Chapitre 1 : Mon intrusion dans l’autre monde
Partie 1
Tout s’était obscurci. Je ne voyais rien, ma vision était peinte par l’obscurité. Avais-je même encore un corps, en tout cas je ne le ressentais pas. La peur d’être engloutie par les ténèbres me traversa, mais il était inutile de la combattre. D’ailleurs, le fait que Carol ne soit pas le cobaye me rendait heureux. Je savais moi-même que ce que j’avais fait était imprudent, mais j’avais déjà gaspillé les dix dernières années de ma vie. Me sacrifier pour quelqu’un d’autre n’était pas un si mauvais moyen de partir. La pensée que je pourrais aider les gens que j’aimais profondément rendait la fin plus supportable.
« Je me demande s’ils seront tristes quand ils apprendront que je suis mort. Maman, papa, Sayuki… et Seika. »
Quelques mois auparavant, je n’étais qu’un fardeau pour ma famille. À l’époque, je pensais qu’ils seraient heureux si je mourais. Quel était l’intérêt de chercher du travail ? Je ne faisais rien d’autre que gaspiller mon temps. J’avais pourtant réussi à mettre un pied dehors. J’étais devenu… enfin, pas respectable, mais j’avais fait des efforts dans ma vie. J’avais commencé à croire qu’un jour viendrait où je pourrais rembourser ma dette envers ma famille et Seika. Ma vie reprenait à nouveau sens. Perdre ça était frustrant.
« Je suis désolé, papa, maman, Sayuki, Seika. »
Tout ce que je pouvais faire était d’envoyer mes excuses désespérées dans le vide.
« Yoshio ! Réveille-toi ! Réveille-toi ! »
Quelqu’un appelait mon nom. C’était la voix familière d’une fille. J’avais senti une sensation humide contre ma joue. À qui était cette voix ? Et quelle était cette sensation gluante sur mon visage ?
« Réveille-toi, réveille-toi, réveille-toi ! »
Le désespoir me fit reprendre mes esprits.
Je suis… Yoshio. J’ai sauté à travers ce portail dans les ténèbres…
Tout était redevenu clair maintenant. Je savais qui j’étais et ce que j’avais fait. Mes paupières étaient aussi lourdes que du plomb, et les ouvrir demandait un effort. Quand j’avais enfin réussi, je vis Carol qui me regardait, en pleurant, et Destiné qui me léchait avec sa longue et fine langue.
« Carol. Destiné », dis-je.
Carol jeta alors ses bras autour de mon cou.
« Tu es en sécurité ! J’avais tellement peur ! Tu ne bougeais pas ! »
« Oh. Je suis désolé. »
Je m’étais redressé et j’avais tapoté la tête de Carol, puis celle de Destiné, qui s’accrochait à ma poitrine et clignait des yeux vers moi avec douceur. Je me sentais encore étourdi. J’avais pris plusieurs grandes respirations, remplissant mes poumons. L’air était froid, me glaçant de l’intérieur. Je pouvais sentir des plantes, beaucoup de plantes.
Nous étions entourés d’arbres, le sol était recouvert d’herbes courtes. Le gel recouvrait tout, engourdissant mes mains qui reposaient sur le sol. J’avais beau regarder partout autour de moi, aucune trace des bureaux de l’Isekai Connection à l’horizon. Nous n’étions plus dans un bâtiment, et le portail n’était nulle part en vue. Nous étions en plein air. Nous étions…
« Qui est là ? A- Attendez. Carol ?! »
Une voix cria derrière nous, la colère s’y était rapidement dissipée, remplacée par la surprise. Je m’étais retourné pour trouver un homme avec une épée à deux mains et un visage ciselé. Derrière lui se tenait une clôture faite de rondins, avec une porte en bois.
Une clôture en rondins, ici, dans cette forêt. Un homme armé d’une épée, qui avait reconnu Carol.
Je connaissais cet endroit. Je connaissais cet homme.
Nous l’avions fait.
Mes sens revenaient à moi maintenant, j’avais donc décidé de perdre mon sang-froid plus tard. J’avais besoin de me faire une idée de ce miracle.
