Le Monde dans un Jeu Vidéo Otome est difficile pour la Populace – Tome 8 – Chapitre bonus

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Chapitre bonus

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Chapitre bonus

Partie 1

À peu près au même moment où Léon et les autres étaient retournés à l’académie, une flotte de dirigeables des Roseblades avait atterri dans le port des Bartforts. Le comte avait envoyé un certain nombre de navires de guerre ainsi que des navires de transport pour démontrer sa puissance militaire et financière. Le port était bientôt bondé de monde.

Deux hommes — l’un d’âge moyen, l’autre beaucoup plus jeune — étaient assis sur des caisses en bois pour prendre leur pause, regardant les gens s’affairer sur les quais exigus. Ces deux hommes travaillaient quotidiennement au port, et c’était donc avec une grande contrariété qu’ils regardèrent la flotte des Roseblades. Les énormes navires avaient attiré des vagues de curieux qui étaient constamment dans leurs jambes. Ils n’avaient pas apprécié ce brouhaha supplémentaire, mais la curiosité avait tout de même pris le dessus.

« J’ai l’impression d’avoir déjà vu cet écusson sur ces navires quelque part. Y a-t-il un problème ? Je pense qu’il doit y en avoir un avec tous ces vaisseaux qui arrivent, » dit le jeune homme. Voir les vaisseaux de guerre des Roseblades l’avait troublé. Indiquaient-ils que la guerre était sur le point d’éclater entre les nobles ? Son esprit sauta sur ce scénario avant tous les autres.

L’homme plus âgé, le vétéran des deux, en savait un peu plus sur les circonstances. « Je doute qu’un combat éclate. Lord Nicks est venu il y a quelque temps et nous a dit de nous préparer à accueillir des invités. »

« L’a-t-il vraiment fait ? J’étais certain que tu-sais-qui était parti et avait encore causé des problèmes. »

Tu-sais-qui était leur façon de désigner Léon. Le garçon s’était suffisamment distingué pour que les rumeurs à son sujet se répandent comme une traînée de poudre dans la région des Bartforts. Le port, avec sa forte rotation de voyageurs venus de loin, était un foyer de ragots. Léon était un sujet fréquent.

Le vétéran poussa un soupir. « Le Jeune Maître Léon, hein ? J’ai entendu dire qu’il avait, comment déjà, “gravi les échelons par ses actions nobles et honorables, acquérant pour lui-même le titre le plus prestigieux de marquis” ». En plaisantant, le vieil homme avait essayé de reproduire au mieux le ton rigide et formel des aristocrates. Le jeune homme avait ri en voyant à quel point cela semblait déplacé.

« De toute façon, est-ce vraiment si facile de devenir un marquis ? »

« Le jeune Maître Léon a travaillé dur. Mais je n’aurais jamais pu prédire qu’il évoluerait comme il l’a fait. »

« Ouais ? Je ne suis pas très doué pour ce genre de choses, mais c’est un héros national, non ? » Le jeune homme n’avait commencé à travailler ici au port que récemment. Il avait aperçu Léon quelques fois de loin, mais rien de plus. Il était devenu vert de jalousie en repensant à ces brèves rencontres. « Il avait deux bombes avec lui, je me souviens. Si seulement j’étais né dans l’aristocratie ! »

Les yeux du vétéran montrèrent son choc. « Tu ne sais rien, n’est-ce pas ? Les choses sont différentes dans la haute société. Les femmes dirigent les affaires. Tout le monde sait que c’est dur d’être un noble. »

« Quoi ? Tu es sérieux ? Hm… Je paris que je pourrais supporter ça si je devais me mêler à des femmes aussi éblouissantes. »

Le vétéran secoua la tête. « Ça doit être bien d’être jeune, d’avoir la tête si haute dans les nuages. La réalité viendra te mordre les fesses avant que tu ne le saches. »

Les habitants de la région ne connaissaient pas les tenants et aboutissants de la vie de Léon et de sa famille. La plupart des informations qu’ils entendaient provenaient du bouche-à-oreille. Malgré cela, ils avaient vu assez de Balcus et du terrible tempérament de Zola pour en déduire que les mariages aristocratiques n’étaient pas une promenade de santé.

Puis un jour, sans crier gare, Zola cessa de visiter la région. Des rumeurs couraient qu’elle et Balcus avaient divorcé. On murmurait que Hohlfahrt était en pleine réforme, mais l’impression des gens du peuple ne changeait pas.

Nicks était arrivé sur les quais pour accueillir les Roseblades pendant la conversation des dockers.

« Un peu simple, n’est-ce pas ? » demanda le plus jeune homme quand il aperçut leur jeune seigneur.

Le vétéran ricana. « Tu n’as aucun respect pour ta propre vie, hein, mon garçon ? Tu ferais mieux de ne jamais lui dire ça en face. »

Les Bartfort et leur chef n’étaient pas du genre à opprimer les gens qu’ils gouvernaient, mais ils n’étaient pas non plus indulgents au point de pardonner un tel manque de respect. Le jeune ouvrier ne pensait pas que c’était une bonne chose que Nicks soit leur prochain seigneur.

« J’aimerais qu’ils fassent de Lord Léon le prochain chef de famille. Avec lui à notre tête, je pourrais partir en guerre, montrer mon courage et faire quelque chose de ma vie. Devenir baron n’est peut-être pas dans mes cordes, mais je pourrais au moins devenir baronnet ou chevalier ! Tu ne crois pas ? »

Le vétéran haussa les épaules. « Le jeune Maître Nicks est le meilleur choix à mes yeux. Il a une bonne tête sur ses épaules. Le jeune maître Léon est le plus tape-à-l’oeil, mais le jeune maître Nicks est plus sûr et plus stable. »

« Cependant, je veux un seigneur qui nous mènera à la guerre. Ensuite, j’obtiendrai quelques promotions et une belle épouse — les possibilités sont infinies. »

Le vétéran comprenait pourquoi son jeune homologue était si désireux de connaître le même succès que celui qui avait permis à Léon de trouver de belles partenaires dans sa vie, mais il ne pouvait pas être d’accord.

