Le Monde dans un Jeu Vidéo Otome est difficile pour la Populace – Tome 9 – Chapitre 8

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Chapitre 8 : Les sœurs Bartfort

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Chapitre 8 : Les sœurs Bartfort

Partie 1

Des émeutes avaient éclaté dans toute la capitale. Les habitants fuyaient frénétiquement les zones dangereuses et Finley se retrouva prise dans le chaos. Elle tenait dans sa main gauche un sac de courses contenant quelques nouveaux vêtements et accessoires qu’elle avait achetés plus tôt. Jenna lui avait saisi la main droite et l’entraîna derrière elle.

« Marche plus vite, Finley ! »

« Jen, attends ! »

Oui. Finley était introuvable dans l’enceinte de l’école pour une raison simple : elle était allée jouer dans la capitale avec Jenna.

Lorsque Finley entendit le bruit d’une fusillade dans une rue éloignée, elle baissa la tête par réflexe. « Qu’est-ce qui se passe ? Hé, Jen ! »

« Si je le savais, mais cela doit être grave ! » Jenna lui répondit, trop paniquée par leur situation d’urgence pour utiliser des mots plus rassurants. « Mais je peux te dire ceci, nous ne resterons pas dans les parages pour le découvrir. »

En temps normal, Finley serait déjà rentrée au dortoir, mais elle était restée dehors et avait enfreint le couvre-feu en raison de l’invitation de Jenna. Elles profitaient de leur journée ensemble lorsque la folie avait commencé. Les deux filles avaient été surprises par la violence soudaine, mais dès qu’elles avaient réalisé que des combats avaient éclaté dans toute la ville, elles s’étaient empressées d’essayer de s’enfuir.

« On dirait qu’il se passe aussi quelque chose à l’académie », dit Finley. « J’ai vu un dirigeable là-bas — il y avait des Armures qui se battaient au-dessus de la capitale. »

Les sœurs étaient impatientes de se mettre à l’abri, mais elles n’avaient aucune idée de l’endroit où elles pourraient le faire. Jenna ne s’arrêta pas pour y réfléchir et ne jeta pas non plus un coup d’œil à Finley. Elle regarda devant elle en criant : « Assez bavardée ! Bouge tes jambes ! Les secours finiront par arriver. Nicks et Léon sont là. »

Malgré ses moqueries constantes à l’égard de son frère aîné et de son frère cadet, ses paroles laissaient entendre qu’elle comptait sur eux. Finley, en comparaison, avait vécu à la maison toute sa vie avant de venir à l’académie pour la première fois. Elle doutait que l’on puisse compter sur ses frères dans une telle situation.

« Penses-tu qu’on peut leur laisser le soin de le faire ? » demande-t-elle. « En es-tu sûre ? »

Jenna entraîna Finley dans une ruelle et plaqua son corps contre le mur, s’efforçant de calmer sa respiration. Toute cette course l’avait épuisée. « Tu es vraiment une idiote », parvint-elle à dire entre deux respirations haletantes.

Finley souffla en essuyant la sueur sur son visage. « Qui traites-tu d’idiote ? C’est de ta faute si nous sommes dans ce pétrin ! J’ai essayé d’y retourner plus tôt, mais non ! “Il n’y a pas de mal à enfreindre le couvre-feu”, tu as dit, et tu as continué à me traîner dans des endroits ! » Si Jenna ne l’avait pas poussée à sortir plus tard, elle était sûre d’être en sécurité à l’académie.

Jenna savait au fond d’elle-même que c’était elle qui était en tort, mais l’empressement de Finley à lui faire porter le chapeau l’avait refroidie. « Tu étais tout à fait d’accord ! Tu as dit que tu voulais aller dans un restaurant chic, et quand nous l’avons fait, tu as commandé la moitié du menu. Tu te souviens ? »

Elles commençaient à se chamailler sérieusement lorsqu’un homme surgit des profondeurs de la ruelle. Il était armé. Dès qu’elles l’aperçurent, les sœurs restèrent bouche bée, en partie par peur, mais surtout parce qu’elles le reconnaissaient.

L’homme était vêtu de l’uniforme de travail habituel du personnel de l’académie. Il pointa son arme sur les deux femmes et déclara : « Je crois que j’ai finalement eu de la chance. Vous allez venir tranquillement… ou sinon. »

Jenna s’était avancée devant Finley, l’air hargneux. « Rutart… Tu étais ici dans la capitale depuis le début, n’est-ce pas ? »

« Ne prends pas ce ton mielleux avec moi ! Si les choses étaient ce qu’elles devraient être, je serais baron… non, marquis à l’heure qu’il est ! » Son attitude laissait entendre qu’il se croyait capable de tous les exploits de Léon, si seulement on ne lui en avait pas volé l’occasion.

« Toi, un marquis ? Beaucoup trop irréaliste, tu ne trouves pas ? » Finley rétorqua sans ménagement, cachée dans l’ombre de sa sœur aînée.

« Imbécile », lui rétorqua Jenna, toute troublée. « Ne l’énerve pas —. »

Avant qu’elle n’ait pu terminer, Rutart appuya sur la gâchette. Un bruit sec retentit autour d’eux. Une fraction de seconde plus tard, Jenna s’effondra sur le sol.

« Jen !? » s’écria Finley.

Jenna s’agrippa à sa cuisse droite. Malgré ce qui devait être une douleur atroce, elle siffla : « Bon sang. Ça va à tous les coups laisser une cicatrice. »

« Jen, tu es blessée ! »

« Ce n’est qu’une égratignure », insista Jenna, alors que du sang jaillissait de la blessure. Heureusement, la balle n’était pas logée dans sa jambe, mais ce n’était pas une grande consolation. Elle l’avait transpercée de part en part — une blessure importante, quelle que soit l’échelle de mesure.

Le visage impassible de Rutart se maintint fermement tandis qu’il avançait. « Connaissez votre place. Vous êtes loin d’être à mon niveau. » Il était tombé en disgrâce comme sa mère, mais il conservait son odieuse fierté. « Vous serez mes otages contre Léon. Si vous ne voulez pas mourir, fermez vos gueules et faites ce qu’on vous dit. »

 

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Les deux jeunes filles furent guidées vers le repaire des Dames de la Forêt. L’endroit était en grande partie désert depuis que la représentante et ses larbins l’avaient quitté. Les deux sœurs avaient les mains liées dans le dos et un tissu entourait la jambe blessée de Jenna. De là où elles étaient allongées sur le sol froid et dur, elles entendaient les voix de trois personnes qui se disputaient. Trois personnes avec lesquelles Finley et Jenna — non, toute la famille Bartfort — avaient des liens amers.

