Chapitre 10 : L’utilisateur
Partie 1
« GAH ! »
Après que Serge ait enfoncé le manche de sa lance dans mon estomac, je m’étais retrouvé recroquevillé sur le sol, à vomir. Aussi coupable que je me sois senti de salir la chambre où logeait Mlle Louise, je n’avais pas le luxe de me soucier de l’hygiène. Alors que j’étais meurtri, Serge n’avait pas l’air d’avoir souffert, comme si le combat venait de commencer. Simplement, aucune de mes attaques n’avait touché sa cible.
« Comment diable fais-tu pour être aussi fort ? » avais-je marmonné.
Serge était certainement puissant. Très puissant. J’avais entendu dire auparavant qu’il avait suivi une formation d’aventurier, mais je n’avais pas imaginé que c’était à ce point.
Alors que je luttais pour me remettre, Serge m’avait frappé avec son pied. Ses attaques étaient aussi impitoyables que sa personnalité.
« Est-ce tout ce que tu as dans le ventre ? Où est le héros dont j’ai tant entendu parler ? Est-ce vraiment le Chevalier Ordure ? Ton seul pouvoir vient de l’artefact perdu. Sans lui, tu n’es rien. »
Il avait écrasé son pied sur moi, et j’avais dû serrer les dents. Du sang avait coulé sur mon menton. Je m’étais soulevé du sol. Je pensais qu’il s’épuiserait à force de me frapper, mais Serge était toujours aussi impatient.
« Haaah… Haaah… » J’avais sifflé. « Tu as vraiment de la combativité en toi. »
Normalement, l’endurance d’une personne devrait être épuisée à force de me frapper aussi continuellement qu’il le faisait, mais vu qu’il n’était même pas près de haleter, j’avais senti que quelque chose n’allait pas.
Serge m’avait regardé pendant que je me relevais. Il avait sorti quelque chose de sa poche — une petite bouteille remplie de liquide. Il l’avait bu à petites gorgées avant de jeter la fiole vide.
« Drogues, hein ? »
« Des améliorants corporels. Comme ça je peux continuer à te frapper. » Serge avait jeté un coup d’œil à Mlle Louise. Il parlait plus à son intention qu’à la mienne.
Mlle Louise était entourée de ses servantes. Son visage était pâle et elle secouait la tête. « N -non. S’il te plaît, arrête ça. »
Serge avait ouvert les bras. « Le plaisir ne fait que commencer ! Tu seras aux premières loges quand il commencera à vomir du sang, et tu pourras le voir mourir misérablement, les entrailles s’écoulant partout. »
C’est un peu extrême. Mais je suis plus préoccupé par ces médicaments. Marie les a mentionnées dans son journal. Elles donnent à l’utilisateur un regain de force temporaire. C’est un objet standard du jeu.
« Alors tu as même apporté des stéroïdes à ce combat, » avais-je dit.
« Pas de règles dans un match à mort. »
J’étais d’accord avec lui sur ce point — même si je n’en avais pas eu l’occasion, étant donné que son gros poing m’avait frappé et m’avait fait voler. Mon dos avait heurté un mur, qui s’était fissuré sous l’impact.
« Urgh ! » Le sang avait giclé entre mes lèvres.
Mlle Louise avait repoussé ses servantes et s’était précipitée vers moi, se plaçant devant moi de manière protectrice, les bras écartés.
Serge plissa les yeux. « Qu’est-ce que tu crois faire ? »
« Je ne peux pas laisser faire ça. Ne blesse pas Léon plus que tu ne l’as déjà fait. »
« C’est lui qui a commencé ! »
« Ça n’a pas d’importance ! Je veux que tu arrêtes ! »
Serge prit position avec sa lance, et les servantes lui crièrent dessus : « Seigneur Serge ! Lady Louise doit encore remplir son rôle ! Nous avons reçu l’ordre de l’emmener au sommet de l’arbre saine et sauve ! »
Il avait baissé son arme, me regardant froidement. « Je suis déçu par toi. Je pensais que tu te serais plus battu. »
Je grimaçais encore de douleur quand Mlle Louise m’avait aidé à me relever. Nous avions commencé à sortir de la chambre ensemble, ce qui avait incité ses servantes à nous arrêter. Mlle Louise leur avait dit d’un ton sec : « Restez en arrière ! Je ne vais pas m’enfuir, pas après avoir fait tout ce chemin. Mais si nous restons, Serge va probablement tuer Léon. Je l’emmène juste dans un endroit sûr, et je reviens tout de suite après. » Elle m’avait prêté son épaule, et j’avais réussi à sortir de la pièce en boitant.
