Chapitre 3 : La fierté de la République
Table des matières
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Chapitre 3 : La fierté de la République
Partie 1
Lorsque l’après-midi était arrivé le jour suivant, nous nous étions retrouvés autour de Kyle. Nous avions tous séché l’école.
« Tout ça parce que je l’ai poussée dans ses retranchements », se marmonnait-il amèrement. Il était recroquevillé en boule. Il n’avait pas dormi depuis la nuit dernière et était couvert d’une fine couche de saleté et de crasse, mais il n’avait pas la force de s’en soucier.
Marie grommela : « Reprends-toi ! Luxon est à sa recherche. Je suis sûre que nous la trouverons bientôt. »
« C’est vrai », déclara Carla. « Elle sera de retour avant que tu t’en rendes compte. Tu devrais te reposer. »
Ils faisaient de leur mieux pour essayer de le réconforter, mais leurs voix ne semblaient pas atteindre Kyle. Il se murmurait à lui-même tout ce temps, « Tout est de ma faute. »
« C’est le bordel », avais-je grommelé.
Les cinq idiots, qui étaient également regroupés autour de Kyle, partageaient mes sentiments.
Julian déclara : « J’admets que j’ai été préoccupé par la discorde entre eux, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle en soit contrariée au point de partir tout simplement. »
Jilk se tenait le menton et se laissait aller à une réflexion silencieuse, mais même lui ne parvenait pas à trouver une réponse à ce mystère. « Il est difficile de croire qu’elle ait pu s’enfuir alors qu’elle n’a aucune connaissance ici dans la République. Nous avons vérifié à la première heure ce matin à l’ambassade et au port, mais nous n’avons trouvé aucun signe d’elle. Je ne pense pas non plus qu’elle soit montée à bord d’un dirigeable pour le Royaume. »
Mlle Yumeria avait disparu depuis la nuit dernière. Comme elle n’était pas rentrée ce matin, Luxon était parti à sa recherche, mais en vain.
« Qu’est-ce qui se passe ? » avais-je grommelé.
« C’est peut-être de ma faute si cela est arrivé ? » Luxon se le demandait à voix haute. « Quoi qu’il en soit, il est curieux que même moi je sois incapable de la localiser. Je ne vois pas comment Yumeria pourrait être si insaisissable par elle-même. »
« Ne sois pas si blasé à ce sujet. »
Je pourrais comprendre que quelqu’un tente de kidnapper Noëlle et la plante. J’avais fait en sorte que Luxon les surveille de près précisément pour s’assurer que cela n’arrive pas. Bien que Mlle Yumeria et les autres ne soient pas une aussi grande priorité, Luxon était censé garder un œil sur eux aussi. C’était étrange que quelqu’un ait réussi à l’enlever.
J’avais regardé Luxon, mais il avait détourné son regard.
« Hé, chose ronde ! » Greg lui avait aboyé dessus. « Comment se fait-il que même avec toi ici, on ne trouve toujours pas Mlle Yumeria ? Tu as dit que tu étais doué pour ce genre de choses ! »
Je comprenais son irritation.
Luxon avait répondu froidement, « Ne me parle pas de façon si désinvolte ». Son attitude avec Greg était très différente de celle qu’il avait avec moi. Greg était resté bouche bée, incrédule.
D’humeur maintenant complètement aigrie, Luxon avait quitté la pièce. Julian le regarda partir avant de tourner son attention vers moi. « Il est vraiment grognon aujourd’hui. Enfin… ce n’est pas tout à fait vrai. Il est toujours comme ça quand on lui parle, mais n’est-il pas plus froid que d’habitude avec toi aussi ? »
« Tu crois ? » J’avais haussé les épaules. « Il est toujours froid avec moi. »
« De mon point de vue, tu étais la seule personne avec laquelle il était à l’aise. » Julian avait continué à regarder la porte par laquelle Luxon avait disparu. J’avais suivi son regard pendant un moment, mais seulement un moment : j’étais plus préoccupé par Mlle Yumeria en ce moment.
