Chapitre 15 : Ceux qui dirigent, ceux qui obéissent
Table des matières
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Chapitre 15 : Ceux qui dirigent, ceux qui obéissent
Partie 1
Un grand nombre de monstres étaient apparus comme s’ils sortaient des arbres. J’en avais compté plus de vingt rien qu’à partir de ceux que je pouvais voir. Berta avait remué sa queue et s’était blottie contre le garçon qui marchait lentement sur notre chemin, à la tête des monstres. Il n’y avait pas prêté attention et un doux sourire s’était dessiné sur ses traits fins.
« Tu n’as pas l’air surpris, Senpai. Avais-tu déjà compris que c’était moi ? »
« Oui, je m’y attendais, » répondis-je en soupirant. « Kudou Riku, quand je pense que tu es le dompteur de monstres qui a attaqué le Fort de Tilia... »
Devant moi se tenait l’enfant maltraité, Kudou Riku. Il était censé être mort à cause de la magie de Juumonji au sommet des murs intérieurs. Le fait qu’il soit ici signifie que c’était un de ses doubles qui avait été détruit dans l’explosion.
« Comment as-tu pu dire que j’étais le vrai dompteur de monstres parmi tous les étudiants qui étaient là ? Je serais heureux si tu peux me le dire, comme référence future. »
« Ce n’est pas si compliqué. N’importe qui aurait pu être un sosie, mais piéger Sakagami en tant que dompteur de monstres n’était pas quelque chose que n’importe qui pouvait faire. »
En contraste avec l’attitude calme de Kudou, mon ton était amer. Même si je m’y attendais, le voir agir de la sorte sous mes yeux avait fait naître en moi un sentiment désagréable.
« Sakagami pensait vraiment qu’il avait le pouvoir d’appeler des monstres, » avais-je poursuivi. « Pour l’induire en erreur, il faudrait utiliser une capacité similaire chaque fois qu’il essaie d’appeler des monstres. En lui faisant croire qu’il avait besoin d’une sorte de rituel pour le faire, on l’avertirait du moment où il faudrait utiliser sa tromperie, mais il faudrait quand même rester près de lui. »
« Je vois. Ce qui veut dire que ça ne peut être que moi, vu que j’étais avec Sakagami depuis qu’il s’est réfugié dans cette cabane. »
Il y avait une autre chose qui me conduisait à cette conclusion, une conjecture basée sur mes propres expériences. Berta avait certainement l’air intelligente, mais elle restait un monstre et n’avait acquis son ego que récemment. Il lui serait difficile de continuer à tromper Sakagami. Un tel comportement nécessitait la fourberie humaine, après tout.
« Tu as piégé Sakagami pour assurer ta propre sécurité, n’est-ce pas ? » avais-je demandé.
« Oui. Je suppose que tu le sais déjà, mais la faiblesse de nos capacités réside dans la faiblesse des dompteurs eux-mêmes, » répondit franchement Kudou. « À l’inverse, il n’y a pas de pouvoir plus pratique pour agir dans l’ombre, surtout après avoir simulé sa propre mort et s’être caché. Sakagami aurait cependant pu se rendre compte qu’il était un bouc émissaire, s’il ne pouvait plus utiliser sa capacité quand je n’étais pas là… »
« Mais ce n’est pas un problème s’il est mort, hein ? C’est pour ça que tu l’as sauvé. Tu aurais dû l’achever tout de suite. Nous t’avons découvert comme ça parce que tu étais trop gourmand. »
La raison pour laquelle Kudou avait demandé à Berta de sauver Sakagami était, franchement, de lui faire fermer sa gueule. Et pourtant, il n’avait pas fait tuer Sakagami tout de suite. Grâce à cela, j’avais pu parler à Sakagami et confirmer qu’un autre dompteur de monstres avait attaqué la forteresse. Kudou avait bien sûr une raison de ne pas le tuer tout de suite, mais nous avions déjà mis en place des contre-mesures pour éviter cela.
« Je sais que tu essaies de donner les étudiants en pâture à tes monstres. Je parie que tu avais prévu de cibler les étudiants survivants en nous attirant dehors en utilisant Sakagami comme appât… Mais tant pis. Miyoshi et les autres se sont déjà échappés dans les bois avec les chevaliers de l’Alliance. »
Sakagami avait dit que nous étions en retard, mais c’était seulement parce que nous avions mis les choses en ordre avant de partir à sa recherche. Kudou perdrait son temps s’il cherchait à les retrouver dans la forteresse maintenant, et au cas où il se rendrait compte qu’ils ne sont plus là, Shiran les gardait. Ses capacités de combat rivalisaient avec celles de la Grande Araignée Blanche des Profondeurs, elle pouvait donc faire face à tout ce qui n’était pas extrême. Au moins, elle pouvait s’occuper d’Anton, qui était probablement en train de s’attaquer aux étudiants survivants.
La situation évoluait en grande partie comme nous l’avions prévu. Il y avait juste une chose que je n’avais pas prévue. Je ne m’attendais pas à ce que Kudou se montre comme ça. Je pensais que nous pourrions vaincre Berta et reprendre Sakagami.
