Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 3 – Chapitre 10

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Chapitre 10 : L’amie de la marionnette ~Point de vue de Rose~

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Chapitre 10 : L’amie de la marionnette ~Point de vue de Rose~

Partie 1

« Mana. Que penses-tu de mon maître ? »

Le visage de Mana avait tressailli puis s’était figé. Mes mots avaient dû toucher une partie extrêmement sensible d’elle. Personne ne l’avait touchée auparavant. Ou peut-être… qu’elle-même n’avait pas l’intention de permettre à quiconque de la toucher. En cet instant, j’avais fait un pas vers la partie d’elle-même que Mana gardait cachée.

« … Ne le faisons pas, d’accord ? Rien d’agréable ne sortira de cette conversation. »

La réponse de Mana était détachée, du moins en apparence. Le fait qu’elle ait réussi à retrouver son habituel comportement inexpressif était exactement ce que j’attendais d’elle.

« Hé, Rose. N’était-ce pas une journée très amusante ? Eh bien, je suppose que certaines choses ont été assez embarrassantes pour moi, et j’ai fini par blesser Gerbera… Mais c’était une journée amusante, n’est-ce pas ? La terminer en parlant de quelque chose de bizarre gâcherait toute la journée. Ce serait du gâchis. Alors arrêtons-nous là, d’accord ? »

« Non. Je n’arrêterai pas. »

Je secouais la tête. Cela avait certainement été amusant. Même si nous avions fait plusieurs gaffes, nous pouvions aussi regarder en arrière et en rire. C’était un fragment de notre vie quotidienne. Aussi insignifiant soit-il, c’était un trésor précieux qui n’appartenait qu’à nous.

Comme elle l’avait dit, aller plus loin pourrait éventuellement gâcher toute la journée, ou peut-être même faire s’écrouler tout ce que nous avions accumulé ensemble. Ce que j’essayais de faire ici était peut-être équivalent à la destruction de notre trésor.

Néanmoins, je ne pouvais pas arrêter cette conversation. C’était peut-être dangereux, mais je ne pouvais pas craindre de m’avancer. J’en étais convaincue. Le sourire de Mana lorsqu’elle contemplait la forteresse n’était que fugace, comme s’il pouvait disparaître à tout moment.

« J’ai un doute dans mon esprit depuis un certain temps maintenant, » avais-je dit, osant m’avancer. Ce n’est autre que Mana elle-même qui m’avait donné la force de le faire. « Mon maître se méfiait de toi. Et tu le sais toi-même. Pourtant, tu as continué à le soutenir. »

« … Qu’est-ce qui te fait douter de ça, Rose ? Je m’excuse si je t’ai offensée d’une manière ou d’une autre. »

« C’est absurde. Il n’y a pas besoin de s’excuser. » J’avais secoué la tête. « Je me demandais juste. Avec tes capacités, tu aurais pu faire les choses autrement. »

Pendant tout ce temps, j’avais observé mon maître et Mana. Ils étaient toujours dans mon esprit. Je voulais les comprendre. Je pouvais être fière du fait que personne d’autre n’avait consacré ses pensées à ces deux-là autant que moi. C’est pour cela que je nourrissais de tels doutes.

Je m’étais souvenue de la nuit où j’étais allée voir mon maître pour obtenir la permission d’enseigner la magie à Mana. La méfiance et l’incompréhension avaient tourbillonné dans son cœur. Mon maître souffrait d’une sévère méfiance envers l’humanité, provenant de son horrible expérience lors de la destruction de la Colonie. Il pouvait se sentir différemment maintenant, mais au moins jusqu’à cette nuit, il avait vu Mana avec des yeux anormalement méfiants. Mais le traumatisme de mon maître était-il vraiment la seule cause de ce comportement ? Je ne pouvais m’empêcher de douter que ce soit le cas.

Mon maître se méfiait de Mana. Et sachant cela, Mana avait continué à le soutenir. Lors du combat contre Gerbera, qui n’avait pas de nom à l’époque, Mana avait non seulement élaboré le plan, mais elle avait aussi exposé sa propre vie au danger. Elle avait même pris le rôle ingrat d’aider Lily à retrouver son calme. La raison pour laquelle elle continuait à m’aider à comprendre mon cœur encore inexpérimenté était évidente maintenant que nous étions amies. Mais avant cela, les raisons initiales qui l’avaient poussée à le faire étaient en grande partie dues au fait que j’étais le serviteur de mon maître.

Elle n’avait pas grommelé une seule plainte, ni ne s’était mise en colère. Elle ne boudait pas. Elle n’avait aucune force dans la bataille. Elle continuait sincèrement à chercher quelque chose qu’elle pouvait faire — sans demander une seule chose en retour.

Il était naturel de douter de ses raisons d’agir quand elle agissait ainsi. Je ne pouvais tout simplement pas comprendre ses motivations à ce moment-là. Alors, n’était-ce pas parfaitement logique de douter d’elle ? N’était-ce pas la réaction évidente à la question de savoir pourquoi elle faisait une telle chose ? De plus, elle portait un profond malaise dans son cœur, tout comme mon maître. N’aurait-on pas soupçonné qu’elle complotait pour obtenir une compensation cachée ? Et si cette compensation devait rester cachée, alors elle devait être née d’une raison louche. Avoir des doutes sur ce qu’elle complotait exactement n’était pas si étrange.

Pour emprunter les propres mots de Mana, son comportement ne montrait que le désir « de faire quelque chose pour quelqu’un ». « Vouloir faire quelque chose » et « vouloir que quelqu’un fasse quelque chose pour vous » n’existaient pas ici. De tels désirs étaient censés révéler les qualités humaines d’une personne, mais je ne pouvais pas voir une telle humanité en Mana, peu importe comment je regardais…

Ce qui était mystérieux ici, c’est que la situation était complètement différente avec moi. Je n’avais jamais vraiment soupçonné Mana de quoi que ce soit comme le faisait mon maître, mais quand elle m’avait prêté sa main, elle avait sincèrement exprimé ses sentiments. « Je ressens de la sympathie », « Je suis reconnaissante », « Je veux être ton amie ». Et pourtant, elle n’avait jamais fait l’effort d’arriver à une telle compréhension mutuelle avec mon maître. En un sens, c’était comme si elle arrosait les germes de sa méfiance.

Et puis il y avait le plus gros problème. Si je pouvais le remarquer avec mon esprit immature, alors il n’y avait aucune chance que Mana ne le remarque pas, vu sa sagesse. Dans ce cas, je ne pouvais arriver qu’à une seule conclusion.

« Mana, agis-tu de manière à ce que mon maître se méfie de toi ? »

Aux yeux de mon maître, Mana avait vraiment l’air suspecte. Dans tous les cas, il n’avait pas vu la Katou Mana que je connaissais. Tout ce qu’il avait vu, c’était la silhouette d’un « monstre », en quelque sorte, cachant ses crocs intrigants.

Je commençais à me demander si ce n’était pas uniquement à cause du filtre qu’il utilisait pour regarder, où tout semblait suspect. C’était précisément parce que Mana elle-même avait agi de la sorte que mon maître continuait à se méfier d’elle.