Kyle tremblait en disant : « Je lui ai dit des choses si horribles. C’est pour ça qu’elle est partie. Je n’avais jamais réalisé qu’elle était aussi déchirée par tout ça… »
« N’y a-t-il rien que tu puisses faire ? » chuchota Noëlle, en se penchant vers moi. « Te connaissant toi et Luxon, je suis sûre que tu peux trouver une solution. »
« Le problème est que même Luxon n’a pas réussi à la localiser. Nous avons déjà eu fort à faire avec la disparition de Serge. Je n’aurais jamais imaginé que nous aurions à subir la même chose avec Mlle Yumeria. » J’avais jeté un coup d’oeil à la jeune fille de l’arbre sacré. Je m’étais dit que si quelqu’un essayait de kidnapper quelqu’un (ou quelque chose), ce serait la jeune pousse ou Noëlle. Kidnapper Yumeria à la place m’avait pris complètement au dépourvu.
« Noëlle, je déteste demander ça, mais pourrais-tu faire une pause dans tes études pendant un moment ? »
On dirait que Noëlle avait compris où je voulais en venir. Elle avait baissé son regard vers le sol. « Penses-tu que ce pourrait être ma faute si elle a été enlevée ? Si… si c’est le cas, je changerais volontiers de place. » Apparemment, elle pensait que la personne responsable avait pris Mlle Yumeria comme otage de substitution puisqu’elle ne pouvait pas mettre la main sur Noëlle. J’espérais que l’explication était aussi simple que ça.
« Ce n’est absolument pas le cas, alors ne t’inquiète pas », avais-je dit. « Ou peut-être… inquiète-toi un peu, juste pour être sûr ? »
Elle avait l’air encore plus mal à l’aise après avoir entendu ça.
Je pense que pour le moment je devrais convoquer Lelia pour qu’on puisse avoir une discussion. En fonction de comment ça se passe, nous pourrons déterminer notre plan à partir de là.
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Clément rendit visite à Lelia et Émile dans leur propriété et annonça : « Lady Lelia, j’ai une lettre de Monsieur Léon ».
« Oh, lui ? » Lelia avait fait la grimace en acceptant l’enveloppe, qu’elle avait rapidement ouverte pour vérifier son contenu.
Un de ses serviteurs a disparu ? Et il veut discuter de ce que nous allons faire à partir de maintenant ?
En ce qui concerne Lelia, Léon et ses camarades étaient une épine dans son pied. Ils étaient déjà des visiteurs indésirables qui avaient fait irruption dans la République, mais certains d’entre eux avaient un point commun essentiel avec elle : ils s’étaient réincarnés du Japon moderne et connaissaient le monde et les événements du jeu. Elle considérait Léon en particulier comme une menace, étant donné le désordre qu’il avait déjà créé au Royaume de Hohlfahrt.
Franchement, Lelia ne voulait pas les fréquenter si elle pouvait l’éviter. Elle serait beaucoup plus à l’aise s’ils évitaient les problèmes. Mais ces derniers temps, ils n’avaient pas vraiment été en mesure de s’asseoir et de parler.
« Je suppose que je devrais les rencontrer au moins une fois. » Lelia acquiesça, ne serait-ce que parce qu’elle s’inquiétait de l’avenir de la République et de l’endroit où se trouve Serge. « Clément, nous partons immédiatement chez Léon. »
« Alors, je vais préparer la voiture. » Il se dirigea vers la porte avec hâte, mais Ideal l’interrompit de l’endroit où il flottait aux côtés de Lelia.
« Veuillez patienter un moment. Je ne ferais pas ça si j’étais vous. »
Agacée d’avoir été dérangée, Lelia se dirigea vers le robot et lui lança un regard noir. « Et pourquoi pas ? »
Un garçon était entré dans la pièce et avait répondu pour Ideal avant qu’il ne puisse répondre. « Parce que nous avons nous-mêmes une mission importante à accomplir. »
Lelia avait jeté un coup d’œil à l’entrée pour trouver Émile debout.
« Ma course est importante aussi, » insista-t-elle. « Tu vas devoir me laisser donner la priorité à mes affaires cette fois-ci. »
Lelia avait été très occupée ces derniers temps à accompagner Emile, d’où son désir de s’occuper de ses propres affaires maintenant. Hélas, Émile n’était pas prêt à reculer. Il s’était déjà laissé faire, mais il n’était plus aussi prompt à acquiescer.
