Chapitre 2 : Le Royaume saint de Rachel
Partie 2
Quand j’étais allé voir Mlle Louise dans sa chambre, je l’avais trouvée aussi débraillée que son père. Je m’étais demandé s’il était acceptable qu’un garçon comme moi entre dans sa chambre comme ça, mais aucun des domestiques n’avait voulu m’arrêter. Pour aggraver les choses, Mlle Louise s’était montrée très vulnérable en ma présence. Elle était perchée sur son lit, les jambes pendantes sur le bord et affalée sur le matelas. Je pouvais probablement voir à l’intérieur de sa chemise si j’inclinais suffisamment mon regard.
Mais je suis un vrai gentleman, alors je ne jetterai que de minuscules coups d’œil, avais-je pensé.
Les cheveux blonds lâchés et légèrement bouclés de Mlle Louise étaient éparpillés sur ses draps. Le fait d’être approchée par différents hommes pendant des jours devait l’avoir anéantie.
« Pratiquement tous les jours, je reçois une invitation à un dîner ou à une fête quelconque. C’est ridicule. Notre maison ne va pas se précipiter pour choisir un nouvel héritier simplement parce que Serge a disparu. »
Je m’étais installé sur une chaise à proximité. Mes yeux avaient été attirés par la poitrine de Louise, où ses seins se dressaient comme deux pics impressionnants. Une telle beauté.
« Ils sont vraiment désespérés », avais-je dit. « Je ne peux pas leur en vouloir. Celui qui réussira à arracher ton coeur deviendra le prochain héritier de ta maison, après tout. »
« Oh ? Veux-tu dire que je suis un bonus ? Une sorte de prix supplémentaire ? » Elle soupira. « Quoi qu’il en soit, leur avidité est si évidente que mon cœur ne peut être ému. »
J’avais supposé qu’elle aurait préféré les refuser tous, mais plusieurs de ses prétendants ne pouvaient pas être rejetés si facilement. Soit en raison d’un lien personnel avec sa famille, soit parce qu’ils avaient des relations d’affaires qu’elle ne pouvait pas mettre en péril, Mlle Louise ne pouvait pas risquer de faire des vagues. Elle sortait avec ces hommes jour après jour dans ce but. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était de manger avec eux et d’échanger une conversation agréable, mais même cela, au bout d’un moment, était épuisant. Je pouvais compatir.
« Pas un seul bon gars parmi eux, hein ? » avais-je demandé.
Mlle Louise s’était finalement relevée. Ses seins se balançaient avec le mouvement, et ses cheveux étaient en désordre. Elle avait réussi à peigner ses cheveux en douceur avant de me jeter un regard en réponse. « Pas un seul. »
Sa voix ne laissait pas deviner qu’elle plaisantait. Elle n’avait pas l’air d’avoir l’intention de trouver un prétendant, et je pouvais deviner pourquoi elle était dans une telle détresse.
« Serge pèse sur ton esprit, n’est-ce pas ? »
« C-Comme si ! », avait-elle laissé sortir d’un coup.
Même si elle le niait, il était évident que ça la dérangeait. Elle pouvait le détester, mais ça la contrariait qu’il ait disparu. Elle avait un peu trop bon cœur pour faire une méchante convaincante.
Je le savais. Elle n’était pas du tout à sa place.
« Je l’ai aussi cherché, mais je n’ai encore rien trouvé. S’il était mort, nous aurions au moins dû trouver une trace de lui à l’heure qu’il est. Il y a de fortes chances qu’il soit toujours vivant et en bonne santé. »
Mlle Louise semblait soulagée d’entendre que son frère était probablement en vie.
« Même moi, je réalise que je suis allée un peu trop loin avec lui, » dit-elle. « Je peux l’admettre… mais je lui en voudrai toujours pour ce qu’il a fait. »
Il y avait un fossé colossal entre eux deux. Je ne pouvais pas imaginer pourquoi il avait fait ça, mais à l’époque où Serge avait été accueilli dans leur famille, il avait détruit un des précieux souvenirs que Louise avait de son frère biologique décédé. C’était peut-être un enfant à l’époque, mais il y a certaines choses qu’une personne ne peut jamais pardonner. Mlle Louise l’avait détesté depuis.
« Serge s’est fait ça tout seul », lui avais-je dit.
« Je suppose qu’il l’a fait. Mais parfois, je me déteste d’être incapable d’oublier le passé. Je ne peux m’empêcher de penser à l’infâme personne que cela fait de moi. Tu dois aussi être exaspéré par moi, non ? »
Se sentir en conflit avec sa propre haine pour Serge n’était pas suffisant pour m’exaspérer. « Ce n’est pas comme si tu prenais plaisir à son malheur, donc je n’y vois pas de problème. Cela me semble être une réponse parfaitement mature. »
Un petit sourire s’était dessiné sur son visage. C’était peut-être le soulagement de voir que je ne la détestais pas pour sa mesquinerie — ou peut-être était-ce parce que je ressemblais à son petit frère. Ce sont mes meilleures suppositions, en tout cas.
« Merci, » dit-elle. « Je me sens un peu mieux maintenant. »
« Heureux de l’entendre. Dans ce cas, il est temps que je parte. »
Le petit Léon, comme je l’appelais, était un homme populaire, même longtemps après sa mort. Cela montrait à quel point sa famille le chérissait.
☆☆☆
Quand j’étais rentré de ma visite au domaine des Rault, Mlle Cordélia était là pour m’accueillir. Son regard était toujours aussi froid et impitoyable.
