Le manuel du prince génial pour sortir une nation de l’endettement – Tome 6 – Chapitre 3 – Partie 2

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Chapitre 3 : La couronne arc-en-ciel

Partie 2

« Je suis terriblement désolée de mon comportement disgracieux. Je ne savais pas que vous étiez le prince de Natra. »

Wein avait proposé qu’ils prennent d’abord le petit-déjeuner, même s’ils avaient beaucoup de choses à discuter. Toutes les parties avaient englouti le repas de Ninym jusqu’à ce qu’elles soient modestement rassasiées. Apis, la servante de Felite, inclina immédiatement la tête lorsqu’ils eurent terminé.

« Quand je pense que j’ai levé une épée contre celui qui a sauvé Maître Felite… J’ai honte. »

Felite avait aussi la tête baissée. « C’est de ma faute. J’aurais dû envisager ça et vous tenir informé de la possibilité qu’elle soit ici ou qu’elle arrive pendant que nous sommes sur cette île. J’espère que vous me pardonnerez. »

Wein acquiesça, s’asseyant en face d’eux. « La situation l’exigeait. Je ne vous en veux pas. »

Felite était trop épuisé pour tenir une simple conversation avec Wein. Il aurait été injuste d’attendre de lui qu’il anticipe les agissements d’Apis dans son état.

Bien sûr, Ninym semblait peu encline à pardonner à quiconque qui avait levé l’épée contre Wein, même dans les circonstances actuelles. Il lui lança cependant un regard, l’avertissant de se contrôler, ce à quoi elle se plia à contrecœur. Si Wein avait reçu serait-ce que la moindre égratignure, les choses auraient mal tourné. Heureusement pour tout le monde, ils avaient réussi à régler les choses sans se blesser.

« Il y a quelque chose de plus constructif dont nous pourrions discuter, » déclara Wein.

Felite avait hoché la tête. « Vous avez raison. Décortiquons la situation. Comme vous le savez, je suis Felite Zarif, le deuxième fils d’Alois. J’ai été capturé par mon frère aîné lors de son raid et jeté en prison, Alois étant mort dans le chaos. »

« Et je suis le prince de Natra, venu rencontrer Alois pour négocier un accord commercial. J’ai été capturé par le vaisseau de patrouille de Legul et fait prisonnier. Je parie que vous ne vous attendiez pas à ce qu’un prince étranger soit dans la cellule juste à côté de vous. »

« En effet… Alors vous êtes vraiment le Prince Wein. »

« Désolé d’avoir menti. Je ne pouvais pas révéler mon identité à un étranger dans notre situation. »

« Je comprends parfaitement. » Felite avait tourné son regard vers son serviteur. « Apis, je dois te demander : pourquoi es-tu venue sur cette île de ton propre chef ? Je croyais t’avoir chargé de réunir les chefs des îles. »

« … » Elle avait l’air troublé, soudainement agenouillée devant lui. Sa voix était tendue. « Je suis vraiment désolée… J’ai trahi votre confiance en moi… ! »

Wein et Ninym s’étaient regardés l’un et l’autre.

Felite avait fermé ses yeux hermétiquement. « Alors tu as perdu… la Couronne Arc-en-ciel. »

« Oui… ! Je suis vraiment désolée… ! »

La couronne arc-en-ciel.

Elle avait été évoquée lors de la conversation de Felite et Legul en prison et dans la légende du livre à la bibliothèque.

« Elle appartenait au dieu de la mer Auvert. Un des grands trésors de Patura, non ? »

« Exactement. Il y a cent ans, mon ancêtre et le prêtre de l’époque — Malaze — a brandi la couronne arc-en-ciel devant le peuple, la présentant comme un cadeau du dieu de la mer. »

On disait que lorsque la lumière frappait ce trésor, il brillait dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, donnant le pouvoir de contrôler la mer et le ciel à volonté. Lorsque d’autres nations menaçaient Patura, les Ladu utilisaient la Couronne Arc-en-ciel pour les repousser.

Pour quelqu’un comme Wein, né et élevé à Natra, la légende était au mieux douteuse, mais ce n’était pas le cas pour les habitants de Patura. Beaucoup d’habitants de l’île croyaient que la Couronne Arc-en-ciel avait un tel pouvoir.

Il était logique que Levetia n’ait aucune influence sur ces îles. Pour le peuple de Patura, c’était la nation sainte protégée par le dieu de la mer et le pouvoir de la Couronne Arc-en-ciel.

« La Couronne Arc-en-ciel est-elle vraiment si extraordinaire ? » demanda Wein.

« Oui… Son pouvoir magique captive ceux qui le regardent, moi y compris. Mais sa capacité à contrôler la mer et le ciel n’est qu’un canular lancé par Malaze, » répondit Felite. « Lorsque des situations d’urgence se présentaient, il faisait courir le bruit que tout était résolu par le pouvoir de la Couronne Arc-en-ciel. Chaque fois qu’une tempête se préparait, il l’attribuait au trésor. Il n’a pas fallu longtemps pour que les habitants de l’île acceptent cette vérité. En plus de cent ans, c’est devenu un symbole de Patura. »

Tout devait cimenter l’autorité du Zarif. Tant que le peuple pensait que la Couronne Arc-en-ciel était dotée du pouvoir du dieu, le Zarif pouvait commander ces eaux.