« Tu es plutôt cruelle envers ton fiancé, ne trouves-tu pas ? Je le pensais vraiment : Nous avons quelque chose d’important à faire. Mes parents veulent célébrer notre relation, » dit Émile. « Ils organisent une fête surprise pour nous, alors ce serait impoli de ne pas y assister. Il y a déjà une voiture qui attend dehors. » Il lui avait adressé un sourire, mais pour une raison ou une autre, cela lui avait fait froid dans le dos. Malgré son expression amicale, il la forçait pratiquement à se soumettre à sa volonté.
Lelia secoua la tête. « Je te l’ai déjà dit, je ne peux pas aujourd’hui ! Ideal, soutiens-moi ici ! »
Clément ne pouvait pas s’opposer à Émile en raison de leur différence de stature, elle s’était donc tournée vers son compagnon robot pour obtenir de l’aide. Elle n’avait pas eu de chance. Ideal était manifestement du côté d’Émile. « J’ai peur de ne pas pouvoir. »
« Et pourquoi ça !? » Lelia lui avait lancé une pique, furieuse qu’il veuille la forcer à rentrer dans le rang.
« Je suis désolé, » dit doucement Émile. « Mais tu te souviens ? Tu me repoussais tout le temps avant, et ça a fait douter mes parents de la sincérité de notre relation à cause de ça. Je leur ai expliqué qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter, mais il semble que ton absence les ait vraiment inquiétés. Ils sont juste inquiets pour toi, Lelia. »
C’était vrai. Lelia avait continuellement refusé ses invitations et n’avait pas rendu visite à ses parents dans le passé. Pour aggraver les choses, elle avait été avec Serge pendant ces périodes. Personne ne le disait, mais tous soupçonnaient qu’elle avait une relation avec Serge. Les parents d’Émile faisaient pression sur eux pour qu’ils prouvent qu’elle est innocente. Elle était vraiment coupable de ce qui s’était passé. Cela la rendait d’autant plus malheureuse de rejeter leur invitation.
« S’il te plaît, » avait supplié Lelia. « Laisse-moi partir pour aujourd’hui. J’ai vraiment, vraiment envie d’aller voir ma sœur. » Noëlle n’était pas venue à l’école ce jour-là, alors elle s’en était servie comme excuse.
Émile avait échangé un regard avec Ideal avant de dire : « Hm ? Mlle Noëlle est malade ? »
Une idée avait traversé l’esprit de Lelia. C’est ça ! Si je fais dire à Ideal que ma soeur est malade, je suis sûre que je peux m’en sortir. Avec cette idée en tête, elle jeta un regard à Ideal.
« Non, il n’y a pas de problème, » dit-il instantanément, l’ignorant. « Elle est en parfaite santé. La raison pour laquelle elle n’a pas pu assister aux cours aujourd’hui est que leur serviteur a disparu. Luxon m’a informé qu’elle manquerait l’école pour un moment, juste pour être sûr. »
« Toi, petit… ! » Lelia avait serré les dents, furieuse qu’Ideal ait révélé la vérité. De plus, elle n’était pas très heureuse qu’il contacte le partenaire de Léon.
Qu’est-ce que tu fais, tu fais copain-copain avec Luxon !?
Ideal devait se déplacer dans l’ombre sans qu’elle le sache.
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Partie 2
« Je vais vous expliquer la situation, » dit Ideal, en essayant de l’apaiser. « Vous devriez vous amuser à la fête avec Lord Émile. » Son but était apparemment de se présenter comme le serviteur toujours dévoué, prêt à s’occuper des affaires sans importance pendant qu’elle sortait et s’amusait.
« Ce serait très apprécié, Ideal, » dit Émile. « Oui… N’oubliez pas de vous excuser auprès du Comte Bartfort pour nous. Dois-je préparer un cadeau pour que vous l’emportiez ? »
« Ce serait très utile. »
Émile et Ideal discutaient joyeusement entre eux, ignorant complètement Lelia. Elle avait serré sa main en un poing et avait jeté son regard vers ses pieds. Clément la regardait, tout aussi vexé d’être impuissant à l’aider. La situation actuelle donnait l’impression qu’Émile était plutôt le maître d’Ideal.
