avions pris notre barbe à papa, un takoyaki, et un yakisoba sur un banc voisin. Elle était ravie. Nous avions choisi un endroit donnant sur un étang, un peu à l’écart du sanctuaire. Seuls les locaux connaissaient cet endroit, il était complètement désert. Le faible murmure de la foule était juste audible au loin.
Il faisait exceptionnellement chaud pour le mois de janvier, et le ciel était clair, mais il faisait encore frais à l’ombre. Je craignais que Carol ne prenne froid, mais celle-ci grignotait son takoyaki avec un immense sourire.
« Le festival était très amusant ! Il y avait beaucoup de gens, et ils avaient tous l’air si heureux ! »
Je suis heureux de voir qu’elle ce soit amusée.
Comme Carol mangeait en silence, j’avais fouillé dans la poche intérieure de mon manteau et j’en avais sorti un livre, le livre saint qui était arrivé dans ce monde avec Carol. La couverture était semblable à celle de n’importe quel autre livre relié. Il était plus grand qu’un livre de grande diffusion ordinaire, mais plus petit qu’un manga. Je l’avais feuilleté. Il était rempli des prophéties que j’avais envoyées à mes villageois.
Pendant un instant, je m’étais perdu dans les pages, les souvenirs de chaque message me revenant en mémoire. J’avais dû me forcer à revenir à la réalité. La présence de ce livre dans mon monde était la raison pour laquelle je ne voyais plus rien dans le Village du Destin.
Hier, dans mon bain, j’avais échafaudé toutes sortes de théories pour tenter de trouver une issue à cette situation. Si ce livre était l’objet qui donnait son pouvoir au Dieu du Destin, alors peut-être que son existence dans ce monde était aussi un problème pour les développeurs du jeu. Mais au fait, qui étaient ces développeurs ? C’était le plus grand mystère de tous. Toutes mes expériences surnaturelles me firent pencher vers la conclusion qu’ils étaient eux-mêmes des dieux. Mais ce n’était pas comme s’ils étaient des Dieux pour avoir créé un jeu comme Le Village du Destin, mais plutôt des Dieux au sens propre du terme. C’était la seule explication possible.
« Pourquoi as-tu une tête en forme d’épi ? Ta bouche et tes oreilles ne te font pas mal ? »
J’avais levé les yeux pour voir que Carole n’était plus à côté de moi. Elle était debout à quelques mètres de là, mangeant une pomme d’amour et parlant à un homme portant une tenue super bizarre. Son visage avait l’air japonais, mais ses cheveux étaient blonds et coiffés en plusieurs pointes comme un coq. Ses lèvres et ses oreilles étaient couvertes de piercings. Il portait un T-shirt de groupe de rock occidental sous une veste en cuir, et son jean était déchiré à plusieurs endroits. Ce n’était le genre de personne que je n’aurais jamais pensé rencontrer de toute ma vie.
« Viens, Carol. Désolé pour elle. »
Je m’étais levé du banc et j’avais incliné la tête vers l’homme.
« Pas d’inquiétude. C’est quelque chose que j’entends tout le temps vu mon allure. »
Il semblait amical, malgré son apparence. Il avait souri à Carol.
« Tu as l’air d’avoir froid ! »
« Non, mon âme est toujours en train de brûler. En fait, je suis en surchauffe en ce moment. »
Amical ou pas, je n’étais pas sûr de son langage. J’avais continué à incliner ma tête et je m’étais glissé derrière Carol. J’avais posé une main sur son épaule pour l’éloigner, mais ma main s’était refermée sur de l’air.
« Huh ? »
J’avais levé les yeux. L’homme avait attrapé le bras de Carole, s’accrochant à elle. L’avait-elle vraiment rendu furieux ?
« Je suis désolé si nous vous avons ennuyé. Je vais m’excuser correctement. Pouvez-vous me la rendre maintenant ? »
« Je crains que non… Dieu du destin. »