« Peut-être que c’est bon pour toi de rêver un peu comme ça », avait-il reconnu, « mais ne compte pas sur moi. Travailler une journée normale et aller au pub pour quelques verres le soir me suffit amplement. Je ne suis pas assez fou pour vouloir aller sur un champ de bataille, où l’on ne sait jamais si l’on va vivre ou mourir. »

Convaincu que l’homme plus âgé se moquait de ses rêves, le jeune homme se renfrogna. « Ah oui ? Eh bien, je ne veux pas vivre une vie ennuyeuse et monotone. Je te le dis, Lord Nicks est trop simple ! Il n’a aucun espoir dans l’avenir avec lui. »

« La vie est plus facile en temps de paix. C’est ainsi que je la préfère. »

« Je ne veux pas trimer à ce travail pour toujours. Je veux être comme Lord Léon, gagner la reconnaissance de la couronne et me faire un nom dans le monde entier. Avec ça, je pourrai dire adieu à la campagne pour toujours. »

« Au moins, tu sais ce que tu veux. » Le vétéran s’arrêta en apercevant une fille qui descendait la passerelle. « Regarde-moi ça. » Il la désigna du doigt, attirant l’attention du jeune homme.

La femme débarquant d’un des navires semblait être de noble naissance. Elle était aussi belle qu’une peinture : Sa peau était blanche comme de la porcelaine, et ses magnifiques cheveux dorés semblaient scintiller sous la lumière du soleil. Ses boucles de soie se balançaient sous la légère pression du vent, encadrant un visage attirant, mais d’un froid polaire, son expression ne trahissant pas le moindre soupçon d’émotion. Le jeune homme rougit. Cette femme était exactement le type de fille qu’il rêvait d’épouser.

« Elle est magnifique », avait-il dit.

« Je l’ai déjà vue. »

« Quoi ? Quand ? »

« C’était un jour où tu étais en congé. »

Le jeune homme serra les dents, vexé d’avoir manqué l’occasion. Puis, alors qu’il observait la femme, celle-ci sembla apercevoir quelqu’un qu’elle cherchait, et l’expression impassible de son visage disparut. Ses lèvres s’étaient ouvertes sur un large sourire radieux. Elle accéléra le pas et se précipita à la rencontre de Nicks, puis se jeta dans ses bras.

La mâchoire du jeune homme s’était décrochée, incrédule. Le vétéran regarda son collègue avec amusement.

« C’est une jeune femme de la maison Roseblade, et elle sera la femme du jeune maître Nicks dans le futur. D’après ce que j’ai entendu, c’est elle qui est tombée amoureuse de lui en premier. »

C’était une révélation choquante pour le jeune homme, étant donné qu’il avait insisté avec véhémence sur le fait que Nicks était trop ennuyeux et ordinaire. En voyant la femme de ses rêves s’accrocher à Nicks, il baissa les épaules et abaissa la tête. Un nuage sombre se profilait au-dessus de lui.

« Ma romance s’est terminée de façon si tragique », avait-il déploré.

« Il faudrait que ça commence avant de pouvoir finir », lui rappella le vétéran. Mais hélas, peu importe ce que le plus âgé essayait de dire, le plus jeune ne répondait pas. Il était trop abattu pour s’en soucier.

 

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Alors que Nicks était descendu accueillir Dorothéa au port, Jenna était de retour au domaine en tenue de femme de chambre. Son air renfrogné ne s’était jamais démenti tandis qu’elle s’acquittait de ses tâches avec ressentiment, tout en grommelant et en se plaignant.

« Comment se fait-il que je doive souffrir comme ça ? J’étais censée aller avec Finley à la capitale. »

Jenna avait essayé d’utiliser sa jeune sœur comme excuse pour s’éclipser dans la capitale, proposant à Finley de la guider dans la ville, mais sa mère n’avait rien voulu entendre.

En parlant de Luce, elle se tenait juste à côté de Jenna pendant qu’elle travaillait. Les mains sur les hanches, elle lui déclara : « Combien de temps vas-tu jouer à l’académicienne ? Tu dois rester ici et travailler dur dans la maison. Tu es une adulte maintenant, alors ne crois pas que tu vas t’en sortir en jouant tout le temps. Si tu n’aimes pas ça, alors trouve quelqu’un à épouser ! »

« Je ne vais pas trouver quelqu’un ici dans ce bled ! »

« Nous avons beaucoup de jeunes hommes par ici ! »

« Ce sont tous de pauvres gars de la campagne. Je préférerais mourir plutôt que d’épouser l’un d’entre eux ! »

Jenna n’avait pas prévu ce qu’elle ferait après son diplôme. Au début, ce n’était pas si mal, elle n’avait pas trouvé de partenaire à épouser avant de partir, elle avait un foyer où retourner. Les problèmes n’avaient surgi que lorsqu’elle avait refusé tous les hommes avec lesquels Balcus et Luce avaient essayé de la caser. La raison de son obstination était simple — elle était devenue plus perspicace pendant son séjour à l’académie, avec le plus grand nombre de rencontres qu’elle offrait. Elle ne pensait pas qu’un homme de la campagne pouvait lui convenir.