Maintenant qu’on en était là, je ne pouvais pas laisser Kudou s’échapper. Certaines de ses forces étaient probablement parties avec Anton, réduisant ainsi ses renforts disponibles. Maintenant, il s’agissait de savoir si l’autre chose que nous avions préparée se passerait bien…
« Magnifique, Senpai. » Un claquement sec avait coupé court à mes pensées. Kudou abaissa ses mains, et ses lèvres doucement incurvées s’ouvrirent à nouveau. « Non seulement tu as fait tomber Juumonji, mais tu as aussi découvert mon identité. »
« Désolé d’éclater ta bulle pendant que tu me fais des éloges, mais je n’ai pas terrassé Juumonji, et c’est grâce à Mikihiko que nous avons compris que Sakagami n’était pas un dompteur de monstres. »
« Il n’y a pas besoin d’être si humble. Tout cela fait partie de ta force. »
Cette conversation me mettait mal à l’aise, comme une démangeaison dans mon cerveau. Quelque chose était étrange ici. Il était très calme pour quelqu’un dont les plans avaient été déjoués. Il avait même l’air content.
« Anton m’a raconté les détails de ce qui s’est passé. C’était une victoire splendide, » dit Kudou d’un ton vif.
« Où veux-tu en venir… ? »
J’avais regardé son visage. De manière incroyable, il était sérieux. Je pouvais lire dans son regard que son éloge n’était pas exagéré.
« Cette phrase que tu as dite à l’elfe, “C’est le monde où les souhaits se réalisent”, elle vient du tout premier sauveur de ce monde, non ? Tu as prouvé que ces mots étaient corrects, Senpai. Votre groupe a été capable d’arrêter la violence de Juumonji grâce à vos sentiments. Ce monde n’est pas simplement un monde où les forts peuvent faire ce qu’ils veulent. Elle et toi êtes vraiment magnifiques. Je le crois du plus profond de mon cœur. »
Cette conversation ressemblait à celle que j’avais eue avec Shiran lorsqu’elle avait retrouvé son cœur, mais elle différait tellement qu’elle me donnait la nausée. En fait, j’avais nié l’affirmation de Kudou selon laquelle les forts pouvaient faire ce qu’ils voulaient dans ce monde. Je n’y avais vu qu’une offrande à son âme défunte.
Alors pourquoi cette conversation maintenant ? Mes sentiments avaient été à tous les coups transmis à lui. Il n’en aurait pas parlé et ne nous aurait pas félicités s’ils ne l’avaient pas fait. Et pourtant, il se sentait désespérément distant de nous.
« Pourquoi, Kudou ? » J’avais pratiquement gémi. « Pourquoi as-tu soutenu la folie de Juumonji ? Tu sais ce que ça fait d’être opprimé par une violence irrationnelle, n’est-ce pas ? Alors, pourquoi… ? »
« “Ce que ça fait d’être opprimé par une violence irrationnelle”, dis-tu. Bien sûr. Je le sais très bien, » répondit Kudou en hochant calmement la tête. Ses yeux étaient si tranquilles qu’on n’aurait jamais pensé qu’il était acculé dans un coin. « Je veux dire, j’ai vécu la destruction de la colonie tout comme toi, Senpai. »
« Quoi… ? »
« J’ai aussi été laissé au bord de la mort dans cette épave en flammes, vois-tu. »
La confession joyeuse de Kudou m’avait laissé perplexe. C’était différent de ce que j’avais entendu.
« Mais tu étais dans l’une des cabanes de la région forestière, et Shiran t’a sauvé avec Sakagami, non ? Ce n’est pas un des membres de l’équipe d’exploration qui est resté derrière qui t’a guidé vers cette cabane ? »
« C’était apparemment le cas pour tous les autres habitants de la cabane, oui. Pas moi, cependant. Personne ne m’a aidé à sortir de la colonie. J’ai simplement trébuché dans la cabane après. Sakagami était la seule personne à le savoir, mais tout le monde le détestait. Enfin, même si ce n’était pas le cas, il n’aurait probablement pas raconté les détails à qui que ce soit. »
Kudou avait gloussé brièvement avant de poursuivre.
« Comme tu le sais, Sakagami était un bâtard cruel. Je le connaissais même avant de venir dans ce monde. Ce jour-là, dans la colonie, il s’est échappé en me laissant en sacrifice. »
Je n’avais pas répondu, alors Kudou avait continué.
« Après avoir été laissé derrière comme ça… J’ai vécu un véritable enfer. Le fait que j’ai réussi à survivre… Eh bien, je ne peux que le mettre sur le compte de la chance. Après m’être finalement éloigné de la colonie, j’ai erré dans la forêt pendant quelques jours. La faim, la douleur, l’anxiété et la solitude ont déchiré mon cœur. En y repensant maintenant, c’est un miracle que j’aie réussi à survivre pour être ici aujourd’hui. »
J’avais été totalement surpris en l’écoutant raconter son histoire avec le sourire.
Une connaissance l’avait trahi, il avait failli être tué, mais il avait survécu par pure chance. Ne pouvant faire confiance à personne, il avait erré tout seul dans la forêt. Il avait peur d’être tué par un monstre atroce à tout moment, mais même si cela n’arrivait pas, la faim et la soif le guettaient.
C’était l’histoire de qui, exactement ?
Me voyant sans voix, Kudou avait gloussé une fois de plus.
« Se pourrait-il que tu aies vécu une expérience similaire, Senpai ? »
J’avais haleté. C’était comme s’il avait lu dans mes pensées. Je l’avais regardé avec étonnement. Les seules personnes qui savaient ce que j’avais vécu lors de la chute de la colonie étaient Lily et mes autres serviteurs. Il n’y avait aucun moyen qu’il puisse savoir.