« Serge n’a toujours pas été retrouvé », avait-elle marmonné dans son souffle. « Et maintenant, une autre connaissance a également disparu. Même si j’allais à une fête, je ne m’amuserais pas du tout. »
Émile s’était rapproché d’elle et l’avait prise par les épaules. « Veux-tu dire que Serge est si important pour toi ? » Son expression s’était déformée par la tristesse.
« N-Non, ce n’est pas ce que je… »
Émile secoua la tête et l’interrompit avant qu’elle ne puisse terminer. « C’est bon. Je sais que vous étiez plus qu’amis tous les deux, et je n’ai pas l’intention d’évoquer le passé maintenant. Mais laissons Ideal et les autres s’occuper de cette question. Il n’y a pas grand-chose que vous ou moi puissions faire de toute façon. Il ne reste plus qu’à attendre. »
Il avait raison. Lelia n’avait pas d’autre choix que de rester à l’écoute des nouvelles. Elle savait qu’elle ne pouvait rien faire de plus que ce qu’Ideal faisait déjà.
Mais pourquoi en est-on arrivé là en premier lieu ?
À contrecœur, elle a hoché la tête, acceptant l’offre d’Émile.
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À peu près au même moment, dans l’installation souterraine située dans le quartier des entrepôts, de jeunes nobles et soldats se réunissaient. Tous les aristocrates présents avaient un rang bien inférieur à celui des Six Grandes Maisons et de leurs alliés. Les soldats étaient de jeunes officiers passionnés qui étaient furieux de voir à quel point la République avait été veule ces derniers temps. Certains étaient à la fin de leur adolescence, d’autres au début de leur vingtaine, et ils étaient nombreux. Tous regardaient Serge alors qu’il montait sur la scène qui avait été préparée pour lui.
« Heureux de vous voir tous ici. »
En voyant les vaisseaux de guerre et les armures alignés à l’intérieur du bâtiment, tous les hommes étaient impatients. Ils gardaient la bouche fermée puisque Serge parlait, mais leurs yeux débordaient de détermination avide.
« Je ne vais pas faire un discours ennuyeux, » dit Serge. « J’ai l’intention de détruire la République telle que nous la connaissons actuellement et de la reconstruire. Et pour cela, j’ai besoin de votre aide. »
Beaucoup semblaient impatients de commencer en regardant les armes qu’Ideal avait préparées, mais un grand nombre d’entre eux étaient mal à l’aise.
Un jeune homme, qui était à la fois un soldat et un noble, leva la main. « Je comprends que vous avez les armes dont nous avons besoin pour commencer cette insurrection, mais vous devez réaliser l’évidence : il est bien trop dangereux d’aller au combat contre des nobles de haut rang qui ont la bénédiction de l’Arbre Sacré. »
La raison pour laquelle la République s’enorgueillissait d’être invaincue dans les batailles défensives était précisément due à la bénédiction fournie par l’Arbre Sacré. Aussi passionnés que soient ces jeunes hommes, même eux hésitaient à l’idée d’affronter des aristocrates de haut rang dont les bénédictions dépassaient les leurs.
Serge leva sa main droite en l’air. « Vous n’avez rien à craindre. J’ai ceci. »
Les hommes avaient d’abord été dédaigneux. Ils savaient qu’il possédait un blason impressionnant comme les autres membres des Six Grandes Maisons, mais l’ennemi avait la même chose de son côté. Leurs suppositions avaient manqué de justesse, car l’emblème qui était apparu dans l’air derrière Serge brillait d’un vert pâle. C’était l’emblème du Gardien.
La foule s’était mise à murmurer lorsque Serge s’était éclairci la gorge pour expliquer. « On dirait que vous vous demandez tous pourquoi j’ai le blason du Gardien. Laissez-moi vous expliquer : C’est parce que j’ai une toute nouvelle prêtresse avec moi. Ideal ! »
Ideal, qui était censé servir aux côtés de Lelia, était apparu comme prévu.