Wein pensait que c’était une stratégie brillante. Une telle chose était plus facile à dire qu’à faire. Il devait y avoir des périodes où il semblerait que la couronne pouvait perdre son emprise sur le peuple — comme lorsqu’elle ne tenait pas ses promesses. Malgré cela, ce petit canular avait tenu bon, même après un siècle et plusieurs générations. La Couronne Arc-en-ciel continuait à posséder son prestige. Mais il y avait quelque chose d’ironique dans toute cette histoire.

La Couronne Arc-en-ciel avait été volée parce qu’elle avait trompé les gens un peu trop bien.

« Qui était le traître, Apis ? »

« … Sire Rodolphe, » répondit-elle, presque à voix basse. « Grâce à votre rôle d’appât, jeune maître, j’ai pu prendre la Couronne Arc-en-ciel et échapper à Legul et à ses poursuivants. Cependant, ses subordonnés surveillaient Sire Voras, dont vous aviez initialement demandé l’aide. Je n’ai pas pu entrer en contact avec lui… »

« Donc tu l’as confié à Rodolphe. » Felite leva les yeux au plafond. Après quelques secondes de silence, il regarda Wein et expliqua. « Rodolphe soutient les Zarifs depuis très, très longtemps. Il fait partie des Kelil, mon père lui faisait confiance… Il semble qu’il ait été envoûté par la magie de la couronne arc-en-ciel… »

« Oui… » Apis était d’accord. « Il a volontiers accepté de vous aider quand je lui ai apporté la couronne, mais il vous a abandonné maintenant, complotant pour devenir le prochain Ladu dès que Legul et les autres Kelils se seront écrasés… »

« Nous avons peut-être réussi à nous échapper, mais nous ne pouvons plus faire confiance à personne maintenant que Rodolphe nous a trahis. Maintenant que la Couronne Arc-en-ciel a été volée, il sera difficile d’unir le peuple sous mes ordres. J’imagine que tu pensais pouvoir me sauver toi-même et que tu es venue ici pour te préparer, non ? »

« Oui… Je suis tellement désolée, jeune maître… » Les larmes coulaient sur les joues d’Apis. Felite avait doucement caressé les cheveux de son serviteur.

« Pas besoin de pleurer, Apis. C’est dur, mais ce n’est pas le pire qui puisse arriver. On est tous les deux en sécurité. Soyons reconnaissants pour cela. » Felite s’était tourné vers Wein. « Prince Wein, c’est notre situation. »

« On dirait que vous avez vraiment été poussé dans un coin. »

« C’est embarrassant. Je n’ai pas de soldats, pas de richesse, et pas d’autorité. »

Wein pouvait sentir une grande puissance dans le regard de Felite.

« Prince Wein, je voudrais vous demander votre aide pour reprendre l’archipel de Patura. »

 

+++

 

Wein savait que cela arriverait.

Felite avait été laissé à lui-même. En réalité, c’était pire. C’était une situation désespérée à laquelle il n’y avait pas d’échappatoire.

Après tout, le prince étranger qui le rejoignait à la table du petit-déjeuner n’était pas un allié. Les deux individus n’étaient rien de plus que des partenaires de voyage accidentels.

« Je comprends que pour vous, Prince, ce n’est rien de plus qu’un malheureux accident. Personne ne vous reprochera de fermer les yeux sur cette situation et de retourner dans votre pays. Mieux encore, vous pourriez divulguer des informations sur la Couronne Arc-en-ciel et livrer ma tête coupée à Legul en cadeau. »

Apis avait fait un bond. Il semblerait qu’elle n’y avait pas pensé. Quand elle avait réalisé qu’elle avait fait une gaffe, elle s’était préparée à affronter Wein, mais Felite l’avait arrêtée.

« Vous, cependant, n’avez fait aucun effort pour partir. Je vois qu’il y a matière à discussion. Qu’en dites-vous ? »

« … Vous me mettez dans une situation difficile. » Wein avait esquissé un sourire en coin. « Je n’aurais jamais imaginé vous livrer à Legul, mais c’est une option, maintenant que vous le dites. »

Un mensonge blanc. Wein avait déjà pris en compte cette idée. Il avait même donné l’ordre aux deux soldats en attente d’être prêts à se précipiter sur Felite à tout moment.