Luce soupira. « Il est grand temps que tu arrêtes de rêver et que tu commences à regarder la réalité. Tu as entendu ce que Lady Anjelica et Liv ont dit avant, n’est-ce pas ? Il y a très peu de célibataires éligibles parmi l’aristocratie en ce moment, donc il sera difficile pour toute fille de trouver un partenaire. »

« Ouais, j’ai entendu ça, mais quand même. »

La population masculine du Royaume de Hohlfahrt était sévèrement diminuée à cause des batailles avec les monstres et des escarmouches entre autres humains. Cela était particulièrement vrai au sein de l’aristocratie, car une fois qu’un homme devenait chevalier, il ne pouvait échapper au champ de bataille. La plupart des hommes nés dans la rue avaient une vie bien remplie devant eux, à condition qu’ils ne deviennent pas soldats ou qu’ils ne soient pas mêlés à des conflits. La majorité d’entre eux échappaient à ce sort parce que les batailles reposaient principalement sur des dirigeables et que peu de soldats savaient les piloter. Le gouvernement pouvait recruter des civils, mais ils étaient inutiles sans un entraînement quotidien.

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Partie 2

Ces facteurs combinés avaient entraîné un taux de pertes élevé pour les chevaliers et les aristocrates masculins de Hohlfahrt et un déséquilibre entre les sexes, les femmes survivant beaucoup plus que les hommes. Les hommes étaient donc autorisés à être plus sélectifs quant à leurs partenaires. C’était l’inverse de ce qui se passait auparavant, selon la politique du gouvernement. Jenna savait que le changement avait déjà eu lieu, mais connaître et apprécier pleinement les implications de ce changement étaient des choses différentes.

« Les deux garçons ont trouvé de l’or ! Nicks s’est offert la fille d’un comte tout récemment. Ne penses-tu pas que je pourrais être aussi chanceuse qu’eux ? » demanda Jenna. Elle commençait à avoir de l’espoir pour elle après que ses deux frères aient trouvé des femmes qui étaient bien au-dessus de leur niveau.

« Si tu avais autant de chance, tu te serais mariée pendant que tu étais encore à l’école », dit froidement sa mère.

« Comment peux-tu me dire ça ? » s’écria Jenna, consternée. C’était la dernière chose qu’elle voulait entendre. Elle fit un grand geste, laissant éclater toute son indignation refoulée. « Je suis une victime, tu sais ! J’étais dans une position très difficile à l’académie à cause du comportement de Léon. C’est pourquoi je n’ai pas eu la chance de me marier pendant que j’étais là-bas ! »

Léon avait ouvertement commencé à se battre avec Julian, le prince héritier de l’époque. Puis il était tombé dans un piège concocté par une faction rivale et avait été jeté dans les cachots à cause de cela… et bien d’autres incidents encore. Jenna pourrait les énumérer tous, ainsi que la façon dont ils l’avaient affectée négativement.

Malheureusement, Luce n’avait pas montré une once de sympathie après les excuses de Jenna. « Léon t’a fourni ton serviteur personnel, n’est-ce pas ? Bien que ce serviteur ait ensuite trahi ton frère. »

« Ne mêle pas Miaule à ça ! C’était entièrement la faute de Léon pour… » Sa voix s’était arrêtée. Miaule était un serviteur personnel qu’elle avait engagé. C’était un beau demi-humain, exactement son type, mais Balcus lui avait coupé la tête pour avoir trahi Léon. Luce le détestait tout autant pour ses coups de poignard dans le dos. Voir sa fille exprimer des remords pour sa perte la rendait furieuse.

« Couvre ce renégat et je te chasserai moi-même de cette maison. »

« Je ne le fais pas. Ne sois pas en colère ! » Les épaules de Jenna s’étaient affaissées en signe de défaite.

« Écoute-moi bien, Jenna. Depuis que Léon a réussi en tant qu’aventurier, il a investi de l’argent dans notre maison. Tu te rends compte que si ton argent de poche a augmenté, c’est uniquement grâce à lui, n’est-ce pas ? »

« O-Oui, je suppose que c’est bien le cas… »

Luce parlait d’une époque antérieure à l’entrée de Léon à l’académie. Après que Léon ait obtenu Luxon, il commença à verser de l’argent dans leur maison et leur région. S’il leur avait offert des fonds directement, Zola — l’épouse légale de Balcus à l’époque — aurait volé l’argent et l’aurait gardé pour elle, d’où son choix d’investir ses finances à la place. Ses contributions avaient financé l’entretien des routes et du port, permettant à la région de prospérer. Les Bartfort devaient à Léon tous les aspects de leur stabilité financière actuelle.

Luce n’avait pas fini de sermonner sa fille. « Ce garçon est devenu complètement indépendant et a fait quelque chose de lui-même. En tant que grande sœur, es-tu vraiment satisfaite de rester comme tu es maintenant ? Ton père et moi n’attendons pas de toi que tu accomplisses tout ce qu’il a fait, mais tu devrais au moins respecter notre souhait en tant que parent : nous voulons que tu te débrouilles seule et que tu mènes une vie respectable. »

Jenna avait détourné son regard. Personne n’aurait jamais imaginé que ce petit crétin deviendrait aussi célèbre et respecté. Je pensais qu’il n’avait qu’un seul succès, qu’il avait eu la chance de faire une chose incroyable et que ça s’arrêterait là.

Pour Jenna, trouver un artefact perdu était un pur coup de chance, le genre qui ne se reproduira jamais. À l’époque, elle pensait que Léon n’était capable que de cela, mais avant qu’elle ne s’en rende compte, sa série d’exploits incroyables l’avait conduit à devenir un héros du royaume. C’était difficile à comprendre pour quelqu’un qui savait comment il était à la maison.

Je n’arriverai à rien si on continue à parler de Léon, réalisa-t-elle. Luce idolâtrait déjà son fils cadet, qui avait réussi à se débrouiller seul tout en contribuant à la vie de la famille. Jenna, quant à elle, vivait à la maison et ne montrait aucun signe de capacité à partir de sitôt. Consciente de sa position défavorable par rapport à Léon, elle décida de parler de Nicks à la place.