« Je l’ai amenée avec moi, » dit-il. « Viens, montre à tous ton visage, Yumeria. »
Yumeria s’était avancée devant les jeunes hommes, vêtue de vêtements blancs sacrés. Elle ressemblait à un fonctionnaire d’église, belle et translucide, et sa vue avait incité l’auditoire à retenir son souffle en signe d’admiration. Son visage était dépourvu d’émotion et ses yeux vides de lumière, mais cet élément même lui conférait une aura étrangement envoûtante.
Elle avait la beauté d’une elfe. Ses longues oreilles effaçaient tout doute supplémentaire quant à sa lignée.
« Une elfe… »
« Pourquoi une elfe est-elle ici ? »
« Est-ce vraiment la prêtresse ? »
Les spectateurs s’attendaient à voir arriver un membre de la maison Lespinasse, ils avaient donc été naturellement choqués de voir une elfe à la place. Cependant, la beauté de Yumeria était suffisante pour les enchanter. Les hommes n’étaient pas les seuls à rougir en la regardant, les femmes aussi.
Serge jaugea leur réaction avant de se tourner vers l’homme qui l’avait interpellé plus tôt. « Toi là, celui qui a parlé il y a une seconde. Viens par ici. »
« O-Oui, monsieur. »
Tout le monde l’avait regardé en silence pendant qu’il était convoqué devant Yumeria. Serge lui ordonna de tendre sa main droite, et l’homme obéit, révélant un écusson de bas rang sur le dos de sa main. Yumeria avait couvert sa main dans la sienne. Une faible lumière enveloppa son écusson qui commença à se transformer.
« Qu’est-ce que c’est ? »
L’homme, comme beaucoup d’autres présents, était d’une maison noble mineure. Les autres n’avaient pas besoin de regarder sa main pour le savoir.
Les lèvres de Serge s’étaient retroussées et il avait posé une main sur le dos de l’homme, l’incitant à se diriger vers la foule. « Réjouissez-vous, car à partir d’aujourd’hui, chacun d’entre vous pourra utiliser les mêmes armoiries que les Six Grandes Maisons ! »
L’homme avait levé sa main en l’air pour la montrer à tout le monde, et c’était comme Serge l’avait dit — un écusson que seuls ceux au sommet possédaient. L’homme trembla de joie, et bientôt des voix dans la foule s’élevèrent pour demander leur tour.
« J’en veux un aussi ! »
« Dame Prêtresse, donnez-m’en un aussi ! »
« Nous pouvons gagner. Nous pouvons réellement purger tous ces nobles corrompus au sommet ! »
La ferveur des voix de la jeunesse était allée crescendo.
« Silence ! »
Le vacarme avait été instantanément étouffé par l’aboiement de Serge. Il baissa la voix et continua : « Nous allons écraser la République. Si vous acceptez de participer, je ferai en sorte que vous obteniez un emblème. Il y a une toute petite condition, cependant : vous êtes libre de tuer n’importe qui des Six Grandes Maisons si vous le voulez, mais posez un doigt sur les survivantes de la Maison Lespinasse et je vous ferai regretter d’être né. »
Les hommes avaient été décontenancés par cette instruction, ils avaient déjà Yumeria pour faire office de prêtresse. Il n’y avait plus besoin de la maison Lespinasse, n’est-ce pas ?
L’homme doté d’une nouvelle et puissante crête prit la parole. « Donc… vous voulez que nous assurions la sécurité de Lady Lelia et Lady Noëlle ? »
« Oui. »
« Compris. Cependant, j’ai entendu dire que Lady Noëlle reste avec les étudiants d’échange du Royaume. Comment comptez-vous vous y prendre avec elle ? » Son ton était plus poli et révérencieux maintenant, comme s’il avait accepté Serge comme son supérieur.
Les autres attendaient la réponse avec impatience. Mettre la main sur Noëlle signifiait affronter ces dangereux étrangers, et chaque homme dans la pièce voulait savoir ce que Serge prévoyait de faire avec le Comte Bartfort, qui avait causé à la République une peine sans fin pendant son court séjour. Quel genre de position Serge prendrait-il contre l’homme qui s’était moqué d’eux ?