« Comment sais-tu… que… ? » demandai-je, ma voix devenant sévère.
« Je peux le dire, » répondit Kudou, son sourire restant le même. « Nous nous ressemblons, après tout. »
« Ne te moque pas de moi. »
Il fut un temps où je pensais que Kudou et moi pouvions nous ressembler. Cependant, c’était seulement parce que nous avions tous deux été piétinés par la violence. Rien de plus. Je n’avais même pas imaginé que nos expériences seraient si similaires. Malgré tout, il devait y avoir une raison pour qu’il le sache.
« Kudou, qu’est-ce que tu sais ? »
« Des choses que tu ne connais pas, » avait-il répondu avec conviction. « Surtout en ce qui concerne nos pouvoirs. »
La connaissance des tricheries que nous, visiteurs, possédions… Comment pouvait-il déclarer cela, alors qu’il avait vécu les mêmes expériences que moi ? Peut-être que la « ressemblance » dont parlait Kudou concernait en fait notre capacité à apprivoiser les monstres… ? Mais quel rapport y avait-il entre des capacités inhérentes similaires et des expériences similaires en arrivant dans ce monde ?
C’est juste une coïncidence. Oui… Rien de plus qu’une coïncidence. Il n’y a aucun rapport du tout… Est-ce vraiment le cas ? Deux personnes qui partagent les mêmes capacités et expériences… Une telle coïncidence était-elle vraiment possible ? Si c’était en fait une fatalité, Kudou savait quelque chose que j’ignorais. Maintenant que j’y pense, Juumonji semblait aussi savoir quelque chose sur les tricheries que je ne savais pas. Ce qui veut dire, juste peut-être…
« Kudou, as-tu été en contact avec le corps expéditionnaire ? »
« Hein ? Comment sais-tu ça ? »
C’était la première fois que son sourire constant commençait à s’estomper. Ses yeux s’écarquillèrent très légèrement tandis que je rétrécissais les miens.
« Tu… ou je suppose, Sakagami, as dû planifier l’attaque avec Juumonji d’une manière ou d’une autre. C’est donc une conclusion assez naturelle. Non pas que j’aie une quelconque preuve. »
« Oh. Était-ce une question tendancieuse ? »
Kudou avait réalisé sa propre gaffe et avait souri amèrement. Tout comme Juumonji et Sakagami, Kudou avait été en contact avec un coopérateur commun au sein du corps expéditionnaire. C’est probablement là qu’il avait appris toutes sortes de choses dont je ne savais rien.
Mais si Kudou était lié à quelqu’un du corps expéditionnaire, pourquoi n’a-t-il pas dit à cette personne ou à Juumonji que Sakagami n’était qu’un bouc émissaire ? J’avais une montagne de questions à lui poser maintenant.
« Tu vas me dire tout ce que tu sais. »
C’était ma chance, maintenant que je l’avais coincé comme ça. Les jambes de Gerbera s’agitaient. Lily rassembla son mana. Asarina grognait. Berta grognait. Tous les autres monstres que Kudou avait amenés avec lui s’étaient également préparés au combat.
« Cela ne me dérange pas de te dire ce que je peux, » dit Kudou, gardant son sourire transparent dans cette atmosphère tendue. Puis il haussa les épaules. « Je suis venu ici avec l’intention de tout te dire de toute façon, en fonction des circonstances. »
« Quoi… ? » Je lui avais lancé un regard noir. Même s’il était prêt à parler, sa formulation me mettait mal à l’aise. « La façon dont tu le dis donne presque l’impression que… »
« Oui. J’avais prévu de te parler ici dès le départ, » dit-il en souriant, confirmant mes doutes.
Avant que j’aie pu comprendre le sens de cette phrase, la forêt s’était soudainement mise en branle.
« Qu’est-ce que… ? »
Les arbres avaient craqué, les fourrés s’étaient cassés, et quelque chose avait creusé le sol. Des lames s’affrontaient, et quelque chose s’écrasait sur un bouclier, le brisant peut-être. C’était le tumulte d’une bataille.
« A-Argh… »
Une femme aux cheveux gris, portant des vêtements blancs et un masque, gémit en bondissant hors de la forêt lugubre. D’innombrables épées fantômes volaient dans l’air et la poursuivaient.
« Rose ! »
La femme, Rose, avait une lame ombragée qui dépassait de son col alors qu’elle reculait vers ma position.
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Partie 2
« Mes excuses, Maître. J’ai fait une erreur de calcul, » dit-elle d’un ton grave, en retirant la lame et en la jetant au sol.
Elle n’était pas là par coïncidence, bien sûr. J’avais en fait rendez-vous avec elle plus tôt. L’une des raisons pour lesquelles nous avions été en retard dans la poursuite de Sakagami était que nous étions partis rejoindre Rose et avions laissé Katou avec les Chevaliers de l’Alliance.
J’avais dit à Rose de se cacher et de couper le chemin de retraite de nos ennemis pendant que nous attirions leur attention. Cependant, ce plan avait échoué à cause de l’obstruction d’un seul monstre puissant. Mes yeux s’étaient ouverts à la vue d’une ombre familière sortant de l’obscurité des arbres.