« Ok, alors qu’en est-il de l’autre imbécile, Nicks ? Il a été diplômé sans se marier ! »

« Ne parle pas de ton frère comme d’un “imbécile”, jeune fille ! De plus, Nicks a déjà une partenaire. »

« Oui, mais il n’avait personne juste après son diplôme. Pas même de correspondance potentielle. Ne penses-tu pas que c’est injuste de me mettre la pression alors que tu ne l’as pas fait pour lui ? »

« Eh bien, je pense que tu as raison. »

C’est le moment, pensa Jenna. Je peux gagner du temps en utilisant Nicks comme excuse. Tout ce dont j’ai besoin ensuite, c’est d’une chance. Si je pouvais vivre un an dans la capitale, je sais que je trouverais quelqu’un.

Au moment où Jenna tentait de cajoler sa mère, Yumeria s’était approchée sans réfléchir pour l’interrompre. « Hum, excusez-moi. »

Jenna jeta un regard noir. « Nous sommes occupés pour le moment. Va-t’en. Laisse faire les autres domestiques si tu ne peux pas faire ton propre travail. »

Bon sang, lis un peu l’ambiance, veux-tu bien ? C’est une chance précieuse pour moi de persuader maman !

Elle était sur le point de reprendre son plaidoyer auprès de sa mère lorsque Yumeria s’était obstinée à intervenir : « Mais, hum… »

« C’est quoi ton problème ? Je te l’ai dit, nous sommes occupés en ce moment, alors… hein ? » Jenna s’était retournée vers leur servante elfe pour remarquer les autres personnes qui se tenaient derrière elle. Elle s’était figée.

Luce avait réagi de la même manière, sa voix se bloquant dans sa gorge.

Parmi le nombre de personnes présentes dans la salle, il y avait Balcus.

« Que faites-vous, mesdames ? » avait-il demandé. « J’étais sûr de vous avoir dit qu’aujourd’hui était un jour important. » Il n’était pas en colère, plutôt exaspéré et embarrassé.

Nicks était également présent. Il jeta un coup d’oeil à Jenna. « Nous pouvions entendre vos voix depuis l’entrée principale. »

Jenna, elle aussi, était gênée que tout le monde ait entendu sa conversation. Ce qu’elle avait dit n’était pas tant le problème que de savoir qui l’avait entendu.

« Oh mon dieu, oh mon dieu », murmure Dorothea derrière Balcus et Nicks.

Paniquée de ne pas avoir réussi à atteindre l’entrée et à accueillir correctement leur invité, Luce s’était écriée : « M-Mes humbles excuses pour tout ça ! »

« Vous n’avez pas à vous inquiéter. Nous sommes simplement arrivés plus tôt que prévu, » répondit gentiment Dorothea.

Bien que Dorothea sera la belle-fille de Luce après son mariage avec Nicks, son statut de fille de comte la plaçait bien au-dessus de l’actuelle matriarche des Bartfort. Luce était issue d’une famille de chevaliers ruraux, pour elle, quelqu’un comme Dorothea était aussi inaccessible que la lune. Il en était de même pour Anjie. Pour Luce et Jenna, les deux filles auraient aussi bien pu être des membres de la famille royale.

« Moi aussi, je m’excuse », bégaya Jenna en faisant une révérence.

Dorothea s’approcha d’elle et se pencha pour que ses lèvres soient à quelques centimètres de l’oreille de Jenna. Sa voix était presque suggestive et invitante, mais ses tons soyeux étaient froids et impitoyables. « Un comportement aussi inconvenant, traiter votre grand frère avec un tel manque de respect. Je ne peux pas rester sans rien faire en tant que sa femme, alors permettez-moi de vous donner un avertissement : Je me moque que nous soyons une famille dans le futur. Insultez encore mon mari, et je m’assurerai que vous le regrettiez. »

« Eep ! » Jenna avait reculé d’un pas.

Dorothea lui avait souri.

Personne d’autre n’avait entendu l’avertissement chuchoté de Dorothea, mais ils regardaient Jenna avec curiosité en raison du changement soudain de son attitude.

Continuant à regarder tout le monde, Dorothea déclara : « J’espère que nous pourrons devenir plus proches toutes les deux. Ce n’est peut-être que par la loi, mais nous serons toujours des sœurs. »

Jenna s’était forcée à lui rendre la pareille, son sourire n’étant pas naturel. « D-D’accord, bien sûr. » Elle avait déjà commencé à transpirer derrière sa façade polie.

Cette fille est folle ! Elle ne pouvait pas s’opposer à Dorothea en raison de la différence de leur statut, mais cela ne la rendait pas moins livide d’être défiée par elle. Hmph ! Les filles de la ville comme toi ne peuvent pas s’en sortir ici à la campagne. Ce n’est qu’une question de temps avant que tu n’essaies de t’enfuir d’ici.

 

☆☆☆

 

Le jour s’était ensuite écoulé sans incident, laissant place à la nuit jusqu’à ce que le soleil se lève à nouveau.

Dorothea était venue rendre visite aux Bartfort de cette manière pour passer un peu de temps avec sa future famille avant son mariage. Cela s’expliquait en partie par son propre désir d’être avec son fiancé, mais cela facilitait également les rumeurs selon lesquelles les deux familles étaient désormais inextricablement liées. Jenna n’était pas sûre de l’objectif de cette démarche, mais elle avait remarqué que l’attention des gens s’était tournée vers leur foyer.

Est-ce parce que Léon s’est fait une telle réputation que les gens ont commencé à s’intéresser à nous aussi ? Les gens se font une fausse idée. Nous sommes des gens normaux de la campagne.

Léon s’était révélé être une force avec laquelle il fallait compter, mais on ne pouvait pas en dire autant du reste des Bartfort. S’ils étaient plus riches qu’ils ne l’avaient été par le passé, ils n’en restaient pas moins de la noblesse rurale.

Vêtue une fois de plus de sa tenue de bonne, Jenna décida d’espionner un peu Dorothea pendant qu’elle travaillait dans la maison. Elle se doutait que sa future belle-sœur commencerait à se plaindre une fois qu’elle aurait goûté à la vie ici, au milieu de nulle part.