« Peut-être… » Mana n’avait pas nié ce que j’avais dit et avait penché la tête sur le côté. « Pourquoi ferais-je une telle chose ? »

« Je ne le savais pas moi-même jusqu’à maintenant. »

Personne ne connaîtrait la réponse à cette question, même s’il avait une meilleure compréhension des humains que moi. Qui dans le monde agirait délibérément d’une manière à inviter la méfiance en soi ? Dans un sens, c’était un acte d’automutilation. Il n’y avait aucune raison de faire quelque chose d’aussi absurde. C’est pourquoi je m’étais convaincue que ce n’était que mon imagination, même si je trouvais le comportement de Mana plutôt étrange jusqu’à présent.

« Mais après t’avoir observée il y a quelques instants, j’ai compris. Mana… » Derrière mon masque, j’avais regardé mon amie droit dans les yeux. « Tu ne veux pas que mon maître fasse confiance aux humains. »

Mana était restée silencieuse. Ses yeux s’étaient légèrement agrandis. N’importe qui d’autre n’y aurait pas prêté attention. Mais cette faible manifestation d’émotion était plus que suffisante pour que je sois pleinement convaincue. Et fort de ma nouvelle conviction, j’avais continué à la presser.

« Te faire confiance signifierait que mon maître a décidé qu’il pouvait à nouveau faire confiance aux humains… Je ne peux même pas l’imaginer. Ce n’est sûrement pas aussi simple que ça en a l’air. Il pourrait même être impossible pour lui de l’accomplir par lui-même. Je ne serais pas d’une grande aide, et Gerbera est pareille à cet égard. Ayame et Asarina n’ont même pas besoin d’être mentionnées. La seule personne qui pourrait le soutenir dans cette démarche est celle qui lui tient le plus à cœur, Lily. »

Cela dit, ma sœur aînée était, à sa manière, quelque peu indécise face à ce problème. Mais c’était une autre affaire.

« Il serait difficile pour quiconque d’aider mon maître à restaurer sa foi en l’humanité. Cependant, si j’étais toi, je pense que je serais capable de libérer le cœur de mon maître de ses entraves. »

« … Je pense vraiment que tu me surestimes là. » Un sourire sincère, mais doux-amer s’était dessiné sur le visage de Mana.

« Vraiment ? Je ne le pense pas, mais c’est peut-être le cas si tu le dis, Mana. »

Je ne pouvais pas la renier si elle le disait elle-même. Mais je ne pouvais pas non plus croire que c’était vrai. Mana était une fille étonnante. Elle avait guidé mon cœur inexpérimenté jusqu’à son état actuel. Je pouvais croire en elle. Je croyais en elle. C’était plus que suffisant pour que je continue à pousser.

« Nous pouvons émettre toutes les hypothèses que nous voulons, mais la réalité est que tu n’as jamais essayé une seule fois de dissiper le malentendu avec mon maître, n’est-ce pas ? »

« … Je ne peux pas le nier. Mais pourquoi cela te fait-il penser que je ne veux pas que Majima-senpai ait confiance dans les humains ? »

« C’est… »

La question de Mana m’avait rappelé l’image de son regard sérieux que j’avais vu il y a quelques instants. Elle avait fixé la forteresse avec la même passion que moi, si ce n’est plus. Et si son cœur abritait les mêmes sentiments que les miens…

« C’est parce que tu ne veux pas quitter les côtés de mon maître. »

La conversation était revenue à la raison même pour laquelle j’avais abordé le sujet en premier lieu. Mana souhaitait rester aux côtés de mon maître, tout comme moi. Tout avait un sens si c’était le cas. Contrairement à moi, la relation de Mana avec mon maître avait après tout une date limite.

« Dès le début, mon maître a dit qu’il t’emmènerait jusqu’à ce qu’il trouve un endroit sûr pour te laisser. Tel qu’il est maintenant, il se sent profondément redevable envers toi. Non, même sans cela, il ne t’abandonnerait jamais de manière irresponsable. Il a pleinement l’intention de prendre ses responsabilités et de chercher un endroit où tu seras en sécurité… Mais c’est une chose très difficile à accomplir. »

« Difficile, dis-tu ? »

« Oui. À en juger par sa personnalité, il n’y a aucune chance pour mon maître de te laisser, toi envers qui il a une grande dette, avec quelqu’un en qui il n’a pas confiance. Mais d’un autre côté, il ne peut pas faire confiance aux humains. Par conséquent, il n’y a aucun endroit dans le monde où il peut te laisser en toute sécurité. C’est-à-dire, tant que mon maître ne fait pas confiance aux humains… »

Quoi qu’il en soit, il continuerait à chercher, et un jour, il s’acquitterait de sa responsabilité sous une forme ou une autre. Je n’avais aucun doute à ce sujet. Je savais très bien que ce n’était pas quelque chose dont je devais m’inquiéter. Oui. Il n’y avait pas à s’inquiéter… Mais il était également vrai que ce serait difficile. Et à cause de cela, cela prendrait beaucoup plus de temps à accomplir. C’est là que j’avais trouvé le motif derrière le comportement presque masochiste de Mana.

« Même une relation limitée dans le temps peut être prolongée en repoussant l’échéance. Si dissiper les soupçons de mon maître et dissiper ses malentendus rapprochait l’échéance, je ne crois pas que tu oserais le faire. Et si c’est là ta motivation, je peux comprendre ton comportement déconcertant. »

Cependant, le résultat de ses actions était bien trop stérile. Même moi, ça m’avait fait de la peine. En faisant en sorte qu’il la soupçonne continuellement, Mana avait pu rester aux côtés de mon maître. Cela avait en fait permis à leur relation de continuer. Mais en échange, leur relation ne s’approfondirait jamais.

« Tu souhaites rester près de mon maître, même s’il te soupçonne tout le temps. C’est dire à quel point tes sentiments pour lui sont forts. N’est-ce pas pour cela que tu épuises tes forces pour lui sans rien espérer en retour ? »

Ce sentiment qu’elle ressentait était peut-être quelque chose comme une prière. Peu importe ce que Mana faisait, il était possible que mon maître vainque sa méfiance envers les humains. Si cela devait arriver, leur relation limitée dans le temps prendrait fin. Tout ce qui resterait serait une fille dont on s’était toujours méfié. Je ne pouvais pas rester silencieuse et regarder ce qui se passait.

« Mana, je crois que tu nourris des sentiments très forts pour mon maître. Alors, pourquoi prends-tu ces sentiments à la légère ? N’est-ce pas toi qui m’as dit de ne pas tuer mes émotions ? »

Même si elle n’utilisait pas une méthode aussi détournée, elle pouvait rester à ses côtés. Mana choisissait consciemment de prendre le chemin le plus douloureux, en tournant le dos à son propre bonheur.

Si elle ne voulait pas se séparer de lui, elle pouvait simplement le lui dire. Si elle éprouvait des sentiments particuliers pour lui, elle pouvait simplement les lui transmettre. Contrairement à moi, Mana savait quelles étaient ses émotions, ce qui signifie qu’elle pouvait les exprimer à tout moment.

