Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 2 – Chapitre 8

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Chapitre 8 : La voie des sœurs

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Chapitre 8 : La voie des sœurs

Partie 1

Gerbera s’était dirigée directement vers le nid de l’arachnide en me portant. Ma conscience était encore dans le brouillard. Le monde me semblait si lointain. Je ne ressentais pas vraiment de douleur. Nous étions allés le plus vite possible sans rencontrer de monstres et étions arrivés au nid où Lily et les autres nous attendaient.

« Maître ? »

« S-Senpai ! »

Rose s’était retournée et avait crié d’une manière inhabituelle tandis que Katou était devenue complètement pâle.

« Maître ! » Lily avait sauté vers nous et m’avait pratiquement arraché des bras de Gerbera. J’avais été mis face contre terre où elle avait arraché mon armure et déchiré mes vêtements ensanglantés.

Lily fermait avec force sa mâchoire comme si elle retenait ses cris. Une lumière blanche avait immédiatement commencé à jaillir de sa main. C’était la magie de guérison dans laquelle elle était spécialisée. Le saignement de mes blessures par projectile avait commencé à s’atténuer. La magie était vraiment impressionnante. Une lumière chaude enveloppait mon corps et m’apportait un soulagement… pour un moment, au moins.

« Gaaaargh !? »

La cicatrisation progressait, ce qui signifiait que mes nerfs émoussés se rétablissaient — même si mes blessures n’étaient pas encore complètement guéries. La magie de guérison était généralement accompagnée d’un effet anesthésique, mais apparemment mon état actuel était au-delà de cela. Il n’y avait bien sûr rien d’aussi pratique que des analgésiques à portée de main.

Je n’avais pas d’autre choix que de serrer les dents et de le supporter. Katou avait crié quelque chose et Lily avait coincé son doigt dans ma bouche. Elle stabilisait ma mâchoire pour que je ne me morde pas la langue. Puis Lily avait crié. Des mains lisses et fermes avaient maintenu mon corps en place. C’était sûrement Rose, qui me coinçait alors que je me tordais de douleur. La seule voix que je ne pouvais pas entendre était celle de Gerbera.

Où est-elle allée ?

Cette pensée était restée dans la seule partie de mon cerveau qui avait été libérée de la douleur qui assaillait mon corps.

« D’une manière ou d’une autre, je peux gérer les brûlures grâce à la magie curative. Quant aux graines… »

Je pouvais entendre la voix emplie de tristesse de Lily. Elles étaient en train de discuter de quelque chose. J’étais pratiquement réduit à un animal et je n’avais plus les facultés de comprendre ce qu’elles disaient. Tout ce que je pouvais traiter, c’était la douleur.

« … Rose, ton couteau. »

Je n’entendais que des sons. Je ne comprenais pas ce qu’ils signifiaient. Je ne voulais pas comprendre.

« Désolée, Maître. »

Quelque chose — estentrainderentreren — moi —

« Guaah !? Aaargh !? Gaaah !? »

Ça fait mal… Ça fait mal, ça fait mal, ça fait mal, ça fait mal — !

Si c’était une véritable douleur, alors qu’est-ce que je ressentais il y a quelques instants ? J’avais l’impression que cette sensation était destinée à détruire mon être même. J’avais crié autant que je pouvais pour soulager mon agonie et ma souffrance. J’avais mordu aussi fort que je le pouvais et j’avais essayé de le supporter. Je risquais de mordre le doigt de Lily. Elle avait défait le mimétisme de son doigt et une substance visqueuse et malléable avait recouvert mes dents.

Comme la douleur parcourait mon corps, mes muscles avaient commencé à se contracter de façon anormale. Mon bras s’était mis à avoir des spasmes par réflexe, alors la main d’une marionnette l’avait maintenu en place, grinçant à chaque mouvement. La congestion du sang due à la contraction de mes muscles avait également fait que mon corps avait bondi de lui-même.