« Anton… !? » Je ne pouvais pas confondre cette forme ombrageuse de près de trois mètres de haut avec autre chose.
La doppelqueen Anton s’était précipitée aux côtés de son roi, suivie par une armée de doppelgängers.
« Pourquoi Anton est-elle ici ? »
Elle était censée chercher les autres élèves au Fort de Tilia pour les manger… Une de mes prédictions était fausse.
« Jusqu’à l’utilisation de Sakagami comme appât, tout s’est passé exactement comme tu l’as dit, Senpai, » m’avait dit Kudou. « Cependant, ce n’était pas pour pouvoir cibler les autres élèves pendant que je te faisais sortir. J’ai gardé Sakagami en vie afin de pouvoir t’appeler ici et te parler, comme nous le faisons maintenant. »
« Parler… avec moi ? »
Je doutais de mes oreilles. C’était une tournure des événements complètement inattendue. Je l’avais trouvé assez incroyable au début, mais maintenant qu’il l’avait mentionné, cela avait un sens. L’attitude amicale de Kudou à mon égard n’avait pas changé pendant tout ce temps. Je pensais qu’il était simplement confiant, mais si ce n’était pas le cas, si Kudou n’avait aucune intention hostile à mon égard depuis le tout début…
« Est-ce pour ça que tu as fait des pieds et des mains pour te montrer comme ça ? » avais-je demandé.
« Je suis heureux que tu le comprennes. »
« Non, je ne le fais pas. De quoi pourrais-tu bien me parler ? »
Je ne pouvais pas cacher ma stupéfaction, et cela n’avait fait qu’élargir le sourire de Kudou. Il n’était pas du tout réservé. C’était comme s’il souriait directement à un ami.
« Hé, Senpai. Veux-tu joindre tes forces aux miennes ? »
La suggestion de Kudou était une demande imprévisible. Pour moi, en tout cas.
« Unir nos forces… ? »
« Oui. Tu as vu Juumonji et Sakagami, n’est-ce pas ? Ce qui est effrayant avec des voyous comme ça, c’est qu’il y en a d’innombrables autres comme eux. Ils sont comme des cafards. Et leurs peurs et leurs angoisses sont contagieuses. Au début, leur paranoïa due à leur téléportation dans ce monde leur faisait craindre que leur voisin ne les tue, mais cette peur est maintenant devenue une réalité. Même ceux qui, hier, n’y voyaient qu’une illusion ne peuvent s’empêcher de soupçonner ceux qui les entourent aujourd’hui. Maintenant qu’on en est arrivé là, ils ne sont pas différents des dominos qui tombent. Tu ne devrais pas t’associer à des personnes qui risquent de tomber à tout moment. »
« Alors je devrais me joindre à toi ? » J’avais pris une lente inspiration. Je devais le faire, pour échapper à l’impact de ce que je venais d’entendre. « Je comprends ce que tu dis… mais je ne peux pas te faire confiance, et tu ne peux pas me faire confiance, n’est-ce pas ? »
« Tu es une exception. »
« Une exception ? Comme c’est pratique. Essaies-tu de me dire de croire en toi ? »
« Bien sûr, je ferai l’effort pour que tu me fasses confiance, » répondit Kudou d’un signe de tête. Bien que l’impact de ses derniers mots ne se soit pas encore dissipé, il avait alors lâché une bombe encore plus grosse. « Et si, comme preuve de ma confiance, je te parlais de mes capacités ? »
« Quoi… ? »
« Comme tu le sais, mon pouvoir me permet de manipuler les monstres. Actuellement, ma limite supérieure est de 735 individus. Je ne peux pas les contrôler à distance, mais je peux leur donner des ordres précis à l’avance. Un gros problème est que je ne peux pas manipuler les monstres au-delà d’un certain niveau de force. Il semble que tu sois quelque peu différent à cet égard. »
Sa vie même dépendait de ce genre d’information, surtout si l’on considère la nature de sa capacité. Malgré cela, Kudou avait parlé d’un ton léger comme s’il parlait avec un allié digne de confiance.
« Dans mon cas, je dois les former dès la case départ si je veux avoir un monstre puissant sous mon commandement. C’est ainsi que j’ai élevé Anton et Berta. Quant à la méthode… Hmmm. As-tu déjà entendu parler du bocal à poison kudoku ? Pour faire simple, je les manipule tous pour qu’ils s’entretuent. De cette façon, je peux trier les spécimens les plus forts tout en les renforçant par la même occasion. C’est comme tuer deux oiseaux avec une pierre. À propos de cette dernière partie, il est apparemment plus efficace pour gagner en force de manger la viande des morts plutôt que de simplement les tuer. »
Kudou avait dévoilé ses secrets, y compris ses propres faiblesses, comme s’il s’agissait de bavarder de ragots futiles. Il n’avait pas hésité, il semblait même fier. Je ne pouvais que supposer qu’il avait quelques vis desserrées. Son plan était-il de m’embrouiller en disant des choses au hasard ? Mais tout ce qu’il disait semblait parfaitement logique.
De plus, son histoire venait de me rappeler quelque chose d’autre. J’avais jeté un coup d’œil à Asarina. En tant que variante de liane à projectiles, elle fonctionnait en aspirant mon mana. Cependant, ce n’était rien de plus qu’une altération du comportement parasitaire original de la liane à projectile. Les lianes projettent des graines dans leurs proies où de nouvelles pousses se formaient. C’était la même chose que ce qu’Asarina me faisait. En d’autres termes, la liane tirait son mana du cadavre dont elle était la proie. Je n’y avais jamais pensé de cette façon auparavant, mais acquérir du mana en mangeant un ennemi n’était pas si étrange.