« Carol. Tu es vivante ! Éloigne-toi de cet étranger, vite ! »
Le regard de soulagement de Gams fut rapidement remplacé par la colère, et je m’étais retrouvé face à la pointe de sa lame. Je ne pouvais pas lui reprocher de me trouver suspect.
« Gams ? Pourquoi cris-tu, Carol ?! »
Une jeune femme en robe religieuse apparut aux côtés de Gams.
Puis, un homme à l’air timide et une femme aux cheveux roux s’étaient précipités, le visage ravagé par l’émotion.
« Carol ! Carol ! »
« Carol ! C’est toi ?! »
Ils jetèrent alors leurs armes. Carol sauta dans leurs bras.
« Maman ! Papa ! »
Ils pleurèrent énormément tous les trois tout en se tenant dans les bras l’un de l’autre. Rien que les voir réunis ainsi comme ça me fit comprendre que tout ce que j’avais fait en valait la peine. J’avais soupiré et essayé de réprimer mes propres larmes.
Dieu merci…
Je voulais continuer à regarder Carol et sa famille et laisser le soulagement m’envahir, mais j’avais toujours une lame étincelante dans mon visage.
« Qui êtes-vous, et pourquoi vos vêtements sont-ils si étranges ? Pourquoi étiez-vous avec Carol ? Je vous préviens, une mauvaise réponse sera fatale. »
Gams avait une voix masculine et profonde. J’aurais dû en avoir peur, mais je savais qu’il n’était pas du genre à blesser quelqu’un sans réfléchir. Je le connaissais mieux que ça. Je les connaissais tous. La gentille fille qui se cachait derrière lui et qui me regardait avec méfiance, la famille de trois personnes qui s’embrassait, les pandas roux bipèdes qui venaient d’arriver, et la belle elfe androgyne. Je ne pourrais jamais en oublier un seul.
Rien que de les regarder maintenant, les larmes coulaient de mes yeux.
« Pleurer ne t’aidera pas à t’en sortir ! Dis-moi qui tu es ! »
« Je suis… »
Je m’étais arrêté. Qu’est-ce que je devais dire ? Je ne voulais pas prétendre que je ne savais pas qui ils étaient. Pas maintenant.
Je savais que l’homme avec des épées dans les deux mains était leur plus grand combattant, Gams. Je savais que la fille pieuse derrière lui, si attachée à son frère, était Chem. Je savais que la famille de trois personnes était Carol, Rodice et Lyra. Je savais que celle qui pointait son arc sur moi à distance était Murus. Je savais que les deux qui pointaient leurs lances vers moi étaient Kan et Lan.
« Je vois que vous êtes tous sains et saufs. »
J’étais si heureux que je ne pouvais m’empêcher de pleurer. Je voulais les rencontrer depuis si longtemps, et maintenant ils étaient là, devant moi. Je ne pouvais pas contenir ma joie.
« Tu es vraiment effrayant. Puisque tu ne parles pas, que dis-tu de ça ? »
Gams approcha sa lame si près de mon visage qu’elle touchait mon nez. Si je bougeais le petit doigt, il me le couperait. Je savais qu’il n’hésiterait pas à me tuer si cela signifiait sauver la vie des autres. Voilà le genre de type qu’il était.
Allez, réfléchis ! À quoi tout cela t’aura-t-il servi s’il te prend pour une menace et que tu meurs ici ?!
« La vérité est que… »
« Ne brutalise pas Yoshio, Gams ! »
Carol se jeta entre nous et tendit ses bras pour me protéger.
« Carol ! C’est dangereux ! »
Gams retira son épée rapidement.
Carole fit alors la moue et le regarda fixement.
« Yoshio aide les dieux ! Il m’a protégé tout ce temps ! »
Carole me défendait contre Gams, qu’elle adorait. Mon cœur s’était gonflé d’émotion.
Merci. Je me sens plus confiant maintenant.
Je posais une main sur l’épaule de Carol et me levais. J’avais soutenu le regard de Gams en parlant.