L’une des voix était celle de Zola, qui portait désormais des haillons crasseux au lieu de robes voyantes. Ses cheveux et sa peau étaient en désordre, ce qui la faisait paraître bien plus âgée qu’elle ne l’était en réalité. Ses mains étaient cachées par une paire de gants noirs.

« Pourquoi est-ce que ce sont ces deux-là que tu as ramenés avec toi ? » hurla Zola, confuse et furieuse de leur situation. « Où est la princesse ? Je suis revenue après être allée chercher l’objet qu’on m’avait demandé et j’ai constaté que les autres femmes avaient disparu. La représentante aussi ! Je n’ai plus aucune idée de ce qui se passe ! Explique-moi ! »

Une autre voix venait de Merce, toujours aussi ostensiblement vêtue. La principale différence était son maquillage criard qui ressortait même dans l’obscurité de la nuit. Elle avait maigri au cours des quelques années qui s’étaient écoulées depuis la dernière fois qu’elles l’avaient vue, ce qui laissait supposer qu’elle avait traversé de nombreuses épreuves.

« Tu es totalement inutile ! Tu avais le choix entre de nobles dames et des civils à utiliser comme otages ! Il y avait même une princesse d’un gouvernement étranger présente à l’académie. Pourquoi ne nous as-tu pas amené quelqu’un de valeur ? »

Rutart se recroquevilla tandis que les deux femmes s’acharnaient sur lui. « J’aurais aimé amener quelqu’un de plus respectable, vous savez ! Mais Son Altesse et ces autres nobles ont surgi de nulle part, et je n’ai eu d’autre choix que de fuir. J’ai trouvé ces deux-là sur le chemin du retour, alors je les ai pris en otage. » L’attitude qu’il avait montrée à Finley et à Jenna avait disparu, remplacée par celle d’un lâche pleurnichard, fruit de l’influence constante de sa famille.

Rutart jeta un coup d’œil à Finley et Jenna. Zola et Merce suivirent son regard. Finley, frustrée, n’avait pu que leur répondre par un regard noir. J’aurais dû respecter le couvre-feu comme l’a dit Léon. Si elle était rentrée à l’heure prévue, elle n’aurait jamais été capturée et Jenna n’aurait jamais été blessée de la sorte.

« Désolée, Finley », dit Jenna en dépit de la douleur. « C’est arrivé seulement parce que je t’ai gardée dehors tard. »

« Je suis plus inquiète pour ta jambe. Est-ce que ça va ? »

« Ce n’est rien. »

La grimace de Jenna racontait une autre histoire. Finley réalisa maintenant à quel point elle avait été imprudente. Elle regrettait d’avoir contrarié Rutart.

Merce s’approcha des deux, ayant entendu leur échange. « Vous avez beaucoup râlé pour une blessure mineure. » Elle fit claquer son pied contre la tête de Finley. « Vous regarder, les filles, me met hors de moi. Vous n’êtes même pas de vraies aristocrates — vous vivez des restes que nous vous avons laissés ! »

Elle enfonça son talon dans la tête de Finley, exprimant sa frustration face aux circonstances actuelles. « C’est nous qui sommes issus de la vraie noblesse de sang ! Alors pourquoi continuez-vous à être considérés comme des membres haut-placés de la société alors que nous sommes traités comme de vulgaires racailles ? J’ai été forcée de porter ces vêtements ridicules et de sortir avec un homme que je n’aime même pas, juste pour pouvoir m’en sortir ! Tout ça à cause de vous ! Je vous le dis, vous allez payer pour toutes mes souffrances. »

« Ça fait mal ! » s’écria Finley.

Merce leva son pied. Puis elle l’abattit, frappant la tête de Finley encore et encore. Plus elle le faisait, plus Finley sentait la rage bouillir en elle. Non, ce n’est pas fini, pensa-t-elle. Je n’oublierai pas cela, et je me vengerai, quoi qu’il en coûte. Loin de trembler de peur, Finley entretenait sa colère et sa conviction.

Soudain, elle sentit un autre corps recouvrir le sien.

« Jen !? », s’exclama Finley.

Jenna avait drapé son corps sur celui de Finley pour protéger sa jeune sœur. Cette démonstration exaspéra Merce, qui s’était contentée de frapper Jenna du pied.

« Tu veux montrer la beauté de votre lien fraternel ? Aucune d’entre vous n’a de valeur ! Je prévois déjà que Léon vous abandonnera. Je vais vous tourmenter jusqu’à la mort, ici et maintenant ! »

Finley partageait vraiment cette opinion. Jenna et elle se disputaient constamment avec Léon, et il était toujours extrêmement froid avec elles. Si Colin était en danger, Léon se précipiterait à son secours sans poser de questions, mais elle doutait qu’il fasse la même chose pour Jenna et elle.

Ce grand frère pourrait vraiment m’abandonner. Bon sang. Je suppose que j’aurais dû faire un peu plus de gentille avec lui. J’aurais peut-être pu sauver Jen… Les pensées de Finley se tournèrent vers Jenna, qui la protègeait de la colère de Merce.

Zola regarda la torture se dérouler avec un sourire moqueur. « Merce, je veux bien que tu les maltraites, mais ne les tue pas. Qu’elles soient inutiles ou non, elles pourraient nous être utiles. C’est compris ? »

Merce prit des respirations haletantes, à bout de force. Ses lèvres se retroussèrent en un sourire sadique. « Tu as raison, mère. Mais tant que je ne les tue pas, je peux les battre à ma guise. N’est-ce pas ? » Elle termina à peine sa phrase qu’elle enfonça son pied dans l’estomac de Jenna.

« Hngh ! » Jenna gémit d’agonie.

« J-Jen !? »

Rutart commença à applaudir. « Un excellent spectacle. » Il arborait un sourire tout aussi méprisant.

Finley fulminait d’une colère à peine contenue. Je jure que si c’est la dernière chose que je fais, je montrerai à chacun d’entre vous ce que signifient les mots « enfer ».

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Partie 2

Les rapports affluaient dans la salle de stratégie sur le nettoyage ou la neutralisation des repaires de nos ennemis. Les chevaliers arrivaient les uns après les autres pour annoncer la nouvelle, puis repartaient, et le cycle se répétait quelques instants plus tard. Pourtant, loin de la sombre résolution que l’on pourrait attendre des chevaliers, chacun d’entre eux semblait heureux de nous apporter ces bonnes nouvelles.

« Tous les éléments radicaux de la partie nord de la capitale ont été capturés ! Einhorn se rendra ensuite dans la zone est pour y déposer les troupes ! »

« L’escadron de motards a capturé un groupe qui tentait de s’enfuir ! Ils ont déjà mené une enquête, au cours de laquelle les criminels ont avoué avoir des liens avec Rachel. »

« De bonnes nouvelles nous parviennent de l’ouest de la zone ! Nos hommes ont réussi à capturer un groupe d’anciens aristocrates ! »

À chaque rapport, un nouveau point de la carte indiquant la localisation de notre ennemi disparaissait, l’un après l’autre.