« Je peux en quelque sorte dire… Tes sentiments pour lui ne sont-ils pas les mêmes que les miens ? »

« Tu dois faire des efforts pour réaliser tes rêves. Le tien en est un qui peut être réalisé, après tout. »

Les propres mots de Mana m’étaient venus à l’esprit. Si mon rêve pouvait se réaliser, qu’est-ce qu’un rêve qui ne peut pas se réaliser ? Elle m’avait dit que je ne devais pas abandonner. Et pourtant, qui était celle qui abandonnait vraiment ici ? Pourquoi avait-elle de la sympathie pour nous, les serviteurs ? Pourquoi disait-elle toujours qu’elle était jalouse ? Même son plan visant à propulser un bonheur inatteignable devant l’araignée blanche pour lui broyer le cœur semblait être le résultat de ce comportement autodestructeur.

Si c’est le cas, la fille nommée Katou Mana était une personne vraiment tragique. Il n’y avait aucun moyen pour moi de la laisser ainsi. Par conséquent…

« Mana, que ressens-tu pour mon maître ? » Je lui avais posé la même question une fois de plus.

Mana me fixait d’un regard vide, comme si elle sondait mon esprit. Je lui avais rendu la pareille. Je n’avais pas l’intention de reculer ici. Et après un court moment, elle avait soudainement souri.

« … Je suis honnêtement surprise. »

C’était un sourire transparent, sans ombre au tableau. Il était si clair que le simple fait de le toucher le mettait en pièces, mais il ne laissait pas entrevoir ce qu’il contenait. C’était un sourire doux, un peu comme celui qu’elle faisait en regardant la forteresse… Pourquoi cela ? Cela avait rendu mon cœur agité.

***

Partie 2

« Tu t’es toujours tourmentée de ne pas être capable de comprendre les subtilités du cœur et de ne pas être capable de comprendre ton maître. Je ne pensais pas que tu le remarquerais aussi rapidement. »

« Ce n’est pas si surprenant, n’est-ce pas ? J’ai encore beaucoup de chemin à parcourir. » Je connaissais mes lacunes mieux que quiconque. « Mais c’est toi qui m’as tout appris à ce sujet, après tout. »

« Je vois. Tu as pu t’en rendre compte précisément parce que c’est moi. Cela me fait sentir un peu chatouilleuse. »

Mana était ma professeur. Elle était la personne la plus proche de moi. C’est pourquoi quelqu’un d’aussi inexpérimenté que moi pouvait voir la vérité en elle. En outre, il y avait une autre raison. Mana n’avait jamais essayé de me tromper.

Jouer avec moi en me manipulant avec ses mots aurait été une bagatelle pour elle. C’est sa sincérité qui l’avait empêchée de le faire. Elle voulait me regarder en face, comme une amie. Cela m’avait assuré que je n’avais pas fait d’erreur en devenant son amie. Pour cette raison, je ne pouvais absolument pas la laisser tomber.

En me voyant durcir ma résolution, le sourire de Mana était devenu légèrement amer. « Comment je me sens par rapport à Majima-senpai, hein ? » murmura-t-elle en joignant ses mains derrière son dos et en se retournant sur place. Une fois de plus, la forteresse se reflétait dans ses yeux. « Ce n’est pas si compliqué que ça. En fait, c’est plutôt normal, presque attendu. »

Je ne pouvais plus voir si elle souriait ou non. Désormais revêtue d’un air quelque peu éphémère, Mana poursuivit tranquillement.

« Mais tu n’es peut-être pas encore capable de le comprendre, Rose… Tu ne comprends pas le genre d’émotions qu’une fille éprouve envers le garçon qui l’a sauvée d’une chose plus qu’horrible… »

Elle s’effondrerait si je la touchais négligemment. Elle disparaîtrait si je la quittais des yeux. Le corps de Mana, déjà délicat et petit, était maintenant d’une transparence inquiétante. Et pourtant, je ne pouvais rien dire alors que je me tenais à côté d’elle.

Comme elle l’avait dit, je n’avais pas compris. Je n’arrivais toujours pas à saisir ce sentiment qui m’habitait. Je ne pouvais pas comprendre le sentiment dans le cœur de Mana, même si c’était le même que le mien. Je ne pouvais rien dire. Je n’avais pas d’autre choix que de rester silencieuse.

Mana s’était retournée vers moi alors que je restais là, silencieuse. « Je n’ai pas l’intention de dire mes sentiments à Majima-senpai. »

« … Pourquoi… !? »

« Parce que je ne veux pas. »

Son ton était calme, d’un bout à l’autre. Sa voix feutrée traduisait sa résignation. Je n’avais pas pu garder mon calme.

« Pourquoi ? Tu sais que c’est important ! Tu m’as appris que ça l’était ! Alors, pourquoi… !? »

« Je veux dire, c’est tout ce que j’ai. »

Le sourire de Mana, bien que faible, ne s’était pas effrité. Voir son expression de marionnette m’avait finalement fait réaliser… La blessure dans son cœur n’avait pas guéri le moins du monde.

« Je ne suis pas une personne forte. J’aurais pu facilement mourir dans le chaos le jour où la colonie est tombée. Et pourtant, j’ai réussi à survivre grâce à Mizushima-senpai. Puis, elle est morte. Et cette fois, j’aurais dû mourir dans cette cabane. C’est grâce à Majima que je ne l’ai pas fait… Mais à ce moment-là, presque tout ce qui était en moi avait déjà disparu. »

Elle n’était pas si forte qu’elle puisse vivre une expérience aussi horrible, sombrer dans le désespoir et se relever malgré tout. Ou peut-être que les humains n’étaient tout simplement pas faits pour être si forts que ça.

Il y avait certainement des cas où une expérience désastreuse pouvait amener quelqu’un à choisir sa propre mort. Pour ceux qui continuaient à choisir la vie, personne ne pouvait les critiquer s’ils ne se rétablissaient jamais.

Il était vraiment rare qu’un humain puisse avaler une telle malice comme s’il s’agissait d’une nourriture, se relever fermement sur ses pieds et aller de l’avant même s’il était accablé de blessures inguérissables. Si ces héros étaient capables d’en rire et de tout pardonner sans rien ressentir, ils étaient tout simplement des monstres.

Dans ce sens, Mana était ordinaire. Elle était une fille banale, aussi délicate que les autres. Et cette fille autrefois faible et délicate qui se faisait appeler Katou Mana était morte dans cette hutte. Elle avait peut-être un pouls. Elle aurait même pu respirer. Sa peau était sûrement chaude. Cependant, à ce moment-là, elle avait perdu ce qu’elle avait de plus précieux. Son cœur était mort.

« Majima-senpai t’a fait entrer et il m’a sauvée. C’était la première fois qu’il pensait sérieusement à tuer quelqu’un. Il a été poussé par la mort de Mizushima-senpai, la malice qui a causé sa disparition, et l’irrationalité qui infecte ce monde… Tant de choses lui sont arrivées. Trop, même. Je suis sûre que le cœur de Senpai était gelé à ce moment-là. Et pourtant, la première chose qu’il a faite a été de vérifier que j’allais bien. Il est entré dans la cabane et a marché droit vers moi. À ce moment-là, j’ai eu l’impression d’avoir touché son cœur. »

Les nattes de Mana se balançaient alors qu’elle secouait la tête.