Estomac, épaule, clavicule, taille et cuisse. Elles arrachaient les graines une par une, alors que le bruit d’un objet dégoulinant d’un matériau lourd et humide résonnait dans l’air. C’était comme si j’étais en enfer.

Je voulais perdre conscience, mais je savais que c’était une mauvaise idée. J’étais comme un marin qui s’accrochait à la vie à bord d’un navire au milieu d’une tempête. Au moment où je relâchais ma prise sur ma conscience, je m’enfonçais dans les ténèbres pour ne plus jamais en sortir. Tout ce que je pouvais faire, c’était endurer la douleur.

Il suffit de supporter, et de supporter, et de supporter, et de supporter…

Je me demande combien de temps s’est écoulé exactement ? Au moment où je ne pouvais plus percevoir ma douleur comme telle, Lily avait terminé son travail sanglant. Elle avait encore une fois fait appel à la magie curative. La magie était vraiment géniale. Sans cela, je serais déjà mort plusieurs fois.

« Pas question. Pourquoi… !? »

Après avoir été réduit à l’état d’animal, il m’avait fallu pas mal de temps pour retrouver ma santé mentale.

« J’ai enlevé toutes les graines… J’ai refermé toutes ses blessures… J’ai soigné toutes les brûlures… Alors… Pourquoi… !? »

Je pouvais voir la lumière blanche de la magie curative à travers mes paupières. Grâce au traitement sérieux de Lily, la douleur qui me tourmentait tout le corps avait disparu. Cependant, mon corps était anormalement lent.

Se promener avait épuisé mon endurance, laissant mes muscles malmenés à l’abandon. La douleur m’avait presque fait dérailler. Ou du moins, je crois que c’était le cas, je ne pouvais pas vraiment me souvenir. Après cela, il était naturel pour moi d’être fatigué… Mais j’avais l’impression que ma lenteur n’était pas due à la fatigue.

Mon corps ne fonctionnait pas à un niveau fondamental. J’avais encore des tremblements. Mon corps était comme un bol avec un trou dedans. À cause de cela, je ne pouvais pas mettre de force dans mes muscles. C’était comme si mon propre corps appartenait à quelqu’un d’autre. Je ne pouvais même pas lever un seul doigt.

Un brouillard blanc se refermait sur le bord de ma conscience. Si je m’endormais, j’étais sûr de ne plus jamais me réveiller. Je ne pouvais pas me débarrasser de ce mauvais sentiment, même après que mes blessures aient été censées être guéries. Était-ce simplement parce que les blessures que j’avais subies étaient si graves ?

Je savais que la magie de guérison n’était pas omnipotente. La magie curative de Lily, au troisième rang, ne pouvait pas réparer des membres perdus. Lorsqu’elle avait elle-même souffert de blessures profondes, elle avait dû passer plusieurs jours à se rétablir. Et il était impossible de soigner les morts avec de la magie curative. Est-ce que cela signifie que mes blessures dépassaient ces limites ? Si oui, j’allais mourir ici même.

Je ne veux pas mourir… Je ne peux pas me permettre de mourir… Je n’ai toujours pas remboursé…

« … C’est de ma faute. »

C’est alors que j’avais entendu la voix de Gerbera. J’avais eu l’impression que cela faisait longtemps que je ne l’avais pas entendue. J’avais légèrement ouvert les yeux. Cela m’avait demandé beaucoup d’efforts.

Je pouvais voir Lily et Rose à côté de moi à travers mon mince champ de vision. La main droite de Lily avait repris une forme humaine et était toujours dans ma bouche, tandis que sa main gauche portait un glyphe de guérison et planait au-dessus de ma poitrine. Rose m’avait pratiquement monté dessus pour me coincer plus tôt, mais maintenant elle était assise à ma droite. Elle était probablement en attente au cas où je recommencerais à me débattre. Je pouvais voir Katou avec une expression raide, sa main sur l’épaule de Rose.