Tous les regards s’étaient posés sur moi.

« D’accord », avais-je dit, « alors où devrions-nous cibler ensuite ? »

Quel serait l’emplacement le plus efficace ?

Julian, qui se tenait à mes côtés, pointa la carte du doigt. « Il y a une vieille tour ici. S’ils s’y barricadent, nous aurons du mal à nous en sortir. Nous devrions attaquer avant que l’ennemi ne se masse là. »

« Oh, cet endroit ? Je l’ai vu plusieurs fois. »

Je n’y avais pas réfléchi. C’était une vieille épave décrépie.

« Avant l’expansion de la capitale, des guetteurs y étaient postés, mais aujourd’hui, il sert d’entrepôt », expliqua Julian. « Même l’intérieur est conçu pour la bataille. Il s’agira d’une forteresse difficile à affronter, s’il le faut. »

« Dans ce cas, nous ne pouvons pas envoyer d’Armures. Je suppose que nous devrions demander à Greg et à ses hommes d’y aller. »

Julian connaissait mieux que moi la capitale et son histoire, je l’avais donc traité comme un conseiller et j’avais basé mon prochain déplacement sur ses conseils.

« J’ai ordonné à Greg de se rendre à l’endroit suivant, mais il a demandé plus de munitions », déclara Luxon. « Je vais lui faire prendre cet itinéraire pour se réapprovisionner, même si ce n’est pas le plus court. » Il souligna l’itinéraire sur la carte, nous montrant comment Greg et son escadron se retrouveraient avec l’unité de réapprovisionnement avant de se diriger vers la tour.

Ne voyant aucune raison de ne pas être d’accord, j’avais acquiescé. « Alors Jilk et ses hommes devraient faire de même. »

« Envoyons l’Einhorn. »

Luxon et moi avions finalisé nos décisions sous le regard de Mlle Mylène, les mains serrées en poings. Nous avions reçu un flot de bonnes nouvelles, faisant passer la situation de l’état d’urgence grave qu’elle avait été. Cela lui avait donné l’occasion de sourire davantage, mais son anxiété persistait.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demandai-je.

« Rien. J’ai été impressionnée par l’incroyable qualité de votre artefact disparu. Je comprends maintenant comment vous avez accompli vos exploits dans la République d’Alzer. Mes sentiments vont au-delà de la simple admiration, en fait… Je trouve cela presque terrifiant. » Elle esquissa un sourire tendu. Elle avait vraiment l’air d’avoir peur de Luxon.

Je comprenais qu’elle puisse le considérer comme une menace, étant donné les capacités qu’il avait démontrées. N’importe qui serait effrayé face à cela.

« Tout va bien, Mlle Mylène. »

« Hm ? »

« Luxon est peut-être effrayant, mais il obéit à mes ordres. Je ne le laisserai jamais faire quoi que ce soit qui puisse vous nuire. » Je lui avais souris.

« Oh, Marquis… non, Léon… » Le soulagement l’envahissait, ses joues rougissaient.

À côté de moi, Julian ricana. « Léon, si tu veux draguer ma mère comme ça, tu pourrais au moins ne pas le faire devant moi ? »

« Je ne la drague pas. Je la rassure. »

« Bien sûr. Je me demande si les autres personnes présentes dans la salle ont eu l’impression que c’était le cas. »

À son invitation, j’avais regardé autour de moi. Toutes les personnes présentes évitaient mon regard, doutant apparemment de la pureté de mes motivations. Pendant ce temps, le ministre Bernard était plus choqué de voir Mlle Mylène rougir.

« Je ne l’ai jamais vue faire cette tête qu’avec vous, Marquis Bartfort. »

« Ça, c’est un compliment ! »

 

 

Sentant que j’allais trop loin, Luxon m’avait réprimandé. « Je te conseille de réfléchir au moment et à l’endroit où tu exprimes ta joie. Anjelica est présente. »

« Oh, merde. »

Je tressaillis et tournai lentement mon regard vers Anjie. Si elle voyait tout cela, elle m’attraperait probablement par les cheveux et me traînerait à nouveau — au sens figuré et au sens propre. En la regardant, je pouvais deviner à quel genre de punition je devais me préparer, mais à mon grand soulagement, elle était plongée dans une conversation sérieuse avec Miss Deirdre et Miss Clarisse et n’avait apparemment pas entendu un seul mot de mon échange avec Miss Mylène.

« Ouf, j’ai eu de la chance. »

Julian secoua la tête. « Tu es vraiment un cas. Des nouvelles plus agréables… Au rythme où nous allons, il semblerait que les émeutes soient bientôt terminées. »

J’avais reporté mon attention sur la carte. « Avons-nous trouvé Jenna et Finley ? »

Finley était introuvable lorsque nous avions quitté l’académie pour nous réfugier au palais. Les autres étudiantes avaient prétendu que Jenna était allée s’amuser en ville et que, même après le couvre-feu, elle n’était toujours pas rentrée. Aujourd’hui était le pire jour qu’elle aurait pu choisir pour enfreindre le couvre-feu. Cette fille n’avait pas de chance.

« Je suis à leur recherche en ce moment même, » déclara Luxon.

« Eh bien, bouge-toi ! »

Je me sentirais très mal si l’une d’entre elles mourait dans ce chaos, et ma famille serait dévastée.

 

☆☆☆

 

Anjie se tenait près de la fenêtre de la salle de stratégie. En regardant la capitale, elle s’était dit : ces émeutes ont été si mal conçues qu’elles ne valent pas la peine d’être organisées.

Les anciens aristocrates qui avaient fomenté cette révolte potentielle avaient été imprudents et imprévoyants. Pour elle, il était évident que le gouvernement était parfaitement capable de mettre fin aux agissements de ces organisations sans l’intervention de Léon. Elle avait d’autres chats à fouetter.

Deirdre s’approcha d’elle et chuchota : « Ma sœur aînée a capturé les hommes de Rachel. Ils semblent profondément en vouloir au marquis. Apparemment, le “chevalier ordure” a été reconnu comme un ennemi de l’État dans le Saint Empire. Nous avons également retrouvé la preuve que le Saint Empire a participé en coulisses à l’orchestration du désordre qui règne actuellement dans la capitale. Assurez-vous de communiquer tout cela au marquis. »

« Mes gens ont capturé un groupe qui se fait appeler les “Dames de la forêt” », dit Clarisse. « Il semblerait qu’elles soient également en froid avec Léon. Nous pouvons vous les remettre si vous le souhaitez. »

Plutôt que de transmettre directement au palais les informations qui leur parviennent par leurs maisons, elles avaient choisi de confier ces informations et la décision de les utiliser à Anjie. Anjie n’avait pas apprécié d’être traitée comme leur intermédiaire.