« C’était, bien sûr, un délire. Je sais. Je suis humaine. Je ne suis pas liée à lui par son cheminement mental. Je suppose que cela peut sembler un peu insensible de ma part, puisque tu es son serviteur… Mais je m’en fichais, même si c’était une illusion. J’ai absolument tout perdu. J’étais creux, vide. C’était la seule et unique chaleur à laquelle je pouvais me raccrocher. »

Elle avait mis sa main sur sa poitrine. C’était comme si elle essayait de se souvenir de la sensation qu’elle avait éprouvée autrefois.

« À l’instant où je l’ai rencontré, quelque chose a rempli cette cavité en moi. Je ne savais pas ce que c’était au début, mais je sentais que je devais aller avec lui. Je n’ai réalisé ce que c’était que la nuit où Gerbera nous a attaqués. Après, j’ai dû agir. C’est ainsi que je me suis retrouvée tel que je suis aujourd’hui. »

Après avoir été piétinée, réduite en lambeaux, avec tout ce qui était en elle mourant déjà une fois, il ne restait plus que son corps physique qui devait suivre les restes d’elle-même dans la mort. Mais une certaine émotion envers le garçon qui l’avait sauvée s’était accumulée dans cette fille autrefois vide. Elle était devenue sa force motrice. Elle lui avait permis de faire bouger ce qui avait cessé de fonctionner.

Dans un sens, c’était très similaire à nous, les serviteurs. La seule différence était que nous n’avions rien au départ, alors qu’elle avait tout perdu. Mana avait tout perdu sauf cette seule émotion. Et avec rien en sa possession, elle n’avait rien à perdre. C’est pourquoi Mana était forte maintenant. Si forte qu’elle pouvait faire tomber le cœur de Lily. Si forte qu’elle pouvait se tenir devant Gerbera alors qu’elle était notre ennemie, sans montrer un seul soupçon de peur.

Elle était déjà morte. Donc, il n’y avait rien à craindre. Elle n’était qu’un cadavre en mouvement. Même si son corps s’arrêtait, ça ne changerait rien. Elle n’avait pas de regrets. Pas de fixations. Il n’y avait pas une seule chose dans ce monde qui retenait son âme ici. Elle n’avait pas hésité face à la peur, et elle n’avait même pas tressailli lorsque la mort l’avait frôlée. Elle avait simplement avancé vers son but. Donc, pour l’instant, ça faisait d’elle un monstre.

En utilisant cette seule émotion en elle comme carburant, elle n’était rien de plus qu’un cadavre vivant marchant vers son but. C’était la véritable identité du monstre connu sous le nom de Katou Mana.

« Si mes sentiments pour Majima-senpai disparaissent, je redeviendrai un cadavre. Si je lui disais, et qu’il me rejetait, ce serait la fin. »

« Est-ce pour ça que tu refuses de lui dire ? Est-ce que ça te convient vraiment… ? »

« Ça n’a pas d’importance. C’est le résultat idéal, n’est-ce pas ? » Mana était parfaitement sérieuse. « Majima-senpai a surmonté la plus grande crise possible dans l’attaque de l’araignée blanche. Lily a déjà vaincu sa nature peu fiable. Tu as accepté Gerbera. Il ne te reste plus qu’à lui faire part de tes sentiments. Tu n’auras même plus vraiment besoin de mon aide pour y parvenir. Même si je ne suis plus là, vous irez tous bien. Ton cœur a grandi plus que je ne le pensais, Rose. Cela peut prendre un certain temps, mais tu te débrouilleras bien toute seule. »

« Mana… Es-tu… ? »

Le sourire fugace que Mana m’avait adressé m’avait fait trembler. Je savais qu’elle était à la recherche de choses qu’elle pourrait faire. Ce qu’elle avait déjà fait pour mon maître et nous autres serviteurs n’avait même pas besoin d’être mentionné. Son intérêt soudain pour l’apprentissage de la magie de guérison était également lié à cela. Tout ce qu’elle avait fait jusqu’à présent, même si ce n’était qu’une petite chose, était dû au fait qu’elle se creusait désespérément l’esprit pour trouver quelque chose qu’elle pourrait faire pour nous, même si elle ne possédait pratiquement aucun pouvoir dans ce monde. Mais si elle perdait tout ? C’était encore bien tant qu’elle avançait vers son but. Mais si ce but n’existait plus ?

Je regardais le sourire de Mana et j’avais vraiment l’impression qu’elle pouvait disparaître à tout moment. Mon instinct était correct. Le sourire que j’avais sous les yeux en ce moment était le sourire de celle qui avait accepté de disparaître. Mana voulait disparaître avec sa seule et unique émotion encore intacte dans son cœur. Dévoiler ce sentiment à mon maître et perdre une émotion si spéciale était inacceptable pour elle.

En tant que telle, Mana pouvait déjà voir « la fin ». C’est pourquoi son sourire était si fugace lorsqu’elle regardait la forteresse où se trouvait mon maître.

« C’est bon, Rose. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Je suis sûre que tout le monde ira bien, » avait-elle dit d’une voix prévenante, sentant l’agitation en moi.

Mais contrairement à ses paroles, Mana elle-même ne faisait pas partie de ses considérations. Quand elle avait dit « tout le monde », elle ne s’était pas incluse. Ce futur était bien trop difficile à accepter pour moi…

« Tout le monde obtiendra le bonheur, et Majima-senpai et tous ceux qui l’entourent auront une fin heureuse. Alors… »

« S’il te plaît, ne dis pas de telles bêtises ! »

Avant de m’en rendre compte, je l’avais interrompue d’une voix forte.

« Rose… ? »

Mana m’avait regardée avec un regard vide.

Aah, son manque de compréhension est vraiment aggravant. Le fait qu’elle ne puisse pas comprendre ma colère ici était une incarnation de la distorsion dans son cœur. Elle s’était effondrée il y a longtemps déjà. Malgré sa capacité à comprendre les subtilités des autres, son propre cœur n’était rien de plus qu’un dépotoir. C’était bien trop ironique.

« S’il te plaît, arrête de dire de telles bêtises. Tout le monde obtiendra le bonheur ? Il n’y a aucune chance que ce soit vrai, n’est-ce pas ? Tu n’en fais pas partie, après tout. »

« … Aah. Tu es vraiment gentille, Rose, » dit-elle avec un sourire amer. « Mais tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour moi. Je suis une humaine. Je ne suis pas la servante de Senpai. Je ne suis rien de plus qu’un rôle mineur dans l’histoire de Majima-senpai et de ses serviteurs. De plus, j’étais déjà presque morte. Espérer le bonheur maintenant n’est rien de plus qu’un rêve irréalisable. »

Mes mots ne l’avaient pas atteint. C’était pratiquement sans espoir. Qu’est-ce que j’étais censée faire ?