Où est Gerbera… ?

J’avais cherché pendant un moment en bougeant les yeux et je l’avais finalement trouvée. Elle était juste là, à trois bons mètres de moi. Ses huit jambes étaient repliées et son expression était complètement effondrée.

« C’est… ma faute… »

Ses épaules étaient abaissées alors qu’elle semblait déprimée. Sa peau était déjà si blanche qu’elle était presque transparente, mais maintenant son visage était blanc comme un linge.

« … Peux-tu expliquer ce qui s’est passé ? » demanda Lily.

Il y avait de la retenue dans sa voix. Je ne pouvais pas dire ce qu’elle pensait juste en regardant son visage ou en l’écoutant. Je n’avais même pas les facultés de sentir ce qu’elle ressentait à travers notre cheminement mental.

« Nous… »

Gerbera avait commencé à raconter honnêtement tout ce qui s’était passé. Sur la façon dont nous avions exploré la forêt ensemble et sur mes intentions pour le faire. De ce qui s’était passé entre nous. De la façon dont je voulais trouver d’autres moyens de chercher des monstres, vu que nous n’avions pas trouvé de serviteurs. Comment nous avions réalisé que le lac voisin serait un bon endroit. De la façon dont nous avions commencé à nous occuper des meutes et du désastre qui avait suivi quand nous pensions que tout allait bien… Son résumé était le même que celui de ma mémoire. Il y avait juste une différence définitive.

« … Tout est… de ma faute. » Gerbera avait mis ses mains sur sa tête et elle s’était accroupie. « Je n’ai vraiment pas changé. Ma nature innée est la même qu’avant. Je ne suis rien de plus qu’une calamité pour notre seigneur. »

Gerbera se sentait redevable envers nous. Elle ne pouvait pas effacer le passé qui nous avait fait du mal auparavant. Cela la tourmentait encore maintenant comme une sorte de traumatisme.

« Quelle bêtise ! Je le savais déjà. Tant que je reste à proximité, j’étais sûre de vous blesser à nouveau… ! »

J’avais formulé de nombreux projets pour le compte de Gerbera. De plus, il aurait été impossible de s’attaquer à des monstres sans elle. En ce sens, on pourrait interpréter cela comme étant sa faute. Cependant, ce n’était pas ma vision des choses. C’était ma faute si cela s’était terminé ainsi, pas la sienne.

Gerbera avait bien fait. Le fait que je respire encore était le résultat de ses grands efforts. Elle n’avait pas une seule raison de se sentir responsable. Elle ne savait pas qu’elle était responsable de cette situation. Je pouvais le déclarer clairement. Cependant, Gerbera ne pensait pas la même chose.

« Je n’aurais jamais dû… rester à vos côtés… »

Gerbera s’était écrasée par terre… et tous mes plans s’étaient effondrés. Je voulais que Gerbera accomplisse quelque chose de grand pour renverser la malheureuse première impression qu’elle nous avait donnée afin que Rose l’accepte. Et pourtant, loin de la renverser, nous nous étions retrouvés dans l’état actuel des choses.

Quelles que soient les circonstances, il était vrai que Gerbera n’avait pas été en mesure de me protéger totalement. Toutes les erreurs lui étaient tombées dessus à cause de moi. Même si je voulais l’appeler maintenant, je ne pourrais pas parler avec mon corps affaibli. Je ne pouvais même pas lui trouver d’excuses. Tout ce que je pouvais faire, c’était de regarder comme j’étais sur le point de perdre quelque chose de précieux pour moi.

Bon sang… Pourquoi est-ce que ça a fini comme ça ?

Ce n’était pas comme si j’agissais sur un coup de tête. Je n’étais pas optimiste et je ne m’amusais pas. Je réfléchissais à fond à ce qu’il fallait faire, je m’inquiétais des possibilités et je choisissais une ligne de conduite qui était censée être sûre.