« Vous devriez raconter tout cela aux autorités du palais, pas à moi », les avertit-elle. Sa voix était posée, comme si elle leur opposait une réponse sensée.

Les deux femmes échangèrent un regard avant de sourire faiblement, comme pour dire : S’il te plaît, de qui crois-tu te moquer ? Elles avaient vu clair dans la supercherie d’Anjie.

Clarisse jeta un bref coup d’œil à son père. « Il est inutile d’essayer de nous tromper, Anjelica. Le duché refuse d’offrir l’aide de son armée parce qu’il a déjà tourné le dos à la famille royale, n’est-ce pas ? » Sa voix était feutrée, suffisamment pour que personne d’autre qu’eux ne puisse l’entendre.

Anjie lui lança un regard noir. « Ce n’est pas une conversation que nous devrions avoir ici. »

Ses plaintes n’avaient pas dissuadé Deirdre. « Le vainqueur est évident. Regarde bien le marquis. Il commande les troupes du royaume avec une précision effrayante, n’est-ce pas ? »

Léon prenait effectivement les commandes, même s’il semblait aussi désintéressé par cette mission qu’il l’était par tout le reste. Le plus urgent était de savoir ce qu’il adviendrait de cette situation. Deirdre avait raison — Léon était trop précis dans ses ordres, au grand étonnement et à la terreur de ceux qui l’entouraient. Et les informations sur ses succès actuels arrivaient en temps réel.

Même Anjie était choquée par la facilité avec laquelle ils pouvaient suivre les événements extérieurs depuis la salle de stratégie. L’armée dépensait beaucoup d’argent pour obtenir des informations fiables le plus rapidement possible. Elle savait qu’il était important de disposer de ces informations le plus tôt possible. Pourtant, malgré tous leurs efforts et leur budget considérable, il était toujours impossible d’obtenir des informations précises immédiatement. Luxon — et par extension, Léon — avait rendu l’impossible possible. Tout le monde dans la salle était forcé d’admettre sa fiabilité à cet égard… même si beaucoup le trouvaient redoutable à cause de cela.

Deirdre se pencha et chuchota à l’oreille d’Anjie. « Ne t’inquiète pas, Anjelica. Même s’il faut se battre, il n’y a aucune chance que nous perdions. »

Léon n’avait eu aucun mal à prendre le contrôle de la situation, même si la capitale était loin de son territoire d’origine.

Clarisse ajoute : « La guerre finira par éclater, qu’on le veuille ou non. La famille royale ne peut pas laisser les choses en l’état, et elle le sait. Le marquis leur fait peur, car ils savent qu’il peut les mettre à terre à tout moment et prendre leur place. »

Le dirigeable de la famille royale avait été la carte maîtresse du royaume de Hohlfahrt, mais il avait été perdu lors de la bataille contre l’ancienne principauté de Fanoss. En son absence, Léon et son artefact perdu étaient devenus une véritable menace pour la famille royale. Si Mylène affichait ouvertement sa peur, c’est parce qu’elle percevait Luxon comme un véritable boulet. Anjie était exaspérée par le fait que Léon ne l’ait pas compris.

Imbécile, pensa-t-elle. Prends les choses au sérieux si tu veux, mais ne leur montre pas toutes les cartes que tu as en main. Depuis qu’il avait dévoilé la véritable forme de Luxon dans la République d’Alzer, Anjie trouvait que Léon était devenu un peu trop complaisant. Je suppose qu’il est un peu tard pour lui demander de faire preuve de prudence, mais j’aimerais qu’il me consulte au moins avant…

Comme elle, Clarisse et Deirdre regardent Léon. Leurs expressions se durcirent.

Deirdre détourna son regard. « Eh bien, s’il y a une inquiétude, c’est celle de Sa Majesté. »

« Il a l’air d’être en très bons termes avec elle », remarque Clarisse en fixant Léon d’un regard froid.

Elles regardent Léon essayer d’apaiser les craintes de Mylène. Pour les trois filles, il était clair comme le jour qu’il flirtait avec elle, et aucune d’entre elles ne l’appréciait, surtout pas Anjie.

Anjie ferma les yeux. « La loyauté de Léon à son égard est troublante, » admit-elle amèrement.

Au lieu de faire des avances inconsidérées à Sa Majesté, il pourrait utiliser cette énergie pour réfléchir à son avenir. Je devrai lui faire la leçon plus tard.

Il était difficile de ne pas être contrarié par la chaleur avec laquelle Léon réconfortait la reine, mais les mots roulaient si facilement sur la langue de Léon qu’elle supposait qu’il n’était pas sérieux. Avec le temps, Anjie avait appris à comprendre la personnalité désordonnée de Léon.

« J’ai presque envie de le féliciter d’avoir l’audace de flirter dans cette situation », dit Deirdre d’un ton sarcastique. « Surtout parce que son audace est la seule chose qui vaille la peine d’être louée en ce moment. »

Clarisse fronça les sourcils et posa une main sur sa hanche. « Cela le confirme. Notre seule véritable préoccupation est la reine. »

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Partie 3

Anjie détacha son regard de Léon pour fixer solennellement les deux femmes devant elle. Le problème, c’est ce qui se passera une fois que nous aurons tiré au clair la situation actuelle. L’angoisse de l’avenir pesait lourd au creux de son estomac, mais elle n’eut guère le temps de s’y attarder : toute l’atmosphère de la pièce changea brusquement. Léon était calme jusqu’à ce qu’il se mette en colère et attire l’attention de tout le monde.

« Luxon, essaie encore de me faire croire ça. » Sa voix était calme, mais la rage transparaissait. Il fixa son compagnon robot.

« Tes sœurs ont été prises en otage. Les coupables sont des restes des Dames de la Forêt — Zola et ses enfants, Rutart et Merce. »

« J’y vais », insista Léon, prêt à renoncer à son devoir de commandant en chef.

Le tumulte éclata, mais à la vue du visage de Léon, Anjie devina déjà qu’il est inutile d’essayer de l’arrêter. Les autres personnes présentes n’étaient pas conscientes de son entêtement et avaient tout de même tenté de l’arrêter.

« Marquis, vous devez rester ici ! Si vous partiez, ce serait le chaos ! »

« Mon devoir ici est déjà fait et vous le savez. Il ne reste plus qu’à nettoyer », insista Léon.

« Oui, mais ce nettoyage nécessite aussi vos ordres… »

« Je donnerai des ordres à mon retour. Ou si cela ne suffit pas, je les donnerai pendant mon absence. »

Les gens se pressèrent autour de Léon, essayant tous de le persuader de ne pas suivre sa ligne de conduite.