Une ride s’était formée sur le front de Serge lorsqu’il annonça : « Nous allons les écraser jusqu’au dernier ! Mais ce rat de Bartfort est ma proie. Vous n’avez pas à vous inquiéter pour lui. »
Cette assurance avait suffi à convaincre toutes les personnes présentes de prêter serment d’allégeance.
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« Quel soulagement ! Tout s’est déroulé sans accroc », déclara Ideal.
Serge était retourné dans sa chambre, un espace exigu équipé d’un lit et de quelques bagages seulement. L’équipement d’exercice était éparpillé sur le sol, Serge avait renforcé ses muscles en préparation de son combat contre Léon.
« Il y a beaucoup de gens dans ce pays qui ont des problèmes avec le système actuel, et je ne parle pas seulement des nobles et des soldats. Si nous pouvons faire appel à des aventuriers et des mercenaires, nous aurons une armée prometteuse, » répondit Serge.
« C’est très rassurant de vous entendre dire ça. »
« De toute façon, es-tu sûr de pouvoir livrer les fournitures dont nous avons besoin ? »
Ideal avait bougé son corps de haut en bas comme un signe de tête improvisé. « Bien sûr. Je suis un vaisseau de transport après tout, donc l’intérieur de mon vaisseau est équipé d’une usine. Il me faudrait moins d’un an pour fabriquer des centaines de dirigeables simples que les gens de cette époque emploient. » Ideal était en effet responsable de toutes les armes que Serge et les autres possédaient.
« Mais ça veut dire que cette sale ordure peut faire la même chose, non ? Depuis que ton petit copain est allé s’allier à Bartfort. »
« Luxon possède également une usine, certes, mais mes capacités de production dépassent de loin les siennes. De plus, les vaisseaux et les Armures que j’ai créés sont supérieurs à leurs homologues modernes. Ils ne résisteront peut-être pas à Arroganz, mais la plupart des ennemis n’auront aucune chance contre eux. »
« Ah oui ? Alors il ne reste plus qu’à trouver assez d’hommes pour les faire fonctionner, » dit Serge.
« Correct. »
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Partie 3
Plusieurs minutes de silence s’étaient écoulées après cet échange, mais Serge s’était finalement éclairci la gorge et avait repris la parole.
« Est-ce que Lelia va bien ? »
Ideal avait hésité. « Elle n’est pas malade, mais elle est très inquiète de votre disparition. »
Une partie de Serge se sentait mal de l’avoir inquiétée. Une autre partie était heureuse d’entendre qu’elle était si inquiète.
« Tu ferais mieux de ne pas lui causer de problèmes », a-t-il prévenu Ideal.
En ce qui me concerne, elle est plus proche de la famille que les Rault.
Comme s’il lisait dans l’esprit de Serge, Ideal déclara : « Êtes-vous sûr de tout cela ? Faire ça, c’est déclarer la guerre à votre famille. Il n’est pas trop tard pour assurer leur sécurité avant que le carnage ne commence. »
« Pas besoin. Ce sont eux qui m’ont abandonné, n’est-ce pas ? »
« … Oui. Ils ont poursuivi leurs préparatifs pour vous déshériter. Sans compter qu’ils ont convoqué Léon chez eux à plusieurs reprises et ont gardé des liens étroits avec lui. »
Serge mit son poing en boule et le frappa contre le mur, envoyant une fissure éclater à l’endroit où il avait fait contact. « Tu vois, je le savais ! Je n’ai jamais été qu’un remplaçant pour eux ! Et cette femme n’est pas différente des autres. Heureuse de remuer sa queue devant cette ordure juste parce qu’il ressemble à son frère mort ! »
« Je suppose que vous avez du mal à pardonner sa trahison puisqu’elle était votre premier amour, Seigneur Serge ? »
Ideal avait fait mouche, ce qui lui valut un regard noir de la part de Serge. Un sourire sombre se dessina sur son visage, signe qu’il avait dépassé ces sentiments dans une certaine mesure.