Le fait que ses paroles concordent avec ce que j’avais découvert indépendamment donnait de la crédibilité à tout ce qu’il disait. Cela explique aussi pourquoi il avait donné les cadavres de Juumonji et Watanabe à ses serviteurs comme stratagème pour obtenir plus de pouvoir. Toutes les pièces du puzzle se mettaient en place. Seulement maintenant, le trou géant dans l’image finale ressortait encore plus.
« Pourquoi me dis-tu tout cela… ? » avais-je demandé.
Kudou m’avait regardé fixement alors que je me tenais là, déconcerté. Il avait dirigé vers moi un regard passionné, à la limite de l’innocence.
« Parce que tu es semblable à moi, Senpai. »
« Encore ça ? » avais-je dit avec un soupir. « Et alors, si nos pouvoirs et nos circonstances sont similaires ? »
J’avais secoué la tête, mais Kudou avait ri joyeusement. C’était comme si le simple fait de me parler était insupportablement amusant pour lui.
« Non, je ne parle pas de nos pouvoirs ou de nos circonstances. Nous sommes semblables d’une manière beaucoup plus fondamentale. »
« Que veux-tu dire… ? »
« C’est exactement pour ça que je te veux, » dit Kudou, en gardant son sourire amical. Il ressemblait à une sorte de créature inconnue et indescriptible pour moi. « Je suppose qu’il est raisonnable que tu ne comprennes pas où je veux en venir. Alors, laisse-moi te dire encore une chose sur le pouvoir que nous possédons tous. Qu’est-ce que c’est exactement ? Ne te l’es-tu jamais demandé ? »
Quel était exactement ce pouvoir que nous, visiteurs lointains, avions reçu ? C’était certainement une question que j’avais envisagée pendant notre combat contre Juumonji. Il n’était pas exagéré de dire que ce pouvoir s’était déchaîné et avait causé tout cet incident. D’ailleurs, nous n’en savions rien, à part qu’il était « donné à ceux qui viennent dans ce monde ». Même si je savais que je dansais sur la mélodie de Kudou, je ne pouvais m’empêcher de l’écouter attentivement.
« Majima-senpai, t’es-tu déjà demandé pourquoi ton pouvoir a pris une telle forme ? Pour le dire autrement, pourquoi avons-nous fini par acquérir des pouvoirs similaires ? » Kudou déplaça son regard sur les monstres qui l’entouraient, puis sur mes serviteurs. « Je n’aime pas appeler ce pouvoir une tricherie. L’appeler une bénédiction comme ils le font ici est également discutable. Je veux dire que ces descriptions sont très éloignées de la véritable nature de ce pouvoir. Des capacités mystiques qui te tombent dessus sans une once d’émotion ? Mais cela ne s’applique qu’à la grande majorité de la racaille. »
Kudou m’avait regardé droit dans les yeux.
« Par exemple, qu’en est-il de toi, Senpai ? Tu es différent, non ? Ton pouvoir devrait être chargé de beaucoup de tes sentiments. »
« Comment sais-tu que… ? » Je ne pouvais pas du tout nier sa supposition. Je n’avais pas d’autre choix que de l’inciter à continuer.
« Je peux le dire. Je veux dire, c’est la vraie nature de notre pouvoir. » Kudou avait fait une pause et avait mis la main sur sa poitrine. « Ce pouvoir… est basé sur nos souhaits. »
« Nos souhaits… ? » répétais-je, hébété. C’était bien au-delà de mes attentes. Ou peut-être, exactement le contraire de mes attentes.
« Je ne connais pas les moindres détails de son fonctionnement, mais le mana existe dans ce monde. Les pensées ont un effet sur la réalité ici. Lorsqu’une pensée dépasse un certain niveau de force, lorsqu’un souhait prend forme au plus profond de nos âmes, nos capacités inhérentes en tant que visiteurs se manifestent. Cela te rappelle-t-il quelque chose, Senpai ? »
« … »
Je n’avais jamais remarqué ma propre capacité à apprivoiser les monstres dans la colonie. Je pensais que c’était parce que je n’avais pas rencontré de monstres dans la sécurité de nos habitations et que je n’en avais pris conscience que lorsque j’avais rencontré Lily. Cependant, même si ce n’était pas que je ne l’avais pas encore réalisé, mais plutôt que je l’avais obtenue à ce moment-là, il n’y avait pas vraiment d’incohérence avec la façon dont les choses se sont déroulées. Cependant, ce n’était pas comme si je pouvais accepter tout ce qu’il disait.