« On ne peut pas tuer ses propres émotions. »

« N’abandonne pas. »

« Ton rêve est un rêve qui peut être réalisé. »

Je ne pouvais pas répéter les mots que Mana m’avait dits auparavant. Je n’avais pas la force de les prononcer. Mana connaissait ses propres émotions, et comme je n’arrivais pas à comprendre quel était ce sentiment que j’éprouvais envers mon maître, je ne pouvais pas renverser sa détermination. On avait beau lui dire d’être heureuse, ces mots ne pouvaient pas l’atteindre si elle ne reconnaissait pas elle-même la valeur d’un tel bonheur.

Alors… Alors, quoi ? Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je peux faire ? Est-ce que j’abandonne, je ferme ma gueule et j’accepte l’excuse de Mana ? Est-ce que j’attends qu’elle disparaisse et que je vive heureuse avec mon maître ?

Il n’y avait aucun moyen pour moi d’accepter une telle chose. Je devais l’atteindre d’une manière ou d’une autre. J’étais convaincue. Mana avait tort. Elle faisait une erreur fatale et sans espoir. Mais elle ne se rendait même pas compte qu’elle faisait une erreur. Ce n’était pas du tout son genre. Même si elle souriait comme si elle comprenait, elle ne comprenait pas. C’était logique. Même si elle avait déjà accepté sa propre mort, il était impossible qu’elle comprenne tout dans le monde.

Même mon maître s’inquiétait de son immaturité, et Mana avait un an de moins que lui. Elle en savait plus que moi, mais il y avait des choses qu’elle ne savait pas. Il y avait des choses que je connaissais et qu’elle ne connaissait pas.

Je devais le lui faire comprendre… mais comment étais-je censée le faire ? Mon cœur me criait « Ta façon de faire est mauvaise ». Et pourtant je ne pouvais pas construire un argument pour ça. Je ne pouvais pas lui faire part de mes sentiments.

C’était vexant. Frustrant. Ma propre inutilité me donnait des frissons. Je pensais avoir grandi un peu, mais étais-je vraiment incapable de sauver ma seule et unique amie ? Pourquoi n’étions-nous pas reliés par le cheminement mental ? Si nous l’étions, Mana ne se serait pas tourmentée à ce point…

« Mana, je… »

Néanmoins, je devais faire quelque chose pour l’atteindre. Je m’étais obstinée à choisir mes mots, mais je n’avais rien pu lui dire. Ce n’était pas parce que j’avais échoué. Ce n’était pas non plus parce que j’avais abandonné. J’avais simplement perdu ma chance de le faire.

***

Partie 3

« Hein ? »

J’avais entendu un faible bruit. Il résonnait au loin et se rapprochait. Il était faible au début, mais il était devenu de plus en plus fort et s’était mêlé à des bruits de destruction.

« Tremblements ? »

Quelque chose courait sur le flanc de la colline vers cette falaise. Il se rapprochait rapidement, et peu importe ce que c’était, il y en avait beaucoup. Le danger approchait. Je devais prendre Mana et aller…

Je n’y arriverai pas. Ils sont trop rapides… !

« C’est… !? »

Sa masse et son élan piétinaient tout ce qui se trouvait sur son chemin, réduisant les fourrés en morceaux et envoyant les feuilles dans les airs. Une chenille verte géante était apparue devant nous. Il s’agissait d’un monstre que nous avions rencontré dans cette zone après avoir quitté le nid de l’arachnide en direction du nord, une chenille-taureau. Son principal moyen d’attaque était d’utiliser son corps géant comme un puissant bélier, en s’appuyant sur sa vitalité tenace comme arme.

Franchement, ce n’était pas vraiment un ennemi. Je suis un monstre rare. Après être devenue le serviteur de mon maître, j’avais vaincu des douzaines de monstres et accumulé une expérience de combat équivalente. Même si j’avais un ou deux pas de retard dans mes capacités de combat par rapport à Gerbera et Lily, je pouvais toujours vaincre une chenille-taureaux en combat singulier.

Cependant, il n’y avait pas qu’un seul individu. C’était plutôt étrange, mais pas impossible. De temps en temps, pour autant qu’il s’agisse d’une même espèce de créature, il arrivait que les monstres forment un groupe et agissent de concert, même s’ils n’étaient pas comme les crocs de feu qui travaillaient généralement en meute. C’est pourquoi ce n’était pas leur unité en soi qui me secouait, mais leur nombre.

« A-Autant… !? »

Il y avait assez de chenilles-taureaux pour inonder complètement ma vision. Certains se faufilaient entre les arbres, d’autres les piétinaient, mais ils dévalaient tous le flanc de la colline. Il y en avait près d’une centaine. Je m’étais demandé si toutes les chenilles-taureaux de toute la région s’étaient rassemblées. C’était clairement inhabituel. Qu’est-ce qui a pu causer ça… ? Mais ce n’était pas le moment de penser à ce genre de choses.

Une partie des chenilles-taureaux mâles qui descendaient la pente se dirigeait vers la falaise où nous nous trouvions. Le bruit de leurs mandibules se rapprochait. En un rien de temps, ces yeux composés, trois de chaque côté de leur tête, s’étaient rapprochés de nous…

« Mana ! »

« Eep ! »

J’avais attrapé Mana et j’avais sauté. Une chenille-taureau avait traversé l’endroit qu’elle venait d’occuper et avait dégringolé de la falaise. J’avais réussi à m’écarter du chemin, mais je n’avais pas eu le temps de me sentir soulagée. La corniche qui s’accrochait au flanc de la falaise était étroite et d’autres chenilles-taureaux se dirigeaient vers l’endroit où nous allions atterrir.

« Hyah ! »

C’était bien trop risqué de les affronter avec Mana encore dans mes bras. Ainsi, j’avais jeté la hache de guerre dans ma main sur la grande chenille. Les chenilles-taureaux étaient tenaces. Il serait difficile d’en tuer une avec une seule arme lancée. Mais elle pouvait au moins en arrêter une dans son élan si le coup était assez fort.

La hache s’était écrasée sur le monstre. La lame noire s’était enfoncée dans la carapace verte de la chenille. Elle écrasa les trois yeux composés d’un côté de sa tête tandis que sa robuste carapace se brisait. Un son lourd et inquiétant résonnait dans l’air alors que la hache s’enfonçait dans le crâne charnu du monstre.

C’était un coup critique, bien plus que ce que je pouvais espérer… et pourtant sa charge ne s’était pas arrêtée. Elle n’avait même pas bronché. La chenille-taureau venait toujours vers nous.

« Pas possible… !? »

Aucun dommage !? C’est impossible ! Sa tête avait été coupée en deux. Même si elle ne mourait pas sur place grâce à sa vitalité d’insecte, elle ne pouvait pas continuer à bouger sans s’arrêter, même un seul instant. Comment une telle chose pourrait-elle...

« Argh ! Sale bestiole ! »

Je n’avais pas eu le temps de l’intercepter avec la hache de rechange sur mon dos. Je ne pouvais pas non plus l’esquiver, vu que j’étais encore en plein vol après avoir évité la dernière chenille. Mon seul choix était d’endurer. J’avais tourné le bouclier rond sur mon bras vers la chenille qui arrivait, tenant Mana dans mes deux bras alors que mes pieds atterrissaient enfin sur le sol. Je soutenais sa tête et ses épaules tandis que j’avançais mon côté gauche et me préparais à l’impact.