☆☆☆
Louise soutenait Léon sur son épaule lorsqu’ils entrèrent dans le couloir. Ses larmes ne s’arrêtaient pas. Voir Serge frapper un homme identique à son défunt frère la remplissait d’une tristesse que les mots ne pouvaient exprimer.
« Tu es vraiment un idiot ! », l’avait-elle grondé.
« Ah ha ha. Désolé. »
Avant de quitter le domaine de sa famille, le père de Louise lui avait dit que le message de Léon était des excuses. Elle n’avait pas compris ce qu’il voulait dire, mais maintenant elle le comprenait.
« C’est donc ce que tu voulais dire », avait-elle dit.
« Es-tu en colère contre moi ? »
« Bien sûr que je le suis ! Tu as provoqué un incroyable désordre. J’implorerai la clémence en mon nom avant de mourir, mais je n’ai aucune idée de la façon dont les choses vont se passer. »
Louise avait toujours l’intention de se sacrifier, mais elle était prête à apporter le soutien qu’elle pouvait. Elle n’avait aucun moyen de savoir si ça aiderait une fois qu’elle serait partie.
« Il n’y a aucune raison pour toi de te pousser comme ça », avait-elle poursuivi. « J’ai choisi cette voie. Je te l’ai déjà dit, je suis contente d’être un sacrifice. Je veux aller aux côtés de Léon. »
En vérité, Louise avait peur. Une partie d’elle voulait que quelqu’un la sauve. En même temps, Louise ne pouvait pas supporter les cauchemars qu’elle faisait chaque nuit de son frère souffrant. Elle s’était convaincue qu’il ne se sentirait pas seul si elle était à ses côtés. C’était une façon de se faire pardonner pour avoir été impuissante face à sa mort, toutes ces années auparavant. Elle s’était résolue.
À sa grande surprise, Léon lui déclara : « Tu as toujours été très à cheval sur le devoir, même quand tu étais plus jeune. »
« Hein ? » Louise était perplexe. Léon parlait comme s’il l’avait connue à l’époque, alors qu’ils ne s’étaient rencontrés que récemment. Elle n’était pas en mesure de répondre, cependant, son insomnie l’avait privée de sommeil, ce qui avait affecté son jugement.
« J’avais prévu de tenir notre promesse d’assister ensemble au Festival du Nouvel An et de disparaître, mais ce stupide Arbre Sacré s’est mis en travers de mon chemin et a tout gâché. »
« De quoi parles-tu ? »
« C’est moi. Je veux dire, je suis ton Léon. N’as-tu pas compris ? »
« Arrête avec les blagues ! Ce n’est pas drôle ! »
Léon parlait comme s’il était réellement son frère mort, mais c’était impossible. Du moins, Louise voulait que ça le soit.
Léon avait passé une main sur son estomac, grimaçant même s’il avait forcé un sourire. Cela lui faisait mal au cœur. « Il y a longtemps… longtemps, quand nous dormions dans le même lit, je t’ai accusé d’avoir mouillé le lit. Tu te souviens ? Tu étais tellement énervée que tu n’as pas voulu me parler pendant une semaine. »
Louise n’avait jamais raconté cette histoire à l’autre Léon. « Comment peux-tu savoir ça ? »
« Je voulais m’excuser, alors j’ai fait une bague en papier et je te l’ai donnée en cadeau. Tu ne m’as pardonné qu’après avoir admis devant tout le monde que c’était moi et t’être excusé. »
Il s’était tellement emporté après qu’elle ait finalement cédé qu’il avait prétendu que la bague était un symbole de leur promesse de se marier un jour. C’était un souvenir plutôt embarrassant pour eux deux, alors elle avait essayé de ne pas en parler.