« En d’autres termes, vous avez besoin de moi pour servir d’allié. Il me semble que vous n’avez pas beaucoup de moyens de négociation dans cette situation, Sire Felite. C’est audacieux de votre part, mais je vais faire preuve d’un peu de pitié. »

« Honnêtement, je suis tellement nerveux que j’ai l’estomac noué… Si je peux me permettre, j’essaierais quand même de vous gagner comme allié même si ce n’était pas par nécessité. »

« Oh ? » Cela avait certainement attiré l’attention de Wein. « Pourquoi ça ? Je déteste vous dire que je n’ai pas amené d’hommes ou d’argent avec moi. Même si nous faisons équipe, je ne m’attends pas à ce que nous soyons d’une grande aide. »

« Je comprends. Pourquoi ne pas le voir de cette façon ? J’ai perdu mes troupes, ma richesse, mon influence… et même ma dignité maintenant que je me suis fait prendre une fois par Legul. Je ne contrôlerai plus jamais ces eaux si je n’ai pas votre entière coopération. »

« Kch. » Un son s’était échappé des cordes vocales de Wein.

Seule Ninym avait réalisé qu’il essayait de retenir un rire.

Felite continua. « Il s’agit d’une bataille préliminaire. J’évalue mes propres compétences pour voir si je peux affronter l’épreuve qui m’est imposée et vous convaincre de former une alliance avec nous. »

L’homme avait regardé Wein, les yeux brillants de confiance.

« … C’est audacieux de jouer avec la royauté pour tester sa force. » Les lèvres de Wein s’étaient retroussées en un sourire. « Très bien. Si vous allez si loin, je peux vous prêter une oreille. Comment allez-vous nous aider ? »

« Dès que nous aurons repris Patura, nous commercerons avec vous selon vos conditions. »

« Hmm. Quelque chose d’autre ? »

« Nous vous fournirons des navires et vous dévoilerons nos techniques de construction navale. Nous pouvons également vous proposer des cours de matelotage. »

« Merveilleux. Et ? »

« Si Natra entre en guerre contre une autre nation et a besoin d’une flotte navale, nous vous viendrons en aide. »

« Oui, oui, je vois…, » Wein acquiesça. « C’est loin d’être suffisant. »

Il avait complètement fait taire Felite.

« Un festin de promesses vides, c’est bien et tout, mais vous ne parlez qu’après avoir battu Legul. Vous n’avez pas assez de ressources pour me faire croire à votre victoire. »

C’était un refus froid, mais Felite n’avait pas reculé.

« Je comprends où vous voulez en venir. C’est pourquoi je vais vous faire une dernière offre. »

« Oh, et qu’est-ce que ça peut être ? »

« L’histoire du Zarif, » avait-il répondu. « Je vous donnerai tout ce que le Zarif a enregistré sur Patura. »

« Oh ! » Les yeux de Wein s’étaient agrandis. Sa réaction avait encouragé Felite à continuer.

« Si les rumeurs vous concernant sont vraies, vous comprendrez la valeur de mon offre. En vérité, cette bibliothèque est remplie d’informations sur l’île, écrites par les Zarifs, dont votre serviteur. Je vais utiliser ces documents pour faire tomber Legul. »

Felite avait visé le bon endroit.

La famille royale de Natra avait deux cents ans d’histoire accumulée. C’est précisément pourquoi Wein avait compris la valeur d’une telle bénédiction.

« … Pourquoi nous donner une chose aussi importante ? »

« L’autorité de la Couronne Arc-en-ciel est devenue trop puissante. Elle n’a fait qu’induire en erreur les habitants de l’île — et les Zarifs eux-mêmes. Elle rend ces documents inutiles. Je les ai préservés parce que je crois qu’ils représentent les véritables espoirs des Zarifs. »

Il avait pris une profonde inspiration.

« Eh bien, Wein Salema Arbalest ? Vaisseaux ! Hommes ! Compétences ! Histoire ! Suis-je assez digne pour que vous tentiez votre chance avec moi !? »

La pièce était silencieuse. Apis et Ninym regardèrent leurs maîtres, bouche bée.

Après un moment de silence angoissant, Wein avait pris la parole. « … J’aimerais savoir ce que vous comptez faire ensuite. »

 

 

« J’ai besoin de la Couronne Arc-en-ciel si je veux créer un groupe contre Legul. Pour y parvenir, je vais contacter des Kelils à huis clos. Il y a une carte marine détaillée de Patura parmi nos documents, ainsi que des informations sur les Kelil. Je m’en servirai pour demander de l’aide et reprendre la Couronne Arc-en-ciel à Rodolphe. »

« Ça ne marchera pas. » Wein avait mis fin au plan de Felite sur-le-champ. « Il sera déjà trop tard. Pendant qu’on s’embourbera dans la tâche de persuader chaque Kelil, Legul prendra ses navires et arrachera la couronne des mains de Rodolphe. »

« Ngh... » Felite était resté sans voix.

Wein se tourna vers son aide. « Ninym, apporte les cartes marines et tous les documents sur les Kelils de la bibliothèque. »

« Oui, compris. » Ninym s’était immédiatement levée d’un bond pour quitter la pièce.

« Prince Wein… Qu’est-ce que vous… ? » Felite avait l’air perplexe.

« Vous m’avez montré votre valeur, Sire Felite. » Wein s’était tourné vers l’homme et lui avait souri.

« Maintenant, c’est à mon tour de prouver que je suis un allié digne de vous. »

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