Chapitre 10 : L’utilisateur
Partie 3
Marie avait assisté aux événements du début à la fin alors qu’elle se tenait sur le pont de l’Einhorn, et même maintenant, elle observait le déroulement de la bataille.
La vue de l’ennemi avait rappelé à Anjie le chevalier noir. « Pourquoi une de ces choses est-elle ici ? Mais qu’est-ce qui se passe ? »
Livia avait serré les mains, inquiète. « Penses-tu que Léon va s’en sortir ? »
« Il a pu vaincre le Chevalier noir, mais nous n’avons aucune idée de ce dont cet ennemi est capable. C’est impossible à dire. »
« Oh non ! »
Jilk, Brad, Greg et Chris flottaient autour du Einhorn dans leurs propres armures. Julius s’était retiré sur le pont pour garder un œil sur Loïc.
« Cette espèce de fleur sur l’arbre sacré, est-ce normal ? » demanda Marie à Loïc.
« Non, pas à ce que je sache. » La voix de Loïc commençait par être désinvolte, mais il avait rapidement corrigé son ton, paraissant plus poli quand il déclara : « Je veux dire, non, madame. Ce n’est pas normal. En tout cas, je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose auparavant. Il n’y a pas d’exemple enregistré d’une fleur s’épanouissant sur l’arbre. »
« Alors pourquoi allez-vous jusqu’à l’offrir en sacrifice humain ? »
« La décision a été prise par les chefs des six grandes maisons. Après avoir perdu à plusieurs reprises contre le comte Bartfort, je pense qu’ils sont terrifiés à l’idée que l’Arbre sacré puisse les abandonner. »
Julius avait fait la grimace. « Donc Bartfort est le catalyseur. »
« Je ne suis pas d’accord. Tôt ou tard, je suis sûre qu’ils auraient proposé quelqu’un. La volonté de l’Arbre Sacré est absolue dans la République d’Alzer. Surtout s’il parle de manière à ce que tout le monde puisse l’entendre. Dans ce cas, plus de gens sont susceptibles de croire en lui et en ses demandes. »
Marie se tenait la tête dans ses mains. Si Louise meurt sur nous, Albergue deviendra le boss final ! Je ne veux surtout pas affronter ça ! On a fait tout ce chemin. Tu ne peux pas me dire que tout ça n’avait aucun sens, ou… hein, Noëlle ?
Noëlle se tenait là avec le jeune arbre dans ses bras, observant le champ de bataille à l’extérieur. L’écusson sur le dos de sa main droite brillait faiblement.
Julius gardait également un œil sur la situation. Il était chagriné de ne pas pouvoir sortir et aider. « J’aimerais pouvoir faire quelque chose, mais nous ne ferions probablement que gêner. » Après tout, les Armures que lui et ses amis utilisaient étaient toutes des copies inférieures d’Arroganz. Ce qui signifie que si Arroganz se battait, ils n’avaient aucune chance.
« Julius, ne dis pas ça. Il faut que tu l’aides ! » Marie l’avait supplié. « Même avec Arroganz, Léon ne peut pas battre cette chose, n’est-ce pas ? Mais tu es bien plus compétent en matière de pilotage, je le sais. Je suis sûr que tu peux couvrir la faiblesse de ton armure avec ta technique. »
« Tu te trompes, » dit Anjie.
« Qu-Qu’est-ce que tu veux dire !? »
« Léon est fort. Il lutte seulement parce que son ennemi a pris Louise en otage. Si seulement on pouvait rectifier ce problème, alors Léon serait capable de… »
Avant qu’elle ne puisse finir sa phrase, Noëlle parla : « Laissez-moi faire. »
Les yeux de Marie s’étaient tournés vers Noëlle. Maintenant, le jeune arbre sacré brillait aussi. « Quoi ? Noëlle, qu’est-ce que tu… »
« Si vous voulez sortir Louise de là, il va falloir la convaincre d’abord, » dit Noëlle. « Mais si ça continue comme ça, on ne pourra même pas lui parler. C’est là que j’interviens. Si je peux me rapprocher, ma voix l’atteindra. »
« E-Es-tu sûre de ça !? »
« Je pense que oui, en tout cas, » balbutia Noëlle.