Anjie soupira doucement et s’avança. « Laissez-le partir. »

Tout le monde, y compris Léon, se figea pour la regarder.

Elle posa une main sur sa hanche et déclara : « Si tu veux être égoïste et faire ce que tu veux, tu ferais mieux d’assumer la responsabilité de tes actes. »

« Anjie… » Il la fixa avec incrédulité, comme s’il s’attendait à ce qu’elle soit l’un des nombreux obstacles sur son chemin.

Anjie lui fit un grand sourire. « Dépêche-toi d’aller faire ton truc pour pouvoir revenir ici. »

« Je serai de retour avant que tu t’en aperçoives », promet-il avant de sortir de la pièce avec Luxon à sa suite.

Une fois qu’il fut parti, Mylène s’approcha d’Anjie. « Vous semblez lui accorder une grande confiance, mais là… vous avez pris la mauvaise décision. »

« Je suis d’accord avec vous, Votre Majesté, mais Léon a un passé avec ces gens. Il y va pour sauver sa famille. »

Mylène soupira de frustration et se tourna vers la porte par laquelle Léon avait disparu. « J’avais tout faux à son sujet. »

« Que voulez-vous dire ? »

« Je l’ai trouvé fort et capable de s’adapter à toutes les situations, mais au fond, il est plutôt maladroit, » dit Mylène avec un sourire triste. « Pauvre garçon. Anjie, vous devez être là pour lui et le soutenir. » Après avoir dit ce qu’elle avait à dire, elle s’éloigna.

Pauvre garçon ? Anjie trouva ce commentaire un peu étrange, mais elle comprenait pourquoi Mylène pouvait penser cela de Léon. Je suppose que c’est vrai, d’une certaine manière. Ce n’est pas du tout la situation que Léon souhaitait.

 

☆☆☆

 

Dès que j’avais quitté la salle de stratégie, j’avais trouvé le prince Jake et Oscar qui traînaient dans le couloir pour des raisons inconnues. Le prince Jake était accompagné d’Eri. Tous semblaient m’attendre.

Oscar s’était approché dès qu’il m’aperçut. « Marquis ! Vous n’avez toujours pas retrouvé Miss Finley ? »

« Calmez-vous. Je vais aller la sauver maintenant. »

La façon dont il s’occupait d’elle me mettait mal à l’aise. Ce n’était pas que je veuille me mêler de la vie amoureuse de ma sœur, mais ce type était censé être l’un des intérêts amoureux du jeu. Je savais que c’était égoïste de ma part, mais si c’était possible, je préférais qu’il se mette avec Mia.

« Emmenez-moi aussi ! » demanda Oscar.

« Non. Tu ne bouges pas. »

« M-Mais… »

Voyant son empressement à lui venir en aide, je lui avais demandé franchement :" Dis-moi, qu’est-ce que tu ressens pour Finley ? Je veux dire, si tu es si pressé de te mettre en quatre pour la sauver, je peux déjà deviner que tu l’aimes bien. »

Oscar esquissa un sourire tendu. « Je n’en suis pas tout à fait sûr moi-même. Je sais que je la trouve agréable, c’est certain. Je suppose que je la vois comme une grande sœur attentionnée. »

« Grande soeur !? Finley ! ? », avais-je lâché.

« Bartfort, j’y vais aussi », interrompit le prince Jake.

« Hein ? »

« Je suis plus capable que mon frère aîné. Je vais te montrer à quel point je peux être utile. » Sa bravade fut atténuée par la façon dont son regard se porta sur la fille qui se tenait derrière lui. Il était à l’âge où les garçons aimaient se montrer aux filles qu’ils aimaient, ce qui n’était pas surprenant.

S’il n’était pas clair avant que ces deux-là sont frères, ça l’est maintenant. Ils disent tous les deux des choses qui me donnent envie de crier : « Avez-vous perdu la tête ? »

« Pourquoi penses-tu que je ferais des pieds et des mains pour amener un prince ? Il devrait être évident que tu restes sur place. Va assister Julian. »

Indigné, le prince Jake balbutia : « Comment oses-tu… ? Tu sais que je suis —. »

« Tu gênes, Votre Altesse », interrompit Oscar en le poussant physiquement sur le côté.

« Oscaaaar !? Je suis un prince ! Et tu es censé être mon frère adoptif, tu te souviens ? » lui cria le prince Jake depuis l’endroit où il s’était écroulé sur le sol.

Oscar l’ignora. Ses yeux étaient fixés sur les miens. « Je vous en prie ! Permettez-moi de vous accompagner. Je ne vous ralentirais pas. » Il baissa la tête.

« Je perds un temps précieux ici. Très bien, viens, mais si tu te mets en travers de mon chemin, je te fous à la porte. Littéralement. »

Son visage s’était instantanément illuminé à mon approbation. Le visage de Jake s’était effondré.

« Prince Jake, nous devrions faire profil bas ici au palais, » suggéra Eri, essayant de l’apaiser.

« Tu as du culot, Bartfort…, » siffla-t-il sous sa respiration.

Le prince Jake semblait m’en vouloir pour ma décision, mais c’est moi qui serais dans la merde si j’acceptais de l’emmener avec moi. Julian et lui étaient de véritables épines dans mon pied.

Je suppose que c’est le sang de Roland qui coule dans leurs veines, hein ?

 

☆☆☆

 

« Jen, ouvre les yeux ! »

De retour à la cachette des Dames de la Forêt, Jenna était couverte d’égratignures et d’ecchymoses après avoir résisté à la violence de Merce. Elle avait perdu connaissance depuis longtemps et sa respiration était devenue superficielle.

Des larmes avaient coulé sur les joues de Finley. Jenna s’était blessée en protégeant Finley avec son corps.

Merce ricana, un bâton cassé à la main. Elle avait battu Jenna jusqu’à ce qu’il se brise en deux morceaux. Elle jeta la branche désormais inutile de côté. « Qu’est-ce qu’il y a ? Il faut que tu cries encore pour moi, sinon ce ne sera pas drôle ! » railla-t-elle.

Rutart était juste à côté d’elle, se joignant à elle et piétinant Jenna. Ils exprimaient leur mécontentement à l’égard de leur sort actuel en utilisant Jenna comme punching-ball — ou kick-ball, dans ce cas.

« Elle mourra si nous continuons comme ça », avait-il observé, « Mais qui s’en soucie tant que l’une d’entre elles survit, n’est-ce pas ? »

Les deux frères et sœurs semblaient émotionnellement engourdis, comme si même eux ne réalisaient pas pleinement ce qu’ils étaient en train de faire. Peut-être s’en moquaient-ils.