« C’est un plaisir de vous rencontrer, les élus. Je m’appelle Yoshio, et je suis un disciple du Dieu du Destin. Je suis venu ici pour vous rendre Carol. Elle a été placée sous la garde du Seigneur dans le Monde des Dieux il y a quelques jours. »
Je n’avais pas osé montrer à quel point j’étais nerveux. J’avais souri pour leur assurer que je ne leur voulais aucun mal. Je n’avais pas l’habitude d’utiliser autant les muscles de mon visage, et je sentais mes joues se contracter. C’était la même histoire que j’avais utilisée avec Carol.
« Un disciple du Seigneur ? Et vous pensez que nous allons croire… »
« C’est vrai, Gams ! On a joué ensemble dans le Monde des Dieux ! Et j’ai eu beaucoup de nourriture délicieuse là-bas ! »
Destiné grimpa sur l’épaule de Carol et agita son pied et sa queue pour soutenir son argument fervent.
« Je ne sais pas, Carol. Et quel est ce monstre sur ton épaule ? »
Gams fronça les sourcils en regardant le lézard.
« C’est mon ami, Destiné ! »
Gams n’essaya pas de retirer Destiné de son dos, il avait probablement pensé que ce n’était pas dangereux. De plus, Destiné avait un aspect presque divin avec son corps baigné par la lumière du soleil. Sa peau dorée se détachait sur les arbres.
« Je comprends vos soupçons. Tout ceci arrive assez soudainement. Mais d’abord, s’il vous plaît, permettez-moi de rendre ceci. »
J’avais sorti le livre saint de mon sac et l’avais offert à Chem.
« Le livre ! Vous êtes vraiment un disciple du Seigneur ! »
Chem poussa alors un cri de joie, tomba à genoux et s’inclina profondément. Gams rangea immédiatement ses armes et s’agenouilla pour la rejoindre. La seconde suivante, tous les villageois étaient à genoux. Seule Murus restait debout, les bras croisés, le regard froid.
« Pardonnez mon ignorance et mon impolitesse ! J’en prendrai l’entière responsabilité ! Mais je vous en prie, épargnez les autres villageois ! Ils n’ont rien fait de mal ! », cria Gams.
Tu réagis de façon excessive.
« Mon frère était simplement inconscient ! Ayez pitié ! Je vais m’offrir, alors soyez indulgents dans votre jugement ! » supplia Chem, enfonçant son front dans le sol.
Voilà ce que cela faisait d’être un dieu tout-puissant ? C’était affreux. C’était l’exact opposé de ce que je m’attendais au moment où j’avais dit que je suivais le Dieu du Destin.
« S’il vous plaît, levez-vous. Je ne suis pas du tout en colère, et le Seigneur non plus. Gams, vous avez bien protégé le village. Le Seigneur est content de vous. »
Je n’essayais pas de mentir, j’étais vraiment rempli de la plus grande gratitude pour lui.
« Je suis également heureux de voir que tout le monde est sain et sauf. »
Ce n’était pas particulièrement divin ou poétique, mais c’était tout ce que j’avais pu trouver.
J’avais l’habitude d’incarner un dieu grâce à toutes les prophéties que j’avais envoyées, mais parler si poliment et calmement sur place était bien plus difficile. Arranger tous les mots ensemble sans une seule erreur était presque trop pour moi.
« Merci ! S’il vous plaît, nous ne pouvons pas rester dehors dans le froid. Nous sommes encore en train de réparer notre village, mais permettez-nous de vous y accueillir. », dit Chem, les yeux pétillants.
Elle était une fervente croyante du Dieu du destin. Mon personnage supposé était probablement ce qu’elle aspirait à être elle-même. Les autres villageois se levèrent aussitôt et me firent signe de les suivre.
« Très bien, je vais me joindre à vous. J’ai hâte de voir comment se porte votre village, et j’aimerais vous parler de l’expérience de Carol dans le Monde des Dieux. »
Je les avais suivis, regardant autour de moi avec émerveillement. J’avais vu cette vue des tonnes de fois sur mon écran d’ordinateur, mais le voir en vrai était vraiment une autre chose. Le soleil filtrant à travers les trous dans les arbres. Les visages de mes villageois. La sensation de la terre sous mes pieds. L’odeur épaisse de la végétation et de la nature.
merci pour le chapitre