Livia avait secoué la tête. « Non. Nous ne pouvons pas vous laisser vous mettre en danger, Mlle Noëlle. »
Heureusement, Loïc assurait les arrières de Noëlle. « Non, ça a vraiment une chance de marcher. J’ai entendu dire que la Prêtresse pouvait communiquer directement avec le cœur des gens, en supposant qu’ils aient aussi un écusson. J’ai lu quelques histoires relatant ce phénomène, en fait, et selon elles, la Prêtresse peut utiliser l’arbre pour se connecter à d’autres personnes. Si elle peut s’approcher suffisamment pour toucher Louise, elle devrait pouvoir lui parler. »
« Attendez ! » interrompit Marie, qui rechigna à l’idée. « Elle est la prêtresse du jeune arbre, pas de l’arbre sacré. Ce sont deux choses distinctes. On ne peut pas la laisser… »
Avant qu’elle n’ait pu terminer, une lumière blanche avait jailli de Livia, créant des motifs sur sa peau tandis que ses cheveux flottaient vers le haut.
« Gyaaah ! Elle s’allume comme un fantôme ! » cria Marie.
« La ferme, » Anjie l’interrompit. « Livia, es-tu prête pour ça ? »
« Je ne peux pas encore le contrôler entièrement, mais je devrais pouvoir le faire, ne serait-ce que pour un court moment. »
« Je vais t’aider. Noëlle, tu viens aussi. »
Incapable de suivre ce qui se passait, Noëlle fronça les sourcils. « Hein ? Euh, hum… »
Anjie avait attrapé sa main et l’avait tirée. « Vous avez dit que votre voix pouvait l’atteindre, non ? Et que vous pourrez la convaincre ? Alors Livia et moi allons nous y mettre. »
Noëlle accepta timidement la main tendue de Livia. Livia prit doucement le jeune arbre et le plaça entre elles trois. Elles s’étaient tenues par la main en formant un cercle autour de lui, et le jeune arbre commença à briller encore plus fort.
« Ça ne durera pas longtemps », avertit Livia. « Si vous voulez la persuader, faites-le rapidement. »
« J’ai compris. » Noëlle avait fermé les yeux.
Au même moment, l’armure démoniaque à l’extérieur avait ralenti. Marie aurait pu le remarquer si ses yeux n’avaient pas été rivés sur les trois femmes à l’intérieur. Elles étaient enveloppées d’une faible lumière. Marie n’avait aucune idée de ce qui se passait.
Pas du tout. Tu es en train de me dire qu’Olivia accède à son pouvoir de la Sainte toute seule ? Sans aucun objet pour l’aider ? Comment fait-elle ça ?
Choquée par la croissance soudaine de Livia, Marie avait tourné son regard vers l’extérieur.
Maintenant si Noëlle peut juste convaincre Louise…
☆☆☆
Le paysage qui accueillait Noëlle était bizarre.
Incroyable, avait-elle pensé. Avec ça, je vais vraiment pouvoir atteindre Louise avec ma voix.
Elle avait envoyé sa conscience sur un plan psychique. Tout ce qui l’entourait était flou et indistinct. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, ne sachant pas où aller, quand elle sentit quelque chose brûler violemment.
« Par ici, » dit une voix. « Ne vous éloignez pas de nous. »
C’était Anjie. Noëlle avait été surprise de voir qu’Anjie brûlait d’une flamme de haine, et que cette colère était dirigée contre Noëlle.
« Euh, d’accord… »
Les émotions de Livia étaient également visibles, se manifestant par une épaisse et visqueuse boule de jalousie. Elle avait gardé une forme humaine, tout comme Anjie, et en les regardant, Noëlle s’inquiétait de sa propre apparence.
Livia avait serré la main de Noëlle. « Pour l’instant, nous devons faire ce que nous sommes venues faire ici. »
Aussi terrifiée que soit Noëlle, elle était plus préoccupée par le fait de sauver Louise. « O-ouais, je sais. » Elle craignait les émotions des autres filles à son égard, mais elles lui avaient aussi permis de mieux comprendre à quel point elles tenaient à Léon.