« G-Gah !? »

Un choc terrifiant avait assailli mon corps de bois. Mes pieds avaient tout juste réussi à prendre de la vitesse et à se frayer un chemin dans le sol. Dire que j’avais été forcée de prendre un coup direct d’un monstre de type puissance. Mes articulations hurlaient. À ce rythme, une partie de mon corps allait sûrement se briser. Mais même si je le savais, je ne pouvais pas faire un bond en arrière pour échapper à l’impact. Tout ce qui se trouvait derrière moi était une falaise abrupte.

« Argh, hnngh… ! »

Ne pouvant plus résister, mes pieds avaient commencé à glisser. J’avais enfoncé mes orteils dans le sol comme un râteau, mais ils n’avaient pas résisté à la force et plusieurs d’entre eux s’étaient cassés.

« Guh… »

J’avais réussi à arrêter la charge juste au bord du précipice. Un pas de plus en arrière et nous aurions dévalé cette falaise.

« D’une manière ou d’une autre, nous sommes… »

J’avais ressenti un petit sentiment de soulagement. Mon corps entier grinçait, mais j’avais résisté à sa charge. Avec cette attaque annulée, une chenille-taureau n’était plus à craindre. Tout ce qu’il restait à faire était de descendre Mana au sol et mes mains seraient libres.

« Rose ! Pas encore ! »

« Quoi — !? »

Mana avait crié, et juste un moment après, j’avais réalisé la situation dans laquelle nous étions. Une ombre géante tournait autour du corps de l’insecte et apparaissait juste devant moi. C’était un monstre géant de type bête. Ses yeux rouges diaboliques me regardaient depuis sa tête en forme de lapin tandis que son corps en forme d’ours se préparait à frapper. C’était un lapin rugueux. Contrairement à la chenille-taureau, le lapin rugueux s’était rapproché avec des mouvements agiles et se préparait déjà à frapper avec l’un de ses bras épais.

Pourquoi une chenille-taureau et un lapin rugueux se trouvent-ils au même endroit ? Cette question avait été réduite en miettes par le bras épais qui me tombait dessus.

 

 ◆ ◆

Mes souvenirs de ce qui s’était passé n’étaient pas clairs. J’étais uniquement concentrée sur le mouvement de mon corps. Avant de m’en rendre compte, je m’accrochais au bord de la falaise, à peu près à mi-chemin du fond.

« … Ma… na… »

La première chose qui m’était venue à l’esprit était ma précieuse amie Mana.

Mana… Où est Mana… ? Bien. Elle est toujours dans mes bras. Elle levait les yeux vers moi, le visage pâle. Les égratignures sur sa joue semblaient douloureuses, mais elle n’avait pas l’air gravement blessée.

« Es-tu… blessée... Mana ? »

Néanmoins, je devais être sûre. Je ne pouvais rien laisser au hasard. Lily, la seule d’entre nous qui pouvait utiliser la magie de guérison, n’était pas là. Je ne pouvais pas me permettre de laisser Mana se blesser gravement.

« Rose ! Rose ! »

Une voix pleurante avait répondu à ma question. Les traits mignons de Mana étaient tachés de larmes. J’avais légèrement penché la tête, me demandant ce qui avait bien pu se passer pour la faire pleurer. Et avec un bruit sourd, mon œil gauche était sorti de son orbite. L’œil fabriqué avait rebondi et était tombé le long de la falaise, disparaissant au loin.

« … Oh. »

Maintenant, je me souviens. J’avais été frappée en plein visage par le lapin rugueux. Le coup n’avait pas été fatal, et je ne pouvais pas sentir le monstre dans les environs. Peut-être avait-il l’impression que nous étions morts en tombant.

Le masque que je portais était maintenant en morceaux. À en juger par la façon dont mon globe oculaire était tombé, le visage pour lequel j’avais fait tant d’efforts était déjà cruellement endommagé. Cela dit, ce n’était que décoratif, donc perdre un globe oculaire n’avait pas affecté mes capacités de combat.

Quoi qu’il en soit, je devais prendre conscience de ma propre condition. Je m’étais soigneusement appuyée contre la falaise abrupte et j’avais touché mon visage avec ma main libre.

Mais rien n’avait vraiment touché mon visage.

Ma main gauche était complètement manquante à partir du poignet.

Mes souvenirs revinrent subitement. Le coup du lapin rugueux m’avait fait dégringoler le long de la falaise, avec Mana toujours dans mes bras. Alors que je tombais à toute vitesse, je ne pouvais que me concentrer sur le danger pour la vie de Mana. J’avais poignardé ma main gauche dans la falaise sur un coup de tête, mais comme nous avions déjà pris beaucoup de vitesse, la roche avait simplement limé ma main du bout des doigts jusqu’au poignet.

Cela n’avait pas été une expérience agréable de me faire limer la main comme ça, mais ce n’était pas aussi grave que de perdre la vie. Tout ce que j’avais à faire maintenant était de m’accrocher désespérément à la falaise. C’était en fait une chance que j’aie réussi à tuer notre élan.

J’avais levé mon genou pendant la chute pour que Mana ne heurte pas le côté de la falaise. Il y avait pas mal de dégâts là aussi. Les vêtements que j’avais empruntés à Lily étaient également déchirés ici et là. Mes pieds s’enfonçaient dans la falaise, nous empêchant de tomber, mais je ne sentais plus aucun de mes orteils.

Ayant terminé l’examen de mon corps, je m’étais retournée pour regarder Mana. « Alors, Mana. Laisse-moi te demander encore une fois, es-tu blessée quelque part ? »

« Oublie-moi ! » Mana avait poussé un cri inhabituel en tendant la main vers mon visage. Elle avait appuyé sa paume contre lui comme pour couvrir la moitié gauche cassée. « Et toi, alors ? Vas-tu bien ? Il y a tellement de dégâts… Ton corps entier est un désastre ! »

« Ça ne me dérange pas vraiment. »

« Il n’y a aucune chance que cela ne soit rien ! »

« Je ne sais pas. Je veux dire, tu es saine et sauve, Mana. »

Les sourcils de Mana s’étaient considérablement élevés. C’était une manifestation extrêmement rare de sa colère.

« Qu’est-ce que tu dis ? S’il te plaît, fais plus attention à toi ! »

« Je le fais, » avais-je répondu immédiatement.

Les lèvres de Mana tremblaient. Elle ne savait plus quoi dire. Elle voyait bien que je ne faisais pas que lui répondre sans réfléchir. Un léger sentiment de perplexité traversait son visage souillé.

« Je prends correctement soin de moi, » lui avais-je dit. « Je ne me moque pas de moi-même. Tu m’as appris cela, Mana. Mon maître m’a aussi dit la même chose. »

Ça n’avait pas vraiment besoin d’être dit après tout ce temps. Je n’étais pas particulièrement intelligente, mais je sentais que je ne pouvais pas être aussi stupide. Même moi, j’avais un peu grandi.