Cependant, j’avais été trop négligé. Tous mes efforts m’avaient été rejetés au visage, ce qui avait entraîné un grand désastre dont je voulais détourner les yeux. J’avais vécu une expérience horrible et je risquais maintenant de mourir à tout moment. Pour couronner le tout, j’allais perdre quelque chose de précieux pour moi.

Pourquoi en est-il ainsi ? Tout ce que je voulais, c’était que nous nous entendions tous bien…

« Gerbera. »

Juste à ce moment, une voix calme avait appelé le nom de Gerbera. Au début, je n’avais même pas réalisé que c’était Lily. C’est juste que sa voix était très calme. La fille qui s’était effondrée avec mon corps blessé avant ça n’était nulle part. Elle mordait légèrement ses charmantes lèvres, mais elle gardait son calme.

Ce n’était peut-être qu’une fausse façade. C’était peut-être même du mimétisme. C’était sa façon d’être dès le départ, spécialisée dans le fait de montrer aux autres ce qu’elle n’était pas. Cependant, même si c’était le cas, elle gardait certainement son calme. C’était quelque chose qu’elle ne pouvait pas faire auparavant.

« As-tu dit que c’est de ta faute si notre maître a été blessé ? » La voix de Lily était plus grave que d’habitude. « Est-ce pour ça que tu ne peux pas rester à ses côtés ? »

Les émotions refoulées de Lily s’échappaient quelque peu par son inflexion. C’était de la colère. Lily était silencieusement en colère. Cependant, cela ne visait pas le fait que j’étais blessé.

« Penses-tu vraiment que notre maître le souhaite ? Pourquoi penses-tu qu’il se donne tant de mal ? Prévois-tu de gaspiller ses sentiments ? »

Lily était complètement furieuse contre Gerbera, qui se blâmait continuellement.

« Mais… je… »

« Je ne veux pas entendre de mais ni de comment. Tu ne comprends pas. Tu ne comprends vraiment pas du tout. Pas les sentiments de notre maître. Pas même nos sentiments… ! »

Lily avait secoué la tête et avait jeté sur Gerbera un regard qui aurait fait reculer n’importe qui.

« Hé, Gerbera. Avant que tu ne deviennes notre compagnon… j’ai appris une seule chose de l’arachne blanche. »

« … Par moi ? »

« Oui. Que je n’avais pas assez de puissance... Mon cœur et mon corps étaient tous deux immatures. Je ne pouvais pas protéger mon maître tout seul. On me l’a fait comprendre bien plus que je ne le voulais. Au point que je détestais ça, » dit Lily avec amertume.

Il était en fait plus correct de dire que la vérité lui était présentée plutôt qu’elle l’avait appris normalement, mais Lily n’avait pas détourné ses yeux de ces souvenirs désagréables.

« Mais en même temps, j’ai appris combien il était important de combiner nos forces. Ce n’est que ma propre théorie, mais je pense que nous, les serviteurs, manquons tous à notre manière. C’est pourquoi si nous ne nous compensons pas, si nous, les sœurs, ne combinons pas nos forces, nous ne serions pas bonnes. »

Lily s’était concentrée sur le cœur du problème. C’était probablement un problème auquel elle avait déjà trouvé la réponse.

« Je suis le premier serviteur de notre maître. En d’autres termes, je suis la sœur aînée. J’ai décidé que je deviendrais digne de ce titre. » Elle se gonfla la poitrine avec fierté. Elle avait l’air encore plus grande que d’habitude pour moi. « Je suis peut-être une grande sœur peu fiable, mais je ne rejetterai ni n’abandonnerai mes petites sœurs. »

« Lily… »

« Cela ne change pas, peu importe ce que tu penses de toi-même. »

En fait, Lily avait accepté Gerbera dès le début, même après m’avoir fait du mal. Je m’étais toujours demandé pourquoi, mais c’était apparemment la raison.