« Attends, si c’est le cas… Qu’en est-il des guerriers ? Ils ont tous à peu près la même puissance, non ? »
« Ils n’ont tout simplement pas réussi à atteindre leur potentiel. Ceux qui bien que n’ayant pas de souhait bien défini, mais qui a une certaine conviction infondée en eux-mêmes finissent ainsi. Une telle conviction n’est pas différente d’une pensée puissante formée inconsciemment. “Je suis venu dans ce monde, cela ne me rend-il pas spécial ?” “J’espère que oui. Non, ça doit être le cas.” “Je suis vraiment spécial. C’est comme ça.” C’est la racine de leur force surhumaine. Leur folie des grandeurs leur a donné un pouvoir vide, sans émotion derrière. »
Je m’étais souvenu de la façon dont Juumonji et Watanabe agissaient comme s’ils étaient les sauveurs du monde… Je ne me sentais pas capable de réfuter l’affirmation de Kudou. Dans ce cas, si près d’un tiers des élèves étaient devenus des guerriers, c’est parce que… nous étions des lycéens ? Les lycéens étaient assez âgés pour comprendre un peu la réalité. Ils n’avaient pas tous des convictions aussi enfantines. Si un collège avait été téléporté ici, la proportion de guerriers aurait été bien plus importante.
« Mais les sauveurs du passé possédaient tous un pouvoir, non ? Peu importe qu’ils soient des guerriers ou qu’ils possèdent des capacités plus spécifiques, ça n’aurait pas dû être si facile pour chacun d’entre eux de s’assurer un tel pouvoir. »
« Tu as mal compris, Senpai. Nous, les visiteurs, ne sommes pas traités comme des sauveurs parce que nous avons du pouvoir. On nous traite d’abord comme des sauveurs. Les humains se considèrent plus ou moins comme spéciaux. Ils veulent croire qu’ils le sont. Alors, quand ils sont traités comme plus que spéciaux dans ce monde, c’est normal qu’ils se sentent comme ça, non ? »
« Donc, l’ordre est inversé ? Ce n’est pas “ils ont du pouvoir donc ils sont devenus des sauveurs”, mais plutôt “ils ont été traités comme des sauveurs et ont ainsi gagné du pouvoir”… ? »
« C’est un système plutôt bien fait, à mon avis, » dit Kudou avec un sourire sarcastique. « C’est le monde où les souhaits se réalisent. »
« Oh… »
Ce sont les mots que le premier sauveur avait laissés derrière lui. Qui aurait pu penser qu’ils avaient une telle signification derrière eux ?
***
Partie 3
« Ce système n’a pas de sens si les sauveurs le savent à l’avance. Il faut qu’ils aient vraiment envie de le faire, après tout. C’est pourquoi les humains de ce monde ne le savent pas non plus. Les seuls qui le savent sont probablement les gens de cette Église dont nous avons entendu parler. Ils pourraient même avoir rendu l’interprétation des paroles du premier sauveur vague à dessein. »
« Maintenant que j’y pense, Juumonji a dit que son pouvoir était dans le but de rentrer chez lui. Ce système est-il la raison pour laquelle il croyait pouvoir le faire ? »
« Je parie que oui. Si son désir de rentrer chez lui devait se manifester sous forme de pouvoir, alors il gagnerait probablement la capacité de le faire. »
« Alors il aurait vraiment été capable de retourner dans notre monde ? »
« Qui sait ? Peut-être qu’il aurait pu. Je n’en ai aucune idée. Ça ne m’intéresse pas, » dit Kudou d’un ton soudainement froid et en haussant les épaules. « Cependant, que ce soit possible ou non, c’est ce qu’on lui a amené à croire. Je n’ai pas pris part à tout cela, donc je ne connais pas les détails. »
« Amené à croire… Par la personne qui t’a fourni des informations ? »
« Oui, la personne qui sait qui je suis, mais qui ne l’a pas dit à Juumonji. Je ne serais pas surpris qu’ils soient également à l’origine des actions de Juumonji ici. »
Un froid glacial avait parcouru ma colonne vertébrale. Tenter Juumonji de se déchaîner, laisser mourir des centaines de personnes dans la forteresse, et garder le silence sur Kudou dans le processus… Il devait y avoir une extrême malice derrière tout ça. Juumonji et Kudou avaient mené l’incident de leurs propres mains, mais il y avait quelqu’un là dehors qui avait vraiment tout déclenché.
« Qui est-ce… ? »
Il faudrait un échantillon de taille assez importante pour que quelqu’un se rende compte que les tricheries sont influencées par nos souhaits. En d’autres termes, il faudrait que quelqu’un en sache beaucoup sur les membres de l’équipe d’exploration qui avaient des capacités spéciales pour voir comment leurs désirs et leurs pouvoirs correspondaient. Cependant, ils n’étaient pas si nombreux. Parmi les trois cents tricheurs, il y en avait environ dix, comme la Skanda, Iino Yuna, qui possédaient des capacités physiques de guerrier et une capacité inhérente. Même en incluant ceux qui, comme moi, n’avaient aucune capacité physique, nous étions peut-être trente.
La plupart d’entre eux faisaient partie de la direction de l’équipe d’exploration. Personne d’autre que l’échelon supérieur ne pouvait se mêler à la majorité d’entre eux. C’était un cauchemar. Le premier corps expéditionnaire, composé de plus de cent tricheurs, avait certainement le plus grand potentiel de violence dans ce monde. Maintenant, leur cœur avait déjà été infecté par la malice.