« Mais on ne peut pas vraiment faire autrement, n’est-ce pas ? Je considère mon maître comme plus important que moi-même, même après avoir appris à me traiter avec amour… Et je pense à toi de la même manière, Mana. »

« M-Moi… ? »

Mana était clairement consternée. Elle avait écarquillé les yeux comme si elle n’arrivait pas à y croire. C’était parfaitement compréhensible. Il fut un temps où je pensais que je ne rencontrerais jamais un autre humain avec qui je pourrais parler au même niveau que mon maître. Mais maintenant, j’étais différente.

J’avais hoché la tête en signe d’affirmation. « Oui. Alors, s’il te plaît ne meurs pas, Mana. »

***

Partie 4

J’avais enfin compris ce que je devais transmettre à cette fille qui avait tout abandonné. Je ne regrettais pas d’être devenue une vraie loque en essayant désespérément de la protéger. En agissant ainsi, j’avais pu réaliser une fois de plus ce qui était important pour moi, et à quel point c’était précieux.

« S’il te plaît, arrête de dire “quelqu’un comme moi”. S’il te plaît, ne disparais pas. J’ai besoin de toi, Mana. »

« R-Rose… ? »

« Ne viens-tu pas de dire que la journée que nous avons passée ensemble était amusante ? N’as-tu pas pris un réel plaisir à parler avec mon maître ? J’étais vraiment heureuse de te voir comme ça, Mana. Vraiment, vraiment heureuse. Alors, s’il te plaît… »

J’avais arrêté de penser aux petits détails. J’avais arrêté de penser à la façon de lui transmettre mes sentiments. Si faire de telles choses me faisait tenir ma langue, alors la logique et la raison n’avaient aucun sens. J’avais décidé de simplement exprimer tous ces sentiments dans mon cœur. Ce serait bien. Mana comprendrait sûrement. Je le croyais. Ainsi, j’avais parlé.

« S’il te plaît, vis. S’il te plaît, sois heureuse. Il n’y a aucune chance que mon histoire ait une fin heureuse si tu n’en as pas une aussi, n’est-ce pas ? »

« Eh bien… »

Mana avait l’air tout à fait étonnée. Elle venait de réaliser sa propre erreur de calcul.

En vérité, Mana avait échoué. Elle n’avait pas trouvé de valeur dans son propre bonheur. Elle avait continué à marcher, gardant pour elle ses sentiments pour mon maître, sans se soucier de son propre bonheur. Juste marcher et marcher. Elle avait perfectionné ce mode de vie au point que je ne pouvais rien y faire jusqu’à présent.

D’un autre côté, elle accordait vraiment de l’importance au bonheur de tous les autres. Sinon, elle ne m’aurait pas aidée si sincèrement en essayant d’exaucer mon souhait. Mana avait jeté son propre bonheur, mais elle ne pouvait pas ignorer le mien. C’était comme si elle niait ses propres efforts en agissant ainsi.

Mais par-dessus tout, son cœur était incapable de se moquer des autres par nature. Ainsi, vu que je ne pouvais pas établir mon propre bonheur sans elle, elle ne pouvait pas m’ignorer. En d’autres termes, Mana avait perdu l’occasion de renoncer à son propre bonheur.

« U-Uh… »

L’atmosphère éphémère qui avait entouré Mana pendant tout ce temps s’était évanouie. Ce sentiment qu’elle pouvait disparaître à tout moment n’était plus là. Elle était juste là. Elle était vraiment dans mes bras et me regardait.

« M-Mais, ça ne peut pas… ça ne peut pas être… » Son objection était maladroite et hésitante. À tel point qu’on ne s’attendrait jamais à ce qu’elle vienne de Mana. « Ton bonheur… n’a rien à voir avec… »

« Je vais me mettre en colère si tu dis que ça n’a rien à voir avec toi, Mana. »

Elle avait sursauté. Elle était comme un petit enfant effrayé. Alors, je lui avais parlé d’un ton aussi doux que possible.

« N’est-ce pas toi qui as dit que tu voulais qu’on soit amies ? »

« … Ah. »

C’était la seule erreur que Mana avait faite. Je ne me croyais pas cruelle et sans cœur au point de connaître les intentions tragiques de mon amie et de continuer à être heureuse toute seule. Si elle souhaitait vraiment disparaître discrètement, elle n’aurait jamais dû devenir mon amie. C’était un échec massif qu’elle ne pouvait plus reprendre. Je ne la laisserais pas revenir en arrière.

« S’il te plaît, ne dis pas quelque chose de si triste comme si tu n’avais plus rien d’autre que tes sentiments pour mon maître. »

Si Mana n’avait vraiment rien, alors elle était un monstre. Et si c’est le cas, alors juste en devenant mon amie, elle n’était plus un monstre. Elle était juste une fille. Elle était ma précieuse amie. Et vu qu’elle n’était pas un monstre, mes mots pouvaient l’atteindre.

« Laisse-moi prier pour la bonne fortune de mon amie. Montre-moi ton propre bonheur. Je ne veux pas d’une fin heureuse où tu ne serais pas là avec moi, Mana. »

J’avais essayé d’essuyer les larmes qui coulaient de ses yeux, mais j’avais remarqué que je n’avais pas vraiment de main pour le faire. Après avoir réfléchi un peu, j’avais utilisé la main avec laquelle je la portais pour pousser son visage contre mon corps. Les larmes avaient commencé à tacher les vêtements sur ma poitrine. Je pouvais sentir un léger frémissement contre moi.

« Rose, je suis… »

Elle ne pouvait pas en dire plus. C’était probablement la première fois depuis notre rencontre qu’elle redevenait une fille normale et qu’elle pleurait. Elle pleurait contre ma poitrine. Ses mains s’enroulaient autour de mon dos et s’accrochaient fermement à moi. Elle sanglotait simplement en silence. En tant qu’amie, je voulais la laisser pleurer à sa guise. Mais la situation ne semblait pas vouloir que cela se produise.

« Quel grossier personnage ! » avais-je marmonné.

« Rose… ? »

Mana avait levé la tête. Son expression était innocente, ses yeux rougis me regardaient droit dans les yeux.

« Désolé, Mana. Pourrais-tu t’appuyer contre moi et t’accrocher pour ne pas tomber ? Je n’ai qu’une seule main pour le moment. »

Mana avait hoché la tête et s’était enroulée autour de mon cou. J’avais attrapé la hache de rechange avec ma main droite maintenant libre. Mes yeux étaient fixés sur un liquide visqueux glissant le long de la falaise abrupte.

« Cette fois, c’est un slime… ? Non, il y en a encore plus ? »

Mon attention s’était détournée de la falaise, où j’avais repéré de multiples ombres qui descendaient le long des collines adjacentes. C’était mes camarades marionnettes magiques. Des loups gris, des crocs de feu, avaient rejoint la mêlée. Il y avait des arbres qui se tortillaient, des tréants, et des scarabées géants armés de lances, des scarabées poignards. Ils dévalaient tous la montagne à leur propre vitesse. Il y avait aussi des monstres que nous n’avions jamais vus auparavant, comme de gros insectes armés de deux faux, des ombres à l’apparence humaine composées uniquement du haut du corps, et des chiens à la tête aussi grande que leur corps. La majorité d’entre eux étaient des chenilles-taureaux, mais il y avait des dizaines d’autres monstres. Mis bout à bout, ils étaient des centaines. C’était clairement anormal.