« Je voudrais que tu soutiennes notre maître avec nous. Je te l’ai déjà dit, n’est-ce pas ? »

« Mais… » Gerbera avait commencé à objecter, puis elle s’était souvenue de ce que Lily avait dit. « Que puis-je faire en soutenant notre seigneur avec lui dans un tel état ? »

***

Partie 2

Contrairement à Lily, qui pouvait utiliser la magie curative, Gerbera n’avait aucun moyen de soigner les blessés.

« Je ne peux rien y faire. La seule chose dont j’étais capable était d’empêcher que cela se produise. Alors, voyant que je n’ai pas été capable de le protéger, je n’ai plus… »

« Non. Il y a quelque chose que tu peux faire. » Lily baissa les yeux en s’opposant à la demande de Gerbera. Elle avait semblé s’excuser, ce qui était tout à fait différent de son attitude ferme jusqu’à présent. « En fait, je suppose que c’est quelque chose que toi seule peux faire. »

« Quelque chose que moi seule peux faire ? Une telle chose existe-t-elle ? »

Lily avait fait un signe de tête et m’avait regardé. « Comme tu peux le voir, notre maître est affaibli. Peux-tu dire pourquoi ? »

« Parce qu’il a subi de grandes blessures ? J’ai entendu dire que les humains sont des êtres assez fragiles. »

« Hm. C’est vrai. Mais ce n’est pas le cas ici. »

Gerbera avait froncé les sourcils alors que le doute l’habitait. « … Que veux-tu dire ? »

« J’ai les souvenirs de l’humaine appelée Miho Mizushima. J’ai aussi mes souvenirs de monstre jusqu’à ce jour. C’est pourquoi je peux dire que l’état de notre maître n’est pas normal. »

« Ce n’est pas… normal ? Comment, précisément ? »

« Ses blessures ont déjà été guéries. Ma magie fonctionne correctement. Il devrait aller bien après avoir récupéré. »

Gerbera semblait de plus en plus déconcertée. « Mais son teint n’est-il pas en train de se dégrader ? »

« Hm. C’est pourquoi il y a une autre raison à son état. Et je sais ce que c’est. Cependant, je ne sais pas pourquoi c’est arrivé… »

« Hm ? »

« Il n’y a plus assez de mana dans son corps, » déclara Lily en déplaçant son regard vers l’arachne. « Gerbera. Ne détourne pas ton regard. Regarde bien. Tu devrais pouvoir le dire. »

Gerbera avait fait un bond en avant. Elle n’avait pas regardé mon corps blessé pendant tout ce temps, peut-être à cause de ses sentiments de culpabilité. Mais après avoir été poussée par Lily, elle avait fini par le faire avec des mouvements timides.

« … C’est vrai. Son corps semble avoir faim de mana. »

Elle avait plissé ses yeux rouges en me regardant. Elle avait déjà l’habitude de voir l’accumulation de mana dans mon corps et d’en démêler la cause. Vu que son analyse était la même que celle de Lily, cela signifiait que mon corps était vraiment affamé de mana.

Lily avait fait un signe de tête. « Tous les êtres de ce monde possèdent le mana dans une certaine mesure. Les monstres en possèdent une quantité remarquable, mais tout être possède une certaine quantité de mana. Et pour une raison inconnue, notre maître et ceux qui ont été transportés dans ce monde avec lui possèdent également du mana. Le fait qu’ils puissent utiliser la magie sans aucune tricherie liée au mana signifie que cela s’applique à eux tous. » Elle fit une brève pause puis secoua la tête. « Je suppose que ça n’a pas d’importance maintenant… Quoi qu’il en soit, être affamé de mana est l’anomalie ici. Ce n’est pas si étrange d’être dysfonctionnel quand on a épuisé de quelque chose qui devrait être là, non ? Par exemple, je ne serais plus capable de tenir mon corps et Rose ne pourrait plus bouger. Je ne sais pas comment le mana affecte leurs fonctions corporelles, mais même les humains d’un autre monde sont affectés négativement par un manque de mana. »

