Chapitre 2 : De l’incident surprise à la rencontre surprise
Partie 1
Un navire traversait la mer d’un bleu marin éclatant.
Ses mâts s’étiraient en hauteur et le fond du navire se gonflait en forme de bulbe, lui donnant la forme d’un gland fendu en deux. Il avait la taille d’une petite colline. Seuls des arbres aussi hauts que le ciel pouvaient produire un gland de cette taille.
Ce type de navire était connu sous le nom de « caraque » et servait principalement de navire de commerce pour traverser les océans. Il n’était pas propulsé par des humains qui ramaient à l’aide de rames, mais par trois voiles blanches et épaisses accrochées aux mâts pour capter le vent.
Cette fois, le bateau ne faisait pas une expédition. Il transportait le représentant de Natra — Wein — vers l’archipel de Patura.
« Gweh... »
En ce moment, le représentant en question était affalé sans énergie sur le canapé de sa cabine. Mal de mer.
« Tu es comme ça chaque fois que tu es en mer. Tu te sens toujours mieux quand on arrive au port et qu’on touche terre… On dirait que tu ne t’entends pas avec les bateaux, Wein. »
Ninym l’observait avec inquiétude depuis une chaise à côté de lui. Elle se sentait bien.
« J’ai été moi-même surpris… Ce n’est pas seulement le balancement du bateau… Je veux dire, le temps… »
« Oui. Il fait chaud pour le début du printemps. »
Patura était à l’extrême sud du continent. Évidemment, son temps allait être différent de celui de Natra. Wein était légèrement vêtu, mais son corps avait du mal à s’adapter au changement extrême de température, d’autant plus qu’un hiver brutal venait de se terminer dans le Nord.
Non pas qu’il soit faible. Ninym était juste spéciale. Elle avait l’habitude de naviguer dans ces circonstances peu familières — du voyage en bateau au climat extrême — avec un simple changement de tenue.
« Nous devrions arriver sur l’archipel de Patura dans le courant de la journée. Essaie de tenir bon jusque-là. »
« Euh-Hm… Je vais essayer. »
Ninym n’était pas totalement honnête. Elle le disait surtout pour le consoler. En quittant le port de Soljest, le navire avait fait un circuit vers l’ouest, s’arrêtant dans quelques ports pour s’approvisionner, et il était maintenant dans la dernière ligne droite. Patura était juste à sa portée.
Si tout allait bien, le navire arriverait à un moment donné dans la journée. Le problème était qu’il était impossible de prévoir les caprices de la mer. Si le navire était pris dans une tempête, l’arrivée à bon port n’était garantie pour personne.
« Eh bien, tu sais où je serai, » avait marmonné Wein. « Fais-moi savoir quand tu verras Patura… »
« Compris. Je serai à l’extérieur. »
Elle s’inquiétait pour lui, mais ce n’était pas comme si son mal de mer allait s’améliorer avec elle qui le surveillait.
« Espérons que notre voyage de retour se fera sur la terre ferme…, » gémit Wein par-derrière en se glissant hors de la cabine.
« — Omph. »
La porte n’était qu’à un pas du pont du navire. Ninym s’était imprégnée de l’air salin et des rayons puissants. Elle avait effleuré ses cheveux rebelles avec sa main, se dirigeant vers la proue du navire.
« Oh, si ce n’est pas Ninym. »
La voix appartenait à Tolcheila. Elle devait être en train de contempler l’océan avec ses assistants. Le balancement du bateau ne l’avait pas troublée. La princesse s’était approchée de Ninym d’un pas assuré et pratiqué.
« Comment se porte le prince ? »
« C’est mieux, mais il aura besoin de se reposer. »
Un mensonge blanc. Ninym avait besoin de sauver la face pour le bien de son chef.
« Hmm. Alors, c’est probablement mieux que nous arrivions rapidement à Patura. C’est dommage qu’il ne puisse pas profiter de cette vue. » Tolcheila regarda l’océan et secoua la tête en signe de déception.
Ninym la regarda. Tel père, telle fille, pensa-t-elle. Elle est tellement fonceuse.
