Chapitre 6 : Ideal, le navire de soutien
Partie 3
« Nous avons été créés pour lutter contre les nouveaux humains, pas pour nous engager dans une guerre contre notre propre peuple. Ainsi, il n’existe aucune donnée sur des cuirassés comme nous s’affrontant les uns les autres. »
Donc ils ne sauraient pas comment les choses se passeraient à moins qu’ils ne s’affrontent vraiment. Aha, maintenant je comprends. Luxon n’est pas sûr de pouvoir gagner. Je vais devoir le taquiner à ce sujet plus tard.
Mis à part les projets d’avenir, c’était une bonne chose que nous ayons pu en apprendre un peu plus sur Ideal.
« Donc tu dis que tu as vraiment combattu les nouveaux humains ? » lui avais-je demandé.
« Oui. C’était une guerre brutale. Je suis retourné à notre base afin de faire les préparatifs nécessaires, et c’est là que j’ai attendu l’arrivée de mes nouveaux maîtres. Hélas, une armure démoniaque est entrée dans la base et a presque tout détruit. J’ai eu la chance de survivre, uniquement parce que j’étais resté en veille et que je ne pouvais pas me battre. »
Les sourcils de Lelia étaient remontés à la racine de ses cheveux. « Attends, sérieusement ? Oh, tu parles de l’armure que nous avons vue là-dedans ? C’est ce que tu appelles une “armure démoniaque” ? »
« Correct. »
À l’improviste, Luxon s’était mis à lancer des jurons incompréhensibles, comme il le faisait toujours lorsqu’il était question de ces machins démoniaques. « Asdfghjkl ! »
Lelia s’était repliée contre le mur, gardant ses distances avec lui. « Qu’est-ce qui ne va pas chez toi !? »
« Désolé », avais-je dit. « Il a une véritable haine pour ces trucs d’armures démoniaques. »
Ideal avait fait bouger son objectif de haut en bas comme s’il acquiesçait. « Je comprends ce qu’il ressent. Je les déteste aussi. » Malgré cela, il semblait étrangement calme.
L’œil de Luxon brillait de façon menaçante. « Où est-elle ? Où est cette armure démoniaque ? Nous devons la détruire. Nous devons la décimer au-delà de toute réparation. Tout héritage des nouveaux humains doit être anéanti. »
« Ouais, j’ai vu cette réaction venir à un kilomètre à la ronde », avais-je marmonné.
« S’il te plaît, calme-toi, Luxon. Je me suis déjà occupé de l’armure démoniaque. Elle est partie maintenant », lui assura Ideal.
« Oh, alors très bien. »
Maintenant que Luxon n’était plus sur le point de péter les plombs, je reportai mon attention sur Lelia, toujours plaquée contre le mur du fond. « De toute façon, je pense que nous devrions laisser Noëlle décider de son propre avenir. »
« Pourquoi devrais-je faire ça, hein !? La république a besoin d’elle et de ce jeune arbre ! »
J’avais haussé les épaules. « Si les choses tournent mal et que nous devons repenser nos plans, nous pourrons traverser ce pont quand nous y serons. Mais je ne pense pas que l’Arbre Sacré actuel va devenir incontrôlable. »
« M-Mais… »
Vu comment Monsieur Albergue était maintenant, il ne semblait pas probable qu’il devienne le dernier boss. Mais s’il perdait Mlle Louise, que se passerait-il ? Le désespoir de sa mort pourrait le pousser à bout. La garder en sécurité était la clé pour empêcher le monde de s’écrouler.
Oups, je suppose que ça veut dire que je vais encore devoir sauver le monde. Mec, c’est vraiment dur d’être moi. Surtout depuis que je suis tout le temps en train de sauver l’humanité du désastre.
Blague à part…
« Noëlle a la tête sur les épaules. Mieux que ce que tu lui accordes. Donc… » J’avais laissé le reste en suspens.
Lelia avait baissé les yeux sur ses pieds avant de sortir par la porte.
« Ah, Lady Lelia ! » Ideal l’avait appelée. « Veuillez nous excuser, tout le monde. Lady Lelia ! »
Bientôt, ils étaient partis, laissant Luxon, Marie, et moi.