« … Je comprends ce que tu dis, » déclara Gerbera avec une expression complexe en digérant les détails. « Mais que veux-tu que je fasse ? Il serait impossible de le traiter si la cause reste inconnue. »

« Un rétablissement complet serait impossible, oui. Nous ne savons pas pourquoi cela arrive… Mais nous pouvons essayer de faire un traitement palliatif. »

« Un palliatif ? »

« Hm. J’aimerais que tu partages ton mana avec lui. Tu peux penser à ça comme à une transfusion sanguine… Oh, je suppose que ça n’a pas de sens pour toi. Umm. Tu as dit que son mana s’accumule parce que notre mana lui parvient par le biais du cheminement mental, n’est-ce pas ? Donc, nous devrions être capables de partager intentionnellement notre mana avec lui en l’utilisant. »

« Puis-je dire quelque chose, Lily ? » demanda Katou, se joignant à la conversation. « L’exemple de la transfusion sanguine me paraît tout à fait logique. Donc, un certain problème me vient à l’esprit. Est-ce que quelque chose comme une différence de groupe sanguin pourrait causer un problème ? » Katou était agitée, mais elle avait encore les moyens de souligner le danger potentiel d’une telle action.

« Vous avez raison. Mais ça va aller, » répondit Lily en lui jetant un regard fugace. « … Je crois. Il reçoit déjà le mana de Gerbera tel qu’il est. Il est peu probable qu’il y ait des problèmes… Probablement. »

« Que comptes-tu faire si quelque chose se produit ? »

Gerbera était sur le point de crier. Cela n’était pas surprenant. L’idée de Lily n’était qu’une supposition. Si ça se passait mal, je pourrais mourir d’une telle « transfusion sanguine ». Cependant…

« Hm. Je le sais. J’ai aussi peur de ce qui pourrait arriver. Mais… Je n’ai même pas besoin de dire ce qui arrivera si nous ne faisons rien, n’est-ce pas ? »

Au rythme actuel, j’allais mourir de toute façon. C’était la seule chose sur laquelle nous devions parier.

« Je n’en connais pas la raison, mais le mana de notre maître s’affaiblit de minute en minute. Cependant, si nous pouvons lui fournir le mana nécessaire… »

« Ce serait une chose si l’on peut supposer que ça va marcher si on a de la chance, mais pour commencer, tu ne sais même pas si c’est possible ! Et si, par exemple, je lui donnais plus de mana que ses capacités ne le permettent ! Par hasard, je… je… Je pourrais même le tuer de mes propres mains… ! »

« Nous n’avons pas d’autre choix que de croire en toi, » avait admis Lily. En surface, elle avait l’air parfaitement calme. Seul le doigt qui était encore dans ma bouche tremblait un peu. « Au moins, tu peux le faire mieux que nous toutes. De plus, avec ta capacité de mana, tu devrais être capable de lui fournir en permanence la quantité nécessaire. »

Lily pouvait manipuler la magie de deux attributs différents et excellait dans l’utilisation du mana, mais elle devait continuellement utiliser la magie autant que possible pour empêcher mon corps de s’affaiblir. De plus, elle ne possédait pas autant de mana que Gerbera. Rose ne pouvait manipuler le mana que pour fabriquer des outils et déplacer son corps. Alors que Katou était complètement hors de question. Comme l’avait dit Lily, seule Gerbera pouvait le faire.

Mais même ainsi…

Disons, par exemple, que quelqu’un mourrait si son estomac n’était pas ouvert. Combien de personnes pourraient-ils le faire sans hésiter ? Disons que c’est quelqu’un qui leur est cher. Plus ils étaient proches, plus il leur était difficile de garder son calme. Et avec un tel manque de calme, il était clair que seul l’échec les attendait. C’est dans cette même logique que les médecins s’abstenaient d’opérer leurs propres proches.