Alors que Noëlle chercha Louise, elle jura : « Louise, je vais te ramener coûte que coûte, et tu vas enfin écouter tout ce que j’ai à dire ! »
☆☆☆
Dans le plan psychique de Louise, elle était enlacée par derrière par un Léon plus jeune. Comme ce n’était pas la réalité, ils étaient tous deux complètement nus et leurs silhouettes étaient floues. Mais même s’il était derrière elle et que sa silhouette était déformée, elle pouvait encore sentir sa présence.
« Grande sœur, tu dois le tuer », plaida son petit frère.
« Je le ferai. Quoi que tu veuilles, je m’assurerai que tu l’aies. »
L’armure démoniaque s’était jetée sur Arroganz, exerçant une puissance si écrasante qu’elle avait poussé Arroganz dans un coin. À l’intérieur, il n’y avait que Louise et son petit frère. Elle était vraiment heureuse.
« Léon, nous serons ensemble pour toujours, n’est-ce pas ? »
« Bien sûr que oui. Pour toujours. Et tu feras tout ce que je te demande, n’est-ce pas, grande sœur ? »
« Oui. Je ferai tout ce que tu veux. Après tout, je suis… »
Les intruses — Noëlle, Livia, et Anjie — étaient apparues de nulle part, l’interrompant.
« Elle est là ! » cria Noëlle. « Louise, qu’est-ce que tu fais ? »
« Noëlle ! » Louise cria. L’hostilité roulait sur elle par vagues, déformant le plan psychique.
Anjie jeta ses bras en avant, créant une barrière qui les protégea des attaques magiques de Louise. « Noëlle, dépêche-toi de la convaincre ! »
Livia avait été celle qui avait créé un chemin vers le plan psychique de Louise, mais leur entrée avait été forcée, ce qui signifiait qu’elles ne pouvaient pas y rester longtemps. « S’il vous plaît, soyez aussi rapide que vous le pouvez. Ce… pouvoir que j’ai est difficile à contrôler… »
Voyant la façon dont Livia grimaçait de douleur, Noëlle ne perdit pas de temps. « Louise, ça suffit. Léon n’a dit ces mensonges que pour t’aider. Il voulait te sauver. »
« La ferme, la ferme, la ferme ! N’entachez pas mes précieux souvenirs ! Comment osez-vous vous imposer… ? Vous allez payer pour ça. Je vais vous le faire payer ! » Louise avait perdu la raison.
Son jeune frère, qui l’enlaçait toujours par derrière, avait souri. « C’est vrai. Nous ne pouvons pas les laisser s’en tirer comme ça, grande sœur. Tuons-les. Je les déteste aussi. Tuons-les tous. »
« Oui. Noëlle est l’horreur qui a essayé de te prendre à moi. Nous allons l’anéantir ! » Dès que Louise avait déclaré cela, un blizzard s’était déchaîné autour d’eux.
Alors qu’elle essayait de les chasser de son plan psychique, à l’extérieur, dans le monde réel, l’armure démoniaque avait libéré toute l’étendue de sa puissance. Elle avait drainé tout le mana qu’elle pouvait de Louise pour alimenter ses attaques sur Arroganz.
« Ah ha ha ha ! Tombe en ruine ! Le monde n’a pas besoin d’un faux ! » Malgré toute l’estime que Louise avait pour lui, elle avait l’intention de lui ôter la vie.
Noëlle s’était mordu la lèvre. « Qu’est-ce qui se passe avec toi ? Tu es toujours si calme et posée. Que s’est-il passé ? Tu te souviens de la façon dont tu t’es extasié sur Léon ? »
Le visage de Louise s’était déformé de colère. La haine montait du plus profond d’elle-même. « Qu’est-ce que tu en sais ? C’est toi qui m’as pris Léon ! »
« Louise, essaies-tu de dire que tu… »
« Il était si précieux pour moi. Non, plus que ça, je l’aimais ! Et pourtant, mon adorable petit Léon t’a choisie à sa place. Tu sais à quel point ça m’a vexée ? Et maintenant que j’ai enfin trouvé le bonheur, tu essaies aussi de me l’enlever ! »
La puissance de l’armure démoniaque continuait à augmenter. En un rien de temps, le givre envahit le champ de bataille, recouvrant les feuilles et les branches de l’Arbre Sacré tandis que le blizzard balayait la zone. L’armure brandissait deux lames de glace alors qu’elle se jettait sur Arroganz.