Voyons voir. Est-ce qu’une noble dame choyée fera long feu ici, je me le demande ? Ce n’est pas comme si c’était une question. Elle ne le fera pas, j’en suis sûre.

Anjie s’était comportée avec aplomb ici, mais Luxon avait répondu à ses besoins pour qu’elle n’ait pas à se priver. Mais pour l’instant, ni Luxon ni son maître, Léon, n’étaient présents au domaine. Jenna était convaincue que Dorothea trouverait sa vie ici insupportable et ferait connaître son mécontentement.

Est-ce qu’elle va sortir, je me le demande ? Les terrains d’entraînement sont par là, j’en suis sûre…

Dorothea s’était changée pour mettre des vêtements plus confortables et faciles à porter avant de quitter la maison. Jenna suivait furtivement, se cachant derrière ce qu’elle pouvait trouver en chemin.

Yumeria, qui était la superviseuse officielle de Jenna, avait essayé de l’arrêter. « Hum, il y a encore du travail à faire… »

« Silence ! Toi, viens avec moi. »

« Hein !? »

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Partie 3

Avec l’autre femme de chambre qui la suivait, Jenna était sortie. Toutes deux avaient repéré les hommes qui se rassemblaient. Elle avait reconnu Balcus, Nicks et Colin, bien sûr, mais ils n’étaient pas les seuls hommes présents.

« Qu’est-ce qu’ils font si tôt le matin ? » Jenna se le demandait à voix haute.

« Quoi ? Ne le savez-vous pas ? » Yumeria n’avait pas mis longtemps à s’expliquer. « De temps en temps, ils se retrouvent comme ça pour faire des exercices. C’est une journée d’entraînement. Les chevaliers viennent aussi pour participer. »

« Des chevaliers ? Ohh, c’est vrai. Nous sommes une famille de chevaliers… Bien que cette bande n’ait pas du tout l’air chevaleresque. » Elle avait regardé les hommes. Chacun avait l’air peu raffiné et peu attrayant, une masse de jeunes garçons de la campagne. Ils ne correspondaient pas à l’image galante d’un chevalier dans l’esprit de Jenna.

Curieusement, Dorothea était aussi avec les hommes.

« Cette fille ! Est-ce qu’elle espère marquer des points en venant ici ? Elle est tellement désespérée. Tout ce qu’une fille doit faire, c’est s’occuper des choses de la maison, pas apprendre des techniques de combat ! Tu parles de fourrer ton nez là où il ne faut pas. »

Yumeria, inconsciente comme toujours, fit remarquer : « Mais Lady Jenna, vous ne faites même pas le ménage vous-même. »

« Je le ferais si je me mariais ! »

« Vous ne serez pas en mesure de le faire alors si vous l’évitez maintenant. Je m’efforce constamment de ne pas faire d’erreurs, mais j’en fais beaucoup même après tout ce temps. » Elle avait ensuite raconté sa dernière mésaventure : le renversement d’un seau d’eau alors qu’elle faisait le ménage.

Jenna lui lança un regard froid. Qu’est-ce qui te prend ? Comment quelqu’un d’aussi ignorante et maladroite que toi ose-t-elle me faire la leçon ? Elle se demande si Yumeria ne le fait pas exprès, en jouant le rôle de l’héroïne délicate et étourdie. Elle avait à peine le temps d’envisager cette possibilité, car elle entendit bientôt des coups de feu provenant du terrain d’entraînement.

Jenna tourna la tête vers le groupe et repéra Dorothea qui tenait un fusil. Avec des mouvements entraînés, elle déchargea sa cartouche vide avant d’en mettre une nouvelle. Quand elle appuya ensuite sur la gâchette, elle toucha la cible en plein centre. Le groupe poussa des cris de surprise avant de l’applaudir.

« C’est une blague. » Jenna était incrédule.

Yumeria chuchota, « Etonnante, n’est-ce pas ? Presque chaque tir qu’elle a fait était dans le mile. »

Ils avaient tous les deux vu à quel point Dorothea était un tireur impressionnant. Tous les hommes sur le terrain d’entraînement s’étaient rassemblés autour d’elle une fois qu’elle eu fini.

Nicks était aussi impressionné que les autres. Son visage s’était éclairé et il déclara : « Vous êtes incroyable. Je suppose que vous devez utiliser une arme à feu assez régulièrement ? »

« Avec modération, » corrige Dorothea. « Cela fait partie de notre éducation de base. Si vous vous souvenez bien, les Roseblades descendent d’aventuriers qui ont gravi les échelons jusqu’au sommet du royaume. »

« Quoi ? Vous voulez dire que les garçons et les filles reçoivent ce genre d’éducation ? »

« Bien sûr. Je dois cependant noter que si j’ai combattu des monstres à l’académie, je ne serais pas d’une grande utilité dans un combat réel contre d’autres personnes. Mon entraînement est plus destiné aux apparences. »

Nicks avait secoué sa tête. « Vous êtes trop humble. Je pense que ce niveau d’aptitude est plus que suffisant. »

Voyant à quel point tous ses hommes étaient impressionnés, Balcus était tombé dans un silence contemplatif.

« C’était incroyable, Dot ! » Colin s’était extasié. Il était aussi sorti pour se joindre à la session de formation. « Anjie est super compétente aussi, mais tu es bien meilleure qu’elle ou que n’importe qui d’autre avec une arme. » Il lui parlait avec tant d’affection et d’intimité que tous les autres participants s’interrogèrent.

« C’est très gentil de ta part », lui déclara Dorothea en roucoulant. « Ton nom est Colin, n’est-ce pas ? »

« Ouais ! »

« Je m’assurerai de te préparer quelques gâteries plus tard. Prenons le thé ensemble, d’accord ? »

« Vraiment ? Hourra ! »

Voyant qu’elle était réceptive à la chaleur de Colin plutôt qu’offensée par elle, les hommes se détendirent. L’image qu’ils avaient des femmes nobles avait été entachée par Zola, aussi étaient-ils encore un peu sur leurs gardes. Quelques chevaliers s’étaient regroupés un peu à l’écart de la foule principale pour parler entre eux, en prenant soin que Dorothea et les autres ne puissent pas les entendre.