« Je… Je ne peux pas… »

La simple pensée qu’elle puisse tuer quelqu’un qui lui est cher avait empêché Gerbera d’agir. C’était tout à fait naturel. Alors, était-il possible que Lily n’ait pas prédit cela ? Bien sûr qu’elle l’avait fait.

« Je t’en prie, Gerbera. » Lily regarda Gerbera droit dans les yeux, puis s’inclina profondément. « Je sais que tu as peur de blesser notre maître. Je sais aussi que cela pourrait le tuer. Je suis pleinement consciente que c’est une demande infiniment cruelle. Mais j’aimerais te confier cette tâche. » Elle avait bien saisi la situation, mais elle avait quand même baissé la tête. « S’il te plaît, Gerbera. Sauve notre maître. »

« Lily… »

Gerbera la regarda en réponse. Ses yeux rouges étaient encore remplis d’une peur anormale à l’idée de me faire du mal. Cependant, alors qu’elle regardait le sommet de la tête de lin de Lily, sa peur s’était progressivement dissipée. Gerbera craignait la solitude par nature, alors à l’inverse, son désir de rendre service à ses compagnons était extrêmement fort. Les mots de Lily avaient suffi à lui faire frémir le cœur. L’expression déprimée présente sur son visage gracieux avait disparu et fut remplacée par la résolution. Ses longs et fins cheveux blancs se balançaient lorsqu’elle hochait la tête.

« … Très bien. »

« Gerbera ! » cria joyeusement Lily en levant la tête.

« Laisse-moi faire, » répondit Gerbera avec un sourire gêné, présent sur son beau visage.

Elle déplia ses jambes et se leva, puis elle commença à marcher vers moi, pas à pas. Trois mètres, puis deux. La distance entre nous avait lentement disparu.

« … »

Cependant, ses pas résolus avaient soudainement été entravés par l’hésitation. La raison en était claire. Les yeux rouges de Gerbera étaient fixés sur la marionnette de bois qui la regardait.

« R-Rose… »

Sa détermination vacilla. La peur qui était censée avoir disparu s’était ravivée. Rose était celle qui s’était le plus opposée à ce que je confie ma sécurité à Gerbera. Que pensait-elle exactement à ce sujet ? Que dirait-elle ici ? De telles questions traversaient clairement l’esprit de Gerbera.

« … Que faites-vous ? » dit Rose en la regardant avec son visage sans traits. « Fournissez dès maintenant votre mana à notre maître. »

« Hein ? » Gerbera marmonna dans un étonnement sans fond.

Elle était restée là, hébétée, clignant des yeux à plusieurs reprises, comme si elle ne comprenait pas ce que Rose avait dit. Elle avait peut-être même ressenti un certain désarroi après s’être mise sur ses gardes. J’avais ressenti la même chose à cet égard.

« Est-ce vraiment bien ? »

« Que dites-vous ? »

« Ne te méfies-tu pas de moi, Rose ? »

Rose s’était tue face à cette question, bien qu’elle ne l’ait pas fait par mécontentement. Elle réfléchissait simplement à la façon de répondre, et son silence n’avait pas duré longtemps. C’était peut-être parce qu’elle était en pleine réflexion quant à sa relation avec Gerbera depuis tout ce temps.

« Lily vous l’a déjà dit, alors je vais répéter après elle… Je vais plutôt vous poser la même question, » dit Rose en guise de préface. « Gerbera, vous avez dit que tout était de votre faute, n’est-ce pas ? »

« O-Oui… »

« Je suis désolée de ne pas être d’accord avec Lily, mais je le pense aussi. »

Gerbera était au bord des larmes. Elle pensait inévitablement à la façon dont Rose ne l’accepterait jamais maintenant.