Marie avait froncé le nez. « Elle a laissé le pouvoir d’Ideal lui monter à la tête. Grand Frère, tu devrais la menacer comme tu le fais toujours. »
« Je ne veux pas. Et en plus, qu’est-ce que tu veux dire par “comme tu le fais toujours” ? »
Elle avait détourné son regard. « Lelia considère Noëlle comme un objet. Si nous lui laissons tout, elle rendra Noëlle malheureuse. »
Bien qu’elles soient jumelles, une chose séparait Lelia et Noëlle, à savoir que Lelia avait des souvenirs de sa vie antérieure au Japon. C’est peut-être pour cela qu’elle ne semblait pas avoir le genre d’affection fraternelle à laquelle on aurait pu s’attendre.
« Alors, que faire ? Luxon, as-tu une idée brillante ? »
« Chaque fois que tu te trouves dans une situation difficile, tu te tournes vers quelqu’un d’autre. Tu dois vraiment penser que ton cerveau n’est qu’une simple décoration, vu que tu ne l’utilises jamais pour trouver des solutions. »
« Je ne suis pas doué pour ce genre de choses. »
« Oh, oui. Tu es toujours mauvais quand c’est inopportun. Mais n’es-tu pas aussi celui qui a dit que tu t’efforçais normalement à être rusé et prudent ? »
J’avais haussé les épaules. « Les humains aiment dire et faire ce qui est le plus facile quand c’est le plus facile. Qu’est-ce que je peux dire ? Pour en venir au fait, qu’en penses-tu ? »
« Toute personne qui obtient un immense pouvoir, que ce soit toi ou un autre, devient arrogante en conséquence. C’est la nature humaine, et personnellement, j’aime bien ça. Je suis sûr que si Lelia était brûlée une fois, elle se raviserait, mais cela sera difficile à organiser compte tenu d’Ideal. Cela dit… »
« Oui ? »
Luxon avait fait une pause. « En fait, non. Ce n’est rien. »
« Maintenant, tu me rends curieux. Vas-y. »
« Cela ne fera que te troubler à ce stade. Une fois que j’aurai suffisamment de preuves, je ferai mon rapport. S’arranger pour sauver Louise est plus important pour le moment, si je ne me trompe pas. »
Oh, merde. Il a raison. J’avais donc concédé. « Ouais, tu as raison. Je suppose que je ferais mieux d’organiser les choses. Oh, et Marie, appelle la brigade des idiots. »
« Bien sûr, mais que comptes-tu leur faire faire cette fois-ci ? »
J’avais souri. « Quelque chose de vraiment amusant. »
Marie avait fait la grimace, consternée.
☆☆☆
Après avoir fui la propriété de Marie, Lelia avait sauté à l’arrière d’une voiture qu’Ideal avait préparée pour elle. Elle avait regardé ses genoux tandis que le véhicule démarrait en direction de sa maison. Ideal était à la place du conducteur, mais il l’avait appelée, essayant de la réconforter.
« Ma dame, s’il vous plaît, ne laissez pas cela vous peser trop lourdement. Je vois la réflexion et la considération que vous avez accordées à Lady Noëlle et à sa situation. »
Lelia avait hoché la tête. « Oui, tu as raison. Personne d’autre ne comprend jusqu’où je suis allée pour ma sœur. Tout ce que j’ai fait depuis ma renaissance… »
Des souvenirs de sa vie passée avaient défilé dans son esprit.
☆☆☆
Dans sa vie antérieure, Lelia avait aussi été une petite sœur. Sa grande sœur était bien plus douée qu’elle, ce qui aurait dû la rendre fière, mais au lieu de cela, tout le monde les comparait constamment.
« Pourquoi ne peux-tu pas être plus comme ta grande sœur ? »
« Tu es une telle ratée. Ta grande sœur était capable de faire ça à son âge. »
Ses parents l’avaient toujours mesurée à sa grande sœur, et l’école n’avait pas fait exception. Lorsqu’elle avait développé des sentiments pour un garçon et qu’elle avait essayé de les communiquer, il avait refusé en disant : « Oh ! Mais tu me rendrais un grand service si tu pouvais me brancher avec ta sœur. »
Lelia considérait sa sœur comme une nuisance. Quand elle avait été plus âgée, elle s’était fiancée à un homme dont la famille dirigeait une entreprise. Il était en lice pour être le prochain président de la société. Il n’était pas très sérieux dans son travail, mais il était beau et agréable à vivre. À l’époque, Lelia était fière de leur relation.