« Es-tu intéressé ? Si tu coopères avec moi, alors je te dirai bien sûr tout ce que je sais, y compris sur celui qui nous relie tous. »
« Ne sont-ils pas tes alliés ? »
« La seule personne que je veux comme alliée, c’est toi, Senpai, » dit Kudou en me tendant la main. « As-tu commencé à comprendre ? Nous avons traversé des circonstances similaires, et nous avons obtenu des pouvoirs similaires, nous partageons le plus grand tournant de nos vies. C’est pourquoi je veux joindre mes mains aux tiennes. »
« Se donner la main, et faire quoi ? As-tu l’intention de te battre contre le corps expéditionnaire ou autre chose ? »
Je ne pouvais pas nier que nous étions similaires. Si Kudou s’était éveillé à ses capacités parce qu’il avait traversé l’enfer et avait perdu toute confiance dans les humains, alors nous étions semblables. Cependant…
« Quel vœu t’a donné tes pouvoirs ? » avais-je demandé.
Le sourire de Kudou s’était accentué. « Tu te souviens quand nous avons sombré dans le désespoir, quand nos souhaits se sont transformés en pouvoir ? »
« Bien sûr que oui… » Je ne pouvais pas l’oublier, ni le désespoir ni la joie.
« Alors, essaie de te souvenir de ce tout premier souvenir. »
Ça avait stimulé les souvenirs de mon passé. Avant que je ne le sache, je n’étais plus dans la forêt. J’étais maintenant là où mon histoire avait vraiment commencé, dans cette grotte. J’étais en lambeaux et tout seul. La seule différence par rapport à cette époque était que Kudou se tenait devant moi. Ses yeux reflétaient sa propre expérience sans espoir.
Ses lèvres souriantes avaient commencé à raconter son propre désespoir. « J’ai mal aux bras. J’ai mal aux jambes. Tout mon corps me fait mal. Pourtant, la douleur dans mon cœur est la plus insupportable. »
Ça fait mal. C’est une agonie. Ce désespoir brisera mon cœur bien avant que mon corps ne se brise.
« C’est ici que ma vie se termine. »
La mort se rapproche de moi.
« Je ne veux pas mourir dans un endroit comme celui-ci. »
Non. Je ne veux pas ça. Je ne veux pas mourir.
« À ce moment-là, une certaine pensée m’est venue à l’esprit. »
Oui, une idée m’était venue à l’esprit. C’était le tout début de l’histoire qui m’avait amené ici. Peu importe le temps qui passe, je ne l’oublierai jamais.
J’avais prié. J’avais prié pour une seule chose.
Que quelqu’un… me sauve.
Mon corps et mon cœur étaient brisés. Je ne pouvais faire confiance à personne. Néanmoins, je voulais quelqu’un à mes côtés. J’avais prié du fond de mon cœur, et Lily avait répondu. Cela m’avait conduit à ce que je suis aujourd’hui. Cette logique s’appliquait aussi à Kudou, d’une certaine manière…
« Le monde qui m’a fait vivre cet enfer devrait être détruit. C’est pour cela que j’ai prié. » C’était exactement pour ça qu’il avait attaqué le Fort de Tilia. « Avec des monstres à ma disposition, je serai, dans un sens un Roi-Démon. En tant que tel, je peux comprendre pourquoi tout le monde m’a blessé et presque tué à l’époque. C’est pourquoi j’ai aussi besoin de tuer des humains, et de détruire ce monde. Des êtres aussi faibles, qui dégénèrent si facilement en créatures aussi répugnantes, n’ont plus aucune valeur en vie. »
J’avais compris pendant que nous parlions. Kudou Riku était bizarre. Il avait l’air calme, mais il lui manquait une vis dans la tête. Quelque chose ne fonctionnait plus correctement. D’ailleurs, il l’avait lui-même affirmé.
Par exemple, j’étais fier d’être un maître, de diriger les filles et de vivre à leurs côtés. Je ne l’avais vraiment réalisé qu’après cette nuit au Fort de Tilia avec Lily, mais cette fierté était le pilier qui soutenait ma vie ici, dans ce monde si différent. Pour eux, j’étais prêt à sacrifier ma vie. C’est pour cela que j’étais ici et que je respirais aujourd’hui.
Kudou Riku était pareil. Il était fier de son mode de vie désespérément brisé, qui lui permettait de conserver son identité. Il se tenait ici aujourd’hui à cause de sa haine envers le monde qui l’avait écrasé, parce que même sa propre vie n’avait pas d’importance tant qu’il pouvait la détruire.
J’avais fini par comprendre Kudou. Il était fou, mais je pouvais quand même comprendre sa logique. J’aurais pu finir comme lui si quelque chose avait mal tourné. Comme il l’a dit, nous étions en fait similaires.
On pourrait dire que nous avions partagé le même point de départ. Nous avions partagé la même fondation. Grâce à cela, nous pouvions nous comprendre mieux que quiconque. Même la fixation de Kudou sur moi avait un sens.
« Heureusement, nous sommes hautement compatibles. Dans cette forêt débordant de monstres, nous pouvons sûrement détruire le monde lui-même. »
Selon Kudou, sa capacité lui permettait de manipuler un grand nombre de monstres à sa guise, mais il ne pouvait pas manipuler les plus puissants. En gros, il ne pouvait contrôler que tout ce qui était inférieur à un monstre rare. En revanche, la nature de mon pouvoir accordait des cœurs aux monstres rares et au-delà. Nous étions plutôt compatibles. Nous pouvions couvrir les déficiences de nos capacités respectives. Cela prendrait du temps, mais nous pourrions acquérir assez de puissance pour égaler les autres élèves en développant nos forces dans les bois.
« C’est vrai. Nous pourrions probablement détruire le monde entier si nous unissions nos forces, » avais-je dit.