 

 

« Mais… Dans ce cas, la même chose s’applique à moi, » poursuit Rose. « Non. Ma responsabilité ici est plus lourde. Je ne pouvais pas vous pardonner. Je ne pouvais pas vous accepter quoiqu’il arrive. C’est mon manque de tact, mon obstination et mon immaturité qui ont provoqué cette situation. »

« Ce n’est pas… Tu l’as fait par souci pour notre seigneur, n’est-ce pas ? »

« Cela ne sert cependant pas d’excuse pour obtenir ce résultat. Au moins, vous blâmer pour cela, c’est faire fausse route. Ainsi, la perpétration de nouvelles gaffes ne serait plus une simple question d’obstination de ma part. Ce serait tout simplement insensé. » Rose s’arrêta et secoua la tête. « Non, c’est encore une façon d’esquiver la question, n’est-ce pas… ? Il y a quelque chose que je dois vous dire honnêtement. »

Rose avait l’air de se persuader. Elle regarda Katou, qui avait la main sur l’épaule de Rose, puis se tourna à nouveau vers Gerbera.

« Gerbera, je ne peux pas vous aimer. J’ai fini par comprendre votre souhait, en raison de certaines circonstances. J’ai aussi… appris à connaître mon propre souhait sans valeur. Mais cela ne change rien au fait que je ne vous aime pas. Je vous en veux toujours d’avoir blessé notre maître pour une telle raison. Cependant… »

Après avoir pris une courte pause pour concentrer son attention sur ses propres sentiments, Rose déclara à Gerbera la vérité qui se trouvait au fond de son cœur.

« Quand bien même, vous êtes ma petite sœur. »

Les yeux rouges de Gerbera s’ouvrirent comme des soucoupes. « Rose… »

« Je suis aussi la petite sœur de Lily. Je n’ai pas seulement ressenti un sentiment de devoir de vous accepter parce que notre maître… J’avais aussi le sentiment de vouloir vous accepter comme une sœur. »

Rose était généralement du genre à se défaire de ses propres opinions. En y repensant, c’était peut-être la toute première fois qu’elle exprimait des émotions aussi complexes. En même temps, elle avait très facilement exprimé son intention de faire des compromis et de se réconcilier.

« Veuillez prendre soin de notre maître. » Rose baissa la tête et s’écarta.

Il fallait que quelque chose se passe pour inciter ces deux-là à se réconcilier. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que c’est la malchance qui avait servi de déclencheur, mais… quand bien même, voir la glace fondre entre mes deux serviteurs était quelque chose qui méritait d’être célébré.

« Mon Seigneur. » Gerbera s’était approchée de moi. Il n’y avait plus de timidité dans son expression. Je pouvais dire qu’elle était soutenue par les mots de Lily et Rose. « S’il te plaît, confie-moi ton corps. »

Des fils blancs étaient tombés de tous ses doigts alors qu’elle tenait ses deux mains au-dessus de moi. Mon corps avait maintenant été connecté à elle.

« Commençons. »

Gerbera commença à faire passer son mana à travers les fils. Ses doigts fins s’illuminaient de lumières blanches qui se transmettaient comme de l’électricité et se déversaient dans mon corps. J’avais l’impression que quelque chose qui manquait dans les vaisseaux sanguins de mon corps se remplissait maintenant. Tout mon corps tremblait. C’était la toute première fois que je ressentais vraiment le mana.

Gerbera s’était complètement immergée à la tâche avec un visage que l’on ne pouvait que qualifier de sérieux, tandis que Rose et Lily la surveillaient pour tenter d’être à la hauteur de leurs attentes.

Je suis sûr qu’elles iront bien maintenant…

Au moment où cette pensée m’avait traversé l’esprit, un sentiment de soulagement s’était soudain emparé de moi. La somnolence avait inondé mon corps comme une vague déferlante, emportant tous mes sens. Et sans pouvoir voir les choses jusqu’au bout, ma conscience avait dérivé à ce moment précis.

***

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