Leur mère, Zola, les observait distraitement depuis une chaise voisine. Ses pensées étaient préoccupées par des fantasmes de vengeance. « Je suis d’accord. Montrer à Balcus le corps de sa fille morte devrait lui servir de réveil. Il apprendra à ses dépens qu’il n’aurait jamais dû me défier. »

 

Épuisée par les injures, Merce s’était assise sur une caisse en bois. « Si notre plan réussit, nous redeviendrons de vrais aristocrates. Cette fois, vous, les Bartforts, vous travaillerez comme des esclaves pour nous. Vous vivrez une existence misérable sous notre coupe. »

Les visages de Zola et de sa progéniture s’illuminèrent d’un sourire triomphant.

Ce sont des monstres. Finley repensa à son enfance. En y repensant, ils ont toujours été des gens terribles.

 

☆☆☆

 

Zola et ses enfants se montraient rarement au domaine de la famille Bartfort, mais ce jour-là, elle était revenue pour assaillir Balcus de plaintes. La porte du salon avait été laissée entrouverte pour que Finley puisse apercevoir ses parents à travers, Balcus et Luce restaient immobiles tandis que Zola leur lançait des injures.

« Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi mon allocation a-t-elle été réduite ? Il s’agit d’une violation de notre contrat. C’est tout à fait inacceptable. Un baron de l’arrière-pays comme toi ne peut-il même pas respecter la plus petite de ses promesses ? »

Elle avait fait tout ce chemin pour protester contre la réduction de ses moyens financiers, mais elle avait de bonnes raisons de le faire.

D’un air penaud, Balcus déclara :" M-Mes excuses, Zola. Nous faisons de notre mieux, nous le jurons, mais après le désastre de cette année, nous n’avons tout simplement pas l’argent. »

Une catastrophe naturelle survenue plus tôt dans l’année avait nécessité des fonds pour reconstruire les zones touchées. Comme si les choses ne pouvaient pas être pires, le rendement de leurs cultures avait été insuffisant. La récolte n’avait pas été terrible, mais elle avait produit beaucoup moins de bénéfices que d’habitude. N’ayant pas beaucoup d’autres options, ils avaient vendu certains de leurs biens au domaine afin de préparer suffisamment de fonds pour envoyer Zola. Finley savait que sa mère s’était débarrassée des quelques vêtements et accessoires qu’elle possédait. La maison avait l’air bien plus vide qu’avant, et il y avait aussi moins de nourriture sur la table.

Tout cela n’avait pas d’importance pour Zola.

« Et alors ? Qu’est-ce que votre souffrance a à voir avec moi ? Si vous ne remplissez pas votre part du contrat, j’ai l’intention de prendre les choses en main. Dois-je vous dénoncer au palais ? »

Balcus baissa la tête. Il sentait peut-être qu’il n’y aurait rien de bon à ce qu’elle se plaigne auprès de ses supérieurs. « S’il vous plaît, tout sauf ça ! »

Le palais accordait aux femmes comme Zola un traitement plus favorable qu’à ses propres seigneurs régionaux. S’ils entendaient parler de cette affaire, ils reconnaîtraient que Balcus avait eu tort et lui imposeraient une amende pour sa mauvaise conduite. Selon la gravité, ils pourraient même confisquer les terres d’un noble. Balcus n’avait d’autre choix que de ramper.

« Dans ce cas, fais ce qu’il faut pour préparer les fonds corrects. Honnêtement, tu es vraiment un bon à rien ! Tu m’obliges à venir jusqu’ici pour toi faire la leçon. » Zola était d’une humeur massacrante, et cette fois-ci, elle se défoula sur la famille Bartfort.

Incapable de regarder ses parents se faire maltraiter davantage, Finley s’éloigna. En s’enfuyant dans le couloir, elle tomba sur Rutart et Merce, tous deux vêtus d’habits bien plus luxueux que Finley et ses frères et sœurs de sang.

« Quelle disgrâce ! Je déteste tellement ces bouseux de la campagne », se moqua Merce en apercevant la jeune Finley.

Rutart jeta un coup d’œil à Finley et haussa les épaules. « Je suis d’accord. C’est un miracle qu’ils parviennent à survivre ici, au milieu de nulle part. »

Le serviteur personnel de Zola, un elfe, veillait à leurs besoins et déclara : « Jeune maîtresse, jeune maître ? Si vous le voulez bien, j’ai apporté quelques collations que vous pourrez déguster dans la pièce là-bas. »

Le mot « collations » avait fait gronder l’estomac de Finley.

L’elfe plaqua une main sur sa bouche pour masquer son sourire moqueur, tout en la fixant du bout du nez. « Malheureusement, il n’y en a pas pour toi. » Il tourna les talons et entraîna les deux autres.

Finley se serra l’estomac, gênée.

« Dommage pour toi, » ricana Merce.

Rutart n’avait pas l’air très enthousiaste à l’idée de goûter. « Je parie que ce sont les mêmes que nous mangeons toujours, n’est-ce pas ? J’en ai marre. »

Finley n’en revenait pas. Elle et sa famille avaient du mal à manger quoi que ce soit, alors pourquoi Zola et ses enfants prenaient-ils des collations en plus des repas habituels ? La colère monta en elle alors qu’elle tenta d’ignorer les protestations désespérées de son estomac vide.

+++

Partie 4

C’est vrai. Cela m’a toujours dérangé depuis le début. Ils ne menaient une vie aussi luxueuse qu’en ponctionnant tout l’argent que nous avions.

Les Bartfort avaient travaillé et s’étaient privés pour fournir à Zola et à ses enfants le style de vie extravagant dont ils jouissaient. Finley avait longtemps trouvé cela vexant. Les choses s’étaient un peu améliorées après l’ascension de Léon, mais les Bartfort avaient été contraints d’endurer une vie difficile jusque-là. Tout cela pour pouvoir subvenir aux besoins de Zola et de sa progéniture.

Pourquoi nous accusent-ils de tous les maux alors que c’est eux qui sont en cause ? C’est nous qui avons un os à ronger, c’est nous qui méritons d’être rancuniers.

La haine qu’elle leur vouait était de plus en plus profonde et puissante.

Soudain, la porte de la cachette s’ouvrit avec fracas. La voix tonitruante d’un garçon retentit.

« Miss Finleeeeey ! »

C’était Oscar, et il n’était pas seul. La voix plus familière de son frère se joignit bientôt à la sienne.

« Tu n’es pas censé crier comme ça pendant une attaque furtive ! » grogna Léon en arrivant à la charge. Lorsqu’il aperçut l’arme de Rutart, il tourna le canon de son fusil vers lui. Paniqué, Rutart tenta de viser Léon avec son arme de poing, mais ce dernier le devança.