« Oui ! J’en suis sûr ! »
« Mais… as-tu déjà pensé à ça, à la place ? » avais-je demandé, regardant Kudou se préparer à mes prochains mots. « Nous pourrions aussi sauver le monde. »
Le monde entier était constamment menacé par l’expansion des forêts et les monstres qui y vivaient. Ils n’avaient aucun moyen de survivre autrement qu’en comptant sur les « sauveurs » qui descendaient sur eux une fois par siècle. S’il existait un roi capable de se faire obéir de tous les monstres, ce serait une autre histoire. J’espérais qu’une telle perspective lui ouvrirait les yeux, juste pour un instant…
« Sauver le monde ? Pourquoi ferions-nous une chose pareille ? » avait-il répondu. C’était exactement comme je le craignais, mais je n’étais pas déçu. « Je suis le roi des démons. Je ne suis pas celui qui va sauver l’humanité. Je suis celui qui va la détruire. »
Il n’y avait aucune hésitation dans sa voix, mais je savais déjà qu’il n’y en aurait pas. Je ne le savais que trop bien. Tout comme je continuerais toujours à être le maître de ces filles, Kudou ne pouvait que montrer ses crocs au monde en tant que roi de tous les monstres. En tout cas, je maudissais la bêtise de Sakagami d’avoir créé un tel monstre.
« Il n’y a rien que nous ne puissions accomplir en tant que rois-démons. Viens avec moi, Senpai. »
Kudou avait tendu la main une fois de plus. J’avais regardé son sourire immuable, puis j’avais secoué la tête.
« Je ne suis pas un Roi-Démon. Je ne peux donc pas t’accompagner. »
« Qu’est-ce que tu es alors ? » demanda Kudou, son sourire amical ne changeant pas. « Veux-tu dire que tu vas vivre en tant que sauveur ? »
« Non. Je n’ai pas l’intention de faire ça non plus. »
Je n’étais pas un héros. Cependant, cela ne voulait pas dire que j’étais un monstre comme Kudou. Alors, qu’est-ce que cela faisait de moi ? La réponse était évidente.
« Je ne suis pas un sauveur, pas le deuxième roi, je suis juste leur maître. Rien de plus. C’est tout ce que je dois être. »
« Est-ce ainsi… ? »
Kudou avait soupiré. Il avait toujours un léger sourire sur le visage. Même s’il avait espéré que je lui donne une réponse favorable, il était venu ici en s’attendant à ce que je ne le fasse pas, tout comme je l’avais fait avec ma question précédente.
« Comme c’est malheureux, » avait-il dit. Puis il s’était mis à califourchon sur le dos de Berta. « Mais je n’abandonnerai pas. »
Il nous avait tourné le dos. Il avait l’intention de s’enfuir.
« Tch. Gerbera ! »
Gerbera avait chargé à mon commandement. D’innombrables épées fantômes et monstres s’étaient déplacés pour lui barrer la route. Vu les pertes massives subies par les forces de Kudou, nous avions un avantage ici. Cependant, avec Anton et Berta présents et des dizaines de monstres prêts à se battre jusqu’à la mort, nous ne pourrions pas le rattraper s’il s’enfuyait. La silhouette de Kudou s’enfonça dans l’obscurité de la forêt.
« Quand tu ne seras plus capable de supporter la cruauté de ce monde, alors viens me voir ! Je t’accueillerai à bras ouverts ! »
Il avait maintenu son attitude amicale jusqu’à la fin. Et juste comme ça, l’autre dompteur de monstres avait disparu.
◆ ◆ ◆
« Je suppose qu’il s’est échappé… »
Rien que le fait d’avoir mal calculé la présence d’Anton ici, je savais déjà que nous ne pourrions plus capturer Kudou. Néanmoins, je regrettais toujours de l’avoir laissé s’échapper. Tout ce qu’il restait devant nous était un tas de monstres morts que Kudou avait utilisé comme des pions sacrificiels. Il n’y avait même pas le cadavre à moitié dévoré de Sakagami. Il avait été très minutieux.
Incapable de rembourser la dette pour avoir blessé Ayame, Gerbera avait tapé des pieds. Rose avait abaissé sa hache sanglante et semblait profondément réfléchie sous son masque. Asarina était retombée dans ma main, tandis que Lily s’était appuyée contre moi et m’avait appelé avec anxiété.
« Maître… »
« On rentre ? C’est enfin terminé. Nous devrons le faire savoir à Shiran et aux autres. » J’avais laissé échapper un petit soupir, puis j’avais souri à Lily. J’étais parfaitement conscient que ce n’était pas vraiment terminé.
J’avais encouragé mes compagnons à continuer et j’avais commencé à marcher, mais j’avais soudainement regardé en arrière dans la direction où Kudou avait disparu. C’était en fait le début de notre combat contre Kudou. Devais-je céder à la cruauté de ce monde et prendre sa main pour devenir un Roi-Démon ? Ou bien serais-je capable de l’arrêter ? Même si nous ne croisions pas directement nos lames, mon combat contre Kudou allait certainement se poursuivre à partir de ce jour, jusqu’à ce que les choses soient réglées…
Lily avait senti les sentiments qui allaient et venaient dans mon cœur et avait renforcé son étreinte autour de mon bras. En me concentrant sur sa chaleur, j’étais retourné vers la forteresse.