Les larmes sortaient plus vite. « Pourquoi.. Pourquoi ne me le dis-tu que maintenant !? »
Léon avait enveloppé Louise dans ses bras et lui avait expliqué doucement : « Cela ne ferait que te causer des problèmes si j’arrivais de nulle part, après m’être réincarné dans un nouveau corps. Ça ne me dérangeait pas de passer en coup de vent. Je voulais revoir tout le monde. »
« Tu aurais dû me le dire ! Pendant si longtemps, je… Je voulais m’excuser auprès de toi ! » Louise sanglota contre la poitrine de Léon. Elle voulait en dire plus, mais les mots ne sortaient pas. Elle était maintenant convaincue que sa première intuition au sujet de Léon était juste, et elle croyait pleinement qu’il était la réincarnation de son petit frère. Elle avait ignoré les incohérences, se concentrant plutôt sur ce qu’elle voulait être vraie.
« Je savais que tu braillerais comme ça, alors je n’ai rien voulu dire. Je ne t’en veux pas. Je te l’ai dit à la fin, n’est-ce pas ? »
Louise acquiesça, se souvenant des dernières heures de Léon. Elle n’avait rien pu faire d’autre que de le regarder souffrir.
« Penses-tu sérieusement que je voudrais que tu te sacrifies pour moi ? Je te souriais à la fin, n’est-ce pas ? »
« Oui. Oui, tu l’as fait. »
☆☆☆
Alors que la mort se rapprochait du petit frère de Louise, des médecins réputés se pressaient dans sa chambre, les yeux rivés au sol. Aucun d’entre eux n’avait été capable d’aider, même si Albergue suppliait pour son salut.
« Je vous donnerai tout ce que vous voulez ! Alors s’il vous plaît, sauvez mon fils ! Vous êtes des experts renommés — j’ai entendu dire que vous pouviez même ramener les morts à la vie ! »
L’un des médecins secoua la tête. « Les morts ne peuvent pas être ressuscités. C’est une rumeur exagérée. Bien que je pense que l’état de votre fils soit une honte, je ne peux en discerner la cause. Je ne peux même pas commencer à deviner pourquoi son corps s’est détérioré de cette façon. C’est presque comme si son âme se battait pour quitter sa chair. »
Aussi étrange que cela puisse paraître, Léon n’était pas atteint d’une quelconque maladie, son corps dépérissait sans raison apparente. C’est pourquoi aucun des médecins ne pouvait faire quoi que ce soit pour lui.
« Un shaman a dit la même chose ! Si c’est vrai, alors aidez-nous à clouer son âme en place ! »
Naturellement, Albergue avait également rassemblé des experts dans ce domaine particulier, mais tous avaient abandonné.
« Nous sommes des médecins, pas des chamans. »
Albergue avait serré les poings si fort que ses ongles avaient creusé dans la peau douce de ses paumes, faisant couler le sang.
Louise avait serré une des mains de Léon dans la sienne. « Tu ne peux pas mourir, tu entends ? Nous avons fait des promesses, tant de promesses. Je ne te laisserai jamais tranquille si tu les romps et si tu me quittes. Tu vas être le Gardien, tu te souviens ? Et nous allons nous marier, n’est-ce pas ? »
Léon lui avait souri malgré la douleur, ce qui n’avait fait qu’aggraver son mal de cœur.
« Désolé. Je vais tenir ma promesse envers toi. Quand tu auras des problèmes, je te jure… que je sauterai dans le vide… pour te sauver. » La douleur s’était réveillée, et il n’avait pas pu continuer.
Louise avait secoué la tête et avait placé ses bras autour de lui. Comme un enfant, elle s’était accrochée désespérément à lui, comme si cela pouvait enraciner son âme en place.
« Ne me laisse pas ! Ne laisse pas ta soeur derrière toi ! »
Léon était mort le même jour.
merci pour le chapitre