Une balle transperça le bras droit de Rutart. Par réflexe, il lâcha son arme tandis que le sang jaillissait de la plaie. Il la regarda un moment, abasourdi, avant de se mettre à gémir à pleins poumons. « Gaaaaah ! M-mon braaaaaas ! Il y a du sang ! »

Zola et Merce restèrent figés sur place, incapables de faire autre chose que de regarder. Aucune d’entre elles n’avait encore compris ce qui se passait.

Léon ne les considérait manifestement pas comme une menace. Il se précipita sur Rutart et lui asséna un coup de crosse qui le fit tomber à terre. Léon jeta un coup d’œil à Jenna et Finley, fronça les sourcils et envoya son pied dans l’estomac de Rutart de toutes ses forces. Comme s’il n’était pas satisfait, il se mit à cheval sur l’homme tombé à terre et se mit à le frapper sans relâche avec la crosse de son fusil. Il n’y avait aucune pitié dans les coups de Léon, c’était une rafale de folie pure et simple. Jenna ne le reconnut pas.

« Que quelqu’un… sauvez-moi… »

« Arrête de pleurnicher comme un imbécile ! Tu t’es creusé un trou profond et je vais m’assurer que tu y suffoques. Tu souffriras dix fois plus que ce que tu leur as fait. »

Finley regardait Léon continuer à s’acharner sur Rutart, mais elle fut interrompue par Oscar qui se précipitait à ses côtés. « Miss Finley, allez-vous bien ? »

« Monsieur Oscar… » C’était une bonne surprise qu’il soit venu ici pour aider à la sauver.

Luxon apparut bientôt pour émettre un laser à partir de sa lentille qui transperça les menottes liant Finley. « Il semble que cette affaire soit enfin conclue », déclara-t-il.

Finley tourna son regard vers Jenna. « Hé, la chose ronde, s’il vous plaît… aidez ma sœur ! »

« Je l’avais déjà prévu, je vous assure. Sinon, le maître ne m’aurait jamais laissé entendre la fin de l’histoire. » Luxon tourna son regard vers Léon qui se levait enfin. Il haletait.

Le visage de Rutart était tellement abîmé et ensanglanté qu’il était à peine reconnaissable. Il était vivant, mais il avait perdu connaissance.

Léon tourna son fusil vers Zola et Merce. « C’est fini. Abandonnez et venez de votre plein gré pour que les autorités vous accueillent. »

Merce trembla et s’esclaffa : « T-Tu dois être un vrai imbécile. Tu arrives bien trop tard. Notre révolution aurait déjà dû réussir à l’heure qu’il est. Ce n’est pas nous qui serons arrêtés, c’est toi ! » Il ne faisait aucun doute pour elle que le plan de Gabino portera ses fruits.

Zola s’empressa d’acquiescer. « Elle a raison ! Tu ne pensais pas pouvoir t’en sortir indéfiniment avec ton ego, n’est-ce pas, sale morveux ? Un homme comme toi n’est bon qu’à une chose : obéir et travailler au service de ses supérieurs — nous ! »

Léon ricana.

Son attitude fit craquer Zola. Elle se mit à lui hurler dessus. « Tu n’es qu’un miséreux sans aucune qualité rédemptrice ! Tu aurais dû être notre esclave, mais tu t’es mis dans la tête que tu méritais mieux. À cause de toi, tout le royaume a été bouleversé ! Tout ce qui a mal tourné est de ta faute ! Croyais-tu vraiment que tu t’en sortirais indemne après avoir conduit cette nation dans la boue ? »

Elle avait continué à divaguer sans fin jusqu’à ce que Léon vise une boîte en bois dans la pièce et tire. Zola se tut.

Léon se moqua d’elle. « Je commençais à en avoir assez de toutes ces lamentations. Voyons si je comprends bien l’essentiel… Vous pensez que vous et les vôtres êtes totalement irréprochables, hein ? Vous pensez que ce que vous avez fait était juste. Traiter notre famille comme des ordures et mépriser les hommes — tout ça. Bon sang… Vous êtes vraiment stupides. »

Zola serra les poings. Le tissu de ses gants noirs se déforma sous la pression. « Comment un homme ose-t-il adopter une telle attitude avec moi ! »

« Un homme, hein ? Oui, je suppose qu’à l’heure actuelle, les hommes ont le meilleur sort dans la société. Ça craint peut-être pour vous, mais pour moi ? Je dois dire que c’est plutôt sympa ! »

« Tu es une racaille à tête de cochon ! »

Léon se montrait arrogant dans le but de l’énerver. Une fois qu’il l’eut fait, le sourire disparut de son visage, remplacé par une sombre détermination. « Je suis sérieux. Vous êtes trop stupide pour les mots. Vous n’avez atterri là où vous êtes qu’à cause de vos actions, tout le monde peut le voir. Croyez-vous que c’est vous la victime ? Ne me faites pas rire. » Sa voix avait changé pour souligner chaque mot de ce qu’il avait ensuite dit. « Voyez-vous, être un connard n’a rien à voir avec le sexe. Tout le monde peut l’être. »

De profonds froncements de sourcils se formèrent chez Zola et Merce. Elles lancèrent un regard à Léon, mais leur haine venimeuse le frôla sans impact.

« Qui est-ce que tu traites de connard ? Tu es le roi des connards ! » hurla Merce.

« La différence, c’est que je sais que je suis un connard. Vous ne semblez pas avoir le même niveau de conscience de soi, ce qui vous rend bien pire que moi. » Léon les regarda d’un air narquois.

« Hohlfahrt était autrefois un royaume juste qui respectait les femmes à juste titre ! » dit Zola. « Si seulement vous n’aviez pas —. »

« Ne pensez pas que vous obtiendrez le respect si vous ne l’offrez pas aux autres. Et de toute façon, réveillez-vous et sentez les rôles de genre. Nous vous détestons. Avez-vous la moindre idée de la façon dont vous nous avez traités au fil des ans ? Vous voulez vraiment rester ici et agir comme si vous n’aviez aucune culpabilité ? »

Les joues de Zola rougirent de colère. « Qu’est-ce que vous insinuez ? »

« Vous vous fichez de savoir si ce que vous avez fait est considéré comme légal, n’est-ce pas ? Prenez une minute et réfléchissez à ce que vous avez fait. Vos actes sont cruels et malveillants selon les critères de n’importe qui, homme ou femme. Et pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas m’écouter maintenant… ? Vous savez, cette petite “révolution” dont vous avez parlé ? Eh bien, nous avons déjà étouffé cette triste histoire que vous appelez un soulèvement. »

Jusqu’à présent, les deux femmes avaient refusé d’écouter ce que Léon avait à dire. Mais dès qu’elles apprirent que la révolution avait échoué, elles perdirent toute ferveur.