« Wôw, Lord Nicks s’est trouvé une fille formidable. »

« Nous aurions de sérieux problèmes s’il se trouvait quelqu’un comme Lady Zola. Je suppose que nous pouvons être tranquilles. »

« Elle a dit qu’elle cuisinerait des trucs, non ? Donc elle peut utiliser une arme et cuisiner ? Il y a une noble dame pour vous juste là. »

Tous ces hommes connaissaient déjà Anjie, mais ils l’avaient fait passer pour une exception à la règle. L’apparition de Dorothea avait contribué à les faire changer d’avis sur la question — ils commençaient à penser que les vraies dames nobles étaient d’un tout autre niveau.

Plus Jenna les écoutait, plus son humeur devenait aigre. « Qu’est-ce que ça peut faire qu’une femme sache se servir d’une arme ? Elle ne part pas à la guerre. Et si quelqu’un veut des pâtisseries à ce point, il peut aller les acheter ! »

Yumeria se contenta de sourire. « Je comprends pourquoi vous dites cela, Lady Jenna, puisque vous ne pouvez pas utiliser d’armes ou cuisiner. » Ses mots étaient comme des poignards qui s’enfonçaient dans le cœur de Jenna.

 

☆☆☆

 

« Je pense qu’il est temps pour nous d’abandonner. »

« Non ! » Jenna craqua. « Je n’abandonnerai pas tant que je n’aurai pas vu des larmes couler sur son visage ! »

Les deux femmes s’étaient éloignées du terrain d’entraînement et espionnaient maintenant la cuisine, où leur cible de surveillance, Dorothea, préparait des friandises. Un certain nombre de servantes étaient là pour les aider, mais elle faisait la cuisine toute seule.

Luce, qui rôdait tout près, commenta : « Je vois que vous vous y connaissez en cuisine. »

« Seulement comme un hobby, maman, » dit Dorothea. « Je ne peux pas me comparer à ceux qui font ça pour vivre. »

« C’est quand même impressionnant ! Je vous envie, en fait. Je ne peux faire que des sucreries simples, faites maison, comme on en trouve souvent à la campagne. »

« Je pourrais vous apprendre quelques recettes si vous voulez. Voulez-vous m’aider à cuisiner ? »

Luce hésita. « Êtes-vous sûre que je ne vous dérangerais pas ? »

« Certainement pas. Je suis ravie de pouvoir cuisiner avec vous, maman. »

« O-oh, bien, dans ce cas… merci de me donner cette opportunité. »

« Vous n’avez pas besoin de vous humilier devant moi comme ça ! Lord Nicks et moi ne sommes peut-être pas encore officiellement mariés, mais je vous considère déjà tous comme ma famille. »

Luce était si émue que ses yeux se remplissent de larmes. « À vrai dire, j’ai toujours rêvé de pouvoir cuisiner comme ça avec ma fille. Mes propres filles ne s’approchent même pas de la cuisine. Jamais, dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pensé qu’une jeune femme gracieuse et honorable comme vous m’appellerait “maman”, et encore moins qu’elle me proposerait de cuisiner avec moi. »

« Je n’avais pas réalisé que cela signifierait autant pour toi… mais je suppose qu’en conséquence, j’ai aidé l’un de vos rêves à se réaliser, » dit Dorothea, essayant de réconforter Luce alors que les deux commencaient à cuisiner ensemble.

Le cœur de Jenna se serra douloureusement à cette vue. Elle en voulait à sa mère, bien sûr. Depuis l’ombre où elle se cachait, elle grommela : « Si tu m’avais dit ça, je t’aurais aidée à cuisiner. »

« Lady Jenna, vous devriez cuisiner avec Lady Luce, » conseilla Yumeria avec une expression des plus solennelles. « Je pense que ce serait mieux que vous le fassiez sans qu’elle vous y incite. »

« O-ouais, ouais, je l’ai déjà compris. »

Tout au long de cette conversation feutrée, Dorothea et Luce se rapprochaient de plus en plus l’une de l’autre.

« Vous êtes si douée pour ça, maman. »

« V-Vraiment ? Peut-être que je devrais essayer de refaire ça pour tout le monde bientôt… »

Yumeria vola un regard à Jenna. « Elles ont l’air de bien s’entendre. »

« Je suppose que oui. »

« Lady Jenna, cessons immédiatement ces bêtises. Lady Luce serait bien plus heureuse avec nous si nous accomplissions la tâche qui nous a été confiée. Ne reviendriez-vous pas travailler avec moi ? »

Vexée comme Jenna l’était par le mauvais déroulement de sa mission de reconnaissance, elle refusa de céder. « Elle fait bonne figure, c’est tout. Tu verras. D’ici peu, le loup sous l’habit du mouton va montrer sa vilaine figure. »

Les épaules de Yumeria s’étaient affaissées en signe de défaite.

 

☆☆☆

 

Jenna surveilla Dorothea de près les jours suivants. Elle entraîna Yumeria avec elle — la pauvre servante elfe n’avait guère d’autre choix, chargée qu’elle était de surveiller Jenna — et garda les yeux rivés sur tout signe indiquant que Dorothea ne parvenait pas à s’acclimater.

Hélas, les choses ne s’étaient pas passées comme prévu.

« Pourquoi ne se plaint-elle pas encore ? Nous sommes littéralement au milieu de nulle part. Comment peut-elle avoir l’air si heureuse d’être ici !? » Jenna hurlait de frustration.