Bien que ce soit Tolcheila qui se soit portée volontaire pour servir d’intermédiaire, la princesse héritière les accompagnait à l’autre bout du continent. Cela avait déclenché l’humeur pourrie de Falanya, mais Ninym ne s’était jamais attendue à ce qu’une membre de la famille royale soit aussi accommodante.
Elle me rappelle Lowa.
Lowellmina, la bonne amie de Ninym et la Princesse Impériale de l’Empire d’Earthworld. Pendant leur scolarité, Lowa n’avait jamais été prévisible. Ninym l’avait vue comme un joker.
« — Achtooum ! »
« Vous vous sentez malade, princesse Lowellmina ? »
« Je vais bien, Fyshe. Je crois que quelqu’un parle dans mon dos. Je suis allergique aux ragots, tu sais. »
« … Êtes-vous sûre que ce n’est pas à cause de votre tenue qui laisse apparaître votre ventre ? »
« Tu t’es entends ? Écoute, Fyshe. Une bonne tenue peut faire ou défaire ta journée. Tu ne peux pas avoir froid si tu es de bonne humeur. D’ailleurs, c’est déjà le printemps ! J’ai surmonté l’hiver avec rien d’autre que cette attitude, alors c’est une promenade de santé ! »
« Vraiment ? »
« C’est le cas ! » Lowellmina avait insisté.
Évidemment, le fait qu’elle nous accompagne aide Natra.
Tout se résumait aux connexions humaines. C’était la raison pour laquelle Wein faisait la visite en personne, puisqu’ils ne pouvaient rien régler par courrier. Tolcheila agissant comme leur liaison ne ferait que faciliter l’accord.
Mais on dirait presque qu’elle n’est là que parce qu’elle veut être en mer…
Ninym avait d’abord supposé que Tolcheila essayait de les rendre à jamais redevables envers elle, mais regarder la petite princesse s’affairer sur le vaisseau lui avait fait se poser des questions.
Si elle n’a aucun problème à me parler, elle est déjà un peu étrange.
Ninym était une Flahm, opprimée dans les nations occidentales pour ses cheveux blancs et ses yeux rouges, comme le dictait la doctrine levetienne. Traités comme des esclaves, les siens étaient privés des droits de l’homme.
Le roi Gruyère avait fourni l’équipage et les accompagnateurs de Tolcheila, ce qui signifiait qu’ils n’allaient pas manquer de respect aux représentants étrangers, même si Ninym exposait ses traits naturels. Cela dit, elle pouvait sentir la gêne dans chacun de leurs mouvements. Elle savait que ce n’était pas son imagination.
Cependant, comme le roi Gruyère, Tolcheila ne montrait pas le moindre préjugé. Curieuse à ce sujet, Ninym avait un jour indirectement demandé pourquoi.
« Je suis le maître de moi-même. Ni mon père, ni mon conjoint, ni même Dieu ne peuvent me commander. Pourquoi devrais-je me conformer à quelque chose sur un morceau de papier ? Les gens devront peut-être me servir, mais je ne servirai jamais les gens. »
C’était presque narcissique, mais étrangement pas dans le mauvais sens. Loin de là, en fait. Ninym embrassait Tolcheila pour qui elle était et reconnaissait que la princesse avait une haute opinion d’elle.
Cette non-formalité me fait penser à Lowa…
« Achtooumm-achtooummm ! »
« Votre Altesse… »
« Je vais bien ! C’est à cause de tous les ragots ! Alors peut-être que je suis frileuse à l’occasion. Ce serait stupide — tout ça pour rien — si je cède maintenant. Et puis, il n’y a pas de retour en arrière possible. Et je n’ai vraiment pas froid… ! »
« Dois-je débarrasser cet hydromel chaud ? »
« L’intimidation te donne une mauvaise image de toi, Fyshe… ! »
Je me demande ce qu’elle fait en ce moment même ?
Lowa buvait de l’hydromel. Non pas que Ninym ait pu le savoir.
« — Terre ! » cria le garçon de la vigie depuis la plate-forme située à mi-hauteur du grand mât.