« Pourquoi tant d’espèces différentes de monstres travaillent-elles ensemble !? » demanda Mana, réalisant elle aussi la situation dans laquelle nous nous trouvions. Elle avait dégluti en s’accrochant à mon cou.

Comme elle l’avait dit, l’apparition de plusieurs espèces de monstres en même temps était pratiquement sans précédent. Il n’était pas garanti que les monstres s’affrontent lorsqu’ils se rencontraient, mais fondamentalement, les monstres d’espèces différentes ne se rassemblaient pas.

« En plus de cela, il y a des monstres que l’on ne voit pas dans cette région, » avais-je commenté.

En plus du lapin rugueux qui nous avait attaqués, il y avait ici de nombreux monstres qui n’habitaient pas vraiment la région. La situation devenait de plus en plus bizarre. Je voulais comprendre ce qui se passait autant que possible, mais…

J’avais immédiatement mis fin à mes pensées et les avais laissées pour plus tard.

« Mana. Je trouve aussi cela étrange. Mais d’abord, nous devons surmonter le danger qui nous guette. »

« Oui… Tu as raison. »

Le slime suintant le long de la falaise se rapprochait lentement et sûrement de nous. En temps normal, je n’aurais pas fait grand cas d’un tel ennemi, mais là, j’étais à mi-chemin d’une falaise abrupte. Je ne pouvais pas bouger correctement. Tout mouvement important pourrait ébranler Mana.

« C’est assez sérieux. Que comptes-tu faire, Rose ? »

« En gros, c’est couler ou nager, mais je pense jeter ma hache. »

« C’est ce que je pensais que tu dirais, mais je pense que tu ferais mieux de ne pas le faire. Vu l’angle, ce slime va finir par nous tomber dessus si tu le fais. »

« Alors… on essaie de descendre lentement en gagnant du temps ? »

Heureusement, l’angle de la falaise n’était pas si raide. Je pouvais m’en sortir si je faisais attention. Le problème était de savoir si le slime allait nous rattraper ou non…

« Il vaut mieux agir que de perdre du temps à y réfléchir, » avais-je dit. « Si cela devient nécessaire, je pourrai l’intercepter. Si nous descendons assez loin, nous pourrons peut-être sauter au fond. »

« Je pense que c’est une bonne idée. »

« C’est un peu irritant de n’avoir qu’une seule main pour ça. »

C’était un obstacle à la fois pour descendre la falaise et pour intercepter le slime. Mais je ne pouvais rien faire contre mon état actuel. Nous devrions trouver une sorte de contre-mesure si nous parvenions à surmonter cela.

« Vu la situation, j’aurais dû préparer une forme d’attaque à longue portée. Je suppose que je devrais aussi avoir sur moi des pièces de rechange pour mes bras et mes jambes à tout moment. Mais si je le fais, il y aura trop de bagages pour… »

« Rose. »

Alors que je commençais à descendre la falaise aussi vite que possible tout en gardant mon attention sur le slime, Mana avait appelé mon nom.

« Qu’y a-t-il, Mana ? »

« S’il te plaît, protège-moi, d’accord ? »

« … ! »

Il était clair que ses mots faisaient référence à plus que cette situation. C’était un signe de changement chez cette fille qui avait accepté de disparaître un jour.

J’avais fait un grand signe de tête. « Bien sûr. Avec certitude. »

Je voulais prouver que je pouvais protéger ma petite, délicate et fragile amie. Quoi qu’il arrive. Je m’étais fermement juré que je le ferais, quand soudain, une ombre blanche était apparue.

Il semble que je n’aurai rien à faire, du moins pour cette fois.

« S’il te plaît, fais attention, Mana. Elle arrive. »

« Hein ? Wah ? Eek !? »

J’avais arrêté notre descente et m’étais à nouveau accrochée à Mana. L’instant d’après, une boule blanche avait percuté la falaise. Le slime, qui se trouvait au centre de la zone d’impact, avait éclaté en mille morceaux. Un grand tremblement avait parcouru la falaise alors que je m’accrochais fermement avec Mana dans mes bras. De petits cailloux pleuvaient sur nous sans cesse, accompagnés par le liquide collant qui s’écoulait du slime éclaté.

« Vas-tu bien, Rose ? »

Le nuage de poussière se dissipa, révélant une énorme araignée blanche. La façon dont elle s’agrippait au flanc de la falaise avec ses huit pattes lui donnait un grand avantage sur ce terrain. Même sans cela, il n’y en avait pas beaucoup qui pouvaient espérer l’égaler.

En me voyant, les sourcils bien dessinés de Gerbera s’étaient froncés.

 

 

« Il semble que vous ayez eu un moment difficile. Vous étiez dans une situation assez dangereuse. »

« Le fait de presque tomber à la suite de l’onde de choc à l’instant était la partie la plus dangereuse, juste pour que tu le saches. »

« Cela n’aurait pas été un problème. J’étais déjà prête à vous attraper. »

C’était probablement vrai, vu sa spécialité dans la manipulation des fils. Ses aspects les plus malheureux étaient assez présents dans la vie de tous les jours, mais lorsqu’il s’agissait de combattre, il n’y avait personne de plus fiable qu’elle dans le monde.

« Tu as mes remerciements, Gerbera. Tu nous as vraiment sauvées. »

« Ce n’était rien. Je vais vous tirer vers le haut maintenant. »

Gerbera avait grimpé jusqu’à nous et nous avait fermement attachés à ses fils. J’avais gardé Mana dans mes bras et j’avais marché le long de la falaise pendant que Gerbera nous tirait vers le haut.

« En tout cas, c’est une situation assez particulière. Cette racaille a même surgi jusqu’à l’endroit où je me trouvais. »

Il semblerait que Gerbera ait aussi rencontré cette grande armée de monstres. C’était étrange. Même elle, qui avait vécu bien plus longtemps que moi, n’avait aucune idée de ce qui se passait.

« Tu vas bien, Gerbera ? »

« Il n’y a pas besoin de demander. J’ai écrasé tous ceux qui sont venus à moi. Je n’avais cependant pas d’autre choix que de négliger ceux que je ne pouvais pas atteindre. Ils semblent pratiquement infinis… De plus, vous m’avez inquiété toutes les deux. Quand je vous ai trouvés suspendus à mi-chemin de la falaise, j’ai cru que mon cœur allait… »

Gerbera s’était soudainement arrêtée de parler juste quand nous avions atteint le sommet.

« Gerbera ? Quelque chose ne va pas ? »

J’avais tiré mon corps sur la falaise avec Mana et j’avais regardé le beau visage de Gerbera. Ses yeux rouges étaient grands ouverts dû à la surprise. Ce qu’elle regardait l’avait laissée sans voix. Je m’étais retournée pour regarder dans la même direction… et j’étais restée tout aussi silencieuse.

« La forteresse… »

La voix abasourdie de Mana résonnait dans l’air. L’énorme forteresse se retrouvait au centre de centaines de monstres qui grouillaient autour d’elle comme des insectes.

 

 

***

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