Arroganz avait levé ses bras pour bloquer, mais ils avaient été tranchés.
« Léon ! » Noëlle cria.
Louise avait gloussé. « Ah ha ha ! Maintenant, c’est à mon tour de te voler ton Léon. Il ne restera alors plus qu’un seul Léon au monde, celui qui passera l’éternité avec moi. »
Noëlle lui avait lancé un regard noir. « Penses-tu vraiment que ton petit frère voudrait... »
En dehors du plan psychique, en combattant l’armure démoniaque, Léon avait posé la même question. « Penses-tu vraiment que ton petit frère choisirait de te sacrifier comme ça !? »
Louise s’était figée sur place. « Tais-toi. Un faux comme toi n’a pas à parler de lui ! »
« Quoi ? Tu l’as déjà réalisé ? » Léon s’était moqué. « Je vois. Tu faisais juste semblant d’être ignorante. Tu ne peux pas le nier, n’est-ce pas ? Toutes les histoires que toi et ta famille m’avez racontées sur ton frère étaient claires : ce n’est pas le genre de type à sacrifier sa propre sœur. »
Le cœur de Louise avait vacillé. Il a raison, a-t-elle pensé. Léon ne me sacrifierait jamais. Mais c’est juste parce qu’il s’est senti si seul tout ce temps.
Après s’être convaincue, elle s’acharna sur Arroganz. « N’essaie pas de me manipuler ! »
« Le problème, c’est que je pense que tu es déjà manipulée. Pourquoi ne pas tester pour voir si c’est le vrai Léon ou pas ? S’il l’est, alors il devrait être capable de répondre à n’importe quelle question que tu lui poses. »
Louise avait cessé de bouger.
Inquiet, le garçon qui s’accrochait à son dos demanda : « Qu’est-ce qui ne va pas, grande sœur ? »
Louise jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, pour essayer de voir son visage. La silhouette était si floue qu’il était difficile de le distinguer. « Léon… Léon, que penses-tu de Noëlle ? »
« Pourquoi demandes-tu ça tout d’un coup ? Cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas ? »
Une fois que la graine du doute était plantée dans son esprit, elle semblait ne faire que grandir. Louise devait être certaine.
« Ne te souviens-tu pas de Noëlle ? Tu dois t’en souvenir. Vous vous entendiez si bien, et vous avez tellement joué ensemble. Tu te souviens ? Comment tu te faufilais dehors juste pour passer du temps avec elle ? »
Noëlle était restée bouche bée. « Quoi ? »
Comprenant ce que Louise essayait de faire, Anjie avait mis une main sur la bouche de Noëlle. « Restez tranquille. Les choses pourraient prendre une tournure intéressante. »
Anxieuse, Louise ne cessait de demander à la silhouette floue de répondre. « Ça ne te rappelle rien ? Vous étiez fiancés, et vous étiez si proches. »
Son petit frère avait souri. « C’est vrai. Je m’en souviens. Mais tu es la personne la plus importante au monde pour moi, grande sœur. »
Louise avait secoué la tête. « Non. Léon a toujours chéri Noëlle plus que tout. Après leurs fiançailles, il n’y avait qu’elle. Je suis arrivée en seconde. Qu-Qui êtes-vous ? Pourquoi avez-vous sa voix et son visage ? » Elle avait rapidement mis de la distance entre elle et l’imposteur.
Noëlle tendit la main et la saisit. « Louise, dépêche-toi ! Par ici ! »
Hélas, la forme de l’imposteur s’était lentement transformée en une inquiétante armure démoniaque. « J’étais si près du but. Ah bon. Je suppose que je peux encore me servir de toi. »
Il avait tendu son énorme main et avait attrapé Louise. Au même instant, Noëlle et les autres filles avaient été expulsées de son plan psychique.
« Louise ! » Noëlle avait tendu une main vers elle. Louise l’avait attrapée, mais elles étaient trop loin. Les filles avaient été expulsées, et Louise avait été absorbée par l’armure.
« Bien. Maintenant, je peux recommencer à déchaîner ma fureur. Une fois que je t’aurai utilisé pour ce que tu vaux, je devrai trouver un remplaçant », dit l’armure en dévorant l’énergie de l’emblème de Louise, ce qui lui donnait encore plus de puissance.
merci pour le chapitre