À l’époque, sa sœur sortait avec quelqu’un qui n’était clairement pas dans la même ligue que le partenaire de Lelia, ce qui l’avait poussée à penser, je peux enfin battre ma grande sœur. Non, je l’ai déjà fait !
Elle avait ramené son fiancé chez ses parents pour les présenter, pour montrer à quel point elle s’était améliorée. Au début, ses parents étaient ravis, ils lui avaient dit : « Nous espérons que vous l’accepterez, les défauts et tout le reste. »
Hélas, son triomphe fut de courte durée. Quelques mois plus tard, son fiancé avait commencé à sortir avec sa sœur. Lelia n’arrivait pas à comprendre ce qui s’était passé. Quand elle avait interrogé son fiancé à ce sujet, il n’avait même pas eu honte de son infidélité.
« Ouais, c’est ma faute. Mais on s’entend très bien tous les deux, tu vois. »
La réponse de sa sœur avait été encore plus écrasante.
« Je suis désolée. Mais tu sais, je pense que tu trouveras quelqu’un de bien mieux de toute façon. Alors ne peux-tu pas être heureuse pour nous ? »
Lelia se souvenait clairement du sourire sur le visage de sa sœur, même si elle s’était « excusée », Lelia détestait ça. Elle avait essayé de protester auprès du reste de sa famille, mais ils avaient tous dit la même chose :
« Tu n’étais pas assez bien pour lui de toute façon. »
« Ta sœur est un bien meilleur parti pour lui. Va trouver quelqu’un d’autre. »
Ils ne voulaient même pas lui donner raison. Et donc, elle avait coupé les ponts avec chacun d’entre eux.
Ses expériences lui avaient fait détester le concept même d’une grande sœur avec une passion.
☆☆☆
En pensant à son ancienne vie sur le siège arrière de la voiture, Lelia avait commencé à identifier les similitudes entre cette femme et Noëlle. Lelia détestait l’idée même d’être une petite sœur. Où qu’elle aille, dans son ancien monde ou dans celui-ci, elle était traitée comme une figurante inutile.
« J’ai tout abandonné pour toi. J’ai même choisi l’intérêt amoureux le plus ennuyeux et le moins attrayant. Alors pourquoi les choses ne se passent-elles pas comme je l’avais prévu ? »
Ça l’irritait que Noëlle ne suive pas le mouvement. Elle s’était tenue à l’écart de tous les autres intérêts amoureux, optant pour le moins désirable, mais Noëlle ne leur accordait pas un second regard. Pire encore, de toutes les personnes dont elle aurait pu tomber amoureuse, il fallait que ce soit Léon — qui, comme Lelia, n’était pas originaire de ce monde.
« Ma sœur dans ce monde n’est pas meilleure que celle que j’avais avant. Elles me prennent tout. En plus de cela, c’est elle qui a été choisie comme prêtresse. Je suis née dans la maison Lespinasse, tout comme elle, mais je n’étais même pas qualifiée. »
Lelia enviait le rôle de Noëlle dans l’histoire. Il fut un temps où elle avait naïvement pensé qu’elle pourrait être spéciale elle aussi, puisqu’elle était née en tant que sœur jumelle de la protagoniste, mais la réalité s’était vite effondrée sur elle. Leurs parents lui avaient dit que, contrairement à Noëlle, elle n’avait pas les qualités nécessaires pour être la prêtresse. Cela lui avait fait prendre conscience de quelque chose.
Où que j’aille, je suis juste le compagnon indésirable de ma grande sœur. C’est pourquoi j’ai décidé de vivre une vie humble. Pourquoi est-ce que tu dois te mettre en travers de ça ?
Autant cela l’énervait que Noëlle ne suive pas le script, autant elle était irritée par Léon et tous les autres qui continuaient à donner un coup de main à Noëlle. Bien qu’ils aient été réincarnés dans ce monde comme elle, ils avaient choisi d’aider Noëlle à la place.
« À la fin de la journée, tout le monde choisit toujours ma grande sœur. Je ne suis qu’un accessoire. Mais ça n’a pas d’importance, j’ai ma propre volonté. Mes propres ambitions. »
Alors que Lelia continuait à regarder ses genoux, Ideal avait regardé son reflet dans le miroir arrière, et sa lentille avait clignoté d’un rouge étrange.
merci pour le chapitre