« Bienvenue à la maison, Comte. »
Je fronçai les sourcils. « Ça te tuerait d’être un peu plus amicale ? »
« Je vois que vous prenez plaisir à plaisanter. Je voudrais vous rappeler de tenir compte de votre statut. »
Le fait qu’elle ait fait son travail avec compétence était un soulagement bienvenu, mais je pouvais voir qu’elle n’était pas pressée de se faire des amis. Eh bien, je suppose que c’est bien. Mais il y avait quelque chose d’un peu particulier chez elle aujourd’hui.
« Ce qui m’intéresse, c’est de savoir combien de temps vous comptez ignorer cette petite famille et ses problèmes, » dit Miss Cordélia.
« Veux-tu parler de Mlle Yumeria et Kyle ? J’ai essayé toutes sortes de choses, tu sais. Kyle est juste têtu et ça ne mène nulle part. »
Depuis leur dispute, j’avais essayé de les envoyer faire des courses et de leur jouer toutes sortes de tours pour qu’ils se réconcilient. Marie avait fait tout son possible pour faire de même, mais Kyle s’était montré encore plus têtu que prévu. Les deux n’avaient fait aucun progrès.
Mlle Cordélia soupira d’exaspération. « Leurs problèmes ont commencé à interférer avec notre travail ici. Avez-vous envisagé de renvoyer Mlle Yumeria chez vous, à Hohlfahrt ? »
Suggérait-elle que je la renvoie simplement parce qu’elle ne pouvait pas faire son travail pour le moment ? Ça me semblait terriblement froid. Mais vu le sérieux de Mlle Cordélia au travail, c’était probablement une vraie épine dans le pied.
J’avais fait la grimace. « Je ne peux pas m’en empêcher. J’ai un faible pour ce genre de choses. »
Mademoiselle Cordélia semblait vraiment perplexe par ma réponse. « Pourquoi cela ? D’après ce que j’ai entendu, vos parents sont inhabituellement soudés pour un couple d’aristocrates. »
Des regrets de ma vie passée, peut-être ? Je n’avais pas été un bon fils pour eux, alors je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter de ce qui pouvait arriver aux autres. « J’aimerais surveiller Mlle Yumeria encore un peu. Si elle ne peut pas reprendre son travail après cela, je la renverrai avant nous. »
« Très bien. »
Notre conversation terminée, je n’avais fait que quelques pas avant de sentir que quelque chose clochait. J’avais entendu l’écho des cris de Marie dans la salle à manger.
« Combien de fois dois-je vous le dire, bande de crétins ? »
Me demandant ce qui pouvait bien se passer cette fois, j’avais accéléré le pas. Mlle Cordélia semblait tout aussi curieuse de savoir ce qui se passait — elle me suivait. Dès que j’avais jeté un coup d’œil dans le réfectoire, j’avais aperçu Marie, debout, imposante, les bras croisés sur sa poitrine. Son expression ressemblait à celle d’un démon enragé.
Carla se tenait à côté de Marie avec une expression froide, regardant les cinq idiots qui avaient été forcés de s’asseoir sur le sol avec leurs jambes fermement repliées sous eux.
Oh, génial. Les cinq crétins ont encore frappé.
Mlle Cordélia et moi étions restés sur le seuil de la porte, attendant de voir ce qui allait se passer. S’impliquer serait un énorme casse-tête. J’avais appris récemment qu’il valait mieux rester à l’écart et se moquer des pitreries de Marie et de sa bande d’idiots.
Marie avait tapé du pied sur le sol. « Nous arrivons à peine à vivre avec notre budget limité, et vous avez l’audace de me demander de vous acheter des choses dont vous n’avez pas besoin ? Y a-t-il autre chose que de l’espace vide dans vos têtes !? »
D’après ce que j’avais pu en tirer, les cinq idiots l’avaient suppliée pour des trucs.
« M-Mais je dois vraiment les avoir ! » plaida Julius, le premier des hommes réunis à prendre la parole. « Je t’en prie, Marie ! Laisse-moi acheter quelques poulets ! Quelques-uns suffiraient amplement. En plus, elles pondront des œufs, ce qui devrait aussi aider notre budget. »
« C’est très compliqué de les garder, et c’est cher ! »
En voyant comment il se prosternait devant elle, je m’étais demandé ce qu’il voulait tant obtenir. Il voulait garder des poulets, entre autres choses ? Cet homme était autrefois le prince héritier du royaume de Hohlfahrt. À quoi pensait-il en demandant des poulets ?
Brad suivit l’exemple de Julius et se jeta également à ses pieds. « Je veux une tenue de scène ! S’il te plaît, je t’en supplie, Marie ! Je te jure que je vais l’utiliser pour gagner plus d’argent ! »
« Tu n’as pas besoin d’un tas de tenues de scène différentes ! Si tu les veux tellement, gagne l’argent toi-même et achète-les, » lui répondit Marie.
« Eh bien, vois-tu, j’ai en quelque sorte, euh… dépensé tout l’argent que j’avais, donc il ne m’en reste plus — eek ! »
Marie avait encore tapé du pied, faisant trembler Brad de peur.
Greg était le suivant à se mettre à sa merci. Heureusement, il portait un débardeur et un short aujourd’hui. Ouf, il n’est pas à moitié nu pour changer.
« Je veux acheter un nouvel équipement de musculation ! Quelque chose de plus efficace et de plus intense qui m’aidera à entraîner davantage mes muscles ! »
Marie ricana. « Tu peux faire la même chose avec un peu d’ingéniosité et de détermination. Je ne te laisserai pas acheter de nouveaux équipements. »
Son refus froid l’avait laissé en larmes.
merci pour le chapitre