Yumeria donna son avis. « Elle semble vraiment apprécier son séjour ici, alors pourquoi se plaindre ? Elle s’entend très bien avec tout le monde… sauf avec vous, Lady Jenna. »

« C’est exactement le problème ! Pourquoi personne d’autre n’est-il sur ses gardes ? C’est une étrangère. Une ennemie ! »

« Je ne l’appellerais pas une ennemie, mais vous avez raison. Les gens sont devenus terriblement proches d’elle, vu qu’elle est arrivée récemment. »

« Exactement, tu vois ! Nicks est super amoureux, Colin l’appelle déjà par un petit surnom mignon, et maman et papa sont aux anges avec elle. Qu’est-ce qui ne va pas avec tout le monde !? »

En quelques jours à peine, toute leur famille — Jenna exceptée — avait accueilli Dorothea à bras ouverts. Cela contredisait complètement les quelques connaissances de Jenna sur le mariage.

« C’est normal que la famille s’en prenne à une nouvelle mariée à son arrivée, non ? »

Yumeria secoua la tête. « Je ne dirai pas que cela n’arrive jamais, mais je ne dirais pas que c’est normal. Lady Dorothea est d’un rang plus élevé que toute votre famille, d’ailleurs. Le Comte Roseblade ne serait pas très content s’ils traitaient mal sa fille. »

En fait, « ne serait pas content » était une façon légère de le dire, le Comte Roseblade et sa maison ne resteraient pas les bras croisés si les Bartforts contrariaient Dorothea. Jenna le savait parfaitement, mais cela ne rendait pas la situation plus facile à digérer.

« Peu importe. Je ne peux pas accepter ça ! Comment peut-elle être si heureuse en venant à la campagne comme ça ? Est-elle comme Léon ? Une grande fan du style de vie détendu et rural ? Je ne comprends pas du tout. Elle a fait tout le chemin depuis une vraie ville civilisée. »

« Chaque personne a ses propres préférences. Mais surtout, Lady Jenna, nous allons vraiment recevoir des remontrances si nous ne retournons pas rapidement à nos occupations. »

« Je ne peux pas laisser les choses comme ça, pas quand ça ferait de moi la perdante ! Maintenant que les choses sont allées si loin, je vais devoir m’assurer qu’elle échoue… »

Avant qu’elle ne puisse terminer sa phrase, deux voix l’interrompirent.

« Jenna, va dans la salle de travail de ton père. Maintenant, » dit Luce.

Balcus soupira. « Honnêtement, qu’est-ce qui ne va pas avec cette fille ? »

+++

Partie 4

La salle de travail de Balcus servait de bureau maintenant, un endroit où il pouvait signer des documents et remplir des papiers. En ce moment, il s’y trouvait avec Luce et Jenna. Cette dernière avait rétréci sous le regard scrutateur de ses parents.

« Yumeria m’a tout raconté. J’ai entendu dire que tu la traînais et que tu ne faisais pas ton travail ces derniers temps, » dit Luce.

« Elle m’a trahie ! »

« Elle n’est pas ta servante pour commencer. C’est Léon qui l’emploie. Meria m’a tenue au courant de tout depuis le premier jour où tu as commencé à négliger tes devoirs. »

Des perles de sueur froide perlaient sur le front de Jenna. Cela signifiait qu’ils savaient vraiment tout.

Balcus croisa les bras et laissa échapper un long soupir prolongé. « Elle t’a demandé de reprendre le travail à plusieurs reprises, n’est-ce pas ? Nous avons pensé que tu avais beaucoup de choses en tête, alors nous avons décidé de te laisser un peu d’espace. Mais tu n’es jamais retournée au travail, peu importe combien de temps nous avons attendu. »

Luce avait fixé sa fille en silence. Sa colère rayonnait autour d’elle comme une aura invisible. Même Jenna pouvait voir que les choses allaient sérieusement mal cette fois.

« Euh, eh bien, vous voyez, » commença-t-elle, cherchant désespérément une excuse, « J’ai juste pensé que la vie ici pourrait être dure pour Lady Dorothea, puisqu’elle a probablement eu une éducation choyée. Je gardais un œil sur elle pour m’assurer qu’elle allait bien. C’est tout ! » Même elle grimaçait en voyant à quel point cela semblait irréaliste. Bien sûr, aucun de ses parents n’avait cru à un mensonge aussi flagrant.

« Si c’était le cas, » dit calmement Luce, « tu aurais pu intervenir et l’aider. Explique-moi pourquoi, au lieu de ça, tu te faufiles et tu observes dans l’ombre. »

« Eh bien, parce que j’étais embarrassée. »

« Tu n’es pas le genre de fille à avoir honte dans ta propre maison. De plus, Meria nous a tout dit sur tes réelles motivations. Tu pensais que Lady Dorothea finirait par s’enfuir, n’est-ce pas ? »

« Eh bien, oui ! Elle vient d’une grande ville, non ? Elle n’avait aucun espoir de s’en sortir ici. »

« Elle s’en sort beaucoup mieux que toi, » dit Balcus. « Tous les serviteurs et les chevaliers de notre maison adorent Mlle Dorothea. Elle a eu un énorme succès auprès des habitants de la ville, également, lors de sa récente visite. »

Luce avait continué là où il s’était arrêté. « En revanche, les domestiques nous ont envoyé de nombreuses plaintes à ton sujet. »

Les Bartforts n’employaient pas beaucoup de domestiques. Le peu de personnel qu’ils avaient servait ici depuis de nombreuses années. Ils connaissaient Jenna depuis qu’elle était enfant, mais cela ne les empêchait pas de râler à son sujet. Cela en disait long sur la réputation de Jenna.

Attends un peu. C’est… c’est vraiment mauvais pour moi, n’est-ce pas ? Il était un peu tard, mais la prise de conscience l’avait frappée de plein fouet. Elle avait déjà le goût de la défaite amère sur la langue, Dorothea l’avait surpassée à tous les égards, capturant le cœur de la famille de Jenna bien plus que Jenna ne pourrait jamais le faire. Et malheureusement pour Jenna, les choses étaient sur le point d’empirer.