Zola pointa un doigt tremblant vers Léon. « Tu mens. »

« Le fait que je sois ici en ce moment devrait être une preuve suffisante que ce n’est pas le cas. Nous avons déjà arrêté vos supérieurs. D’ailleurs, si vous étiez assez doués pour faire une révolution, vous n’auriez jamais été dans cette situation. Ces instigateurs du Saint Empire vous ont joué un air, et vous n’avez que trop voulu danser dessus. »

Merce s’effondra à genoux. « Alors, à quoi a servi tout ce dur labeur ? »

Tous leurs efforts et leurs souffrances n’avaient servi à rien. Zola et Merce se consumaient dans le désespoir. Léon les regardait froidement, après les tourments que les deux femmes lui avaient causés, il avait lui aussi un compte à régler avec elles.

« Vous auriez dû essayer plus tôt. De toute façon, vous avez fait souffrir ma famille, alors maintenant vous devez payer », déclara Léon à voix basse. Le ton menaçant mis à part, il semblait vouloir arrêter les deux femmes, sans avoir l’intention de les réduire en bouillie comme il l’avait fait avec Rutart.

« Quoi ? » s’exclama Finley. « Tu ne vas rien leur faire ? » Sa soif de vengeance ne serait pas étanchée par ce seul fait.

Léon jeta un coup d’œil à Finley. « Euh, eh bien, je ne peux pas vraiment mettre la main sur une femme comme ça. »

« On ne peut pas les laisser partir menottées comme ça, pas après ce qu’elles ont fait à Jen ! Pas question ! Œil pour œil, sang pour sang versé ! Le sexe n’a rien à voir là-dedans ! »

« F-Finley… ? Calme-toi, d’accord ? »

Elle était enragée. Elle respirait par à-coups, de façon agressive.

« Miss Finley, vous ne devriez plus vous pousser », dit Oscar.

Lorsque Finley tourna son visage vers lui, elle ressemblait au diable incarné. « Je ne peux pas rester les bras croisés après ce qui est arrivé à Jen ! Tu te prétends un homme !? »

« Je suis désolé. »

Finley détourna son regard et se dirigea vers Merce qui était toujours affalée sur le sol. Elle saisit une poignée de cheveux de la jeune fille et lui plaqua le visage contre le sol. « Alors, je vais le faire ! Je vais venger Jen ! »

 

 

« St-stop… ! Pas mon visage ! » s’écria Merce, s’agitant désespérément pour se défendre.

Finley lui enfonça le visage dans le sol, encore et encore. Le sang jaillissait du nez de Merce, mais Finley continua sans prononcer un seul mot. Elle ne faisait preuve d’aucune pitié et se vengeait pour sa sœur.

« Je vais t’abîmer ce joli petit visage pour de bon ! »

Même Léon ne pouvait pas rester sans rien faire. « Finley, calme-toi ! Je t’en prie, je t’en supplie ! »

Finley relâcha Merce lorsqu’elle cessa de bouger. Ignorant les tentatives de son frère pour la faire taire, elle s’attaqua à Zola. Les vêtements et le visage de Finley étaient couverts du sang de Merce. Terrifiée, Zola s’éloigna d’elle.

« Eek ! »

« Ton visage aura l’air d’une pomme de terre matraquée quand j’en aurai fini avec lui ! »

 

☆☆☆

 

Finley fonça sur Zola avec une passion démoniaque. Un coup de pied volant se transforma en une technique de blocage des articulations destinée à tourmenter la femme plus âgée. Lorsque Finley vit l’écume suinter de la bouche de Zola, elle se mit à glousser.

Luxon pensait secrètement qu’elle était exactement comme Léon.

De son côté, Léon avait essayé de convaincre sa sœur d’arrêter, mais il n’avait pas levé le petit doigt pour l’y obliger. « Finley, ça suffit ! »

« Va te faire voir ! Tu ne les ménageras que parce que ce sont des femmes ! » lui répondit-elle. « L’ennemi d’une femme, ce sont les autres femmes ! Et ces femmes sont mes ennemies ! » Finley était tellement énervée qu’elle ne prenait pas la peine d’être polie avec son frère aîné. Elle était trop occupée à marteler sans pitié le visage de Zola. Tout comme Léon l’avait fait avec Rutart, elle s’était mise à cheval sur Zola et la frappait, son visage restant étrangement inexpressif pendant tout ce temps.

Léon et Oscar étaient tous deux troublés par son comportement.

« Vous êtes vraiment liés par le sang. Je ne devrais pas être surpris », dit Luxon. Il se concentra sur autre chose.

Oscar avait pris Jenna dans ses bras. Lorsqu’elle revint enfin à elle et le vit, elle n’avait aucune idée de qui il était. Ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Néanmoins, elle était heureuse d’être dans les bras d’un homme magnifique. « Wow, quel beau gosse ! Est-ce que je rêve ou quoi ? » Avec ses blessures, il était incroyable qu’elle ait la force de dire de telles choses.

Oscar avait été décontenancé. « En fait, je m’appelle Oscar Fia Hogan. »

Sa réponse sincère laissa Jenna sous le charme. Malheureusement, l’effet fut quelque peu atténué lorsqu’elle se rappela à quel point elle était blessée. « Oh, comme c’est embarrassant de me voir dans un tel état, Seigneur Oscar ! »

Luxon avait été impressionné par sa résistance, déplorant ses blessures pour leur apparence et non pour leur douleur.

« J’ai entendu dire que vous aviez subi ces blessures en protégeant Miss Finley, » dit Oscar. « Il n’y a pas lieu d’être gêné. Ce que vous avez fait est louable. »

« Oh, Seigneur Oscar ! Hum, je sais que c’est peut-être inconsidéré de ma part de demander ça… mais est-ce que vous sortez avec quelqu’un ? Ou bien êtes-vous fiancé ? »

« Hein ? Euh, eh bien, je… » Il s’arrêta pour jeter un coup d’œil à Finley, qui était toujours en train de frapper Zola sans raison. « Non, je ne le suis pas. »

« Une fille vous a-t-elle tapé dans l’œil ? »

« N-Non, pas spécialement. »

L’intérêt qu’il portait à Finley s’était apparemment évanoui après l’avoir vue devenir folle.

Une lueur apparut dans les yeux de Jenna. Elle ressemblait à un prédateur affamé qui aurait verrouillé sa proie après une longue famine. La lueur dans ses yeux s’estompa presque immédiatement alors qu’elle préparait son personnage. « Oh, Seigneur Oscar, je… Je crains de me sentir soudain très étourdie. » Elle l’entoura de ses bras.

Oscar, troublé, la prit doucement dans ses bras. « Allez-vous bien ? »

Luxon les observait. Il s’était dit que ce que Finley avait dit tout à l’heure semblait assez juste. « Ah. Une femme n’a vraiment pas de plus grand ennemi que les autres femmes. »

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Claramiel

Bonjour, Alors que dire sur moi, Je suis Clarisse.

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