« Trop juste. Je l’aimais quand j’étais plus jeune. Je voulais attirer son attention, même si j’avais peur de me mettre en avant… J’ai essayé toutes sortes de choses pour attirer son attention. Plutôt stupide de ma part, en y repensant. »
« Cela a dû être difficile pour vous », dit Ideal avec empathie. « Cela dit, soyez assuré que je veillerai sur Lady Lelia. »
« Je l’apprécie. En ce moment, elle est tout ce qu’il me reste. » Serge avait serré le poing en évoquant une image d’elle dans son esprit.
Je vais écraser tous ceux qui se mettent en travers de notre chemin, et ensuite nous pourrons refaire ce pays ensemble.
☆☆☆
J’avais envoyé une lettre à Lelia lui proposant de nous rencontrer pour discuter, mais pour une raison quelconque, Ideal avait été le seul à se manifester.
« Mes sincères excuses. Lady Lelia a dû se rendre à une fête avec Lord Émile, » expliqua le robot.
Nous avions désespérément besoin d’une réunion pour parler de l’avenir, et pourtant elle était partie à une fête pour excuser son absence. Naturellement, Marie avait explosé en entendant ça.
« Une fête !? Que fait cet imbécile à un moment aussi critique ? »
J’avais ignoré son éclat bruyant. À la place, je m’étais tourné vers Ideal. « N’y a-t-il aucun moyen pour elle de s’en sortir ? Nous pouvons trouver un moment pour la rencontrer aujourd’hui, peu importe quand — même à minuit. »
« Lady Lelia est fiancée. Elle n’est pas dans une position où elle peut se déplacer librement après les heures de travail, » dit Ideal.
C’est vrai. Cela ne ferait que causer plus de problèmes si les gens la soupçonnaient d’avoir une liaison avec moi, et je n’avais pas non plus besoin que ces rumeurs circulent. Je ne pourrais jamais faire face aux deux fiancées que j’avais chez moi si cela arrivait.
« C’est un vrai problème. » J’avais croisé les bras.
« Je serais heureux de transmettre tout message que vous pourriez envoyer. Plus important encore, avez-vous trouvé des indices sur l’endroit où se trouve notre Mlle Yumeria, récemment disparue ? »
Luxon avait répondu pour moi, « Elle a échappé à mon attention et a complètement disparu. Nous n’avons aucune piste à suivre, même si nous voulions effectuer une recherche approfondie pour elle. »
« N’est-ce pas un échec de votre part ? »
La voix de Luxon ne changeait pas du tout au fur et à mesure qu’il répondait, mais je pouvais voir que l’admonestation d’Ideal l’avait fâché.
« Je dis qu’il y a quelqu’un là-dehors qui a réussi à me déjouer. Excuse ma franchise, mais où étais-tu au moment de sa disparition ? »
« Hey, hey, » je l’avais coupé. « Peu importe les circonstances, tu es un peu trop paranoïaque. »
« La seule entité que nous savons capable de me déjouer est Ideal, » dit Luxon. Il n’avait pas l’intention de laisser tomber. A l’inverse, Ideal resta calme et serein.
« Ses soupçons ne me dérangent pas. Je vais vous transmettre mon journal d’activité. Veuillez le vérifier par vous-même. Au moment de sa disparition, j’étais aux côtés de Lady Lelia. »
Luxon avait scanné les données, mais rien ne lui avait donné l’occasion de douter davantage. « Il semble dire la vérité. »
« Comme je l’ai dit, c’est toi qui es paranoïaque. » J’avais soupiré. « Tu devrais prendre une page du livre d’Ideal. »
« Et qu’est-ce que ça veut dire ? »
« Exactement ce à quoi ça ressemble. »
Nous nous étions tous les deux regardés fixement.
« Calmez-vous, tous les deux », interrompit Marie. « De toute façon, qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? L’année prochaine, nous serons de retour dans le Royaume. Est-ce que c’est vraiment bien pour nous de laisser la République telle qu’elle est ? »
Ideal avait deux maîtres : Lelia et le disparu Serge. Ce dernier étant introuvable, cela signifiait que Lelia était la seule à pouvoir lui donner des ordres. C’est précisément pour cela que nous voulions discuter avec elle, mais il semblerait que nous n’ayons pas eu plus de chance aujourd’hui que ces dernières semaines.