Luce regarda sa fille avec dédain en annonçant : « En fait, Jenna, une demande est arrivée de quelqu’un qui veut avoir un rendez-vous de mariage avec toi. »

« Je ne veux pas — . » Jenna avait commencé à dire avant que sa mère ne la coupa.

« Ne m’interromps pas. Dot a eu la gentillesse de te présenter quelqu’un, en utilisant les relations de sa maison. Apparemment, la personne en question est un noble de la cour qui réside dans la capitale. »

« Quoi ? Mais alors… » L’attitude de Jenna changea immédiatement. Je n’arrive pas à y croire ! Ce genre de gars serait parfait pour moi !

À peine son visage s’était-il illuminé d’espoir que sa mère l’étouffa.

« Je l’ai déjà refusé. »

« Hein !? » Jenna glapit d’incrédulité.

Balcus fronça les sourcils. La culpabilité brillait dans ses yeux, mais ce n’était pas pour le bien de Jenna. « Il semblerait que sa maison ait des liens étroits avec les Roseblades. Nous ne pouvions pas te présenter à ces gens. Pas si nous risquons d’humilier Mlle Dorothea dans le processus. »

Luce acquiesça. « Nous ne ferions que causer des ennuis à la pauvre Dot. »

Jenna tremblait, furieuse contre eux deux. « Pourquoi avez-vous fait ça ? J’avais enfin une chance de me marier ! »

Luce expliqua : « J’aurais peut-être réfléchi à cette rencontre si tu t’étais acquitté de tes fonctions comme tu étais censée le faire. Au lieu de cela, tu les as abandonnés pour suivre Dot. Tu es un vrai déshonneur. »

Jenna s’était dégonflée quand la vérité lui était apparue. Attends, si j’avais fait mon travail comme prévu, j’aurais pu me marier ?

Balcus poursuivit : « C’était une offre généreuse, mais que nous ne pouvions pas accepter en raison de ton refus de changer tes habitudes. Nous aurions pu garder un peu d’espoir si tu avais pris ton travail au sérieux ces derniers jours. »

Des larmes de colère avaient coulé dans les yeux de Luce. « Tu es vraiment pitoyable. »

Jenna s’effondra sur le sol, dévastée d’avoir laissé une opportunité si précieuse lui glisser entre les doigts sans un mot d’avertissement. Elle cria à pleins poumons : « Vous auriez dû dire quelque chose plus tôt ! »

 

☆☆☆

 

Ailleurs dans la maison, à la même heure précise, Dorothea avait convoqué Yumeria à une réunion.

« Tenez, » dit-elle à la servante elfe. « Un paiement pour vos services. »

« Merci beaucoup ! » Yumeria avait accepté la belle somme et l’avait bercée contre sa poitrine.

Curieuse, Dorothea demanda : « Puis-je savoir à quoi vous comptez utiliser cet argent ? »

« Certainement ! Je compte l’envoyer à mon fils. »

« Oh, maintenant que j’y pense, votre fils est dans la capitale en ce moment, n’est-ce pas ? »

Yumeria hocha la tête avec enthousiasme. « C’est ce que j’ai entendu dire. Il envoie des lettres de temps en temps, alors j’ai pensé envoyer ma réponse avec cet argent. »

Dorothea sourit au visage joyeux de la femme. « Je suis sûre qu’il sera heureux de le recevoir. »

« Hee hee, merci ! »

Yumeria s’était empressée de partir. Nicks la croisa brièvement dans le hall, et sa vue piqua suffisamment sa curiosité pour interroger Dorothea à son sujet. « Puis-je vous demander ce que vous avez fait avec Mlle Yumeria ? »

« Tu n’as plus besoin d’avoir l’air aussi rigide et formel avec moi. Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? »

« D-Désolé. C’est juste difficile de s’y habituer. »

« S’il te plaît, sois plus prudent à partir de maintenant », dit Dorothea avec légèreté. « J’ai besoin que tu t’y habitues rapidement. Personne autour de toi ne te prend assez au sérieux. »

« D’accord. De toute façon, euh, c’était quoi tout ça à l’instant ? » demanda Nicks, essayant de changer de sujet.

« Oh, je lui ai demandé de garder un oeil sur ta soeur. »

« Jenna ? T’a-t-elle fait quelque chose ? » Il fronça les sourcils avec inquiétude.

Dorothea gloussa. « Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Je suis sûre qu’elle se sent mal à propos de ses actions en ce moment. »

« Ah oui ? Eh bien, n’oublie pas de me faire savoir si elle tente quoi que ce soit. »

« Bien sûr ! Nous sommes fiancés, après tout. »

 

☆☆☆

 

Cette nuit-là, assise dans sa chambre, Jenna prit une décision.

« Au train où vont les choses, ma vie est pratiquement terminée. Ma seule chance est de trouver un moyen de rejoindre la capitale, où j’espère pouvoir réussir. »

Du point de vue de Jenna, Dorothea avait pratiquement pris possession de la maison. Continuer à vivre ici serait étouffant, et dans le pire des cas, elle pourrait même être contrainte à un mariage non désiré. Elle refusait que cela se produise. Se débrouiller seule était la seule option qui restait. Le fait d’être acculée au pied du mur lui avait donné une motivation.

« Je dois économiser le moindre montant que je peux utiliser pour mes frais de voyage. Peu importe le type de travail que je dois faire, les tâches ménagères, tout ce que vous voulez ! Je ferai tout ce qu’il faut pour me donner le plus de chances possible ! »

Jenna était une Bartfort de part en part, et il s’est avéré que lorsque les chances étaient contre elle, cela enflamma sa détermination à réussir.

« Je n’abandonnerai pas, quoi qu’il arrive ! »

Jenna n’avait pas abandonné son rêve de vivre en ville.

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Claramiel

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