« Il semble que nous soyons enfin arrivés, » nota Ninym.
Tolcheila secoua la tête. « Pas encore. Ce n’est que l’entrée de l’archipel de Patura. »
« L’entrée ? »
« Bien. Il y a un groupe d’îles plus ou moins grandes. Chacune est dirigée par un clan différent et des gens d’influence, mais le bastion des Zarifs est l’île au centre. C’est juste derrière l’île que nous voyons. »
« Je vois. D’où le fait de l’appeler l’entrée. »
« En effet. Nous serons là en un rien de temps… Hm ? » Tolcheila regardait quelqu’un derrière Ninym. En se retournant pour suivre son regard, Ninym vit que Wein avait quitté sa cabine.
« Votre Altesse. » Ninym s’était précipitée vers Wein.
Son teint était terne, et il avançait en titubant.
« Est-ce bon pour toi d’être debout ? »
« Je peux le faire, » lui avait assuré Wein. « Bref, j’ai entendu dire qu’on pouvait voir l’île ? »
« Oui. Mais seulement celle qui sert de porte à Patura. Notre destination est plus loin. »
« Oh…, » Wein s’était penché sur le bastingage du navire, l’air dégonflé.
« Hee-hee. Quand je pense que le prince a perdu la tête à cause d’une simple promenade en bateau. »
Wein avait essayé de redresser sa posture alors que Tolcheila s’approchait, mais il était trop lent.
« Veuillez pardonner mon apparence disgracieuse, Princesse Tolcheila. »
« N’y pensez pas. Le vieillissement et la maladie sont une partie naturelle de la vie. En fait, je suis ravie de voir ce côté de vous, Prince. »
Son gloussement avait fait apparaître un sourire crispé sur le visage de Wein.
« Il semble que vous soyez plus joyeuse que jamais, Princesse… Même sans mal de mer, je pense que n’importe qui trouverait ce long voyage épuisant. »
« J’ai l’habitude de prendre le large. Cela dit, ce n’est que ma deuxième visite à Patura. Après tout, il est difficile de partir pour une terre aussi éloignée que celle-ci au pied levé. »
Le bateau avait navigué vers l’île. Il avait continué à avancer, traçant le contour de l’île dans l’océan intérieur de Patura.
« … Étrange, » murmura Tolcheila.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Wein.
« Je ne vois pas de signes d’autres vaisseaux. La dernière fois, j’en ai croisé beaucoup par ici. »
« Maintenant que vous le dites, il semble étrange qu’il n’y ait pas beaucoup de navires près d’un poste de commerce insulaire — Ah. »
Wein avait regardé au loin. C’était comme s’ils l’avaient dit avant. Un seul navire se trouvait en vue sur le côté ouest de l’île. C’était une caraque comme la leur.
Elle a parlé trop vite, avait pensé Wein.
Le navire avait hissé plusieurs drapeaux emblématiques en haut des mâts. L’équipage avait commencé à s’agiter.
« Hé, ce drapeau nous ordonne de nous arrêter. »
« À qui appartient le navire ? Le Zarif ? »
« Je n’ai jamais vu cet emblème avant. »
« Mettez en place notre drapeau de signalisation. On va leur dire qu’on transporte une délégation. »
L’équipage s’était mis en action. L’un d’entre eux s’était tourné et avait parlé à Tolcheila.
« Pardonnez-moi, dame Tolcheila. Leur vaisseau est étrange. Ce sont peut-être des pirates. »
« Des pirates, hein ? Les Zarifs ne contrôlent-ils pas ces eaux ? »
« Oui, cela devrait être le cas. Cependant…, » le membre d’équipage s’était tu.
Une vigie les avait appelés. « Le vaisseau est d’origine inconnue, et il se dirige vers nous à toute vitesse ! »
« Ils ne répondent pas à notre signal de drapeau ? Merde ! Je le savais. Pirates ! »
« Tout le monde à son poste ! Nous allons faire le tour par l’est pour nous échapper ! » cria l’un des membres de l’équipage.
merci pour le chapitre