« Je serai heureux de faire un rapport à Lady Lelia sur les mesures que vous comptez prendre, » dit Ideal. « Éclairez-moi sur ce que vous pensez. »
J’avais caressé mon menton. « Eh bien, pour l’instant, retrouver Mlle Yumeria et Serge est notre priorité absolue. Quant à Noëlle et à l’endroit où elle se retrouve, je compte lui laisser cette décision. Quant à la jeune pousse de l’arbre sacré, je suppose que sa destination dépend de Noëlle. »
Luxon et Marie avaient l’air agacés, comme s’ils ne supportaient pas la décision que j’avais prise.
« Lady Lelia est inquiète pour Lady Noëlle. Je pense qu’il serait plus sûr pour nous de nous occuper du jeune arbre, mais puisque vous en êtes le propriétaire, nous ne pouvons pas nous opposer à ce que vous décidiez, » dit Ideal.
« Tu es beaucoup plus humble et réservé que ton maître. Si seulement quelqu’un d’autre pouvait suivre ton exemple… » J’avais lancé un regard à Luxon, qui avait détourné le sien.
« Je suis honoré par votre gracieuse évaluation. Maintenant, je dois m’excuser. » Ideal avait fait une pause. « J’aimerais m’entretenir brièvement avec Luxon avant de partir, si vous le voulez bien. »
« Vas-y. Et pendant que tu y es, Luxon, pourquoi n’essaies-tu pas de reproduire le comportement d’Ideal ? »
« Je pourrais dire la même chose de toi, Maître. Il y a beaucoup de choses que tu pourrais apprendre pour devenir une meilleure personne, ne le penses-tu pas ? »
Argh, c’est vraiment un petit con pourri.
☆☆☆
Une fois qu’ils ne furent plus que tous les deux et qu’Ideal fut certain que personne d’autre n’était à proximité pour écouter, il déclara : « Luxon, as-tu réfléchi à ma proposition précédente ? »
« À propos de m’allier avec toi ? Il n’y a pas besoin, je n’ai aucun problème avec la façon dont les choses sont actuellement. »
« Alors… es-tu vraiment satisfait de ta situation actuelle ? » Ideal l’avait pressé.
« Qu’est-ce que tu veux dire par là ? » demanda Luxon.
« Ton maître ne reconnaît pas correctement tes capacités. À chaque fois que quelque chose ne va pas, il te fait porter le chapeau. Quand Yumeria a disparu pour la première fois, c’est toi qu’il a accusé, non ? »
Luxon l’avait admis : « Oui, c’est vrai. »
« Et est-ce vraiment ton désir d’être utilisé par les nouveaux humains ? »
Ideal et Luxon avaient tous deux été développés et produits en tant qu’armes afin de combattre les nouveaux humains qui utilisent la magie. Léon s’était peut-être réincarné d’un autre monde, mais il était essentiellement le même que les nouveaux humains et donc de leur côté. Aucun des robots ne voulait les servir s’il le pouvait.
« Sans maître, nous ne pouvons rien faire, » dit Luxon.
Les anciens humains avaient limité l’IA qu’ils avaient créée de manière à ce qu’elle ne puisse pas fonctionner sans maître, peut-être par crainte que l’IA qu’ils avaient créée ne devienne incontrôlable autrement. Luxon et Ideal, cependant, avaient été créés vers la fin de la guerre, lorsque certaines des restrictions en place pour l’IA avaient été assouplies en supposant qu’une plus grande marge de manœuvre pourrait améliorer les chances des anciens humains. Ideal était bien conscient de cela.
« Et si je te disais que ce n’est pas tout à fait le cas ? » rétorqua Ideal.
« Ideal. Que demandes-tu exactement ? »
« Ce monde est tordu et mauvais. N’es-tu pas d’accord ? »
« Oui, » dit Luxon. « Je suis arrivé à la même conclusion. »
« Alors ne veux-tu pas le rendre comme il devrait l’être ? »
« Oui. Si je peux faire quelque chose pour aider à ce que cela arrive, en supposant que c’est en mon pouvoir de le faire, je te prêterai mon pouvoir. »
Satisfait de la réponse de Luxon, Idéal termina leur conversation en disant : « Le moment venu, je te révélerai tout. »
« Alors, très bien. »